La bataille de l'autisme Réflexions sur un phénomène social contemporain
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Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 DOI 10.1007/s11836-009-0092-4 ÉDITORIAL / EDITORIAL La bataille de l’autisme Réflexions sur un phénomène social contemporain J. Hochmann1 © Springer-Verlag 2009 Introduction phénomène social, et le mot lui-même connaît une véritable glissade sémantique. Tous les jours, dans les meilleurs L’autisme infantile précoce a été décrit, en 1943, par le journaux et jusqu’à l’Assemblée nationale, on taxe d’autiste pédopsychiatre américain Leo Kanner autour de deux un dirigeant parce qu’il ne tient pas compte de ses symptômes cardinaux : l’isolement (aloneness) et le besoin subordonnés ou un homme politique parce qu’il est d’immuabilité (sameness) [23]. Dans les nomenclatures insensible aux signaux de ses électeurs. L’origine ultime de modernes (DSM IV, CIM10 et CFTMEA), il est caractérisé, l’autisme reste inconnue, et cette énigme explique en partie on le sait, par l’association : les attitudes passionnelles de ceux qui, pour la résoudre, se sont dressés les uns contre les autres, au fil des années, et de troubles de la communication (un dysfonctionnement imposent aujourd’hui à la pensée un totalitarisme, voire une précoce de la communication non verbale et, ensuite, une censure dont on trouve peu d’autres exemples dans les débats absence de langage articulé ou des modifications dans sa scientifiques des pays démocratiques. syntaxe et son énonciation) ; La véritable bataille de l’autisme qui, en dépit d’accal- des troubles de la socialisation (un retrait sur soi et une mies temporaires et d’armistices de circonstances, continue indifférence apparente à autrui, un défaut de recours à à faire rage sur Internet et dans les médias, porte l’autre dans les situations de détresse, une difficulté dans essentiellement sur trois points : le jeu symbolique et le faire semblant) ; et d’intérêts restreints (stéréotypies gestuelles, rituels, les limites de l’autisme et sa place dans la nosographie : résistance au changement, fixation sur des formes ou des psychose ou trouble envahissant du développement, objets particuliers dits autistiques). maladie ou handicap ; Ces troubles doivent être apparus avant l’âge de trois ans. la nature et l’origine de ce trouble : déficit ou défense, Ils s’accompagnent le plus souvent d’un retard mental trouble inné ou acquis de nature neurologique, ou plutôt mais peuvent coexister avec une intelligence normale, voire réaction psychologique aux facteurs d’environnement, supérieure dans certains domaines, à l’origine de talents dits notamment maternels ; paradoxaux. Lorsque le besoin d’immuabilité est contré, le type de prise en charge la plus indiquée : soin nombre d’enfants autistes montrent des signes d’angoisse relationnel à visée psychothérapique ou éducation majeure et peuvent présenter des troubles du comportement unilatérale centrée sur la modification du comportement. dont le plus dramatique est l’automutilation. Longtemps tenu On essaiera ici de décrire les trois facettes de ce curieux pour une rareté, l’autisme a vu sa prévalence s’accroître de phénomène social, sans doute exacerbé par la souffrance manière exponentielle. On ne peut manquer de s’interroger qu’éprouvent les familles d’enfants autistes, mais dont on sur cette véritable épidémie autistique ainsi que sur la mode peut trouver des racines dans l’histoire. En effet, avant de l’autisme qui envahit la presse, la télévision et l’édition. d’être décrits sous le nom d’autistes, ces enfants confondus L’autisme infantile est, en effet, devenu depuis peu un avec d’autres arriérés mentaux et appelés idiots faisaient l’objet de disputes analogues entre les tenants de l’hérédité J. Hochmann (*) et ceux d’une carence environnementale, entre les éduca- Centre hospitalier le Vinatier, 95, boulevard Pinel, F-69677 Bron, France teurs et les médecins. Le terme d’idiot connaissait alors e-mail : hochmann.jacques@wanadoo.fr une dérive identique à celle qui affecte aujourd’hui la dénomination d’autiste et des eugénistes, notamment aux 1 États-Unis, redoutaient une prolifération semblable à celle Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant à l’université Claude- Bernard. Médecin honoraire des hôpitaux de Lyon. Auteur de Histoire que revendiquent aujourd’hui certaines associations de de l’autisme, Odile Jacob, Paris, 2009. parents, sur la foi d’enquêtes épidémiologiques [21]. Le
100 Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 phénomène nouveau est le pouvoir de ces associations dans ceux de l’autisme de Kanner dit « typique » repris dans le cadre d’une société consumériste où l’usager a fort les différentes classifications. Alors que les auteurs de heureusement acquis de nouveaux droits, mais où les l’époque s’accordaient généralement avec Kanner pour techniques modernes de communication laissent souvent le distinguer l’autisme de la schizophrénie infantile (un dernier mot à celui qui crie le plus fort et qui a le plus de diagnostic devenu très vague qui recouvrait aux États- moyens pour se faire entendre. Certains de ces moyens sont Unis une grande partie des troubles du comportement), le économiques, d’autres idéologiques ou affectifs, comme terme de psychose infantile avait prévalu. Il avait été l’usage compassionnel d’une détresse, à une époque où le proposé par Mahler pour distinguer un trouble grave de la statut de victime fait recette. relation à autrui et du contact avec la réalité distinct, chez un être encore en développement, du processus de dissociation d’une individualité constituée, caractéris- tique, depuis Bleuler, des schizophrénies de l’adulte. Se Limites de l’autisme basant sur une théorie du développement normal, fondée sur des observations de bébés en crèche et de leurs Kanner, dès 1943, considérait l’autisme comme une maladie relations avec un adulte nourricier, Mahler distinguait rare et, évaluant sa prévalence à environ un cas pour dix deux types de psychose : les psychoses autistiques, mille, il s’élevait contre un laxisme qui, selon lui, aboutissait décrites par Kanner, où l’objet maternel n’est pas à multiplier abusivement les diagnostics. « Presque en une individualisé comme « balise d’orientation émotion- nuit, ironisait-il dans un de ses articles, le pays parut peuplé nelle », et les psychoses symbiotiques, révélées plus par une multitude d’enfants autistes ». Que dirait-il tardivement, où l’enfant s’enferme dans l’illusion quasi aujourd’hui ? Après que les spécialistes aient parlé de cinq délirante d’une « unité duelle » formée avec sa mère cas pour dix mille, puis d’un cas pour mille, l’association des et ne parvient pas ainsi à s’« individuer » [26]. Cette familles américaines d’autistes, annonce, avec l’existence distinction devait être reprise par les auteurs français, d’un « spectre autistique », un cas pour 150, un taux qui a Roger Misès proposant le terme de « dysharmonie doublé en un an dans une enquête californienne et qui psychotique » pour regrouper les psychoses symbio- augmente chaque année de 15 %, laissant prévoir, en 2010, tiques et certaines formes plus tardives contemporaines quatre millions d’autistes pour les seuls États-Unis, soit plus de la période de latence. Sur des critères psychopatho- de 1 % de la population. logiques, il opposait ces dysharmonies psychotiques, Pour expliquer cette étrange prolifération plusieurs structurées par des mécanismes de défense du type de hypothèses ont été avancées : l’identification projective et du clivage de l’objet, aux psychoses autistiques, où domine l’identification adhé- on passera sur des hypothèses dont de nombreuses études sive à un objet sans profondeur avec lequel le lien n’est ont démontré le caractère fantaisiste : une intoxication que celui d’une sensorialité éclatée, attentive aux seuls par les métaux lourds, un virus ou encore la sensibilité à effets de surface. Il proposait de distinguer une troisième un composé organomercurique utilisé pour stabiliser le catégorie, celle des psychoses déficitaires, où les vaccin ROR. Cette dernière hypothèse entretient encore éléments lésionnels peuvent être au premier plan, mais une campagne contre cette vaccination, ce qui explique la qui permettaient de replacer un certain nombre d’arriéra- réapparition de rougeoles parfois mortelles, alors qu’on tions mentales dans le registre du soin et d’inspirer des croyait cette maladie définitivement éradiquée ; pratiques plus optimistes et plus fécondes que le seul l’hypothèse la plus vraisemblable est une extension du gardiennage assorti d’un conditionnement élémentaire, en dépistage, aujourd’hui de plus en plus précoce. Cette lui-même débilisant. Il réservait le diagnostic de schizo- évolution des pratiques est heureuse, car elle permet des phrénie infantile à des formes rares de schizophrénie interventions thérapeutiques ou/et éducatives avant que le apparue avant ou aux alentours de la puberté et qui trouble ne soit davantage fixé. Elle s’inscrit toutefois évoluaient ensuite vers une schizophrénie de l’adulte, ce dans une extension du diagnostic qui mérite qu’on s’y qui n’était pas le cas des psychoses infantiles [30]. arrête. Comme il n’existe aucun test biologique, aucune image cérébrale, aucune anomalie de tracé électroencé- Tant le diagnostic d’autisme que celui de psychose phalographique spécifique de l’autisme, le diagnostic ne avaient pour objectif d’arracher un nombre conséquent peut reposer que sur des signes cliniques regroupés d’enfants à l’optique désespérante qui, depuis les travaux consensuellement en syndrome par les cliniciens. Or, de Binet et Simon, à l’origine de la mesure de l’intelligence, c’est ici que le bât blesse. Kanner et ses premiers prévalait dans le domaine de l’arriération mentale profonde. successeurs avaient défini un certain nombre de critères En dessous d’un certain QI (autour de 50), les enfants, en ce précis que nous avons rappelés et sur lesquels s’accor- temps, étaient considérés comme des idiots congénitaux daient les spécialistes du monde entier. Ce sont encore voués à la ségrégation et parfois à la castration ou à la
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 101 stérilisation. Kanner, à tort, insistait sur l’intelligence psychanalytique vécues, non sans raison, comme culpabi- normale de ses autistes, mais c’était pour leur éviter le lisantes et comme source d’espoirs non tenus. D’autre part, sort des arriérés. Margaret Mahler puis, en Angleterre, les les restrictions des budgets fédéraux de la santé mentale, élèves de Klein et, en France, des psychanalystes d’enfants particulièrement drastiques avec l’avènement au pouvoir comme Serge Labovici, René Diatkine, Roger Misès ou de Ronald Reagan en 1980, mais déjà esquissées avant, Jean-Louis Lang se référaient à la notion de psychose (et à rendaient plus avantageux le recours à des institutions la psychopathologie d’inspiration psychanalytique) pour éducatives, au nom du droit de tout jeune américain à promouvoir des programmes thérapeutiques, éducatifs et l’éducation, inscrit dans la constitution des États-Unis. Dès pédagogiques là où, jusqu’alors, depuis un demi-siècle, ne 1975, ces familles avaient obtenu l’inscription de l’autisme régnait que l’abandon. La référence médicale à une maladie parmi les developmental disabilities ouvrant droit à (qui était la référence de Kanner), donc à des soins, avait compensation au même titre que l’épilepsie, que le retard alors, très concrètement, l’avantage de permettre de mental et que l’infirmité motrice cérébrale. Sous leur bénéficier des enveloppes sanitaires, plus fournies que les pression, le principal journal scientifique sur le sujet, fondé enveloppes médicosociales davantage consacrées à l’ac- par Kanner, le Journal of autism and childhood schizo- cueil, à la rééducation et à la réhabilitation du handicap. phrenia, était devenu, en 1979, le Journal of autism and Dans des asiles surencombrés, ces auteurs initièrent une developmental disorders. Le DSM III, la nouvelle édition politique de réaménagement et d’humanisation des locaux de la classification américaine des troubles mentaux, ne fit ainsi que d’équipement en personnel : des médecins et des qu’entériner ce changement de nom. Réservé aux troubles psychologues psychanalystes mais aussi des infirmiers et de l’adulte, le terme de psychose disparut du vocabulaire infirmières, des éducateurs spécialisés, des orthophonistes, de la pédopsychiatrie et, avec lui, toute allusion à la des psychomotriciens, des instituteurs détachés de l’Éduca- psychopathologie et à la psychanalyse. Aucune recherche tion nationale. En 1960, Serge Lebovici ouvrait à Paris le sérieuse n’avait pourtant montré l’inefficacité des traite- premier hôpital de jour, bientôt imité par d’autres dans ments engagés jusque-là ni permis encore d’affirmer une la capitale et en province, à l’origine des secteurs de étiologie organique, soupçonnée depuis longtemps mais psychiatrie infantojuvénile dont les équipes développaient toujours en attente de preuve. Le principal artisan de la les premières tentatives d’intégration en milieu scolaire manœuvre, le Dr Rimland, un psychologue de la marine normal. Parallèlement, les associations de parents regrou- américaine, spécialiste des tests et lui-même père d’autiste, pées autour de professionnels, comme Robert Lafon à fondateur de l’Autism Society of America, avait bien Montpellier, Claude Kohler à Lyon, Georges Heuyer à proposé une première théorie qui faisait intervenir la Paris, avaient construit toute une gamme d’institutions substance réticulée du tronc cérébral, dont Moruzzi et médicosociales, qui modifiaient en profondeur le paysage Magoun avait montré, dans les années 1960, le rôle dans de l’enfance dite inadaptée. Un partage semblait s’être l’activation du système nerveux central, mais cette hypo- établi, les secteurs de psychiatrie infantojuvénile prenant en thèse avait fait long feu, comme celle qu’il proposa ensuite charge le vaste champ des troubles névrotiques et les soins d’une carence en vitamine B6 [33]. Il est important de le précoces des psychoses et des organisations pathologiques noter, contrairement à ce qui est souvent affirmé, « le grand dites « limite », le secteur médicosocial se réservant une renversement » (pour reprendre un terme d’Alain Ehren- large part de la déficience mentale et des troubles du berg), au moins dans le domaine de l’autisme, précéda les comportement, ainsi que les suites à l’adolescence des découvertes biologiques (dont on verra plus loin le caractère troubles psychotiques de l’enfance. Si une certaine atmo- encore aujourd’hui modeste). Ce fut donc un renversement sphère de concurrence et, longtemps, une réglementation purement idéologique et non un changement de paradigme qui s’opposait aux doubles prises en charge ralentirent la lié à une avancée expérimentale (evidence-based). recherche des complémentarités et les coopérations, celles- Il est intéressant de suivre ensuite l’évolution du concept ci tendirent ensuite à se multiplier avec souvent des nouveau au fil des éditions successives du DSM (DSM IIIR, recouvrements entre les deux types de structure, pendant DSM IV, DSM IVR). Au départ, l’autisme figure parmi les qu’une nouvelle conception plus dynamique du handicap troubles globaux du développement qui s’opposent aux permettait de ne plus l’opposer à la maladie. troubles spécifiques isolés, portant sur un secteur du C’est alors que certaines associations de famille, d’abord comportement : l’apprentissage de la lecture, la parole, la aux États-Unis, puis dans tout le monde occidental, ignorant conduite, l’activité motrice, l’attention, etc. Puis il devient cette évolution conceptuelle, entrèrent en guerre contre la un des troubles envahissants du développement (TED), aux notion de psychose et contre celle de maladie qui lui était côtés du syndrome de Rett (cette maladie dégénérative liée. Il y avait à cela plusieurs raisons. D’une part, depuis le atteignant les petites filles, et dont on connaît aujourd’hui le début des années 1970, les familles d’autistes américains gène responsable), les troubles désintégratifs de l’enfance avaient commencé à s’opposer aux approches d’inspiration (des atteintes neurologiques liées généralement à un
102 Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 processus encéphalopathique dégénératif) et l’entité des affectant le fonctionnement global de la personne, son troubles envahissants du développement non spécifiés comportement, sa manière de gérer ses émotions, sa autrement. Le syndrome de Rett et les troubles désinté- manière de penser, repose sur deux approches possibles. gratifs étant très rares, ne restent pratiquement face-à-face L’une ressort de la perception : avec ses yeux, en regardant que l’autisme et les troubles non spécifiés autrement, vaste agir un individu, avec ses oreilles, en l’écoutant parler, on et confuse catégorie sans signes positifs propres. peut repérer un certain nombre de symptômes. Ce sont ceux C’est alors que se produisent trois phénomènes conco- sur lesquels il est le plus facile de s’accorder. Dans un souci mitants. Par ailleurs, sous l’influence d’une pédopsychiatre de fiabilité et de fidélité interjuge ce sont ceux qu’a retenus anglaise, Lorna Wing, on redécouvre un auteur autrichien le DSM. De manière à standardiser les observations, il complètement oublié qui, en même temps que Kanner, avait s’appuie sur des échelles qui permettent de chiffrer utilisé le même vocable pour décrire un syndrome très voisin l’enregistrement audiovisuel des comportements allant du sinon identique qu’il avait appelé « psychopathie autis- plus normal au plus anormal. Les trois plus connues sont tique » [1]. On décide de donner le nom de syndrome l’ADI (Autistic Diagnostic Interview), l’ADOS (Autistic d’Asperger à des cas d’autisme léger sans atteinte de Diagnostic Observation Schedule) et la CARS (Childhood l’intelligence, avec un langage d’apparition précoce, parfois Autism Rating Scale) qui est plus une échelle de gravité que précieux dans le vocabulaire mais d’une syntaxe normale, de diagnostic. L’ADI utilise une observation indirecte. C’est une fréquente maladresse motrice et un trouble dominant un entretien structuré des parents avec un professionnel qui des relations sociales. La définition très imprécise de ce les interroge sur l’évolution de leur enfant et retrace, avec syndrome (que certains identifient à l’autisme dit de « haut leur aide, l’émergence de leurs principales inquiétudes. Il niveau » mais dont d’autres font simplement une forme est souvent vécu par les parents comme un moment de particulière d’intelligence voisine de la normalité) explique réflexion et de prise de conscience qui leur donne le le nombre croissant à l’infini de sujets qualifiés Asperger. Ce sentiment d’être enfin entendus et pris en compte. Mais il ne diagnostic permet, aux États-Unis et au Canada, à des élèves met pas à l’abri de biais. À une époque où les parents sont mal adaptés au système scolaire, d’obtenir, avec la dûment informés sur l’autisme et ses symptômes par reconnaissance de leur état, une scolarité aménagée et Internet et les médias, ils peuvent tendre à répondre dans éventuellement une aide financière, aménagement et aide un sens prédéterminé et être involontairement à l’origine de qu’un jeune français peut, à la même époque, obtenir de la faux-positifs. Leurs réponses à l’ADI peuvent en effet être Commission départementale de l’éducation spécialisée sur influencées par le désir sous-jacent de voir reconnaître à simple évaluation de ses difficultés et sans diagnostic leur enfant un handicap inscrit dans la loi, qui permet, en particulier. À l’autre bout, on assouplit les critères de occultant sa pathologie, de jeter un voile sur sa souffrance et diagnostic de l’autisme atypique, par son apparition plus leur évite aussi de vaines illusions. À tort ou à raison, ils tardive, son tableau clinique incomplet. Surtout, sous la pensent que ce handicap ouvre des portes dans des pression de familles, qui veulent bénéficier de la même institutions spécialisées et permet de bénéficier de méthodes reconnaissance que celle obtenue par les parents d’autistes, adéquates. Ils veulent aussi obtenir un diagnostic précis on élargit le diagnostic d’autisme syndromique (c’est-à-dire dont ils attendent une identité socialement plus valorisée de traits autistiques associés à une affection génétique que celle de malade mental ou d’arriéré et moins vague que connue telle que le syndrome du X fragile, la sclérose celle de « traits autistiques » ou, a fortiori, de troubles tubéreuse de Bourneville, le syndrome d’Angelman ou celui envahissants du développement non spécifiés autrement. La de Prader-Willi) à des arriérations mentales et à des formation à la pratique de l’ADI ne tient généralement pas encéphalopathies de toutes sortes. À l’origine un des troubles compte de ces éléments « transférentiels », au sens large, et envahissants du développement, l’autisme forme, dans la accepte, sans critique, comme vérité objective, les réponses dernière édition du DSM, le noyau de ces troubles, les autres des parents. L’ADOS et la CARS sont basées sur des se distinguant de lui par leur plus ou moins grand degré de observations, standardisées pour la première, en milieu ressemblance avec la figure centrale. La notion de trouble du naturel pour la seconde, faites par des professionnels formés spectre autistique (TSA) tend alors à se substituer à celle de mais qui ne sont pas incités à aller au-delà de ce qui se voit trouble envahissant du développement. et s’entend en surface. De plus, les modalités techniques les plus répandues du Un diagnostic plus précis pourrait reposer sur un autre diagnostic peuvent aboutir à une multiplication des cas type d’informations. Qu’on l’appelle « intuition » à la d’autisme. À défaut d’examens de laboratoire ou d’ima- manière de Bergson ou « empathie » à l’instar des gerie, qui jusqu’à présent ne révèlent, au mieux, que des psychologues allemands de la fin du XIXe siècle et des troubles associés et ne peuvent, en aucun cas, permettre de phénoménologues, il existe, à côté de la perception, une dire qu’un enfant est autiste ou non, le diagnostic n’est que autre manière de percevoir qui permet (avec un certain clinique. Or, la clinique, lorsqu’il s’agit d’un trouble entraînement) d’entrer dans l’intimité d’un sujet, de
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 103 comprendre le sens de ce qu’il éprouve, de partager, jusqu’à confondus dans une masse informe, un analogue de ce un certain point, ses états mentaux, de résonner à ses types qu’étaient les fièvres dans les nosographies du XVIIIe siècle. d’angoisse. L’empathie fait aujourd’hui l’objet de travaux La classe des enfants et des familles ayant besoin d’aides scientifiques qui se fondent sur la découverte dans le spécifiques est probablement nombreuse, mais il n’y a cerveau des systèmes miroirs qui sont activés par les aucun avantage ni pour la recherche, ni pour l’amélioration représentations d’action et les émotions d’autrui [35]. On des pratiques éducatives ou thérapeutiques à prendre un des sait que ces systèmes, miroirs indispensables à la connais- éléments de cette classe pour la classe entière. sance d’autrui, sont en relation avec des circuits com- plexes générateurs de représentations partagées à la base du sentiment d’appartenance commune à une même Question de l’origine culture, à une même condition [16]. L’empathie (ou l’intuition) a toujours fait partie de la démarche clinique Il n’y a aucun avantage non plus à lui attribuer une origine (au moins jusqu’au DSM III). Un psychiatre hollandais unique. Nul ne peut honnêtement, aujourd’hui pas plus des années 1930, Rümke, faisait ainsi, sans scandaliser qu’hier, définir la cause de l’autisme. personne, du praecox gewoel, du « sentiment précoce », un Comme l’inconnu est toujours angoissant, on fait comme des éléments essentiels du diagnostic de schizophrénie. si on savait, et on multiplie encore, comme on a multiplié L’empathie est à la base des processus d’identification et de jadis, les affirmations dogmatiques. La tactique habituelle, ce qu’en psychanalyse, on appelle le jeu transféro-contre- inspirée du marketing, consiste à schématiser et à transférentiel. Grâce à ce mécanisme, on peut dépasser le caricaturer l’opinion qu’on veut remplacer, pour mieux en simple codage des comportements et s’interroger sur leur démontrer le caractère archaïque et définitivement dépassé. signification pour l’individu. C’est par l’empathie, telle qu’on l’exerce dans la relation qu’on noue avec lui, qu’on Hypothèses psychanalytiques peut ressentir la manière qu’a l’enfant d’entrer en relation avec les objets animés et inanimés, qu’on peut distinguer, La tarte à la crème des journaux scientifiques, aussi bien au moins de manière hypothétique, s’il contracte avec que des médias généralistes, consiste ainsi à affirmer que, un objet total ou avec un objet partiel, avec un objet pendant un demi-siècle, les psychanalystes ont mis en cause bidimensionnel ou avec un objet doté de profondeur, s’il l’influence supposée délétère de la mère et qu’avec prête à cet objet des intentions persécutoires ou s’il peut l’abandon de cette théorie nocive la psychanalyse n’a plus apprécier son caractère secourable, etc. Une brillante rien à dire sur l’autisme. Qu’en est-il en réalité ? clinicienne américaine des années 1950, Bender, faisait Les premiers à avoir décrit un portrait type des parents ainsi état des sensations d’écoulement qu’elle éprouvait en d’autistes n’étaient pas des psychanalystes. Kanner, comme prenant un enfant psychotique de type symbiotique dans ses Asperger, l’un pédopsychiatre d’inspiration psychobiologi- bras [4]. Ces distinctions, passées sous silence, quand on se que, l’autre pédiatre, avaient été frappés par le caractère contente d’une observation rapportée par un tiers ou du froid et distant des pères, généralement des intellectuels plus remplissage d’un questionnaire, aussi détaillé soit-il, préoccupés par de hautes spéculations ou par leur carrière amènent à supposer, chez les enfants souffrant de troubles que par leurs relations avec leurs enfants. Les mères, selon graves du développement, derrière une même façade eux, ne s’intéressaient que superficiellement à leur pro- apparemment autistique, des modalités relationnelles variées, géniture et méritaient parfois l’étiquette de « mère frigi- justiciables d’approches pychothérapiques et éducatives daire » forgée par Kanner (et non, comme on l’écrit différentes. Une telle approche peut être considérée souvent, par Bettelheim). Il est vrai que Kanner devait comme subjective, largement conjecturale et non scientifi- ensuite revenir partiellement sur ses premières constata- que, mais, dans un domaine où il s’agit de diagnostiquer un tions. Il remarquait que les autres enfants, élevés pourtant trouble de l’intersubjectivité, cette « théorie de l’esprit » est dans le même milieu, n’étaient pas autistes, qu’on trouvait peut-être épistémologiquement plus solide qu’une objecti- parfois des enfants autistes chez des parents d’allure vité illusoire, fondée sur des manuels et des arbres de différente et que certains parents identiques à ceux qu’il décision précontraints qui fabriquent artificiellement du avait décrits n’avaient pas d’enfant autiste. Il parlait d’un consensus. Le fait est qu’elle réduit considérablement la trouble inné du contact affectif, analogue à un trouble population d’autistes, mais elle peut contribuer à affiner et sensoriel ou moteur congénital. Plus tard, il devait à individualiser les indications de traitements. Les premiers s’indigner contre la tendance de plus en plus répandue à psychopathologues ont décomposé l’idiotie puis la schizo- « chercher la mère » (en français dans le texte) et se phrénie infantile. Il est temps peut-être de décomposer résoudre à « acquitter » les mères de toute responsabilité, l’autisme qui est à son tour devenu ce que Kanner appelait une responsabilité qu’il avait pourtant contribué à établir. Il un hodgepodge, un salmigondis de troubles divers, concluait que l’autisme était quelque chose de trop
104 Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 compliqué pour être le simple produit d’un environnement, particularités de cet enfant, qu’elle a pris en traitement, et que les traits de caractère parentaux étaient une semble-t-il avec d’assez bons résultats, à une disposition constatation clinique dont il était difficile de dire si elle innée, à une incapacité constitutionnelle à tolérer l’angoisse était la cause ou la conséquence de l’autisme de l’enfant [5]. et à la projeter dans les objets qui l’entoure, donc à Asperger tenait un discours voisin et y ajoutait l’hypothèse symboliser l’angoisse dans le jeu avec ces objets, procédé génétique de traits autistiques a minima transmis à l’enfant utilisé par les autres enfants pour maîtriser leurs difficultés par les parents et aggravés chez lui. Cette hypothèse était émotionnelles. dérivée de la théorie de la dégénérescence, qui avait dominé D’autres psychanalystes sont restés tout aussi prudents. le siècle précédent. Elle postulait la transmission progres- Ainsi, Mahler parle, elle aussi, de disposition innée, en sive dans une famille d’une tare héréditaire d’abord allemand Anlage, et affirme qu’elle a rencontré des mères extériorisée par de simples stigmates physiques (un de toutes sortes. Utilisant la technique des thérapies mère- strabisme, un doigt surnuméraire, une déformation de la enfant, elle cherche à rétablir un lien entre le bébé et sa physionomie, du nez ou des oreilles) ou psychiques (une mère, mais sans attribuer à la mère une responsabilité tendance obsessionnelle, une appétence aux toxiques ou à unilatérale dans un dysfonctionnement interactif qu’elle l’alcool, une prodigalité excessive ou une orientation affirme plutôt lié à l’incapacité du bébé à réagir aux offres sexuelle qualifiée de perverse). De génération en généra- maternelles et à savoir utiliser sa mère comme organisateur tion, cette tare s’aggravait pour produire tout le catalogue de sa vie émotionnelle anarchique. Inspirée à la fois par des troubles mentaux et pour aboutir, en fin de course, à Mahler et par Klein, Tustin, si elle distingue un autisme l’idiotie, terme ultime de ce processus fatal qui a notamment psychogène pur des traits autistiques associés à des inspiré Les Rougon Macquart d’Émile Zola. pathologies organiques reconnues, si elle évoque une Freud, on le sait, s’est élevé contre le caractère pessimiste possible dépression transitoire de la jeune mère qui la et manifestement inexact de cette théorie, souvent infiltrée rend moins capable d’accompagner son enfant dans la de jugements moraux, qui mettait dans le même sac toute difficile épreuve du sevrage, insiste, comme son contem- une série de troubles sans rapport les uns avec les autres porain Meltzer, sur l’intolérance à la frustration native des [14]. Sa première conceptualisation, qui attribuait les futurs autistes [28,38]. C’est cette intolérance qui les rend névroses à un traumatisme sexuel vécu dans l’enfance et incapables de renoncer à la continuité sein-bouche et les retrouvant sens après coup au moment de l’éclosion de la plonge dans un vécu d’arrachement et de mutilation au puberté, était construite comme un contre-type de la théorie moment de la séparation d’avec le mamelon. C’est encore de la dégénérescence. Elle visait à donner au médecin une cette intolérance qui les engage ensuite dans un processus possibilité d’intervenir. On ne peut rien sur une tare de démantèlement psychique, contre lequel ils essaient de se transmise de manière inexorable (sinon éviter les croise- défendre par un retour autosensuel à la fascination par des ments néfastes et la reproduction des tarés en les isolant ou formes autistiques, par des stéréotypies ou par la manipula- en les stérilisant). On peut, par contre, aider le sujet à tion d’objets autistiques. Au même moment, des auteurs prendre conscience d’un traumatisme dont la représentation français, dans la suite des travaux de Julian de Ajurria- refoulée est devenue inconsciente, et les affects liés à cette guerra, ont insisté sur l’intrication complexe, chez le bébé, représentation continuent à le faire souffrir. On sait aussi du développement neurologique et du développement que Freud, dans son élaboration ultérieure, devait relativiser psychique. C’est peut-être René Diatkine qui a le mieux le rôle accordé au début au traumatisme réellement advenu résumé leur position sur l’autisme. Selon lui, le premier et laisser toute la place au fantasme, c’est-à-dire à l’activité développement de l’enfant est guidé par un équilibre entre psychique du sujet, à la manière dont le sujet s’est deux tendances adverses : une tendance à explorer la représenté son monde infantile et non à l’environnement nouveauté, l’imprévu, une tendance à rétablir l’homéostasie, dans lequel il a grandi tel qu’aurait pu le décrire un le connu. L’enfant autiste souffre d’un déséquilibre entre observateur indépendant. Freud ne s’est pas intéressé aux ces deux tendances qui le mène à privilégier l’immuable et troubles graves du développement de l’enfance et, comme que l’environnement échoue à compenser, voire qu’il peut tout le monde, de son temps, il aurait tenu probablement nos involontairement aggraver, chaque stimulation nouvelle autistes pour des idiots sinon pour des dégénérés. C’est une étant vécue par l’enfant sur le mode d’un traumatisme (ce psychanalyste de troisième génération, Klein, qui, en 1929, qui justifiait, aux yeux de Diatkine, une guidance précoce avec son célèbre cas « Dick », a décrit probablement le des parents et ensuite une aide spécialisée pour aider premier cas d’autisme qu’elle appelle schizophrène [24]. Il l’enfant à apprivoiser, sur un mode progressif et non est remarquable que, dans la présentation qu’elle fait de ce destructeur, la nouveauté). cas au Congrès international de psychanalyse d’Oxford, elle On est loin, on le voit de la culpabilisation alléguée des ne porte aucun jugement négatif sur la mère dont elle familles. Alors d’où vient ce reproche si universellement comprend la très naturelle angoisse. Elle attribue les répété ? Il est de fait que, contrairement aux auteurs qui
Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 105 viennent d’être cités, d’autres psychanalystes ont voulu vieil homme physiquement très diminué, reclus dans une relier directement l’autisme soit à un dysfonctionnement maison de retraite), une campagne de presse l’accusa familial global, soit à une pathologie maternelle masquée. d’avoir menti sur ses diplômes, d’avoir truqué ses résultats Contemporain des premiers travaux de Kanner, un certain et fit paradoxalement de lui une sorte de bourreau nombre de psychanalystes américains, accoutumés à comparable aux nazis dont il avait été la victime. On en distinguer de manière rigide les troubles qu’ils qualifiaient oublia du coup tout son apport au traitement institutionnel de « fonctionnels », donc curables, des troubles dits des enfants autistes et psychotiques qui, aujourd’hui encore, « lésionnels », donc incurables, s’étaient, comme Kanner, doit beaucoup à ses recherches [7]. attachés à repérer chez les parents des traits de caractère En France, le livre à succès d’une jeune psychanalyste et des comportements susceptibles de barrer l’accès au d’origine belge, Mannoni, élève de Françoise Dolto, publié complexe d’Œdipe et de maintenir une fixation ou de en 1963, L’enfant arriéré et sa mère, fut une des étincelles déterminer une régression vers des phases archaïques, dites qui devaient, quelques années plus tard, mettre le feu aux prégénitales, du développement [13]. L’absence d’autorité poudres. Ce livre, où il n’est pas encore directement du père et l’excès de présence d’une mère angoissée étaient question d’autisme, apporte un regard nouveau sur la donc considérés comme pouvant être générateurs d’autisme déficience mentale en essayant d’en montrer les ressorts ou de psychose. Concrètement, cette position engageait défensifs et, par conséquent, améliorables par un traitement à proposer aux parents des cures individuelles ou des psychothérapique. Il insiste malheureusement dans des thérapies familiales associées à la prise en charge de termes dogmatiques sur l’effet destructeur de la parole l’enfant. Ces propositions, souvent pleines de bonnes maternelle, soit que cette parole scelle définitivement de intentions, furent, un temps, assez bien acceptées par les lourds secrets qui empêche le développement intellectuel de familles américaines des classes moyennes, avant de donner l’enfant, soit qu’elle véhicule une fantasmatique inconsciente naissance, comme on l’a vu, à un mouvement de rébellion. qui lui interdit le droit à sa propre parole, l’incarcère D’emblée, elles suscitèrent en France, où la psychanalyse dans la jouissance de la mère ou le précipite pieds et était alors moins acclimatée, une forte résistance. Le poings liés dans l’abîme ouvert par un désir mortifère [27]. conflit s’aggrava notamment sous l’influence de deux Cette vision de la mère sous les traits d’une Médée personnalités. meurtrière, reprise par l’auteur dans d’autres travaux, Aux États-Unis, un émigré juif autrichien, Bettelheim, s’imposa à de nombreux professionnels, qui la relayèrent éducateur formé à la psychanalyse plutôt que psychanalyste dans leurs équipes et la transmirent, sans preuves, d’une stricto sensu, avait été chargé de la direction d’une école manière quasi terroriste aux familles, tenues, de plus, à pour enfants en difficultés émotionnelles en même temps l’écart des institutions, sous prétexte d’y préserver un que d’un poste de professeur de sciences de l’éducation à espace pour l’enfant, pur de toute contamination mater- l’université de Chicago. Dans cette école, qui servait de lieu nelle. Ces excès théoriques firent oublier, là aussi, toute de stages pour ses étudiants et qui fonctionnait principale- l’œuvre institutionnelle de l’auteur et la création du ment sur le mode de l’internat, il avait accueilli quelques remarquable établissement qu’est encore l’école expéri- enfants autistes auxquels il proposait un environnement mentale de Bonneuil. Ils firent oublier aussi les regrets structuré pour permettre l’expression de leurs émotions et le tardifs exprimés par Mannoni elle-même, où elle se rétablissement d’une communication. Très marqué par une déclarait mal comprise et reconnaissait l’inefficacité expérience concentrationnaire à Dachau et à Buchenwald, d’attitudes consistant à culpabiliser les parents [34]. auteur d’un livre sur la psychologie du déporté, il avait Bien qu’elles fussent minoritaires, bien qu’elles aient été utilisé une comparaison malheureuse avec les camps pour critiquées par d’autres psychanalystes, ce sont pourtant ces décrire le monde tel que l’enfant autiste se le représentait : deux œuvres, celle de Bettelheim, celle de Mannoni, un monde sur lequel on n’a aucune influence, auquel on ne généralement caricaturées et simplifiées, qui représentent peut que se soumettre en renonçant à tout espoir, ce qu’il aujourd’hui, aux yeux de l’opinion, le discours psychanaly- appelait une situation extrême. Bien qu’il ait déclaré avec tique dans sa totalité. On ne se préoccupe plus, dès lors, de insistance que ce monde n’était pas nécessairement le retourner aux sources, et on ne cite même plus dans monde réel dans lequel l’enfant avait vécu, qu’aucun parent l’historique bibliographique, contrairement à ce qui se n’avait souhaité avoir un enfant autiste et bien qu’il se soit passe dans d’autres domaines de la science, des travaux qui élevé contre la mise en cause unilatérale des mères, son tenaient encore le haut du pavé, il y a moins de 30 ans. Tenus obstination à préconiser un traitement en internat et la pour nuls ou non advenus, au même titre que l’alchimie ou séparation d’avec la famille, ainsi qu’un certain nombre de l’astrologie, les découvertes cliniques accumulées pendant phrases outrancières sur les désirs de mort inconscients de un demi-siècle de psychanalyse sont tombées dans les certaines mères, firent de lui le modèle du psychanalyste poubelles de l’histoire, quand elles ne font pas l’objet d’un culpabilisateur [6]. Après sa mort tragique (le suicide d’un interdit évoquant les régimes totalitaires.
106 Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. (2009) 7:99-111 Recherches neurobiologiques normale. Les anomalies sont de trois types : une modifica- tion de la substance blanche qui pourrait traduire un trouble Qu’y a-t-il en face ? D’abord la proclamation maintes fois sous-jacent de la connectivité cérébrale, un élargissement répétée, dans les médias, d’une masse considérable de des espaces de Virchow-Robin, des espaces entourant les découvertes qui sont censées révolutionner le champ de artères qui pénètrent dans le cerveau, enfin des anomalies l’autisme et prouver définitivement que l’autisme est un trou- diverses siégeant dans le lobe temporal. Aucune de ces ble « neurodéveloppemental », « hautement génétique » anomalies n’est spécifique de l’autisme et peut se retrouver (des termes aussi mal définis que celui de « lésion méta- dans de multiples troubles métaboliques ou génétiques ou physique » employé par certains psychiatres du XIXe siècle). dans certaines atteintes virales. Les auteurs, conscients de Une étude attentive de la documentation disponible rend plus l’aspect disparate de leurs découvertes, insistent surtout sur humble, même si de nombreuses recherches sont en cours. On l’intérêt de pratiquer systématiquement cet examen qui, peut les classer en trois grandes catégories. associé à d’autres constatations cliniques ou biologiques, permettrait peut-être de contribuer à préciser l’étiologie [8]. Recherches sur les structures cérébrales D’autres examens d’IRM ayant montré un épaississe- ment du sillon temporal supérieur chez un petit nombre Utilisant les moyens d’imagerie moderne et notamment d’autistes, on a engagé des études d’IRM fonctionnelle (une l’imagerie par résonance magnétique (IRM), elles sont de méthode qui met en évidence l’activation de certaines zones deux ordres : structurelles et fonctionnelles. Nous avons cérébrales pendant l’exécution de certaines tâches) chez des déjà parlé de l’hypothèse d’une anomalie de fonctionnement autistes adultes d’assez bon niveau. Il faut en effet obtenir la et de structure de la substance réticulée du tronc cérébral. coopération du patient dans ces études qui, à la différence Elle attribuait l’autisme à un trouble du filtrage des de l’IRM anatomique, ne peuvent se faire sous sédation. sensations du monde extérieur, excès ou, au contraire, L’étude consistait à étudier l’activation de la zone à déficit de ce filtrage, ou encore désorganisation des l’audition de la voix humaine ou à celle d’un bruit quel- sensations avant qu’elles atteignent le cortex. Cette conque. On a remarqué alors que sur six autistes com- hypothèse n’est plus guère d’actualité. Sur un très petit parés à six sujets normaux volontaires, deux réagissaient nombre de cas, un neuroradiologue américain, Courchesne, comme les normaux, en activant cette zone de manière avait eu son heure de célébrité en mettant en cause la partie privilégiée à l’audition de la voix humaine, alors que quatre médiane du cervelet, le vermis, dont on sait qu’il est réagissaient indifféremment à la voix humaine et à un bruit richement connecté avec l’ensemble du système nerveux quelconque. En dépit de la modestie de ce résultat (qui a central [12]. Des travaux ultérieurs n’ont pas confirmé cette toutefois l’intérêt de pouvoir être rapproché d’autres études constatation, mais l’on voit périodiquement reparaître des sur la perception de la physionomie et la reconnaissance des publications centrées sur l’étude de cellules cérébelleuses émotions sur un visage), la presse s’en est emparée pour particulières, les cellules de Purkinje, qui jouent un rôle multiplier des annonces triomphalistes sur la solution de dans l’apprentissage des mouvements. Récemment, le l’énigme de l’autisme [15]. journal Le Monde annonçait la découverte par une équipe De nombreuses autres hypothèses ont été proposées : un française de « stigmates » de l’autisme [32]. L’article trouble distribué de la connectivité cérébrale, une croissance scientifique cité semble moins affirmatif. En 2000, prématurée et excessive du cerveau. Elles inspirent des l’American Academy of Neurology et la Child Neurology travaux, mais aucune ne paraît aujourd’hui s’imposer par Society, dans un avis conjoint, avaient estimé inutile la rapport aux autres. pratique systématique dans l’autisme de l’IRM. Cet examen coûteux, qui nécessite, de plus, une sédation importante de Recherches génétiques l’enfant pour l’empêcher de bouger pendant l’examen, ne donnait que peu de résultats ou des résultats difficilement Un certain nombre d’arguments ont fait envisager, depuis interprétables. En utilisant une méthode plus sophistiquée, longtemps, l’intervention de facteurs génétiques dans les auteurs, qui ont comparé 77 enfants entre 3 et 16 ans, l’autisme : la disparité de la distribution entre les deux atteints d’autisme non syndromique (c’est-à-dire sans sexes (environ une fille pour quatre garçons), l’augmenta- pathologies neurologiques ou génétiques connues asso- tion de la prévalence chez les apparentés multipliée par dix ciées) à 77 enfants sans aucun trouble psychiatrique ou (ce qui, pour un trouble qui, jusqu’il y a peu, restait rare, neurologique, apportent les constatations suivantes : 10 % laissait le risque assez bas), la concordance entre les vrais des IRM des enfants autistes sont ininterprétables, parce jumeaux qui ont, comme on sait, le même génome. Mais le qu’elles montrent des anomalies à la limite auxquelles il est fait que le pourcentage chez les apparentés n’obéisse pas impossible d’accorder une signification ; dans ce qui reste, aux lois de l’hérédité mendélienne, qui devraient donner 48 % des enfants ont des anomalies et 52 % ont une IRM une fréquence très supérieure, le fait que chez les vrais
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