La poursuite d'une bonne mort est-elle une utopie ? - Érudit
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Document generated on 08/30/2021 7:55 a.m. Frontières La poursuite d’une bonne mort est-elle une utopie ? Serge Daneault La « bonne mort » Article abstract Volume 20, Number 1, automne 2007 The concerns surrounding the good death partake in a strain of thought prevailing in the new millennium characterised by a general disenchantment URI: https://id.erudit.org/iderudit/017944ar towards science and technology as by a spiritual vacuum. The reality of dying DOI: https://doi.org/10.7202/017944ar does not necessarily reflect what is happening in palliative care. Most deaths occur in general hospitals’ acute care units or in long-term care hospitals where alleviation of suffering may be far from perfect. The characteristics of a See table of contents good death are primarily defined by control and autonomy, eminently individual values. Use of these criteria for assessing of end of life trajectories is not unanimously agreed upon as is the necessity to provide all patients the Publisher(s) accessibility to good palliative care services. Université du Québec à Montréal ISSN 1180-3479 (print) 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this article Daneault, S. (2007). La poursuite d’une bonne mort est-elle une utopie ? Frontières, 20(1), 27–33. https://doi.org/10.7202/017944ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2008 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
A R T I C L E S Résumé La préoccupation de la bonne mort se situe dans la mouvance intellectuelle de LA POURSUITE D’UNE BONNE MORT ce nouveau millénaire caractérisé par une désillusion généralisée à l’égard de la science et de la technologie et un vacuum spirituel. La réalité de la mort n’est pas forcément le reflet de ce qui se passe dans les milieux de soins palliatifs. La majorité des décès surviennent dans les unités de soins actifs des hôpitaux de courte durée ou dans les centres hospitaliers de soins prolongés, endroits où il est possible EST-ELLE UNE UTOPIE? que le soulagement de la souffrance ne soit pas optimal. Les caractéristiques de la bonne mort sont surtout axées sur le contrôle et l’autonomie, valeurs éminem- ment individuelles. L’utilisation de ces cri- tères pour évaluer les trajectoires de soins de fin de vie fait moins l’unanimité que la nécessité d’assurer à tous l’accès à des soins palliatifs de qualité. Mots clés : soins palliatifs – souffrance – critères – organisation des services. Serge Daneault, M. D., Ph. D., (Extrait de Souffrance et médecine, Service de soins palliatifs, Hôpital Notre-Dame du CHUM, Presses de l’Université du Québec, 2006, Département de médecine familiale, Faculté de médecine, Abstract Université de Montréal. p. 38-39.) The concerns surrounding the good death Le témoignage qui vient d’être cité est partake in a strain of thought prevailing « Q. : Avez-vous peur de quelque chose ? tiré de notre ouvrage sur la souffrance. Il in the new millennium characterised by a R. : Vous voulez dire comme quoi, de la émane d’une femme qui va mourir dans general disenchantment towards science mort ? quelques jours. Cette secrétaire de 45 ans and technology as by a spiritual vacuum. Q. : Ou d’autres choses ? est atteinte d’un cancer du poumon. Entre The reality of dying does not necessar- R. : Ben, la seule affaire que j’ai peur un le diagnostic et son admission en unité ily reflect what is happening in palliative care. Most deaths occur in general hospi- peu, c’est de marcher en chaise rou- de soins palliatifs, elle affirme avoir vécu tals’ acute care units or in long-term care lante tout le temps. Moi, j’aime telle- un véritable martyre en raison de dou- hospitals where alleviation of suffering ment ça sortir. Parce que même si je ne leurs osseuses qui n’ont pas été soulagées may be far from perfect. The characteris- vais pas à plein de places, même si je durant toute une année. Toutefois, dans tics of a good death are primarily defined m’en vais juste m’asseoir chez ma sœur, ses deux dernières semaines de vie, alors by control and autonomy, eminently indi- quand je suis avec elle, c’est déjà bien. qu’elle est enfin libérée de la douleur, elle vidual values. Use of these criteria for C’est déjà du bonheur. Parce que je ne avoue candidement qu’elle est heureuse assessing of end of life trajectories is not l’ai pas oubliée, j’en ai fait mon deuil. en dépit de la mort qu’elle voit lucidement unanimously agreed upon as is the neces- Des fois, je peux aller voir un film, au approcher. Mylène, puisque c’est le pseu- sity to provide all patients the accessibility théâtre, je peux aller faire des petites donyme qu’on lui a donné, ne tente pas ici to good palliative care services. choses comme ça, mais c’est sûr que je de mentir ou d’enjoliver la situation. Mais Keywords: palliative care – suffering – ne peux pas faire n’importe quoi. une chose semble évidente : au seuil de criteria – health services organisation. Q. : Et ça, vous en avez fait votre deuil ? la mort, Mylène ne souffre pas, ou plutôt R. : Oui. Parce que ça donne rien de se Mylène ne souffre plus. Faut-il en déduire repenser sur soi-même. Ça va te donner que la mort de Mylène pourra être qualifiée quoi ? Tu vas pleurer et c’est tout. Et d’une « bonne mort » ? Il n’est pas facile les larmes, ça apporte rien. Ça fait que de répondre à cette question. Pourtant, j’aime mieux me dire : « Bon ben, t’as ce sujet de la bonne mort en préoccupe eu ça comme bonheur, ben c’est ça qui plusieurs, surtout depuis que nous nous est bien. » retrouvons nombreux à appartenir à la Q. : Est-ce que vous êtes heureuse ? prochaine génération qui disparaîtra de ce R. : Tu sais, je suis heureuse, oui. » monde. Cette préoccupation se situe dans 27 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2007
la mouvance intellectuelle de ce nouveau en proie à des souffrances non soulagées interactions de qualité avec ses proches millénaire caractérisée par une désillusion et même accentuées par le recours aux significatifs. Pour ces scientifiques, la mort à l’égard de la science et de la technolo- soins. Le lien entre la souffrance non sou- subite est le prototype de la mauvaise mort gie ainsi que par un vacuum spirituel, du lagée et la demande d’assistance au sui- car sa soudaineté empêche la conclusion moins en Occident. cide et à l’euthanasie a été souvent évoqué de la vie (closure). Or, il faut savoir que la réalité de la (Cherny, 1996 ; Meier et al., 2003). Dans C’est en 1969 que Elizabeth Kübler-Ross mort au Québec et dans les autres sociétés ce contexte, il est tout à fait opportun de publie son livre On Death and Dying. occidentales n’est pas forcément le reflet questionner le concept de la bonne mort et S’appuyant sur ses entrevues de 200 per- de ce qu’on observe dans les milieux de d’examiner si ce qui la caractérise est une sonnes mourantes, elle y décrit les 5 étapes soins palliatifs. Au Québec, on compte exception dans la trajectoire de soins ou du mourir : pour elle, l’être confronté à actuellement 55 000 décès chaque année si elle est vécue dans la majorité des der- sa fin traverse tout d’abord une phase de (Institut de la statistique du Québec, 2007) nières maladies. Cet article a pour objectifs négation, qui est suivie d’une phase de dont une majorité survenant après une de relever les caractéristiques de la bonne colère, laquelle fait place à une phase de période plus ou moins longue de maladie mort telles qu’elles apparaissent dans la lit- marchandage, qui se transforme en une et d’impotence. On estime que la majorité térature pour ensuite en effectuer une cri- phase de dépression, qui aboutit enfin à des décès surviennent dans les hôpitaux tique à partir notamment de l’expérience une phase d’acceptation. La phase d’ac- de courte durée, le quart environ dans clinique de l’auteur et des résultats de la ceptation est vue comme la condition les centres hospitaliers de longue durée et recherche « Cancer, souffrance et servi- nécessaire à l’accès à une fin paisible. moins de 10 % au domicile (Dechêne et al., ces de santé » afin de répondre, en troi- Je me rappelle avoir vu madame Kübler- 2004). La situation en Grande-Bretagne sième lieu, à la question que nous posons, Ross décrire elle-même ces étapes lors est comparable puisque les deux tiers des à savoir « la poursuite d’une bonne mort d’un symposium tenu à Montréal dans le décès surviennent dans les établissements est-elle une utopie ? ». début des années 1980. Quinze ans après de courte durée (Ellershaw et Ward, 2003). la publication de son livre, la psychiatre Or, comment se passe un décès qui survient DÉFINITION DE LA BONNE MORT soutenait toujours qu’une mort paisible ne dans un hôpital de soins aigus ? Si l’on DANS LA LITTÉRATURE survient que si la personne mourante est en croit l’étude SUPPORT, effectuée aux parvenue à accepter l’inéluctable. États-Unis au cours des années 1990 (sans LA MUTATION DU CONCEPT nom d’auteur, 1995), une forte proportion DANS LE TEMPS LES CARACTÉRISTIQUES de ces malades y meurent après avoir vécu La notion de « bonne mort » a connu CONTEMPORAINES leurs derniers jours dans une unité de soins des changements dans le temps. Dans les DE LA « BONNE MORT » intensifs. Souvent, ces patients sont placés sociétés prémodernes, le concept de la Les écrits de Kübler-Ross ont fortement sous ventilation mécanique et ils éprouvent bonne mort reposait essentiellement sur influencé l’idée occidentale de la bonne des niveaux de douleur parfois sévère. On la religion et sur l’idée de Dieu : bien mou- mort, surtout en ce qui a trait à la nécessité rapporte aussi (Lynn et al., 1997) que 40 % rir étant mourir en paix avec son Créateur de l’acceptation ultime. Ils ont sans doute des patients mourants reçoivent une ali- et avec ses proches. Au Moyen Âge, par constitué une contribution significative mentation parentérale avant leur décès. exemple, le décès constituait essentielle- au Death Awareness Movement, initié en Pour les malades atteints de cancer, des ment un phénomène public et commu- Angleterre dès 1967 par Cecily Saunders données américaines (Grandinetti, 1999) nautaire. C’est du moins ce que suggère et popularisé en Amérique du Nord par indiquent que la majorité d’entre eux l’historien français Philippe Ariès (1977) Balfour Mount dans les années 1970. avaient été soumis à une chimiothérapie qui parle à ce moment du concept de mort C’est à partir de cette époque que l’on au cours des deux semaines précédant apprivoisée. Au XX e siècle, la réalité de la voit apparaître des publications destinées leur décès. Ces procédures ont de quoi mort s’est progressivement transformée: les au personnel de la santé ayant pour objet soulever des questions quand on réalise succès de la médecine ont permis l’identifi- la définition des caractéristiques de la que la mort advient de plus en plus tar- cation et l’élimination de plusieurs causes bonne mort. Dans une importante revue divement. Dans son ouvrage intitulé La évitables de décès en même temps que la de littérature, Kehl (2006) énumère ces mort opportune, Jacques Pohier (1998) mort a été progressivement perçue comme caractéristiques, qui obtiennent l’aval rapporte qu’en France, en 1994, 58 % des un échec. Dans cette optique, la mort a été des professionnels de la santé (médecins, décès surviennent chez des personnes de reportée le plus loin possible : de plus en infirmières), des spécialistes des sciences plus de 75 ans et 33 % chez des personnes plus, elle a été cachée dans les hôpitaux, humaines et des patients eux-mêmes. Ces de plus de 85 ans. Alors que depuis la nuit loin des domiciles et de la communauté. attributs sont les suivants. des temps, la mort est une affaire de jeunes Pour décrire ce phénomène relativement s Être en contrôle (de l’information com- — la majorité des décès affectant des gens récent, Ariès parle alors de la mort inter- muniquée, du lieu et du moment du de moins de 20 ans —, on assiste, depuis dite à partir de quoi la personne mourante décès, de la présence ou de l’absence de l’avènement de la médecine triomphante à se trouve isolée du monde extérieur afin ses proches). forte dimension technologique, à un revi- de protéger la société de l’embarras et de s Être confortable (par rapport aux symp- rement de la situation : la mort est mainte- la révulsion que la mort suscite. tômes physiques ainsi que par rapport nant devenue une affaire de vieux. Dans les années 1960, des scientifiques aux manifestations émotionnelles ou Ces éléments statistiques cachent des sciences humaines (Glaser et Strauss, psychologiques du mourir, telles la peur, cependant une réalité plus pernicieuse. 1965) étudient le phénomène de la mort et l’anxiété, les atteintes cognitives ou la Dans la foulée des écrits de Cassell (1982, introduisent le concept d’une trajectoire détresse spirituelle). 1986, 1991, 1995), une recherche quali- de la mort. Certaines trajectoires de mort s Parvenir à une sensation de conclusion de tative menée au Québec (Daneault et al., sont jugées comme étant appropriées et sa vie assimilable au closure de Glaser et 2004, 2006) a montré que les malades affli- même souhaitables quand, par exemple, Strauss (dire au revoir, régler les conflits gés de cancer en phase palliative vivent la personne mourante est consciente de sa non résolus, préparer sa propre mort). souvent les derniers mois de leur existence fin prochaine, ce qui lui permet d’avoir des FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2007 28
s Avoir la sensation d’être une personne à vent presque mot pour mot dans certaines sur le côté, d’autres avec des fractures part entière jusqu’à la fin. normes agréées par les gouvernements. pathologiques rendant tout mouvement s Développer une pleine confiance en ses Mais ces critères sont-ils réalistes ? Sont- douloureux, d’autres enfin (près du quart soignants. ils même pertinents ? selon certaines études ; Bolin et al., 2006 ; s Savoir reconnaître l’imminence de la Cartwright et al., 2005) n’éprouveront mort (ainsi que l’accepter). LE CRITÈRE DU CONTRÔLE tout simplement pas de douleur physique. s Ressentir que ses valeurs et ses croyances Le premier critère, concernant le Plusieurs de ces événements imprévisibles sont partout et toujours respectées. contrôle, mérite d’être approfondi. Depuis échappent totalement au contrôle des per- s Réduire au minimum le fardeau imposé quelques années, le concept postmoderne sonnes mourantes et plus encore à celui aux proches. de la bonne mort est dominé par l’idée que de leurs médecins. s Optimiser la qualité de ses relations l’on peut, à l’aide de la médecine, contrôler interpersonnelles. la mort, soit par l’euthanasie, par le suicide LE CRITÈRE DU CONFORT s Profiter d’une juste utilisation ou d’une ou, paradoxalement, par les soins palliatifs Le critère du confort, quant à lui, me juste non-utilisation de la technologie (Walters, 2004). En effet, dans l’euthanasie paraît en partie réaliste. Il est clair que la (comme par exemple, la ventilation assis- et le suicide assisté, on contrôle le moment douleur physique peut être soulagée dans tée ou la dialyse). où la mort survient alors que dans le milieu une majorité des cas. Mais ce soulagement s Laisser un héritage (émotionnel, maté- des soins palliatifs, plusieurs affirment que est possible si les ressources requises sont riel, financier et social). l’on réussit à contrôler toutes les mani- accessibles. Or, bien que l’estimation qué- s Acquérir la sensation que sa famille a été festations disgracieuses ou du moins non bécoise de l’accès à des soins palliatifs bien prise en charge. souhaitées du mourir. Un témoignage puisse être supérieure au 10 % du rapport Ces caractéristiques proviennent d’une d’une soignante provenant du milieu des Lambert-Lecompte (2000), il est probable synthèse de plusieurs études pour laquelle soins palliatifs va d’ailleurs dans ce sens : que beaucoup de personnes aux prises avec son auteur ne rapporte pas la méthodolo- « Je suis fermement convaincue que n’im- la douleur de la dernière maladie n’aient gie de recueil et d’analyse des données. porte quel patient qui souffre ailleurs, ses pas accès à l’expertise requise ou n’y aient L’étude de DelVecchio Good (DelVecchio souffrances peuvent être contrôlées ici (à accès que tardivement (Ferrell, 2005 ; Good et al., 2004) porte, quant à elle, sur l’unité des soins palliatifs) » (Daneault, Daneault et al., 2002). À ce titre, le témoi- la perception de la bonne mort par des 2006). gnage de Mylène, qui débute le présent médecins impliqués dans le soin hospita- De cette manière, les deux courants article, est plus qu’éloquent : cette femme, lier des mourants (internistes). Pour ces de pensée, de l’euthanasie et des soins qui vivait à Montréal et qui y a été récem- médecins, une bonne mort est prévue, palliatifs, bien qu’ils soient généralement ment traitée, a vécu la majeure partie de sa paisible et elle survient dans un espace de opposés, sont tous les deux le produit dernière année de vie aux prises avec des temps acceptable alors qu’une mauvaise de la même pensée dominante : on peut douleurs physiques qu’elle qualifiait elle- mort est imprévue, survient de façon chao- contrôler la mort. Or, nous pensons qu’il même de véritable martyre. Ce constat, tique et se prolonge indûment. Aussi, une est pour le moins étrange de mettre au qui n’a rien de statistique (rappelons que la bonne mort se caractérise par des déci- premier chef le contrôle alors que mou- recherche « Cancer, souffrance et services sions médicales appropriées, rationnelles rir est précisément « perdre le contrôle ». de santé », d’où proviennent tous les témoi- et cohérentes desquelles les soins agressifs, Par exemple, on aime croire que les gens gnages ici rapportés, s’appuie uniquement ayant le pouvoir d’accroître les symptô- meurent quand ils le veulent mais rien sur des méthodologies qualitatives), pos- mes et de prolonger l’agonie, sont exclus. n’est aussi sûr. Une chose est certaine, c’est sède un sens qui interroge nos systèmes de Enfin, une bonne mort est caractérisée par qu’ils ne meurent pas où ils le veulent. De prises en charge des grands malades : dans une bonne communication entre les soi- nombreuses études (Brazil et al., 2005 ; nos systèmes de santé, bien qu’elle puisse gnants et le patient, sa famille et l’équipe Higginson et Sen-Gupta, 2000) révèlent être soulagée, la douleur physique conti- de soins par opposition à la mauvaise mort en effet que la vaste majorité des person- nue trop souvent de caractériser l’existence qui survient dans un contexte où la com- nes mourantes souhaitent finir leur vie à ultime des personnes gravement malades munication est inexistante ou inefficace, leur domicile. Or, la réalité nous enseigne ainsi que d’habiter le souvenir de ceux qui créant des conflits à tous les niveaux. que cela n’est pas le cas pour la plupart leur ont survécu. Pour ces médecins, il semble qu’une sur- d’entre elles. Aussi, les gens veulent déci- Pour ce qui est des autres aspects du médicalisation de la mort s’oppose à la der de ce qui va leur arriver au dernier confort, dans les critères acceptés de la bonne mort lorsqu’elle prolonge indûment détour mais très peu d’entre eux acceptent bonne mort, on laisse entendre que les le processus du mourir. C’est pourquoi la de penser et encore moins d’écrire leurs malades pourront facilement être libérés recherche d’un juste équilibre entre tech- dernières volontés. Ainsi, ils laissent à de la peur, de l’anxiété ou de la détresse nologie et humanisme exige de recentrer leurs proches la pénible responsabilité de spirituelle. Ce critère est certainement l’intervention sur le patient plutôt que sur choisir quand on enlèvera le respirateur illusoire, du moins en partie. En effet, les sa pathologie (Lapum, 2003). ou quand on les transférera aux soins pal- témoignages de la recherche « Cancer, liatifs s’ils deviennent comateux. Il faut souffrance et services de santé » vont tous DISCUSSION : UNE CRITIQUE alors souhaiter que l’ensemble des proches dans le sens opposé : ACTUELLE DES ATTRIBUTS soient sur la même longueur d’ondes car Il y a le soulagement physique. DE LA BONNE MORT autrement tout est en place pour de bon- Ça, c’est le plus facile. C’est jusqu’à Cependant, la lecture de ces critères de nes disputes de famille qui auront le pou- un certain point cartésien. C’est bonne mort a de quoi surprendre. Ces cri- voir de laisser bien des cicatrices. Enfin, simple : on donne un traitement, tères font partie de ce que l’on poursuit et on ne contrôle pas vraiment la survenue on prescrit des médicaments. Il y a de ce que l’on enseigne dans le milieu des des symptômes, des complications et des comme un genre de recette, on a des soins palliatifs. Plus ou moins tacitement, défaillances qui vont caractériser notre formules, on peut essayer de façon on s’autoévalue et on évalue les autres par fin de vie. Certains devront vivre leurs concrète. Ensuite, il y a la souffrance rapport à ces critères que l’on retrouve sou- derniers jours avec un sac de colostomie 29 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2007
psychologique. C’est beaucoup plus Quoi qu’il en soit, le fait de savoir du pur fantasme. Dans nos travaux, nous compliqué… (Daneault, 2006, p. 78) reconnaître l’imminence de sa propre avons observé que, dans plusieurs cas, la Les aspects non physiques de la souf- mort et pouvoir l’accepter ne sera cer- perte d’autonomie, se traduisant par une france sont beaucoup plus compliqués à tainement pas donné à tous. Cela corres- plus grande dépendance aux proches, soulager selon le médecin donnant ici son pond à une sorte d’hyperconscience qui était bien souvent l’élément clé dans la témoignage. Encore de nos jours, ce qui serait conservée jusqu’à la fin. Les études demande d’aide au suicide ou d’euthanasie. n’est pas strictement biologique et quan- de Vig et ses collaborateurs (2002, 2004) Par contre, si ce critère signifie que ce ne tifiable représente, pour la médecine, un sont intéressantes à consulter à ce sujet. sont pas ses proches qui rempliront ces mystère insécurisant alors même que l’ex- Ces chercheurs ont d’abord interrogé des fonctions mais bien le personnel du réseau périence de la maladie engage la personne personnes âgées en santé puis des hommes public de santé, alors il faut croire que, dans sa totalité. atteints de cancer ou de cardiopathie en hors du séjour en hôpital, ce critère sera phase terminale. Dans les deux études, impossible à remplir. LE CRITÈRE DE L’ACCÈS CONSCIENT les 3 choses les plus importantes face à la À SA PROPRE FIN mort étaient de ne pas avoir de douleur ou LE CRITÈRE DE L’OPTIMISATION Par ailleurs, l’accès conscient à la sensa- de souffrance, de mourir durant son som- DE SES RELATIONS AVEC SES PROCHES tion de conclusion de sa vie est un élément meil et enfin de mourir le plus rapidement L’optimisation de la qualité de ses rela- qui existe chez les malades qui ne sont pas possible. Cette enquête réfute ce critère de tions interpersonnelles est une chose sou- en déni et qui ne passent pas leurs dernières bonne mort, en tout cas, si l’on se place du haitable mais pas forcément magique. Si semaines d’existence en train de se soumet- côté des malades : quand on meurt dans toute sa vie, on a éprouvé des problèmes de tre à tous les traitements disponibles pour son sommeil, on ne peut pas reconnaître relations avec les autres, il est peu probable faire échec à la maladie et pour retarder l’imminence de sa propre mort. que, miraculeusement, ces conflits soient la fin. Avec la prolifération des chimio- réglés au crépuscule de sa vie. L’expérience thérapies à visée palliative auxquelles la LE CRITÈRE DE DEMEURER démontre plutôt que les conflits ont à ce majorité des patients se livrent dans l’espoir UNE PERSONNE JUSQU’À LA FIN moment l’habitude de resurgir avec plus irrationnel de guérison (Doyle et al., 2001 ; La sensation intime que l’on demeure de violence et de complexité. L’atmosphère The et al., 2000), on peut néanmoins crain- une personne à part entière est probable si émotive de la fin de la vie rend souvent ces dre que cette conclusion de vie se fasse de les personnes ont la chance de vivre leurs conflits insolubles et, dans bien des cas, moins en moins. Comme nous le disions derniers moments dans un programme tout ce que l’on fait, c’est d’essayer de les plus haut, on estime que, de façon générale, de soins palliatifs. Hors de ces milieux, cacher sous le tapis sans nécessairement dans plusieurs centres d’oncologie, le délai on peut croire que la dépersonnalisation y parvenir. entre la terminaison des chimiothérapies et dont se sentent victimes les malades est le décès s’amenuise de plus en plus. Ainsi, monnaie courante comme l’illustre ce LE CRITÈRE DE LA MORT « NATURELLE » les malades soumis aux multiples complica- témoignage : La question de la surmédicalisation tions de la chimiothérapie meurent le plus Je suis la même personne, sauf que de la mort, qui serait incompatible avec souvent dans des unités de traitement actif t’as l’impression que t’es divisé. la bonne mort, n’est pas sans évoquer alors qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils Quand je vais chez mon médecin, j’ai les paradoxes d’un certain naturalisme sont en train de mourir. Des statistiques l’impression d’être une étiquette, je empreint de naïveté. On pense seulement locales d’un des principaux centres hospi- suis le Oatcell. Mon médecin, je pense à l’utilisation des opiacés qui a été l’une des taliers prenant en charge les cas de cancer qu’elle ne sait même pas aujourd’hui bases du développement du mouvement au Québec révèlent que cela est le cas pour ce que je fais dans la vie. Moi, dans des soins palliatifs. Sans l’introduction de près de 60 % des malades décédant d’un le fond, je suis un Oatcell. Quand je ces molécules non strictement «naturelles» cancer. À cet égard, Grandinetti (1999) rap- m’assois là, c’est mon cancer du pou- (quoiqu’elles puissent posséder beaucoup porte la pénible expérience d’un homme mon qui est présent, mais moi je ne plus d’analogies qu’on pense avec les d’affaires américain mourant d’un cancer suis pas présent comme tel, en tant endorphines naturellement sécrétées par du pancréas. Cet homme a passé les der- que personne [souligné par nous]. le cerveau humain), on verrait les trois niers jours de sa vie dans une unité de soins Ça aussi, ça fait partie de la souffrance, quarts des malades cancéreux se tordre intensifs percé d’une multitude de tubes, de la solitude (Daneault, 2006, p. 62). de douleur avant de mourir. L’équilibre n’ayant le droit d’être visité par sa conjointe entre technologie (ou pharmacologie) et que 5 minutes par heure, et ne pouvant être LE CRITÈRE D’ABSENCE DE FARDEAU humanisme n’exige certainement pas que vu par ses deux enfants trop jeunes pour POUR L’ENTOURAGE l’on oppose ces deux réalités qui se doivent être admis dans une unité de soins intensifs. La réduction du fardeau imposé aux de coexister, pouvant même se renforcer Après le décès, la veuve a intenté une pour- proches se rapproche de la sacro-sainte l’une et l’autre. Mais toute technologie n’est suite contre les médecins de cet homme autonomie qui est, avec le contrôle, une valable dans le domaine des soins de santé parce que ceux-ci n’avaient jamais dit au des valeurs dominantes de notre civilisa- que si elle s’accompagne d’un humanisme malade que sa vie allait prendre fin et parce tion. Chacun possède sa propre conception qui fournira à l’intervention son caractère que ce silence l’avait empêché de mettre de de la mort mais il en est plusieurs dans de respect de la dignité humaine. l’ordre dans ses affaires, ce qui aurait pu notre société qui considèrent que mourir, éviter que l’entreprise familiale connaisse c’est simplement naître à l’envers. Or, l’ab- LA QUESTION DE LA DISPONIBILITÉ de sérieuses difficultés. Nous n’en sommes sence d’autonomie est jugée normale pour DES RESSOURCES pas nécessairement là au Québec mais il le nourrisson alors qu’elle est maintenant Tous ceux qui se penchent sur le phé- est possible que certains traitements moins perçue comme détestable au dernier stade nomène de la mort dans nos sociétés sont audacieux que celui-ci aient quand même de la vie. Espérer que l’on ne sera jamais d’accord pour dire que les ressources l’effet de détourner les malades de la néces- dépendant d’autrui pour son hydratation, manquent pour faire face quantitative- saire responsabilité de régler leurs choses son hygiène ou simplement pour repla- ment et qualitativement à ce phénomène. avant de partir. cer ses oreillers relève malheureusement Autant à domicile qu’en centre de soins FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2007 30
l’écouter, c’est bang bang bang ! Elles sont arrivées cet après-midi, deux infirmières en même temps, c’était une vraie tornade ! Elles devaient s’occuper de moi et tout était vite, vite, vite… Je le vis comme une agres- sion (Daneault, 2006, p. 64). LA POURSUITE DE LA « BONNE MORT » EST-ELLE UNE UTOPIE ? Il est bien évident que mourir, comme naître, représente le type même de l’expé- rience ultime pour chaque être humain. Mettre consciemment ou inconsciemment des pressions sur la personne mourante pour qu’elle se conduise en « bon patient » qui agira de telle sorte qu’elle vivra une bonne mort constitue peut-être une pres- Luce Lamoureux, Mouvement coloré no 4, aquarelle. sion sociale qu’il est permis de question- ner (Proulx et Jacelon, 2004). En fait, comme le soutient Curtis (2003), la mort apparaît comme un processus social qui détermine des attentes autour des com- portements souhaités. Ces comportements souhaités délimitent un spectre plus ou moins restreint de trajectoires accepta- bles de décès et ils définissent des façons normales et anormales de mourir. Cette normalisation conduit à une division des patients en « bons » patients et en « mau- vais » patients (Proulx et Jacelon, 2004). prolongés, d’importantes lacunes sont une poule pas de tête ! […] Moi, je Les bons patients étant ceux qui « inter- relevées au niveau de la quantité de per- pense qu’on fait de la médecine de nalisent » les valeurs des soins palliatifs, sonnel disponible ainsi qu’au niveau de guerre présentement. C’est carrément dont l’acceptation, et les mauvais étant leur formation souvent incomplète et, dans de la médecine de guerre qu’on fait. ceux qui ne se conduisent pas comme dans certains cas, tout simplement inexistante Tu cours au plus urgent : « Garde ! les livres et qui laissent aux soignants une (Munn et Zimmerman, 2006). Oui, oui, je vais revenir, ça ne sera étrange sensation d’échec et de frustra- Il se pourrait que de bons soins palliatifs pas long. » (Daneault, 2006, p. 110) tion (McNamara et al., 1994). Un soignant ne soient accessibles qu’à un petit nombre Ce dépassement constant rend difficile interrogé dans le cadre de la recherche de patients, essentiellement à ceux atteints le partage d’une information adaptée aux mentionnée plus tôt le confirme : de cancer. Or, il est soupçonné (Brown, besoins des malades et de leurs proches Ils le savent souvent qu’on a arrêté 2000) que pour la majorité des personnes puisque le temps manque pour l’établis- les traitements, que leur maladie qui décèdent dans les hôpitaux de soins sement d’une communication de bonne doit avancer, mais ils n’acceptent pas aigus ou dans les centres hospitaliers de qualité. Il peut certes de surcroît interfé- parce qu’ils ont une énorme peur de soins prolongés, l’expérience de mourir est rer avec le confort des malades, autant au ce qui va venir après. Mais c’est même pénible. Des rapports anecdotiques tendent niveau du soulagement des manifestations pas physique qu’on parle là. Ça, c’est à confirmer ce phénomène : à titre d’exem- émotionnelles et psychologiques propres à plus émotif. Il y a beaucoup de monde ple, comment une seule infirmière et un l’acte de mourir qu’au niveau de la prise en qui ont de la misère à voir qu’il y a aide-malade (préposé) peuvent-ils dispen- charge rapide des symptômes physiques. des choses pires que… qu’une mort. ser des soins adéquats à une personne âgée Enfin, ce dépassement des capacités des Et qu’une mort peut être bien dans le agonisante alors qu’ils sont les seuls pré- professionnels de la santé peut saper la sens qu’à un moment donné, il y a des sents dans le centre d’accueil, lors du quart confiance envers les soignants qui seront choses pires. Si on accepte les médi- de nuit, à s’occuper de 55 autres patients perçus comme travaillant sous pression, cations, les interventions, qu’on parle âgés dispersés sur deux étages ? dépassés par la charge de travail. Le de nos inquiétudes, qu’on a tout l’en- Les témoignages du programme de témoignage de ce malade illustre bien ce tourage, ça peut être paisible d’être en recherche « Cancer, souffrance et services propos : train de mourir et ça peut être moins de santé » indiquent unanimement que les C’est agressif. C’est un milieu qui est souffrant (Daneault, 2006, p. 81). ressources sont dépassées par les besoins agressif. Le côté humain est absent. Par ailleurs, il semble que l’équité de croissants des malades. Par exemple, les Ils sont pressurisés ici. Ils mettent la l’accès à de bons soins palliatifs, qui, dans soignants vivent continuellement dans un pression sur les infirmières. Ils dimi- bien des cas, reste encore à atteindre, fasse dépassement de leurs capacités, comme le nuent le nombre d’infirmières et ils plus l’unanimité que la définition de la rapporte celui-ci : augmentent leurs tâches. Les infir- bonne mort (Jones et Willis, 2003). Un La demande excède ce qu’on peut mières ont moins de temps à passer patient qui refuse l’analgésie, qui s’en tient donner… T’as l’impression d’être avec le patient. Elles ne peuvent pas au déni, qui s’oppose avec véhémence 31 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2007
à la mort inévitable, qui ne veut pas enten- maladie terminale et à la mort prochaine. trop. Et, malgré qu’il ne se définisse pas dre parler de « mort calme et digne » est Pour tenter d’élucider ce point, il nous faut comme une personne religieuse, il parle peut être étiqueté d’irrationnel par les soi- écouter les propos d’un malade que nous de l’accomplissement comme d’une fina- gnants, mais il peut s’agir là d’une réac- avons surnommé Tancrède. Cet homme lité de la vie. Comme il le dit, il a étudié tion normale d’un patient normal que les fait partie des personnes les moins favo- « ben des affaires » à l’école de la vie qui soignants doivent apprendre à accepter. risées socioéconomiquement de notre vaut « beaucoup plus que la technologie On peut en effet opposer le concept de société parce qu’il vit depuis longtemps d’aujourd’hui ». Cet élément nous amène « lutte » comme une alternative valide à de prestations d’aide sociale : au vide spirituel que nous évoquions au celui de sérénité à l’approche de sa mort. Oui, la vie est belle et le monde ne début. En Occident, les références reli- Dans ce sens, soutient Walters (2004), on réalise pas ce qu’il y a alentour d’eux gieuses ayant façonné la vie quotidienne meurt à sa façon, selon son propre style, autres. Autrement dit, le monde rêvent durant deux millénaires sont devenues qui peut comprendre de la protestation, des en couleur : ils en veulent trop. Des minoritaires ou en voie d’extinction. Or, plaintes de tout ordre, de l’humour peut- fois, comme moi, j’aimerais faire aucune référence spirituelle de remplace- être, qui peut survenir alors que tous ses beaucoup de choses pour d’autres ment, ayant le pouvoir d’apporter un sens problèmes ne sont pas forcément résolus, personnes, si j’étais capable, si j’avais à la vie et, par conséquent, à la mort, ne que toutes ses relations ne sont pas obliga- les moyens financièrement, ça ne me semble avoir pris la place. Cette lacune met toirement restaurées, mais avec intégrité dérangerait pas, mais je ne peux pas. l’homme contemporain n’adhérant pas et honnêteté. Mourir avec panache vaut Ça fait que je regarde le monde des aux valeurs religieuses d’antan devant un peut-être mieux que mourir pour satisfaire fois et je me dis à moi-même : « c’est vide qui explique peut-être l’angoisse exis- les attentes des autres… donc de valeur d’avoir du monde mal tentielle de plusieurs de quitter la vie. La Dans le cas de Mylène, rapporté au pris comme ça ». Quand c’est pas une vision écologique du monde, qui est assez début, on sentait que le bonheur était fait nécessité, c’est pas une nécessité. récente dans l’histoire humaine, promet de deux ingrédients essentiels : la simpli- Pourquoi ? Le monde n’est pas fait, peut-être l’émergence de nouvelles répon- cité (« quand je suis assise chez ma sœur, ils n’ont pas été mis sur la terre pour ses. Quoi qu’il en soit, comme le soutient je suis bien ») et une acceptation totale de souffrir de même, c’est pas vrai… Je Stagnaro (2003), il semble bien que cette sa condition. Si cette acceptation permet à crois en quelque chose… Si vous me question de la bonne mort soit une fausse Mylène d’affirmer « Je suis heureuse, oui. », demandez si je crois à un être supé- question : simplement, la bonne mort sur- il se peut qu’elle soit précisément inattei- rieur, je vais vous dire oui, mais qui ? vient quand il y a eu une bonne vie. gnable pour d’autres types de patients. Il doit ben y avoir quelque chose à En définitive, si la bonne mort est la D’autres exemples ont attiré notre atten- quelque part… On n’est pas venu sur satisfaction des critères issus des valeurs tion durant ce processus de recherche qui a la terre pour rien. Et ce qui est alen- dominantes de la société, force est d’admet- conduit à la rédaction du livre (Daneault, tour de nous autres, c’est pas l’homme tre qu’elle constitue une exception dans la 2006). Bill, cet employé de commerce de qui l’a fait. Parce que je vais vous dire trajectoire de soins et, par là, une utopie. 50 ans, exprime un sentiment de pléni- la vérité, je ne suis pas une personne Mais si la bonne mort correspond plutôt tude qui trouve sa source dans une sorte religieuse, mais moi, je trouve que aux spécificités de chaque être humain, d’accomplissement qui n’a pas attendu la je suis venu au monde, sur la terre, alors on peut croire que, grâce à de bons dernière vieillesse : comme toute personne venue sur la soins de fin de vie, remplir ce défi sera On a pris ça comme de l’eau sur le dos terre, pour accomplir quelque chose. possible pour la majorité d’entre nous. d’un canard. Je suis serein, j’en veux On est tous venus au monde sur la Enfin, ne convient-il pas de ne pas trop pas à personne, je ne changerais rien. terre pour une raison. s’en faire quant à ce problème et de plu- Ça fait partie de la game et si c’est Q. : Savez-vous pourquoi vous, vous êtes tôt cultiver ce que Grogono et al. (2000) rien que ça, il y a rien là ! Avec toutes venu ? appelle l’amicus mortis. Puisqu’il n’est les bonnes choses qui me sont arrivées R. : Je le sais pas, mais je vais le savoir pas certain que le système de soins puisse dans mes cinquante ans de vie : mon quand j’aurai accompli la mission que prendre soin de nous de façon appropriée travail, mes enfants — ils travaillent, je suis supposé d’accomplir, si c’est lors de notre dernière heure, il est peut être ils ont 26-27 ans, ils sont placés dans possible de le faire. Je vais peut-être opportun de choisir préalablement une leurs affaires et j’ai un petit-fils qui le savoir. Des fois, la réponse, tu le personne qui va décider à notre place lors- est venu au monde au mois de mars sais, mais tu veux pas l’admettre, que, inévitablement, nous aurons perdu le — qu’est-ce que j’ai à me reprocher ? mais elle est là pareille. contrôle. Cette personne, cet amicus mor- Moi, j’ai mené une maudite belle vie, Q. : Vous êtes un philosophe vous. tis, possédera les qualités de disposer de puis je me suis rendu compte que je R. : Ah oui, j’ai étudié ben des affaires… temps, d’amour et du pouvoir d’exprimer venais juste d’avoir 50 ans : 50 ans, Q. : Vous êtes allé à l’école de la vie… notre opinion à notre place. Il est donc faite au bonheur alentour, j’en ai semé R. : Comme je disais tout à l’heure, important de bien choisir et de cultiver en tout cas… l’expérience de la vie elle-même, ça l’amicus mortis et d’espérer qu’il nous sur- Ce témoignage frappe par la sérénité qui vaut plus, ça vaut beaucoup, beau- vive ! Car avant une éternité incertaine, caractérise la fin de la vie d’un homme de coup, beaucoup plus que la tech- il existe certainement une vie qui vaut la 50 ans. Il y a une sorte de satisfaction face nologie d’aujourd’hui (Daneault, peine d’être vécue et d’être achevée avec à l’accomplissement de cette vie encore 2006, p. 39-40). une sérénité minimale parce que conforme relativement jeune. Ici, l’accomplissement Tancrède, qui a abordé le dernier mois à ses aspirations les plus profondes et les n’a pas attendu l’arrivée du grand âge. de sa vie, n’en est pas à l’apitoiement. Il plus intimes. Les témoignages de Mylène et de Bill, observe sa vie et celle des autres et il en Personne ne peut échapper à la mort, où l’acceptation évidente crée une cer- tire des conclusions percutantes. Lui aussi la mort te fixera une limite extrême, taine sérénité à l’approche de la fin nous est heureux, il trouve la vie belle parce sinon tu deviendrais un vieux monstre, obligent toutefois à rechercher ce qui les qu’il adopte une position qui semble ins- qui perdrait toute compassion, qui a conduits à une telle position face à la pirée du bouddhisme : ne pas en vouloir ignorerait la honte, qui se rendrait FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2007 32
coupable de tous les crimes, incapa- DANEAULT, S., D. DION et E. HUDON KEHL, K. (2006). « Moving toward peace : ble de pardon. La mort représente (2002). « Les soins palliatifs, victimes de leur An analysis of the concept of a good death », une limite contre laquelle on ne peut succès ? Résultats d’une étude quantitative The American Journal of Hospice & Palliative et qualitative », Journal européen de soins Care, vol. 23, no 4, p. 277-286. résister, la beauté humaine se trouve palliatifs, Résumés du IIe Congrès du Réseau à l’intérieur de cette limite, débrouille KÜBLER-ROSS, E. (1969). On Death and de recherche de l’Association européenne de Dying, New York, Macmillan. toi pour en profiter ! soins palliatifs, p. 21. Gao Xingjian, Le livre d’un homme LAMBERT, P. et M. LECOMPTE (2000). Le DANEAULT, S., V. LUSSIER et S. 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