L'Époque de Matthieu Bareyre - Les Fiches du Cinéma
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LE MENSUEL L’Époque de Matthieu Bareyre Monsieur Link de Chris Butler Je vois rouge de Bojina Panayotova AVRIL 2019 La Lutte des classes de Michel Leclerc Ray & Liz de Richard Billingham 90’s de Jonah Hill rencontres avec Beatriz Seigner pour Los Silencios Gilles Perret et François Ruffin • pour J’veux du soleil ! #4 Michael Bully Herbig pour Le Vent de la liberté
SOMMAIRE FILMS DU 3 AVRIL 2019 Captive State de Rupert Wyatt HH Curiosa de Lou Jeunet HHH L’Héritage des 500 000 de Toshiro Mifune HH L’Homme à la moto de Agustín Toscano HH J’veux du soleil ! de Gilles Perret et François Ruffin HHH Rencontre avec Gilles Perret et François Ruffin La Lutte des classes de Michel Leclerc HHH Mon inconnue de Hugo Gélin HH Le Parc des merveilles HH Shazam ! de David F. Sandberg H Los Silencios de Beatriz Seigner HHH Rencontre avec Beatriz Seigner Tel Aviv on Fire de Sameh Zoabi HH Terra Willy de Éric Tosti HH Tito et les oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Bitar et André Catoto HHH FILMS DU 10 AVRIL 2019 Ariol prend l’avion ! Film collectif HHH Blanche comme neige de Anne Fontaine HH La Familia de Gustavo Rondón Córdova HHH Genèse de Philippe Lesage HHH Le Grain et l’ivraie de Fernando Solanas H Les Grands squelettes de Philippe Ramos HH L’Incroyable aventure de Bella de Charles Martin Smith HH Love, Cecil de Lisa Immordino Vreeland HHH Les Oiseaux de passage de Cristina Gallego et Ciro Guerra HHH Pour Ernestine de Roldolphe Viémont HHH Ray & Liz de Richard Billingham HHH Royal Corgi de Ben Stassen et Vincent Kesteloot HH Simetierre de Kevin Kölsch et Dennis Widmyer HH Le Vent de la liberté de Michael Bully Herbig HHH Rencontre avec Michael Bully Herbig
FILMS DU 17 AVRIL 2019 Alpha : The Right to Kill de Brillante Ma. Mendoza HH La Camarista de Lila Avilés HHH Le Cercle des petits philosophes de Cécile Denjean HHH L’Époque de Matthieu Bareyre HHH Liz et l’oiseau bleu de Naoko Yamada HHH Menocchio de Alberto Fasulo HHH Monsieur Link de Chris Butler HHH Première campagne de Audrey Gordon HHH La Princesse des glaces : Le Monde des miroirs magiques de Aleksey Tsitsilin et Robert Lence HH Raoul Taburin de Pierre Godeau HHH El Reino de Rodrigo Sorogoyen HH Seule à mon mariage de Marta Bergman HH Working Woman de Michal Aviad HHH FILMS DU 24 AVRIL 2019 L’Adieu à la nuit de André Téchiné HH Aujourd’hui, rien de Christophe Pellet HH Debout de Stéphane Haskel H Disperata de Edoardo Winspeare HHH Je vois rouge de Bojina Panayotova HHH Mais vous êtes fous de Audrey Diwan H La Miséricorde de la jungle de Joel Karekezi HHH Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman HH Ne coupez pas ! de Shinichiro Ueda HHH 90’s de Jonah Hill HHH Un tramway à Jérusalem de Amos Gitai HH Victor & Célia de Pierre Jolivet HHH
ÉDITO Chloé de 3 à 19 C’est comme dans un film d’Agnès Varda. Il y a ce qui est prévu, il y a ce qui n’était pas prévu et il y a la chose jolie qui se passe quand on accueille l’imprévu en faisant confiance au sens artistique du hasard. Ce qui était prévu c’est que cet édito soit consacré à Chloé Rolland, qui, après avoir été pendant ces quinze dernières années la directrice des Fiches (et bien plus encore), en a quitté l’équipe salariée au mois de mars dernier pour partir vers de nouvelles aventures et permettre à l’association de poursuivre sa route en allégeant ses charges… Rédactrice, responsable administrative, créatrice, inspiratrice, moteur à explosion, Chloé a teinté de sa couleur tout ce qu’ont été et tout ce qu’ont fait les Fiches depuis quinze ans. Elle les a représentées, à l’intérieur et à l’extérieur, au téléphone avec vous ou dans les bureaux du CNC. Elle les a également tenues à bout de bras. Il faut dire que dans une autre vie, Chloé avait appris à parler avec les chiffres. À son arrivée, la singularité que constituait le fait de pratiquer cette deuxième langue, pour le moins exotique dans nos rangs, ne passa pas longtemps inaperçue, d’autant qu’elle tombait très bien. En 2004, elle fut ainsi le deus ex machina qui permit de sauver les Fiches, qui traversaient déjà une crise engageant leur survie. C’est grâce à elle que l’histoire a continué, et qu’ont pu s’écrire de nouveaux chapitres, dont il aurait été bien dommage de se passer... Par la suite, avec nos présidents-amis, Cyrille puis François, elle n’a cessé de repartir au combat (l’un de ses premiers enthousiasmes en tant que rédactrice avait été pour un film dont le titre, considéré rétrospectivement, avait valeur de programme : Pas de repos pour les braves !), jusqu’aux batailles d’aujourd’hui. Avec le départ de Chloé, qui reste à nos côtés mais en revenant dans l’équipe des rédacteurs et administrateurs bénévoles, c’est donc une page importante qui se tourne. Les Fiches sans elle à leur tête ne seront plus les mêmes Fiches. L’heure est au renouvellement et à la réinvention. Et puis ce serait sans doute un peu trop cloisonner les choses que de ne pas dire qu’à titre personnel, ce qui se tourne ici, c’est aussi, pour moi, une page professionnelle à laquelle est attachée une page de la vie. Car si l’aventure des Fiches est une aventure collective assez géniale (vous ne trouverez pas partout autant de gens biens, rassemblés ensemble autour d’un même projet), ça été une aventure que nous avons aussi longtemps, parallèlement, vécue à deux, Chloé et moi, au fil d’une collaboration qui nous a semblé si convaincante que nous avons fini par nous marier (comme quoi, bien avant qu’il soit à la mode d’inscrire “fait avec amour” sur les étiquettes de vêtements, les publications des Fiches l’ont vraiment été). Ensemble nous avons longuement galopé dans cette aventure de cinéma qu’étaient les Fiches. Nous avons traversé des nuits blanches, des villes, des épreuves, des euphories, nous avons eu des fous rires et bravé des dangers, nous avons fabriqué des revues, imaginé des livres, rencontré des gens, pensé, rêvé, imaginé, nous avons pris des trains, des voitures, des cuites, des itinéraires Bis, nous avons cotoyé des gentils, croisé quelques méchants, nourri des enthousiasmes : c’était un beau film. Voilà, c’est de ça que je voulais vous parler. Et puis arrive l’imprévu. L’imprévu c’est que la mort d’Agnès Varda, sujet d’édito évident, intervienne juste au moment où je m’apprêtais à rédiger ce texte. Or, si je n’ai finalement renoncé ni à l’un ni à l’autre c’est qu’il y a le joli hasard. Et le joli hasard, c’est d’une part qu’il existe un trait d’union
objectif entre Agnès V. et Chloé R. (j’y reviendrai) et d’autre part que dire ce que j’ai aimé dans les films de Varda et raconter ce que je viens d’évoquer c’est parler de la même chose : le mélange entre la vie et le cinéma. En effet, ce qui m’a toujours semblé le plus beau dans les films de Varda c’est leur façon, gracieuse, fluide, énergique, inspirante, de mêler la vie et les films dans un roulis incessant où l’un et l’autre se nourrissent et deviennent indissociables. Agnès Varda était en quelque sorte le pendant solaire de Jean-Luc Godard, soit une machine de création, se nourrissant de tout, faisant feu de tout bois pour éclairer et réchauffer le réel en permanence. Solaire, car là où le cinéma de Godard s’oppose au réel, l’agresse et le malmène avec en ligne d’horizon l’utopie de le transformer, Varda, elle, avait pour moteur une acceptation sans réserves de la vie et de tout ce qui la constitue : l’ordinaire comme l’extraordinaire ; la joie, l’amour, les enfants, les chansons et les tournesols, mais aussi la douleur et la mort, omniprésente dans une œuvre dont on retient pourtant avant tout le côté ludique et léger (un suicide clôt Le Bonheur, un autre ouvre L’Une chante, l’autre pas ; Sans toit ni loi commence par l’image du cadavre de son héroïne, l’ombre de la maladie et de la mort plane sur Cléo de 5 à 7 et Jacquot de Nantes…). Ce grand oui à la vie, conditionné par un oui préalable à la mort, tenait à une ferme conviction – à la pertinence maintes fois prouvée – dans l’idée que tout peut être transfiguré en œuvre d’art : l’immensité de la mer ou le grain de la peau, Louis Aragon ou le boulanger du coin, un château ou une pomme de terre... Ce rapport à la vie, gourmand et généreux, s’est traduit, dans son cinéma, par une cohabitation perpétuelle entre le documentaire et la fiction. Déjà son premier film, La Pointe courte était conçu comme un mille-feuilles superposant régulièrement couches de fiction et couches de documentaire. Passant de la photographie au cinéma et du cinéma à l’art contemporain, gonflant sa voile à tous les vents de libération, artistiques, techniques ou idéologiques qui passaient (la nouvelle vague, les mouvements féministes, l’apparition des caméras numériques…), faisant toujours, suivant l’expression de Godard, “les films possibles là on est”, sautillant du court au long, du film de voyage au film de quartier, de la carte postale au journal intime et du portrait à la nature morte, Varda a mis une énergie inaltérable à faire sauter les cloisons. Si bien qu’au bout du compte, sa vie toute entière était devenue une œuvre d’art : elle avait transformé sa maison en décor, en bureau de production, en studio de cinéma, ses voisins en acteurs, sa famille en troupe, son couple en icône, son chat en statue, sa coupe de cheveux en logo … Et donc, si Agnès Varda était cette grand-mère chérie de tous les cinéphiles, au-delà de l’admiration que pouvait susciter un bouquet de films majeurs signés de son nom, c’était sans doute pour cela : pour avoir accompli si pleinement, en lui donnant l’air d’être si simple et accessible, ce fantasme que nous partageons tous : vivre “en cinéma”. Pour en revenir au trait d’union, c’était en 2013, au festival de Cannes. Chloé était juré Caméra d’Or et Agnès Varda était la présidente du jury. Elles ont passé comme ça tout un festival ensemble. C’était un moment marquant, elle vous le racontera peut-être un jour. À ce moment-là Chloé et moi nous étions lancés, parallèlement aux Fiches, dans un projet solo : la conception de bébés. Le premier était alors en pré-production, et dans ses oreilles à peine terminées coulait déjà la voix d’Agnès Varda, qu’il pouvait, depuis le ventre de sa maman, entendre parler de cinéma. Au mois de décembre suivant il est né et s’est appelé Ulysse, du nom d’un marin grec, d’un roman de James Joyce et d’un film d’Agnès Varda. NICOLAS MARCADÉ
Captive State (Captive State) de Rupert Wyatt Dix ans après qu’une espèce extraterrestre a envahi SCIENCE-FICTION Adultes / Adolescents la Terre, et que les gouvernements humains ont capitulé, la résistance s’organise… Un film de SF tenu u GÉNÉRIQUE et à la modestie louable, mais au récit quelque peu Avec : John Goodman (William Mulligan), Ashton Sanders (Gabriel prévisible et à l’esprit de sérieux dommageable. Drummond), Jonathan Majors (Rafe Drummond), Vera Farmiga (Jane Doe), Kevin Dunn (le commissaire Eugene Igoe), James Ransone (Patrick Ellison), Alan Ruck (Charles Rittenhouse), Madeline Brewer (Rula), Colson Baker (Jurgis), Kevin J. O’Connor (Kermode), Ben Daniels (Daniel), Caitlin Ewald (Anita), Lawrence Grimm (Evan Hayes), Guy Van Swearingen (Eddie), Elena Flores (Flores), D.B. Sweeney (Levitt), Rene Moreno (le coursier), Yasen Peyankov (le hackeur), Tar’honda M. Jones (Barbosa), Shannon Cochran, Patrese McClain, Chiké Johnson, Megan Brooke Long, Chronicle Wilchrist Ganawah, Alex Henderson, Lucien Cambric, KiKi Layne, Avery Lee, Bries Vannon, Jason Bradley, James Hatten. Scénario : Erica Beeney et Rupert Wyatt Images : Alex Disenhof Montage : Andrew Groves 1er assistant réal. : Jonas Spaccarotelli Scripte : Sarah Schooley Musique : Rob Simonsen Son : Paul Hsu Décors : Keith P. Cunningham Costumes : Abby O’Sullivan Effets spéciaux : Jordan Gianneschi et Dan Steinhaus Effets visuels : © Metropolitan Eric Pascarelli Dir. artistique : Chris Cleek et Dawn Swiderski Maquillage : Zsofia Otvos Casting : Sheila Jaffe et Joan Pilo Production : Lighfuse & Gettaway et Participant Media Pour : HH Le très compétent Rupert Wyatt, signataire voici Storyteller Distribution Producteurs : David Crockett et Rupert quelques années du tout premier volet du reboot de La Planète Wyatt Distributeur : Metropolitan Filmexport. des singes - sans prétendre toutefois à l’ampleur qu’à sa suite, en deux temps il est vrai, déploierait le doué Matt Reeves -, 109 minutes. États-Unis, 2019 s’attaque ici, quoique par la bande, à l’argument bien connu Sortie France : 3 avril 2019 (disons, de La Guerre des mondes à Attack the Block, de la SF u RÉSUMÉ grand format à l’aimable pochade lo-fi - tout un nuancier en Chicago, années 2020. Dix ans plus tôt, des extraterrestres somme) de l’invasion extraterrestre. Par la bande car Wyatt, ont attaqué la Terre. Les gouvernements humains leur ont ici co-scénariste, s’intéresse quant à lui à l’après - l’après-guerre, prêté allégeance... Le jeune Gabriel, lui - dont le frère Rafe, pour être exact : une fois que les humains ont rendu les armes, mort au combat, est célébré en héros de la résistance - ne comment coexister avec l’occupant ? Faut-il courber l’échine ou au l’a jamais accepté. De son côté, William Mulligan, policier contraire ourdir une résistance violente, quelles que soient et ancien coéquipier du père de Gabriel, collabore avec les représailles à l’encontre des civils ? Soit en quelque les envahisseurs. Entre deux visites, toutefois, à une prostituée sorte la problématique de V, sympathique série télévisée des qui vit à Pilsen, le quartier de Gabriel. Lequel découvre que Rafe est vivant… et qu’avec quelques autres, il prépare années 1980 qui, elle, ne faisait pas grand mystère du parallèle l’assassinat d’un dignitaire extraterrestre à l’occasion de qu’elle établissait avec l’Occupation nazie... Tout cela est la “Fête de l’unité”. Mulligan, qui a pisté Gabriel, s’efforce dans l’ensemble maîtrisé, mais quelque peu engoncé dans en vain de déjouer l’attentat : le dignitaire est tué. un esprit de sérieux dommageable (qui a au moins pour lui son SUITE... Gabriel, qui a rejoint la résistance, est capturé. Ses ancrage réaliste, son souci de quotidienneté et d’économie camarades sont abattus. Mulligan lui propose un marché : il de moyens, son inscription dans un environnement urbain doit livrer le chef de la résistance, sans quoi Pilsen sera rasé resserré - quelques quartiers de Chicago pour l’essentiel - et et Rafe abattu. Il s’y résout : il s’agit de la prostituée, qui est plutôt bien vu), et que peinent à porter des acteurs en mal de assassinée par les forces de l’ordre. Mulligan découvre que charisme (Ashton Sanders) ou peu présents (Vera Farmiga, celle-ci avait pour clients des hauts gradés, leur soutirait cinq bonnes minutes à l’écran). On peine à se passionner pour des informations et en gardait des enregistrements. Parmi ce récit rebattu et dont on devine, très tôt, qu’il se conclura eux, le Commissaire Igoe, chef de la police de Chicago, est relevé de ses fonctions. Mulligan est promu à son poste. d’un twist dont, sans deviner les détails, on pressent, tôt Libéré, Gabriel découvre que Mulligan et la prostituée - amis une fois encore, lesquels des protagonistes cachaient leur jeu de ses parents - étaient de mèche : l’échec de l’opération et, secrètement, œuvraient pour l’occupant ou la résistance. faisait partie de leur plan. Convoqué dans le vaisseau- Reste toutefois la présence de John Goodman, parfait en mère extraterrestre, Mulligan s’y rend pour y commettre collabo à l’ignominie tranquille. _T.F. un attentat-suicide. Visa d’exploitation : 150634. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 400 copies (vo / vf). 6 © les Fiches du Cinéma 2019
Curiosa de Lou Jenet Ce premier film de Lou Jeunet imagine la relation entre CHRONIQUE SENTIMENTALE Adultes / Adolescents Pierre Louÿs, auteur de romans érotiques, photographe, libertin, et sa modèle Marie de Régnier. Curiosa, u GÉNÉRIQUE œuvre sensuelle et élégante, est surtout la révélation Avec : Noémie Merlant (Marie de Heredia), Niels Schneider d’une réalisatrice culottée et talentueuse. (Pierre Louÿs), Benjamin Lavernhe (Henri de Régnier), Camélia Jordana (Zohra Ben Brahim), Amira Casar (Madame de Heredia), Scali Delpeyrat (José-Maria de Heredia), Mathilde Warnier (Louise de Heredia), Mélodie Richard (Hélène de Heredia), Émilien Diard-Detoeuf (Jean de Tinan), Damien Bonnard (André Chaumeix), Guilhem Fabre (Claude Debussy), Alexia Giordano (la bouquetière), Akkram Soussi (le musicien au tambour), Manuel Senra (le dresseur d’autruches), Charlotte Bigeard (la nourrice de l’autruche), Kelly Windrestein (la modèle), Alice Lacharme (la nourrice du bébé “Tigre”), Luc & Florian Petit-Jean (Bébé “Tigre”), Théo Hakola (le majordome), Christophe Botti et Christian Sénat (les invités de Pierre Louÿs), Lucas Monjal (le jeune télégraphiste). Scénario : Lou Jenet et Raphaëlle Desplechin, d’après une idée de Lou Jenet Images : Simon Roca Montage : Anita Roth 1re assistante réal. : Élodie Roy Scripte : Josiane Morand Musique : Arnaud Rebotini Son : Rémi Daru, Damien Boitel et Benjamin Viau Décors : © Curiosa Films Yann Mégard Costumes : Valentine Breton des Loÿs Maquillage : Natali Tabareau-Vieuille Casting : Pierre-François Créancier Production : Curiosa Films Coproduction : Playtime Producteur : HHH Un carton, au début du film, nous prévient : Olivier Delbosc Productrice exécutive : Christine de Jeckel Producteur une curiosa est un objet chargé d’un caractère érotique, associé : Émilien Bignon Distributeur : Memento Films. grivois. Les puritains passeront leur chemin. Car si le film de Lou Jeunet ne cède jamais à la pornographie - elle y met 107 minutes. France, 2018 bien trop de cinéma ! - l’érotisme y est fondamental, Sortie France : 3 avril 2019 tout l’enjeu de ce récit étant de porter à l’écran la relation u RÉSUMÉ de Pierre Louÿs, écrivain décadent à la prose raffinée, Amoureuse du séducteur Pierre Louÿs, qui l’apprécie et de son amante et modèle Marie de Régnier, mariée également, Marie doit se résoudre à épouser son ami malgré elle et dont les clichés témoignent aujourd’hui de Henri, un poète. En 1897, Pierre, photographe et écrivain, la double vie. Ce pari de la sensualité est pleinement revient de voyage à Paris avec une Algérienne, Zohra, qui réussi, d’abord grâce à une mise en scène très élégante qui distribue ses faveurs à tout son groupe d’amis et que Pierre saisit avec justesse les jeux de regard, les petits gestes, et photographie dans des poses suggestives. Jalouse, Marie une forme de nonchalance très fin de siècle. Ensuite grâce va voir Pierre en cachette. Ils entament une relation et elle à des acteurs investis qui semblent avoir totalement demande à poser pour lui. confiance dans la caméra. Noémie Merlant et Camélia SUITE... Marie est de plus en plus jalouse de Zohra, dont Jordana promènent ainsi fièrement leur nudité comme elle découvre les clichés et que Pierre emmène à un pied de nez à la bienséance, et la caméra capture l’opéra. Henri découvre les photos de Marie. Furieux, il l’agresse. Quand Marie se met à pleurer devant lui, Pierre une jolie complicité entre Pierre et Marie, eux-mêmes renvoie Zohra, furieuse. Elle s’explique avec Marie et traversés par des émotions complexes, se forçant à les deux femmes ont une relation sexuelle. Henri s’explique appréhender leur relation comme un jeu jusqu’à ce que avec Pierre, qui part pour Alger retrouver Zohra. Marie leurs sentiments prennent le dessus. Tout cela reste dans est désespérée. Elle croise Jean, un ami de Pierre qu’elle la sphère de l’intime, loin de la reconstitution académique des retrouve chez ce dernier. Pierre revient. Marie met fin cercles décadentistes attendue. Et si l’on entend du Debussy, à sa relation avec Jean, qui se suicide. Pierre refuse la bande-son est surtout contemporaine, comme les détails de voir Marie, et apprend qu’elle est enceinte. Marie des costumes. Il faut passer outre certains anachronismes lui explique que le bébé est le sien et s’appellera Pierre, Henri lui demande d’en être le parrain et de reprendre - la vue de Paris avec La Défense au loin, ou ces feux de sa relation avec Marie... Marie apprend que sa sœur circulation qui illuminent la fin du film. S’il fallait vraiment Louise aime Pierre. Pierre couche avec Louise, Marie regretter quelque chose, c’est que Lou Jeunet, auteure le convainc de l’épouser. Pierre fait des photos des deux d’une partition intelligente, parfois envoûtante, refuse de sœurs mais perd la vue. Marie écrit un livre, qui est nous faire rire ou pleurer. _M.Q. un succès. Visa d’exploitation : 146899. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 70 copies. 7 © les Fiches du Cinéma 2019
L’Héritage des 500 000 (Gojuman-nin no isan) de Toshirô Mifune Pour son seul film comme réalisateur, Toshiro Mifune AVENTURES Adultes / Adolescents proposait en 1963 une aventure aux Philippines restée inédite. Utile à la connaissance de la star, cette chasse u GÉNÉRIQUE au trésor hantée par la Guerre était une œuvre trop Avec : Toshirô Mifune (Takeichi Matsuo), Tatsuya Mihashi consciencieuse pour passer à la postérité. (le capitaine Keigo Gunji), Tsutomu Yamazaki (Tsukuda), Mie Hama (la native d’Igorot), Yuriko Hoshi (Masako Matsuo), Yoshio Tsuchiya (Yamazaki), Sachio Sakai (Igarashi), Yoshifumi Tajima (Yasumoto), Tetsu Nakamura (l’Asiatique), F.J. Horning (l’étranger au cigare), Evie King (la femme de l’étranger), Teddy Akauiri (l’homme), Keiko Yamada (la femme de la boulangerie), Terry (l’agent de police Paigo), Michio Hayashi (Clark), Tatsuya Nakadai (Mitsura Gunji). Scénario : Ryûzô Kikushima Images : Takao Saitô Montage : Shûichi Anbara 1er assistant réal. : Shigekichi Takemae Scripte : Teruyo Nogami Musique : Masaru Satô Son : Fumio Yanoguchi Décors : Yoshirô Muraki Production : Toho, Mifune Productions Co. et Takarazuka Motion Picture Company Producteurs : Masumi Fujimoto et Tomoyuki Tanaka Producteur associé : Toshirô Mifune Distributeur : Carlotta Films. © Toho HH En ouverture, deux minutes didactiques nous exposent le moteur scénaristique de l’aventure : un tas de pièces d’or enfoui pendant la Seconde Guerre mondiale par les Japonais au cœur des Philippines. Le film va ensuite 97 minutes. Japon, 1963 décrire l’opération clandestine montée vingt ans plus tard Sortie France : 3 avril 2019 pour récupérer ce magot et, à travers l’opposition entre des u RÉSUMÉ mercenaires cupides et un homme à la droiture remarquable, En 1942, l’armée japonaise transporte des caisses d’or à développer un conflit moral davantage que physique. travers les Philippines. À la fin de la guerre, le trésor a disparu. Le choix proposé est le suivant : s’enrichir, ou au contraire En 1962, au Japon, un industriel propose à Matsuo de participer faire profiter du trésor aux familles des 500 000 Japonais à une expédition clandestine pour récupérer ces pièces car il morts au combat dans la région. Si le picaresque, provoqué est le dernier survivant à savoir où les trouver. Matsuo refuse par des personnages fortement caractérisés, pointe son nez mais est embarqué de force sur un bateau par trois hommes de temps à autre dans ce cadre idéal, le sérieux de l’affaire menés par Gunji Keigo, le frère de l’industriel. Après avoir ne se dément jamais, plombant souvent le récit et l’émotion traversé un typhon, ils débarquent discrètement aux Philippines. Matsuo s’oppose aux autres, leur reprochant authentique liée aux douloureux souvenirs guerriers. Mifune leur rapacité et craignant de se faire descendre une fois a cherché à effectuer son travail correctement, sans faiblir ni révélé l’emplacement des caisses. Après avoir traversé sans briller. S’il offre ici sa belle présence à l’écran, il en a oublié encombre le territoire d’une tribu, les Igorots, ils touchent de se filmer réellement en action (alors que son corps en au but mais le trésor n’est plus à sa place. mouvement impressionnait tant chez Kurosawa), occupé à SUITE... Pour poursuivre tranquillement leurs recherches, enregistrer, entre deux séquences un peu plus agitées, de ils ligotent Matsuo. Mais celui-ci est libéré par un Igorot, qui longs dialogues/discours sur la nécessaire foi en l’humanité. se révèle être un ancien soldat japonais ayant gardé l’œil sur Formulée maintes fois par son personnage, cette espérance le trésor dans l’espoir de revoir un jour des compatriotes. se double d’un fort sentiment patriotique poussant au respect Matsuo récupère les pièces et réussit à convaincre l’équipe entre les générations du “nouveau Japon”. À la fin d’un film de repartir en emmenant son sauveur, qui est finalement structuré au fil de tours de force scénaristiques, Mifune nous abattu par sa propre femme. Lors d’une altercation, Gunji est poignardé. Il meurt le soir, à côté de Matsuo, alors que laisse sur une note tragique et absurde, trop peu convoquée ses trois compères tentent de s’échapper avec l’or, avant jusque-là. Et nous laisse également, ce faisant, dans de se raviser. Le lendemain, en atteignant la plage, ils sont le doute - peut-être alors partagé par lui-même - concernant tous abattus par un homme qu’ils avaient auparavant pris la possibilité qu’il aurait eu de poursuivre plus avant dans pour un touriste mais qui travaille pour un Américain... la réalisation. _E.S. lequel tirait toutes les ficelles. Visa d’exploitation : en cours. Format : Scope - Noir & Blanc - Son : Mono. 10 copies (vo). 8 © les Fiches du Cinéma 2019
L’Homme à la moto (El Motoarrebatador) de Agustín Toscano En Argentine, deux meilleurs amis exercent le vol CHRONIQUE SOCIALE Adultes / Adolescents à l’arraché en moto mais un jour, en dérobant le sac d’une vieille dame, celle-ci est grièvement blessée u GÉNÉRIQUE et frappée d’amnésie. Un film simple mais qui Avec : Sergio Prina (Miguel), Liliana Juárez (Elena), León Zelarrayán vise juste sur le thème de la culpabilité. (León), Daniel Elias (Colorao), Camila Plaate (Antonella), Plar Benitez Vibart (Luz), Mirella Pascual (Flora). Scénario : Agustín Toscano Images : Arauco Hernández Holz Montage : Pablo Barbieri Musique : Maxi Prietto Son : Catriel Vildosola Décors : Gonzalo Delgado Galiana Costumes : Gonzalo Delgado Galiana Production : Rizoma et Murillo Cine Coproduction : Oriental Features et Gloria Films Producteurs : Natacha Cervi, Hernán Musaluppi, Georgina Baisch et Cecilia Salim Coproducteurs : Diego Robino Picón et Santiago López Producteur associé : Laurent Lavolé Distributeur : Les Acacias. © Rizoma Films HH Second long métrage d’Agustín Toscano, et déjà une deuxième sélection au festival de Cannes. La première fois à la Semaine de la Critique en 2013 pour Los Dueños, et cette fois à la Quinzaine des Réalisateurs. 93 minutes. Argentine - Uruguay - France, 2018 À partir d’un drame social, le réalisateur dresse le tableau Sortie France : 3 avril 2019 de la région de Tucumán, dont il est originaire : en dépit u RÉSUMÉ de la brutalité politique et sociale qui y règne, son Miguel vit en Argentine, à Tucumán. Séparé de sa femme, attachement aux lieux, filmés avec beaucoup de délicatesse, il continue toutefois de la voir, et veille notamment sur est palpable. En soi le scénario, et ce qu’il véhicule, sont son fils. Sans domicile ni source de revenus, il pratique, en d’une simplicité biblique : il s’agit de mettre en scène moto, le vol à l’arraché, avec la complicité de son meilleur la culpabilité d’un personnage (Miguel, qui, en volant ami. Un jour, ils blessent une vieille dame en la traînant sur le sac d’une vieille dame, l’a grièvement blessée), et plusieurs mètres dans la rue. Par culpabilité, Miguel décide de voir jusqu’où celle-ci pourra bien le conduire. La victime d’aller la voir à l’hôpital. Il profite de son amnésie pour se devenue amnésique, Miguel se rapproche d’elle et faire passer pour l’un de ses proches. Ainsi, il entreprend d’entrer dans sa vie... se fait passer pour un proche, jusqu’à l’accompagner, au quotidien, dans sa rééducation. S’entremêlent alors SUITE... Miguel accompagne Elena - qui ne peut presque pour lui, sur fond de culpabilité et de mensonges, plus bouger - chez elle et l’aide au quotidien. Il s’occupe d’elle et s’installe dans l’appartement. Il ne parle plus problématique familiale (son couple qu’il essaie de à son meilleur ami, souhaitant plus être un “voyou”, reconstruire), instabilité financière et disputes avec son même s’il continue à piller les magasins. Il cherche à se meilleur ami... Les personnages de Miguel et Elena réconcilier avec sa femme et à voir plus souvent son fils, (la victime) sont simples mais attachants, et le fait que mais elle ne souhaite pas se remettre avec lui. Un jour, à le scénario ne fasse pas dans la surenchère nous aide la télévision, il se voit filmé dans un magasin par à nous immiscer dans leur quotidien douloureux, à nous une caméra de surveillance. Dès lors, il peine à assumer imprégner, au fil du film, d’un climat social bien senti. l’image qui est donnée de lui et sa réputation de voleur. Lors Il est d’autant plus regrettable que les personnages d’une dispute, il soupçonne Elena de ne pas être la propriétaire de l’appartement, mais la femme de ménage. Son meilleur secondaires ne soient pas davantage approfondis, et qu’ils ami le retrouve chez Elena. Il dévoile à celle-ci sa véritable semblent se borner à des éléments de scénario. Toutefois, identité, et lui apprend que c’est lui qui a blessé Elena. et en dépit d’un dénouement quelque peu expédié, et pour Miguel et son ami se battent. Miguel prend la fuite, mais il ainsi dire décevant, L’Homme à la moto est un film pour est appréhendé et mis en prison. Elena vient tout de même le moins honorable. _F.F. lui rendre visite, accompagnée du fils de Miguel. Visa d’exploitation : 150560. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 40 copies (vo). 9 © les Fiches du Cinéma 2019
J’veux du soleil ! de Gilles Perret et François Ruffin Un documentaire sensible et coloré sur les Gilets DOCUMENTAIRE Adultes / Adolescents Jaunes, débordant d’humanité et qui, malgré des témoignages exprimant une détresse sociale, u GÉNÉRIQUE donne chaud au cœur par ce qu’il montre : la dignité Avec : Gilles Perret et François Ruffin. retrouvée de gens qui cessent de courber la tête. Montage : Cécile Dubois Son : Léon Rousseau Production : Les 400 Clous Producteur : Thibault Lhonneur Distributeur : Jour 2Fête. © Les 400 Clous 75 minutes. France, 2019 HHH Le 9 décembre 2018, François Ruffin (Merci Infos1 patron !) monte dans sa Berlingo, accompagné de son ami Gilles Perret (Les Jours heureux, La Sociale, L’Insoumis) se termine, sur une plage, près de Montpellier, avec afin d’aller, sur les ronds-points, à la rencontre des Gilets Marie chantant la chanson éponyme d’Au p’tit bonheur. Jaunes. Le mouvement en est alors à sa quatrième semaine Le spectateur retiendra de ce périple des rencontres de contestation et les médias le présentent encore comme fortes : la découverte des autres “en se parlant” un ramassis de fascistes homophobes et xénophobes. (Arsy), “le plaisir d’enfant” de construire une cabane Les deux compères sentent que cette vision manichéiste (Mâcon), Khaled l’amputé des deux jambes (Corenc), est celle de la classe dominante qui ne sait pas écouter Cindy contrainte de fréquenter les Restos du cœur ceux “qui ne sont rien” et qu’elle mérite d’être contrée (Privas), Alain, le maire de Saint-Julien-du-Serre, par un reportage prenant le temps d’écouter ces gens en Natacha et les poubelles de Monoprix (Nîmes), Carole, colère. Façon de renvoyer l’ascenseur à ce manichéisme, l’auxiliaire de vie en mission sur un péage (La Barque), un montage d’extraits des “grands médias” ridiculise et Marie qui a pleuré en écoutant Macron. Rares sont les puissants, qu’ils soient éditorialistes ou politiciens, les films à être à ce point en phase avec l’histoire des en surlignant leurs clichés outranciers. Le voyage dure six luttes sociales. Mai-68 n’avait pas donné lieu à des jours, d’Amiens à Montpellier en passant par Mâcon, l’Ardèche longs métrages réalisés et distribués “en temps réel”. et l’Isère. Les cinéastes reviennent avec 24 heures de rushes Seul pourrait faire figure de précédent La vie est à de rencontres avec des Français.e.s très divers. Le montage, nous, réalisé pour la campagne du Front populaire effectué en deux mois, conserve 11 étapes et au moins autant en 1936, par Jean Renoir, avec d’autres cinéastes d’entretiens approfondis, parfois jusqu’au domicile de ces du PCF et Paul Vaillant-Couturier - encore n’avait-il gens sans langue de bois. Les choix des réalisateurs sont connu qu’une distribution militante. Cette fois, esthétiques et humanistes plutôt que sociologiques, militants un député de la France Insoumise écoute une France ou théoriques : autant dire qu’avec leur empathie avec qui souffre mais qui commence à devenir visible, les classes populaires, ils font vraiment du cinéma politique. et dont la parole se libère. Et surtout une France Les personnes qu’ils filment s’expriment avec franchise et non “intello” qui découvre la politique. Le film offre humanité, et souvent avec humour – même dans la détresse. une radiographie du moment et restera probablement Les cinéastes cultivent leur goût pour le théâtre (les jeux un document précieux pour comprendre le pays de de rôles), les arts plastiques (le portrait géant de Marcel), décembre 2018. Entièrement axé sur les questions le cinéma (L’An 01, bien à propos) et la musique – le film sociales, le film ne développe cependant pas l’urgence commence avec Douce France et Nationale 7 de Trénet et environnementale. _M.B. Visa d’exploitation : 150410. Format : 1,77 - Couleur - Son : Dolby SR. 10 © les Fiches du Cinéma 2019
Rencontre avec Gilles Perret et François Ruffin “ Quand les invisibles deviennent visibles ” À la vision de J’veux du soleil !, documentaire à vif, réactif en tout état de cause, sur les gilets jaunes, il nous a semblé essentiel de rencontrer ses auteurs, François Ruffin et Gilles Perret, afin de prendre la mesure d’un épisode singulier de l’Histoire contemporaine, au moment même où il s’écrit, mais aussi d’un certain rapport au cinéma d’engagement, aux constructions politiques et médiatiques auxquelles, sans doute, il vient répondre. Morceaux choisis d’un entretien au long cours. Gilles, votre dernier film en date, L’Insoumis, est ce qu’on à quel niveau… On a réglé ça au montage, mais il était pourrait appeler un film de campagne. Quant à François Ruffin, évident qu’on allait avoir besoin de ces images-là. Dès le début il s’agissait de Merci patron !, dans un registre différent. du montage, on s’est dit qu’on allait inclure une séquence un peu Comment avez-vous concilié, sinon ces deux formes-là “archives”. On ne savait pas à quel moment le film allait sortir, - on ne saurait vous résumer à vos derniers travaux en et il est toujours utile de recontextualiser. Par ailleurs, ce sont date -, tout du moins vos approches respectives ? Ou votre aussi des questions de rythme. Très tôt, on s’est dit qu’on faisait façon d’envisager les choses était-elle plus intuitive ? un road-movie, et qu’il fallait que ça pulse. De temps en temps, Gilles Perret : C’était plutôt intuitif, en effet. Après, il était clair faire ressortir ce discours-là, le donner à voir en miroir, par que le film allait se faire par-dessus l’épaule de François, qui rapport à l’humanité et au vécu de ces gens-là, ça redonne est un bon personnage, qui sait faire, qui connaît cette approche- du pep’s, du rythme. Le film a été fait dans le mouvement, là. On partait sans preneur de son, autour d’un dispositif sur un mouvement, et il sort dans le mouvement. Il ne fallait minimaliste, et sans savoir si, à l’arrivée, on allait avoir un film… pas que ça devienne le catalogue des misères. On avait donc Au début, j’avais dans l’idée d’être plutôt sur François. On sait deux options : la première, qui consiste à ajouter une petite qu’avec lui, on peut avoir vite du lourd. Mais François ne dose d’humour, au bon moment, et ça, François sait le faire. le sentait pas du tout comme ça, il était peut-être plus sûr Mais, dans de telles situations, il ne faut pas se louper. Faire que moi de ce qu’on allait rencontrer, et petit à petit la caméra une blague, si tu passes à côté, ça peut être dramatique. Mais s’est orientée sur les personnages. Et quel bonheur ça a été… on a l’habitude de travailler dans ces milieux-là, François Je n’ai pas de problème quant à cette façon de faire, j’avais est à l’aise, il n’y a jamais eu de gêne. Ça, c’est la première réalisé, justement, des films un peu plus satiriques. J’aime option, pour dédramatiser. L’autre solution, c’est de faire bien l’humour, les juxtapositions de séquences radicales, des ruptures avec ces images d’archive. Ce sont des choses violentes. Après, on a des caractères opposés, mais qui, dont nous avons discuté. Peut-être François en aurait-il mis justement, se sont bien complétés. C’est du moins le ressenti un peu plus, et moi un peu moins, nous en avons parlé avec qu’en ont les gens. L’aventure était formidable, on ne s’est jamais Cécile, notre monteuse… On a toujours pris les décisions engueulés, en dépit de nos approches différentes. Au moment plus ou moins à l’unanimité, dans la rigolade plutôt que dans du montage non plus. François est très rapide : avec lui, on coupe, la confrontation, ce qui n’est pas facile - deux réalisateurs tac, tac. Moi, j’arrondis plus. Il est dans une rapidité d’analyse, sur le dos d’une monteuse... moi je joue plutôt sur l’humain. Voilà ce qu’on a mis en place. Comment se met-on au service de ces gens, comment fait- Mais, encore une fois, on était plutôt du côté de l’intuition. on le récit de ces rencontres ? Comment détache-t-on des Après, vous connaissez mon travail, ma ligne directrice : figures qui soient représentatives ? l’humain, l’humain, l’humain. Il était évident qu’on n’allait pas Je crois qu’on a ressenti les mêmes choses. Parfois, tu peux faire des tirades politiques, un truc dogmatique, une analyse ressentir, au moment du tournage, des choses que tu ne ressens sociologique, ou prétendre qu’en voyant le film, les gens plus au moment du montage. Là, on est retombés dans sauraient tout sur le mouvement des gilets jaunes. les mêmes niveaux d’émotion, et c’est encore le cas aujourd’hui. La stupidité crasse des éditorialistes, le masque de cire du C’était intense. Notre souci était - attention à ne pas mal pouvoir, et ces moments où, dans le discours d’Emmanuel interpréter ce que je vais dire, car c’est un film très politique Macron, le réflexe de classe reprend le dessus… Tout ce évidemment - de dépolitiser les choses, d’éviter les leaders. contrechamp médiatique, comment avez-vous pensé la place Le leader, forcément, il a déjà été interviewé, il a un discours que, dans le film, vous alliez lui ménager ? rôdé, il parle au nom du groupe. Nous, ce qui nous intéressait, C’est à cause de ça qu’on a fait le film : la déconnexion totale de c’était d’entrer dans l’intime. Et puis de voir, ensuite, comment ce discours-là avec ce qu’on pouvait vivre sur le terrain. En tout on passe de l’intime au groupe, et à la politique. La séquence cas, c’est mon cas. S’il n’y avait pas eu cette arrogance avec Natacha, par exemple, me touche toujours autant. C’est médiatique, celle des éditorialistes, cette avalanche de merde un des moments les plus intenses du tournage, on est sur déversée sur des gens qui, pour la plupart, ne le méritaient pas… le fil. Je ne suis pas cinéphile mais, en France, aujourd’hui, Pour nous, ça allait de soi : on proposait le contre-point. je vois rarement des séquences comme ça. Le choix des Fallait-il donner à voir ce discours médiatique, grossir le trait, personnes se faisait donc au feeling. Après, il y a une autre 11 © les Fiches du Cinéma 2019
question : comment les aborder ? On partait quand même avec Il existe, dans le film comme dans le livre que vous publiez deux handicaps : François avait l’étiquette de député France conjointement [Ce pays que tu ne connais pas, ndlr], Insoumise, moi je tenais une caméra... un angle mort, un mouvement récent dont, curieusement, il n’est jamais fait mention, mouvement dans lequel, François, on voit bien en quoi ce moment est particulier, et pourtant, vous étiez partie prenante - il s’agit de Nuit en quoi votre regard est empreint de bienveillance. Pour debout. Pour quelle raison ? Voyez-vous une continuité, autant, depuis, les violences, la stigmatisation, ont semblé par exemple, avec Nuit debout ; voyez-vous une possible prendre le dessus. Quel regard portez-vous sur ça ? jonction ? Disons, depuis que le montage est terminé ? C’est plutôt le contraire. Nuit debout, j’ai porté le truc, et François Ruffin : Je pense qu’on ne fait pas un film sur j’étais très heureux que ça fonctionne, mais le soir même, le mouvement. On fait un film sur des hommes et des femmes quasiment, j’en ai vu les limites. Pendant Nuit debout, je me qui, à un moment donné, ont revêtu le gilet jaune. Le mouvement demandais quand ça allait bouger à Flixecourt [commune est ce qui permet de les faire surgir sur la scène publique, de la Somme, dans l’arrondissement d’Amiens, ndlr]. On ce qui les aide à libérer leur parole. Je le dis toujours : ça fait vingt ans que je recueille, grosso modo, les mêmes propos, mais voyait très bien que la classe éduquée se mobilisait à Paris dans le silence des appartements, en chuchotant, avec des gens et dans quelques villes - et c’était très bien - mais pas du tout qui ont honte de leur frigo, de ne pas pouvoir payer le centre de la classe populaire. Là, on assiste à une sorte de vacances à leurs enfants… Et là, c’est le moment où les plus renversement : Flixecourt se mobilise, et pas République. invisibles deviennent visibles, où les muets deviennent bavards, Mais ça fait écho, chez moi, à une réflexion plus ancienne : où les résignés sont portés par une espérance. Donc, je ne pense si on veut battre l’oligarchie, qui est quand même solidement pas qu’on fasse un film sur le mouvement et ses revendications, installée, il faut réussir à résoudre le divorce entre la classe ses porte-paroles et ses modes d’organisation. On fait des intermédiaire et les classes populaires... portraits qui, un mois auparavant, auraient sans doute été C’est, dans un entretien que vous avez donné, le sens du impossibles : les gens auraient demandé l’anonymat, ils auraient moment où vous citez Lénine, qui disait que, pour qu’une refusé la caméra. Il aurait fallu négocier pendant des mois situation prérévolutionnaire trouve à s’accomplir, il fallait pour obtenir ce type d’entretiens... Et là, ils viennent tout livrer. “que ceux du milieu basculent avec ceux d’en bas”. C’est aussi une histoire de lien entre l’intime et le politique. Voilà : c’est ça. Et on a un deuxième problème à résoudre, Qu’est-ce qui fait que, d’un seul coup, ce gens sortent de c’est le divorce interne aux classes populaires. Entre les chez eux et aussi, je dirais, d’eux-mêmes. Au montage, on classes populaires blanches, disons, des campagnes ou des intègre quelques images de ce qui s’est passé à Paris, mais périphéries, et qui sont grosso modo dans les gilets jaunes, le choix, c’est quand même d’éviter la capitale. Le film est et les classes populaires d’origine immigrée, des quartiers, terminé le vendredi où on revient, et ce qu’on a capté, c’est et qui, elles, sont absentes. On a ce double divorce à un moment précis, le moment cabane, le moment rond- résoudre pour réussir à renverser l’oligarchie. point, sans même prétendre que ça traduit tout ce qui s’est passé cette semaine-là. Mais ce temps de l’Histoire de notre Propos recueillis à Paris pays. par Thomas Fouet 12 © les Fiches du Cinéma 2019
La Lutte des classes de Michel Leclerc Comme beaucoup de parents, Paul et Sofia sont COMÉDIE SOCIALE Adultes / Adolescents angoissés par la scolarité de leur fils. Confrontés au choix public-privé, ils se cognent aux préjugés et aux u GÉNÉRIQUE réalités de la banlieue parisienne. Bien interprétée Avec : Leïla Bekhti (Sofia), Édouard Baer (Paul), Ramzy Bedia et sincère, la comédie n’évite pas quelques clichés. (Bensallah), Tom Levy (Corentin), Baya Kasmi (Mademoiselle Delamarre), Eye Haidara (Dounia), Oussama Kheddam (Nadir), Laurent Capelluto (Monsieur Toledano), Claudia Tagbo (Madame Traoré). Scénario : Baya Kasmi et Michel Leclerc Images : Alexis Kavyrchine Montage : Christel Dewynter 1er assistant réal. : Mathieu Vaillant Scripte : Delphine Musichini Son : Sophie Laloy Décors : Mathieu Menut Costumes : Elfie Carlier Effets visuels : Benjamin Ageorges Maquillage : Emma Franco Casting : Aurélie Guichard et François Guignard Production : Karé Productions Coproduction : UGC Images, Orange Studio, France 2 Cinéma, Chaocorp Productions et Scope Pictures Producteurs : Fabrice Goldstein et Antoine Rein Dir. de production : Anne Giraudau Distributeur : UGC. © Karé Prod. – UGC Images – Orange Studio – France 2 Cinéma – Chaocorp Prod. – Scope Pictures HHH Les parents veulent toujours le meilleur pour leur progéniture. L’étape scolaire est donc, pour eux, un moment propice aux angoisses. Pour cela, La Lutte des classes parlera à un vaste public en abordant une question 104 minutes. France - Belgique, 2019 d’actualité sociétale, celle de la mixité sociale, et ceci Sortie France : 3 avril 2019 sans masquer les embûches qu’elle induit, notamment u RÉSUMÉ sur la laïcité qui est l’apanage de l’école publique, Paul, anar et batteur punk-rock, et sa compagne Sofia, et dont la mission est, autant que l’instruction des enfants, avocate d’origine maghrébine, se sont installés à Bagnolet, la rencontre entre les classes sociales afin d’éviter à côté de la cité où celle-ci a grandi. Leur fils Corentin est des cloisonnements sociologiques malsains. Le film à Jean-Jaurès, dans la classe de CM2 de Mademoiselle décrit avec acuité la boboïsation de la périphérie plurielle Delamare, effrayée par sa tâche. Monsieur Bensallah, (jardins partagés, pavillons sécurisés, écoles blanches le directeur, y met parfois de l’ordre. Après une bagarre privées où les enfants sont conduits en voiture et écoles aux ciseaux à l’école, les copains de “Coco” sont inscrits publiques où les enfants, de cultures multiples, vont à Saint-Benoît, qui a meilleure réputation. Pour Paul et Sofia, pas question de quitter l’école publique ! Coco, étant à pied). Dans notre société sécuritaire d’après les attentats, athée, est perturbé par les autres enfants qui le menacent les problèmes se multiplient lorsque les parents, voulant de finir “en enfer”. Il se plaint de n’avoir plus de copains et surprotéger leurs enfants, se mêlent de leurs problèmes, Paul se retrouve, à la sortie de l’école, seul père au milieu comme le montrent les gaffes de Sofia, giflant un enfant de femmes issues de l’immigration. à la sortie de l’école, ou de Paul, imaginant avec SUITE... Les moyens de l’école sont affectés à la sécurisation M. Bensallah qu’inciter les gosses à entrer sans payer des locaux plutôt qu’aux actions éducatives. Coco est menacé au cinéma pour voir un “film pour adultes” intégrerait par Redouane et a maintenant peur d’aller à l’école. Paul et Sofia Coco à la bande à Redouane. Paul a tendance à imposer ne parviennent pas à inscrire Coco à Saint-Benoît, à cause aux siens ses principes anarchistes. Corentin, cherchant d’un clip blasphématoire de Paul. Paul et Sofia enveniment des repères (“Et moi, je suis quoi ? ”), va même, une fois, les choses en essayant de faire intégrer leur fils. Un dîner jusqu’à demander à être catholique. Pour son cinquième avec les parents de Redouane se passe très mal et Sofia demande à Paul de partir. Alors que Coco et Redouane sont long métrage, Michel Leclerc retrouve la veine personnelle devenus amis en se cachant pour fumer, Paul parvient à du Nom des gens et de Télé Gaucho, c’est-à-dire celle inscrire Coco à l’école Turgot, près de sa chambre de bonne. de la comédie débridée et crue, n’ayant pas peur de Le lendemain, Coco s’enfuit et rejoint la fête de Jean-Jaurès. la caricature - le voisin juif et les instituteurs en font ici Un mur de l’école s’écroule et une mère d’élève sauve les frais. _M.B. Monsieur Bensallah. Paul et Sofia se réconcilient. Visa d’exploitation : 145078. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 180 copies. 13 © les Fiches du Cinéma 2019
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