INFO - Association des habitants de Louvain-la-Neuve
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169-170 Automne 2021 www.ahlln.be AH INFO LLN, déjà 50 ans. Du Conseil des Fonction urbaine/ Habiter LLN : regards Résidents à l'AH fonction universitaire croisés Pages 3 à 7 Pages 8 et 9 Pages 10 à 21 Édition publique tirée à 6.300 exemplaires - Association des Habitants de Louvain-la-Neuve asbl 010/45 29 12 – info@ahlln.be - TVA 420 934 567 - Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles 1
Édito et culturelles, parce qu’on a adhéré au projet et à la vision d’un milieu urbain à taille humaine et hors norme, ouvert aux en- fants, aux personnes à mobilité réduite, aux jeunes et aux aînés. Croisons les regards On quitte LLN ou on reste en périphérie, et on se désole de voir que la réalité ne colle plus avec le rêve parce que le loge- Louvain-la-Neuve a 50 ans cette année ! Et bientôt l’Associa- ment y devient trop cher, parce que la ville nouvelle acquiert tion des habitants également. Excellente raison de publier un la réputation d’une cité bruyante et sale, boite de nuit à ciel numéro spécial de l’AH Info. ouvert sans restriction, parce que le développement de la ville semble arrimé aux intérêts financiers des promoteurs et aux be- Nous avons voulu donner carte blanche à un panel d’habitants soins financiers de l’UCLouvain, parce qu’on perçoit de moins et habitantes. Pas les ténors habituels de l’AH mais des habitants en moins quelle est la vision qui oriente le développement ur- moins connus, venant de différents quartiers. Certains domi- bain … ciliés quasiment depuis l’origine. D’autres plus récemment. Ils nous proposent chacun leur regard, leur perception. Ils expri- En somme pour ses habitants, LLN c’est « je t’aime, moi non ment ce qui les a motivés à s’installer à LLN. Comment ils per- plus ». Une histoire d’amour. On tient à ce que LLN reste une çoivent la ville aujourd’hui et ce qu’ils en espèrent pour l’avenir. ville à taille humaine, de dialogue, multiculturelle, qui relie les Des témoignages qui nous plongent aux sources de ce qui a fait générations, des générations qui se respectent et respectent la spécificité de LLN : une ville universitaire, créée pour et par l’environnement, une ville pionnière qui relève les défis clima- l’Université, une entité qui fait partie de la Ville d’Ottignies tiques et environnementaux. Des nouveaux habitants prennent LLN, un microcosme où depuis l’origine, des habitants sou- la relève des pionniers et s’impliquent pour que LLN reste un haitent s’intégrer, participer activement à la vie communau- milieu de vie unique en son genre. Encore faut-il que leurs taire, prendre des initiatives et contribuer à construire la ville initiatives soient appréciées et soutenues par les autorités uni- nouvelle. Un microcosme au cœur duquel, depuis le début, versitaires et communales. des habitants s’interrogent sur le partage des responsabilités, les rapports de pouvoir entre l’université et les élus locaux, et de- En croisant les regards de quelques habitants, nous espérons mandent à être respectés comme acteurs et interlocuteurs au ouvrir plus largement la réflexion et le débat sur l’avenir de la même titre que les étudiants et le personnel académique. ville. Vous n’en pensez pas moins. Croisons les regards. On vient habiter à LLN parce qu’on aime LLN ville piétonne, pour la proximité et la multiplicité des activités universitaires Le Président de l'AH et l'équipe opérationnelle du comité de rédaction Photo : © Anne Quévit Comité de rédaction : Marie Evrard, Anne Quévit, Any Reiland, Martine Renders, Arnaud Schobbens, Paul Thielen Coordination et mise en page : Arnaud Schobbens Ont participé à ce numéro : Sébastien Combéfis, Francis Delannay, Suzy Delannay, Luc Laurent, Aurélie Lefrère, Anne Quévit, Guy Polain, Martine Renders, Arnaud Schobbens, Sophie Thibault, Paul Thielen, Anne Wibo Nous remercions le Service des Archives de l'UCLouvain pour leur autorisation de publier les documents photographiques de leurs collections. Les articles de l’AH Info sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Ils n’engagent pas la responsabilité de l’Association des Habitants. Le libre choix d'une écriture dite inclusive est réservé à chaque signataire. Avec le soutien de la Ce périodique a été imprimé sur du papier labellisé FSC, qui garantit une gestion durable des forêts. 2 Dessin de couverture : Guide des Commerces, 1977-1978. Dessin de J.B.
50 ans de l'AH édition, est devenu une activité phare de l’AH, de même que le Cinécocktail qui propose, une fois par mois, des films de qualité trop peu montrés. N’oublions pas les évènements et festivités Des origines à aujourd'hui que l’AH a portés ou porte depuis longtemps, notamment le feu de sapin, les fêtes locales (des clos, des voisins, etc.) et la fête des L’UCLouvain fête, cette année, son implantation à Ottignies habitants du 21 juillet. il y a 50 ans. On en parle beaucoup mais, pour l’AH, l’his- toire commence aussi il y a 50 ans lorsqu’un groupe de « ré- Enfin, et ce n’est pas le moindre des succès, l’AH est reconnue sidents-usagers-acteurs » crée le Conseil des Résidents (pages comme association d’éducation permanente par la FWB depuis 4-7). Petit à petit, le groupe se formalise en adoptant des statuts 2013. Cette reconnaissance du rôle qu’elle assurait depuis long- officiels en 1979 et en créant l’ASBL Ville et Quartiers en 1980, temps, et qu’elle remplit toujours, lui permet, avec les moyens structure servant de support légal juridique. Les deux entités supplémentaires associés, de développer encore plus la citoyen- fusionnent en 1987 en une unique ASBL, l’Association des Ha- neté responsable active et solidaire via ses groupes de travail bitants de LLN, pour faire entendre les voix des habitants là où et l’organisation d'activités telles que des conférences-débats, le il est important qu’elles soient entendues. Qu’elle fête ses 50, pré S.O.L. du Centre, etc. 42, 41 ou 34 ans, que devient-elle aujourd’hui et quels sont ses objectifs ? Les défis de l’AH En tant d’années, et vu la rapide construction et évolution de Aujourd’hui, 50 ans après que les premiers habitants se sont LLN, l’AH s’est montrée très active dans de nombreux do- installés à LLN, quels sont les défis auxquels l’AH se retrouve maines, cumulant une série de succès. Pour en parler, elle s’est confrontée ? rapidement dotée d’un outil de communication, qui n’a cessé d’évoluer. Dès 1971, « La Bulle » voit le jour pour informer les Un premier, loin des plus évidents, est de rester une « asso- Novolouvanistes, comme on les appelait à l’époque, sur la cité ciation » qui fédère et qui relaie au mieux les préoccupations en création. En 1977, apparait le « CR Info », bulletin d’infor- des habitants. Certaines positions prises par l'AH ont suscité mation du Conseil des Résidents, dédié à la diffusion de nou- des dissensions à plusieurs reprises. Fin 1995, on peut lire dans velles fraiches sur ses actions en cours. Le premier « AH Info » l’AH Info « l’AH est en train de se diviser profondément au sujet de est publié en 1979 et de la place a été faite pour transmettre des Wilhem & Co, c’est trop bête. » Il est évident que les avis indivi- nouvelles des quartiers qui se sont développés les uns après les duels peuvent diverger, mais le défi de l’AH est de pouvoir les autres : développement urbanistique, festivités, rallyes, activités collationner pour fournir des analyses qui tiennent compte des diverses (bricolage, cuisine, langue, guitare, etc.). différents points de vue, afin de soutenir des positions qui les re- flètent. Pour cela, et c’est un autre défi, elle cherche depuis l'ori- Parcourir ces bulletins (bientôt accessibles sur notre nouveau gine à créer et entretenir du lien entre les habitants quelles que site web) permet de se faire une idée de la vie des néolouvanistes soient leurs divergences de vue, tout en soutenant le dialogue et de l’évolution de LLN et de l’AH. Petit à petit, l’AH Info n’est avec les différents acteurs que sont la Ville, les commerçants, les plus exclusivement un canal d’informations factuelles et devient étudiants et l’Université. un lieu d’éveil aux enjeux essentiels du développement urbain de LLN. Un premier dossier publié en 1995 en témoigne. Les L’AH doit aussi mesurer quelles orientations et implications les débats et questions relayés dans l’AH Info se diversifient pro- néolouvanistes d’aujourd’hui veulent pour le développement gressivement : pagailles des parkings souterrains et de leur ges- de LLN. Il semble clair que nous ne sommes plus à l’ère des tion, arrivée d’une gare d’autobus, kot ou maison unifamiliale, pionniers où tout était à construire, partant de rien. Il faut, au- difficultés au lac utilisé comme lieu de rassemblement de lycéens jourd’hui, penser à la maintenance et l’évolution de l’existant, du Brabant Wallon, arrivée et impact de l’Esplanade, coût des notamment sous le prisme de la transition, du développement logements dans le centre de LLN, etc. L’AH info s’est donné un durable et de la place accordée à la nature. nouveau look en 2019, marquant l’évolution de son contenu. Une newsletter informant plus régulièrement sur les travaux en Parlant d’évolution, on ne peut négliger les changements im- cours de l’AH et les activités de quartier a également vu le jour. portants du contexte. Face à une Université grandissante, et de plus en plus associée à l’image externe de LLN, quelle Les succès de l’AH place y a-t-il encore pour ses habitants ? On entend parler de Louvain-la-Neuve… « la VRAIE capitale de la guindaille », Depuis sa création, l’AH a accumulé des succès variés, à com- « l’université », « la capitale du sport francophone de haut ni- mencer par les impacts de son implication technique et pointue veau », « la vraie capitale du Brabant Wallon », ou encore du dans l’analyse de projets de développements urbains, au travers « campus de Louvain-la-Neuve », mais quel cas fait-on des de son groupe URBA. L’AH a également d’emblée été recon- 11 073 personnes domiciliées ? nue comme lieu de rencontre et d’échange entre les différents acteurs et usagers de LLN. Elle préside ce qui au début était Enfin, un autre défi important pour l’AH d’aujourd’hui est cer- une tripartite (AH, Université et Ville) et qui est devenue une tainement de rester un acteur-clé de la participation citoyenne, pentapartite intégrant aujourd’hui les étudiants, commerçants face aux pouvoirs publics. Ces derniers s’essaient à ce que l’on et entreprises. Notons par exemple les travaux inlassablement pourrait qualifier de soubresauts d’initiatives de participations menés avec les étudiants, pour s’assurer que leurs activités fes- citoyennes mais qui semblent plutôt s’apparenter à de la « va- tives causent le moins possible de nuisances sonores et envi- lidation citoyenne ». L’AH compte poursuivre son rôle dans ronnementales. Travailler à cette cohabitation respectueuse est, l’instauration d’une réelle citoyenneté active qui, par définition, depuis toujours, une mission importante pour l’AH. doit prendre racine(s) hors du cadre institutionnel et être pilotée par les citoyens eux-mêmes, ce qui suppose une ouverture au L’AH a aussi, à son acquis, la publication d’un Guide des Com- dialogue de la part des autorités responsables. merces et Services, un service rendu aux habitants depuis 1977 ! Sur le plan culturel, le Parcours d’Artistes qui prépare sa 10ème Président de l'AH Sébastien Combéfis 3
Du Conseil des Résidents à l'AH, quelle histoire ! Le Conseil des Résidents aura 50 ans le 22 novembre 2021. L’âge de la maturité, l’âge du renouveau. nance avec l’Habay-la-Neuve des origines de Nothomb. Mar- Photo : © Photokot tin V, oui, on martèle le nom de ce pape mais on oublie peut- être le rôle essentiel que des civils du 15e siècle ont joué dans cet avènement. J’espère que vous n’aurez pas loupé l’exposition présentée à In- forville pendant les vacances 2021 à côté des guichets de la gare. Elle exprime le point de vue des services de l’UCLou- vain, en particulier des Archives. Mais désormais le poids du départ n’est plus mis sur les motifs linguistiques. La démogra- phie étudiante galopante des années 60 a joué un rôle essen- tiel. Il était clair que Leuven ne pouvait pas contenir tout ce monde. Les Flamands qui se créaient en stoemeling leur petit Leuven à Kortrijk/Courtrai l’avaient d’ailleurs déjà compris. L’Association des Habitants peut se réjouir de voir sa naissance et de celle de sa revue mises en valeur dans cette expo. C’était le temps du Conseil des Résidents lancé dès novembre 1971 et de la revue La Bulle, autonome mais pas indépendante, en novembre 1972. Oui, les humains, résidents, usagers et gens Paul Thielen d’action, ont eux aussi, voulu « prendre date » pour montrer que la ville ne resterait pas uniquement « de pierre ». « Je ne parle pas ici au nom de l’Association des Habitants mais en mon nom propre en tentant de faire revivre l’atmosphère des Comment se répartiront les rôles et les pouvoirs entre utopiques années 70. » Paul Thielen l’UCL, les pouvoirs publics et les résidents-acteurs-usagers de la ville ? Pour servir à l’histoire Celles et ceux qui prévoyaient d’emménager à Louvain-la- Neuve avaient pensé d’abord qu’un équilibre naturel se trou- L’anniversaire du Conseil des Résidents prend sa place au cœur verait spontanément entre l’UCL, les pouvoirs publics et les du 50e anniversaire de la naissance de Louvain-la-Neuve, résidents-acteurs-usagers de la ville. Mais, à la Pentecôte 1971, ville de pierre mais surtout ville d’humains. Un anniversaire la divulgation d’une lettre confidentielle du recteur Mgr Mas- qui s’étale depuis le 2 février 2021 jusqu’à la mi-octobre 2022. saux et du vice-recteur Devroede, vers les évêques, a produit Car c’est en 2022 qu’on se souviendra de l’installation histo- l’effet d’une bombe. La vie étudiante à Louvain-la-Neuve al- rique des habitants : d’abord le camp international d’août-sep- lait être contrôlée par des « éducateurs ». tembre 1972 autour de la Ferme du Biéreau (comme j’aime souvent le dire « c’est à la Ferme du Biéreau que le cœur de Cela a évidemment mis tout le monde en alerte. Pour calmer LLN a commencé à battre »), mais aussi la rentrée scolaire des les inquiétudes, dès septembre 1971, le discours de rentrée aca- enfants de la maternelle et du primaire au Collège du Bié- démique de Mgr Massaux s’était voulu rassurant. reau, les premiers cours universitaires réguliers (le 9 octobre à 10 h avec un cours d’astronomie donné par Odon Godard à À l’intention du personnel du secteur socioculturel de l’UCL, la Faculté des Sciences et dès 10h30 début des cours chez les son responsable, Jean-Louis Luxen, avait prévu des visites des ingénieurs), … Le 20 octobre est une date-clé. Elle rappelle- sites de LLN à l’automne. J’y étais invité comme membre du ra à la fois une messe à l’église au centre d’Ottignies, puis la personnel et j’ai été affolé. Louvain-la-Neuve était présentée première rentrée académique, et comme couronnement la fête comme un internat des universitaires et un laboratoire pour d’inauguration de LLN, au Maphys-Maison des Sciences le différentes disciplines. Sans tarder, je me suis rendu chez Manu soir du 20 octobre... L’accouchement fut long et passionnant. Lousberg avec lequel j’avais déjà eu l’occasion d’échanger lon- guement des idées Simon-Pierre « Louvain-la-Neuve, ville de pierre mais surtout ville d’humains » sur l’animation de Nothomb, la ville. Ancien responsable des REUL (Relations Extérieures de l’Université haut responsable du scoutisme catholique, il était un profes- de Louvain) invitait à ce que soient affichés le plus souvent seur universitaire, reconnu comme étant le pionnier du Génie possible : Martin V, 1425, Charleroi 1660, Wallonie… et bien civil. Rencontre entre un jeune loup et un vieux briscard. entendu Louvain-la-Neuve, nom qui avait émergé en conson- 4
Photo : © Archives de l’Université catholique de Louvain 3, Collection photographique CHUL LLN Habitants. En mars 1975, le Conseil des Résidents organise une semaine d'échanges : « Louvain-la-Neuve est à vous ! ». On y débat du développement du centre et des quartiers, des espaces verts, des transports en commun, des organes de gestion urbaine de l'Université et de la création de fêtes. On reconnait notamment (de gauche à droite) Manu Lousberg, Michel Woitrin, Jean-Marie Streydio (président du CR de l’époque), Yves du Monceau, ( ... ) et Raymond Lemaire. Nous avons constaté qu’il n’y avait plus un jour à perdre. Nous tion des travaux à LLN. Mais il était très souvent trop tard avons entrepris la constitution d’un « Conseil » qui représen- pour infléchir les projets. Dans un premier temps, cela nous terait les habitants, les gens actifs à l’UCL, les étudiants, les parut normal car la construction de LLN avait été poussée par usagers, etc. Pour ne pas se perdre dans de longues recherches l’urgence et le pari d’ouvrir la ville à l’automne 1972 avait été d’équilibre entre les représentants de ces différents groupes, gagné. Jean-Marie Lechat était plutôt suspicieux vis-à-vis du nous nous sommes autoproclamés « Conseil des Résidents » Conseil des Résidents. Les rencontres bipartites furent long- tout en contactant immédiatement les groupes arrivant à temps pour lui des commissions de contact, avec un Conseil LLN jusqu’en 1979. Nous avons travaillé par cooptations suc- des Résidents provisoire qui serait peut-être remplacé. Il dut le cessives, ceux qui étaient choisis participaient aux nouveaux reconnaître : ce provisoire était bien devenu le définitif (sauf choix. Les organismes étudiants et enseignants furent les pre- pour les processus d’élections). L'Association des Habitants de miers invités. LLN est aujourd'hui le nom officiel du Conseil des Résidents du 22 novembre 1971, sans rupture de continuité. L’existence du Conseil des Résidents a été communiquée im- médiatement aux responsables de l’UCL et de la commune Une grande déception : les premiers mois Raymond Lemaire d’Ottignies. Le Conseil a rapidement trouvé une place légi- refusait de rencontrer les habitants (on me l’a encore confirmé time dans la représentation des différents publics présents à en ce mois de juillet 2021) et lorsqu’on admit enfin la présence LLN dès la rentrée de 1972. Heureusement, sa composition a d’un représentant du Conseil des Résidents au CCO (Coordi- directement été considérée comme très équilibrée. nation Ottignies), ce fut à condition qu’il se taise ! L’anecdote est connue. Manu Lousberg représentait le Conseil des Ré- Le rôle essentiel du Conseil des Résidents a d’abord été de sidents à une réunion. On lui demanda l’avis du Conseil des faire passer l’information entre les autorités et les futurs ré- Résidents et il garda la bouche close, respectant la consigne, sidents-usagers-acteurs. Et ceci du haut vers le bas et du bas pour bien marquer l’autonomie du Conseil des Résidents par vers le haut. Quant au bourgmestre Yves du Monceau, il de- rapport aux instances existantes encore à Louvain, les réunions vait être ravi de trouver des alliés pour la confrontation du se tenaient de préférence dans le bâtiment du Comité Social pouvoir politique local avec le pouvoir universitaire. Les textes rue du Maïeur (s’Meierstraat), le lieu le plus neutre par rap- d’époque indiquent que pour Michel Woitrin, administrateur port au pouvoir universitaire. Très central à Leuven, voisin du général de l’UCL, l’existence du Conseil des Résidents corres- Collège du Pape et de l’Aula Magna, proche aussi des Halles et pondait assez exactement à sa vision de la ville. du bureau des REUL (Relations Extérieures de l’Université de Louvain). Et pour le symbolique, celui-ci se situait à quelques En attendant l’émergence d’une tripartite UCL-Commune mètres du lieu de publication de l’Utopie de Thomas More, (ce n’était pas encore une Ville) -Habitants, le partenaire prin- en 1417. cipal du Conseil des Résidents était le secteur socioculturel UCL, représenté, après Jean-Louis Luxen, par Jean-Marie Le Conseil des Résidents (parfois écrit "Résidants") s’est tenu Lechat. Jean-Marie tenait le groupe au courant de l’évolu- régulièrement. Pour fournir un interlocuteur régulier aux 5
correspondants, on a choisi un président provisoire, étudiant de maths-physique : Philippe Bruyère. On a aussi désigné des responsables de secteurs. C’est dans cette logique que me furent attribuées les relations extérieures et l’information. J’ai retrouvé copie d’une lettre que j’ai envoyée au premier enfant né à LLN : Bénédicte Bodeux. C’est soutenu par le secteur information du Conseil que fut créé en novembre 1972 le pé- Vue aérienne de Louvain-la-Neuve, 29 avril 1972. © H. Isselée. Archives de l’Université catholique de Louvain2, BE A4006 Collection photographique CHUL Chantiers LLN. riodique La Bulle, aujourd’hui AH Info. Le mode de désignation des responsables du Conseil des Ré- sidents était provisoire. Aux premières élections officielles fut choisie Babeth Bonaert : une étudiante devenait la première présidente élue du Conseil des Résidents. Il faut le rappeler. Au cours de son existence le Conseil a connu diverses mo- dalités. Parfois structuré à partir des quartiers (« ville et quartiers »). Avec des institutions comme celle des deux pré- sidents (celui de l’assemblée générale et celui du conseil d’ad- ministration), et son Conseil des Sages des anciens présidents. Lovanium, un milieu de vie universitaire modèle Dès 1425, la ville de Louvain « Lovanium » est un extraor- dinaire milieu de vie. Une petite bourgade dépeuplée d’un grand nombre de ses drapiers trouve une nouvelle raison de vivre, grâce à des hommes influents, et pas uniquement le pape Martin V. C’est l’université idéale de ce petit coin d’Europe. Universitas Lovaniensis fêtera donc ses 600 ans en 2025. Je laisse aux historiens le soin de décrire six siècles de coexistence entre la population d’une ville passionnante, et les étudiants et enseignants. Mais comme descendant d’une grand-mère louvaniste et d’une ancêtre cabaretière vers 1860, je me plais souvent à imaginer la vie dans cette petite ville. Et particu- lièrement l’habitat dont il reste bien plus que des traces. Une « bewoningkultuur », culture de l’habitat, basée sur l’accueil chez le Louvaniste, baas et bazine, mais aussi de grandes « pé- Depuis 2005, l'AH est ici ! dagogies », pour de nombreux étudiants, organisées par les villes proches, des congrégations religieuses, etc. La vie des étudiants francophones s’organisait autour de régio- nales (certains étudiants ne rentraient pas à la maison toutes les semaines mais une ou deux fois par trimestre), de maisons facultaires, et, de plus en plus, de « maisons communautaires » Louvain-la-Neu autour du vivre ensemble et de projets. Beaucoup de ces mai- sons sont les ancêtres des kots-à-projet. patro masculin ou féminin. Préparer au travail dans le Tiers- KAP’s, héritiers des maisons communautaires de Leuven Monde. Mettre en œuvre la pensée de la revue Esprit. Tra- vailler à la restauration d’une abbaye en France (Vauclair), ... Les kots-à-projet n’ont pas été inventés par l’administration et encore bien d'autres projets et parmi ceux-ci rendre plus de l’UCL au milieu des années 70. Ils sont la transposition visible la place des étudiantes, par exemple la FEUDAC et dans directe, dans des appartements d’une dizaine de personnes, de une autre gamme la Maison des Étudiantes ! ce qui existait depuis des décennies. Mon premier souvenir est l’annonce de la création d’une maison communautaire (le Chariot ?) par Rudolf Rezhohazy en 1955 à Leuven. Pour faire Des utopies réalisables face au développement rapide de la démographie universitaire, l’UCL ne pouvait pas construire sans cesse de nouveaux bâti- Beaucoup de pionniers de Louvain-la-Neuve portaient des ments de logement à Heverlee. Heureusement, au même mo- utopies. Créer une ville internationale, transgénérationnelle ment, des notables de Leuven abandonnaient leur maison en (qui unirait au cours des décennies des âges de plus en plus ville pour aller vivre à quelques kilomètres, hors des remparts. variés), multiconvictionnelle, écologique… Une ville uni- La maison était louée par des étudiants qui, très souvent, se versitaire pas seulement parce qu’elle héberge une université fixaient un projet. mais parce qu’elle se colore de la richesse de ses différentes disciplines : historiques, scientifiques, entrepreneuriales, éco- Accueillir des étudiants venus du scoutisme, du guidisme, du nomiques, juridiques… 6
à ses habitants, à ses usagers, … parmi lesquels les universi- taires. De même, dès qu’une étudiante ou un étudiant s’inscrit aux cours à Louvain-la-Neuve, elle ou lui devient en même temps une citoyenne, un citoyen d’une ville. Pour les responsables de l’UCLouvain, le but n’est pas de gé- rer une ville où tout serait programmé. Réussir une ville c’est créer toutes les conditions de son autonomie, de sa constante créativité. Le Conseil des Résidents, devenu l’AH, travaille avec les diffé- rentes composantes de la ville et particulièrement les étudiants. Dès le 12 octobre 1972, dans une réunion dans le hall du Vin- ci, il soutenait le refus des étudiant(e)s de signer un contrat de location introduisant de nouvelles normes de mixité. On n’oublie pas que dès la 2e année l’UCL n’a pas gardé le mo- nopole local de l’enseignement supérieur. Dès 1973, Cardijn établissait à LLN son cursus de travail social. En 2021 environ un étudiant du supérieur sur cinq à LLN n’appartient pas à l’UCLouvain. Il faut les rendre plus visibles. Le passage du mot Résidents à Habitants risquait de restreindre le champ des personnes actives dans la ville. Pas seulement des résidents permanents, des propriétaires… mais tous ceux qui logent, étudient, travaillent, participent à des activités. C’est toute la population diurne de la ville, environ 50 000 per- sonnes. Les nouveaux défis Vers où va la ville de LLN ? Qui le sait ? La pandémie a sé- paré les différents âges à LLN. Il faudra tout recréer d’une fa- çon nouvelle. Réinventer des liens entre générations, cultures d’origine, convictions… C’était déjà un enjeu en 1971. La naissance de LLN est contemporaine de l’émergence de l’en- vironnement, et de la rencontre entre écologies scientifique et politique. Retisser les liens entre composantes du milieu de vie. Pendant plus d’un an les animateurs du KAP Seniors n’ont pas été au- torisés à rencontrer les personnes âgées. L’occasion de se re- trouver avec des responsabilités plus partagées. De donner une uve, 29 avril 1972 mission plus urbaine aux régionales, aux cercles, aux kots-à- projet… Beaucoup de thématiques mériteraient d’être suivies 365 jours par an alors que les personnes aux études ne sont disponibles que la moitié de ces jours. Mais comment rassembler ces utopies dans un projet com- mun. Face à l’UCL, aux pouvoirs publics, … au monde, à Un horizon nouveau après celui du 50 e anniversaire du l’histoire. Le Conseil des Résidents a voulu rendre les utopies Conseil des Résidents – Association des Habitants : le 600 e plus réalisables en les faisant connaitre, en favorisant des ren- anniversaire de l’UCL-KUL et donc de nos villes comme mi- contres. Avec des échecs comme l’autogestion du Balai Libéré, lieux de vie. Redécouvrir notre ville-sœur avec la richesse de avec des réussites comme les crèches ou l’École des Bruyères. sa vie associative. Comparer nos cultures de l’habitat. Et face à la faiblesse des relations avec les villages voisins et les autres quartiers d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Avec la créa- tion d’outils efficaces comme le Répertoire des Commerces et « Premier cap d’année à Louvain-la-Neuve. Services, toujours remis à jour en 2021. C’est vraiment une nouvelle vie ici. Des familles, des ouvriers, des enfants. Des problèmes de transport, d’immondices, d’information. Une ville appartient d’abord à ses résidents et à ses usagers Passionnant. » « La ville a été créée par l’université pour l’université ». C’est devenu un slogan mais si sa création reviendra toujours à Paul Thielen l’UCL, dès que Michel Woitrin a prononcé le mot « ville » Habite LLN depuis 1972 cette ville ne lui a plus appartenu. Une ville appartient d’abord Co-initiateur du Conseil des Résidents, avec Manu Lousberg 7
Fonction urbaine/fonction universitaire : rétablir l’équilibre Année 1972… La société où je travaille comme conseiller accueille très positivement la création, à l’initiative des habi- juridique, me demande si elle peut consentir des prêts hypo- tants, du Conseil des résidents « soucieux d’assurer l’autonomie thécaires pour des constructions sur des terrains acquis sous du milieu urbain ». En 1976, il écrit : « Cette prise en charge de emphytéose. La réponse sera positive mais cet exorde introduit certaines responsabilités urbaines est éminemment souhaitable l’histoire de ma citoyenneté ottintoise à Louvain-la-Neuve. et une preuve de vitalité sociale ». Il s’agit de Louvain-la-Neuve, en effet. Pour m’informer, je Nous assistons en temps réel au développement de la ville qui me rends Krakenstraat à Leuven où se situait l’Administration se densifie (annoncée dès le départ, cette densification n’est pas de l’UCL et où je prends connaissance de la vaste entreprise en cause). Belles années. envisagée. Il ne s’agit pas de simplement transférer l’université, il s’agit de créer une ville nouvelle. Il ne s’agit surtout pas de Toutefois le succès n’est pas encore assuré et la crise immo- créer un campus, comme au Sart Tilman à Liège, le contre- bilière des années 1983-1984 ralentit l’arrivée des nouveaux exemple, « l’exemple à ne pas suivre » écrira Michel Woitrin, habitants. C’est alors que l’Université commence à faire da- qui fut, avec Raymond Lemaire, Pierre Laconte, Jean-Marie vantage appel à la promotion immobilière tout en cherchant Lechat, … et les équipes dont ils s’étaient entourés, un des à l’encadrer. C’est peut-être là, que de manière imperceptible concepteurs de la ville. au départ, un basculement s’opère. Il s’est affirmé car, au fil du temps, l’extension de la dalle, certes une clé du succès de LLN, Il s’agissait : « de créer une ville universitaire où la fonction devenait une hantise pour la développer, à n’importe quel prix. universitaire n’étouffe pas les autres fonctions urbaines » ; La rue Charlemagne et l’Esplanade en sont l’exemple, avec un ou encore : « d’une université et d’un projet de ville » ; ou résultat positif, … suivi de Courbevoie avec un résultat qui encore : « un premier objectif est d’accueillir une université et laisse dubitatif. un second objectif est la vie urbaine et sa qualité ». Et maintenant ? Comment je vois « ma » ville, Ottignies-Lou- Je me rappelle d’un petit fascicule à couverture orange qui en vain-la-Neuve, car LLN n’est pas une île ; elle n’est pas cette « présentait les caractéristiques essentielles et qui a mené tout réserve d’intellectuels » comme un commerçant du Centre me naturellement à se demander pourquoi ne pas s’inscrire dans ce l’a un jour lancé. projet : ville nouvelle, emphytéose, coût de celle-ci tout à fait à la portée d’un jeune ménage. Même si la superficie du terrain Faut-il vraiment poursuivre l’extension de la dalle ? La ques- était réduite, la conception des ensembles de maisons attachées tion peut paraître sacrilège. Elle se doit d’être posée car on permettait aussi de rompre avec cette aberration urbanistique aperçoit aujourd’hui les coûts de l’existant et de son entretien que représentaient, et représentent toujours, les quatre façades. (désenfumage, étanchéité, entretien des bétons, …). On serait tenté de dire oui, mais avec modération, en discernant là où il Une raison dominante de chercher à s’installer à LLN ? Sans y a manifestement un inachevé, comme au pied du Jean Vilar. doute pas, mais un faisceau bien séduisant pour ma famille et Pour le surplus ? Il est évident que la couverture de la gare moi. (avec une abondance de caméras ???) serait un non sens. La partie couverte sous Les Halles, est un lieu dissuasif et anxio- Et nous voilà à LLN, le 1er juillet 1973… La maison n’est pas gène, un urinoir à ciel couvert souvent… autant de considéra- finie !!! Le service Logement de l’UCL nous dégotte au pied tions pour laisser la gare à ciel ouvert… De même l’extension levé un appartement : reconnaissance infinie à Joseph Therer de l’Esplanade ne correspondrait pas à la nouvelle donne de qui nous a sorti d’un fameux pétrin. Sinon nous étions quatre l’économie circulaire et solidaire. sans toit, dont deux enfants de trois et un an… « À n’importe quel prix » : en effet une des conséquences des Quelques mois plus tard, nous sommes installés dans un quar- choix par rapport à la dalle est une augmentation impres- tier avec des jeunes couples de notre âge et leurs enfants. Que sionnante des prix des logements. Pour une, deux, voire trois de découvertes… De fortes et solidaires relations de voisinage. chambres, quelques prix de sortie en peu d’années : en face du Un urbanisme et des constructions remarquables. La place des Musée Hergé, 600 000 € ; en face du Lac, 700 000 € ; Courbe- Sciences est une des réussites architecturales du site, la Biblio- voie, 860 000 €. Nul étonnement donc que LLN soit devenue thèque devenue le Musée L, la Supérette, le canyon pour les inaccessible aux jeunes ménages, y compris ceux bénéficiant voies, l’ouverture de l’école des Bruyères et sa pédagogie Frei- de revenus moyens ou confortables, ni que la pyramide des net, et encore une pharmacie, une librairie, des bistrots, … Et âges ait tendance à s’y inverser. Comment en est-on arrivé là ? aussi une diversité sociale. Dans un article publié en mars 2001, Jean Remy, Daniel Bod- Michel Woitrin est fort attentif à imbriquer du logement so- son et Luc Boulet écrivaient « Une des caractéristiques de cet cial et abordable dans le tissu urbain. De la même manière il opérateur (i.e. l’UCL), c’est qu’il articule à la fois l’urbanisme et 8
la promotion. La complémentarité de ces deux préoccupations suppose qu’il n’y ait pas de pré- dominance de l’un sur l’autre » (Les cahiers de l’Urbanisme n°33, p.12). Il semble bien que la seconde ait pris le pas sur le premier, à certains moments pour le moins. C’est peut-être à ce type de réflexion que fai- sait écho la nouvelle Administratrice géné- rale, Alexia Autenne, dans ces pages (AH Info #168), en disant à propos des logements « Il faut des prix décents pour favoriser la diver- sité sociale » et ajoutant aussitôt « Je suis bien consciente qu’il y a certains héritages qui ne vont pas dans ce sens-là ». Photo : © Couverture de LaBule déc. 84. Dessin de Jean Vancappellen La question est de savoir si l’idée que se fait au- jourd’hui l’Université va permettre de rééqui- librer l’urbanisme par rapport à la promotion. Je m’explique. Un retour en arrière d’abord. On peut se demander pourquoi le développement d’une ville fut confié à une université. Il faut se remémorer le contexte politique de l’époque, la pression pour sortir l’Université francophone du territoire de la Flandre. C’est ce contexte qui a contribué à la désigner, elle, comme opérateur de la ville, et non le pouvoir communal d’Otti- gnies, à autoriser l’acquisition de terrains d’une superficie bien supérieure à celle nécessaire pour les besoins académiques d’enseignement et de recherche, et ce avec l’appui fort des pou- voirs publics (expropriation, prêt de l’Etat avec un taux d’inté- entre elles : les finances, le développement urbain, les in- rêt modique, infrastructures, …). Aucune autre université de frastructures académiques et le fonctionnement des services notre pays n’a eu cette faculté. Les terrains excédentaires par informatiques ». Or si le premier et les deux derniers domaines rapport à la fonction universitaire sont destinés à la fonction de responsabilités sont clairement reliés et forment ce qu’on urbaine et les utiliser prioritairement pour la première consti- appelle en sociologie des organisations des buts de système, tuerait en quelque sorte un détournement de moyens. le développement urbain est tout aussi clairement un but de mission, un objectif que l’organisation, l’Université, s’est assi- La raison de cet appui considérable des pouvoirs publics est gné. Et l’on sait, toujours en sociologie des organisations, que tout à fait compréhensible si on se réfère à ce qui a été exposé lorsqu’un but de mission perd sa finalité, la dérive est fatale. en liminaire : transférer la fonction universitaire ET ( j’insiste sur le et) créer une ville. Double objectif, l’un n’étant pas in- Des raisons d’espérer et des souhaits. féodé à l’autre, l’un et l’autre étant d’intérêt général. Le domaine du développement urbain a aujourd’hui à sa tête Cette conception s’est érodée avec le temps, car le développe- quelqu’un qui, venant du secteur du logement social, a un sens ment de la ville se révèle aujourd’hui subordonné aux intérêts aigu de l’intérêt général et peut rééquilibrer urbanisme et pro- de l’Université (d’où une moindre préoccupation de l’urbain, motion. une relative désinvolture à l’égard du pouvoir communal, une moindre attention au dialogue avec les habitants). Un vœu : que la haute administration nouvellement en place, considère le développement urbain comme un objectif à part Je voudrais que cette dernière proposition soit fausse, mais je entière et se dédouble en quelque sorte pour que le pôle dé- crains pourtant qu’elle soit devenue dominante, à lire l’Admi- veloppement de la ville forme un contre-pouvoir, redevienne nistratrice générale dans la même entrevue, qui, après avoir une fonction propre par rapport à la fonction universitaire, re- évoqué les ressources foncières, précise : « Nous sommes là noue avec la dimension visionnaire des précurseurs des années pour remplir des missions d’intérêt général : l’enseignement mille neuf cent septante. et la recherche scientifique, dans un contexte de sous-finance- ment des universités ». Poursuivre la création de la ville ne serait donc plus une mis- sion d’intérêt général, ce qu’elle est pourtant au départ : l’Uni- Luc Laurent versité s’est affirmée comme le moteur de la ville et non pas se Docteur en droit de l'UCLouvain servant d’elle comme carburant. Habite LLN (Biéreau) depuis 1973 Ancien membre du Conseil des Résidents Madame Autenne souligne, dans la même entrevue avec l’AH, Directeur général Hre du Fonds du Logement de Wallonie que son « mandat recouvre 4 grandes responsabilités reliées A présidé Housing Europe et le Réseau Habitat et Francophonie 9
L’éclosion d’une communauté La création de la crèche du Pâchy par les familles de LLN Les acteurs et leur territoire ces aînés très respectables aux yeux de la majorité des autres Printemps 1973. Six mois après la première rentrée acadé- parents dont l’âge moyen n’est que de 25 ans environ. Ce mé- mique, la communauté non-étudiante de Louvain-la-Neuve lange de générations jeunes, proches et cependant différentes se limite essentiellement à quelques dizaines de familles. Ces est l'une des richesses de cette communauté. familles habitent soit dans un appartement de l’immeuble « le lot 6 » (dénomination peu poétique qui a subsisté jusqu’à aujourd’hui), soit dans l'une des maisons qui viennent d’être Se mobiliser pour créer en toute indépendance construites entre la Scavée du Biéreau et l’Avenue de l’Espi- nette. Ces familles se trouvent là à la fois par nécessité - la Dans les années septante, l’UCL est la seule à avoir une vision proximité de l’endroit où la plupart travaillent ou étudient - et à long terme sur l’avenir de Louvain-la-Neuve. À l’exception par choix - elles ont été séduites par ce projet de ville de 50 000 de l’École du Biéreau, tout est à l’état de projet et l’UCL est habitants, présentée comme totalement nouvelle et différente seule aux commandes de tous les projets. La commune (Ot- (les projections de population seront réduites à 30 000 habi- tignies, qui deviendra OLLN suite à la fusion des communes tants quelques années plus tard). Le lotissement où ces familles en 1977) est pratiquement absente car dépourvue de moyens vivent est isolé sur un plateau agricole. Il est entouré de toutes à la hauteur du gigantisme de ce projet de ville nouvelle dont parts par des chantiers en pleine effervescence. Un petit havre le Comte du Monceau a réussi à faire accepter l’accueil sur le de nature est offert cependant par la ferme du Biéreau toute territoire Ottintois. proche, avec sa mare, son jardin et le tas de fumier encore pré- sent au milieu de la cour. Cela suffit au bonheur de tous. De Pour la petite enfance, l’UCL prépare la construction d’une l’autre côté de la ferme, à une centaine de mètres, se trouve crèche de 150 lits pour laquelle elle a déjà obtenu un pré-accord le seul service communautaire à la disposition des familles : de l’ONE. L’emplacement prévu pour cette crèche est occupé l’École du Biéreau, ouverte par l’UCL en septembre 1972. aujourd’hui par les terrains de sport du Lycée Martin V. Tant sur le fond que sur la forme, ce projet déclenche des réactions Mise à part cette école maternelle et primaire, tout reste à faire très hostiles des habitants. Sur le fond, la taille de la crèche un peu comme dans les plaines d’Amérique du Nord au temps est jugée complètement démesurée : les familles veulent une de la conquête de l’Ouest. Le qualificatif « pionniers » donné crèche à taille humaine, pas une « crèche mammouth ». Sur à ces premiers habitants n’est donc pas usurpé. Les besoins qui la forme, les habitants sont vexés de n’avoir pas été consultés. s’imposent comme prioritaires sont faciles à percevoir lors- Ils ne veulent plus dépendre de l’UCL pour tout. Ils veulent qu’on se souvient que, durant les années septante, rares sont pouvoir vivre à l’égal de n’importe quel autre citoyen. Pour les les familles à Louvain-la-Neuve dont les enfants ont dépassé projets qui concernent leur vie familiale, ils se déclarent prêts l’âge de l’école primaire. Parmi les parents, quelques aînés (les à se retrousser les manches pour faire eux-mêmes face à leurs Mabardi, Macq, Rouche, Lavendhomme, …) se distinguent besoins (tout en exigeant cependant que l’UCL continue à leur par leur âge aux alentours des 45 ans. Cet âge avancé rend fournir l’indispensable nerf de la guerre). Photo : © Francis et Suzy Delannay Les yeux s’écarquillent devant Saint Nicolas faisant son entrée au Pâchy en décembre 1975 10
( ... ) L’urgence d’une crèche étant manifeste, un groupe se constitue Cinquante ans plus tard rapidement pour élaborer un projet alternatif à la crèche mam- mouth. Parmi les chevilles ouvrières de la première heure, on En quoi l’histoire de la création du Pâchy mérite-t-elle d’être se souvient notamment de Jean-François et Denise Mabardi, encore racontée cinquante ans plus tard ? Nul ne peut douter Bethy Steyaert, Bernadette Streydio, Chantal Ackerman ain- que les jeunes parents vivant aujourd’hui à Louvain-la-Neuve si que Geneviève Dassetto, l’assistante sociale de l’UCL. Le agiraient exactement de la même manière si les mêmes cir- groupe obtient l’accord de l'Université pour la location d’une constances se présentaient à eux. villa que l’UCL possède au n°21 de la rue Haute au quartier de l’Hocaille. Un nom est choisi : « Crèche du Pâchy » (était-ce Pour les pionniers des années septante, ce sont en effet uni- le nom de la villa ?). Le groupe prend contact avec l’ONE en quement les circonstances qui font la différence. Les circons- vue du transfert vers le nouveau projet du pré-accord d’agréa- tances, ce sont d’abord les gens et l’époque dans laquelle ils tion déjà obtenu par l’UCL pour la crèche mammouth (on vivent. Qui sont-ils ces pionniers ? En majorité des intellec- se réfèrera à ce pré-accord pour obtenir l’agréation d'autres tuels, des diplômés universitaires, souvent des rebelles encore crèches qui seront créées au cours des années suivantes). Le passablement imprégnés de l’esprit soixante-huitard. Citadins groupe procède au recrutement du personnel. Il organise les dans l’âme, ils croient pouvoir contribuer à un avenir meilleur travaux d’aménagement des locaux (avec le support d’une en étant acteurs de cet « autre chose » que le projet de Lou- somme d’argent accordée par l’UCL). Pour les travaux, toutes vain-la-Neuve fait miroiter. Ils n’imaginent pas que la pros- les bonnes volontés sont invitées à collaborer. Tout sera prêt périté des golden sixties dont ils sont issus puisse être mise en pour l’ouverture de la crèche du Pâchy le 1er décembre 1973. cause. Ils font donc confiance à l’avenir. Pourtant, le premier choc pétrolier viendra, dès novembre 1973, déclencher une Bien sûr, les futurs parents d’enfants qui seront accueillis dans première crise planétaire. Depuis lors, une succession de crises la crèche à son ouverture sont mis à contribution. C’est par ébranle périodiquement la planète et la société humaine. Le ce biais que, dès notre arrivée à Louvain-la-Neuve en sep- monde a changé ! tembre 1973, les nouveaux parents que nous allions devenir deux mois plus tard sont plongés d’emblée dans le tourbillon Les circonstances des années septante sont aussi faites d’un de cette communauté. Comme beaucoup d’autres jeunes pa- mélange d’autres ingrédients : un espace quasi vierge où tout rents, nous nous retrouvons vite embarqués en tant qu'acteurs est à créer, un pouvoir communal trop éloigné pour inter- « La croissance rapide de la communauté des familles installées à Louvain-la-Neuve impose très rapidement la nécessité d’une crèche supplémentaire » dans l’asbl créée pour assurer la gestion de la crèche. L’es- venir de façon significative, le système de piliers propre à la prit soixante-huitard étant très prégnant, le maître-mot de Belgique qui permet à des particuliers d’obtenir la subsidia- l’époque est « cogestion ». L’asbl est donc organisée sur base tion de projets développés en toute indépendance des pou- d’un partage des voix à 50/50 entre le personnel et les parents. voirs publics, des services de l’UCL dépassés par l’ampleur des À quelques nuances près, ce mode d’organisation sera imité tâches et donc prêts à laisser à des habitants volontaires (par- dans pratiquement toutes les asbl qui seront créées dans la fou- fois rebelles) la possibilité d’agir librement. Il vaudrait la peine lée, au cours des années suivantes. Pour des jeunes comme d’analyser dans quelle mesure, et pourquoi, ces divers ingré- nous, sans aucune expérience en gestion, ce furent à tout le dients seraient périmés pour les Néolouvanistes d’aujourd’hui. moins des années riches en termes d’apprentissage! Rétrospec- Tandis que l’espace de liberté pour des initiatives nouvelles ou tivement, nous en retenons surtout le plaisir des nombreuses des changements est plus restreint qu’au temps des pionniers, amitiés nouées dans ce concert de relations. l’UCLouvain ne semble plus vouloir (ou pouvoir) tenir la barre comme dans le passé. Dans ces circonstances, il faut espérer La création du Pâchy n’est qu’un point de départ. La croissance que le mode de démocratie communale à la belge est capable rapide de la communauté des familles installées à Louvain- de continuer à faire éclore et à porter à long terme une vision la-Neuve impose très rapidement la nécessité d’une crèche ambitieuse d’une ville telle qu’imaginée par les acteurs de la supplémentaire ainsi que d’une école maternelle et primaire première heure : une ville vraie, pleinement assumée, au ser- supplémentaire. Plus on se sent libre d’agir, plus on est prêt à vice d’une région et non repliée sur elle-même. entrer en action. C’est toujours dans le même esprit d’indé- pendance que celui qui a présidé à la création du Pâchy que d’autres groupes de parents volontaires se formeront les mois suivants pour porter les projets de la Crèche de la Baraque et de l'École des Bruyères. Toutes les deux ouvriront leurs portes Francis et Suzy Delannay quasi simultanément en septembre 1976. Et ainsi de suite, une Habitent LLN (Biéreau) depuis 1973 poignée d’autres crèches verront successivement le jour dans Jusqu’à la retraite, Suzy a enseigné à Waterloo tandis que les années suivantes. La gestation de chacun de ces projets mé- Francis a enseigné à l’UCL. Deux de leurs trois fils ainsi riterait également une analyse. Mais ce seraient d’autres his- que leurs six petit-enfants habitent Louvain-la-Neuve. toires à raconter. 11
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