La gestion de la crise du Covid-19 : vers une réinvention du Nouvel Ordre Mondial - mai 2020 - CLUB RISQUES/AEGE

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La gestion de la crise du Covid-19 : vers une réinvention du Nouvel Ordre Mondial - mai 2020 - CLUB RISQUES/AEGE
La gestion de la crise du Covid-19 :
           vers une réinvention du
           Nouvel Ordre Mondial
                    mai 2020

CLUB RISQUES/AEGE
La gestion de la crise du Covid-19 : vers une réinvention du Nouvel Ordre Mondial - mai 2020 - CLUB RISQUES/AEGE
DOSSIER : MOIS DU RISQUE                                                 MAI 2020

Ce dossier stratégique vous est présenté par les étudiants du Club Risques de l’AEGE.
L’équipe est omposée des étudiants suivants :

       ❏ ​Karima ALAMI
       ❏ Lorenzo NEUMANN
       ❏ J.J.E

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                                     Introduction

Crise sanitaire, pandémie, les différents risques liés à l’apparition de maladies ont plusieurs
fois marqué de manière durable les mentalités et poussent à changer les comportements de
chacun. Le risque n’est jamais écarté, plusieurs raisons à cela comme le déplacement du
virus, l’attente d’un vaccin, la présence de zones géographiques sous développées moins
propices à la gestion sanitaire, etc. La peste noire au XIVème siècle décima près de la moitié
de la population européenne, la grippe espagnole au début du XXème siècle fit entre 50 et
100 millions de victimes, le choléra du XIXème siècle réapparu dans les années 1960 en
Indonésie, … ​les exemples ne manquent pas et constituent différents éléments permettant de
se préparer aux prochaines crises sanitaires et pandémies. Globalement, les estimations
tendent à observer l’apparition d’environ ​3 pandémies par siècle​. Même si cela apparaît
humainement difficile à supporter, l’apparition de nouvelles maladies est inévitable, cela
résulte de nos comportements mais aussi de l’évolution de différentes maladies. ​Selon l’OMS
(Organisation Mondiale de la Santé)​, ​« les maladies à transmissions vectorielles sont
responsables de plus de 17% des maladies infectieuses et provoquent plus d’un million de
décès chaque année ». Les transmissions de maladies de l’animal à l’homme sont ainsi
responsables de nombreux décès. Protéger une population est d’autant plus difficile en
fonction de l’accès à un système de santé efficace et des gestes préventifs (en ce moment
nous parlons de gestes barrières).

Au niveau national, cette question a déjà été pensée et évoquée. Dès 2008, le NIC (National
Intelligence Council), centre d’analyse prospective sur les tendances à venir, alertait sur ​des
risques de pandémies à venir​ : ​« The emergence of a pandemic disease depends upon the
natural genetic mutation or reassortment of currently circulating disease strains or the
emergence of a new pathogen into the human population. Experts consider highly pathogenic
avian influenza (HPAI) strains, such as H5N1, to be likely candidates for such a
transformation, but other pathogens—such as the SARS coronavirus or other influenza
strains—also have this potential. If a pandemic disease emerges, it probably will first occur

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in an area marked by high population density and close association between humans and
animals, such as many areas of China and Southeast Asia, where human populations live in
close proximity to livestock. Unregulated animal husbandry practices could allow a zoonotic
disease such as H5N1 to circulate in livestock populations—increasing the opportunity for
mutation into a strain with pandemic potential. To propagate effectively, a disease would
have to be transmitted to areas of higher population density » (​ p.75). Une prévision assez
proche de la réalité mais qui en France aussi se fit retentir. ​En 2013 dans son livre blanc, le
ministère des armées évoquait le risque pandémique comme éventualité de crise possible
pour la nation. Cependant, il est aussi à noter que le rapport comptait aussi sur l’entraide des
nations et notamment de l’Europe comme élément pour faire face à la crise : ​« la France est
engagée sur la scène internationale, conformément à ses intérêts et ses valeurs. Elle agit en
concertation étroite avec ses partenaires européens comme avec ses alliés, mais garde une
capacité d’initiative propre » ​(p.7). Une évocation en demi-teinte dans le contexte actuel où
chaque Etat est face à sa propre gestion de la crise au détriment de leurs rapports sur la scène
internationale quelques-fois. C’est ​notamment le cas de l’Italie qui s’est sentie abandonnée au
moment le plus fort de sa crise. Ces évolutions dans les rapports internationaux peuvent
rebattre les cartes des partenariats entre Etats et permettent d’entrevoir différents scénarios à
venir.

Ce rapport a pour objectif d’identifier dans un premier temps la gestion de la crise vue sous le
prisme de différents acteurs internationaux (OMS, Chine, États-Unis, Russie). Mais aussi de
mettre en lumière les multiples démarches d’influences observées par le biais de différentes
études de cas examinées pendant la crise actuelle. Les démarches d’influences identifiées se
focaliseront sur la guerre économique, la guerre informationnelle et l’analyse des coalitions.

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       1. États des lieux de la crise sanitaire : ordre
                   chronologique des confinements

1.1 Le COVID-19: Retour chronologique sur le passage du stade
d'épidémie au stade de pandémie
Le premier cas de Covid-19 a été détecté à Wuhan le 1er décembre 2019.Les médecins
chinois ont annoncé l'apparition d'un nouveau virus inconnu appelé 2019 n-CoV, qui serait
apparu chez des personnes travaillant au marché de gros des fruits de mer de Huanan, à
Wuhan, dans la province de Hubei, au centre de la Chine. Le virus s'est ensuite répandu dans
toute la Chine au cours des deux prochains mois, la région autonome du Tibet a été la
dernière zone infectée le 30 janvier.

Le mois de janvier a été principalement marqué par la propagation massive du virus sur le
territoire chinois et par son apparition au niveau mondial à partir du ​13 janvier​. L'OMS a
émis une alerte sur le virus début janvier ainsi qu'une série de recommandations temporaires
du RSI vers la fin du mois de janvier.

Au niveau mondial, la contagion principalement chinoise s'est accélérée de manière
exponentielle jusqu'au 20 février pour parvenir à un niveau de perte totale de contrôle et à un
nombre de cas et de décès quotidiens plus élevé qu'en Chine. Le premier décès en dehors de
la Chine est survenu aux Philippines. Avec l'Afrique subsaharienne, l'Amérique latine est
restée l'une des dernières régions du monde à ne pas être touchée par l'épidémie. En outre, le
manque de sensibilisation des citoyens au niveau mondial n'a fait que détériorer la situation,
en particulier en France, suite au ​rassemblement évangélique en Alsace de 2500 personnes
venues de toute la France, point de départ de la vague de contagion dans le Haut-Rhin et les
départements frontaliers. Quant aux scientifiques, ils ont souligné la gravité des conséquences
que pourrait subir le monde si les mesures de distanciation sociale n'étaient pas respectées, en
particulier le président de la faculté de médecine de l'université de Hong Kong, qui a annoncé

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la possibilité d'un échec du confinement en Chine et la nécessité de faire face à un virus dont
la propagation ne peut être arrêtée. La raison en est que tout individu affecté par le virus
pourra le transmettre à une moyenne de 2,5 individus, soit 60 % de la population mondiale
qui pourrait être affectée.

La situation critique a conduit certains pays, comme l'Italie, à mettre en quarantaine le nord
du pays et à mobiliser tous les hôpitaux. Pour sa part, l'Allemagne a fermé des écoles dans le
district de Heinsberg en Rhénanie du Nord-Westphalie et a imposé un confinement dans cette
partie du pays.

Le nombre de morts en Chine et en Europe a atteint respectivemen​t ​3 000 et 500 au début du
mois de mars. L'aggravation de la situation a contraint un certain nombre de pays à procéder
à la mise en place du confinement et à la fermeture de toutes les frontières avec les pays
voisins ainsi qu'avec ceux qui comptent un grand nombre de cas. En conséquence, l'OMS a
considéré l'épidémie de COVID-19 comme étant une ​pandémie​. Par conséquent, les mesures
de quarantaine ont été renforcées par la fermeture des écoles, des magasins, des cafés et des
restaurants. Au nombre de ces pays figuraient l'Italie, la Pologne, la Grèce, l'Ukraine, la
Belgique, la Lituanie et la France. Après un bilan de 1 000 morts en Italie, l'Europe est
désormais à l'épicentre de la pandémie. Cette situation a incité plusieurs États à déclarer l'état
d'urgence et à fermer totalement les frontières maritimes, terrestres et aériennes dans l'espace
Schengen pendant un mois. Le 19 mars, le nombre de décès en Italie a dépassé celui
enregistré en Chine. Alors que le virus se propageait, la Chine a déclaré le 23 mars que 90 %
des cas sur son territoire avaient été guéris. Le pays a également décidé de fermer ses
frontières aux étrangers détenteurs d'un visa ou d'un permis de séjour en cours de validité à
partir du 28 mars. Pour les pays ayants compté pour le confinement total, vue la non maîtrise
de la situation, les États comme la France, l’Espagne, l’Italie… ont décidé à deux reprises de
prolonger la durée du confinement statuée.

Au début du mois d'avril, le nombre de personnes infectées dans le monde dépassait le
million. L'Italie, l'Espagne et la France représentaient à elles seules plus des trois quarts des
40 000 ​personnes qui sont mortes en Europe à cause du COVID-19.

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Les États-Unis ont été le pays qui a enregistré le plus grand nombre de décès, avec ​20 000
morts et ​500 000 cas signalés. De plus, suite à la non-application des mesures de confinement
dans tous les États des USA, le pays est devenu le pays le plus touché au monde avec plus
d'un million de cas de contamination à la fin du mois d'avril. Par ailleurs, la ​Chine a
commencé à réduire les mesures de confinement en levant le bouclier sur la ville de Wuhan
après deux mois de confinement. (Voir récapitulatif: Annexe 1)

À l'heure actuelle, plus de ​300 000 ​personnes sont mortes du coronavirus dans le monde. Le
Royaume-Uni est le premier pays européen à dépasser les 30 000 morts et le plus endeuillé
du continent. Les États-Unis ont atteint la barre des ​90 000 ​morts le 18 mai. Et la ​Russie est
désormais le premier pays d'Europe et d'Asie en termes de nombre de cas et le deuxième au
niveau mondial. De plus, dans le cadre de la gestion de crise adoptée par les différents pays, il
convient de citer le développement et l’usage de solutions de tracking afin de limiter la
propagation du virus. En France, la sortie de l’application ​STOP COVID a été annoncé le 5
mai. Elle permet d’identifier les personnes contaminées et à retracer les déplacements de la
personne en question. L’usage de l’application sera voté au parlement le 25 mai. Quant à
l’Allemagne, l’application ​Corona Datenspende a été lancée en mois d’avril. Elle permet de
recueillir de façon anonyme les données de santé issues des objets connectés. Les données
sont ensuite analysée par l’institut qui pilote la lutte contre le virus. La Géorogie a lancé a son
tour en début mai une application de tracking via bluetooth, ​Stop COVID. ​En Asie, la
Chine a mobilisé tous les maillons technologiques, sanitaires et économiques pour lutter
contre la crise. Le pays a lancé en février le tracking par le biais de l’application ​Alipay sur
presque tout le territoire chinois. À Hong Kong, un bracelet électronique est imposé à toutes
les personnes revenants de l'étranger et relié à une application de tracking et de surveillance.

1.2 Le rôle de l’OMS dans la gestion des crises sanitaires
L’Organisation Mondiale de la Santé à pour objectif de ​« p​ rotéger la santé de toutes les
populations du monde ».​ Ainsi, elle regroupe plusieurs Etats signataires respectant différents
règlements promulgués faisant de l’organisation un acteur majeur en temps de crise sanitaire

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mondiale et pandémique. L’OMS joue alors un rôle de coordination mondiale dans la gestion
sanitaire et conseil les dirigeants dans la gestion des États qu’ils représentent.

Dans son rapport annuel de 2019 : ​A world at Risk – Annual report on global preparedness
for health emergencies – Global Preparedness Monitoring Boards,​ l’OMS préparait déjà la
scène internationale. Selon l’OMS les risques de l’apparition d’une pandémie étaient déjà très
importants en 2019. Une alerte qui résulte de l’étude suite à l’accélération des échanges
internationaux, l’évolution des mouvements de populations et l’interconnexion qui devient de
plus en plus humaine et pas seulement technologique. Selon l’OMS les gouvernants sont la
clé de l’évolution et de la résolution d’une crise sanitaire, permettant la mise en place de
mesures de protection de la population et de continuité de la vie de l’Etat. Plusieurs
recommandations ont alors été émises à l’égard des gouvernants afin de faire face à
l’émergence d’une pandémie :

   -   « Heads of government must commit and invest
   -   Countries and regional organizations must lead by example.
   -   All countries must build strong systems
   -   Countries, donors and multilateral institutions must be prepared for the worst.
   -   Financing institutions must link preparedness with financial risk planning.
   -   Development assistance funders must create incentives and increase funding for
       preparedness.
   -   The United Nations must strengthen coordination mechanisms ».

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                Figure : ​Exemples mondiaux de maladies émergentes et réémergentes

L’engagement des gouvernants est la première des recommandations. L’OMS encourage
alors les Etats à respecter le ​Règlement sanitaire international​ (2005). Un règlement
international à-travers lequel les États signataires «​ s​ ’engagent à collaborer au profit de la
sécurité sanitaire mondiale ​» permettant la mise en place d’un réseau d’alerte international
rapide et efficace, mais aussi des mesures de protection appliquées à plusieurs sites
stratégiques (aéroports, ports, frontières). Globalement ce réseau d’alerte a bien fonctionné
autour du globe. La pandémie bien qu’inévitable a été assez rapidement identifiée même si
les différentes informations observées l’ont été grâce au prisme des médias, cela a permis aux
États de se préparer à l’arrivée de l’épidémie.

L’OMS insiste sur le soutien des organisations politiques internationales, mais aussi le
système financier et politique comme élément majeur de la gestion de crise sanitaire. Cet
élément fait échos aux différentes décisions ayant été observées depuis le début de la crise,
certains acteurs se retrouvant délaissés et d’autres n’hésitant pas à outrepasser les règles de
cordialité internationales les plus élémentaires afin de faire valoir l’intérêt national avant tout.

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Selon l’OMS, la mise en place d’un système encadré est nécessaire afin de faire face à une
crise. En France nous pouvons l’observer avec ​la mise en place de mesures de contrôles des
déplacements de la population mais aussi la mise en place de process de désengorgement des
hôpitaux avec ​transferts des patients​. Cependant, la crise du COVID-19 pousse les Etats à se
refermer sur eux-mêmes, une montée du patriotisme se fait ressentir. ​Des applaudissements
se font par exemple retentir dans plusieurs Etats en soutien au personnel de santé. Ces
travailleurs du service public apparaissent alors ​comme des « Héros » et sont salués par
l’ensemble des classes sociales et politiques​. On peut observer également ​un soutien du privé
au public avec le don de matériel médical pour répondre aux besoins massifs de masques et
gels hydroalcooliques notamment. Enfin le secteur public lui-même souhaite soutenir le privé
avec ​l’annonce d’aides dédiées à protéger les entreprises de la faillite​. Cette montée de
l'État-providence apparaît alors à son paroxysme avec l’annonce de ​la nationalisation en
France de certaines entreprises​ ne pouvant résister à cette crise financièrement.

Paradoxalement les Nations Unis ne se font pas vraiment l’écho de solutions pendant la crise
COVID-19. Nous constatons que ​bien que des recommandations soient émises, aucune
véritable solution n’est évoquée. Laissant tacitement chaque état libre de ses décisions et
incitant indirectement les différents états à se refermer sur eux-mêmes.

1.3 Une OMS influencée par la Chine ?

Récemment ​plusieurs accusations du président des États-Unis Donald Trump se sont fait
retentir à travers les différents médias à l’encontre de l’OMS comme étant « très favorable à
la Chine » et ayant dissimulé l’ampleur de l’épidémie lorsque celle-ci est apparue en Chine.
Actuellement Directeur Général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a ​été élu le 23
mai 2017​. Anciennement ministre de la santé éthiopien il est le premier politique africain à
accéder à cette fonction. Plusieurs éléments viennent agrémenter la thèse d’une complicité
tacite. La première serait ​les félicitations publiques adressées à la Chine pour la gestion de la
crise sanitaire. Des félicitations adressées fin janvier 2020 qui sont à contrebalancer avec
l’ampleur de la pandémie mondiale qui s’en est suivie.

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Sur la scène politique d’autres éléments viennent entacher la crédibilité du Directeur Général
de l’OMS. Celui-ci a ​été membre du parti « Front de libération du peuple du Tigray »,
composante principale du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien ​pays
connu pour ses violences​. Un parti révolutionnaire ​connu pour ses actes sanglants à la tête du
pays durant 27 ans ​dont il a été ministre de la santé entre 2005 et 2012​. ​Un lien avec le parti
communiste Chinois aujourd’hui décrié par les ​Etats-Unis comme élément supplémentaire ​à
l’encontre de l’OMS​.
Avant l’actuel Directeur Général de l’OMS, Le ​Dr Margaret Chan​, « ressortissante de la
République Populaire de Chine » et qui a fait carrière au département de la santé de
Hong-Kong pendant 25 ans, devient le 04 janvier 2007 Directrice de l’OMS pour 5 ans.
Actuellement les Etats-Unis réclament la démission de l’actuel directeur de l’OMS pour ses
positions et liens précédents avec la Chine. Une réclamation suivie de faits. En effet, les
Etats-Unis ont ​annoncé suspendre leur participation financière à l’OMS tant que l’actuel DG
est à sa tête​. Réclamant ainsi plus de transparence. Une décision qui pourrait avoir des
conséquences, les États-Unis étant le premier contributeur de l’OMS avec un montant de
« 400 à 500 millions de dollars par an à l'organisation ».

Après avoir décrypté les démarches de gestion de crise adoptées par les pays pour faire face
à la pandémie, il est opportun d’analyser les cas de guerres économiques et d’informations
par le contenu.

 2. L’influence : vecteur de lutte pour la suprématie

2.1 La pandémie du COVID-19 en France : une nouvelle sphère
de controverse

2.1.1 Les cas de guerre économique dans la crise du Covid-19

Le 26 janvier 2020, face à la progression dramatique de l’épidémie de coronavirus en Italie​,
la Ministre de la santé Agnès Buzyn déclare qu’il n’y aura pas de pénurie de masques en cas
d’épidémie du virus Covid-19 sur le sol français. Cependant, le 4 mars 2020, l’État français

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réquisitionne ​« tous les stocks et la production de masques de protection » ​pour les distribuer
au personnel soignant et aux patients. Quelques jours plus tard, le Premier ministre Edouard
Philippe présente un décret de réquisition des stocks et de la production de masques jusqu’au
31 mai 2020.

Dès lors, à la guerre sanitaire provoquée par le Covid-19 s’ajoute une guerre économique. La
pandémie du Covid-19 met en effet en lumière d'importantes failles dans la gouvernance de
nombreux pays, notamment en ce qui concerne les problématiques sanitaires. Alors qu'elle
avait fini par être perçue comme un secteur de dépenses et de surcoûts, la santé va récupérer
son statut de secteur souverain.

« Ce qui est stratégique c'est ce qui garantit la souveraineté, l'autonomie, l'indépendance
(…) ​C'est ce qui nous permet de ne pas dépendre de quelqu'un d'autre ​». Avec les propos de
Claude Revel (Déléguée interministérielle à l'intelligence économique) en tête, comment
analyser la crise qu’a traversé l’industrie sanitaire française en pleine pandémie ?

2.1.2 Une guerre qui ne dit pas son nom
La France ​réquisitionne tous les stocks et la fabrication sur tout son territoire, l’Allemagne et
bon nombre d’autres pays européens promulguent des interdictions d’exportation dans
l’urgence. Les états européens doivent trouver des quantités énormes de masques de
protection respiratoires et autres matériels médicaux nécessaires pour endiguer la pandémie
de Covid-19 et soigner leurs populations.

Les États-Unis, qui ont tardé bien plus que les autres à prendre des mesures pour enrayer la
propagation du Covid-19 sur leur territoire, sont aussi à la recherche de masques et n’hésitent
pas à détourner les commandes de leurs alliés européens et canadiens sur le tarmac des
aéroports chinois, en payant en espèces trois à quatre fois le prix facturé au destinataire
initial.

2.1.3 La pénurie de masques en France

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La pénurie actuelle résulterait des ​choix budgétaires de tous les gouvernements qui se sont
succédés dans la gestion des stocks stratégiques de masques de protection respiratoire. « À
partir de 2011, après la grippe H1N1, il a été décidé qu’un stock de cette nature n’était plus
utile car les productions mondiales étaient suffisantes pour assurer le coup en quelque sorte,
en cas de pandémie. Les stocks ont donc progressivement diminué. » déclare ​Sibeth N’Diaye
la porte-parole du gouvernement, qui ajoute ​« Au début de cette crise, en 2019, nous avions
un stock de 140 millions de masques chirurgicaux, dont une partie pas utilisable car destinée
aux enfants. Et nous n’avions pas de masques FFP2 en stock ».​

Face à la pénurie avérée, le gouvernement français a été contraint de commander en urgence
200 millions de masques filtrants FFP2 destinés à protéger tous les personnels soignants des
hôpitaux ou des cabinets médicaux. D’autres commandes beaucoup plus importantes se sont
ajoutées par la suite.

2.1.4 Erreurs stratégiques et contraintes budgétaires
La réduction drastique du stock stratégique des masques de protection révélerait selon
différentes sources, un ​schéma d'erreurs successives​, de contraintes budgétaires et d‘abandon
partiel d'une souveraineté sanitaire face aux maladies hautement pathogènes à transmission
respiratoire. La nouvelle doctrine du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité
Nationale qui dépend du Premier Ministre (SGDSN) a transféré depuis 2013 la responsabilité
de l’achat et de la fourniture des masques de type FFP2 beaucoup plus chers tant à l’achat
qu’en coût de stockage (volume d’entreposage et date de péremption) à tous les employeurs
des domaines privé et public. Il s’agit en particulier du secteur public de la santé, c’est à dire
tous les hôpitaux et autres structures elles-mêmes soumises à une austérité budgétaire
grandissante et à une logique comptable des plus restrictives.

Certaines entreprises, ne relevant pas du statut des Opérateurs d’Importance Vitale (OIV)
soumis à des règles particulières, se sont acquittées de cette contrainte sanitaire et de ce
transfert de responsabilité.

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2.1.5 Crise industrielle et abandon de la souveraineté sanitaire
« ​Ce qui n’avait peut-être pas été anticipé en 2011, c’est que parfois les crises sanitaires
peuvent engendrer des crises industrielles » expliquait le ministre de la Santé ​Olivier Véran à
l’Assemblée Nationale le 3 mars 2020.

Conséquence directe de la pandémie, le ralentissement de l’industrie chinoise se répercute sur
les délais de fabrication qui s’allongent et favorisent l’apparition de nouveaux intermédiaires
commerciaux. Les arnaques en tous genres fleurissent : détournements de commandes,
mauvaise qualité des produits, les masques livrés ne sont pas aux normes européennes.
L’abandon des souverainetés sanitaires amplifie la demande mondiale de masques de
protection de façon exponentielle. La compétition entre tous les acheteurs amplifie les
conséquences de la pénurie et fait grimper les prix qui sont de fait multipliés par dix et plus,
depuis le début de l’année.

Après l’abandon pur et simple de l’usine bretonne de Plaintel dans les Côtes d’Armor,
rachetée puis liquidée par le groupe américain ​Honeywell​, afin de transférer toute l’activité
du site breton sur son usine de Nabeul en Tunisie, seules quatre entreprises sont à même de
produire des masques en France. L’une d’elles, Valmy à Mably dans la Loire, fabriquait au
début du mois de mars des masques pour le National Health Service (NHS) britannique alors
que les autorités françaises étaient encore indécises. Quant à la division française de la société
britannique ​VSP Med Mask​, basée à Marseille, elle indiquait fin février recevoir de très
nombreuses demandes ​« y compris et surtout des gouvernements des régions chinoises », les
principaux producteurs de masques du Pays du Milieu se trouvant à Wuhan, l’épicentre de la
pandémie. Depuis, l’entreprise a dû fermer sa permanence téléphonique submergée d’appels.

Le 13 mars, le Premier ministre Édouard Philippe promulguait un décret de réquisition de
tous les stocks et de la production de masques sur l’ensemble du territoire national jusqu’au
31 mai 2020. Des chargements en transit ne pouvaient plus quitter le territoire, notamment
celui du groupe suédois Mölnlycke saisi le 1​er avril à Lyon et qui était constitué d’un lot de
quatre millions de masques à destination de plusieurs pays européens.

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Au cours de sa visite de l’usine française de fabrication de masques Kolmi-Hopen du groupe
canadien Medicom, le président Macron promettait aux soignants et malades français ​«
l'indépendance pleine et entière »​ d'ici à la fin de l'année pour la production de masques.

Ainsi, la France sera amenée à repenser sa politique industrielle après la crise du Covid-19.
En effet, le pays semble, contrairement à l’Allemagne par exemple, avoir sacrifié l’industrie
sanitaire en se rendant énormément dépendante de puissances étrangères. La délocalisation de
nos chaînes de valeur est cohérente avec nos avantages comparatifs dans les services et les
produits à haute valeur ajoutée mais elle crée de la dépendance. Cette dépendance, a
compromis les capacités de la France à répondre efficacement à cette crise. Le pays doit donc
reconstruire des chaînes de valeur dans l'industrie sanitaire à l’échelle régionale, et relocaliser
son industrie des principes actifs pour gérer le risque de pénurie.

2.2 La guerre de l’information, vecteur de puissance dans la
gestion de la crise sanitaire

2.2.1 Comparaison des modèles de gestion de crise et transparence des
chiffres

Comme les dirigeants mondiaux ont été enclins à le dire ces derniers temps, l'humanité est en
guerre. Contre un ennemi invisible et pourtant puissant, dont la taille se mesure probablement
mieux en micromètres. Mais même si le coronavirus a bouleversé des milliards de vies en
imposant des restrictions sans précédent aux libertés individuelles, à l'activité économique et
à la vie publique, le COVID-19 n'a pas mis de côté les différences politiques existantes dans
le monde.

Les tensions entre les États-Unis et la Chine, les intérêts divergents de l'Occident et de la
Russie, la crise apparemment sans fin au Moyen-Orient - la pandémie a simplement fourni à
tous ces éléments un nouveau champ de bataille dans les longues guerres de l'information. En
effet, comme dans toute crise, la gestion de l’information est un enjeu capital et vecteur de
puissance, à la fois en termes réputationnels et économiques.

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Cette situation s’avère être      d'autant plus intense que de nombreuses personnes sont
enfermées chez elles pendant cette crise, passant plus de temps sur les médias sociaux. Dès le
2 février, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde contre une ​« infodémie »
massive de coronavirus, la décrivant comme ​« une surabondance d'informations - certaines
exactes et d'autres non - qui fait qu'il est difficile pour les gens de trouver des sources dignes
de confiance et des conseils fiables lorsqu'ils en ont besoin »​. Le directeur de l’OMS Tedros
Adhanom Ghebreyesus a doublé la mise en garde lors de la conférence de Munich sur la
sécurité qui s'est tenue plus tard dans le mois. ​« Les fausses nouvelles se répandent plus
rapidement et plus facilement que le virus, et peuvent être tout aussi dangereuses »​, a-t-il
déclaré.

La Russie fait partie des premiers pays à avoir saisi l’opportunité de la pandémie pour
déstabiliser l’opinion publique. Ainsi, déjà le 22 janvier, Sputnik News relaie la nouvelle
selon laquelle le virus serait d'origine humaine, une arme créée par l'OTAN. Sputnik avait
ensuite publié la fausse nouvelle dans son service arabe, afin de cibler un public qui a la
tendance à être plus critique à l'égard des États-Unis et donc plus sensible à ces théories de
conspiration. Des dizaines d'autres sites web arabes ont ensuite eux-mêmes repris l'histoire,
dont un faux site cherchant à imiter la BBC.

Une autre stratégie qui a été mise en place durant la pandémie a été celle que l’on pourrait
apparenter à du recyclage de message : si un média russe publie un mensonge, par exemple, il
est souvent repris ensuite par les médias chinois. Ces reportages ultérieurs sont alors
retweetés par la Russie, comme s'ils provenaient directement de Chine.

Un autre exemple de désinformation recyclée se trouve dans les tweets de la mi-mars d'un
diplomate chinois. Le porte-parole du ministre des affaires étrangères de Pékin, Zhao Lijian,
a écrit le 12 mars que le ​virus avait éclaté aux États-Unis​, demandant des informations sur le
« ​Patient Zéro ». Lijan a ensuite fait relayer la fausse nouvelle à travers le journal ​Global
Times en Chine, le porte-parole en langue anglaise du gouvernement communiste et

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finalement par pas moins d’une douzaine d'ambassadeurs chinois à travers le monde : le
message a fini par être retweeté plus de 12 000 retweets et a reçu 20 000 likes.

Plus récemment, la propagande chinoise a changé de cap. Elle ne cherche plus à présenter les
États-Unis comme la source secrète du virus. Elle tente plutôt de mettre en avant le succès
relatif des stratégies d'endiguement de la Chine, tout en critiquant les États-Unis pour avoir
stigmatisé la Chine comme source du virus. En effet, à Washington, le président Donald
Trump semble plutôt friand d'appeler COVID-19 le ​« v​ irus chinois ​»​, alors que son secrétaire
d'État, Mike Pompeo, préfère être un peu plus précis avec le ​« virus de Wuhan »​.

Cette stratégie chinoise repose sur la difficile comparaison du nombre de morts et de
contaminés entre les différents pays et sur le manque de transparence relatif à leur
divulgation. Effectivement, aucun pays est capable de dénombrer efficacement tous les cas de
contagion sur son territoire du fait du manque de capacités médicales adaptées, à la fois en
terme d’équipement et de personnel. Concernant les morts, ils ne sont ​pas comptabilisés de la
même façon dans tous les pays, ce qui amène ​certaines sources à estimer que le nombre de
décès dus aux coronavirus pourrait être supérieur de près de 60 % à ce qui a été rapporté dans
les recensements officiels. En Chine, où le régime n’est un champion de la transparence, les
longues files et les piles d'urnes à cendres accueillant les membres des familles des défunts
dans les funérariums de Wuhan suscitent des questions sur l'​ampleur réelle des victimes du
coronavirus à l'épicentre de l'épidémie.

Plus que jamais, le nombre de morts et de contaminés représente un levier de puissance
réputationnelle des pays. L’aide que ces derniers sont en mesure de fournir aux autres,
notamment les plus démunis, constitue le revers de la médaille.

2.2.2 Être fort c’est pouvoir aider. L’Afrique en tant que terre de conquête
réputationnelle
Un exemple de cette stratégie est celui de la communication faite sur l’aide aux pays africains
pour faire face à la pandémie. Le lundi 13 avril, le président Emmanuel Macron déclare lors

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de son allocution télévisée du soir : ​« Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à
lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant
massivement leur dette »​. Pour une majorité d’États africains, en effet, ​seule l’annulation de
la dette publique extérieure pourrait éviter un effondrement économique​, alors que son
remboursement engloutit en moyenne 13 % des revenus des États. De plus, ces dernières
années, l’endettement du continent s’est accéléré. Le poids de la dette publique y a bondi,
passant de 35 % du PIB africain à 60 % entre 2010 et 2018.
À travers cette annonce, Macron montre donc de vouloir reprendre la main sur le continent
noir, tout en rappelant implicitement le destin universaliste de la France. Face aux prévisions
catastrophiques sur les effets de la pandémie en Afrique, Emmanuel Macron fait preuve de
générosité, de manière analogue à ce que la Chine (et Cuba, la Russie, etc.) fait en envoyant
du matériel médical et du personnel soignants dans les pays les plus durement frappés. Plus
indirectement, cette annonce permet d’atteindre un double objectif : le président souligne que
la France est passée du côté des soignants, après avoir été elle-même en guerre contre le
virus, et parvient à augmenter la pression sur la Chine, qui détient aujourd’hui, ​40 % de la
dette africaine​, entre 145 et 175 milliards de dollars.

2.3 Le COVID-19 : une nouvelle ère marquée par le basculement
des rapports de forces

2.3.1 De l’influence chinoise sur l’OMS
L’OMS est l’organisation intergouvernementale en charge d’informer et de coordonner les
mesures de prévention sanitaire de ses États-membres. À ce titre, elle édicte des
recommandations et des référentiels en vue de préserver la santé à l’échelle internationale. Ce
rôle a déjà été remis en cause par le passé : en 2014, il lui avait été reproché d’avoir tardé à
déclarer l’état d’épidémie concernant le virus ​Ebola en Afrique. De même, dix ans
auparavant, les délais de prise en considération du SRAS avaient ​retardé les opérations
d'alerte et d'action de trois mois.
Aujourd’hui, en pleine crise Covid-19, la passivité de l’OMS et de Tedros Ghebreyesus son
directeur général, ainsi que le blanc-seing donné aux déclarations des autorités chinoises ont

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déclenché une réaction similaire : l’organisation est accusée par conséquent d’avoir une large
part de responsabilité dans la propagation rapide de l'épidémie à l'échelle mondiale.

L’OMS n’a en effet pas reconnu l’existence d’une transmission interhumaine du virus avant
le 23 janvier (voir Annexe 1). Ce faisant, l’organisation a commencé par s’aligner sur les
déclarations des autorités chinoises. Elle tarde également à déclarer l’état de pandémie
jusqu’au 11 mars, alors que 114 pays dans le monde recensent d’ores et déjà 118 000 cas.
Or, les directives de l'OMS sont destinées à être suivies par les États-membres, ainsi qu’à
justifier les actions prises sur leur territoire. ​À ce titre, la France, jusqu’au 20 janvier,
affirmait qu'il n'y avait pas de preuve de transmission interhumaine du virus.

Ainsi, dans les phases initiales de la crise (stade auquel le recueil d’informations est critique),
alors même que la Chine mise sur la dissimulation, l’OMS a manqué d’efficacité. En effet, la
prise en compte de sources d’informations autres que chinoises, notamment celles émanant
de Taiwan, aurait suffi à établir l'incapacité de la Chine à admettre la transmission
interhumaine et à déclarer une épidémie en amont. Cette île voisine, « l’autre Chine », émet
des alertes directement transmises à l’OMS dès la dernière semaine de décembre 2019.
Pourtant, cette dernière a fait le choix de ne pas les prendre en compte, s’en tenant au fait que
Taiwan a été exclu (à la demande de Pékin) des Nations Unies et des agences qui en
dépendent en 1971.

Une analyse de la gestion de cette crise sanitaire par les pays voisins de la Chine met en
exergue le surplus de confiance de l’OMS envers Pékin. ​Taiwan​, mais aussi le ​Vietnam ou
encore la ​Corée du Sud sont reconnus pour leur gestion efficace du Covid-19. Ils ont en
commun d’avoir été victimes de plusieurs épidémies émanant de Chine par le passé : SRAS
en 2003 et grippe aviaire en 2009, deux virus qui n’ont pas eu de graves conséquences
humaines en Occident comparé à l’Asie.
A la lecture de ces éléments, il apparaît que ces pays limitrophes ont avec le temps développé
une compréhension certaine des problématiques sanitaires chinoises, ainsi qu’une lisibilité
indéniable des communiqués officiels de Pékin, en comparaison des pays occidentaux. Les

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mesures adoptées par ces voisins asiatiques représentent un signal fort que l’OMS a pourtant
choisi d’ignorer.

Il est à présent intéressant de s’interroger sur l’influence qu’est capable d’exercer la Chine sur
une Organisation internationale.

Il est en effet important de noter que des exemples similaires illustrant une certaine
complaisance avec la Chine existent au sein d’autres institutions spécialisées des Nations
Unies. C’est le cas du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui
salue depuis plusieurs années l'initiative des nouvelles routes de la soie. Cette ​initiative n’a
pourtant que peu à voir avec les problématiques propres à la gestion des réfugiés. Par ailleurs,
sur les quinze institutions spécialisées des Nations Unies, quatre, dont l’Organisation pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO) et celle de l’Aviation civile internationale (OACI), sont
dirigées par des ressortissants chinois, respectivement Qu Dongyu et Fang Liu ; Trois de plus
que n’importe quel autre État-membre (les dirigeants des autres institutions étant français,
suisse, américain, bulgare, kenyan, finlandais, coréen, australien, togolais et géorgien). Enfin,
sept de ces institutions comptent un directeur adjoint de nationalité chinoise, par exemple
l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (​WIPO​).

I. Quelle proximité de la Chine avec le directeur général de l’OMS ?

En 2017, le mandat de la Directrice générale de l’OMS Margaret Chan arrivant à son terme,
des élections sont organisées selon un processus nouveau. C’est en effet la première fois
qu’un dirigeant de l’OMS est choisi sur la base d’un scrutin. Auparavant, une unique
candidature, proposée par le Conseil exécutif de l'agence de l'ONU était soumise au vote des
États-membres. Le champ est ensuite réduit à deux candidats : l’éthiopien Tedros
Ghebreyesus et le britannique David Nabarro. L’ancien ministre de la Santé et chef de la
diplomatie éthiopienne, représentant des « pays du Sud », devient finalement le premier
directeur général de l'OMS à avoir été élu. Et ce, en dépit d’une controverse apparue avant
son élection, lancée par David Nabarro l'accusant d'avoir dissimulé trois épidémies de choléra
lorsqu’il était encore ministre de la santé.

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Peu après son élection, ce dernier a été invité à prendre la parole à l'Université de Pékin où il
a appelé à une coopération plus étroite entre la Chine et les « pays du Sud » dans le domaine
de la santé. Il s’est également engagé à soutenir le principe d'une Chine unique, qui reconnaît
le gouvernement de Pékin comme seul gouvernement chinois légitime, sapant ainsi le ​statut
de Taïwan.

En outre, lors d’un réunion publique organisée le 18 août 2017 par la ​National Health
Commission (Commission nationale de la santé en Chine) intitulée « ​Réunion de haut niveau
des nouvelles Routes de la Soie pour la coopération de santé : vers des Routes de la Soie de
la santé », le ​discours prononcé par Tedros Ghebreyesus interpelle : ​il semble reprendre à son
compte, et à celui de l’organisation qu’il représente, certaines expressions et concepts
officiels du gouvernement chinois.
Par exemple, il décrit la santé comme « ​un droit fondamental de la personne humaine ». Cet
élément de langage apparaît également dans le livre blanc publié la même année, «
Développement de la santé publique chinoise comme un élément essentiel des droits de
l’homme ». La Chine fait en effet des droits de l’homme son cheval de bataille au sein des
organisations internationales​ (au​ ​Conseil des droits de l’homme​ de l’ONU notamment).
De même, Tedros Ghebreyesus qualifie de ​« visionnaire » l’initiative chinoise ​« ​d’une route
de la soie sanitaire, qui renforce et renouvelle les liens anciens entre les cultures et les

peuples en accordant une place centrale à la santé​ ​».

Ainsi, l'influence chinoise sur le directeur général de l’OMS, bien que dévoilée en pleine
crise du Covid-19, semble remonter à 2017. Dès cette année-là, par la voix de Tedros
Ghebreyesus​, ​l'Organisation se range aux côtés de Pékin dans la promotion d'une Chine
unique et d’une ​« route de la soie sanitaire »​.
Cependant, l’influence chinoise sur l’OMS se manifeste bien en amont de l'élection de Tedros
Ghebreyesus, notamment à travers une volonté d’écarter Taiwan des organisations
internationales, et particulièrement sous le mandat de ​Margaret Chan (Directrice générale de
l’OMS de 2006 à 2017, première ressortissante chinoise à diriger une agence des Nations
Unies)​.

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II. La campagne chinoise visant à restreindre la participation de Taiwan au sein des
organisations internationales

La réponse rapide et minutieuse de Taiwan à la Pandémie est largement saluée comme un
modèle : trois mois après la détection du premier cas sur son territoire, Taiwan comptait 429
testés positifs au virus, 281 guéris, et 6 décès. En outre, dès décembre 2019, la gravité de
cette crise est immédiatement reconnue (voir Annexe 1). Comme de nombreux pays
asiatiques, Taiwan a su tirer les leçons de l'épidémie du SRAS de 2003. Début janvier 2020,
l’activation du ​Central Epidemic Command Center (Centre de commandement central des
épidémies) va permettre un croisement efficace des informations : l'intégration des bases de
données de l'Administration nationale de la santé avec celles des douanes permet par exemple
un suivi très précis et en direct de l’évolution de la situation, individu par individu. Les
technologies numériques et le ​big data mettent ensuite les informations recueillies à
disposition auprès des professionnels de la santé et de la population en général. Cette base de
données de l'administration nationale de la santé a ainsi permis d’identifier 113 individus qui
avaient consulté un médecin pour des syndromes respiratoires sévères en janvier et en février.
Un autre aspect important de la réponse efficace de Taïwan au Covid-19 relève de la gestion
des masques. Le masque à usage sanitaire fait là-bas partie d’une économie nationalisée : le
gouvernement contrôle la production, le rationnement, la distribution (en empêchant les
exportations) et anticipe le risque d’achat en panique en luttant contre les ​fake news.​

Pour autant, le 28 mars 2020, la gestion sanitaire exemplaire de Taiwan se heurte à son statut
et aux problématiques géopolitiques qui y sont liées. En effet, interviewé en vidéo-conférence
par un journal hongkongais, Bruce Aylward, en charge de la mission conjointe OMS-Chine
sur le Covid-19, se voit dans l’incapacité de répondre à une question relative au statut de
Taiwan. Après avoir initialement affirmé qu'il n'avait pas entendu la question et suggéré que
la journaliste poursuive l’interview, il finit par raccrocher subitement. Lorsque la journaliste
le rappelle et répète finalement sa question, Bruce Aylward répond avoir ​« déjà parlé de la
Chine » e​ t met de nouveau fin à ​l'appel​. On notera que l’épidémiologiste canadien est apparu
depuis février dans plusieurs médias chinois, saluant les initiatives du pays pour gérer

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l’épidémie, et a affirmé lors d’une conférence de presse que s’il était infecté par le Covid-19,
il aimerait se faire soigner en Chine. Outre la polémique lancée en pleine crise par ces propos,
le Covid-19 lie désormais l’OMS aux méandres de la géopolitique chinoise. À partir de cette
date, le virus remet au goût du jour la reconnaissance de Taiwan par l’OMS, et les leviers mis
en place par la Chine pour l’éviter.

La condition ​sine qua none pour que Taiwan, la République de Chine, devienne un
État-membre de l’OMS est la reconnaissance par les Nations Unies (organisation où la Chine
peut imposer son droit de veto à toute demande d'adhésion). Or, il ne peut y avoir qu'un seul
siège pour représenter la Chine et celui-ci est actuellement occupé par la République
Populaire de Chine.

Malgré son exclusion des Nations Unies en 1971, Taiwan bénéficiait entre 2009 et 2016 du
statut d’observateur aux Assemblées Mondiales de la Santé de l’OMS, sous le nom de «
Taipei chinois », en conformité avec le consensus de 1992. Il s’agissait alors d’un accord
établi entre le Kuomintang (parti nationaliste) et le Parti communiste chinois selon lequel la
Chine continentale et Taïwan appartiennent à une seule Chine. C
                                                              ​ ependant, dès 2008, la

présidente Tsai Ing-wen, réélue jusqu’en 2018 et issue de la mouvance indépendantiste,
s’attire les ​foudres de Pékin en refusant de reconnaître le consensus de 1992, comme l'avait
pourtant fait le précédent gouvernement nationaliste favorable à la Chine.

De fait, en 2011, une note interne de l'OMS divulguée et dénoncée par Taiwan, décrit la
dénomination exacte de son statut dans le cadre du RSI (Règlement Sanitaire International).
En effet, des ​Procédures destinées à faciliter la mise en œuvre du RSI par rapport à la
province chinoise de Taiwan ont circulé au sein de l'OMS en septembre 2010, sur la base du
droit d’en connaître. Ces notes étaient basées sur le projet, communiqué par la mission
permanente de Chine à Genève, d’un « nouveau dispositif RSI » relatif aux conditions de
participation de Taïwan. Celles-ci mentionneraient explicitement le désir de la directrice
générale de l’OMS, Margaret Chan, de leur pleine et entière application par les
États-membres : or, les conditions imposées par ce futur dispositif seraient par exemple la
nouvelle dénomination de Taïwan en « Taïwan, province de Chine », ou « Taïwan, Chine ».

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