L'historien et ses prophètes - Hommage à un maître autour de Jean de Roquetaillade - OpenEdition Journals

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L’historien et ses prophètes
Hommage à un maître autour de Jean de Roquetaillade

Elena Tealdi

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/oliviana/1382
ISSN : 1765-2812

Éditeur
Groupe d'anthropologie scolastique (Centre de recherches historiques-EHESS-CNRS)

Référence électronique
Elena Tealdi, « L’historien et ses prophètes », Oliviana [En ligne], 6 | 2020, mis en ligne le 11 avril 2020,
consulté le 12 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/oliviana/1382

Ce document a été généré automatiquement le 12 avril 2020.

© Oliviana
L’historien et ses prophètes   1

    L’historien et ses prophètes
    Hommage à un maître autour de Jean de Roquetaillade

    Elena Tealdi

                                                     « Lo storico si rivolge alle sue fonti come il
                                                   giudice istruttore si rivolge ai testimoni che
                                             ascolta. E come la maggior parte dei testimoni, le
                                             fonti parlano solo se interrogate. La cosa difficile
                                                     è preparare il questionario. Ma che si deve
                                              chiedere al testimone perché si decida a parlare,
                                                  a dire la sua verità ? Come, in particolare, far
                                               parlare fonti ad alta densità dottrinale come gli
                                              scritti di Gioacchino e le prime testimonianze su
                                                     di lui ? Sollecitato dai testi, lo storico deve
                                                      cercare in essi le risposte non alle proprie
                                             domande, ma alle domande di Gioacchino stesso,
                                                                cui essi intendono rispondere »1.
1   Ces réflexions figurent dans les premières pages du livre que Gian Luca Potestà a
    consacré à l’étude de Joachim, l’abbé calabrais qui, à la fin du XII e siècle, cherchait dans
    l’exégèse de la Bible une compréhension des temps présents et futurs au moyen d’une
    concordance entre l’Ancien et le Nouveau Testament et le fondement d’une nouvelle
    théologie de l’histoire articulée entre les âges du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ces
    indications de Gian Luca Potestà fournissent comme un précis de la méthode
    historique : une fois convoqué le témoin, il faut savoir lui poser les bonnes questions
    pour obtenir des réponses. Et pour entendre la vérité qu’il peut transmettre, il ne suffit
    pas d’être disposé à comprendre son horizon. Si nous rencontrons un témoin qui était
    lui-même en train de poser des questions à son temps, à son monde, il faudra lui
    demander : quelle est ta question ? Et seulement ensuite : quelle est ta réponse ?
2   Cette « vie herméneutique » caractérise tout le parcours de recherche de Gian Luca
    Potestà sur le prophétisme médiéval et ses rhétoriques, à l’intérieur et à l’extérieur de
    l’Église, dont beaucoup se retrouvent dans le volume consacré au messianisme, au
    prophétisme politique et aux attentes eschatologiques, significativement intitulé Le

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    Dernier Messie2. Dans ces pages, dans le dédale des rues qui mêlent manuscrits,
    personnages et idées, nous trouvons aussi le nom de Jean de Roquetaillade. Son œuvre
    résume des thèmes de longue durée et les pousse à leurs dernières limites, avec des
    rhétoriques qui sont propres à la fin de la période médiévale et au commencement de la
    modernité.
3   Originaire de Marcolès en Auvergne, devenu frère mineur en 1332, Jean de
    Roquetaillade a passé une grande partie de sa vie incarcéré, d’abord dans des prisons
    conventuelles (de 1344 à 1349), puis dans une prison papale d’Avignon (de 1349 à sa
    mort, dans la première moitié de 1366). Sa première prison a été celle du couvent
    franciscain de Figeac, à cinquante kilomètres au sud d’Aurillac, où il avait été envoyé
    peu après la fin de ses études à Toulouse. Subissant la persécution du ministre
    provincial de l’ordre des frères mineurs, Guillaume Farinier, il fut transféré de prison
    en prison, à travers tout le Sud-Ouest de la France : Limoges, Saint-Junien, Cahors,
    Toulouse, Rieux et finalement, parvenant à échapper à ses geôliers franciscains,
    Avignon où il fut jugé par une commission que le pape Clément VI avait nommée pour
    évaluer son orthodoxie. Absous de l’accusation d’hérésie, il resta toutefois dans la
    prison papale d’Avignon, dans laquelle il mena une activité de prophète, consulté par le
    pape et les cardinaux. Ses conditions de détention lui permettaient de lire et d’étudier
    les principales œuvres prophétiques du Moyen Âge et de construire ainsi son propre
    système prophétique, en établissant une chronologie précise de l’attente des temps
    finaux3. Le récit de son incarcération occupe de nombreuses pages de ses œuvres et
    devient partie intégrante de sa conscience de prophète, fournissant un contexte
    privilégié de la révélation divine et de l’illumination spirituelle 4.
4   Jean de Roquetaillade apparaît deux fois dans les pages du volume de Gian Luca Potestà,
    pour deux raisons différentes ; la première fois lorsqu’il est question de l’usage des
    prophéties papales et de la construction de la figure d’un saint pape, frère mineur,
    destiné à reformer l’Église et le monde entier5. Ces séries prophétiques prennent leur
    origine à Constantinople, à partir du Xe siècle au moins, dans des pamphlets ou de
    simples feuillets parfois illustrés. Visant à dénigrer la dynastie régnante et à favoriser
    une alternance dynastique, elles ont été transmises sous le titre des Oracles de Léon.
    Arrivée en Occident, cette œuvre fut destinée à une tout autre fortune, en étant
    appliquée à la succession des souverains pontifes. Une première série de ces prophéties
    papales illustrées, désignée par son incipit, Genus nequam , fut suivie d’une seconde
    (Ascende calve) et enfin, au début du XVe siècle, d’une troisième, résultant du
    rapprochement des deux premières (nommée par convention Vaticinia pontificum) 6. Les
    deux premières furent objet d’étude pour Jean de Roquetaillade qui témoigne d’une
    connaissance de Genus nequam dès son œuvre intitulée Liber secretorum eventuum écrite
    en 1349, mais qui par la suite a davantage utilisé la deuxième prophétie, toujours dans
    l’intention d’exalter et recommander l’attente d’un pape saint dans un futur
    imminent7.
5   La deuxième rencontre avec Jean de Roquetaillade dans le livre est liée à la notion de
    justice populaire, dans son œuvre intitulée Vade mecum in tribulatione (composée en
    1356), aussi bien dans la tradition latine que dans la très riche diffusion vernaculaire de
    ce texte8. Comme le montre Potestà, cette notion demeure très ambiguë car, si le
    renversement des rôles sociaux est annoncé comme réalisation des anciennes
    prophéties, en fait, elle est surtout utilisée, non pour exalter les révoltes populaires
    mais pour les condamner, dans le cadre d’attentes apocalyptiques 9. L’aspect

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    proprement ambigu de la présence d’un acteur populaire dans le cadre apocalyptique
    de Roquetaillade se présente comme une sorte de dichotomie : la justice divine sera
    manifestée par l’action du peuple, mais le peuple sera-t-il lui-même le producteur de
    cette justice ? Ne sera-t-il pas davantage le dernier signal d’un désordre qui doit être
    reconduit à un nouvel ordre social et religieux, signe de l’établissement du royaume de
    paix et sainteté des temps derniers ? La question reste ouverte et trouve des
    modulations différentes dans la fortune du Vade mecum in tribulatione, écrit pour
    annoncer la fin proche et inviter à la conversion et au retour à une Église sainte et
    pauvre. En effet, quelques décennies après la composition du Vade mecum, en Catalogne,
    dans l’œuvre du franciscain Francesc Eiximenis, les mots de Roquetaillade iustitia
    popularis sont relus dans la perspective du gouvernement de la ville 10. En revanche, au
    commencement du XVe siècle en Bohème, les mêmes révoltes populaires sont perçues,
    dans le cadre des conflits entre l’Église catholique et les Utraquistes et Hussites, comme
    un signe de la persécution de l’Antéchrist11.
6   Au-delà de ces différents contextes, nous découvrons surtout l’incroyable
    (‘astonishing’, pour reprendre un mot de Robert Lerner12) utilisation de tout ce matériel
    prophétique par notre auteur et la création « d’un ensemble doctrinal fluide car
    structuré sur la base de prophéties génétiquement disparates, lesquelles, malgré le
    souci de l’auteur de les concilier, ne se prêtaient guère à être replacées dans un cadre
    rigoureux et cohérent »13. Surtout, il faut rappeler la tentative du frère mineur
    d’harmoniser les deux principales rhétoriques messianiques de l’Occident médiéval :
    l’empereur des derniers temps et le pasteur angélique. L’une prenait appui sur un motif
    fondamental dans les conflits de propagande politico-dynastique, tandis que l’autre
    mettait en avant un personnage valorisé dans la dernière phase du Moyen Âge, dans les
    milieux ecclésiastiques animés par l’attente d’une figure ascétique comme nouveau
    pape, capable d’opérer une réforme profonde de l’Église et, en même temps, du
    monde14.
7   Outre ces deux figures, d’autres habitent les pages des œuvres de Roquetaillade, et elles
    aussi se trouvent à la frontière entre Moyen Âge et modernité : les deux témoins
    apocalyptiques, les deux Antéchrists et aussi l’Église entière, articulée en clergé, moines
    et laïcs ; pour finir, le peuple, qui, comme nous l’avons dit, n’est plus le spectateur
    silencieux des événements, mais devient acteur ou plutôt moteur de l’histoire 15. La
    lecture des textes de Roquetaillade nous donne l’impression d’un auteur qui « prépare
    un héritage de rhétoriques et de figures destinées à animer le langage et la propagande
    prophético-politiques des derniers siècles »16. Sa propre rhétorique et sa théologie de
    l’histoire sont étroitement liées à un thème théologique important qui s’étend sur tout
    le Moyen Âge, à partir des premiers siècles du christianisme : le millénarisme 17. Comme
    il est bien connu, on entend par ce terme l’attente d’un temps de paix et de prospérité,
    situé dans le futur et annoncé par les prophètes, qui aura les caractéristiques d’un
    temps proprement historique, et non seulement un état d’esprit ou une attente
    eschatologique, hors du temps.
8   Nous savons que le christianisme comprenait la plus grande partie des prophéties
    bibliques comme annonce de la venue du Christ. La convergence des attentes non plus
    orientées vers un futur plus ou moins éloigné, mais vers un temps révolu, amena les
    Chrétiens, depuis les premiers siècles, à considérer le temps eschatologique futur
    comme devant être toujours renvoyé ultérieurement, en le dépouillant d’éléments
    d’historicité et de littéralité, pour l’interpréter de façon allégorique, caractérisé par des

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     traits plus estompés et moins saisissables. Ce fut Augustin qui traça de façon marquée
     les confins allégoriques à l’intérieur desquels devaient être maintenues les attentes
     millénaristes, en affirmant que les mille ans mentionnés par Apocalypse 20 ne devaient
     pas être interprétés à la lettre, ni même considérés comme un temps de future
     amélioration de ce monde ; ceux-ci devaient être plutôt compris comme la dernière
     partie de l’histoire du monde ou, mieux encore, comme une image de la perfection du
     monde, qui était déjà réalisée dans le présent et au cours de l’histoire dans le règne du
     Christ avec les saints de l’Église. Pendant les siècles suivants, les penseurs chrétiens
     regardèrent le futur à l’ombre de ce « tabou augustinien »18, mais les tentatives ne
     manquèrent pas de tracer des lignes d’interprétation du présent et d’anticipation d’un
     futur habité par des héros messianiques, persécuteurs de l’Église ou saints
     réformateurs, pionniers des temps nouveaux.
9    Peu à peu s’ouvrit une « voie herméneutique », permettant à des interprètes attentifs
     de la Bible de rechercher les passages de l’Ancien Testament qui contiennent la
     référence à un intervalle de temps précis, pouvant être situé à proximité des temps
     derniers. Le passage de Daniel en est un exemple clair, quand sont annoncés 1290 jours
     de tribulations19. Ce fut Joachim de Flore, abbé bénédictin, puis fondateur du
     monachisme de Flore, théologien audacieux et fin exégète des Écritures, qui restaura
     dans une forme nouvelle, pleinement chrétienne et proprement trinitaire, le
     millénarisme intra-historique. Pour l’abbé calabrais, l’histoire se manifeste comme un
     déploiement du plan divin et contient en son sein la révélation progressive de son
     mystère. Le progrès de l’histoire implique le progrès de la connaissance de la vérité ; il
     s’agit d’un progrès qui ne peut plus cacher sa tension eschatologique. Se basant sur la
     lecture typologique des rapports entre l’Ancien et le Nouveau Testament, ce dernier
     attend un « sabbat de l’Église », un bref âge historique de paix – identifié avec le
     millénaire apocalyptique – situé entre la chute de l’Antéchrist et le Jugement dernier ;
     un âge qui s’est peu à peu défini comme un « troisième âge » ou âge de l’Esprit, venant
     après celui du Père et du Fils, selon le principe que la théologie de la Trinité devrait
     scander les pas de l’économie du salut20.
10   La pensée de Joachim fut rapidement adoptée avec enthousiasme parmi les membres de
     l’ordre franciscain, qui s’identifièrent aisément aux viri spirituales du troisième âge,
     introduisant dans le schéma de Joachim des éléments de polémique plus ou moins
     marqués à l’égard de la hiérarchie ecclésiastique, perçue maintenant comme acteur de
     la persécution finale – en tant que charnelle ou corrompue – et non plus comme un
     objet d’agression de la part d’ennemis externes, selon la théologie la plus traditionnelle
     accueillie par Joachim21. Ce renversement, entre Joachim et le joachimisme franciscain,
     bien que présenté de façon extrêmement sommaire, est nécessaire pour comprendre
     les fils qui parviennent au XIVe siècle et semblent se nouer (ou peut-être se dénouer)
     dans l’œuvre de Jean de Roquetaillade.
11   Pierre de Jean Olivi, auteur d’une Lectura super Apocalypsim, fut le plus attentif à
     développer une réflexion proprement théologique, capable de maintenir en équilibre le
     christocentrisme franciscain et le modèle ternaire joachimite, en mettant en relation le
     progrès de l’intelligence spirituelle avec la réalisation de l’idéal de pauvreté dans sa
     forme radicalement évangélique22. Son attention au troisième âge l’amena à en
     reconsidérer la durée probable, au moyen d’une prudente exégèse, en admettant et en
     justifiant en termes d’économie du salut son extension possible jusqu’à une durée
     proche de 700 ans23. Son héritage (et avec celui-ci, la médiation franciscaine du modèle

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     de Joachim) passa dans l’œuvre de Roquetaillade sous de nombreux points de vue.
     L’engagement en faveur de la pauvreté évangélique radicale devient un caractère
     distinctif des temps nouveaux et même dominant durant le « sabbat final » 24 ; son
     attention à la durée de la dernière phase de l’histoire est encore plus aiguisé. De ce
     point de vue, Roquetaillade dépassa ses prédécesseurs joachimites, en ne se limitant
     plus à une extension du temps historique représenté par le millénaire, mais en le
     faisant coïncider avec une durée exacte de mille ans. Fort de cette tradition désormais
     plus que séculaire, inaugurée par Joachim, qui concevait l’histoire comme un lieu du
     déploiement de la vérité, il osa affirmer que les temps étaient mûrs pour relire au sens
     littéral la compréhension du passage obscur de l’Apocalypse de Jean et pour le situer à
     l’intérieur de l’histoire. Dans ses ouvrages les plus célèbres, le Liber ostensor et le Vade
     mecum in tribulatione, le millénaire est annoncé ainsi de la durée de 1000 ans exacts, à
     partir de 1368.
12   Ce bref excursus nous permet à présent de mettre au point l’étroite relation, qui émerge
     des écrits de ces auteurs, entre l’eschatologie, l’herméneutique et la prophétie. L’accès
     au plan de l’eschatologie se fonde sur – et est en un certain sens, justifié par – une
     interprétation des Écritures profonde et souvent hardie. En même temps, le rôle
     prophétique de l’interprète se réalise dans la possibilité – qui est aussi une mission
     divine – de parler des « temps derniers », c’est-à-dire de comprendre exactement les
     Écritures. L’appel eschatologique, sous la forme de l’urgence de l’annonce 25, s’inscrit
     dans la recherche théologique et spécifiquement dans l’herméneutique biblique, et ne
     trouve pas ailleurs sa validité et sa force. Cette urgence se manifeste, dans le prologue
     du Vade mecum in tribulatione, comme urgence de la prédication et urgence de la
     conversion, parce que la persécution à venir est très proche. L’auteur ne peut plus
     argumenter – comme il l’a fait dans le Liber ostensor – son cadre eschatologique, mais il
     doit annoncer et prêcher pour la conversion. La demonstratio et la probatio n’ont plus de
     raison d’être, car il reste seulement le temps de la conversion, qui devient possible si
     l’on écoute la narratio et la denunciatio de l’auteur. Celles-ci doivent être estimées
     crédibles, non pas à partir d’un calcul, mais de l’experientia de la véracité des prophéties
     que Roquetaillade a déjà éprouvée. Narrer, dénoncer, annoncer, épuiser sont tous des
     verbes qui impliquent la participation intime et passionnée du prophète et la
     pénétration dans la texture des événements qui sont proches, et qui sont
     significativement annoncés au moyen d’une répétition insistante du verbe evenire 26.
13   Il en est ainsi pour Jean de Roquetaillade, comme il en avait été pour Joachim qui, à
     plusieurs reprises dans ses ouvrages, se présente comme intellector et non comme
     prophète. Il est vrai que tous deux livrent des références ponctuelles à des expériences
     visionnaires. Pour Joachim, il s’agit de visions, racontées par lui-même comme des
     évènements de grâce, respectivement pendant une fête de Pentecôte et pendant une
     nuit de Pâques, où il reçut la révélation du mystère de la Trinité ; les deux célèbres
     visions sont caractérisées par les éléments du contexte liturgique, la méditation de
     l’écriture, la prière, et enfin la révélation divine accompagnée par l’expérience
     mystique, et s’inscrivent dans une forme littéraire fortement marquée en sens
     théologique et symbolique27. Jean de Roquetaillade, pour sa part, narre respectivement
     dans le Liber ostensor et dans le Liber secretorum eventuum avoir miraculeusement reçu la
     compréhension immédiate, d’abord (en 1332), de la naissance de l’Antéchrist 28, puis (en
     1340), de l’infaillible prévision de son avènement, attendue pour 1366, selon
     l’interprétation correcte de certains passages du livre de Daniel 29.

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14   Il est clair que ces récits ne doivent pas être acceptés avec une crédulité ingénue, mais
     ils ne doivent pas non plus être trop rapidement ignorés avec un scepticisme tout aussi
     ingénu, car ils représentent, sous la forme d’une construction littéraire, la prise de
     conscience de son auteur, de sa propre mission et de son œuvre. La ratification, pour
     ainsi dire ‘visionnaire’ de la fonction prophétique, ne remplace pas – mais, bien au
     contraire, valorise – le fondement proprement exégétique de l’ouvrage. Celle-ci tend
     plutôt à renforcer la singularité – et il n’est pas rare qu’elle soit accompagnée d’une
     véritable solitude – du prophète, appelé à décoder et à annoncer les signes des temps,
     selon un modèle du reste non éloigné de celui du prophétisme biblique 30.
15   L’étude de ces textes nous place face à des auteurs – Joachim, Pierre de Jean Olivi, Jean
     de Roquetaillade – qui ont personnellement assumé l’engagement de la prophétie.
     Comme le dit Christine Morerod-Fattebert, à propos de Jean de Roquetaillade: « Et puis
     il y a l’homme : aussi absurde – ou pas – que nous paraissent son style ou son combat,
     nous ne pouvons que nous incliner devant la vitalité, la fidélité, la persévérance d’un
     prisonnier d’opinion, dont la détention a certainement favorisé l’émergence d’un sujet
     et l’expression d’un être. En tous les cas, c’est un plaisir d’essayer autant que possible
     de rendre à cet auteur sa lisibilité dans sa complexité ; c’est un honneur de rendre à cet
     homme, au-delà des siècles, une forme de liberté »31.
16   Quand on regarde uniquement le Vade mecum in tribulatione (qui est son ouvrage le plus
     court, mais aussi le moins marqué du point de vue politique et le plus explicitement
     spirituel), nous voyons que l’auteur intervient personnellement, comme pour se placer
     entre son annonce et ses destinataires. L’intention de l’ouvrage est de préparer à la
     persécution, afin que le plus grand nombre possible de fidèles puisse se sauver 32. Le
     nombre des élus qui seront sauvés n’est pas donné et l’intention de l’auteur semble être
     de l’augmenter le plus possible dans le bref laps de temps qui reste, ne pouvant
     renvoyer à plus tard la persécution. Roquetaillade intervient personnellement, se
     présentant comme le jeune Jonas, chargé du poids de sa responsabilité d’annonciateur
     et appelé à une mission très difficile et, en même temps, ouverte vers une dimension
     universelle. Mais, à la différence de Jonas dans la Bible, celui-ci est capable de
     compassion pour les destinataires de son annonce et de véritable tristesse devant leur
     incapacité d’écoute33.
17   Jean de Roquetaillade est un homme entièrement absorbé par son œuvre prophétique
     (qui devient aussi pour lui, continuellement interrogé par des papes et des cardinaux
     sur les signes des temps, une véritable raison de survie), et c’est pour cela (ou du moins,
     pour cela aussi) que son œuvre est en évolution continue. Ses attentes à l’égard de la
     papauté évoluent, là où la pauvreté franciscaine se concrétise progressivement dans la
     figure du Reparator, qui était au départ une ‘fonction’ (le mot est une sorte d’adjectif),
     mais devient un véritable personnage, voire un protagoniste des temps de la fin 34. Ses
     attentes à l’égard du souverain français évoluent également. En effet, le roi, après sa
     défaite contre les Anglais à Poitiers à l’automne 1356, cesse d’être un interlocuteur
     valable pour l’exhortation à la conversion35. La figure de l’empereur des temps de la fin
     se transforme elle aussi, pour être toujours davantage asservie à la figure dominante du
     Pape36. Le rapport avec les modèles dérivant du Joachimisme franciscain évolue, avec
     l’abandon progressif des renvois bonaventuriens et oliviens à la figure apocalyptique de
     l’ange du septième sceau, et du lien que les milieux spirituels avaient établi entre cette
     figure et le fondateur de l’ordre, François d’Assise37.

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18   Roquetaillade est un auteur capable de discerner dans son temps non seulement les
     continuités, mais aussi et, peut-être surtout, les discontinuités, qui non moins que les
     premières, peuvent être une trace du déploiement du dessein divin dans l’histoire et un
     signe de l’approche de sa réalisation. Discontinuité est un mot cher à Gian Luca Potestà,
     qui – et la citation veut être mon hommage au maître – dans ses cours d’histoire du
     christianisme mentionnait ce fragment des Thèses sur l’histoire de Walter Benjamin :
     « L’historien va faire éclater la continuité historique pour en dégager une époque
     donnée ; il ira faire éclater pareillement la continuité d’une époque pour en dégager
     une vie individuelle ; enfin il ira faire éclater cette vie individuelle pour en dégager un
     fait ou une œuvre donnée. Il réussira ainsi à faire voir comment la vie entière d’un
     individu tient dans une de ses œuvres, un de ses faits ; comment dans cette vie tient
     une époque entière ; et comment dans une époque tient l’ensemble de l’histoire
     humaine »38.
19   Nous avons commencé avec une phrase de Gian Luca Potestà ; nous conclurons par une
     autre citation, alors qu’il parle de ces prophètes de l’histoire, et de l’historien qui va
     interroger leurs prophéties, chercher leurs questions, écouter leurs réponses : « Il reste
     de ce message apocalyptique à l’historien, la suggestion de trouver un fil conducteur,
     de donner un ordre au désordre des évènements, et l’invitation permanente à garder
     les yeux bien ouverts, en restant vigilant face aux signes des temps » 39.

     NOTES
     1. Gian Luca Potestà, Il tempo dell’Apocalisse. Vita di Gioacchino da Fiore, Roma-Bari, Laterza, 2004, p.
     16. [« L’historien s’adresse à ses sources comme le juge d’instruction aux témoins qu’il entend.
     Comme la plupart des témoins, les sources ne parlent que si on les interroge. Le plus difficile est
     de préparer le questionnaire. Que faut-il demander au témoin pour qu’il se décide à parler, à dire
     sa vérité ? Comment, en particulier, faire parler des sources à haute teneur doctrinale comme les
     écrits de Joachim et les premiers témoignages sur lui ? Sollicité par les textes, l’historien doit
     chercher en eux des réponses, non pas à ses propres questions, mais aux questions de Joachim
     lui-même auxquelles ils s’efforcent de répondre »]
     2. Id., Le dernier messie. Prophétie et souveraineté au Moyen Âge, trad. G. Marino, Paris, Belles-
     Lettres, 2018.
     3. Sur la vie de Jean de Roquetaillade, et en particulier son incarcération, Robert E. Lerner, « Life,
     Works and Fortune of the Prophet Immured », in Giovanni di Rupescissa, Vade mecum in
     tribulatione, ed. Elena Tealdi, introduzione storica a cura di Robert E. Lerner e Gian Luca Potestà,
     Milano, Vita e Pensiero, 2015, p. 25-39, en particulier p. 27-34 ; voir aussi : G. L. Potestà, « ‘Gli
     spiriti dei profeti sono soggetti ai profeti’. Da Giovanni di Rupescissa a Pietro Galatino », in ‘Per
     una severa maestra’. Dono a Daniela Romagnoli, Fidenza, Mattioli 1885, 2014, p. 47-59.
     4. Dans le Liber ostensor quod adesse festinant tempora, un long traité prophétique écrit en 1356 et
     consacré à la compréhension du temps présent, articulée autour de l’exégèse de nombreuses
     prophéties médiévales non bibliques, Roquetaillade narre les vicissitudes de sa longue détention
     et aussi les terribles conditions subies dans les prisons des couvents mineurs (Jean de
     Roquetaillade, Liber ostensor quod adesse festinant tempora, édition critique sous la direction

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d’André Vauchez par Clémence Thévenaz Modestin et Christine Morerod-Fattebert, Roma, École
française de Rome, 2005 : en particulier, traité neuf, p. 517-521). Le frère mineur parle également
de la prison de Rieux dans le plus bref traité intitulé Vade mecum in tribulatione, composé la même
année, pour être rapidement lu et compris, et guider les fidèles pendant la tribulation
imminente : « De carcere Rivorum per litteram manu mea scriptam feci denuntiationem
predictam » (Giovanni di Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 222).
5. Potestà, Le dernier messie, chapitre 9.
6. Sur l’origine, la nature et la circulation des prophéties papales, voir en particulier : Orit
Schwartz et Robert E. Lerner, « Illuminated Propaganda: The Origins of the ‘Ascende calve’ Pope
Prophecies », Journal of Medieval History, 20,1994, p. 157-191 ; Martha H. Fleming, The Late
Medieval Pope Prophecies: The Genus nequam Group, Tempe, Arizona Center for Medieval and
Renaissance Studies, 1999.
7. Johannes de Rupescissa, Liber secretorum eventuum, édition critique et traduction par Christine
Morerod-Fattebert, introduction historique par Robert E. Lerner, Fribourg, Editions
universitaires, 1994. Dans cette œuvre, Roquetaillade parle de « revelatione eventuum futurorum
sub quatuor summorum pontificum qui ordinate succedent domino pape Clementi VI hodie
seculo regnante » (p. 164) et consacre la narration d’un « intellectus » (la compréhension plus
profonde des évènements présents et futurs) à la description des choses qui regardent la vie de
ces saints papes (§§ 54-59 : p. 164-167). Pour l’usage des prophéties papales dans les œuvres
suivantes, voir respectivement Jean de Roquetaillade, Liber ostensor, p. 883-885 ; Giovanni di
Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 54-58, 73-74 et 84-87 ; Katelyn Mesler, « John of
Rupescissa’s engagement with prophetic texts in the Sexdequiloquium », Oliviana, 3, 2009 [En
ligne] URL : http://journals.openedition.org/oliviana/331.
8. Potestà, Le dernier messie, chapitre 10. Pour les traductions, John of Rupescissa, Vade mecum in
tribulatione. Translated into Medieval Vernaculars, ed. R. E. Lerner, P. Rychterová, Milano, Vita e
Pensiero, 2019.
9. Pour une vision globale sur la relation entre prophétie, eschatologie, politique et violence
populaire, voir : R. E. Lerner, « Medieval Millenarianism and Violence », in Pace e guerra nel basso
Medioevo. Atti del XL Convegno storico internazionale, Todi, 12-14 ottobre 2003, Spoleto, CISAM, 2004, p.
37-52.
10. Sur Francesc Eiximenis et Jean de Roquetaillade, voir R. E. Lerner, « Prophetic Utopias : Olivi,
Rupescissa and Eiximenis », in Utopies i alternatives de vida a l’edat mitjana, Lleida, Pagès, 2009,
p. 69-81 ; sur l’œuvre de Eiximenis, G. L. Potestà, « La città di Francesc Eiximenis. A proposito del
‘Dotzè del Crestià’ », Caplletra, 43, 2007, p. 161-175.
11. R. E. Lerner, « ‘Popular Justice’ : Rupescissa in Hussite Bohemia », in A. Patschovsky, Fr.
Šmahel ed., Eschatologie und Hussitismus, Praha, Historisches Institut, 1996, p. 39-52.
12. Id.,      « “John   the   Astonishing” »,   Oliviana,    3, 2009   [En    ligne]    URL :      http://
journals.openedition.org/oliviana/335.
13. Potestà, Le dernier messie, p. 152.
14. Roquetaillade annonce la manifestation d’un saint pape – le Reparator – suivie par l’action
d’un roi français saint et destiné à recevoir par Jésus-Christ le pouvoir sur le monde entier ; celui-
ci obéira en tout au réparateur et tous deux, dans un laps de temps de neuf ou dix ans et demi,
sauveront la chrétienté et détruiront la tyrannie de Mahomet. Sur la figure eschatologique d’un
empereur des temps finaux, voir Katelyn Mesler, « Imperial Prophecy and Papal Crisis: The Latin
Reception of The Prophecy of the True Emperor », Rivista di storia della Chiesa in Italia, 61, 2007,
p. 371-415 ; sur la relation entre manifestation de l’Antéchrist et empereur (ou empire), ayant la
fonction de ‘katéchon’ qui doit retenir la persécution finale, voir G. L. Potestà, Le dernier messie,
p. 13-17 ; 30-31, et Id., « The Vaticinium of Constans. Genesis and original purposes of the legend of
the Last Word Emperor », Millennium, 8, 2011, p. 272-289.

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15. Dans le Vade mecum in tribulatione, toute la texture de l’œuvre est pensée comme une scène de
théâtre où alternent les différentes figures eschatologiques, dans le cadre des évènements
apocalyptiques. En particulier, les chapitres centraux montrent les actions successives de tous
ces personnages : après la manifestation de l’Antéchrist oriental, apparu dans l’Intentio 5 entre un
groupe de fléaux attendus pour cinq années à partir de 1360 ; l’Intentio 8 annonce l’Antéchrist
occidental, empereur hérétique, nouveau Néron, bête apocalyptique qui sévira sur le monde
entier pendant trois années et demie ; viendra ensuite le tour du Reparator, caractérisé, dans l’
Intentio 9 par des traits messianiques, comme un saint pape qui viendra en secours de l’Église et
du monde ; l’Intentio 10 introduit les deux témoins apocalyptiques, deux frères mineurs qui
agiront contre l’Antéchrist pendant les trois années et demie de sa persecution ; dans l’Intentio
11, le saint pape persécuté et acculé par ses ennemis et aussi ses amis, est finalement aidé par
Jésus Christ et soutenu par un empereur saint, qui apparait dans l’Intentio 12. Pour la structure
globale du Vade mecum, voir Giovanni di Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 66-70.
16. G. L. Potestà, « Il profeta degli Anticristi, del Papa angelico e del Millennio », Oliviana, 5, 2016
[En ligne] URL : http://journals.openedition.org/oliviana/849.
17. Pour la définition et les articulations du millénarisme, voir R. E. Lerner,
«Millennialism », in The Encyclopedia of Apocalypticism, II, ed. B. McGinn, New York,
Continuum, 1998, p. 326-360 ; G. L. Potestà, «Escatologia, apocalittica, millenarismo »,
Atlante del Cristianesimo, I Dalle origini alle chiese contemporanee, Torino, UTET, 2006, p.
314-335.
18. L’expression est de R. E. Lerner, « Joachim of Fiore’s Breakthrough to Chiliasm », Cristianesimo
nella storia, 6, 1985, p. 489-512.
19. La référence biblique est Daniel 12,11, qui devient aussi le fondement biblique de la théologie
de l’histoire et de la chronologie eschatologique du système de Roquetaillade, comme le frère
mineur l’explique dans le deuxième traité du Liber ostensor (Jean de Roquetaillade, Liber ostensor,
p. 113-121) et encore, en forme résumée, dans la vingtième intention du Vade mecum (Giovanni di
Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 262-265). Sur la chronologie de Roquetaillade, voir
Giovanni di Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 44-47.
20. La vie et l’œuvre de Joachim, dans ses composantes doctrinaires et théologiques, et les
questions chronologiques relatives à la composition de son œuvre, ont été étudiées par Gian Luca
Potestà, Il tempo dell’Apocalisse ; sur le sabbat de l’histoire, R. E. Lerner, « Refreshment of the
Saints », Traditio, 32, 1976, p. 97-144, et Id., « The Medieval Return to the Thousand-Year
Sabbath », in R. K. Emmerson, B. McGinn ed., The Apocalypse in the Middle Ages, Ithaca-London,
Cornell University Press, 1992, p. 51-71.
21. L’élément joachimite constituait pour la première génération des frères un motif très fort de
conscience identitaire, qui reconduisait le charisme de l’ordre, non seulement à une fonction
ecclésiastique ou une vocation divine, mais aussi et surtout à une mission eschatologique
proposant une révélation du sens de l’histoire. Voir G. L. Potestà, « Le forme di una retorica
profetica e apocalittica : i Fratri Minori e il Gioachinismo (secoli XIII-XIV) », in El fuego y la
palabra. San Vicente Ferrer en el 550 aniversario. Actas del Ier Simposium Internacional Vicentino,
Valencia, 26-29 de abril de 2005, Valéncia, Emilio Callado Estela, 2007, p. 233-256.
22. Sur l’étroite relation entre révélation et pauvreté dans l’œuvre de Pierre de Jean
Olivi, voir Sylvain Piron, « Le métier de théologien selon Olivi. Philosophie, théologie,
exégèse et pauvreté », in Catherine König-Pralong, Olivier Ribordy, Tiziana Suarez-Nani
(éds.), Pierre de Jean Olivi. Philosophe et théologien, Berlin, De Gruyter, 2010, p. 17-85 ; sur
la Lectura super Apocalypsim, David Burr, Olivi’s Peaceable Kingdom: A Reading of the
Apocalypse Commentary, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1993.

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L’historien et ses prophètes   10

23. Le calcul de Pierre de Jean Olivi est la prémisse immédiate du millénarisme littéral de
Roquetaillade ; sur ce passage et la relation entre les deux, voir R. E. Lerner, « Millennialism »,
p. 350-353 ; Id., « The Medieval Return to the Thousand-Year Sabbath », p. 61-68.
24. C’est la raison pour laquelle on peut parler de ‘joachimisme olivien’, c’est-à-dire une variante
proprement franciscaine et spirituelle des attentes joachimites pour le troisième âge. Voir
Sylvain Piron, « L’ecclésiologie franciscaine de Jean de Roquetaillade. À propos d’une édition
récente », Franciscan studies, 65, 2007, p. 281-294.
25. Cette ‘urgence’ est remarquable dans plusieurs passages du Vade mecum in tribulatione : « Et
scribo vobis ista non ad celandum sub modio obscuro, sed ad innotescendum fratribus
quibuscumque devotis et dignis fugere tiphonicam de celis tribulationem paratam volentibusque
penitere perfecte et orare, ut digni habeantur reservari a facie gladii preparati ad eradendum
sceleratos peccatores de terra » (p. 218-219) ; « Suscipite ergo hoc munusculum cum Christi laude
et gloria eius, quia ad intendendum orationi, ad agendum penitentiam, ad providendum foveam
preparatam, ad precavendum a periculis, ad vitandum errores, ad cognoscendum seductores, ad
aperiendum oculos mentis, ad fugiendum laqueos varios, ad querendum loca opportuna pro fuga
necessaria, et ad providendum de victualibus toto tempore tribulationis, et ad instruendum
fideles simplices et ad ipsos stimulandum ad bonum, et ad retrahendum a malo et ad
perseverandum in tribulationibus notabiliter prodest per internam cooperationem gratie Iesu
Christi » (p. 222-223) ; « Suscipite ergo ad gloriam Christi librunculum istum, ut vadat vobiscum
in tribulatione instanti ad aperiendum oculos mentis, ut possitis precavere mails tantis ac talibus
tam proximis » (p. 265).
26. « Ego quidem, pater mi, nolo quod vos aut quisquam hominum fidem hadibeat dictis meis,
nisi in quantum occulta experientia demonstrabit ad sensum quoniam ea que denuntio erunt
inviolabiliter vera aut Deo aliter disponente non evenient sicut ea evenire predico. Si evenerint,
pro certo multum erit orbis culpabilis coram Deo, qui tan cece meam veram denuntiationem
contempsit » (Giovanni di Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 219-220).
27. Pour une plus ample considération des deux visions de Joachim, voir G. L. Potestà, Il tempo
dell’Apocalisse, p. 13-16 et 340-347.
28. « Anno primo noviciatus mei ad ordinem, scilicet anno MCCCXXXII, in estate, in sompnis,
hora meridiei vel circa, vidi me esse cum notabili multitudine fratrum minorum juvenum ultra
mare in rippa. Et cum descendissemus ad terram, audivimus rumores publicos dicentes
Antichristum fore natum in oriente, in civitate que Zayton dicebatur » (Jean de Roquetaillade,
Liber ostensor, septième traité, p. 372).
29. Dans le passage du Liber secretorum eventuum qui traite de la révélation de la venue de
l’Antechrist, la vision comme est présentée comme venant ratifier une connaissance qui peut être
établie « de façon rationelle et scientifique » ; le recours au surnaturel fonctionne comme
relecture de la recherche doctrinale à la lumière du Saint Esprit, qui n’écrase pas mais, au
contraire, exalte les capacité de l’intellect humain. « Intellexi esse futurum ut, circa annum
Domini MCCCLXVI, incipiet mundus affligi gravissime per maximum ac proximum Antichristum,
et maxime a prefato anno infra consequentes decem annos; et intellexi hoc posse ex Scriptura
scientifice et rationabiliter declarari. Nam intellexi quod cum Danielis capitulo XII dicitur : A
tempore cum ablatum fuerit iuge sacrificium et posita fuerit abominatio in desolationem, dies MCCXC, ibi
iuge sacrificium stat pro ‘sacrificio Veteris Testamenti’ […] computandi sunt ergo MCCXC anni a
tempore ablationis iugis sacrificii Veteris Testamenti, quod fuit post LXXV annos a nativitate domini
nostri Iesu Christi. […] Et totum istum capitulum plene etiam intellexi anno Christi MCCCXL vel
circa, Aureliaci, in choro, in die Nativitatis Virginis gloriose Marie hora matutinali, cum
incepimus Te Deum laudamus. Tunc enim etiam in momento apertus est michi intellectus et clare
intellexi superius declarata » (Iohannes de Rupescissa, Liber secretorum eventuum, p. 144-146).
30. L’approche historique, religieuse, spirituelle et psychologique du prophétisme
biblique est un thème central pour les études bibliques comme pour les sciences

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sociales ; à ce propos, on peut renvoyer au volume Prophètes et prophétisme, sous la
direction de André Vauchez, Paris, Seuil, 2012. Dans ce volume, le premier chapitre,
consacré par Pierre Gibert au prophétisme biblique, met en évidence que, dans la Bible,
le prophète, non seulement messager mais davantage encore interprète du message
reçu, fonde son autorité sur le lien exclusif avec Dieu. Sa mission est donc totalement
inscrite dans une expérience personnelle qui détermine sa vocation et son autorité. Le
prophétisme est attestation irrécusable d’un face à face avec Dieu, et donc il peut être
exigeant dans la même mesure à l’égard du peuple.
31. Christine Morerod-Fattebert, « Un style, un homme ? L’exemple de Jean de Roquetaillade »,
Oliviana, 5 2016 [En ligne] URL : http://journals.openedition.org/oliviana/846
32. Comme il est écrit dans le prologue du Vade mecum : « Gaudeo de reparatione futura, sed
contristor de imminenti pressura universi populi Christiani durissima, quali numquam fuit ab
origine mundi nec postea futura est usque ad finem orbis. Opusculum istud volo vocari Vade
mecum in tribulatione, quia habens ipsum a periculis instantis, si dignus inventus fuerit, poterit
precavere et alios dirigere in agendis » (p. 220).
33. La figure de Jonas apparait deux fois dans le Vade mecum : la première, alors que
Roquetaillade parle de lui-même comme prophète (« et ego confusus et iratus remaneam sicut
Ionas », p. 220) ; la deuxième, alors qu’il parle du Reparator comparé à Jean Baptiste (« Hic est
Ionas propheta mittendus de ventre ceti in proximo in signum et portentum Ninivitico populo
scelerato », p. 241) ; pour cette deuxième référence, on peut trouver un parallélisme dans le Liber
ostensor, au cinquième traité (p. 304-307).
34. Le mot reparator est absent dans son œuvre de 1349 et fait son apparition dans le
Sexdequiloquium, composé en 1352, où se trouvent beaucoup de sources prophétiques utilisées et
commentées dans les deux œuvres de 1356. Pour une considération des textes connus par Jean de
Roquetaillade et leur réélaboration dans le nouveau cadre doctrinal, voir K. Mesler, « John of
Rupescissa’s engagement with prophetic texts in the Sexdequiloquium ».
35. Sur les conséquences politiques et sociales de la bataille de Poitiers, voir Giovanni di
Rupescissa, Vade mecum in tribulatione, p. 65-66 (avec la note 7) et bibliographie citée.
36. Comme il semble clair par la structure du Vade mecum, où les Intentiones centrales sont
presque totalement réservées à la figure eschatologique du Reparator.
37. C’est un processus reconnaissable dans l’évolution de la construction de la figure
eschatologique du Reparator. Si, comme on l’a dit, ce personnage a comme modèle le
pastor angelicus attendu dans les prophéties papales, il a, en même temps, un lien fort
avec la rhétorique franciscaine de l’attente d’un homme spirituel annoncé par les
figures angeliques de l’Apocalypse de Jean, en particulier les anges des chapitres 7,2 et
10,1 (la référence à François de Assise concerne surtout l’ange d’Apocalypse 7). C’est
dans les variations du ‘poids’ de ces deux figures apocalyptiques dans les écrits de
Roquetaillade que l’on peut identifier l’abandon progressif des références proprement
franciscaines et spirituelles dans son œuvre, et le choix d’une figure davantage capable
de représenter l’attente d’un héros eschatologique lié à l’Église romaine. Pour ces
articulations, je me permets de renvoyer à Elena Tealdi, « Hic est angelus in manu habens
libellum apertum. The Use and Meaning of Apocalyptic Angels in Prophetical Works: The
History of a Biblical Model from Joachim to Rupescissa», Annali di scienze religiose, 5,
2012, p. 171-197.
38. Walter Benjamin, « Écrits français », Gesammelte Schriften, 7 Bande, Suhrkamp Verlag, Berlin,
1955, p. 441-442.
39. G. L. Potestà, « Il profeta degli Anticristi, del Papa angelico e del Millennio ».

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RÉSUMÉS
L’article aborde des traits fondamentaux de la recherche historique de Gian Luca Potestà sur le
prophétisme médiéval : l’interrogation de ses protagonistes comme méthode herméneutique et
la compréhension profonde de ses rhétoriques. L’étude des œuvres de Jean de Roquetaillade,
frère mineur du XIVe siècle, permit de comprendre l’évolution de rhétoriques messianiques et
figures apocalyptiques, progressivement façonnées à partir de la confrontation avec les
événements historiques, en essayant d’en comprendre le dessein providentiel

L’articolo affronta alcuni tratti fondamentali della ricerca storica di Gian Luca Potestà sul
profetismo medievale : l’interrogazione dei suoi protagonisti come metodo ermeneutico e la
comprensione profonda delle sue retoriche. Lo studio delle opere di Giovanni d Rupescissa, frate
minore del XIV secolo, permette di cogliere lo sviluppo di retoriche messianiche e figure
apocalittiche, progressivamente plasmate a partire dal confronto con gli eventi storici, nel
tentativo di comprenderne il disegno provvidenziale.

The paper deals with some fundamental aspects of Gian Luca Potestà’s historical research on
medieval propheticism : its protagonists’ interrogation as hermeneutic method, and the deep
comprehension of its rhetorics. The study of the XIV-century friar minor John of Rupescissa’s
works, allows us to understand the evolution of messianic rhetorics and apocalyptical figures,
that were gradually moulded, looking at the historical events and looking for their providential
plan.

AUTEUR
ELENA TEALDI
Università Cattolica del Sacro Cuore, Milano

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