La gestion de la crise du Covid-19 : vers une réinvention du Nouvel Ordre Mondial - mai 2020 - CLUB RISQUES/AEGE
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La gestion de la crise du Covid-19 : vers une réinvention du Nouvel Ordre Mondial mai 2020 CLUB RISQUES/AEGE
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Ce dossier stratégique vous est présenté par les étudiants du Club Risques de l’AEGE. L’équipe est omposée des étudiants suivants : ❏ Karima ALAMI ❏ Lorenzo NEUMANN ❏ J.J.E 2
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Introduction Crise sanitaire, pandémie, les différents risques liés à l’apparition de maladies ont plusieurs fois marqué de manière durable les mentalités et poussent à changer les comportements de chacun. Le risque n’est jamais écarté, plusieurs raisons à cela comme le déplacement du virus, l’attente d’un vaccin, la présence de zones géographiques sous développées moins propices à la gestion sanitaire, etc. La peste noire au XIVème siècle décima près de la moitié de la population européenne, la grippe espagnole au début du XXème siècle fit entre 50 et 100 millions de victimes, le choléra du XIXème siècle réapparu dans les années 1960 en Indonésie, … les exemples ne manquent pas et constituent différents éléments permettant de se préparer aux prochaines crises sanitaires et pandémies. Globalement, les estimations tendent à observer l’apparition d’environ 3 pandémies par siècle. Même si cela apparaît humainement difficile à supporter, l’apparition de nouvelles maladies est inévitable, cela résulte de nos comportements mais aussi de l’évolution de différentes maladies. Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), « les maladies à transmissions vectorielles sont responsables de plus de 17% des maladies infectieuses et provoquent plus d’un million de décès chaque année ». Les transmissions de maladies de l’animal à l’homme sont ainsi responsables de nombreux décès. Protéger une population est d’autant plus difficile en fonction de l’accès à un système de santé efficace et des gestes préventifs (en ce moment nous parlons de gestes barrières). Au niveau national, cette question a déjà été pensée et évoquée. Dès 2008, le NIC (National Intelligence Council), centre d’analyse prospective sur les tendances à venir, alertait sur des risques de pandémies à venir : « The emergence of a pandemic disease depends upon the natural genetic mutation or reassortment of currently circulating disease strains or the emergence of a new pathogen into the human population. Experts consider highly pathogenic avian influenza (HPAI) strains, such as H5N1, to be likely candidates for such a transformation, but other pathogens—such as the SARS coronavirus or other influenza strains—also have this potential. If a pandemic disease emerges, it probably will first occur 3
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 in an area marked by high population density and close association between humans and animals, such as many areas of China and Southeast Asia, where human populations live in close proximity to livestock. Unregulated animal husbandry practices could allow a zoonotic disease such as H5N1 to circulate in livestock populations—increasing the opportunity for mutation into a strain with pandemic potential. To propagate effectively, a disease would have to be transmitted to areas of higher population density » ( p.75). Une prévision assez proche de la réalité mais qui en France aussi se fit retentir. En 2013 dans son livre blanc, le ministère des armées évoquait le risque pandémique comme éventualité de crise possible pour la nation. Cependant, il est aussi à noter que le rapport comptait aussi sur l’entraide des nations et notamment de l’Europe comme élément pour faire face à la crise : « la France est engagée sur la scène internationale, conformément à ses intérêts et ses valeurs. Elle agit en concertation étroite avec ses partenaires européens comme avec ses alliés, mais garde une capacité d’initiative propre » (p.7). Une évocation en demi-teinte dans le contexte actuel où chaque Etat est face à sa propre gestion de la crise au détriment de leurs rapports sur la scène internationale quelques-fois. C’est notamment le cas de l’Italie qui s’est sentie abandonnée au moment le plus fort de sa crise. Ces évolutions dans les rapports internationaux peuvent rebattre les cartes des partenariats entre Etats et permettent d’entrevoir différents scénarios à venir. Ce rapport a pour objectif d’identifier dans un premier temps la gestion de la crise vue sous le prisme de différents acteurs internationaux (OMS, Chine, États-Unis, Russie). Mais aussi de mettre en lumière les multiples démarches d’influences observées par le biais de différentes études de cas examinées pendant la crise actuelle. Les démarches d’influences identifiées se focaliseront sur la guerre économique, la guerre informationnelle et l’analyse des coalitions. 4
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 1. États des lieux de la crise sanitaire : ordre chronologique des confinements 1.1 Le COVID-19: Retour chronologique sur le passage du stade d'épidémie au stade de pandémie Le premier cas de Covid-19 a été détecté à Wuhan le 1er décembre 2019.Les médecins chinois ont annoncé l'apparition d'un nouveau virus inconnu appelé 2019 n-CoV, qui serait apparu chez des personnes travaillant au marché de gros des fruits de mer de Huanan, à Wuhan, dans la province de Hubei, au centre de la Chine. Le virus s'est ensuite répandu dans toute la Chine au cours des deux prochains mois, la région autonome du Tibet a été la dernière zone infectée le 30 janvier. Le mois de janvier a été principalement marqué par la propagation massive du virus sur le territoire chinois et par son apparition au niveau mondial à partir du 13 janvier. L'OMS a émis une alerte sur le virus début janvier ainsi qu'une série de recommandations temporaires du RSI vers la fin du mois de janvier. Au niveau mondial, la contagion principalement chinoise s'est accélérée de manière exponentielle jusqu'au 20 février pour parvenir à un niveau de perte totale de contrôle et à un nombre de cas et de décès quotidiens plus élevé qu'en Chine. Le premier décès en dehors de la Chine est survenu aux Philippines. Avec l'Afrique subsaharienne, l'Amérique latine est restée l'une des dernières régions du monde à ne pas être touchée par l'épidémie. En outre, le manque de sensibilisation des citoyens au niveau mondial n'a fait que détériorer la situation, en particulier en France, suite au rassemblement évangélique en Alsace de 2500 personnes venues de toute la France, point de départ de la vague de contagion dans le Haut-Rhin et les départements frontaliers. Quant aux scientifiques, ils ont souligné la gravité des conséquences que pourrait subir le monde si les mesures de distanciation sociale n'étaient pas respectées, en particulier le président de la faculté de médecine de l'université de Hong Kong, qui a annoncé 5
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 la possibilité d'un échec du confinement en Chine et la nécessité de faire face à un virus dont la propagation ne peut être arrêtée. La raison en est que tout individu affecté par le virus pourra le transmettre à une moyenne de 2,5 individus, soit 60 % de la population mondiale qui pourrait être affectée. La situation critique a conduit certains pays, comme l'Italie, à mettre en quarantaine le nord du pays et à mobiliser tous les hôpitaux. Pour sa part, l'Allemagne a fermé des écoles dans le district de Heinsberg en Rhénanie du Nord-Westphalie et a imposé un confinement dans cette partie du pays. Le nombre de morts en Chine et en Europe a atteint respectivement 3 000 et 500 au début du mois de mars. L'aggravation de la situation a contraint un certain nombre de pays à procéder à la mise en place du confinement et à la fermeture de toutes les frontières avec les pays voisins ainsi qu'avec ceux qui comptent un grand nombre de cas. En conséquence, l'OMS a considéré l'épidémie de COVID-19 comme étant une pandémie. Par conséquent, les mesures de quarantaine ont été renforcées par la fermeture des écoles, des magasins, des cafés et des restaurants. Au nombre de ces pays figuraient l'Italie, la Pologne, la Grèce, l'Ukraine, la Belgique, la Lituanie et la France. Après un bilan de 1 000 morts en Italie, l'Europe est désormais à l'épicentre de la pandémie. Cette situation a incité plusieurs États à déclarer l'état d'urgence et à fermer totalement les frontières maritimes, terrestres et aériennes dans l'espace Schengen pendant un mois. Le 19 mars, le nombre de décès en Italie a dépassé celui enregistré en Chine. Alors que le virus se propageait, la Chine a déclaré le 23 mars que 90 % des cas sur son territoire avaient été guéris. Le pays a également décidé de fermer ses frontières aux étrangers détenteurs d'un visa ou d'un permis de séjour en cours de validité à partir du 28 mars. Pour les pays ayants compté pour le confinement total, vue la non maîtrise de la situation, les États comme la France, l’Espagne, l’Italie… ont décidé à deux reprises de prolonger la durée du confinement statuée. Au début du mois d'avril, le nombre de personnes infectées dans le monde dépassait le million. L'Italie, l'Espagne et la France représentaient à elles seules plus des trois quarts des 40 000 personnes qui sont mortes en Europe à cause du COVID-19. 6
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Les États-Unis ont été le pays qui a enregistré le plus grand nombre de décès, avec 20 000 morts et 500 000 cas signalés. De plus, suite à la non-application des mesures de confinement dans tous les États des USA, le pays est devenu le pays le plus touché au monde avec plus d'un million de cas de contamination à la fin du mois d'avril. Par ailleurs, la Chine a commencé à réduire les mesures de confinement en levant le bouclier sur la ville de Wuhan après deux mois de confinement. (Voir récapitulatif: Annexe 1) À l'heure actuelle, plus de 300 000 personnes sont mortes du coronavirus dans le monde. Le Royaume-Uni est le premier pays européen à dépasser les 30 000 morts et le plus endeuillé du continent. Les États-Unis ont atteint la barre des 90 000 morts le 18 mai. Et la Russie est désormais le premier pays d'Europe et d'Asie en termes de nombre de cas et le deuxième au niveau mondial. De plus, dans le cadre de la gestion de crise adoptée par les différents pays, il convient de citer le développement et l’usage de solutions de tracking afin de limiter la propagation du virus. En France, la sortie de l’application STOP COVID a été annoncé le 5 mai. Elle permet d’identifier les personnes contaminées et à retracer les déplacements de la personne en question. L’usage de l’application sera voté au parlement le 25 mai. Quant à l’Allemagne, l’application Corona Datenspende a été lancée en mois d’avril. Elle permet de recueillir de façon anonyme les données de santé issues des objets connectés. Les données sont ensuite analysée par l’institut qui pilote la lutte contre le virus. La Géorogie a lancé a son tour en début mai une application de tracking via bluetooth, Stop COVID. En Asie, la Chine a mobilisé tous les maillons technologiques, sanitaires et économiques pour lutter contre la crise. Le pays a lancé en février le tracking par le biais de l’application Alipay sur presque tout le territoire chinois. À Hong Kong, un bracelet électronique est imposé à toutes les personnes revenants de l'étranger et relié à une application de tracking et de surveillance. 1.2 Le rôle de l’OMS dans la gestion des crises sanitaires L’Organisation Mondiale de la Santé à pour objectif de « p rotéger la santé de toutes les populations du monde ». Ainsi, elle regroupe plusieurs Etats signataires respectant différents règlements promulgués faisant de l’organisation un acteur majeur en temps de crise sanitaire 7
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 mondiale et pandémique. L’OMS joue alors un rôle de coordination mondiale dans la gestion sanitaire et conseil les dirigeants dans la gestion des États qu’ils représentent. Dans son rapport annuel de 2019 : A world at Risk – Annual report on global preparedness for health emergencies – Global Preparedness Monitoring Boards, l’OMS préparait déjà la scène internationale. Selon l’OMS les risques de l’apparition d’une pandémie étaient déjà très importants en 2019. Une alerte qui résulte de l’étude suite à l’accélération des échanges internationaux, l’évolution des mouvements de populations et l’interconnexion qui devient de plus en plus humaine et pas seulement technologique. Selon l’OMS les gouvernants sont la clé de l’évolution et de la résolution d’une crise sanitaire, permettant la mise en place de mesures de protection de la population et de continuité de la vie de l’Etat. Plusieurs recommandations ont alors été émises à l’égard des gouvernants afin de faire face à l’émergence d’une pandémie : - « Heads of government must commit and invest - Countries and regional organizations must lead by example. - All countries must build strong systems - Countries, donors and multilateral institutions must be prepared for the worst. - Financing institutions must link preparedness with financial risk planning. - Development assistance funders must create incentives and increase funding for preparedness. - The United Nations must strengthen coordination mechanisms ». 8
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Figure : Exemples mondiaux de maladies émergentes et réémergentes L’engagement des gouvernants est la première des recommandations. L’OMS encourage alors les Etats à respecter le Règlement sanitaire international (2005). Un règlement international à-travers lequel les États signataires « s ’engagent à collaborer au profit de la sécurité sanitaire mondiale » permettant la mise en place d’un réseau d’alerte international rapide et efficace, mais aussi des mesures de protection appliquées à plusieurs sites stratégiques (aéroports, ports, frontières). Globalement ce réseau d’alerte a bien fonctionné autour du globe. La pandémie bien qu’inévitable a été assez rapidement identifiée même si les différentes informations observées l’ont été grâce au prisme des médias, cela a permis aux États de se préparer à l’arrivée de l’épidémie. L’OMS insiste sur le soutien des organisations politiques internationales, mais aussi le système financier et politique comme élément majeur de la gestion de crise sanitaire. Cet élément fait échos aux différentes décisions ayant été observées depuis le début de la crise, certains acteurs se retrouvant délaissés et d’autres n’hésitant pas à outrepasser les règles de cordialité internationales les plus élémentaires afin de faire valoir l’intérêt national avant tout. 9
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Selon l’OMS, la mise en place d’un système encadré est nécessaire afin de faire face à une crise. En France nous pouvons l’observer avec la mise en place de mesures de contrôles des déplacements de la population mais aussi la mise en place de process de désengorgement des hôpitaux avec transferts des patients. Cependant, la crise du COVID-19 pousse les Etats à se refermer sur eux-mêmes, une montée du patriotisme se fait ressentir. Des applaudissements se font par exemple retentir dans plusieurs Etats en soutien au personnel de santé. Ces travailleurs du service public apparaissent alors comme des « Héros » et sont salués par l’ensemble des classes sociales et politiques. On peut observer également un soutien du privé au public avec le don de matériel médical pour répondre aux besoins massifs de masques et gels hydroalcooliques notamment. Enfin le secteur public lui-même souhaite soutenir le privé avec l’annonce d’aides dédiées à protéger les entreprises de la faillite. Cette montée de l'État-providence apparaît alors à son paroxysme avec l’annonce de la nationalisation en France de certaines entreprises ne pouvant résister à cette crise financièrement. Paradoxalement les Nations Unis ne se font pas vraiment l’écho de solutions pendant la crise COVID-19. Nous constatons que bien que des recommandations soient émises, aucune véritable solution n’est évoquée. Laissant tacitement chaque état libre de ses décisions et incitant indirectement les différents états à se refermer sur eux-mêmes. 1.3 Une OMS influencée par la Chine ? Récemment plusieurs accusations du président des États-Unis Donald Trump se sont fait retentir à travers les différents médias à l’encontre de l’OMS comme étant « très favorable à la Chine » et ayant dissimulé l’ampleur de l’épidémie lorsque celle-ci est apparue en Chine. Actuellement Directeur Général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a été élu le 23 mai 2017. Anciennement ministre de la santé éthiopien il est le premier politique africain à accéder à cette fonction. Plusieurs éléments viennent agrémenter la thèse d’une complicité tacite. La première serait les félicitations publiques adressées à la Chine pour la gestion de la crise sanitaire. Des félicitations adressées fin janvier 2020 qui sont à contrebalancer avec l’ampleur de la pandémie mondiale qui s’en est suivie. 10
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Sur la scène politique d’autres éléments viennent entacher la crédibilité du Directeur Général de l’OMS. Celui-ci a été membre du parti « Front de libération du peuple du Tigray », composante principale du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien pays connu pour ses violences. Un parti révolutionnaire connu pour ses actes sanglants à la tête du pays durant 27 ans dont il a été ministre de la santé entre 2005 et 2012. Un lien avec le parti communiste Chinois aujourd’hui décrié par les Etats-Unis comme élément supplémentaire à l’encontre de l’OMS. Avant l’actuel Directeur Général de l’OMS, Le Dr Margaret Chan, « ressortissante de la République Populaire de Chine » et qui a fait carrière au département de la santé de Hong-Kong pendant 25 ans, devient le 04 janvier 2007 Directrice de l’OMS pour 5 ans. Actuellement les Etats-Unis réclament la démission de l’actuel directeur de l’OMS pour ses positions et liens précédents avec la Chine. Une réclamation suivie de faits. En effet, les Etats-Unis ont annoncé suspendre leur participation financière à l’OMS tant que l’actuel DG est à sa tête. Réclamant ainsi plus de transparence. Une décision qui pourrait avoir des conséquences, les États-Unis étant le premier contributeur de l’OMS avec un montant de « 400 à 500 millions de dollars par an à l'organisation ». Après avoir décrypté les démarches de gestion de crise adoptées par les pays pour faire face à la pandémie, il est opportun d’analyser les cas de guerres économiques et d’informations par le contenu. 2. L’influence : vecteur de lutte pour la suprématie 2.1 La pandémie du COVID-19 en France : une nouvelle sphère de controverse 2.1.1 Les cas de guerre économique dans la crise du Covid-19 Le 26 janvier 2020, face à la progression dramatique de l’épidémie de coronavirus en Italie, la Ministre de la santé Agnès Buzyn déclare qu’il n’y aura pas de pénurie de masques en cas d’épidémie du virus Covid-19 sur le sol français. Cependant, le 4 mars 2020, l’État français 11
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 réquisitionne « tous les stocks et la production de masques de protection » pour les distribuer au personnel soignant et aux patients. Quelques jours plus tard, le Premier ministre Edouard Philippe présente un décret de réquisition des stocks et de la production de masques jusqu’au 31 mai 2020. Dès lors, à la guerre sanitaire provoquée par le Covid-19 s’ajoute une guerre économique. La pandémie du Covid-19 met en effet en lumière d'importantes failles dans la gouvernance de nombreux pays, notamment en ce qui concerne les problématiques sanitaires. Alors qu'elle avait fini par être perçue comme un secteur de dépenses et de surcoûts, la santé va récupérer son statut de secteur souverain. « Ce qui est stratégique c'est ce qui garantit la souveraineté, l'autonomie, l'indépendance (…) C'est ce qui nous permet de ne pas dépendre de quelqu'un d'autre ». Avec les propos de Claude Revel (Déléguée interministérielle à l'intelligence économique) en tête, comment analyser la crise qu’a traversé l’industrie sanitaire française en pleine pandémie ? 2.1.2 Une guerre qui ne dit pas son nom La France réquisitionne tous les stocks et la fabrication sur tout son territoire, l’Allemagne et bon nombre d’autres pays européens promulguent des interdictions d’exportation dans l’urgence. Les états européens doivent trouver des quantités énormes de masques de protection respiratoires et autres matériels médicaux nécessaires pour endiguer la pandémie de Covid-19 et soigner leurs populations. Les États-Unis, qui ont tardé bien plus que les autres à prendre des mesures pour enrayer la propagation du Covid-19 sur leur territoire, sont aussi à la recherche de masques et n’hésitent pas à détourner les commandes de leurs alliés européens et canadiens sur le tarmac des aéroports chinois, en payant en espèces trois à quatre fois le prix facturé au destinataire initial. 2.1.3 La pénurie de masques en France 12
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 La pénurie actuelle résulterait des choix budgétaires de tous les gouvernements qui se sont succédés dans la gestion des stocks stratégiques de masques de protection respiratoire. « À partir de 2011, après la grippe H1N1, il a été décidé qu’un stock de cette nature n’était plus utile car les productions mondiales étaient suffisantes pour assurer le coup en quelque sorte, en cas de pandémie. Les stocks ont donc progressivement diminué. » déclare Sibeth N’Diaye la porte-parole du gouvernement, qui ajoute « Au début de cette crise, en 2019, nous avions un stock de 140 millions de masques chirurgicaux, dont une partie pas utilisable car destinée aux enfants. Et nous n’avions pas de masques FFP2 en stock ». Face à la pénurie avérée, le gouvernement français a été contraint de commander en urgence 200 millions de masques filtrants FFP2 destinés à protéger tous les personnels soignants des hôpitaux ou des cabinets médicaux. D’autres commandes beaucoup plus importantes se sont ajoutées par la suite. 2.1.4 Erreurs stratégiques et contraintes budgétaires La réduction drastique du stock stratégique des masques de protection révélerait selon différentes sources, un schéma d'erreurs successives, de contraintes budgétaires et d‘abandon partiel d'une souveraineté sanitaire face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire. La nouvelle doctrine du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale qui dépend du Premier Ministre (SGDSN) a transféré depuis 2013 la responsabilité de l’achat et de la fourniture des masques de type FFP2 beaucoup plus chers tant à l’achat qu’en coût de stockage (volume d’entreposage et date de péremption) à tous les employeurs des domaines privé et public. Il s’agit en particulier du secteur public de la santé, c’est à dire tous les hôpitaux et autres structures elles-mêmes soumises à une austérité budgétaire grandissante et à une logique comptable des plus restrictives. Certaines entreprises, ne relevant pas du statut des Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) soumis à des règles particulières, se sont acquittées de cette contrainte sanitaire et de ce transfert de responsabilité. 13
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 2.1.5 Crise industrielle et abandon de la souveraineté sanitaire « Ce qui n’avait peut-être pas été anticipé en 2011, c’est que parfois les crises sanitaires peuvent engendrer des crises industrielles » expliquait le ministre de la Santé Olivier Véran à l’Assemblée Nationale le 3 mars 2020. Conséquence directe de la pandémie, le ralentissement de l’industrie chinoise se répercute sur les délais de fabrication qui s’allongent et favorisent l’apparition de nouveaux intermédiaires commerciaux. Les arnaques en tous genres fleurissent : détournements de commandes, mauvaise qualité des produits, les masques livrés ne sont pas aux normes européennes. L’abandon des souverainetés sanitaires amplifie la demande mondiale de masques de protection de façon exponentielle. La compétition entre tous les acheteurs amplifie les conséquences de la pénurie et fait grimper les prix qui sont de fait multipliés par dix et plus, depuis le début de l’année. Après l’abandon pur et simple de l’usine bretonne de Plaintel dans les Côtes d’Armor, rachetée puis liquidée par le groupe américain Honeywell, afin de transférer toute l’activité du site breton sur son usine de Nabeul en Tunisie, seules quatre entreprises sont à même de produire des masques en France. L’une d’elles, Valmy à Mably dans la Loire, fabriquait au début du mois de mars des masques pour le National Health Service (NHS) britannique alors que les autorités françaises étaient encore indécises. Quant à la division française de la société britannique VSP Med Mask, basée à Marseille, elle indiquait fin février recevoir de très nombreuses demandes « y compris et surtout des gouvernements des régions chinoises », les principaux producteurs de masques du Pays du Milieu se trouvant à Wuhan, l’épicentre de la pandémie. Depuis, l’entreprise a dû fermer sa permanence téléphonique submergée d’appels. Le 13 mars, le Premier ministre Édouard Philippe promulguait un décret de réquisition de tous les stocks et de la production de masques sur l’ensemble du territoire national jusqu’au 31 mai 2020. Des chargements en transit ne pouvaient plus quitter le territoire, notamment celui du groupe suédois Mölnlycke saisi le 1er avril à Lyon et qui était constitué d’un lot de quatre millions de masques à destination de plusieurs pays européens. 14
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Au cours de sa visite de l’usine française de fabrication de masques Kolmi-Hopen du groupe canadien Medicom, le président Macron promettait aux soignants et malades français « l'indépendance pleine et entière » d'ici à la fin de l'année pour la production de masques. Ainsi, la France sera amenée à repenser sa politique industrielle après la crise du Covid-19. En effet, le pays semble, contrairement à l’Allemagne par exemple, avoir sacrifié l’industrie sanitaire en se rendant énormément dépendante de puissances étrangères. La délocalisation de nos chaînes de valeur est cohérente avec nos avantages comparatifs dans les services et les produits à haute valeur ajoutée mais elle crée de la dépendance. Cette dépendance, a compromis les capacités de la France à répondre efficacement à cette crise. Le pays doit donc reconstruire des chaînes de valeur dans l'industrie sanitaire à l’échelle régionale, et relocaliser son industrie des principes actifs pour gérer le risque de pénurie. 2.2 La guerre de l’information, vecteur de puissance dans la gestion de la crise sanitaire 2.2.1 Comparaison des modèles de gestion de crise et transparence des chiffres Comme les dirigeants mondiaux ont été enclins à le dire ces derniers temps, l'humanité est en guerre. Contre un ennemi invisible et pourtant puissant, dont la taille se mesure probablement mieux en micromètres. Mais même si le coronavirus a bouleversé des milliards de vies en imposant des restrictions sans précédent aux libertés individuelles, à l'activité économique et à la vie publique, le COVID-19 n'a pas mis de côté les différences politiques existantes dans le monde. Les tensions entre les États-Unis et la Chine, les intérêts divergents de l'Occident et de la Russie, la crise apparemment sans fin au Moyen-Orient - la pandémie a simplement fourni à tous ces éléments un nouveau champ de bataille dans les longues guerres de l'information. En effet, comme dans toute crise, la gestion de l’information est un enjeu capital et vecteur de puissance, à la fois en termes réputationnels et économiques. 15
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Cette situation s’avère être d'autant plus intense que de nombreuses personnes sont enfermées chez elles pendant cette crise, passant plus de temps sur les médias sociaux. Dès le 2 février, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en garde contre une « infodémie » massive de coronavirus, la décrivant comme « une surabondance d'informations - certaines exactes et d'autres non - qui fait qu'il est difficile pour les gens de trouver des sources dignes de confiance et des conseils fiables lorsqu'ils en ont besoin ». Le directeur de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a doublé la mise en garde lors de la conférence de Munich sur la sécurité qui s'est tenue plus tard dans le mois. « Les fausses nouvelles se répandent plus rapidement et plus facilement que le virus, et peuvent être tout aussi dangereuses », a-t-il déclaré. La Russie fait partie des premiers pays à avoir saisi l’opportunité de la pandémie pour déstabiliser l’opinion publique. Ainsi, déjà le 22 janvier, Sputnik News relaie la nouvelle selon laquelle le virus serait d'origine humaine, une arme créée par l'OTAN. Sputnik avait ensuite publié la fausse nouvelle dans son service arabe, afin de cibler un public qui a la tendance à être plus critique à l'égard des États-Unis et donc plus sensible à ces théories de conspiration. Des dizaines d'autres sites web arabes ont ensuite eux-mêmes repris l'histoire, dont un faux site cherchant à imiter la BBC. Une autre stratégie qui a été mise en place durant la pandémie a été celle que l’on pourrait apparenter à du recyclage de message : si un média russe publie un mensonge, par exemple, il est souvent repris ensuite par les médias chinois. Ces reportages ultérieurs sont alors retweetés par la Russie, comme s'ils provenaient directement de Chine. Un autre exemple de désinformation recyclée se trouve dans les tweets de la mi-mars d'un diplomate chinois. Le porte-parole du ministre des affaires étrangères de Pékin, Zhao Lijian, a écrit le 12 mars que le virus avait éclaté aux États-Unis, demandant des informations sur le « Patient Zéro ». Lijan a ensuite fait relayer la fausse nouvelle à travers le journal Global Times en Chine, le porte-parole en langue anglaise du gouvernement communiste et 16
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 finalement par pas moins d’une douzaine d'ambassadeurs chinois à travers le monde : le message a fini par être retweeté plus de 12 000 retweets et a reçu 20 000 likes. Plus récemment, la propagande chinoise a changé de cap. Elle ne cherche plus à présenter les États-Unis comme la source secrète du virus. Elle tente plutôt de mettre en avant le succès relatif des stratégies d'endiguement de la Chine, tout en critiquant les États-Unis pour avoir stigmatisé la Chine comme source du virus. En effet, à Washington, le président Donald Trump semble plutôt friand d'appeler COVID-19 le « v irus chinois », alors que son secrétaire d'État, Mike Pompeo, préfère être un peu plus précis avec le « virus de Wuhan ». Cette stratégie chinoise repose sur la difficile comparaison du nombre de morts et de contaminés entre les différents pays et sur le manque de transparence relatif à leur divulgation. Effectivement, aucun pays est capable de dénombrer efficacement tous les cas de contagion sur son territoire du fait du manque de capacités médicales adaptées, à la fois en terme d’équipement et de personnel. Concernant les morts, ils ne sont pas comptabilisés de la même façon dans tous les pays, ce qui amène certaines sources à estimer que le nombre de décès dus aux coronavirus pourrait être supérieur de près de 60 % à ce qui a été rapporté dans les recensements officiels. En Chine, où le régime n’est un champion de la transparence, les longues files et les piles d'urnes à cendres accueillant les membres des familles des défunts dans les funérariums de Wuhan suscitent des questions sur l'ampleur réelle des victimes du coronavirus à l'épicentre de l'épidémie. Plus que jamais, le nombre de morts et de contaminés représente un levier de puissance réputationnelle des pays. L’aide que ces derniers sont en mesure de fournir aux autres, notamment les plus démunis, constitue le revers de la médaille. 2.2.2 Être fort c’est pouvoir aider. L’Afrique en tant que terre de conquête réputationnelle Un exemple de cette stratégie est celui de la communication faite sur l’aide aux pays africains pour faire face à la pandémie. Le lundi 13 avril, le président Emmanuel Macron déclare lors 17
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 de son allocution télévisée du soir : « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette ». Pour une majorité d’États africains, en effet, seule l’annulation de la dette publique extérieure pourrait éviter un effondrement économique, alors que son remboursement engloutit en moyenne 13 % des revenus des États. De plus, ces dernières années, l’endettement du continent s’est accéléré. Le poids de la dette publique y a bondi, passant de 35 % du PIB africain à 60 % entre 2010 et 2018. À travers cette annonce, Macron montre donc de vouloir reprendre la main sur le continent noir, tout en rappelant implicitement le destin universaliste de la France. Face aux prévisions catastrophiques sur les effets de la pandémie en Afrique, Emmanuel Macron fait preuve de générosité, de manière analogue à ce que la Chine (et Cuba, la Russie, etc.) fait en envoyant du matériel médical et du personnel soignants dans les pays les plus durement frappés. Plus indirectement, cette annonce permet d’atteindre un double objectif : le président souligne que la France est passée du côté des soignants, après avoir été elle-même en guerre contre le virus, et parvient à augmenter la pression sur la Chine, qui détient aujourd’hui, 40 % de la dette africaine, entre 145 et 175 milliards de dollars. 2.3 Le COVID-19 : une nouvelle ère marquée par le basculement des rapports de forces 2.3.1 De l’influence chinoise sur l’OMS L’OMS est l’organisation intergouvernementale en charge d’informer et de coordonner les mesures de prévention sanitaire de ses États-membres. À ce titre, elle édicte des recommandations et des référentiels en vue de préserver la santé à l’échelle internationale. Ce rôle a déjà été remis en cause par le passé : en 2014, il lui avait été reproché d’avoir tardé à déclarer l’état d’épidémie concernant le virus Ebola en Afrique. De même, dix ans auparavant, les délais de prise en considération du SRAS avaient retardé les opérations d'alerte et d'action de trois mois. Aujourd’hui, en pleine crise Covid-19, la passivité de l’OMS et de Tedros Ghebreyesus son directeur général, ainsi que le blanc-seing donné aux déclarations des autorités chinoises ont 18
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 déclenché une réaction similaire : l’organisation est accusée par conséquent d’avoir une large part de responsabilité dans la propagation rapide de l'épidémie à l'échelle mondiale. L’OMS n’a en effet pas reconnu l’existence d’une transmission interhumaine du virus avant le 23 janvier (voir Annexe 1). Ce faisant, l’organisation a commencé par s’aligner sur les déclarations des autorités chinoises. Elle tarde également à déclarer l’état de pandémie jusqu’au 11 mars, alors que 114 pays dans le monde recensent d’ores et déjà 118 000 cas. Or, les directives de l'OMS sont destinées à être suivies par les États-membres, ainsi qu’à justifier les actions prises sur leur territoire. À ce titre, la France, jusqu’au 20 janvier, affirmait qu'il n'y avait pas de preuve de transmission interhumaine du virus. Ainsi, dans les phases initiales de la crise (stade auquel le recueil d’informations est critique), alors même que la Chine mise sur la dissimulation, l’OMS a manqué d’efficacité. En effet, la prise en compte de sources d’informations autres que chinoises, notamment celles émanant de Taiwan, aurait suffi à établir l'incapacité de la Chine à admettre la transmission interhumaine et à déclarer une épidémie en amont. Cette île voisine, « l’autre Chine », émet des alertes directement transmises à l’OMS dès la dernière semaine de décembre 2019. Pourtant, cette dernière a fait le choix de ne pas les prendre en compte, s’en tenant au fait que Taiwan a été exclu (à la demande de Pékin) des Nations Unies et des agences qui en dépendent en 1971. Une analyse de la gestion de cette crise sanitaire par les pays voisins de la Chine met en exergue le surplus de confiance de l’OMS envers Pékin. Taiwan, mais aussi le Vietnam ou encore la Corée du Sud sont reconnus pour leur gestion efficace du Covid-19. Ils ont en commun d’avoir été victimes de plusieurs épidémies émanant de Chine par le passé : SRAS en 2003 et grippe aviaire en 2009, deux virus qui n’ont pas eu de graves conséquences humaines en Occident comparé à l’Asie. A la lecture de ces éléments, il apparaît que ces pays limitrophes ont avec le temps développé une compréhension certaine des problématiques sanitaires chinoises, ainsi qu’une lisibilité indéniable des communiqués officiels de Pékin, en comparaison des pays occidentaux. Les 19
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 mesures adoptées par ces voisins asiatiques représentent un signal fort que l’OMS a pourtant choisi d’ignorer. Il est à présent intéressant de s’interroger sur l’influence qu’est capable d’exercer la Chine sur une Organisation internationale. Il est en effet important de noter que des exemples similaires illustrant une certaine complaisance avec la Chine existent au sein d’autres institutions spécialisées des Nations Unies. C’est le cas du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui salue depuis plusieurs années l'initiative des nouvelles routes de la soie. Cette initiative n’a pourtant que peu à voir avec les problématiques propres à la gestion des réfugiés. Par ailleurs, sur les quinze institutions spécialisées des Nations Unies, quatre, dont l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et celle de l’Aviation civile internationale (OACI), sont dirigées par des ressortissants chinois, respectivement Qu Dongyu et Fang Liu ; Trois de plus que n’importe quel autre État-membre (les dirigeants des autres institutions étant français, suisse, américain, bulgare, kenyan, finlandais, coréen, australien, togolais et géorgien). Enfin, sept de ces institutions comptent un directeur adjoint de nationalité chinoise, par exemple l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (WIPO). I. Quelle proximité de la Chine avec le directeur général de l’OMS ? En 2017, le mandat de la Directrice générale de l’OMS Margaret Chan arrivant à son terme, des élections sont organisées selon un processus nouveau. C’est en effet la première fois qu’un dirigeant de l’OMS est choisi sur la base d’un scrutin. Auparavant, une unique candidature, proposée par le Conseil exécutif de l'agence de l'ONU était soumise au vote des États-membres. Le champ est ensuite réduit à deux candidats : l’éthiopien Tedros Ghebreyesus et le britannique David Nabarro. L’ancien ministre de la Santé et chef de la diplomatie éthiopienne, représentant des « pays du Sud », devient finalement le premier directeur général de l'OMS à avoir été élu. Et ce, en dépit d’une controverse apparue avant son élection, lancée par David Nabarro l'accusant d'avoir dissimulé trois épidémies de choléra lorsqu’il était encore ministre de la santé. 20
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 Peu après son élection, ce dernier a été invité à prendre la parole à l'Université de Pékin où il a appelé à une coopération plus étroite entre la Chine et les « pays du Sud » dans le domaine de la santé. Il s’est également engagé à soutenir le principe d'une Chine unique, qui reconnaît le gouvernement de Pékin comme seul gouvernement chinois légitime, sapant ainsi le statut de Taïwan. En outre, lors d’un réunion publique organisée le 18 août 2017 par la National Health Commission (Commission nationale de la santé en Chine) intitulée « Réunion de haut niveau des nouvelles Routes de la Soie pour la coopération de santé : vers des Routes de la Soie de la santé », le discours prononcé par Tedros Ghebreyesus interpelle : il semble reprendre à son compte, et à celui de l’organisation qu’il représente, certaines expressions et concepts officiels du gouvernement chinois. Par exemple, il décrit la santé comme « un droit fondamental de la personne humaine ». Cet élément de langage apparaît également dans le livre blanc publié la même année, « Développement de la santé publique chinoise comme un élément essentiel des droits de l’homme ». La Chine fait en effet des droits de l’homme son cheval de bataille au sein des organisations internationales (au Conseil des droits de l’homme de l’ONU notamment). De même, Tedros Ghebreyesus qualifie de « visionnaire » l’initiative chinoise « d’une route de la soie sanitaire, qui renforce et renouvelle les liens anciens entre les cultures et les peuples en accordant une place centrale à la santé ». Ainsi, l'influence chinoise sur le directeur général de l’OMS, bien que dévoilée en pleine crise du Covid-19, semble remonter à 2017. Dès cette année-là, par la voix de Tedros Ghebreyesus, l'Organisation se range aux côtés de Pékin dans la promotion d'une Chine unique et d’une « route de la soie sanitaire ». Cependant, l’influence chinoise sur l’OMS se manifeste bien en amont de l'élection de Tedros Ghebreyesus, notamment à travers une volonté d’écarter Taiwan des organisations internationales, et particulièrement sous le mandat de Margaret Chan (Directrice générale de l’OMS de 2006 à 2017, première ressortissante chinoise à diriger une agence des Nations Unies). 21
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 II. La campagne chinoise visant à restreindre la participation de Taiwan au sein des organisations internationales La réponse rapide et minutieuse de Taiwan à la Pandémie est largement saluée comme un modèle : trois mois après la détection du premier cas sur son territoire, Taiwan comptait 429 testés positifs au virus, 281 guéris, et 6 décès. En outre, dès décembre 2019, la gravité de cette crise est immédiatement reconnue (voir Annexe 1). Comme de nombreux pays asiatiques, Taiwan a su tirer les leçons de l'épidémie du SRAS de 2003. Début janvier 2020, l’activation du Central Epidemic Command Center (Centre de commandement central des épidémies) va permettre un croisement efficace des informations : l'intégration des bases de données de l'Administration nationale de la santé avec celles des douanes permet par exemple un suivi très précis et en direct de l’évolution de la situation, individu par individu. Les technologies numériques et le big data mettent ensuite les informations recueillies à disposition auprès des professionnels de la santé et de la population en général. Cette base de données de l'administration nationale de la santé a ainsi permis d’identifier 113 individus qui avaient consulté un médecin pour des syndromes respiratoires sévères en janvier et en février. Un autre aspect important de la réponse efficace de Taïwan au Covid-19 relève de la gestion des masques. Le masque à usage sanitaire fait là-bas partie d’une économie nationalisée : le gouvernement contrôle la production, le rationnement, la distribution (en empêchant les exportations) et anticipe le risque d’achat en panique en luttant contre les fake news. Pour autant, le 28 mars 2020, la gestion sanitaire exemplaire de Taiwan se heurte à son statut et aux problématiques géopolitiques qui y sont liées. En effet, interviewé en vidéo-conférence par un journal hongkongais, Bruce Aylward, en charge de la mission conjointe OMS-Chine sur le Covid-19, se voit dans l’incapacité de répondre à une question relative au statut de Taiwan. Après avoir initialement affirmé qu'il n'avait pas entendu la question et suggéré que la journaliste poursuive l’interview, il finit par raccrocher subitement. Lorsque la journaliste le rappelle et répète finalement sa question, Bruce Aylward répond avoir « déjà parlé de la Chine » e t met de nouveau fin à l'appel. On notera que l’épidémiologiste canadien est apparu depuis février dans plusieurs médias chinois, saluant les initiatives du pays pour gérer 22
DOSSIER : MOIS DU RISQUE MAI 2020 l’épidémie, et a affirmé lors d’une conférence de presse que s’il était infecté par le Covid-19, il aimerait se faire soigner en Chine. Outre la polémique lancée en pleine crise par ces propos, le Covid-19 lie désormais l’OMS aux méandres de la géopolitique chinoise. À partir de cette date, le virus remet au goût du jour la reconnaissance de Taiwan par l’OMS, et les leviers mis en place par la Chine pour l’éviter. La condition sine qua none pour que Taiwan, la République de Chine, devienne un État-membre de l’OMS est la reconnaissance par les Nations Unies (organisation où la Chine peut imposer son droit de veto à toute demande d'adhésion). Or, il ne peut y avoir qu'un seul siège pour représenter la Chine et celui-ci est actuellement occupé par la République Populaire de Chine. Malgré son exclusion des Nations Unies en 1971, Taiwan bénéficiait entre 2009 et 2016 du statut d’observateur aux Assemblées Mondiales de la Santé de l’OMS, sous le nom de « Taipei chinois », en conformité avec le consensus de 1992. Il s’agissait alors d’un accord établi entre le Kuomintang (parti nationaliste) et le Parti communiste chinois selon lequel la Chine continentale et Taïwan appartiennent à une seule Chine. C ependant, dès 2008, la présidente Tsai Ing-wen, réélue jusqu’en 2018 et issue de la mouvance indépendantiste, s’attire les foudres de Pékin en refusant de reconnaître le consensus de 1992, comme l'avait pourtant fait le précédent gouvernement nationaliste favorable à la Chine. De fait, en 2011, une note interne de l'OMS divulguée et dénoncée par Taiwan, décrit la dénomination exacte de son statut dans le cadre du RSI (Règlement Sanitaire International). En effet, des Procédures destinées à faciliter la mise en œuvre du RSI par rapport à la province chinoise de Taiwan ont circulé au sein de l'OMS en septembre 2010, sur la base du droit d’en connaître. Ces notes étaient basées sur le projet, communiqué par la mission permanente de Chine à Genève, d’un « nouveau dispositif RSI » relatif aux conditions de participation de Taïwan. Celles-ci mentionneraient explicitement le désir de la directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, de leur pleine et entière application par les États-membres : or, les conditions imposées par ce futur dispositif seraient par exemple la nouvelle dénomination de Taïwan en « Taïwan, province de Chine », ou « Taïwan, Chine ». 23
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