La paroisse Sacré-Coeur de Chicoutimi - REVUE D'HISTOIRE DU SAGUE AV-LAC-SAINT-JEAN

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La paroisse Sacré-Coeur de Chicoutimi - REVUE D'HISTOIRE DU SAGUE AV-LAC-SAINT-JEAN
REVUE D'HISTOIRE DU SAGUE AV-LAC-SAINT-JEAN -

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          La paroisse Sacré-Cœur
               de Chicoutimi
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La paroisse Sacré-Coeur de Chicoutimi - REVUE D'HISTOIRE DU SAGUE AV-LAC-SAINT-JEAN
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  MERCI A NOS GENEREUX DONATEURS!
                                               MEMBRES HONORAIRES

Alcan                                         Me Marcel Claveau, Chicoutimi                       M. Albert Larouche, Chicoutimi
M. Robert Bergeron, Saint-Lambert             Mgr Jean-Guy Couture, Chicoutimi                    M. Paul-Gaston Tremblay, Chicoutimi

                                  MEMBRES CORPORATIF S ( 500                              $ ET PLUS)
Abitibi-Consolidated inc.                     Sœurs Antoniennes-de-Marie, Chicoutimi              Sœurs Ursulines, Roberval
CEM Consultants inc., Chicoutimi              Sœurs Augustines, Chicoutimi

                                                      MEMBRES À VIE
Dr Louis Bélanger, Montréal                   M. Desmond Hudson, Plainfield, NH                   Mme Monique Perron, Québec
M. Paul-A. Bergeron, Chicoutimi               M. Patrick Lapointe, Jonquière                      M. Gilles Rinfret, Chicoutimi
Dr Jean-Charles Claveau, Québec               M. Roger Larouche, Falardeau                        Scierie Saguenay, La Baie
Mme Annette S.-Fortin, Hébertville            M. Jean-Marie Lemay, Alma                           M. Roger Samson, Beauport
M. Réjean Fournier, Jonquière                 M. Paul-Eugène Lemieux, Jonquière                   M. Gérard Tremblay, Chicoutimi
M. Gérard Gaudreault, Chicoutimi              Abbé Ernest Lévesque, Chicoutimi                    M. Jean-Hugues Tremblay, Chicoutimi
Me Claude Gauthier, Chicoutimi                M. Réal Lévesque, Jonquière                         M. René Tremblay, Chicoutimi
Mme Pierrette Girard-Beaulieu, La Tuque       M. Maurice Ouellette, Chicoutimi                    Mme Céline Turcotte, Chicoutimi
M. Gilbert Gravel, Chicoutimi                 M. Bernard Pelletier, Chicoutimi                    Abbé Jean-Paul Vincent, Albanel
Dr Richard Harvey, Sherbrooke                 M. Georges-Henri Perron, Chicoutimi

                                 MEMBRES BIENFAITEURS ( 100                             $ À 499 $)
Mme Laurette Angers, Jonquière                Mme Michelle Harvey, Québec                         M. Maurice Potvin, Montréal
Mme Gemma Boulianne, Chicoutimi               M. Jean Lacasse, Piedmont                           M. Rémi Roussel, Chicoutimi
M. Jacques Chouinard, Chicoutimi              Mme Ruth B. Lachapelle, Boucherville                M. Jean-Pierre Saint-Laurent, Alma
Mme Marie Dharmalingam, Toronto               M. Alyre Martin, Chicoutimi                         Dr Yves Savard, Chicoutimi
M. Aimé Gagné, Outremont                      M. Gérard-A. Morin, Alma                            Sœurs de Notre-Dame du Bon Conseil, Chicoutimi
M. Fernand Gagnon, La Baie                    M. Jean-Marc Patoine, Jonquière

                                      MEMBRES DE SOUTIEN (20                          $      À 99 $)

               (SO $ À 99 $)                                                           (20   $À   49 $)
M. William Amyot, Chicoutimi                  M.Bernard Angers, Chicoutimi                        M. Raymond Labbé, Scott-Jonction
Mme Céline T-Beaulieu, Québec                 M.Raoul Bastarache, Ville d'Anjou                   M. Jacques Lambert, Sainte-Foy
M. Michel-Marc Bouchard, Montréal             M. Jean-Eudes Bergeron, Métabetchouan               M. Alayn Larouche, Montréal
M. Rosaire Desgagné, La Salle                 Mme Jacqueline Beaulieu, Chicoutimi                 M. Benoit Larouche, Saint-Léonard
Mme Janine Dufour-Boucher, Jonquière          M. Ronald Blair, Québec                             M. Réginald Lavoie, Saint-Fulgence
R. P. Albert Dumont, Montréal                 M. Gabriel Bouchard, Charlesbourg                   M. Jean Lessard, Boisbriand
M. Thomas Donohue, Montréal                   Mme Antoinette Brassard, Jonquière                  Abbé Camil Lévesque, Chicoutimi
M. Jean-Marie Hachey, Chicoutimi              M. P. -E. Carrier, Montréal                         M. Gilles Maltais, Chicoutimi
M. Éric Gagnon, Chicoutimi                    M.Bernard Cauchon, Laterièrre                       Mgr Roch Pedneault, Chicoutimi
M. C.A. Gauthier, Jonquière                   Abbé Rosaire Côté, Métabetchouan                    M. Jean Perron, Saint-Charles-Boromée
M. Albert-E. Jean, Chicoutimi                 M. Jean Coutu, Chicoutimi                           Mme Julienne Perron, La Baie
M. Maurice Ouellette, Chicoutimi              M. Pierre De Champlain, La Baie                     Dr Alyre J. Picard, Alma
M. Camil Plourde, Chicoutimi                  M. Constant Dallaire, St-Ambroise                   M. François Plourde, Montréal
M. Henri-Louis Renaud, Jonquière              M. Ernest Dauphinais, Falardeau                     M. Claude Potvin, Laterrière
M. Jean Riverin, Chicoutimi                   Mme Jacqueline L. Demers, Saint-Félicien            M. Claude Richard, La Baie
M. Eugène Roy, Métabetchouan-Lac-à-La-Croix   M. Jean-François Drapeau, Notre-Dame-du-Lac         M. Marcel Sainte-Croix, Saint-Fulgence
M. Aurélien Tremblay, Chicoutimi              Mme Marthe Drolet, Jonquière                        Sœur du Bon-Pasteur de Chicoutimi
                                              M. Armand Gagnon, La Baie                           M.Michel Savard, Chicoutimi
                                              M. Jean-Rock Gagnon, Chicoutimi                     Mme Claire Simard, Jonquière
                                              M. Victor Gagnon, Chicoutimi                        Daniel Tremblay, Jonquière
                                              M. Fernand Grave!, Chicoutimi                       M. Jean Tremblay, Chicoutimi
                                              M. Jacques Grave!, Chicoutimi                       M. Joseph-Édouard Tremblay, Chicoutimi
                                              M. Joseph Grave!, Chicoutimi                        Mme Pierrette Tremblay, Chocoutimi

      La Société historique du Saguenay tient à remercier ceux et celles qui donnent 20 $ et moins.
SAGUENA."VENSIA
                                   Publiée depuis 1959 par la Société historique du Saguenay

                                             Volume 47, numéro 4, octobre-décembre 2005

La revue d'histoire régionale Saguenayensia est pu­
bliée trimestriellement par la
      Société historique du Saguenay
      930, Jacques-Cartier Est,
                                                                              Sommaire
      Chicoutimi, Québec
      G7H 7K9
      Tél. : (418) 549-2805                               3    Le quartier du Bassin de Chicoutimi : haut lieu de l'histoire
      Fax : (418) 549-3701
      Courriel : shs@cybernaute.com                            industrielle au Saguenay
      Site internet : www.shistoriquesaguenay.com                                                                par Jérôme Cagnon
Les avis de changement d'adresse, les exemplaires
non distribués et les demandes d'abonnement doivent
parvenir à l'adresse mentionnée ci-dessus. Port de        13   Un lieu de mémoire des Eudistes : l'église et le presbytère Sacré­
retour garanti. Envoi de publication : enregistrement
n° 08720. Postes Canada : # client 02093618.                   Cœur de Chicouti m
                                                                                                                    par Luc Noppen
La revue Saguenayensia reconnaît l'aide financière du
gouvernement du Canada, par l'entremise du
Programme d'aide aux publications (PAP), pour ses
dépenses d'envoi postal.                                  23   L'église et le presbytère Sacré-Cœur, monuments historiques
La direction de Saguenayensia laisse aux auteurs l'en­         nationaux du Ouébec
tière responsabilité de leur texte. Les articles parus                                                              par Luc Noppen
dans Saguenayensia ne peuvent être reproduits,
traduits ou adaptés sans l'autorisation écrite de l'au­
teur et de la Société historique du Saguenay.
                                                          58   Un méconnu de notre histoire : l'architecte René-Pamphile Lemay
La Société historique du Saguenay est membre de la
Fédération des sociétés d'histoire du Québec.                  (1870-1915)
La revue Saguenayensia est subventionnée par la                                                                     par Luc Noppen
Fondation de l'Université du Québec à Chicoutimi.

Dépôt légal: 4e trimestre 2005
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISSN0581-295X

Tarifs d'abonnement : Particulier : 30 $                  64   EN BREF..•
                      Institutions : 40 $
                      Autres pays : 45 $                  65   SITE ET MONUMENT
                      Ce numéro : 7,95 $

Couverture : .L'église du Sacré-Cœur au cœur du
quartier du Bassin en 2000. (Luc Noppen)

                                                   SAGUENAYENSIA-OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005
LE MOT                                                                      Saguenayensia
                                                                                        Rédactrice
        DE PRESENTATION                                                                 Louise Bouchard
                                                                                        Comité de rédaction
                                                                                        Dany Côté, Centre d'histoire Sir-William-Price
                                                                                        Jérôme Gagnon, Étudiant en maitrise UOAC
                                                                                        Érik Langevin, UQAC, Laboratoire d'archéologie
                                                                                        Éric Tremblay, Société historique du Saguenay
            Une année prolifique pour la revue!                                         Gervais Tremblay, Groupe de recherche en histoire
                                                                                        Caroline Toulouse, Étudiante bac en histoire
                                                                                        Comité de correction
                                                                                        Louise Bouchard, Dany Côté, Colombe Dallaire
    Avec la parution de ce numéro, nous terminons la 47e année de la revue              Représentante de la Fondation de l'UQAC
Saguenayensia. Cette dernière année aura été riche et diversifiée en ce qui con­        Suzie Robichaud
cerne les sujets présentés. Les quatre numéros de l'année 2005 comptent 36
articles, en plus des nombreuses chroniques offertes aux lecteurs dans chaque           Mise en page
parution. Je profite de l'occasion pour remercier toutes les personnes qui colla­       Louise Bouchard
borent de près ou de loin à la réalisation de la revue - comité de rédaction,           Numérisation des photographies
auteurs, correcteurs, bénévoles, etc. - sans eux ce travail serait difficilement réa­   Jean-Pierre Villeneuve
lisable.                                                                                Révision des épreuves
                                                                                        Louise Bouchard, Dany Côté, Colombe Dallaire
    Ce dernier numéro de l'année 2005 est consacré à l'histoire de la paroisse
Sacré-Cœur de Chicoutimi qui célébrait en 2003, son centenaire. Nous débutons           Impression
avec l'historique de la paroisse, réalisé en 2003 par l'historien Jérôme Gagnon.        Imprimerie commerciale
Ensuite, nous avons trois articles de Luc Noppen, historien de l'architecture qui
reprennent l'essentiel d'un rapport préparé en 2000 en vue d'appuyer une                      Société historique du Saguenay
demande de classement de l'église et du presbytère Sacré-Cœur. Le premier,
nous les présentse comme lieu de mémoire. Le second, nous fait état de la valeur        Conseil d'administration
des bâtiments comme monuments historiques nationaux du Québec et finale­                Lorenzo Beaulieu, président
ment le dernier texte, nous propose des notes biographiques sur l'architecte            Jean-Claude Basque, vice-président
René-P. Lemay, concepteur de plusieurs trésors régionaux d'architecture.                Ronald Boivin, trésorier
                                                                                        Mimi-Constance Couture, J.-E. Falardeau,
    Dans un tout autre ordre d'idée, je désire vous faire une suggestion. Noël sera     Laurence Pedneault, Michel Savard,
bientôt à nos portes! Pourquoi ne pas offrir à vos amis et parents, un abonnement       Val Rasmussen, Patrice Tremblay, administrateurs.
à la revue Saguenayensiéf? Ainsi, vous offrirez un cadeau de Noël original qui
                                                                                        Bénévoles
dure toute l'année, tout en contribuant au financement de la Société historique
                                                                                        Miville Corneau, Bernard Cauchon,
du Saguenay.                                                                            Thérèse Coulombe, Monique Desgagné,
                                                                                        Albert Larouche, Rita Lavoie, André Marchand,
Bonne lecture!                                                                          Sophie Simard.

Louise Bouchard,
Directrice générale                                                                         La fondation Mgr-Victor-Tremblay
                                                                                        Eddy Lalancette, président
                                                                                        Gilbert Grave!, Jean Laflamme, vice-présidents
                                                                                        Ronald Boivin, trésorier
                                                                                        Louise Bouchard, secrétaire
                                                                                        Lorenzo Beaulieu, Marcel Claveau,
                                                                                        Jean Grimard, Mona Lessard,
                                                                                        Aurélien Tremblay, Gaston Tremblay.

2                                        SAGUENAYENSIA - OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005
Le quartier du Bassin de Chicoutimi                                                                            ••

 haut lieu de l'histoire industrielle du Saguenay*
                                                                                                                           par Jérôme Cagnon
                                                                                                                   Historien, Musée Louis-Hémon

     Depuis le début de son histoire, le quartier du Bassin de Le Bassin de Chicoutimi : maillon important
Chicoutimi est lié à l'industrie locale. Carrefour commercial impor­ d'un réseau de traite de fourrures (1676-1856)
tant pour la traite des fourrures lors de la période qui précède l'ou­
verture du Saguenay à la colonisation, ce secteur est celui qui               L'histoire officielle du Saguenay, de Chicoutimi, et plus pré­
accueille l'industrie de l'exploitation forestière jusqu'à la grande cisément du Bassin s'ouvre au XVIIe siècle avec le commerce des
crise économique des années 1930. Comme pour d'autres éta­ fourrures qui anime toute la colonie de la Nouvelle-France.
blissements industriels de la région, le quartier Ouest de Organisé en 1652 en territoire d'exploitation exclusive sous l'au­
Chicoutimi constitue une zone d'urbanisation dont le développe­ torité du roi de France, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, appelé le
ment résulte de l'installation, de l'opération et de la production « Domaine du Roi », ouvre son territoire à l'établissement d'un
d'une industrie. Par contre, le cas de Chicoutimi ne peut se com­ réseau de comptoirs de commerce de fourrures avec les
parer tout à fait à celui d'autres villes planifiées par des compa­ autochtones qui habitent la région. Un poste de traite est construit
gnies, comme Kénogami, Arvida, Port-Alfred, Val-Jalbert, à Chicoutimi en 1676, à un endroit déjà fort achalandé et ayant
Riverbend ou Dolbeau. Il ne s'agit                                                                         une importance notoire pour les
pas à Chicoutimi de créer de                                                                               Amérindiens qui parcourent depuis
toutes pièces les infrastructures                                                                          déjà longtemps le réseau hydro­
urbaines nécessaires à l'établisse-                                                                        graphique de la région2 •
ment de la main-d'œuvre, mais
bien de développer un quartier                                                                                  La rivière Chicoutimi est un
dans une ville existante, déjà                                                                             maillon important de ce qu'on
organisée et comportant certains                                                                           appelle la route des fourrures. Il
services publics. L'industrie locale                                                                       s'agit d'une étape obligatoire pour
pousse cependant le concept de                                                                             passer du Saguenay au Lac-Saint­
quartier ouvrier à un niveau élevé.                                                                        Jean (Piékouagami). Ainsi, le site
La participation du clergé, con­                                                                           choisi pour l'installation du poste de
tribue à former une véritable                                                                              traite offre d'excellentes conditions
enclave à l'intérieur des limites de                                                                       à  l'établissement d'un havre com­
Chicoutimi. Le Bassin, devient véri­                                                                       mercial. Toutes les facilités au
tablement une ville dans la ville1 •                                                                       transbordement des canots et des
Regroupée autour de son église, la                                                                      i  bateaux de marchandises se
population de la paroisse Sacré­                                                                     , i retrouvent dans le bassin de
                                                                         ��------11111111 �
Cœur a perpétué depuis 1 00 ans                                                                         � Chicoutimi. La forêt et la faune
cette image de quartier à part, par­                                                                       abondantes à cet endroit sont
ticipant ainsi à l'élaboration de ._________________________. � autant d'utilités offertes aux promo-
l'identité chicoutimienne.                 Esquisse de la chapelle de Chicoutimi vers 1840.                teurs et aux employés du poste.

                                           SAGUENAYENSIA - OCTOBRE•DÉCEM BRE 2005                                                             3
Ainsi, après une première incursion réalisée en 1671, Charles                    La première phase d'industrialisation au Bassin:
Bazire, associé de Jean Oudiette, adjudicataire de la Ferme du                       l'exploitation d'une scierie (1843-1901)
Domaine du Roi, préside, en juin 1676, au début des travaux de
construction du comptoir commercial à Chicoutimi. Arrivés par                            L'histoire de la colonisation de Chicoutimi, débute sous le
bateau, les artisans construisent un magasin, une chapelle, des                      signe de l'industrie du bois de sciage. En 1842, William Price s'as­
dépendances et un appartement pour le desservant jésuite de la                       socie au métis Peter McLeod junior pour implanter une usine de
mission de Chicoutimi, en l'occurrence, le père François                                       bois de sciage dans le secteur du Haut-Saguenay. Après
de Crespieul. L'activité au poste de Chicoutimi                                                     la construction d'un premier établissement, à
débute véritablement à l'automne. Le magasin                                                           Rivière-du-Moulin, les deux industriels forestiers
reçoit alors ses premières marchandises et les                                                            procèdent à l'aménagement du pouvoir
échanges peuvent s'amorcer. Contre des                                                                     hydraulique de la rivière Chicoutimi et y éta­
peaux de castor et des pelleteries de toutes                                                                blissent une scierie d'envergure.
sortes. les Européens offrent aux Amérin­
diens des marchandises nécessaires à leur                                                                               Le site de la construction du nouveau
subsistance (farine. pois, blé d'Inde, lard                                                                          moulin est déterminé de façon judicieuse
salé, graisse. etc.), toute la gamme du                                                                              par les avantages du milieu. La force du
matériel employé pour la chasse (pièges,                                                                             courant de la rivière Chicoutimi et la
fusils, poudre et munitions), du tabac, des                                                                         matière première qui se trouve en grande
pipes de plâtre, ainsi que de l'eau-de-vie.                                                                        quantité le long de son cours et dans le
                                                                                                                 bassin hydrographique du lac Kénogami
     La vie au poste de Chicoutimi, nonobstant les                                                             favorisent l'implantation de l'usine, qui bénéficie
quelques périodes d'abandon du site, suit la succes­                                                       en outre d'un havre idéal avec le site naturel du
sion des saisons et les habitudes des Amérindiens                                                        Bassin.
pourvoyeurs de marchandise. En ce sens, la présence                    Peter Mcleod
                                                               (Source : ANQC, Coll. de la SHS, n° 17)
du missionnaire est essentielle; les mystères de la reli-                                                   Construite sur la rive ouest de la rivière, la scierie
gion catholique constituent un incitatif pour que les                                                    du Bassin, terminée au printemps 1844, est de dimen­
Amérindiens se rendent vers le poste saguenéen.                                                             sion appréciable: 47,5 m de longueur par 22 m de
Au fil des ans, Chicoutimi vit au gré des vicissi­                                                             largeur. Munie de six systèmes de scies rondes,
tudes de la traite des fourrures. En 1726, sous                                                                  elle est alimentée en énergie hydraulique par
l'initiative et le zèle du père Pierre Laure, qui                                                                  un canal aménagé à partir d'une écluse
arrive à Chicoutimi après des années de                                                                             construite sur la première chute de l'im­
déclin, une nouvelle chapelle est construite                                                                         pétueux cours d'eau. En plus de l'usine de
et le service religieux régulier est rétabli.                                                                        sciage, les installations Price-McLeod com­
Cette période correspond à l'âge d'or de la                                                                          prennent également un quai de 152 m de
traite des fourrures. Les comptoirs de la                                                                            longueur par 12 m de large ainsi que trois
région prospèrent au rythme des fluctua­                                                                             maisons et un magasin4 •
tions des populations animales et de la santé
du commerce des fourrures en général. Après                                                                Les installations du Bassin ne tardent pas
la capitulation de Montréal et la chute de la                                                         à s'imposer comme étant le centre le plus
Nouvelle-France en 1760, la traite du Domaine du                                                    important de production de bois de sciage au
Roi passe entre les mains des Anglais mais conserve                                             Saguenay. Entre 1843 et 1846, les deux moulins à
sa vocation de territoire affermé en portant dorénavant              William Price             scie de Chicoutimi exportent tout près de 250 000
le nom de King's Posts. Le poste de Chicoutimi survit (Source: ANQC, Coll. de la SHS, n 13665) madriers de pin par année. La scierie du Bassin à elle
                                                                                               °

encore près d'un siècle en voyant se succéder les com-                                         seule en fournit les trois quarts. Il n'est donc pas sur­
pagnies locataires du monopole d'exploitation sur le territoire. A prenant que Chicoutimi soit le théâtre des développements socio­
compter de 1821, c'est la célèbre Compagnie de la Baie d'Hudson économiques les plus rapides et les plus importants des débuts de
qui s'installe dans les Postes du Roi. Le commerce, à ce moment, la colonisation dans la région. Lors de sa visite en 1845, l'arpen­
est en déclin. La concurrence est extrêmement forte. Les nom­ teur Duncan-Stephen Ballantyne constate, qu'en plus des installa­
breuses pressions pour ouvrir le territoire à la colonisation, puis l'ex­ tions Price et celles de la Baie d'Hudson, le secteur compte une
ploitation forestière et l'arrivée des colons à compter de 1838 vingtaine de maisons. Il s'agit pour la plupart des demeures des
ruinent la traite qui s'éteint, au Saguenay, en 1856, avec le départ employés du moulin à scie. Un an après la construction du moulin,
des deux derniers employés du poste de Chicoutimi3.                          l'embryon de société devient la base d'un établissement agro-

4                                             SAGUENAYENSIA- OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005
forestier appelé à desservir une ville
d'importance majeure au Saguenay.
Ballantyne constate d'ailleurs, en 1845,
que la puissance de la rivière Chicoutimi
sera utilisée sous peu pour faire fonction­
ner un moulin à farine. En effet, un groupe
de citoyens s'affaire à construire ce
moulin qui servira à moudre le grain des
habitants et à approvisionner les chantiers
de bûcherons. Bien que le Bassin reste un
lieu où l'activité est centrée presque
exclusivement sur l'industrie du bois de
sciage, il n'en demeure pas moins que
quelques commerces et établissements
d'artisans s'y installent. En périphérie du                                                                                                         8
                                                                                                                                                    c.5
                                                                                                                                                    0
quartier proprement dit s'établissent
quelques agriculteurs qui viennent corn-      Le Bassin en 1896.
piéter le paysage social de la population
de Chicoutimi Ouest.
                                                                  bois d'œuvre a considérablement diminué. La crise économique
     Afin d'approvisionner en matière première la scierie, des de 1873, l'adoption de la politique du libre-échange de la part de
chantiers forestiers hivernaux sont organisés à proximité des l'Angleterre, l'utilisation du fer dans la construction navale et la
cours d'eau, qui constituent le mode d'acheminement du bois le diminution des forêts de résineux de bonne dimension près des
plus efficace. Dès les premières années, la plupart des rivières scieries obligent la Compagnie Price à ralentir ses activités de
saguenéennes sont utilisées et le plus clair des « bouquets » de sciage pour finalement fermer le moulin de Chicoutimi en 1901.
pins, essence répondant aux besoins du marché sont exploités. A cette époque, le quartier est déjà entré dans une nouvelle
Au cours de la décennie 1850, c'est dans les forêts du Lac-Saint­ phase industrielle qui change considérablement les habitudes et
Jean que sont coupés une bonne partie des arbres transformés à les conditions de vie des habitants du secteur, tournant ainsi la
la scierie du Bassin qui devient la plus importante de la région. page sur la période pionnière chicoutimienne que nous décrit un
Afin de faciliter le passage des billots du Lac-Saint-Jean au témoin de cette époque, Eugène Lapointe, qui arrive au Saguenay
Saguenay, une glissoire à bois est construite entre 1856 et 1860 en 1882.
le long de la Grande Décharge. L'ouvrage de bois long de près         [...] sur les deux rivières du Moulin et du Bassin, de magnifiques
d'un mille achemine le bois vers les scieries du Saguenay pen­        chutes   tout près du Saguenay, jusqu'au pied desquelles pouvaient
dant trente ans. Entre 1873 et 1882, ce sont près de 560 000          pénétrer   à marée haute de petits et de moyens bateaux. Site incom­
billots qui passent par la « dalle », comme on l'appelait à           parable   pour la construction de scieries et le chargement du bois,
l'époque.
                                                                      puisque   les bâtiments  d'autre-mer pouvaient remonter le Saguenay
                                                                          jusqu'à l'embouchure de ces deux rivières.
                                                                          En 1882, celle de la Rivière-du-Moulin [la scierie] la seconde en cet
    Après la mort du métis Peter McLeod en 1852, les installations        endroit je crois, existait encore mais était abandonnée, tandis que
du Bassin passent entièrement entre les mains de son associé,             celle du Bassin était en pleine activité. Inutile de dire qu'à ce
William Price. Sous l'administration de ce dernier et de ses suc­         moment-là le tout appartenait à la maison Price...
cesseurs, la scierie du Bassin et la plupart des autres moulins du        La population de Chicoutimi en 1882 se ressentait quant à sa com­
Saguenay continuent à rythmer la vie des pionniers de cette               position, de son origine. Autour du moulin du Bassin un groupe
époque. Les Price sont les principaux employeurs de Chicoutimi.           d'ouvriers et quelques employés du bureau ou du magasin de
Bon an mal an, une centaine d'hommes travaillent à la scierie du          M. Price...
Bassin. Le cycle de l'exploitation du bois détermine la vie des habi­     Il y avait donc à Chicoutimi, dans ce temps-là, deux classes sociales
                                                                          bien distinctes et assez éloignées l'une de l'autre, celle des ouvriers
tants du Saguenay : l'hiver dans les chantiers à couper le bois, le       et celle des bourgeois. Entre les deux, un certain nombre d'inter­
printemps à pratiquer la drave et l'été c'est le moulin qui trans­        médiaires participants plus ou moins de l'une ou de l'autre.
forme la matière première en marchandise exportable vers les               Les ouvriers étaient en général très pauvres, gagnant peu: 8,00 $ à
chantiers de construction d'Angleterre et des États-Unis.                  10,00 $ par mois dans les chantiers en hiver, 0,50 $ par jour au
                                                                          moulin l'été, pour une journée de 12 heures. Ils étaient tous très mal
   L'industrie du bois de sciage au Saguenay connaît ses heures           logés. La vie n'était pas chère, parce qu'ils dépensaient très peu,
de gloire jusqu'à la décennie 1870. A cette date, la demande en           vivant de si peu5 .

                                          SAGUENAYENSIA- OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005                                                                5
La grande industrie                                                   tian de la ville. Ainsi, de 1891 à 1901, on assiste à un accroisse­
et la fondation de la paroisse Sacré-Cœur (1896-1930)                 ment significatif, voire spectaculaire de près de 70 % de la popu­
                                                                      lation qui passe de 2 227 à 3 826 habitants. L'apport démo­
     En 1896, des changements majeurs surviennent au Saguenay.        graphique bat son plein ; Chicoutimi est plus que jamais sur la voie
Une classe de jeunes capitalistes chicoutimiens, dont le proprié­     de la prospérité. Dans les décennies subséquentes, de 1901 à
taire du journal local, Joseph-Dominique Guay et un gérant de         1921, le boom démographique s'atténue tout en maintenant une
banque du nom de Julien-Édouard-Alfred Dubuc entreprennent            augmentation des plus appréciables de la population, soit de
d'aménager sur la rivière Chicoutimi des usines de production de      3 826 à 8 937 habitants7 • La pulperie ne cesse, au cours de cette
pâte à papier. C'est le début de la grande industrie au Saguenay.     période d'augmenter sa production par l'ajout de nouveaux
L'aménagement des moulins de la Compagnie de pulpe de                 moulins. De son côté, la ville de Chicoutimi ressent les bienfaits de
Chicoutimi dans le quartier Ouest entraîne un véritable renouveau.    la prospérité. Le fonctionnement à plein régime de la production
C'est en fait à partir de 1896 que se développe à Chicoutimi un       de pâte entraîne une vitalité économique qui se transpose sur tous
quartier ouvrier véritablement structuré et planifié. Si la           les plans.
Compagnie Price n'avait accordé que peu d'importance au
développement urbain, il n'en va pas de même pour les nouveaux            L'augmentation de la population n'a pu se produire sans l'ap­
promoteurs qui contribuent à faire naître au Bassin une véritable     port d'un mouvement migratoire important. La prospérité de
« ville industrielle ». Déjà en 1898, la Compagnie de pulpe influe    Chicoutimi, due à son activité industrielle, est connue partout. Il
sur le paysage du Bassin notamment par l'installation sur la rue      n'est donc pas surprenant que de forts contingents en provenance
Montcalm de structures portuaires et de voies ferroviaires pour       de la vallée du Saint-Laurent, d'autres provinces du Canada, des
l'expédition de la pâte produite par ses usines6 •                    États-Unis et même de la France et de la Belgique soient attirés par
                                                                      les possibilités qu'offrent Chicoutimi et ses usines. En ce sens, le
    Une donnée majeure quant à l'évolution du quartier du Bassin      développement industriel semble offrir une solution au problème de
est son indéniable accroissement démographique. Devant le suc­        l'exode des Québécois vers les usines de la Nouvelle-Angleterre,
cès de la nouvelle société industrielle, c'est non seulement la       puisque la majorité des immigrants arrivant des États-Unis sont
population locale mais aussi ceux qui proviennent de l'extérieur de   d'anciens exilés du Québec. Plus d'une génération viendra y trou­
la ville qui peuvent profiter de cet apport économique. La popula­    ver de l'ouvrage, comme en témoigne l'ouvrier Joseph Chantal
tion de Chicoutimi s'accroît de façon substantielle au cours des         [Mon père] était cultivateur dans le comté de Portneuf. Ma mère est
trente années de fonctionnement de la Compagnie de pulpe de              morte jeune et il s'était remarié avec une veuve qui avait neuf
Chicoutimi.                                                              enfants. Chez-nous, on était déjà treize, imaginez la famille que ça
                                                                         faisait. Un peu plus tard, il est venu travailler à la Pulperie mais il n'a
                                                                         jamais résidé d'une façon permanente à Chicoutimi. Un de mes
   A partir de l'ouverture des usines de pâte à papier à
                                                                         frères a repris la terre dans Portneuf. Mon père allait vivre chez l'un
Chicoutimi, une évolution se dénote dans la hausse de la popula-         et l'autre de ses treize enfants. Quand je suis arrivé à Chicoutimi en
                                                                                             1917-1918, j'avais à peu près 18 ans. Mon futur
  lql                                                                                        beau-père, Adélard Bilodeau, était "foreman" au
                                                                                             moulin d'en haut... 8

                                                                                             Essor de l'urbanisation : la construction
                                                                                             du quartier Ouest de Chicoutimi

                                                                                                  Ce sont les principaux investisseurs de la
                                                                                             Compagnie de pulpe de Chicoutimi, Joseph­
                                                                                             Dominique Guay en tête, qui prennent l'initia­
                                                                                             tive de s'assurer que les ouvriers s'installent le
                                                                                             plus près possible des usines de pulpe. Les
                                                                                             industriels s'impliquent activement dans le
                                                                                         �   développement de l'environnement social de la
                                                                                         g   population ouvrière. Ainsi, à compter de 1898,
                                                                                        �    de nombreux terrains sont achetés dans le
                                                                                        �    secteur du Bassin, ils sont minutieusement
                                                                                        �    cadastrés et chaînés et sont mis en vente à
                                                                      ----..aK---· �         toute la population chicoutimienne. On incite
Le moulin rri 1 de la Compagnie de pulpe de Chicoutimi vers 1911.                            alors fortement les ouvriers à les acquérir.

6                                          SAGUENAYENSIA- OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005
sait du bon bois. C'était pas du bouleau ... Tout le
                                                                                                monde qui travaillait au moulin de pulpe faisait ça13.

                                                                                                    Comme dans toute bonne ville de compagnie,
                                                                                                il y a une distinction très prononcée entre les
                                                                                                maisons des ouvriers et celles des employés
                                                                                                supérieurs. Ainsi, en février 1904, on annonce la
                                                                                                construction, par Ludger Cimon, d'une dizaine de
                                                                                                maisons pour les cadres et les contremaîtres de la
                                                                                                Compagnie de pulpe, de style vernaculaire améri-
                                                                                            � cain, donc plus luxueuses14 .

                                                                                               Un tel développement domiciliaire requiert
                                                                                            également de nombreux travaux publics afin
                                                                                           Z3
L.;..:;1i:..-----�--=---....;....::.......   --ll....-..;______      ....__·����:!�-•� � d'accommoder la population sans cesse grandis-
 La côte des Saints-Anges.                                                                  sante du quartier. De nouvelles voies publiques
                                                                                            sont aménagées aux alentours de la pulperie. Les
                                                                                            premières décennies du siècle voient donc appa­
         L'offre est attrayante : les ouvriers peuvent alors se procurer raître la rue Dréan, la côte des Saints-Anges, la côte Fortin et bien
un terrain d'environ 23 m x 45 m pour une somme qui varie, selon d'autres. L'établissement s'intensifie sur les hauteurs du chemin
le cours de la propriété foncière et la localisation, entre 200 et de la Réserve qui, jusque-là comptait parmi les zones agricoles du
400 dollars. Il est même offert aux ouvriers d'acheter des canton de Chicoutimi. Ces hauteurs étaient d'ailleurs désignées
emplacements possédant déjà les fondations de la maison. Le sous le vocable de « village Jobin », du nom d'un des cultivateurs
montant peut alors varier de 500 à 600 dollars. Les preneurs sont les plus importants du coin : Isaïe Jobin. Par ailleurs, les rues déjà
nombreux, d'autant plus que la Compagnie de pulpe offre toutes existantes, Lorne, Bossé et Taché, sont prolongées jusqu'aux
les facilités pour financer les investissements de leurs employés. usines de pulpe. La ville entreprend également à partir de 1900,
On met ainsi sur pied un système de paiement à terme qui con­ la construction de trottoirs sur certaines rues du quartier Ouest.
tribue à développer très rapidement la construction immobilière
dans le quartier Ouest de Chicoutimi. En ce sens, le 16 juin 1906,             Toutes ces innovations visent à affermir la vocation du secteur
est formée La Société de construction ouvrière de Chicoutimi qui et à améliorer une partie de la municipalité trop longtemps con-
sera incorporée au consortium de la Compagnie de pulpe et qui
favorise considérablement l'achat, la vente, le loyer et le lotisse- 1
ment de biens immeubles. Dans la même veine, et en raison du
développement urbain important que connaît Chicoutimi à cette
époque, le même consortium fonde, le 31 décembre 1913, la
Chicoutimi Freehold Estates Ltd 9. Toute cette activité immobilière
se fait à grands coups de publicité. Le Progrès du Saguenay
expose à ses lecteurs l'évolution complète des ventes de terrains
et des maisons que l'on construit. Ainsi, dans son édition du
23 mars 1905, on estime que d'ici le printemps de 1906,
100 nouvelles maisons seront érigées10 •

    Les maisons habitées par les ouvriers sont généralement
bâties sur un étage et demi. L'architecture de ces bâtiments,
évalués entre 2 800 et 3 300 dollars, s'inspire pour la plupart du
style québécois avec toiture à double versant. Bien que fort
modestes, ces maisons sont confortables et peuvent posséder
toutes les commodités disponibles à Chicoutimi à cette époque11 •
Selon M. Chantal, on chauffait généralement les demeures avec le
bois qui pouvait être acheté à même les stocks de la compagnie.
   On payait un voyage double, $1.00... Un voyage à deux chevaux; une
   grande boîte [tirée par deux chevaux]... Ça c'était du bois« colle12 »      Résidence de Joseph Tremblay, surintendant à la Compagnie de pulpe
   on le faisait sécher, on le faisait débiter comme il faut et ça nous fai-   de Chicoutimi.

                                             SAGUENAYENSIA - OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005                                                                 7
sidérée comme l 1 endroit mal famé de la ville. Bien entendu,
l 1 endroit reste un peu suspect. C 1 est là, le plus souvent, que
surviennent les entorses les plus criantes aux bonnes manières.
C 1 est d 1 ailleurs près de l 1 emplacement de la future église du
Sacré-Cœur qu'à la fin du XIXe siècle, se situe le « Cran Chaud »
réputé depuis de nombreuses années par la présence de femmes
aux mœurs légères. Il s 1 agit, en effet, du lieu de résidence de la
célèbre « Gourgane ». Elle et sa consœur « Maringouin » étaient
réputées pour occuper le métier de prostituée. Un témoin de
l 1 époque, Thomas Dassylva, nous donne une description de ce lieu
peu recommandable
     Il y avait dans le temps deux ou trois familles de mauvaise réputa­
    tion; et dans ce temps-là, vous savez que quand il y avait une mau­
                                                                                 '
    vaise femme c'était quelque chose d'abominable. On regardait ça
    comme bien terrible. Ces familles vivaient isolées sur le rocher, et les
    gens appelaient cela « Le Cran des Femmes Chaudes ». Parmi
    celles-là, il y avait celle dont on parlait le plus : « La gourgane », qui                                                                                   C:

    avait sa maison juste où est aujourd'hui l'église du Bassin15.

Les services de la religion au Bassin: l'arrivée des Eudistes
et l'ouverture de la paroisse du Sacré-Cœur
                                                                                     La nouvelle chapelle du Bassin, construite en 1893.
    Le salut des âmes de la population ouvrière du Bassin est une
préoccupation constante pour les autorités diocésaines au
XIXe siècle. À son arrivée à Chicoutimi, à l'automne 1892, le nou­                      vit surgir de la terre une chapelle, où elle pourrait désormais servir
vel évêque, Mgr Michel-Thomas Labrecque, constate le dénue­                             Dieu avec une ferveur, jusque-là un peu assoupie dans son cœur
ment presque complet de ses ouailles du Bassin en regard des                            pourtant si croyant 16.
services de la religion. La décision est alors prise de construire
une chapelle sur le site même où étaient érigés les deux bâti­                       La nouvelle chapelle est en fait une desserte de la cathédrale
ments qui avaient servi jadis à évangéliser les Amérindiens et à                 dont les prêtres en assurent le service religieux pendant dix an�
abriter la ferveur chrétienne des premiers Blancs établis au                     avant que la nécessité de construire un temple plus grand n'appa­
Saguenay.                                                                        raisse. Elle servira alors à des organismes religieux et commu­
                                                                                 nautaires qui l'utiliseront comme lieu de rassemblement et de réu­
    Le 11 mai 1893, l'évêque bénit en personne et avec grand                     nion. Dans ces murs, entre autres, vont se dérouler plusieurs
déploiement la première pierre de la nouvelle chapelle du Sacré­                 assemblées houleuses du Syndicat catholique local. C'est là
Cœur de Chicoutimi. Cette chapelle dont les travaux se                           également qu'aura lieu, le 1er octobre 1911, l'assemblée de fon­
termineront au mois d'août 1893, devait rendre de précieux servi­                dation de la première caisse populaire de Chicoutimi, en présence
ces à la population du Bassin. Auparavant les habitants du quar­                 d'Alphonse Desjardins. En 1930, lors de sa démolition, la chapelle
tier Ouest devaient se rendre à la cathédrale pour y entendre la                 du Bassin s'inscrit définitivement dans les livres d'histoire.
messe. La chapelle du Sacré-Cœur est un modeste bâtiment de
46 m par 22 m, fait essentiellement de brique et dont                                Au cours des premières années du XXe siècle, il n'y a pas
les plans sont l'œuvre de l'industrieux secrétaire de l'évêché,                  qu'un lieu de culte plus spacieux qui puisse combler les besoins
l'abbé Thomas Roberge. Monseigneur Labrecque lui-même                            spirituels de la population du Bassin. De par sa situation géo­
voyait à la régularité des offices religieux dans cette chapelle. Le             graphique et par l'importance de son peuplement, le quartier
samedi et les veilles de fêtes, les confessions étaient entendues                revient au centre des préoccupations de l'évêque de Chicoutimi.
et chaque dimanche la parole sainte était livrée à ce peuple qui,                Une solution d'envergure s'impose et l 1 ouverture d'une seconde
selon les dires de l'évêque, était des plus disposé à la grâce de                paroisse à Chicoutimi semble se présenter comme la solution tout
la religion.                                                                     indiquée. Des démarches sont entreprises et en 1902,
    Je le constatai avec chagrin [le manque de structures religieuses au         Mgr Labrecque entre en contact avec des représentants de la
    Bassin] et, sans retard, une humble église s'éleva au milieu de vous,        communauté religieuse française des Eudistes.
    au prix de sacrifices que l'état financier de l'Évêché à cette époque
    reculée rendait assez lourds. Jamais, je n'oublierai la joie que mani­              Au début du siècle la situation des Eudistes est peu reluisante.
    festa votre population, quand un bon matin, sans avis préalable, elle            En France, les forces de la déconfessionnalisation et de l 1 anticléri-

8                                               SAGUENAYENSIA - OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005
calisme entraînent le gouvernement de la Ille République à prendre avec la Compagnie Price qui cède à la paroisse une série de ter­
la décision de fermer les portes de nombreuses institutions à rains bornés par la rue Bossé et les terrains de Louis Robin et de
caractère religieux. Les Eudistes, cherchant une porte de sortie, la Compagnie de chemin de fer Québec-Lac-Saint-Jean20 • En con­
entreprennent un voyage en Amérique du Nord pour y trouver un trepartie, la paroisse cède à Price le terrain sur lequel est située la
refuge propre à la reprise de leurs œuvres. C 1 est ainsi qu 1 au mois chapelle du Bassin2 1• Quelque temps auparavant, le 28 septembre
d 1 août 1902, le père Gustave Blanche, en visite à Québec, con­ 1903, les Eudistes avaient acquis, pour la somme de 3000 dol­
vient d 1 une entente avec l 1 évêque de Chicoutimi qui conduit à la lars, les lots de Louis Robin situés en contiguïté avec ceux de la
prise en charge d 1 une nouvelle paroisse, celle du quartier des Compagnie Price22 • C'est donc à cet endroit que seront cons­
ouvriers par les eudistes. La décision de fonder la paroisse du truits l 1 église et le futur presbytère.
Sacré-Cœur est prise au mois de décembre et dès le 6 janvier
1903, arrivent à Chicoutimi les pères Louis Le Doré, premier curé         Entre-temps, les Eudistes ont donné à l 1 architecte René­
de la paroisse, et Édouard Travers, son vicaire. Le 16 septembre Pamphile Lemay, le même qui a signé les plans de quelques bâti­
1903, Mgr Labrecque érige officiellement le Bassin en paroisse ments de la pulperie, et qui réalisera ceux de la nouvelle cathé­
consacrée au Sacré-Cœur de Jésus.                                                                   drale en 1913, le soin de dessiner
Le décret officiel est lu à la cathé-                                                               les plans de l 1 église. Le 19 mars
drale et à la chapelle du Bassin pen­                                                               1903, Le Progrès du Saguenay en
dant deux dimanches. À leur arrivée à                                                               publie fièrement un croquis23• On
Chicoutimi, les pères Eudistes, qui                                                                 affirme avec certitude que cette nou­
                             1
logent quelque temps à l évêché puis                                                                velle construction constituera le cen­
dans une maison qu'ils acquièrent                                                                   tre d 1 une véritable ville. A la fin de
dans le quartier Ouest, se consacrent                                                               l 1 année 1903, la direction des
immédiatement à leur tâche17 . Il y a                                                               travaux est confiée à Joseph
beaucoup à faire au Bassin. Les nou­                              ♦. _l                             Gasselin de Lévis. Il s 1 engage à
veaux arrivants déploient un esprit
                                                             t;VYt·l-                               fournir la main-d 1 œuvre, les maté­

                                                            fl
  1                        1
d initiative étonnant, d autant plus                                       '
                                                                                                    riaux et les outils pour effectuer les
     1                1
qu ils bénéficient d une liberté qui, il                                                            ouvrages de maçonnerie, de taille de
faut l 1 admettre, leur permet d 1 agir à                                                           pierre, de charpenterie et de menui­
leur guise. Les pères Eudistes entre­                          r- ' ,, ,                            serie. La somme allouée à monsieur
prennent en premier lieu de se con­                                                                 Gasselin est assez considérable
                               1
sacrer à l'édification d un temple                                                                  32 581 $ 24• Si on ajoute le coût des
répondant aux besoins de la nouvelle                                                                travaux intérieurs et les rénovations
entité religieuse18 •                                                                               qui auront lieu par la suite, le temple
                                                                                                    coûtera à la communauté la ron­
L'église du Sacré-Cœur                                                                              delette somme de 62 000 $.
                                                                                                  .....
                                                                                                  .....
                                                                                                  N

    Le 16 septembre 1903,                                                                               Les travaux débutent avec le nivel-
                                                                                                  C)

                                                                                               'l=_

Mgr Labrecque érige officiellement le                                                          � lement des terrains en octobre 1903
Bassin en paroisse consacrée au                                                                ; et se terminent avec la bé�édiction
Sacré-Cœur de Jésus. Le décret offi­                                                           g du nouveau temple le 13 aout 1905.
ciel est lu à la cathédrale et à la                                                            � Cet imposant édifice de 177 m de
chapelle du Bassin pendant deux L'église du Sacré-Cœur de Chicoutimi.                               longueur par 45 m de largeur est
dimanches19 . A partir de ce geste offi-                                                            construit avec le granit du cran qu 1 il
ciel, les Eudistes rivaliseront d 1 au-                                                             domine, sauf pour la pierre blanche
dace et d 1 imagination pour diriger                                                                de la façade et du clocher qui
toutes les facettes de la vie sociale des ouvriers. Le premier pro­ provient de Rivière-à-Pierre. A l 1 intérieur du clocher qui s 1 élève à
jet d 1 envergure auquel se consacrent les révérends pères est de 93 m, sont installées quatre cloches dont le poids varie de 341 kg
doter la paroisse d 1 un temple répondant aux besoins de la nouvelle pour la plus petite à 2848 kg pour la plus grosse. Elles sont bap­
entité religieuse.                                                   tisées lors d 1 une cérémonie qui a lieu le 20 août 1905. Ces
                                                                     cloches sont acquises grâce à la générosité de plusieurs citoyens,
    Le projet de construire une véritable église dans le quartier du les principaux promoteurs de l 1 industrie, les personnalités poli­
Bassin de Chicoutimi ne concerne pas seulement que les Eudistes. tiques, les commerçants, tous les gens bien en vue de la société
Le 13 novembre 1903, les pères concluent un contrat d 1 échange chicoutimienne de l 1 époque25 •

                                         SAGUENAYENSIA- OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005                                                            9
Le nouveau temple a fière allure. Il s 1 inspire de l 1 architecture  confréries et rassemblements à saveur religieuse de tout genre
gothique et s 1 harmonise à merveille avec la nature environnante.          visant à orienter les aspirations des ouvriers vers des avenues
L 1 église du Sacré-Cœur s 1 avère être un des joyaux du paysage            dévotes. Ainsi se succèdent les fondations. Dès 1903 sont mis sur
urbain de Chicoutimi. Cependant, plusieurs travaux restent à faire.         pied la congrégation des dames de Sainte-Anne, les enfants de
La communauté est pauvre et doit attendre 1928 pour compléter               Marie et la conférence Saint-Vincent-de-Paul. L 1 année suivante,
l 1 aménagement intérieur de l 1 église. Les travaux sont alors confiés     on procède à la création de la chorale, en 1905, c 1 est la grande
à Alfred Lamontagne. Celui-ci remplacera toutes les charpentes de           ligue du Sacré-Cœur qui voit le jour et en 1906, la petite ligue du
bois par des poutres en acier et utilisera des matériaux protégeant         Sacré-Cœur commence à embrigader les jeunes gens. L 1 arrivée
le bâtiment contre le feu. On procède au même moment à la déco­             en 1908 du père Jean-Marie Dréan à la tête de la paroisse pour­
ration intérieure de l 1 église. On meuble l 1 église de façon à lui don­   suit le mouvement de fondation d 1 organismes. Sous son autorité
ner le même style qu'à I·extérieur26 •                                      sont formées les sociétés des Saints-Anges, de Sainte-Jeanne­
                                                                            d 1 Arc et de Sainte-Marthe pour les jeunes filles. En 1922, c 1 est le
     En ce qui concerne le presbytère. les pères Eudistes. par souci cercle Dréan de l 1 A.C.J.C. (Association canadienne de la jeunesse
  1
d économie. achètent une maison au coin des rues Bossé et Taché catholique) qui débute ses activités avec le concours de plusieurs
qui les logera jusqu 1 au 24 avril 1919. Sous l 1 initiative du vicaire, le jeunes hommes, et au mois d 1 avril de la même année le père
père Joseph-Marie Courtois27• des travaux de construction d 1 un Joseph Courtois procède à la fondation d 1 un corps de zouaves
presbytère seront enclenchés en 1918. Le bâtiment de trois pontificaux. À cela s 1 ajoutent les mouvements de tempérance, et
étages, dont les plans sont signés aussi par l 1 architecte Alfred les très nombreuses dévotions et manifestations religieuses pério­
Lamontagne, est la réplique presque parfaite d 1 un château diques30.
d 1 Auvergne datant de la Renaissance. L I édifice est impressionnant
et constitué de matériaux somptueux. Le presbytère offre toutes                  Les Eudistes s 1 impliquent également, à compter de 1907,
les commodités aux Eudistes de Chicoutimi. En plus des chambres dans les œuvres syndicales de Mgr Eugène Lapointe. Ce dernier
et des bureaux personnels, les révérends pères bénéficient d I une fait alors œuvre de fondation en appliquant chez les ouvriers des
grande bibliothèque, d'une verrière et de salles de repos spa­ usines de pulpe de Chicoutimi les principes de la doctrine sociale
cieuses. En annexe au corps principal du bâtiment, se trouve le de l'Église catholique énoncée par l'encyclique Rerum Novarum du
logement des sœurs de Sainte-Marie de la Présentation chargées, pape Léon XIII en 1891. La Fédération ouvrière de Chicoutimi, qui
à compter de 1920, de la tenue du presbytère. L 1 intérieur de l 1 édi­ devient en 1912 la Fédération ouvrière mutuelle du Nord
fice, décoré de structures de chêne et d 1 épais murs recouverts de (F.O.M.N.) fait adopter différentes mesures visant à améliorer les
plâtre, offre à l 1 œil une impression de solennité et de tranquille conditions de travail des ouvriers tout en protégeant la paix sociale
recueillement.                                                              existant entre le prolétariat et le capital local. De concert avec les
                                                                            autorités religieuses, le syndicat catholique chicoutimien orchestre
     Comme nous l 1 avons vu précédemment, les autorités le combat contre les syndicats internationaux et celui contre le tra­
dirigeantes de la pulperie s 1 impliquent à fond dans l 1 installation vail du dimanche3 1. L'union ouvrière supervise aussi avec les capi­
des Eudistes dans le quartier de leurs ouvriers. Un autre exemple talistes de la Compagnie de pulpe de Chicoutimi la Caisse des
en est donné lorsque le 31 mai 1905, Le Progrès du Saguenay petites économies mise sur pied quelques années auparavant.
annonce en grande pompe que la paroisse du Sacré-Cœur pos­ Cette dernière se saborde en 1911 au profit de la Caisse populaire
sède maintenant un vaste cimetière et que le terrain
est offert, encore une fois, par l 1 industrie nourricière
de la paroisse28 • Le journal se plaît d 1 ailleurs à préci­
ser que la paroisse et tous les développements qui s•y
font sont dus à la seule activité de la pulperie29•

L 1 œuvre des Eudistes au Bassin

    Les Eudistes déploient un zèle formidable à la
mise en œuvre de leur mission d 1 encadrement moral
et spirituel de la population ouvrière. Peu de temps
après leur arrivée, ils s 1 attaquent à la lourde tâche qui
leur incombe. Ils chercheront par tous les moyens à
impliquer les habitants dans de nombreuses activités
à caractère spirituel et temporel. On compte au
Bassin, vers 1930, 23 organismes, ligues, groupes,               Intérieur de la succursale de la Banque Nationale au Bassin vers 1918.

10                                           SAGUENAYENSIA- OCTOBRE-DÉCEMBRE 2005
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