La libéralisation du rail, la seule voie possible ? - Quelques idées reçues sur le 4ème paquet ferroviaire - Solidaire
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La libéralisation du rail, la seule voie possible ? Quelques idées reçues sur le 4ème paquet ferroviaire ! !
Table des matières ! ! Introduction! 3! 1. Le 4ème paquet ferroviaire en perspective! 4! 2. Idée reçue n°1 : non, il ne faut pas libéraliser en 2023! 5! 3. Idée reçue n°2 : non, le 4ème paquet ferroviaire n'impose pas l'ouverture à la concurrence! 6! 3.1 Empêcher la concurrence sur le marché est possible! 6! 3.2. Une attribution directe, sans concurrence reste possible! 7! 3.2.1 Les caractéristiques structurelles ! 7! 3.2.2 L’amélioration du service! 7! 3.2.3 Des indicateurs de performance (KPI)! 8! 3.2.4 Le contrôle par la Commission européenne! 9! 3.3 Un recul, mais pas la fin du service public !! 10! 4. Ce que propose le PTB! 11! 4.1 Pourquoi le rail est si important pour le PTB! 11! 4.2 Un service public de train! 11! 4.3 Le train comme colonne vertébrale du transport en Belgique! 12! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Cette brochure est éditée par le PTB Rail Infos et contacts : Michaël Verbauwhede - 0473 400 437 - michael.verbauwhede@ptb.be ! ! ! Quelques éléments pour aller plus loin : • CGT-Cheminots, Ensemble pour le fer, 2018 • François-Xavier Lievens, Olivier Malay, Leila Van Keirsbilck, « La libéralisation du rail : une route sinueuse et pas sans danger », Démocratie, mars 2019, p 10-12. • Olivier Malay, Leila Van Keirsbilck, « Libéralisation du rail : qui va gagner, qui va perdre? », IRES, 2019 • Axel Gautier, Iman Salem, « La SNCB : prête pour la libéralisation totale du rail ? », Regards économiques, IRES, 2016 !
! Introduction ! Le 16 décembre 2016, le Parlement européen approuvait, ! après des années de débat, le 4ème paquet ferroviaire. Avant et après l’adoption du 4ème paquet ferroviaire, de nombreux pays européens ont connu des luttes contre la logique de ce paquet. On pense encore au long combat des cheminots français en 2018. L’ETF, le syndicat européen des travailleurs du transport, a aussi mobilisé contre le vote de ce 4ème paquet. Et ces combats continueront, car dans aucun pays la libéralisation n’a amené un mieux pour les travailleurs ou pour les usagers. Les luttes doivent donc se faire au niveau national contre son application dans chaque pays. La Belgique est le seul pays avec l'Espagne à ne pas encore avoir clarifié sa position par rapport à l'application du 4ème paquet ferroviaire. Mais que contient concrètement ce texte ? Quelle est la position du PTB dans ce débat ? Est-ce vrai que l'Europe oblige les États-membres à ouvrir à la concurrence ? Que d'ici 2023, tout devra être libéralisé ? Les réponses à toutes ces questions (et à d'autres), vous les trouverez en lisant cette brochure. 3
1. Le 4ème paquet ferroviaire en perspective ! Le 4ème paquet ferroviaire est l'aboutissement de la logique européenne. La Commission européenne veut créer un marché ferroviaire européen (tout comme elle l'a fait pour l'énergie, la poste, etc.). Ces paquets partent d'une préoccupation : construire un marché ferroviaire européen total (pour le trafic marchandises, le trafic international de voyageurs, le trafic interne de voyageurs), sur lequel des grands monopoles ferroviaires peuvent se livrer concurrence. ! ! Ces paquets ferroviaires (voir cadre) ne partent ni du souci de répondre au défi climatique ni des besoins sociaux de déplacement de la population. Le trafic marchandises en est un bon exemple : il est entièrement libéralisé et quasiment privatisé sur tout le continent européen, et on constate que la part modale du fret ferroviaire est aujourd'hui plus basse qu'au début du 21ème siècle. On a vu en revanche se construire de grands groupes ferroviaires actifs sur tout le continent, se concentrant sur les marchés les plus rentables (donc contre le trafic diffus). Les partis politiques traditionnels de droite (libéraux, chrétiens-démocrates) comme de gauche (socialistes et écologistes), ont accepté à différents stades ce processus. ! L'opposition tardive des socialistes et écologistes au 4ème paquet ferroviaire, qui concerne le trafic intérieur de voyageurs, ne peut pas effacer leur accord sur le reste des paquets ferroviaires ni sur la logique générale qui les sous-tend. Qu'est-ce qu'un « paquet ferroviaire » ? Un paquet est un ensemble de plusieurs directives et règlements européens qui concernent un même sujet. Plutôt que de faire passer différents textes les uns après les autres, la Commission européenne a travaillé par « paquet », pour faire passer plusieurs textes législatifs en une fois. Ainsi, les deux premiers paquets ferroviaires concernaient la création d'un espace ferroviaire européen ainsi que la libéralisation du transport de fret par train. Le 3ème paquet ouvrait la libéralisation du transport international de passagers par train. Le 4ème paquet concerne, lui, la libéralisation du transport national de passagers par train. Les directives sont des règles générales que chaque État européen doit intégrer dans ses propres lois. C'est ce qu'on appelle une « transposition ». Il existe cependant des centaines de cas de directives non- appliquées par les États membres. Les règlements, eux, sont directement d'application. 4
2. Idée reçue n°1 : non, il ne faut pas libéraliser en 2023 ! Lorsqu'on évoque la libéralisation du transport de passagers par train en Belgique, c'est souvent l'échéance de 2023 qui est citée. Ainsi, il y a peu de temps, le ministre de la mobilité François Bellot (MR) déclarait dans la presse :« on est en train de préparer la SNCB à l’ouverture à la concurrence pour le trafic intérieur en 2023 » (L'Écho, 19 avril 2018). Le Voka, patronat flamand, prétend que « en 2023, l'ensemble du marché ferroviaire sera libéralisé » (« In 2023 wordt de volledige spoormarkt geliberaliseerd »). ! Avant de rentrer dans le vif du sujet sur la libéralisation du transport passager (voir point 3), nous voulons d'abord rappeler un élément essentiel méconnu du grand public : il reste tout à fait possible, sans changer une virgule aux règlements européens actuels, de continuer à faire rouler les trains en Belgique en-dehors de toute libéralisation jusqu'en décembre… 2033. Pour expliquer comment cela est possible, nous devons nous plonger dans le texte du 4ème paquet ferroviaire, et en particulier le nouveau « règlement OSP »1. En effet, le ministre oublie de préciser qu'en réalité, ce règlement prévoit une période de transition, entre le 3 décembre 2019 (date d'entrée en vigueur du nouveau règlement) et le 24 décembre 2023. Que prévoit cette période de transition ? ! L'article 5 paragraphe 6 du règlement OSP est très clair : « Les autorités compétentes peuvent décider d’attribuer directement des contrats de service public de transport par chemin de fer ». En d'autres mots : la Belgique peut décider d'attribuer directement (donc sans passer par une appel d'offres, une mise en concurrence) l'exploitation du réseau à la SNCB. Et cela, sans aucune autre condition (et ceci est très important pour la suite)2. Il n'y a pas de nécessité de respecter des indices de performance (ce qu'on appelle des « KPI », Key Performance Indicator, voir plus loin), comme on l'entend souvent. ! Est-ce que la libéralisation remet en cause l'existence de ces contrats ? Pas du tout : ces attributions directes sans condition ont une durée de vie de 10 ans : « La durée des contrats attribués conformément à l'article 5, paragraphe 6, entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023 ne dépasse pas dix ans. » nous apprend l'article 8 du règlement OSP. ! Pour l'exprimer autrement : si le gouvernement décide d'attribuer directement l'exploitation des lignes de chemins de fer à la SNCB sans condition, il peut encore le faire jusqu'au 23 décembre 2023. Et ce contrat sera valable pendant 10 ans, soit, au plus tard, jusqu'au 22 décembre 2033. Cette attribution sans condition serait la dernière possible, en tout cas avec cette version du règlement OSP. ! ! En conclusion, contrairement à ce que beaucoup prétendent, il reste possible d'encore attribuer le contrat de service public SANS respecter d’éventuels KPI jusqu'en décembre 2033. En choisissant dès aujourd'hui de vouloir respecter des KPI, le gouvernement belge et la direction de la SNCB se positionnent déjà pour accepter la nouvelle procédure d'attribution des contrats de service public, et donc accepter le cadre de libéralisation de la Commission européenne. ! ! 1 Letitre exact de ce règlement est le suivant : règlement (CE) 1370/2007 du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, tel que modifié par le Règlement (UE) 2016/2338 (4ème paquet ferroviaire). Pour plus de facilité, nous emploierons les termes « règlement OSP » (pour Obligation de service public). 2 Pourêtre complet, voici le texte complet de l'article 5 paragraphe 6 : « Sauf interdiction en vertu du droit national, les autorités compétentes peuvent décider d’attribuer directement des contrats de service public de transport par chemin de fer, à l’exception d’autres modes ferroviaires tels que le métro ou le tramway. Par dérogation à l’article 4, paragraphe 3, la durée de tels contrats ne dépasse pas dix ans, sauf lorsque l’article 4, paragraphe 4, s’applique. 5
3. Idée reçue n°2 : non, le 4ème paquet ferroviaire n'impose pas l'ouverture à la concurrence ! Une fois cette première fausse idée démontée, attaquons-nous à la seconde : « les nouvelles règles imposent une libéralisation » entend-on souvent. Est-ce correct ? Le 4ème paquet ferroviaire, voté en décembre 2016, en chamboulant totalement les règles en matière de transport intérieur de passagers, impose-t-il l'ouverture à la concurrence ? Non, en réalité, comme nous allons le voir. ! Avant d'aller plus loin nous devons distinguer deux « marchés ». Premièrement, les liaisons « commerciales », à savoir des liaisons rentables, qui peuvent se « suffire » sans contrepartie des autorités publiques (typiquement les grandes lignes). Les nouvelles règles sont analysées dans la partie 3.1. Deuxièmement, les « obligations de service public » (OSP), couvertes en Belgique par le contrat de gestion liant la SNCB et l’État. Ce sont les liaisons que la SNCB exploite et qui ne sont pas rentables. L’État intervient donc en versant un subside. Là aussi, le texte européen apporte de profonds changements. Nous l'aborderons dans la partie 3.2, avant de conclure dans la partie 3.3. ! ! 3.1 Empêcher la concurrence sur le marché est possible ! Le 4ème paquet ferroviaire organise d'abord une concurrence « sur le marché » : dès le 14 décembre 2020, toute entreprise ferroviaire qui dispose d'une licence pourra exploiter des trains en concurrence avec la SNCB. C'est le principe de l' « accès libre » (ou open access). Cela signifie que le transport ferroviaire devient un grand marché où les entreprises peuvent se livrer une concurrence (on parle de concurrence « sur le marché »). ! Pour prendre les termes exacts de la directive européenne : toutes les entreprises ferroviaires qui disposent d'une licence se voient « accorder un droit d'accès (…) à l'infrastructure ferroviaire de tous les États membres aux fins de l'exploitation de services de transport ferroviaire de voyageurs. Les entreprises ferroviaires ont le droit de prendre des voyageurs dans toute gare et de les déposer dans une autre. »3 ! ! Attention, cela ne concerne pas les liaisons effectuées par la SNCB (qui sont elles des obligations de service public) : elles continueront à fonctionner (voir plus loin). ! Prenons un cas (pas si) imaginaire : Arriva, compagnie ferroviaire privée, décide de lancer une liaison directe Liège - Bruxelles-Nord. Cette offre viendra en plus des trains que la SNCB fait déjà rouler entre Liège et Bruxelles. Avec la nouvelle directive européenne, c'est possible. ! Il existe cependant des limites physiques tout d'abord : impossible de faire rouler des trains dans des sillons déjà occupés. Mais plus fondamentalement, comme le dit la directive elle-même : « les États membres devraient avoir la faculté de limiter ce droit d'accès dans les cas où celui-ci compromettrait l'équilibre économique de ses contrats de service public. » ! ! En clair, la Belgique peut refuser l'autorisation à une entreprise ferroviaire d'exploiter une liaison, si ce service commercial capte par exemple une partie de la clientèle de la SNCB. Dans notre exemple, 3Nouvel article 10.2 de la directive européenne 2012/34/UE, modifié par la directive européenne 2016/2370, partie du 4ème paquet ferroviaire) 6
l’État belge pourrait refuser à Arriva l'exploitation de la ligne Liège-Bruxelles-Nord en considérant qu'elle « menace l'équilibre économique » de la même liaison réalisée par la SNCB. C'est ce que défendent notamment les économistes de l'IRES : « Les autorités peuvent restreindre la concurrence sur le marché si un service commercial menace l’équilibre économique du service public subsidié en captant, par exemple, une partie de sa clientèle. » (IRES, 2016, page 4). ! ! 3.2. Une attribution directe, sans concurrence reste possible ! Le 4ème paquet ferroviaire modifie également l'article 5 du règlement OSP qui règle l'attribution des contrats de service publics. ! Le 4ème paquet ferroviaire inverse totalement la logique : à partir de décembre 2023, en principe, les obligations de service public doivent être attribuées à des entreprises ferroviaires via une mise en concurrence. On parle de concurrence « pour » le marché dans ce cas-ci : « Les contrats de service public relatifs à des services publics de transport de voyageurs par chemin de fer devraient être attribués sur la base d'une procédure de mise en concurrence, sauf dans les cas énoncés dans le présent règlement. »4 La concurrence est vue comme LE modèle à suivre : « Les autorités compétentes peuvent prendre des mesures pour accroître la concurrence entre entreprises ferroviaires. » ! C'est un revirement puisque, auparavant, dans les textes européens, la libéralisation était l'exception. ! Mais il subsiste des exceptions à ce principe de mise en concurrence. La plus importante d'entre elles concernant la Belgique est celle qui prévoit « l'attribution directe » à une entreprise ferroviaire donnée. Cette procédure, tout à fait conforme au règlement, prévoit qu'un État-membre peut choisir un opérateur (en Belgique, c'est la SNCB) pour les contrats de service public, sans une mise en concurrence (via appel d'offres). Mais attention, comme le notent les économistes de l'IRES, « l’absence de concurrence ne pourra donc pas servir à protéger une entreprise dont les performances seraient clairement inférieures à d’autres » (IRES, 2016, page 1). Le règlement prévoit des conditions : l’attribution directe sera à l’avenir permise si quatre conditions sont remplies. Quelles sont donc les conditions pour l'attribution directe « nouvelle génération » ? 3.2.1 Les caractéristiques structurelles D'abord, il faut que l'attribution directe soit justifiée par les « caractéristiques structurelles » et géographiques du marché concerné (taille, caractéristiques de la demande, complexité du réseau, etc.). ! La Belgique pourrait par exemple faire valoir toute une série de caractéristiques propres au réseau belge (la jonction Nord-Midi, l'importance de la SNCB pour le maintien d'une Belgique unie, un « réseau en étoile » autour de Bruxelles,etc.). L’organisation du transport ferroviaire belge, avec une demande fort centrée sur Bruxelles, est également une particularité. Mais bien sûr, l'acceptation de cette condition sera avant tout une question de choix politique. 3.2.2 L’amélioration du service La deuxième condition concerne la qualité du service : en attribuant directement le contrat de service public, « l'autorité estime que ce mode d’attribution conduira à une amélioration des services et/ou du rapport coût-efficacité par rapport au contrat précédent ». 4Considérant 19 du Règlement (UE) 2016/2338 du 14 décembre 2016, modifiant le règlement (CE) no 1370/2007 en ce qui concerne l'ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer 7
! Là encore, il s'agit d'une question de choix politique… mais pas uniquement. Car de nombreuses études internationales montrent que l'ouverture à la concurrence n'apporte rien de mieux pour les usagers, les finances publiques et le climat. ! Ainsi, deux décennies après l'ouverture totale à la concurrence, le rail britannique fait pâle figure. En comparant les 20 dernières années de British Rail (monopole public) avec les 19 ans de présence des opérateurs privés avant 2013, il résulte que les services de British Rail étaient 3 % plus ponctuels que les services rendus par les opérateurs privés. Et l'année 2018 est devenue un record (en 12 ans) des retards. ! Même pour les finances publiques, l'ouverture à la concurrence n'est pas une solution. ! Un rapport anglais de 2013 ("The Great Train Robbery") indique que les dépenses publiques pour le rail sont six fois plus élevées (en termes réels, donc après annulation de l'inflation) qu'elles ne l'étaient au début de la privatisation au milieu des années '90. ! La qualité du service ne s'améliore pas avec la privatisation ou la concurrence. Selon le dernier European Railway Performance Index du Boston Consulting Group (BCG), « l'étude de 2017 montre une corrélation entre les dépenses publiques et la performance d'un système ferroviaire donné ». En clair : au plus l'État investit des moyens dans le rail, au plus celui-ci sera performant. La CGT Cheminots, dans son rapport « Ensemble pour le fer », note, après analyse de nombreuses études sur le sujet, que « la capacité pour un système ferroviaire à répondre aux attentes et aux besoins [donc à améliorer le service, NdlR] ne tient en rien à la concurrence, mais davantage à une volonté politique tournée vers le développement et l’investissement. » (CGT, 2018, page 19). ! ! Si le gouvernement belge a la volonté politique, il disposera certainement d'arguments de poids pour prouver que l'attribution directe peut améliorer la qualité du service, et qu'au contraire, la concurrence la met à mal. 3.2.3 Des indicateurs de performance (KPI) Troisième condition : l'autorité compétente devra insérer des KPI (« key performance indicators », indicateurs clés de performance) dans le contrat. Ces KPI indiquent des objectifs de performance à atteindre par l'entreprise ferroviaire. La conformité aux KPI devra être vérifiée au moins tous les 5 ans. ! Ce point est très important, car il est utilisé aujourd'hui par le gouvernement de droite et la direction de la SNCB pour justifier toute une série de reculs sociaux pour les cheminots (diminution du nombre de cheminots, perte de jours de congé, travail de nuit dans les ateliers, sous-traitance, fin du statut, etc.), et pour les usagers (fermetures de gares et de guichets, hausses des prix du ticket, etc.). Que dit en réalité le texte du règlement européen ? Selon ce règlement, le contrat de service public doit contenir des KPI qui portent « en particulier » (donc pas exclusivement) sur : • la ponctualité • la fréquence de la circulation des trains • la qualité du matériel roulant • les capacités de transport ! ! La hausse des tarifs, la fermeture de gares, la diminution du nombre de cheminots, font-elles partie de ces KPI selon l'Europe ? Non. Le règlement européen est en fait assez vague. La question qui se pose est comment le gouvernement belge pourrait-il remplir ces conditions ? Difficile à dire avec précision, car le précédent contrat de gestion date de 2008, date à laquelle cette règle n'existait pas. 8
Mais nous pouvons avoir une indication, sur base du projet de contrat de gestion préparé par la direction de la SNCB et le gouvernement fédéral (projet qui ne verra jamais le jour suite à la chute du gouvernement). Car en vue de se préparer à respecter cette directive européenne, ce projet de contrat de gestion prévoyait une série de KPI à respecter : • une hausse de la fréquentation (calculée en nombre de passagers-km5) • une amélioration de la ponctualité • une « hausse de la qualité perçue » : il s'agit de l'indice de satisfaction selon l'enquête annuelle de la SNCB • une stabilisation de la dette • une réduction du taux d'indisponibilité du matériel roulant • une diminution de l'utilisation de l'énergie • une augmentation du nombre de gares et de points d'arrêt intégralement accessibles (pour PMR) • une réduction de l'absentéisme (du personnel) • et une évolution à la baisse du nombre de cas où un signal fermé est franchi sans autorisation ! ! ! Nous pouvons en conclure deux choses. ! D'abord qu'une série de KPI se retrouvent dans le projet de contrat de gestion mais ne sont pas repris dans le 4ème paquet ferroviaire. Ce n'est pas la Commission européenne qui les impose, mais c'est le choix du gouvernement et de la direction de la SNCB de choisir ces KPI-là. Autrement dit : le gouvernement a donc une certaine « liberté » de fixer une série de KPI à respecter. Rien n'est à prendre ou à laisser. ! Ensuite, que le choix est avant tout politique. En mettant en avant ces critères-là plutôt que d'autres, on peut se demander si le but du gouvernement n'est justement pas de faire en sorte que ces objectifs de performance soient inatteignables pour la SNCB, pour justifier par après une mise en concurrence, une libéralisation, voire une privatisation de la SNCB6. Ainsi, mettre des objectifs de ponctualité à la SNCB, alors même que les moyens pour entretenir les trains, engager du personnel pour les faire rouler ou les réparer sont réduits, est plutôt contradictoire. Si le gouvernement voulait réellement faire rouler les trains à l'heure, il engagerait massivement du personnel, investirait dans la rénovation des lignes de chemins de fer, etc. ! En d'autres mots : mettre des critères dont on sait pertinemment que la SNCB ne pourra pas les atteindre, c'est aussi un choix politique : c'est envoyer le signal qu'on veut mettre fin au monopole de la SNCB. 3.2.4 Le contrôle par la Commission européenne La quatrième condition consiste en un contrôle par la Commission européenne : l'État doit publier la décision motivée d'attribuer directement à un opérateur, et cette décision doit être transmise dans le mois à la Commission européenne (qui contrôlera les conditions). ! Là deux cas de figure sont possibles : ou la Commission européenne accepte, ou elle refuse. Si elle refuse le choix de l’État, s'engage alors un bras de fer avec l'Union européenne. Pour le PTB, il est clair qu'un État doit pouvoir s'opposer à l'Union européenne, notamment en cas de reculs sociaux (ce qui est le cas ici). C'est la voie que nous proposons de suivre dans une pareille situation. ! 5Un passager-km est une unité de mesure servant à mesurer le nombre de kilomètres parcourus par chaque passager. C'est une mesure plus précise que le nombre de passagers purs. 6L’État pourrait revendre une partie de ses parts dans la SNCB comme des précédents gouvernements l'ont fait pour bpost ou Belgacom/Proximus par exemple. 9
! 3.3 Un recul, mais pas la fin du service public ! ! Que retenir de ce texte et de ces conditions ? D'une part, il est clair que le texte constitue un recul. En inversant la logique et en prévoyant que la règle est l'ouverture à la concurrence et le service public l'exception, l'Union européenne impose un sérieux changement. Mais il reste toujours possible comme nous l'avons vu de défendre un monopole public de train. Cela demande du courage politique, et une ambition d'affronter l'Union européenne ou au moins la logique de destruction des services publics qu'elle entend imposer dans les États-membres. Les textes laissent une large marge d'appréciation aux États-membres : possibilité d'échapper à toute libéralisation avant 2033, choix des KPI. ! Affirmer que « l'UE impose la libéralisation » est donc faux. C'est un choix que chaque État doit faire. ! D'autre part, ne nous trompons pas de débat : le gouvernement et la direction de la SNCB utilisent aussi ce débat pour pousser les réformes qu'ils entendent mener. Au nom de la libéralisation, il faudrait être plus « performant », « faire plus avec moins ». C'est ce jeu-là qu'il s'agit de dénoncer. ! ! 10
4. Ce que propose le PTB ! Après avoir étudié le 4ème paquet ferroviaire et sa logique de libéralisation, penchons-nous maintenant sur l'alternative à la logique européenne. Plutôt qu'un grand marché ferroviaire européen, le PTB propose de réaliser des investissements massifs dans les transports en commun. ! ! 4.1 Pourquoi le rail est si important pour le PTB ! La mobilité en Belgique est à l’arrêt. Les files s’allongent, la congestion du trafic est une véritable plaie, tous ces camions et autos affectent dramatiquement la qualité de l’air, les transports en commun sont minés par des retards, des trajets annulés et des trains surchargés. Le transport est responsable de près d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays. Le défi est de savoir comment garantir le droit à la mobilité pour tous, tout en réduisant l’impact de nos déplacements sur la qualité de vie, la qualité de l’air ainsi que sur le climat. À ce défi, les gouvernements du pays répondent par une inertie peu imaginative et paresseuse, camouflée en « réalisme » : encore plus de voitures ! Des milliards d’euros consacrés à la construction de nouvelles routes autour de Bruxelles et d’Anvers et des milliards d’euros supplémentaires en avantages fiscaux octroyés aux voitures de société. Entre-temps, les coupes ne cessent de s’alourdir à la SNCB avec pour conséquence une détérioration visible du service et une hausse continue des tarifs. Aujourd’hui, 80 % des déplacements se font en voiture, souvent faute d’alternative. Nous voulons réduire ce chiffre de moitié pour 2030 : en arriver à 40 %. Pour y parvenir, nous optons pour une approche totalement différente. Nous misons sur une Feuille de Route 2030 qui vise à faire des transports en commun un premier choix fiable, y compris pour des trajets domicile-travail durables. D’ici 2030, grâce à cette Feuille de route, nous voulons multiplier par trois la part des déplacements en train, tram, bus et métro à 35 %. Le PTB, comme parti de gauche, choisit résolument la voie du service public. Une voie à l'opposé de tous les autres partis politiques qui ont choisi d'accompagner la libéralisation. ! ! 4.2 Un service public de train ! Partout où on a privatisé ou libéralisé, les services ont régressé et les prix se sont envolés. En Grande-Bretagne par exemple, il est aujourd’hui moins cher pour se rendre de Newcastle à Londres de prendre un vol via l’Espagne que de prendre le train. Les navetteurs y sont entassés comme des sardines. Au lieu de coûter moins cher au gouvernement, le rail coûte aujourd’hui quatre fois plus qu’avant la privatisation ! Pas surprenant, dès lors, que deux tiers de la population britannique soient favorables à sa renationalisation. Or en Belgique, le gouvernement Michel a tout fait pour préparer le terrain à la libéralisation. ! La concurrence est-elle plus efficace pour améliorer et développer le train ? Rien n'est moins sûr. Pour tenter d'y voir clair, penchons-nous sur le "European Railway Performance Index" du Boston Consulting Group (BCG). Selon le dernier rapport 2017, l'ouverture à la concurrence et la privatisation ont-elles un effet positif sur les performances ? Non. Au contraire, « l'étude de 2017 montre une corrélation entre les dépenses publiques et la performance d'un système ferroviaire donné ». En clair : au plus l'État investit des moyens dans le rail, au plus celui-ci sera performant. ! La Suisse en est le parfait exemple : le système le plus performant selon le BCG est celui des chemins de fer fédéraux suisses, contrôlés à 100% par l'état. Les CFF sont une entreprise intégrée, à la fois opérateur ferroviaire et gestionnaire de l'infrastructure, et l'entreprise ferroviaire la plus financée (par l'État) du continent. 11
Olivier Malay, Leila Van Keirsbilck et François-Xavier Lievens, trois chercheurs de l'UCL sont les auteurs d'un article sur la libéralisation du rail en Angleterre, en Allemagne, et en Suède. Ils indiquent qu'après la libéralisation, le nombre de voyageurs a augmenté. Mais est-ce en raison de la libéralisation que le nombre de voyageurs a augmenté ? Pas du tout : « la libéralisation s'est accompagnée (…) d'une hausse importante de subventions publiques. » et de continuer : « les hausses de subsides ont selon nous davantage expliqué l'augmentation de la part modale [le nombre de passagers de train dans le total des passagers, NdlR] que la libéralisation elle-même. » Ce qui est déterminant pour qu'un service de train soit performant, c'est donc les investissements publics. Le PTB est d'avis que c'est une des raisons pour lesquelles le transport de train doit rester un service public : il doit rester entre les mains de l’État, car celui-ci doit pouvoir investir dans le ferroviaire pour le rendre le plus performant. Investir des moyens publics dans le cadre d'un marché libéralisé, revient au final à investir pour des entreprises privées (et leurs actionnaires), puisque c'est elles qui bénéficieront des investissements publics. C'est ce qu'il se passe en Angleterre, où les entreprises ferroviaires sont très largement subventionnées, et où les actionnaires se sont vu verser plus de 200 millions d'euros en dividendes rien qu'en 2018. ! Le PTB est d'avis qu'il faut s'opposer à l'application du 4ème paquet ferroviaire. D'abord en attribuant encore jusqu'en 2033, le monopole du trafic ferroviaire intérieur à la SNCB. Ensuite, en s'opposant par tous les moyens possibles à l'arrivée d'entreprises concurrentes à la SNCB. Afin de faire du train le moyen de transport de choix pour les déplacements à l’intérieur de l’Europe, nous demandons aussi que le trafic ferroviaire international au sein de l’Union européenne soit repris en mains par le public. Le PTB propose donc de revenir sur la libéralisation du trafic ferroviaire international en Europe. Il en va de même pour les marchandises.Dans toute l'Europe, la libéralisation et la privatisation du rail ont conduit les entreprises de transport à se tourner massivement vers le transport routier. Quelle erreur capitale ! Il faut que la SNCB soit de nouveau l’acteur public et exclusif du transport ferroviaire de marchandises. ! ! 4.3 Le train comme colonne vertébrale du transport en Belgique ! Le développement des chemins de fer comme colonne vertébrale du système de transport en commun implique un financement à la hauteur des enjeux. Les gouvernements précédents ont fait le contraire. Le gouvernement Michel a réduit chaque année de 663 millions d’euros la dotation de la SNCB et d’Infrabel, soit 3 milliards d’euros au total, en plus des 150 millions d’économies annuelles déjà imposées par le gouvernement Di Rupo. Le gouvernement Michel a également annulé le plan d’investissement 2013-2025 de 26 milliards d’euros. Il a fallu attendre la fin de la législature pour que le gouvernement se décide enfin à promettre un investissement d’à peine 5 milliards d’euros : pas plus qu’un sparadrap sur une hémorragie. Avec la Feuille de route 2030, nous investissons 50 milliards d’euros dans la SNCB pour faire du rail l’épine dorsale de l’ensemble du réseau de transport en commun. Nous assurons des liaisons à plus haute fréquence. Dans les gares, les correspondances avec le tram, bus et métro sont immédiates. Nous élargissons l’offre et ouvrons ou rouvrons dix nouvelles gares chaque année jusqu’en 2030. Nous dédoublons certaines lignes de chemin de fer et nous examinons quelles nouvelles lignes sont nécessaires. Parce que là où l’offre ferroviaire augmente, les voyageurs suivent en grand nombre. Les voyageurs veulent plus de trains. Avec la Feuille de route 2030, nous investissons également dans le personnel et l’équipement, afin d’améliorer la ponctualité des chemins de fer. Nous redéployons du personnel aux guichets des petites gares. Et nous nous assurons de la présence d’au moins un accompagnateur par train. ! ! ! 12
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