LA BELGIQUE À L'ÉPREUVE DU CORONAVIRUS - La Fondation Robert Schuman
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GERER LE COVID-19, UN TOUR D’EUROPE Pour comprendre cette gestion, il convient donc de mêler les perspectives politiques et BELGIQUE sanitaires, les deux aspects s’influençant mutuellement. La mise en place du gouvernement Wilmès II LA BELGIQUE À L’ÉPREUVE DU CORONAVIRUS Lors des prémisses de la crise en janvier, la Belgique était donc toujours à la recherche L a manière dont la Belgique a dû d’un gouvernement de plein exercice. Dès faire face à l’épidémie de Covid-19 le 28 février, le président du CD&V présente plusieurs singularités. Il (chrétiens-démocrates flamands) voyait faut d’abord rappeler qu’elle fut l’opportunité de profiter de cette crise et du particulièrement exposée au début de sentiment d’urgence qu’elle inspirait pour l’épidémie, avec une multitude de foyers former, enfin, un gouvernement fédéral. résultant d’échanges avec d’autres pays Gouvernement qu’il appela, de manière européens. Ceci est d’abord dû au statut de aussi claire que peu opportune en termes Bruxelles, siège de plusieurs institutions de de communication, « coalition Corona ». l’Union européenne et, par-là même, au Quelques semaines plus tard, cette centre des flux humains du continent. En coalition faillit voir le jour. Le 13 mars, les outre, plusieurs familles sont revenues au ennemis irréductibles PS et N-VA s’étaient mois de février de vacances passées dans le en effet mis d’accord pour entamer des nord de l’Italie. Face à cette situation, force négociations en vue de former un tel est de constater que le gouvernement belge gouvernement. On est même convenu que n’était a priori pas dans les conditions Sophie Wilmès resterait à la tête de ce politiques idéales pour mener une politique gouvernement censé être provisoire, le énergique. Le pays sortait en effet d’une temps de gérer tant l’épidémie de covid-19 crise politique qui le voyait, depuis plus que les conséquences économiques et d’un an, être mené par un gouvernement sociales du confinement. Sophie Wilmès gérant les affaires courantes. Le s’était en effet déjà illustrée par son gouvernement fédéral ne disposait plus de leadership et ses capacités de majorité depuis le départ, en décembre communication alliant clarté, empathie et 2018, de la N-VA (nationalistes flamands) volontarisme. Mais la mise en place de sur fond de désaccord en matière de cette coalition échoua finalement, faute de politique migratoire. Depuis les élections soutien au sein du PS, premier parti législatives du 26 mai 2019, les tentatives francophone. On aboutit alors à une de former un nouveau gouvernement formule hybride et dégradée : le étaient restées vaines. Si cette faiblesse gouvernement de gestion des affaires initiale a pu être provisoirement courantes, inchangé dans sa composition, surmontée, les circonstances politiques et serait désormais soutenu de l’extérieur par les caractéristiques institutionnelles l’ensemble des partis politiques, à influencent de manière fondamentale la l’exception du Vlaams Belang (extrême- façon dont la crise actuelle a été gérée. droite flamande) et du PTB (extrême Fondation Robert Schuman | Juillet 2020 1
GERER LE COVID-19, UN TOUR D’EUROPE gauche). Ce gouvernement continuait donc en Belgique sont assez proches de celles en à ne rassembler que trois partis (MR, VLD vigueur en France : les citoyens doivent et CD&V), sans aucun changement de rester à domicile sous peine d’amende, portefeuille ministériel. Si cette formule de avec des exceptions strictement énumérées. gouvernement minoritaire est courante Mais cette similitude avec la situation dans certaines démocraties parlementaires, française est en réalité très théorique. Dans elle est très rare en Belgique. Le les faits, le confinement tel que pratiqué en gouvernement Wilmès était en outre doté Belgique était beaucoup plus souple qu’en de pouvoirs spéciaux lui permettant de France. Il n’y avait pas d’attestation à prendre les décisions nécessaires pour faire porter sur soi en cas de sortie et, surtout, la face à la crise sanitaire. Pour compliquer le répression policière concernait surtout les tout, la N-VA, plus grand parti du pays, regroupements ou les infractions au votait les pouvoirs spéciaux, mais refusait confinement jugés excessifs. Ici comme de soutenir la mise en place d’un dans d’autres domaines, la politique de gouvernement de plein exercice. Cette confinement place la Belgique à la limite fragilité initiale fut alors peu remarquée entre les politiques particulièrement tant du fait de l’urgence de la crise que de strictes menées dans les pays latins la personnalité de Sophie Wilmès, qui (France, Italie, Espagne) et celles beaucoup semblait planer au-dessus de ces querelles plus souples menées en Allemagne ou aux politiciennes. Pays-Bas. Elle était néanmoins clairement du premier groupe plutôt que du second. Un confinement théoriquement strict Le fédéralisme belge : particularités et Face à la pandémie, et la situation mise entre parenthèses d’urgence, la réponse des autorités s’est faite en deux temps. Dès le 12 mars, des Avant de voir les résultats de cette mesures fortes et spécifiques étaient politique, attardons-nous sur le mode de prises : interdiction de tout rassemblement, prise de décision particulier durant la fermeture des écoles et des universités, période ouverte le 12 mars. Les décisions fermetures des cafés et des restaurants. Le décrites ont été prises par une instance 17 mars, on passait au stade dit de phase 3 spécifique, le Conseil national de sécurité. de l’épidémie avec confinement et Cet organisme a la particularité de fermeture des commerces non essentiels 1. rassembler, outre le Premier ministre et Pour détailler ces mesures, il est tentant de quelques ministres fédéraux compétents, faire la comparaison avec la France. En l’ensemble des ministres-présidents des effet, les mesures belges ont été prises entités fédérées du pays2. Les décisions respectivement quelques heures après le sont prises par consensus et il a été décidé, premier discours d’Emmanuel Macron le dès le départ, de mener une politique 12 mars, et le lendemain de l’annonce du confinement français le 17 mars. De 2 Depuis l’instauration du fédéralisme en 1991, la même, les mesures de confinement prises Belgique est composée de trois régions (Bruxelles, Flandre et Wallonie) et de trois communauté 1 Étaient considérés comme essentiels les (néerlandophone, française et germanophone). La commerces alimentaires, les pharmacies et les région flamande et la communauté néerlandophone animaleries. sont représentées par le même gouvernement. 2 Fondation Robert Schuman | Juillet 2020
GERER LE COVID-19, UN TOUR D’EUROPE uniforme sur l’ensemble du territoire supplémentaire pour l’action publique dans belge. Ceci a mené dans les faits à une le contexte de pandémie. mise entre parenthèses du fédéralisme belge. En effet, l’intérêt du fédéralisme est L’efficacité de la lutte contre la bien d’avoir des politiques différenciées en pandémie fonction des réalités de chaque entité fédérée. Dans la crise du covid-19, Malgré tous ces handicaps de nature l’Allemagne a montré tout l’intérêt que politique et institutionnelle, la Belgique a pouvait avoir une action décentralisée. En lutté de manière efficace contre l’épidémie Belgique, les gouvernements des différents de Covid-19. Sur le plan des niveaux de pouvoirs ont eu à cœur d’avoir infrastructures hospitalières, il faut une action uniforme sur l’ensemble du rappeler qu’elle était bien mieux dotée que territoire national. Au final, la Belgique a la plupart des autres États européens, cumulé les défauts des systèmes unitaires avec 16 lits en soins intensifs pour 100.000 et fédéraux. Ainsi, à l’instar de pays habitants3. En outre, les messages adéquats unitaires comme la France, la Belgique n’a ont été très vite diffusés auprès de la pas pu mener une action au plus près des population qui les a, du moins au début, réalités locales. Les mêmes restrictions se largement respectés. Il s’agit des consignes sont appliquées que l’on soit dans une sur la conduite à tenir en cas de symptômes grande ville où l’épidémie sévissait, ou s’apparentant au Covid-19, à savoir dans des zones rurales peu touchées. Mais consulter son médecin généraliste par l’avantage d’un pays unitaire est de téléphone et surtout éviter de se rendre pouvoir prendre des décisions fortes directement aux urgences. Ces consignes, rapidement. À l’exception des premières couplées au travail de la médecine de décisions de mars concernant la mise en première ligne, ont permis d’éviter un place du confinement, ce ne fut pas le cas afflux de malades vers les hôpitaux et des en Belgique. Il est en effet nécessaire de contaminations dans les salles d’attente. En s’accorder entre sept gouvernements, qui Belgique comme ailleurs, l’objectif initial plus est composés pour chacun de a consisté à éviter l’engorgement des coalitions de partis différents. En outre, les services de soins intensifs. La hantise de décisions relevant du gouvernement tout gouvernement était en effet de voir se fédéral étaient prises par une instance créée reproduire les scènes vues en Lombardie. pour l’occasion : le kern+10. La Belgique n’a en réalité jamais été Habituellement, le « kern » (gouvernement réellement inquiétée à ce sujet. Ainsi, si restreint) rassemble le Premier ministre et certains hôpitaux (notamment bruxellois) les Vice-Premiers ministres. On y a adjoint ont pu être à un moment saturés, un plan les présidents des 10 partis soutenant ce de répartition national a permis d’éviter gouvernement afin de tenir compte de cette que cet engorgement local ne pose situation particulière. Cette institution problème. Au niveau national, 1.900 lits en souligne à la fois l’importance des soins intensifs étaient consacrés aux présidents de partis en Belgique et la potentiels patients Covid-19. Au plus fort capacité à créer des instances ad hoc n’ayant aucune base constitutionnelle. Elle 3 Au niveau européen, seuls l’Allemagne, le Luxembourg et l’Autriche étaient mieux dotés au est surtout une source de contrainte début de la crise. Fondation Robert Schuman | Juillet 2020 3
GERER LE COVID-19, UN TOUR D’EUROPE de la crise, seuls 1.285 (68 %) d’entre eux tout cas à remettre en cause l’idée selon étaient occupés. laquelle le confinement strict permet L’hôpital belge a donc fort bien fait face. d’éviter davantage de décès. Mais ce tableau optimiste a été assombri par le nombre impressionnant de décès Les experts au pouvoir ? survenus dans les maisons de repos. Cette situation a bien sûr été constatée dans La période de confinement en Belgique a d’autres pays européens. Mais la Belgique vu l’émergence médiatique d’une série affiche le taux record de 64% de décès d’experts en santé publique : virologues, concernant des résidents de structures pour épidémiologistes et médecins. Cette personnes âgées. Pour filer la métaphore présence médiatique s’est rapidement vue militaire, l’ennemi a été contenu là où on doublée d’une institutionnalisation de leur l’attendait, mais a frappé durement sur un influence. En effet, au début du mois autre front. Cette négligence relative d’avril, le gouvernement belge a créé le concernant les maisons de repos peut "Groupe d'Experts en charge de l'Exit partiellement s’expliquer par la place Strategy" (GEES) afin de planifier le dé- accordée à la médecine hospitalière et à ses confinement du pays. Ce conseil est représentants, que ce soit dans les médias singulier à double titre. Tout d’abord, il ne ou auprès des instances de décision. Il s’agit pas d’un conseil d’experts conduit en tout cas à questionner spécialisés qui regrouperait, par exemple, l’efficacité de la stratégie de confinement. des experts en santé publique. On y a En effet, ces structures ont suivi à la lettre adjoint des économistes, ainsi qu’une les mesures de confinement. Mais juriste et une représentante du secteur l’observation stricte de ces consignes n’a social. Dans un schéma classique, les pas empêché de voir tant le personnel que groupes d’experts spécialisés informent le les pensionnaires de ces établissements être pouvoir politique, à charge pour ce dernier largement contaminés. d’effectuer la synthèse entre les demandes et intérêts contradictoires de différents Plus globalement, le résultat est un triste secteurs. Mais ici, le GEES effectue lui- record pour la Belgique : avec 84 morts du même cette synthèse, que le pouvoir Covid-19 pour 100.000 habitants, la politique est libre de suivre ou non. L’autre Belgique est proportionnellement le pays le élément, aussi particulier que perturbant, plus touché au monde par la maladie. est constitué par les sorties médiatiques Certes, ce chiffre très élevé doit être régulières de membres du GEES, y relativisé du fait d’une méthode de compris depuis leur nomination dans ce comptage des décès particulièrement large. conseil stratégique. Il s’agit toujours des Mais ces subtilités méthodologiques mêmes experts (virologues, n’expliquent pas tout. En effet, une prise épidémiologistes ou médecins) qui en compte de la surmortalité durant la crise interviennent pour porter le même place la Belgique parmi les plus touchés message : il faut être extrêmement prudent d’Europe. Elle se place ainsi au même et restrictif dans le rythme de dé- niveau que l’Espagne qui disposait confinement. A une occasion, le rapport pourtant de moyens hospitaliers moins envoyé par ce GEES au Conseil national importants. Ces observations tendent en de sécurité a fuité dans la presse, sans que 4 Fondation Robert Schuman | Juillet 2020
GERER LE COVID-19, UN TOUR D’EUROPE l’on sache si cette fuite provenait d’un des autres aspects du dé-confinement qui membre du GEES ou de responsables contraste avec celui des pays voisins. Ainsi politiques. Quoi qu’il en soit, il semble aucune école n’a rouvert ses portes avant le bien que le GEES et certains de ses 18 mai. Et encore, celle-ci était presque membres se soient érigés en pouvoirs symbolique avec seulement trois niveaux autonomes tentant non seulement reprenant les cours deux demi-journées par d’influencer, mais aussi de concurrencer semaine. Concernant les classes de un pouvoir politique affaibli. Le plus fort maternelle et de primaire, on s’acheminait de la crise passée, les tensions entre vers une fermeture jusqu’à la rentrée de certains experts du GEES et les septembre. Mais une interpellation ouverte responsables politiques sont apparues au et médiatisée des pédiatres a changé la grand jour4. La place prise par les experts donne. Ceux-ci ont souligné les dégâts est incompréhensible si l’on n’a pas à psychologiques et sociaux d’un l’esprit l’affaiblissement de la classe confinement prolongé sur les jeunes politique en Belgique. En effet, à la enfants ainsi que leur faible contagiosité. défiance structurelle de la population belge Ils se sont appuyés sur les exemples envers son personnel politique, s’ajoute un étrangers, en particulier du Danemark. contexte où ce dernier était Cette intervention publique montre que le particulièrement décrédibilisé, tant du fait problème n’était peut-être pas le pouvoir des échecs répétés en vue de former un des experts, mais plutôt la priorité donnée gouvernement fédéral pérenne que de à certains experts. Dans la foulée, le l’impréparation face à la crise sanitaire. gouvernement flamand a décidé de Rappelons, en outre, que le pouvoir procéder à la réouverture complète de ses politique est éclaté entre le gouvernement écoles maternelles et primaires. Mis sous fédéral et les entités fédérées. On pression, les Francophones ont finalement comprend dans ces circonstances que le décidé de suivre. rôle des experts peut être prépondérant, en Concernant les contacts sociaux, le plan particulier lorsque ceux-ci interviennent initial était à ce point restrictif que le directement dans les médias ou sur les Conseil national de sécurité a dû décider, réseaux sociaux. là aussi en urgence, de permettre les visites à domicile de quatre personnes maximum à Un dé-confinement lent et erratique partir du 10 mai. Cette décision faisait Cette situation est probablement une des suite aux critiques du parti écologiste raisons pour lesquelles le plan de dé- francophone et à la crainte de voir les confinement belge fut l’un des plus lents Belges enfreindre largement les consignes d’Europe. Du point de vue économique, à l’occasion de la fête des Mères. Une l’assouplissement des règles concernant le décision de dernière minute a été prise télétravail a permis une reprise partielle de concernant l’accès aux résidences l’activité dès le 4 mai, alors que tous les secondaires, sous la pression des commerces non essentiels ont rouvert leurs bourgmestres de communes de la côte portes le 11 mai. Mais c’est le calendrier belge. Tous ces exemples procèdent du même mode de fonctionnement : à un plan 4 Voir à ce sujet : « Pressions, lobbys, désaccords : de dé-confinement initial très restrictif (où trois mois de tensions entre experts et politiques », La Libre Belgique, 23 juin 2020. virologues, épidémiologistes et médecins Fondation Robert Schuman | Juillet 2020 5
GERER LE COVID-19, UN TOUR D’EUROPE ont un rôle prépondérant), répond un La crise du coronavirus n’aura donc pas certain nombre de pressions auxquelles les réussi à ressouder la Belgique, ni à la doter politiques cèdent, le plus souvent en d’un gouvernement fédéral pérenne. urgence. Il faut aussi évoquer les larges L’union nationale entrevue au mois de insuffisances de la politique de tracing, à mars n’aura pas survécu au passage du pic la fois largement inefficace et épidémique. La crise laissera en revanche apparemment contraire aux règles de une ardoise économique et budgétaire respect de la vie privée. La manifestation d’autant plus conséquente que le dé- contre le racisme, rassemblant 10.000 confinement s’effectue lentement. Si des personnes à Bruxelles début juin, a achevé élections devaient avoir lieu à l’automne, de donner l’impression d’un processus de on peut légitimement craindre une poussée dé-confinement loin d’être maîtrisé. des partis extrémistes (extrême droite en Flandre et extrême gauche en Wallonie), Après la crise, de nouvelles élections ? dopés par la crise économique qui Si le dé-confinement belge est s’annonce et les critiques faciles sur la particulièrement lent, le jeu politique a gestion de l’épidémie. rapidement repris ses droits. Signe de la fin de cette période d’union nationale, les pouvoirs spéciaux octroyés au Vincent Laborderie est gouvernement Wilmès II, initialement Maître de conférences à l’UCLouvain prévus pour deux termes de trois mois, n’ont finalement pas été prolongés au-delà du mois de juin. Les négociations en vue de former un gouvernement fédéral de plein exercice ont repris, mais aucune perspective sérieuse ne se dégage pour l’instant. 6 Fondation Robert Schuman | Juillet 2020
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