Installations olympiques, régénération urbaine et tourisme

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Les grands équipements touristiques Dossier

              Installations olympiques,
          régénération urbaine et tourisme

Jean-Pierre Augustin                            Tendances urbanistiques                            trop strict et rationnel de l’espace est remis
                                                et sites olympiques                                en question, non seulement dans ses réali-
Les villes et le tourisme ont toujours          L’inscription des grands sites sportifs dans       sations, mais dans son principe même. Si
été liés et la tendance s’accentue avec         l’espace des villes depuis le début du             l’organisation des villes nécessite à l’éviden-
la multiplication d’équipements urbains         XXe siècle ne peut pas être dissociée de           ce des aménagements fonctionnels, une
attractifs et d’événements multiples qui        l’histoire et des tendances de l’urbanisme         conception systématique visant à enfermer
créent de fortes synergies avec le loisir, le   marquées par plusieurs courants de pensée.         les hommes et les activités dans un maillage
sport et la culture. Parmi ces événements,      L’idée de fixer des activités humaines dans        territorial prédéfini s’est révélée inopérante et
les Jeux olympiques (JO) offrent aux vil-       des espaces appropriés est ancienne, mais          de surcroît dangereuse. L’évolution urbaine
les choisies une occasion exceptionnelle        elle s’est largement renforcée avec l’émer-        en raison des transformations économiques
de valoriser leur audience et leur attrac-      gence de la ville industrielle. Les théoriciens    et des mutations sociales a progressivement
tivité. Les JO nécessitent la construction      fonctionnalistes proposent de délimiter les        entraîné la modification de ces normes.
d’infrastructures d’accueil, de transports      unités spatiales de base pour les activités        Des recherches et des expérimentations
et de communication qui participent lar-        industrielles, l’habitat des travailleurs et les   multiples se sont succédé depuis une tren-
gement aux transformations urbaines en          équipements d’accompagnement. De Tony              taine d’années et posent la question du
présentant deux caractéristiques d’amé-         Garnier (1869-1948) à Le Corbusier (1887-          renouvellement des conceptions relatives
nagement. La première est liée à l’enga-        1965), de nombreux urbanistes généra-              au niveau d’intégration des équipements.
gement de respecter un calendrier précis        lisent cette conception du traitement de           Ainsi, la notion de projet urbain s’est consti-
pour la réalisation des projets retenus. En     l’espace avant qu’une politique publique de        tuée comme une alternative à l’urbanisme
effet, les villes obtiennent les jeux comme     l’urbanisme favorisant la concertation entre       fonctionnaliste dans le courant des années
résultat de la présentation de leur candi-      l’État et les collectivités locales ne s’instau-   1970 (Devillers, 1994). La démarche du
dature ; une fois désignées par les ins-        re. Des directives urbaines s’imposent dès         projet traite de l’aménagement en termes
tances officielles, elles sont contraintes      1950 en se référant aux fonctions définies         concrets, en s’intéressant à la forme, à la
d’édifier les équipements proposés. La          par les congrès internationaux d’architec-         dimension des lieux et à l’intégration des
seconde concerne l’élargissement du             ture moderne (CIAM) dans le courant des            équipements dans la ville. L’espace dont il
programme sportif en projet de ville ou         années 1930 : habiter, travailler, circuler, se    est question n’est pas l’espace en général,
en projet urbain. Ces événements qui            recréer. Les nouveaux territoires urbains          mais un espace particulier, inscrit dans l’his-
rassemblent des centaines de milliers           s’ordonnent dans le cadre d’un zonage qui          toire, dont il faut tenir compte (Huet, 1993).
de spectateurs et qui intéressent des           redéfinit les attributions de l’espace et s’éta-
centaines de millions d’auditeurs et de         blissent généralement dans les secteurs            Les tendances urbanistiques ne se limitent
téléspectateurs (de 2 à 4 milliards pour        libres ou périphériques des villes. Ces ten-       cependant pas à l’opposition entre un urba-
les Jeux olympiques et les mondiaux de          dances urbanistiques sont largement inter-         nisme de zone et un urbanisme de continuité ;
football) deviennent un prétexte pour           nationales et ont dans le domaine des sites        d’autres éléments, concernant directement
accélérer les mutations urbaines (Gold          sportifs favorisé l’édification d’équipements      les édifices sportifs, interfèrent fortement.
et Gold, 2007) et valoriser l’image de la       adaptés aux différents niveaux d’espace, de        Parmi ceux-là, il faut mentionner l’urbanisme
ville inscrite dans une compétition inter-      l’unité de voisinage à l’agglomération, mais       de réseaux tenant compte des mobilités des
nationale. L’édification de grands sites        aussi la construction d’ensembles spécifi-         flux et des communications et l’urbanisme
olympiques amène à réfléchir aux recom-         ques de grande taille dans ou à la périphérie      d’image correspondant à l’accroissement de
positions urbanistiques qu’ils favorisent       des villes.                                        la compétition entre les métropoles urbaines.
et aux effets d’entraînement qu’ils susci-                                                         Une autre tendance, non sans effet sur les
tent sur le plan du tourisme international      Or il apparaît aujourd’hui manifeste que le        conceptions des grands sites sportifs, est liée
(Augustin, 2007).                               modèle fonctionnel favorisant un zonage            à la concurrence qui se joue entre les grandes

                                                                                                                           Été 2008    Téoros    31
Dossier            Les grands équipements touristiques

villes des pays développés. L’élargissement              et économique du pays. Pour
du monde et la compétition internationale ont            cela, elle s’engage dans la
favorisé les initiatives entrepreneuriales des           valorisation de grands évé-
grandes métropoles. Le marketing urbain et               nements internationaux, l’Ex-
l’urbanisme de communication amènent les                 position universelle en 1967,
villes à promouvoir des sites sportifs s’inscri-         l’exposition Floralies en 1973
vant dans des opérations d’architecture et               et enfin les Jeux olympiques
d’urbanisme de prestige. Les dernières villes            en 1976. Ces événements
olympiques retenues (Séoul 1988, Barcelone               sont dus à la détermination du
1992, Atlanta 1996, Sydney 2000, Athènes                 maire Jean Drapeau qui, en
2004, Pékin 2008, Londres 2012) confirment               exerçant un large contrôle sur
ces tendances. Dans le cas de Barcelone,                 le corps politique local et l’ap-
l’objectif affirmé du projet de ville est bien de        pareil municipal, a réussi à les
                                                                                                Illustration 1 : Stade olympique de Montréal.
se placer dans le peloton de tête des gran-              imposer, malgré l’opposition           Photo : Linda Turgeon, Tourisme Québec.
des métropoles européennes.                              de mouvements communau-
                                                         taires actifs dans les quartiers
Il ne s’agit pas ici de proposer un inventaire,          populaires. Deux périodes vont se succéder,                religieuses et politiques. La tour penchée
mais de montrer, à partir de quelques exem-              celle de la mise en œuvre du Parc olympique                est une des attractions principales de la
ples, comment les sites olympiques s’inscri-             symbolisé par le stade, puis après le chan-                ville ; la salle d’observation permet une vision
vent dans des projets de villes et comment               gement de municipalité à Montréal, la tenta-               panoramique de l’agglomération, facilitée
les infrastructures et les équipements sportifs          tive, a posteriori, de réaliser un projet urbain à         par l’installation d’un centre d’interprétation.
renforcent l’offre touristique des villes. Pour          partir du nouveau pôle touristico-sportif.                 Le village devient un ensemble résidentiel
cela, trois sites ont été retenus. Le premier,                                                                      et commercial, même si les galeries et les
celui du Parc de Montréal en 1976, révèle                Le complexe olympique s’établit à la limite                passages extérieurs sont peu adaptés aux
qu’un projet fonctionnel peut servir, a pos-             du quartier Maisonneuve dans un espace                     hivers de Montréal. Le Vélodrome, en raison
teriori, de point de départ à un projet urbain           de 55 hectares où sont prévus un stade,                    du peu d’intérêt du public pour le cyclisme
touristico-sportif. Dans le deuxième, celui du           un centre aquatique, un vélodrome et le vil-               en salle, a été reconverti en musée vivant
site de Barcelone en 1992, il s’agit d’un pro-           lage. Ce dernier, nommé « Pyramides olym-                  de l’environnement et des sciences naturel-
jet urbain qui se transforme en projet d’euro-           piques », est composé de deux édifices                     les. Appelé Biodôme, il reproduit, à travers
cité touristique. Enfin, dans celui de Pékin en          jumeaux de 20 étages destinés à loger les                  quatre écosystèmes, les milieux de la jungle
2008, il s’agit à la fois de réaménager la vieille       athlètes. L’ensemble correspond à un projet                amazonienne, du Saint-Laurent, de la forêt
ville et de l’ouvrir à la modernité et au tou-           sans liens avec les quartiers environnants                 laurentienne et du monde polaire.
risme international. Ainsi, sur une période de           et le stade conçu par l’architecte français
32 ans, de 1976 à 2008, et d’autres exem-                Roger Taillibert se fonde sur l’idée de l’ex-              Si la reconversion du parc olympique en lieu
ples pourraient être évoqués, on assiste bien,           ploit architectural. Il s’agit d’une structure de          d’attraction touristico-sportif a été en partie
lors des JO, à l’accélération des aménage-               béton articulée sur 34 consoles auxquelles                 réussie, il a fallu attendre la fin des années
ments urbains et des installations sportives             sont accrochés les gradins. La plus haute                  1980 pour que la nouvelle municipalité, avec
qui favorisent l’attractivité touristique.               tour penchée du monde domine le stade et                   le soutien du « rassemblement des citoyens
                                                         sert d’appui à 26 câbles de suspension qui                 et citoyennes de Montréal », envisage d’uti-
Montréal 1976 et                                         retiennent le toit mobile susceptible de se                liser cet ensemble fonctionnel comme sup-
l’affirmation de la métropole                            déployer comme un parachute au-dessus                      port d’un projet urbain et touristique (Ville de
franco-canadienne                                        du stade. Le Vélodrome épouse la forme du                  Montréal, 1991). Partant de l’idée que les
C’est en 1970 que Montréal se voit confiée               casque que portent les cyclistes grâce à un                équipements du Parc olympique et du Jardin
par le Comité international olympique (CIO)              toit festonné d’un diamètre de 160 mètres et               botanique n’ont pas eu d’effets sur le secteur
l’organisation des Jeux d’été de 1976. Après             reposant sur quatre butées.                                puisqu’ils ont été conçus pour eux-mêmes,
Saint-Louis en 1904 et Los Angeles en 1932,                                                                         le projet propose de valoriser le patrimoine
la métropole québécoise devient la troisième             Original sur le plan architectural, le com-                architectural et de soutenir des activités
ville organisatrice des JO en Amérique du                plexe olympique laisse en héritage une dette               économiques afin d’intégrer les quartiers
Nord. Ce choix s’inscrit dans le contexte de             publique nécessitant plusieurs décennies de                proches dans la dynamique d’attraction du
la Révolution tranquille, une période de muta-           remboursement. Il a été dès son origine et                 pôle et de les faire bénéficier de ses retom-
tion débutant en 1960 et visant à moder-                 reste encore le projet le plus controversé de              bées économiques et sociales. Préparé par
niser la province francophone du Québec.                 la ville. Le stade, qui peut accueillir 56 000             le Bureau du plan d’urbanisme de la Ville
Montréal cherche à s’affirmer comme la                   personnes assises, a de la difficulté à trouver            de Montréal en 1991, le premier volet du
métropole franco-canadienne, tout en visant              un tel public et est utilisé pour des concerts             projet concentre les efforts autour de l’axe
à maintenir son statut de capitale culturelle            de rock, des opéras, des manifestations                    Morgan, limité par le parc du même nom et

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Les grands équipements touristiques Dossier

celui de Genevilliers, où plusieurs bâtiments,      amènent au pouvoir une majorité de gau-
comme le marché et les bains publics, mais          che qui propose une politique urbaine de
aussi l’école Maisonneuve (1890), le théâ-          concertation s’inscrivant délibérément dans
tre Granada (1928) et les banques Molson            la perspective d’un projet urbain qui valorise
(1906) et Toronto (1911), représentent un           les aménagements de proximité en accord
groupe d’intérêt patrimonial.                       avec les associations d’habitants. Il s’agit
                                                    notamment de repenser les prolongements
Le second volet propose le soutien d’une            du plan en damiers conçu en 1859 par l’ar-
fonction industrielle dans le quartier, dont cer-   chitecte Cerda. L’effervescence urbanistique
tains bâtiments comme celui de la compagnie         de secteur proposée à Barcelone est présen-
Johnson (1904) ont été restaurés. Il s’appuie       tée dans de multiples articles et publications
sur les corporations de développement éco-          qui affirment la volonté de transformations
nomique et communautaire (CDEC) et envi-            urbaines à partir de « ces creux », en assu-        Illustration 2 : Vue d’une plongeuse dans le ciel
sage une série d’actions dans le cadre d’une        rant l’attractivité touristique, comme le note      de Barcelone lors des Jeux Olympiques de 1992.
                                                                                                        Photo : Getty Images/Bruty Simon.
politique publique municipale avec, notam-          l’architecte Oriol Bohigas.
ment, l’élaboration de plans d’aménagement
intégrés et la mise sur pied de centres d’aide      La préparation des JO est l’occasion de             À sa place et dans son prolongement, un
aux entreprises. L’ensemble des atouts patri-       lancer les grands travaux de modernisa-             nouveau quartier résidentiel est édifié à côté
moniaux et industriels est complété par la          tion concernant les communications et les           d’un parc du littoral gagné sur les emprises
rénovation des artères et des nœuds urbains.        infrastructures urbanistiques (Seguilllinas,        ferroviaires et protégé des contraintes de la
En permettant l’aménagement paysager de             1993). La création d’un anneau périphéri-           voie rapide enterrée sur presque tout son
l’ensemble, la valorisation de la composante        que en partie souterrain permettant de relier       parcours. Deux mille logements et deux
muséologique, la mise en place d’animations         les sites olympiques, le réaménagement              tours de 44 étages, l’une destinée à un hôtel
et de circuits touristiques, le projet vise à       du réseau ferroviaire et des gares, la réor-        de luxe et l’autre à des bureaux, deviennent
exploiter l’attraction des équipements olym-        ganisation de l’aéroport avec de nouveaux           les bâtiments phares du quartier. Le Palais
piques pour intéresser les visiteurs de l’agglo-    terminaux et une liaison par train à la ville       des congrès, le nouveau port de plaisance
mération et les touristes étrangers.                transforment les modes de communication.            avec 743 anneaux et, surtout, le parc de
                                                    Ces travaux sont complétés par la construc-         50 hectares complètent l’ensemble.
Ainsi, le Parc olympique de Montréal, conçu         tion de la tour de télécommunications de
dans une perspective fonctionnelle et archi-        Collserolo, qui s’élève à 268 mètres. Les           À l’aplomb de la montagne, au nord de
tecturale, se voit complété par un projet           infrastructures urbanistiques sont concen-          Barcelone, le troisième site olympique est
urbain qui tente, a posteriori, d’utiliser la       trées sur quatre lieux.                             celui du Val d’Hébron. Ce secteur a long-
dynamique d’attraction du site. À Barcelone,                                                            temps été une zone résidentielle avant que
c’est l’inverse qui se produit, puisque les pro-    Le site principal est celui de la colline de        la spéculation immobilière des années 1960
jets urbains sont en partie délaissés au profit     Montjuic, qui fut choisie en 1929 comme             n’y élève des barres et des tours d’habita-
de la logique de modernisation de la ville.         lieu de l’exposition universelle et où fut édifié   tion dans le cadre d’un vaste projet inter-
                                                    le stade de l’olympiade populaire de 1936.          rompu par la crise des années 1970. La
Barcelone 1992, les JO et la                        Réhabilité par l’architecte italien Gregotti,       vocation sportive de ce secteur débute
modernisation d’une eurocité                        ce stade peut recevoir 60 000 personnes             avec la construction en 1984 du vélodrome
touristique                                         pour les cérémonies d’ouverture et de fer-          de 6500 places pour le championnat du
Le choix de Barcelone comme ville olym-             meture des jeux. À proximité se situe le            monde de cyclisme. Les architectes barce-
pique pour les jeux de 1992 est décidé en           palais omnisports de Sant-Jordi, conçu par          lonais complètent le quartier en créant les
1986, contre Paris, à partir d’une argumen-         le Japonais Isozaki. Un large parvis conduit        installations sportives pour le tir à l’arc, le
tation fondée sur l’existence d’équipements         aux portiques néoclassiques proposés par            volleyball et le tennis, ainsi que des habi-
et sur un ambitieux projet urbain de res-           Boffil pour l’université des sports. La pis-        tations et un bâtiment central réservés à la
tructuration. Les jeux sont l’occasion d’une        cine, les terrains de hockey et de baseball,        presse et aux arbitres.
modernisation qui bouleverse la ville en favo-      les pistes d’entraînement et divers équipe-
risant l’expansion économique et la mutation        ments complètent ce vaste ensemble qui              Enfin, le quatrième site se situe à l’extrémité
du tissu social.                                    est prolongé par le nouveau parc du Midi,           ouest de la diagonale dans une zone limi-
                                                    comprenant un jardin botanique et un audi-          trophe des trois communes de Barcelone,
Comme dans le cas de Montréal dans                  torium de 100 000 places. Le deuxième               l’Hospitalet et l’Espluges. Une opération de
les années 1970, le contexte politique de           site, celui du village olympique, est l’occa-       rénovation urbaine permet de désenclaver
Barcelone dans les années 1980 est déci-            sion d’une importante opération de rénova-          un secteur de 30 hectares et de réaliser
sif sur les orientations choisies. En 1979,         tion littorale qui entraîne la destruction d’un     un nouveau quartier à proximité du stade
les premières élections municipales libres          quartier ouvrier pour ouvrir la ville sur la mer.   de 120 000 places du Nou Camp, fief du

                                                                                                                                     Été 2008   Téoros   33
Dossier             Les grands équipements touristiques

                                                          mobilisation des acteurs politiques et éco-        commerces et aux logements correspon-
                                                          nomiques est centrée sur trois objectifs           dent à l’équivalent de trois Manhattan. La
                                                          majeurs : le remodelage urbain, l’améliora-        construction d’autoroutes, de pénétrantes,
                                                          tion des réseaux de transport et l’attractivité    l’extension des lignes de monorails et de
                                                          touristique. Pékin est devenu un immense           métros, l’amélioration des rues et des espa-
                                                          chantier d’urbanisme qui s’organise autour         ces verts de la cité complètent le dispositif
                                                          des cinq infrastructures emblématiques qui         et, par leur rapidité, sont sans précédent
                                                          veulent en faire une capitale de l’architec-       dans les mutations urbaines.
                                                          ture d’avant-garde.
                                                                                                             Ces mutations ambitieuses ont un prix sur le
 Illustration 3 : Stade olympique des Jeux de
 Barcelone (1992).                                        Le stade olympique, baptisé « nid d’oiseau »       plan social : une grande partie du patrimoine
 Photo : CIO/Collection du Musée Olympique.               en raison de ses poutres d’acier et de béton       historique est détruit, plus de 300 000 rési-
                                                          entrelacées, est dessiné par les Suisses           dents du centre ville sont délogés et leurs mai-
Barça, un des grands clubs européens de                   Herzog et Meuron pour accueillir 91 000            sons rasées, de nombreux réseaux sociaux
football ; une ville équestre est édifiée, ren-           spectateurs. La piscine olympique, appelée         de vie communautaire sont détruits… Le
forçant le caractère sportif de l’ensemble.               « cube d’eau », est une sorte de bulle cubique     passage accéléré à une économie de mar-
                                                          proposée par les Australiens, concepteurs          ché, contrôlée en partie seulement par l’État,
Au total, la démarche urbanistique mise                   du stade olympique de Sydney, pour recevoir        s’accompagne du renforcement d’inégalités
en œuvre à Barcelone est exemplaire de la                 10 000 personnes. Les deux tours consa-            sociales, de spéculations et de corruptions.
volonté de mêler, dans la mesure du pos-                  crées aux médias et à la télévision (CCTV),        La façade clinquante des jeux ne cache pas
sible, projet de ville et projet urbain (Sobry,           qui semblent se tordre à leur sommet pour          les dérives qui éloignent le pays d’une vision
1993). Au choix de redonner leurs valeurs aux             s’incliner vers la terre, sont présentées par le   égalitaire du socialisme. Ces points noirs sont
espaces publics et à tout ce qui lie les bâti-            Néerlandais Rem Koolhas et l’Allemand Ole          épinglés par le Collectif anti-Jeux olympique
ments, les quartiers et les fonctions urbaines,           Scheeren comme une révolution en termes            (CAJO) qui rappelle que la Chine reste une
s’ajoute l’édification de monuments symbo-                d’immeuble de bureaux. Le nouvel aéroport,         dictature qui exécute ses opposants sur
les s’inscrivant dans un urbanisme d’images.              conçu par l’Anglais Norman Forster (déjà           la place publique et qui pratique la torture,
Les aménagements urbains de Barcelone à                   architecte de l’aéroport de Hong Kong), est        l’enfermement arbitraire, la répression et la
l’occasion des JO accompagnent la revalo-                 pensé pour accueillir 46 millions de passa-        persécution du peuple tibétain. Il affirme : « le
risation d’une ville engagée dans la compé-               gers par an. Enfin, l’opéra ou grand théâtre       CIO ne peut que se réjouir de l’organisation
tition internationale et cherchant à s’affirmer           national de Chine, œuvre du Français Paul          de ses jeux dans un état-prison ; il pourra
comme capitale du Sud en augmentant son                   Andreu, se présente comme un vaisseau              ainsi déverser dans ce nouvel eldorado éco-
attractivité touristique.                                 spatial de forme ovoïde ; situé à proximité de     nomique la propagande des multinationales
                                                          la place Tien An Men, il rappelle les ambitions    qui le sponsorisent avec la complicité des for-
Pékin 2008, s’affirmer comme                              culturelles de la Chine.                           ces armées ». Les manifestations dénonçant
une ville mondiale ouverte au                                                                                les atteintes aux droits des personnes lors du
tourisme                                                  Ces cinq œuvres architecturales réalisées          passage de la flamme olympique, notamment
Pour les jeux de 2008, la dernière phase,                 par des concepteurs de renommée mon-               à Londres et Paris, au début de l’année 2008,
celle du vote, se jouée à Moscou en juillet               diale pour souligner l’internationalisme de la     confirment l’opposition de groupes organisés
2001, lors de la 112e session du CIO, entre               ville ne doivent cependant pas cacher les          à la célébration des jeux en Chine.
Osaka, Toronto, Istanbul, Paris et Pékin,                 multiples chantiers de rénovation qui modi-
qui a été sacrée ville olympique. Le choix                fient les formes de la ville. Ces chantiers        Ces observations et ces actions ont cepen-
souligne l’ouverture de la Chine et engage                sont généralement dirigés par des architec-        dant peu d’effets sur l’impact du projet et,
sa capitale politique dans un immense                     tes chinois autour de centres commerciaux          notamment, sur ses visées médiatiques
chantier de rénovation urbaine. Les JO de                 (Twin Tower, The Place, Lane Crawford…),           et touristiques. Outre la ville de Pékin, les
Pékin veulent marquer l’entrée véritable de               de nouvelles résidences, d’hôtels et de            JO sont l’occasion de valoriser le tourisme
la Chine dans le club des grandes puissan-                centres d’affaires. Ces architectes, souvent       à l’ensemble du pays, aux zones littorales
ces et souligner les nouveaux équilibres du               formés à l’étranger, tentent de proposer un        et en particulier à la ville de Qingdao dans
monde qui tournent la page à ceux d’hier,                 urbanisme chinois haut de gamme qui pour-          la province du Shandong, qui organise les
organisés par la triade autour des États-                 rait répondre aux questions de gestion du          épreuves nautiques. Située à mi-distance de
Unis, de l’Europe et du Japon. Les JO                     patrimoine, de lutte contre la pollution, d’ul-    Pékin et de Shanghai, la ville (deuxième port
sont l’occasion de présenter la vitrine de                tra densité des villes, de transports urbains      de Chine et quatorzième port mondial) est
la Chine moderne en proposant la vision                   et qui pourrait s’exporter dans d’autres vil-      aussi une station balnéaire réputée pour ses
d’un pays stable et prospère, uni, à l’image              les des cinq continents. La ville change de        paysages côtiers ; elle dispose de trois par-
du slogan choisi : « Bienvenue à Pékin, un                forme et certains auteurs considèrent que          cours de golf professionnels, de 51 hôtels
seul monde, un seul rêve. » Pour cela, la                 les espaces destinés aux bureaux, aux              de trois étoiles et plus, et elle reçoit déjà

34        Téoros    Été 2008
Les grands équipements touristiques Dossier

                                                   mieux la valorisation de ce site d’enchan-        de plus en plus dans des visées touristi-
                                                   tement dans un monde désenchanté. Le              ques qui s’accompagnent du renforcement
                                                   choix de la ville olympique est ainsi deve-       de la fréquentation des lieux et d’un attrait
                                                   nu la première compétition et, après une          nouveau pour les installations urbaines. Le
                                                   période où la décision dépendait souvent          tourisme et les loisirs ont maintenant envahi
                                                   de la volonté du président du CIO ou de ses       la ville et lui confèrent un supplément d’ur-
                                                   proches, la désignation résulte aujourd’hui       banité (Duhamel et Knafou, 2007).
                                                   d’un véritable affrontement géopolitique
                                                   (Augustin et Gillon, 1994). Cette désigna-        La course aux anneaux d’or reste cependant
 Illustration 4 : Stade olympique des jeux de      tion reste une des principales missions des       réservée aux villes riches, susceptibles de
 Beijing présenté en image 3D.                     membres du CIO qui, après la présentation         mettre en œuvre les installations nécessaires
 Source : © BOCOG.
                                                   des dossiers retenus, se prononcent, à bul-       et d’assurer la sécurité des jeux. Les grandes
                                                   letins secrets, huit ans avant l’ouverture des    métropoles des pays du sud qui connaissent
                                                   prochains jeux.                                   les croissances les plus fortes et de sérieux
                                                                                                     problèmes d’organisation urbaine sont de
                                                   Une fois désignée, la ville est contrainte        fait mises hors-jeu de la compétition.
                                                   d’édifier les équipements et les installa-
                                                   tions nécessaires au bon déroulement des          Jean-Pierre Augustin est profes-
                                                   épreuves. Cette contrainte de temps est           seur à l’université de Bordeaux et cher-
                                                   l’occasion d’élargir le programme sportif en      cheur à l’UMR ADES (Aménagement,
                                                   projet de ville ou en projet urbain, en propo-    Développement, Environnement, Santé et
                                                   sant des infrastructures d’accueil, de trans-     Sociétés) du Centre national de la recher-
                                                   port et de communication qui participent à        che scientifique.
 Illustration 5 : Complexe olympique des jeux de   une accélération des mutations urbaines
 Beijing présenté en image 3D.                     et à une valorisation de l’image de la ville.
 Source : © BOCOG.                                                                                   Bibliographie
                                                   Les discours promotionnels qui accompa-
                                                                                                     Augustin, Jean-Pierre (2007), Géographie du sport,
                                                   gnent la reconnaissance géopolitique du                 spatialités contemporaines et mondialisation,
près de 17 millions de touristes chinois et        site et de la nation choisis sont dominants             Paris, Armand Colin.
étrangers. Les JO sont l’occasion d’en faire       et une seule capitale, Denver, a refusé les       Augustin, Jean-Pierre et Pascal Gillon (2004),
une des premières villes de tourisme littoral      Jeux d’hiver qui lui étaient offerts après le           L’olympisme, bilan et enjeux géopolitiques,
                                                                                                           Paris, Armand Colin.
d’Asie, avec un port de bateaux de croisiè-        vote négatif d’un référendum local. Le coût       Bolle de Bal, Marcel et Dominique Vésir (1999), Le
res, un centre de conférences internationa-        d’organisation est en effet très lourd pour la          sportif et le sociologue. Sport, individu et socié-
les, un yacht-club et une série de marinas et      ville et le pays organisateur, malgré les aides         té, Paris, L’Harmattan.
de plages. Ainsi, les jeux de Pékin s’inscri-      et les retombées attendues. Mais les résul-       Devillers, Christian (1994), Le projet urbain.
                                                                                                           Conférence, Paris, Pavillon de l’Arsenal.
vent dans la mutation d’un pays qui, après         tats urbanistiques et touristiques sont par-
                                                                                                     Duhamel, Philippe et Rémy Knafou (2007), Mondes
avoir réussi une percée dans les industries        fois à la hauteur des moyens mis en œuvre               urbains du tourisme, Paris, Belin.
de production, vise à jouer dans la cour           (comme dans le cas de Barcelone). Le              Huet, Bernard (1993), « Le hasard et la néces-
des grands pour renforcer son attracti-            débat concernant l’efficacité économique et             sité sont la loi du projet urbain. Entretien avec
vité touristique, ses industries culturelles       urbaine reste cependant ouvert et certains              F. Edelmann », Le Monde, 23 novembre, p. 2.
                                                                                                     Gold, J. et M.M. Gold (2007), Olympic Cities: City
et amorcer son ouverture vers une société          ont évoqué le « complexe de Cendrillon »
                                                                                                           Agendas, Planning, and the World’s Games,
postindustrielle.                                  pour rappeler que, une fois la fête terminée,           1896 to 2012, Londres, Routledge.
                                                   la ville ne conserve pas toujours les atouts      Poncet, P.P. (2001), « Sydney et les JO ou le com-
Les JO sont l’événement spatial par excel-         de sa splendeur (Poncet, 2001). Au-delà                 plexe de Cendrillon », Pouvoirs locaux, no 49,
                                                                                                           p. 78-81.
lence puisqu’ils focalisent sur un lieu détermi-   des stades démontables, des constructions
                                                                                                     Seguillinas, Manuel (1993), « Barcelone, ou le poids
né à l’avance l’attention du reste du monde.       éphémères, des paquebots de croisière                   des grands événements et des Jeux olym-
Cette combinaison d’unité de lieu, d’unité         maintenus à quai pour l’hébergement, le                 piques de 1992 dans la modernisation d’une
de temps et d’unité d’action offre à la ville et   prix exorbitant des jeux ne s’inscrit pas tou-          métropole », Hommes et terres du Nord, no 2,
                                                                                                           p. 104-109.
au pays choisis une visibilité qu’aucun autre      jours dans des perspectives durables. La
                                                                                                     Sobry, Claude (1993), « Les grandes manifestations
événement n’est susceptible de proposer.           tendance des aménagements olympiques                    et installations sportives prétextes à l’aménage-
Le site olympique devient, grâce au système        s’oriente cependant dans des visées à long              ment du territoire », Hommes et terres du Nord,
médiatique mondial, le théâtre où se jouent        terme et certains projets proposés lors des             no 2, p. 69-73.
                                                   candidatures sont mis en œuvre, même si la        Ville de Montréal (1991), Étude sur les inciden-
la mise en scène d’un monde apparemment
                                                                                                           ces économiques et sociales du pôle « Parc
plus équitable et plus ordonné et la mise en       ville n’est pas choisie. Les effets attendus ne         olympique-Jardin botanique » sur le quartier
image des performances et de l’excellence          sont d’ailleurs pas seulement urbanistiques,            Maisonneuve, rapport final, Montréal.
(Bolle de Bal et Vésir, 1999). On comprend         ils sont politiques, culturels et s’inscrivent

                                                                                                                                Été 2008      Téoros     35
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