25 JUIN 2019 #JACQUES DELORS - Institut Jacques Delors
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L’EUROPE
25 JUIN 2019
#JACQUES DELORS
SELON JACQUES DELORS
▪ PASCAL LAMY Alors que les Vingt-Huit sont en train de chercher un nouveau président de la Commission
Président emeritus de l’Institut européenne et au seuil d’une nouvelle législature, retour sur ce qui reste considéré comme l’âge
d’or de la construction européenne. Au-delà des réalisations dont le bilan reste ouvert à la critique,
Jacques Delors les années Delors offrent un précieux héritage en terme de conception de l’Europe, de méthode de
travail et de style politique.
Le présent texte est tiré d’une Horace, avec son « Laudator temporis acti », permettant comme un alignement des astres
conférence de Pascal Lamy, prêtait à l’âge qui avance la tentation d’une nationaux au-dessus de Bruxelles. La France
président emeritus de l’Institut censure morose de la période présente au était présidée par un Mitterrand à l’engagement
Jacques Delors, donnée le 28 profit d’une glorification des temps anciens. européen constant, Helmut Kohl gouvernait
janvier 2019 à Bois-Seigneur- Des siècles plus tard, Boileau mettait en scène à Bonn ; Felipe Gonzalez, à Madrid. On peut
Isaac (Belgique) à l’invitation de un vieillard grognon qui « toujours plaint le inclure aussi Margaret Thatcher, qui fut durant
Bernard Snoy. présent et vante le passé ». C’est le risque que une longue période un soutien de Jacques
l’on prend à évoquer la période Delors (1985- Delors, avant d’en faire un adversaire.
1995)1 dépeinte comme un âge d’or de la
construction européenne au regard du temps La nomination de ce dernier à la tête de la
présent. Commission européenne tient elle-même
aussi à ces circonstances heureuses. François
Des circonstances favorables Mitterrand voulait qu’un Français préside le
futur exécutif communautaire mais songeait
Pour se prémunir contre ce risque, force alors à Claude Cheysson, lequel s’est heurté
“
d’abord est de reconnaître que cette période à un véto britannique. Helmut Kohl, qui avait
a bénéficié de circonstances favorables2, qui eu l’occasion de connaître
contrastent avec celles d’aujourd’hui. De fait, Delors dans l’exercice de
au moment où Jacques Delors a pris la tête ses fonctions ministérielles,
de la Commission européenne, en 1985, le aida le président français
sommet européen de Fontainebleau tenu plus en lui suggérant le UN GRAND CHASSEUR DE
tôt avait mis fin à plusieurs années de digestion nom de Delors, choisi TÊTE MANDATÉ POUR CETTE
assez pénible de l’adhésion du Royaume-Uni finalement ainsi de manière NOMINATION AURAIT SANS
aux Communautés, marquée en particulier impromptue. DOUTE FINALEMENT ABOUTI
par la requête insistante de Margaret Thatcher À CONSEILLER LE MÊME
d’un rabais à sa contribution budgétaire. Mais un grand chasseur de CHOIX
Les circonstances étaient aussi rendues tête mandaté pour cette
favorables par la concomitance au pouvoir nomination aurait sans doute finalement
de dirigeants à la solide trempe européenne, abouti à conseiller le même choix. L’itinéraire
1. Lire aussi La Commission européenne, histoire et mémoire d’une institution (1986-2000), Office des publications, vol. 3, juin 2019
2. Pascal Lamy, « Les Commissions Delors et leurs secrets de fabrication », Tribune, Institut Jacques Delors, 10 février 2016
1▪5personnel de Jacques Delors s’y prêtait. Son Sa pensée historique, Jacques Delors l’a
expérience professionnelle à la Banque de résumée, notamment dans ses Mémoires,
France, sa spécialisation dans l’économie, par sa fameuse formule : « la survie ou
qu’il enseigna, son expérience syndicale, ses le déclin ». Cette approche, qui n’est pas
passages au Commissariat au Plan, puis au sans pessimisme, tient d’abord au fait qu’il
cabinet du premier ministre Jacques Chaban- appartient à la génération qui a connu la
Seconde Guerre mondiale. Son père avait été
Delmas, son expérience de député européen, grièvement blessé au cours de la Première
élu en 1979, et enfin de ministre français Guerre. Ces deux conflits ont toujours inspiré
de l’Économie et des Finances l’avaient sa pensée européenne, inquiète que les
préparé à cette fonction à la fois hautement valeurs du continent auxquelles il était attaché,
technique et politique qu’est la présidence de et qu’exprimait à ses yeux le personnalisme
la Commission. d’Emmanuel Mounier, trouvent encore leur
place à l’avenir. En clair, à ses yeux ; soit on
Autres éléments contribuant à installer un faisait l’Europe et ses valeurs, cette civilisation,
climat favorable au projet européen en ce survivraient, soit on n’y parvenait pas, et elles
milieu des années 1980, les négociations pour étaient condamnées par l’Histoire.
l’élargissement des Communautés à l’Espagne
et au Portugal, pays candidats enthousiastes. Delors n’avait pas une conception atlantiste
La qualité des commissaires européens, que de l’Europe. Son attitude prudente à l’égard
les chancelleries ont envoyés à Bruxelles, a des États-Unis s’inscrit moins dans une
aussi aidé à rendre le contexte porteur, avec tradition française volontiers critique envers
des personnalités solides, y compris parmi Washington, que dans une profonde inter-
les plus anciens comme Lorenzo Natali, rogation quant à leur prise au sérieux du projet
ou les plus jeunes, comme l’Irlandais Peter européen et de son originalité. Après chacun
Sutherland. Jacques Delors a aussi bénéficié de ses entretiens avec un président américain,
de la complicité qu’il a su établir avec l’éminent il espérait lui avoir imprimé l’idée que l’Europe
Secrétaire Général de la Commission alors existait bel et bien. Son attitude rejoignait la
en poste qu’était Emile Noël. Rappelons conception qu’on pourrait qualifier aujourd’hui
également l’apport de grandes personnalités de géopolitique de l’Europe. Elle repose sur
belges dans son entourage, telles Etienne l’affirmation d’une identité européenne, dont
Davignon, Pierre Defraigne, Jean Durieux, l’affirmation et la survie même exigent l’union
feu Philippe Maystadt, Jean-Louis Lacroix ou des Européens.
Jean Godeaux. Ils formaient l’aile sociale de la
démocratie-chrétienne belge. Sa conception du projet européen s’apprécie
aussi dans sa dimension politique. Jacques
Les trois fils de la pensée delorienne de l’Europe Delors situait « son » Europe au confluent
de la social-démocratie et de la démocratie-
Par rapport aux mauvais génies à l’œuvre chrétienne européennes, qui structuraient
aujourd’hui en Europe, la période Delors a la politique de l’après-guerre en Europe de
ainsi compté nombre de bonnes fées. Mais l’Ouest. Ce qui pourrait sembler une posture
au-delà de l’heureux concours de toutes ces classique représentait en réalité une singularité
circonstances éparses, son action repose pour un homme politique venu de France, qui
essentiellement sur une vision « delorienne », ne comptait pas de véritable social-démocrate
bien définie, de l’Europe. Elle constitue ou de chrétien-démocrate, à la manière de
la colonne vertébrale de ses dix ans à la l’Allemagne, de l’Italie ou de la Belgique.
Commission. Jacques Delors est de ceux qui
considèrent que les idées doivent mener le Ses conceptions de l’économie, du social
monde. En remontant le fil de sa pensée pour et de la politique étaient en phase avec
le projet d’Europe unie, on trouve une triple les parties les plus centrales de ces deux
source : historique, politique et institutionnelle. courants dominants. Avec eux, il a toujours
Il les a combinées pour tisser la trame de son considéré qu’il n’y a pas de politique sociale
action européenne, laquelle a toujours nourri sans croissance économique mais qu’une
en retour sa pensée et en est finalement croissance socialement déséquilibrée n’est
indissociable. pas soutenable. Elle exige un certain degré
2▪5de planification et de régulation ainsi qu’un Parlement européen. Il fut le premier président
dialogue social entre partenaires sociaux de la Commission à vraiment traiter ce
responsables. Il reconnaissait l’efficacité des parlement en interlocuteur sérieux et adulte.
marchés mais la nécessité de les corriger. De même, dans sa pratique institutionnelle, il
C’est dans cet esprit qu’il a relancé l’entreprise s’est toujours situé dans un triangle reliant le
schumpeterienne de libéralisation qu’est le Conseil, conçu comme un quasi-Sénat des
Marché intérieur, convaincu qu’une concurrence États membres, le Parlement, reconnu comme
accrue à l’échelle européenne permettrait aux expression des peuples, et la Commission, qu’il
firmes de réaliser des gains de productivité, prit soin de ne pas identifier publiquement à un
et donc de générer davantage de croissance, gouvernement européen, au risque, sinon, de
mais en accompagnant simultanément cette s’exposer aux remontrances des chancelleries.
démarche d’une politique de dialogue social.
Il convoqua ainsi les patronats et syndicats Il s’est gardé de théoriser ou expliciter
européens à Val-Duchesse, à Bruxelles. cette conception des institutions mais
Autre politique d’accompagnement, celle des a dû se résoudre, plusieurs fois, à la voir
fonds structurels qui amortissent les effets écornée. En particulier lors de la négociation
de l’ouverture à la concurrence, en aidant du traité de Maastricht en 1991, où les
en particulier les pays du Sud à se doter des approches traditionnellement souverainistes
infrastructures et compétences nécessaires. des diplomaties française et britannique
En somme, Jacques Delors a donné un coup imposèrent, avec la complicité notamment
à droite pour la compétitivité et un coup à des Pays-Bas, qu’à côté de la méthode
gauche pour la cohésion sociale et territoriale. communautaire, où la Commission jouit du
monopole d’initiative pour exprimer l’intérêt
Plus tard, au début des années 1990, il a général européen, les nouvelles compétences
ajouté une dimension environnementale à ces fonctionnent selon une méthode plus
conditions indispensables à une croissance intergouvernementale que Jacques Delors
soutenable. Si ses origines corréziennes jugeait moins efficace. Sa pensée
l’avaient rendu initialement méfiants à l’égard institutionnelle reste foncièrement attachée
du mouvement écologiste, la catastrophe de à la méthode communautaire, la seule qui
Tchernobyl en 1986 puis sa participation au fonctionne réellement à ses yeux.
sommet de la Terre à Rio, en 1992, ont fini de
le convaincre, bien avant nombre de dirigeants C’est par ces trois dimensions historique,
politiques de son temps, de la nécessité de politique et institutionnelle, conjuguées
border la croissance de mesures de protection ensemble, qu’il a projeté l’intégration
de l’environnement au même titre que celles européenne, considérée comme une nécessité
pour la cohésion sociale et territoriale. incontournable pour des raisons finalement
éthiques autant que politiques. Mais cette
Sur l’Europe, sa pensée enfin est pensée n’a de sens qu’articulée en action
institutionnelle. Ce que résume son ex- politique. C’est là où s’illustre la « méthode
pression de « fédération d’États-nations ». Pour Delors ».
les constitutionnalistes, il s’agit plutôt d’un
oxymore qui énonce davantage un problème La méthode et le style Delors
propre à l’Europe plus qu’il ne le résout. Le
concept est proche, en réalité, d’Habermas, qui Au risque de la résumer à l’excès, cette méthode
préfère le « Staatenbund » au « Bundesstaat ». ressemble à un itinéraire soigneusement
Pour Jacques Delors, la juxtaposition de ces planifié, séquencé, où chaque étape enclenche
deux notions opposées, fédération et État- la suivante, en l’ajustant à la marge si besoin ce
nation, indique au contraire la solution au qui implique une constante attention à tout ce
projet d’Europe unie. Elle rejoint son propre qui dans l’environnement pourrait perturber ou
positionnement, équidistant d’un fédéralisme nuire au bon suivi de cet itinéraire. En somme,
à la Spinelli et d’un nationalisme à la De Gaulle. il traçait une voie à suivre en la jalonnant de
Il considère que l’union des Européens se fait radars. Ceux-ci signalaient tous les obstacles
à la fois par les peuples et par les États. Dans et avatars qui, s’ils n’étaient pas pris en compte,
sa conduite, il a ainsi autant prêté attention risquaient de conduire à faire fausse route et
aux chefs d’État et de gouvernement qu’au auraient exigé des embardées. La méthode
3▪5Delors est à cet égard assez scientifique. rationnelles alors que l’idée d’une « armée
européenne » touche aussi à l’émotionnel et
Elle a été appliquée pour réaliser le Marché oblige à partager, entre Européens, les mêmes
intérieur. L’objectif de l’itinéraire, fixé dès 1985, rêves et les mêmes cauchemars.
était de parvenir, en 1992, à se débarrasser
des frontières – idée plus populaire à l’époque Fragilités et faiblesses
qu’elle ne le serait aujourd’hui. Cet objectif
impliquait d’harmoniser ou de reconnaître L’objet n’est pas d’énumérer tous les bienfaits
mutuellement les normes et réglementations, pour l’Europe apportés par les années Delors.
dont les écarts entre pays justifiaient Ils sont connus. Plus utile est de tenter de
jusqu’alors les contrôles aux frontières. Cette déceler dans l’édifice bâti, « Inside the House
ouverture exigeait, comme expliqué plus haut, that Jacques built », selon le titre de l’essai du
d’être accompagnée de fonds structurels, qui chercheur britannique Charles Grant (1994),
allaient entraîner une hausse substantielle des certaines fragilités.
ressources du budget communautaire. L’Acte
unique de 1986 a repris tout cela. Principale fragilité, politique, la maison Delors
repose sur l’équilibre subtil entre démocrate-
Suivant cet itinéraire, le Marché intérieur chrétiens et sociaux-démocrates. Son modèle
appelait l’Union économique et monétaire pour en est historiquement tributaire. Cela suppose
que le jeu des dévaluations nationales cesse que ces deux forces restent dominantes et de
de fausser la concurrence. Jacques Delors y poids comparable. Ce fut longtemps le cas au
parviendra plus tard au moment de Maastricht. Parlement européen. Dès que cet équilibre a
À son départ de la Commission, il laissa le été rompu, celui entre l’économique, le social
« Livre blanc », qui traçait un nouvel itinéraire et l’environnemental l’a été aussi. On a alors
pour les années à venir, prévoyant notamment accru l’efficacité des marchés, sans les réguler
le besoin – déjà ! – de doter l’Union européenne davantage et avec une moindre pression pour
d’infrastructures numériques ; ce qu’il appelait en amortir les conséquences sociales. Une
« les autoroutes de l’information ». Europe « néolibérale » pour beaucoup qui
n’était pas celle de Delors.
Il y avait donc bien une pensée assortie à une
méthode pour agir. Mais il faut ajouter un La maison comprend aussi une faiblesse, celle
troisième élément, le « style Delors ». Celui- d’une Europe insuffisamment constituée face
ci s’illustrait par une grande capacité à faire aux forces grandissantes de la mondialisation.
partager sa vision et ses convictions par les Face à un choc, comme on l’a vu lors de la crise
décideurs et les opinions publiques. Jacques financière de 2008, l’armature des régulations
Delors savait envelopper ses projets d’un européennes n’était pas encore assez solide.
narratif auquel il portait un soin particulier. L’Union n’était pas assez résistante. Jacques
Il avait appris naguère, en enseignant Delors avait identifié cette faiblesse dès
l’économie à ses camarades syndicalistes, l’origine au sujet de l’Union économique et
à rendre accessible des concepts distants, à monétaire, au moment du traité de Maastricht.
simplifier des mécanismes compliqués. C’est Il a fait valoir aux dirigeants européens qu’ils
pourquoi, dit-on encore, « du temps de Delors, avaient retenu de ses propositions une
on comprenait l’Europe ». union finalement très monétaire et trop peu
économique. On a rendu l’Europe adulte dans
Rappeler cette pensée, cette méthode et ce certains domaines de la régulation et pas
style appliqués à faire avancer l’intégration ailleurs. Ce décalage de vitesse a failli faire
européenne, ce doit aussi être en tirer, près de tomber l’euro lors de la récente crise. Jacques
trente ans plus tard, le bilan. Jacques Delors a Delors partageait, comme la plupart à
fait progresser l’unité de l’Europe dans maints l’époque, une vision post-westphalienne, celle
domaines, excepté dans ceux de la défense de Jean Monnet. Hélas prématurée, comme
et de la sécurité. Il a toujours prudemment le dit Marcel Gauchet dans un entretien publié
considéré qu’en la matière, l’itinéraire serait récemment par Normale Sup : « L’UE s’est
beaucoup plus long que ceux employés absorbée dans un processus interne alors que
pour le marché et pour la monnaie. Ces la demande des peuples, dans ce contexte
derniers obéissent davantage à des logiques de mondialisation, était très logiquement
4▪5“
une demande de réponse à la pression de
l’extérieur. » Une Europe devenue plus nécessaire
et plus difficile
LE « DÉFICIT DÉMOCRA- Plus fondamentalement, nous avons manqué,
TIQUE », SOUVENT DÉNONCÉ à l’époque, de perspective en faisant le pari, Ce patient travail vaut la peine car l’intégration
AU NIVEAU EUROPÉEN, N’EST avec les pères fondateurs, que l’intégration européenne apparaît aujourd’hui plus
PAS DE L’ORDRE DU KRATOS, économique allait automatiquement entraîner nécessaire qu’à la période Delors mais
C’EST-À-DIRE DES STRUC- l’intégration politique. Selon l’alchimie mé- plus difficile. Nécessaire pour des raisons
TURES INSTITUTIONNELLES diévale, le plomb économique aurait dû externes : devant le monde qui nous entoure,
DE L’UNION, MAIS DE L’OR- se transformer en or politique. On a cru face à la rivalité Chine/États-Unis, à la Russie,
DRE DU DEMOS. IL S’AGIT D’UN qu’entre le consommateur, le travailleur ou le au Moyen-Orient, on a besoin d’une Europe
DÉFICIT D’APPARTENANCE. producteur européen et le citoyen politique, unie. Ce contexte mondial nous ramène au
il y avait nécessairement un continuum dilemme de « la survie ou le déclin ». Une
alors qu’on ne franchit pas impunément Europe forte et stable se révèle nécessaire car
la barrière des espèces. L’historien Elie elle seule peut garantir la préservation de notre
Barnavi l’a bien analysé dans son essai identité européenne, au sens où elle est une
L’Europe frigide (2008). Être citoyen implique identité de valeurs. À cet égard, les présidents
d’appartenir à une communauté, de consentir Trump, Poutine et Xi Jinping nous aident
à des efforts collectifs, là où le travailleur ou paradoxalement à mesurer cette nécessité
le consommateur raisonne en termes d’offre d’Europe pour ce qu’elle offre comme équilibre
et de demande dans une sphère qui reste entre l’économique et le social dans un
“
économique, rationnelle. Le « déficit monde globalisé – et qui le
démocratique », souvent dénoncé au restera. Plus encore clairement
niveau européen, n’est pas de l’ordre qu’il y a vingt ans, entre
du kratos, c’est-à-dire des structures l’hypercapitalisme américain
institutionnelles de l’Union, mais de PLUS ENCORE CLAIREMENT et l’hypercollectivisme chinois,
l’ordre du demos. Il s’agit d’un déficit QU’IL Y A VINGT ANS, ENTRE le modèle européen doit
d’appartenance. Celle-ci existe à L’HYPERCAPITALISME AMÉR- rester disponible. Devant cette
d’autres niveaux mais pas, ou fort ICAIN ET L’HYPERCOLLECTIV- nécessité, le Brexit ressort
peu, à l’échelle européenne. L’Europe ISME CHINOIS, LE MODÈLE comme une mauvaise nouvelle
apparaît plus souvent claire aux yeux EUROPÉEN DOIT RESTER en ce qu’il détache de la
des non-Européens mais reste floue DISPONIBLE. construction européenne, sinon
aux Européens. de la civilisation européenne, un
pays majeur et rend l’Europe moins forte vis-à-
Jacques Delors avait cependant eu en partie vis du reste du monde.
l’intuition de ce déficit culturel intrinsèque au
projet européen en créant « les carrefours L’intégration est toutefois rendue plus difficile
de la culture », qui réunissaient intellectuels, car si son enjeu aujourd’hui porte sur la
chercheurs en sciences sociales et artistes. préservation de valeurs, il arrive que ces valeurs
Aujourd’hui, pour combler en profondeur ce mêmes soient secouées au sein de l’Europe.
déficit, nous devons commencer par étudier Elles sont gravement affectées en Hongrie et
Directeur de la publication :
l’anthropologie européenne contemporaine, en Pologne. Le socle même risque d’être atteint
Sébastien Maillard ▪ La reproduc-
comme s’y emploient de toutes nouvelles par l’érosion de ces valeurs démocratiques. Il y
tion en totalité ou par extraits de
chaires universitaires créées à cet effet, dont a là un combat de court terme sur ce qui fait la
cette contribution est autorisée à la
une première à l’université catholique de nécessité européenne. Il faut espérer qu’après
double condition de ne pas en dé-
Louvain, avec l’appui des Instituts Jacques les élections européennes, les chefs d’État et
naturer le sens et d’en mentionner
Delors de Paris et de Berlin. Elles explorent de gouvernement et le Parlement européen
la source ▪ Les opinions exprimées
les différences entre Européens pour mieux mettront à la tête de la Commission une
n’engagent que la responsabilité
saisir leur identité derrière tout ce qui l’obstrue personnalité à même de relever ces défis plus
de leur(s) auteur(s) ▪ L’Institut
dans leurs imaginaires respectifs. Cela tient redoutables encore que ceux que Jacques
Jacques Delors ne saurait être
par exemple à la manière dont on enseigne Delors a dû affronter. Souhaitons-lui la même
rendu responsable de l’utilisation
l’histoire aux plus jeunes, dont on s’approprie, capacité d’inspiration, et un savoir-faire aussi
par un tiers de cette contribution ▪
enfants, un certain nombre de récits et achevé !
Version originale ▪ © Institut
d’images.
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