La ville à l'ère de la globalisation des loisirs
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DE L’INFLUENCE DES LOISIRS SUR L’URBANISME CONTEMPORAIN La ville à l’ère de la globalisation des loisirs M A R I A G R AVA R I - B A R B A S Professeur de géographie à l’Université d’Angers, ESTHUA Chercheur au Carta (Géographie humaine et sociale, UMR 6590) (maria.gravari-barbas@univ-angers.fr) Le modèle du parc à thème, qui a déjà fortement marqué le monde des musées, influence l’urbanisme de la ville contemporaine. Une dose C’ d’expériences ludiques, un peu d’art contemporain et beaucoup de commerces constituent désormais la locomotive du développement urbain. est en 1954 qu’est inauguré à Anaheim c’est vrai aussi pour d’austères (Californie) le premier parc de Walt Disney. centres administratifs ou de vieilles Au moment de son ouverture, personne cités industrielles et minières. n’imagine qu’il deviendra le prototype des Dans des territoires délimités et transformations de la ville de la fin du XXe siècle et que soigneusement choisis, la ville des la fiction urbaine proposée dans l’enceinte du parc ins- loisirs instaure une ambiance qui pirera la réalité de la ville contemporaine. emprunte pour beaucoup à celle Or, l’environnement ludique et festif créé de toutes dans laquelle plonge le visiteur des pièces à Disneyland est aujourd’hui en train de gagner parcs à thème : une urbanité créée les villes autour du monde. C’est vrai pour des villes dans de toutes pièces, où le citadin-client lesquelles l’orchestration des loisirs et des festivités a tou- peut trouver convivialité et jours été une dimension essentielle (cités balnéaires, sta- ambiance festive et s’adonner à la tions thermales ou destinations culturelles majeures), mais consommation du plaisir (consom- 48 E S PA C E S 2 3 4 • FÉVRIER 2006
URBANISME TOURISTIQUE mation à proprement parler, mais communication ; la volonté des grandes entreprises du aussi loisirs, distractions ou acti- spectacle et du divertissement de se positionner sur le vités culturelles préférés), tout en marché familial et de proximité ; la désindustrialisation, prenant un bain de foule et en se qui a libéré les vastes espaces localisés souvent dans les laissant agréablement surprendre centres-villes ; le souci des responsables publics de qua- par une ambiance de fête bon lifier ou requalifier les villes… enfant. L’importante désindustrialisation des villes occiden- La ville, en effet, a connu des tales dans l’après-guerre a bouleversé l’organisation de mutations profondes au cours des la vie économique et sociale. Tout en provoquant l’af- dernières décennies. Dans les années faiblissement et la désintégration des classes ouvrières, 1960, en effet, elle était conçue elle a confirmé l’influence progressive des classes moyennes pour répondre essentiellement à en termes de consommation, de culture, de loisirs(2). Elle des impératifs de production. Sa a accompagné l’essor formidable des activités urbaines conception était dominée par un “non productives”. On serait d’ailleurs tenté de penser fonctionnalisme rigoureux et par que l’acception même de l’essor urbain, associée jusqu’à un zonage marqué. Aujourd’hui, il y a quelques années aux forces productives, est désor- elle est guidée par la volonté d’as- mais associée à la célébration du déclin de la ville indus- surer en son sein (et non unique- trielle, comme si la désindustrialisation était la condition ment dans des sites de loisirs situés nécessaire à l’émergence d’un nouvel ordre économique dans ses périphéries lointaines) la et d’une organisation spatiale urbaine, fondés sur l’im- pratique de nouveaux plaisirs matériel, le festif, le ludique(3). urbains. Une bonne partie de la ville contemporaine est construite LES LOISIRS TRANSFORMENT LA VILLE pour satisfaire les besoins des cita- dins pour plus d’urbanité, plus de Si la place des loisirs dans nos sociétés change consi- convivialité, plus de rencontres, dérablement (et globalement), plusieurs évolutions parmi cela dans un cadre qui s’inspire celles citées plus haut tendent à affirmer notamment l’im- beaucoup des parcs à thème de la portance des loisirs hors domicile. Cela est à mettre en compagnie Disney. rapport avec l’explosion du tourisme observée pendant Plusieurs chercheurs(1) ont mis en la même période. Une partie importante du budget loi- évidence ces glissements, rendus sirs est toutefois dépensée non loin du domicile, dans des très visibles au cours des dernières loisirs de “proximité”. Ces tendances profitent en pre- décennies du XXe siècle. Divers fac- mier lieu aux centres-villes qui deviennent potentielle- teurs ont été évoqués pour les cer- ment des “attractions” susceptibles d’attirer des larges ner et les expliquer : une sensibi- populations régionales(4). lité prononcée des individus pour Ces évolutions ont des répercussions notables sur l’ur- le tourisme, les loisirs et la culture ; banisme et, de manière plus générale, sur la manière dont une mobilité croissante ; l’explo- la ville est pensée et construite. Les loisirs, la fête, la cul- sion de la sphère de communica- ture, gagnent des espaces qui, jusqu’à une date récente, tion et, notamment, l’essor des tech- étaient dédiés à la production. Les friches industrielles nologies de l’information et de la deviennent des lieux culturels ; les ports se transforment en lieux de promenade ; les installations industrielles ou (1) – Michael SORKIN (dir.), Variations on a Theme Parc, éd. Hill and portuaires se mettent en scène et s’offrent à la contem- Wang, New York, 1992. plation de touristes et visiteurs ; les corons deviennent – Susan FAINSTEIN et Robert James STOKES, “Spaces for play : the impacts of entertainment development on New York city”, Econo- des destinations touristiques ; les usines désaffectées se mic Development Quarterly, vol.12, n° 2, 1998, pp. 150-165. transforment en parcs de loisirs ou en centres commer- (2) Susan FAINSTEIN, Ian GORDON et Michael HARLOE (directeurs), ciaux. Ainsi, les loisirs transforment la ville. Divided Cities, éd. Blackwell, Oxford, 1992. Pour la plupart des villes, le passage de la ville indus- (3) Richard Florida, The Rise of the Creative Class, éd. Basic Books, New York, 2002. trielle à la ville post-industrielle a impliqué un travail en (4) William FULTON, “Entertainment districts are turning tired cities profondeur au niveau de leur paysage. Les villes tendent into money-making theme parcs”, Governing, avril 1997, pp. 22-26. à se mettre en scène, voire à devenir des scènes sur les- F É V R I E R 2 0 0 6 • E S PA C E S 2 3 4 49
DE L’INFLUENCE DES LOISIRS SUR L’URBANISME CONTEMPORAIN quelles se déroulent des divertissements, des happenings d’autres produits du groupe via et des animations selon un calendrier et un planning qui notamment la commercialisation ne doivent rien au hasard. Elles deviennent le produit de produits dérivés ; ils incitent les d’acteurs de plus en plus spécialisés qui cherchent à effa- visiteurs à voir les productions ciné- cer les hiatus de l’espace urbain, à le rendre lisse, à éli- matographiques suivantes (qui, à miner dangers et incertitudes. leur tour, relancent le cycle pro- Les nouveaux projets urbains, à caractère ludique, tou- duction-consommation, et ainsi de ristique et festif, sont souvent appelés à jouer le rôle de suite). projets “locomotives”, structurants, pour l’ensemble de Pendant environ quatre décen- la ville, que ce soit dans les périphéries urbaines ou dans nies, Disney fut la seule compagnie le centre-ville. Au cours des deux dernières décennies, les de divertissement exploitant à fond centres-villes ont été réaménagés, voire “reconquis”, grâce une stratégie de ce type. Or, depuis essentiellement à des projets à caractère ludique ou cul- notamment les années 1990, les turel conçus pour répondre aux nouveaux besoins liés concurrents de Disney (Viacom, au tourisme et aux loisirs. Les nouveaux espaces ludiques AOL Time Warner, etc.) l’ont éga- sont non seulement indissociables de projets ayant une lement adoptée. Outre ces entre- visée économique plus large, mais ils en sont aussi les prises du secteur du divertissement, “porteurs”. Centres de congrès, parcs technologiques ou des entreprises d’autres secteurs, industriels, centres tertiaires… sont, de plus en plus, comme Sony, Nike, Adidas, Apple, construits en étroite relation, à la fois spatiale et ges- ont conçu des nouveaux espaces tionnaire, avec des lieux de loisirs. vitrines pour leurs produits qui relè- vent beaucoup du “miniparc à DE NOUVEAUX ZONAGES LUDIQUES thème”. Ces évolutions ont contri- bué à territorialiser le loisir dans Musées, centres commerciaux, aquariums, galeries et la ville selon des modalités spatiales lieux patrimoniaux relookés ont créé le mouvement et ont différentes de celles qu’on connais- réussi à attirer des touristes, mais aussi des nouveaux sait jusqu’alors. employés et des nouveaux résidents vers le centre-ville. La En effet, les “grands” parcs à gentrification, mouvement d’occupation des quartiers cen- thème ne représentent qu’une petite traux par une nouvelle gentry, est symptomatique de l’in- partie du marché urbain du tou- terpénétration du travail et du loisir, de l’utile et du plai- risme et des loisirs. Conscientes que sir, dans ces nouveaux centres-villes réqualifiés et ludicisés(5). l’espace urbain représente un poten- La ville post-industrielle remet en cause les zonages tiel important, susceptible d’atti- fonctionnels caractéristiques à la ville du XXe siècle et, rer un public très large, les grandes assez paradoxalement, y apparaissent de nouvelles zones entreprises du spectacle et du diver- spécifiquement dédiées aux loisirs. Celles-ci ne sont plus tissement ont commencé à inves- uniquement situées dans les périphéries urbaines (ce qui tir dans de vastes projets de loisirs est le cas des grands parcs de loisirs ou des parcs à thème) désormais situés, non à la péri- mais aussi dans des espaces interstitiels : friches urbaines phérie, mais au centre des villes. et no man’s lands situés dans des villes, souvent même De dimensions variables (de 3 000 dans ou à proximité du centre. à 65 000 m2), ces zones s’appuient Leur localisation, la diversité des propositions ludiques offertes, l’identité de leurs promoteurs et leur logique (5) D’une manière générale, la gentrification, mouvement d’occu- pation des quartiers centraux, célèbre l’interpénétration du tra- organisationnelle (exprimée souvent par une auto-orien- vail et des loisirs, de l’utile et du plaisir. Elle ne peut être com- tation proche de celle des enclaves ludiques des périphé- prise que dans le contexte de la post-industrialisation et de l’hypermodernité. Si son impact est souvent quantitativement ries urbaines) méritent une analyse plus approfondie. limité, il est qualitativement important sur le plan de l’urbanisme. On sait que, pour la compagnie Disney, les parcs à Plusieurs chercheurs tendent à confirmer qu’il est difficile de par- ler de retour significatif vers le centre-ville. La “renaissance” thème sont à la fois un lieu de consommation et de pro- urbaine n’est souvent qu’un mirage, produit habile du marketing motion. Ils jouent un rôle de vitrine et font la promotion urbain. Mais l’idéologie de l’inner city living, avec tous les attributs qui séparent “citadins” et “banlieusards”, produit des discours des films et des personnages de la compagnie ; ils contri- triomphants qui servent à la mise en place de la ville festive, buent à fidéliser les clients et permettent la promotion ludique et touristique. 50 E S PA C E S 2 3 4 • FÉVRIER 2006
URBANISME TOURISTIQUE sur l’expérience de jeux sophisti- rendre, voire pour y passer quelques jours. Au contraire, qués, de simulateurs ou de machines des lieux comme City Walk à Los Angeles, ou Navy Pier(9) à base de réalité virtuelle. Dans ces à Chicago, s’adressent, tout en ciblant également un public miniparcs à thème, le loisir est touristique, à une clientèle régionale ou de proximité qui exploité à l’heure et non plus à la viendra pour la plupart en fin de journée pour dîner, flâ- journée(6). ner, aller au cinéma, s’amuser sur des machines à base Pour Susan Davis, “ce sont les de réalité virtuelle ou aller en discothèque. mêmes entreprises qui, après avoir Ces destinations de loisirs représentent une catégorie persuadé le public de consommer de projet urbain à part : elles se situent en effet au croi- toutes sortes de loisirs à domicile, sement de plusieurs demandes et besoins. Elles répon- tentent de le convaincre de sortir dent tout à la fois à la demande des consommateurs pour de chez lui(7)”. L’auteur cite un indus- plus de loisirs urbains, aux besoins des responsables triel qui s’interroge : “pourquoi ris- locaux qui cherchent à réhabiliter ou à relancer des zones quer un milliard de dollars sur un qui terminent un cycle productif et qui doivent être réin- grand parc à thème tout neuf, dont tégrés dans le marché, à la demande du secteur immobi- la rentabilité exigera une fréquen- lier qui cherche à revaloriser les valeurs foncières et, enfin, tation d’au moins douze millions aux intérêts des compagnies du spectacle et du divertis- de visiteurs par an, alors qu’on sement qui maximalisent ainsi les apports financiers de peut, pour la même somme, leurs marques et de leur propriété intellectuelle par des construire trente petites unités effets cumulés de commercialisation et de promotion. locales, proches ou intégrées à des Le contenu de ces zones est variable, aussi divers, fina- centres commerciaux ?(8).” lement, que les secteurs couverts par les sociétés du spec- Ces zones se présentent en géné- tacle, du divertissement, du sport (cinéma, animation, ral sous forme d’espaces réunissant vidéo, électronique, sport, etc.). On y trouve des restau- plusieurs pôles de loisirs. L’ensemble rants à thème (Hard Rock Café, Planet Hollywood), des est organisé de manière à créer un multiplexes cinématographiques, des centres ludiques hi- lieu festif, dense, animé, dans lequel tech (jeux vidéo, jeux de réalité virtuelle), des salles Imax, le parcours du visiteur est censé du spectacle vivant, des casinos, des commerces de détail s’inscrire dans une expérience glo- (Disney Stores, boutiques Sony, Virgin Megastore), etc. bale lui apportant des sensations Dans la plupart des cas, les visiteurs y trouvent plusieurs “inédites”. Ces territoires ludiques propositions organisées de manière cohérente permettant urbains sont à la fois proches et de passer plusieurs heures dans le même environnement différents des parcs à thème. Ces ludique. derniers, situés à l’extérieur des Les configurations sont donc nombreuses : depuis le villes (pour des questions liées au multiplexe localisé en centre-ville au miniparc de loisirs foncier, notamment), vendent leurs localisé en périphérie, différentes formes de “terrains de loisirs à la journée et majoritaire- jeu urbains” ont été expérimentées dans les villes euro- ment à une clientèle touristique qui péennes ou américaines. Ces tendances semblent désor- effectue le déplacement pour s’y mais être “globales”, et on les retrouve également dans les pays en voie de développement où, d’ailleurs, les “ingré- (6) Susan G. DAVIS, “L’espace urbain perverti par les ‘loisirs’”, Le dients” sont les mêmes franchises, comme Hard Rock Monde Diplomatique, janvier 1998. Café, Planet Hollywood ou Virgin Megastore). (7) Idem. Bien entendu, tous les nouveaux projets ludiques urbains (8) Idem. ne sont pas localisés en centre-ville, notamment aux États- (9) Maria GRAVARI-B ARBAS, “Les enclaves ludiques, le cas du Navy Pier, Chicago”, in Cynthia GHORRA-GOBIN (dir.), Réinventer le sens Unis où, depuis longtemps, les centres tertiaires subur- de la ville : les espaces publics à l’heure globale, L’Harmattan, 2001. bains sont eux-mêmes devenus les principaux pôles d’ani- (10) En fait, l’intégration de propositions ludiques, voire de véri- mation des aires métropolitaines. Il n’est donc pas étonnant tables complexes de loisirs dans des centres commerciaux, est une tendance bien affirmée depuis les années 1970, dont l’inaugu- de constater que la plupart des centres tertiaires subur- ration du West Edmonton Mall en 1986 marque l’apothéose. Mar- bains, et notamment les centres commerciaux, abritent garet Crawford a souligné le parallèle entre le shopping mall et le centre de loisirs (Margaret CRAWFORD, “The world in a shopping désormais des complexes ludiques(10). mall”, in Michael SORKIN (dir.), op. cit., 1992). Ce qui est plus notable c’est que, malgré l’importance F É V R I E R 2 0 0 6 • E S PA C E S 2 3 4 51
DE L’INFLUENCE DES LOISIRS SUR L’URBANISME CONTEMPORAIN des développements suburbains, les centres-villes affir- gié l’approche FMP, dans les années ment un renouveau certain en termes de concentration 1990, l’accent a été surtout mis sur d’activités ludiques et récréationnelles. Cette distribution la construction de vastes équipe- spatiale est due aux choix stratégiques des industries du ments sportifs situés dans les centres- divertissement. Elle est assez étonnante quand l’on sait villes. Des villes comme Baltimore, que, du moins aux États-Unis, les investissements de Denver, Cleveland (toutes villes du grande échelle dans les centres-villes continuent à être ris- frostbelt américain) ont lancé des qués pour les autres secteurs économiques. équipements sportifs de qualité, Ce choix d’investissement s’explique cependant du fait autrement plus évolués que les que, contrairement aux autres secteurs, la production de vieilles infrastructures sportives spectacles et de divertissements était traditionnellement urbaines(14). (et est d’ailleurs en partie toujours) localisée dans les Le Bank One Ballpark, à Phœnix centres-villes. Hollywood a ainsi su tirer profit de son (Arizona), transcende largement passé de lieu de production cinématographique. Après son statut de stadium de base-ball une période de déclin, les visiteurs sont de nouveau atti- et est représentatif d’une nouvelle rés par des lieux de spectacle et de loisirs dans cette cité ère de lieux sportifs situés au croi- mythique (dont une ancienne salle de cinéma rénovée par sement du sportif, du loisir et du Disney, réservée à la projection des films de la compa- commercial. Les infrastructures gnie). De la même façon, c’est la proximité des studios sportives à proprement parler sont de Universal City qui peut expliquer la création de en effet complétées d’un musée du l’Universal City Walk par la compagnie MCA Universal(11). base-ball, de plusieurs restaurants, Le terme d’enclave ludique peut paraître extrême dans d’un centre de loisirs à thème spor- le cas de ces territoires dédiés aux loisirs. Contrairement tif destiné aux enfants et de plu- aux grands parcs de loisirs ou à thème, ils ne sont pas sieurs aires de pique-nique situées physiquement fermés. Mais leur disposition auto-centrée dans le terrain de jeu. Localisé en tend à les couper des territoires environnants. Leur amé- centre-ville, il est censé dynamiser nagement esthétique et fonctionnel et leur gestion sont l’offre des loisirs en proposant assurés par une même entreprise(12), ce qui les différencie notamment “325 soirées-événe- considérablement des espaces environnants. En outre, la ments” par an, et en assurant une nécessité de se garer dans des espaces de parking payants animation pratiquement quoti- correspond quasiment à acquitter un droit d’entrée. dienne(15). Si, en Europe, on observe une permanence de concen- Aux États-Unis, l’Urban Land tration des fonctions ludiques et recréationnelles dans les (11) Il s’agit, en l’occurrence, d’un parc qui se veut une “microgra- centres-villes, le retour de ces fonctions dans les centres- phie” de la ville contemporaine et qui concentre le long d’une rue villes américains date d’il y a environ vingt-cinq ans. artificielle des commerces, des cafés, restaurants, pubs, disco- thèques, salles de cinémas. (12) Plusieurs de ces territoires sont gérés selon le principe du DES FESTIVAL MARKET PLACES town center management (TMC) qui repose sur l’idée que le centre-ville peut (et doit) être géré comme une entité cohérente. Selon l’Association des villes anglaises gérées selon le principe du AUX URBAN ENTERTAINMENT DEVELOPMENTS town center management, celui-ci consiste en “la coordination effec- Les premiers projets de ce type ont été les festival mar- tive entre les secteurs privé et public, y compris les professionnels des autorités publiques, afin de créer, en partenariat, un centre-ville réussi. ket places (FMP) que le promoteur James Rouse a ciaux.” Le town center management est fondé sur un partenariat La ville n’a qu’à gagner de la gestion faite dans les centres commer- construites, aux États-Unis, sur plusieurs fronts d’eau public-privé. Les autorités locales tendent à financer les éléments reconquis(13). Ces places ont été utilisées comme des “loco- stratégiques du programme ; le secteur privé finance différentes motives” dans la revalorisation des centres-villes. Dans initiatives, comme l’organisation d’un festival ou d’un événement artistique, l’installation d’un système de vidéo-surveillance ou le des zones métropolitaines d’une certaine importance, qui salaire du manager. disposent d’un important réservoir de population, les fes- (13) Maria GRAVARI-B ARBAS, “La festival market place ou le tou- tival market places ont contribué à démontrer que le tou- risme sur le front d’eau. Un modèle urbain à exporter ?”, in Villes et Tourisme, numéro thématique sous la direction de risme et les loisirs peuvent être une solution pour le salut Maria GRAVARI-B ARBAS et Philippe VIOLIER, éd. Norois, n° 178, des centres-villes. avril-juin 1998, pp. 261-278. Si, dans les années 1980, les villes américaines en pre- (14) Maria GRAVARI-B ARBAS, 2001, op. cit. mier lieu, mais aussi les villes européennes, ont privilé- (15) William FULTON, op. cit., 1997. 52 E S PA C E S 2 3 4 • FÉVRIER 2006
URBANISME TOURISTIQUE Institute a proposé un nouveau Sony et Disney sont devenus l’avant-garde de la trans- terme pour désigner ces nouvelles formation d’une grande partie du Midtown. Plus qu’un zones ludiques urbaines : les urban simple complexe de loisirs, l’ensemble ludique créé autour entertainment developments (UED). de la 42e rue constitue désormais une attraction touris- Tout en restant dans un contexte tique à New York. d’offre et de pratiques très proche Le projet de Potsdamer Platz à Berlin, un des princi- de celui décrit plus haut, il s’agit paux projets de redéveloppement urbain des années 1990, en l’occurrence de désigner non montre pertinemment que ces évolutions ne se limitent seulement des projets qui relèvent plus au contexte américain, mais que ce phénomène est du miniparc à thème, urbain ou désormais universel. Un des éléments majeurs de la nou- suburbain, mais des zones urbaines, velle composition urbaine est le Sony Center : autour non strictement monofonction- d’une vaste plazza urbaine qui concentre cafés, restau- nelles, dans lesquelles s’implantent rants, commerces et appartements de standing, on trouve une ou plusieurs entreprises de loi- un magasin à plusieurs étages qui fait la promotion des sirs, spectacles, divertissement. Ce produits de Sony, un multiplexe cinématographique et type de projet permet d’engager le un musée de cinéma. À proximité du Sony Center, le com- requalification d’un quartier ou plexe de Daimler Bentz comporte, entre autres, un cine- d’une zone urbaine. max, un cinéma 3D, un casino, un théâtre de vaudeville, Le cas de Times Square est symp- un théâtre musical. Sony Retail Entertainment, nouvelle tomatique des changements radi- filiale de la société Sony, projette la construction de larges caux intervenus dans le Midtown complexes de divertissement dans plusieurs villes, ce qui de Manhattan depuis 1994, lorsque nous incite à penser que nous nous trouvons devant des la compagnie Disney a fait savoir changements majeurs susceptibles d’affecter largement la son intention de réhabiliter le New structure de la culture urbaine et la nature de l’espace Amsterdam Theater, un théâtre de public. variétés sur la 42e rue. Cette déci- Les projets de Times Square et de Potsdamer Platz met- sion a modifié le plan d’urbanisme tent ainsi en évidence l’impact urbanistique des nouvelles du quartier (le département de pla- stratégies des grands groupes du spectacle et du diver- nification de New York prévoyait tissement, c’est-à-dire l’importante concentration d’acti- l’installation de bureaux). Elle a vités ludiques dans des secteurs urbains centraux. Cette facilité la transformation de Times tendance à la concentration est tout à fait compatible (et Square en “Mecque du divertisse- complémentaire) avec la tendance à l’internationalisation ment de masse”(16). La présence de ces sociétés. préalable de Sony dans le quartier a été décisive pour Disney et, à son PROXIMITÉ ENTRE LOISIRS ET CULTURE tour, l’initiative de Disney a attiré d’autres sociétés, telles que Madame On pourrait tenter ici un parallèle entre les grands Tussaud’s, American Multi- groupes culturels et les grandes fondations culturelles Cinemas, AMC et MTV (idem). comme Guggenheim, même si les contenus sont, en l’oc- Le musée de cire Madame Tussaud’s currence, significativement différents. En effet, on observe, présente notamment des person- pour ces deux types d’entreprise, les mêmes tendances : nages issus du monde de l’anima- agglomération des sites culturels dans des complexes tion, le multiplexe des effets spé- ludiques ou touristiques d’une part, et stratégie de déve- ciaux expérimentés par Disney ou loppement international, de l’autre. Selon Claude Gintz, par les Cinemax de Sony et les “une institution comme le Guggenheim fait désormais théâtres mettent en scène des comé- partie intégrante de l’industrie des loisirs culturels qui dies musicales inspirées de Disney. s’est développée aux États-Unis d’abord dans l’industrie cinématographique ou les parcs à thème avant d’inves- (16) Susan FAINSTEIN et Robert James STOKES, op. cit., 1998. tir d’autres champs comme celui des arts plastiques, dont (17) Claude GINTZ, “Les Guggenheim”, conférence donnée le 6 juin 2001, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Compte-rendu de on aurait pu penser qu’ils avaient précisément vocation l’exposition “Les territoires en revue”, n° 5, 2001. d’y échapper(17)”. F É V R I E R 2 0 0 6 • E S PA C E S 2 3 4 53
DE L’INFLUENCE DES LOISIRS SUR L’URBANISME CONTEMPORAIN La construction du Guggenheim de Bilbao et la machine désormais venir du domaine tou- médiatique qui l’a suivie mettent en évidence cette proxi- ristique, la culture ne faisant que mité (en termes de projet et d’impact urbains) entre indus- s’y inscrire. Ainsi, les parcs à thèmes trie de loisirs et industrie culturelle. La puissante archi- Disney, conçus initialement comme tecture de Frank O. Gehry contribue incontestablement des lieux de loisirs et de tourisme, à la création du spectacle urbain et au développement, ont initié une abondante produc- sur les rives du Nervion, d’une zone ludique et culturelle tion culturelle (films, séries télévi- dont l’objectif est de servir le marché international de sées, clips musicaux, etc.) qui a, l’art. culturellement, profondément mar- Mais, plus que les autres musées Guggenheim, c’est qué les dernières générations. celui de Las Vegas qui a opéré ce rapprochement spec- L’urbanisme et les grands équi- taculaire entre tourisme, loisirs et culture. Il montre la pements urbains suivent ces évo- manière dont les nouveaux loisirs s’intègrent dans la ville lutions. Par exemple, les musées contemporaine. Le musée, œuvre de Rem Koolhaas, inau- ont, pour l’instant, démontré un guré en 2001, se trouve dans l’enceinte du Venetian, l’un fort potentiel d’adaptation à la nou- des méga hôtels-casinos de la ville inauguré en 1999. velle demande des publics, ce qui Dans le même hôtel se trouve d’ailleurs la collection n’était pas, a priori, évident. De l’Ermitage Guggenheim, produit d’un partenariat entre nos jours, les musées sont pris d’as- le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et la fonda- saut par un public de plus en plus tion Salomon R. Guggenheim. La concentration des ini- friand, sinon de culture, au moins tiatives culturelles dans la capitale du jeu est symptoma- d’expériences culturelles. tique des rapports que l’art entretient désormais avec le Contrairement à ce que craignaient capital global et des rapports que les grands groupes cul- les responsables de la culture, l’ins- turels entretiennent avec les industries du loisir et du tou- titution n’a pas disparu, mais elle risme. a entamé une mutation impres- sionnante. On peut se demander LES FRONTIÈRES ENTRE STRATÉGIES LUDIQUES, après combien d’évolutions, l’ins- CULTURELLES ET TOURISTIQUES S’ESTOMPENT titution mutera en quelque chose d’autre que le musée tel que nous La différenciation structurelle qui, traditionnellement, le connaissons depuis le XVIIIe siècle. organisait les différentes sphères économiques et sociales Griffiths note, à propos du Moca (la religion, le travail, la science, le commerce, le tou- (Massachusetts Museum of risme, la culture) se trouve, dans l’ère postmoderne, pro- Contemporary Art and fondément modifiée. Architecture)(19), inauguré en 1993 Ainsi, selon John Urry(18), on est passé d’une sépara- à North Adams sur le site désaf- tion claire entre la culture et le tourisme, qui prévalait fecté de Sprague Technologies Inc. : au XIXe siècle (d’une part, des lieux touristiques spéciali- “Grâce à un marketing attentif, sés comme les stations balnéaires ; d’autre part, la cul- même des formes d’art réputées ture bourgeoise avec ses concerts, ses musées, ses gale- inaccessibles peuvent devenir des ries), à un premier rapprochement au cours des trois éléments de l’industrie de loisir(20)”. premiers quarts du xxe siècle (pratiques culturelles de L’interpénétration entre la cul- masse et pratiques touristiques de masse), pour arriver, ture, le tourisme et les loisirs devient à la fin du xxe siècle, à un état où le tourisme et les loi- souvent troublante. Ainsi, les murs sirs sont peu différenciés des pratiques culturelles. L’auteur souligne par ailleurs le fait que, depuis quelques années, (18) John URRY, “Cultural change and contemporary tourism”, Leisure Studies 13, 1994, pp. 223-228. les pratiques touristiques sont purement et simplement (19) Ce nouvel équipement, qui comprend des magasins, des restaurants, un centre de congrès et plus de 12 000 m2 de salles culturelles, dans le sens où elles produisent des signes, des images, des textes et des discours. d’expositions, est conçu autant comme un musée que comme un élément de développement économique et commercial. Par ailleurs, certains phénomènes touristiques et de loi- (20) Ron GRIFFITHS, “The politics of cultural policy in urban regeneration strategies”, Policy and Politics, vol.21 No 1, sirs (dont les parcs de loisirs) témoignent, voire antici- pent, des changements culturels. L’innovation semble pp. 39-46, 1993. 54 E S PA C E S 2 3 4 • FÉVRIER 2006
URBANISME TOURISTIQUE du café Picasso, situé dans le plus en plus structurelle, ne peut qu’interroger les cher- Bellagio, méga hôtel-casino de Las cheurs. Le premier constat qui semble s’imposer est que Vegas inauguré en 1998, sont ornés les populations urbaines et les visiteurs (régionaux ou de tableaux authentiques signés du touristes) plébiscitent massivement ce type de produits. maître. Dans le même méga resort, Il serait d’ores et déjà rapide de conclure à une mani- une galerie (Bellagio Gallery of Fine pulation globale de Disney et de ses émules envers un Art), dont l’accès est payant, pro- public de consommateurs désabusés qui adoptent pas- pose à la visite la très riche collec- sivement une offre sans intérêt. tion personnelle du propriétaire. Les populations urbaines sont globalement sensibles L’acquisition et la présentation au au fait qu’on leur “redonne” leur ville, qu’on les incite public de fonds de collection impor- à fréquenter des zones industrielles ou portuaires fer- tants s’inscrivent désormais dans mées, des usines désaffectées, des quartiers souvent une politique de consolidation du situées dans le cœur des villes. La pratique festive et positionnement touristique des ludique de la ville renverse par ailleurs un certain nombre mega resorts de Las Vegas. de règles établies, change l’urbanité, transcende les habi- Dans ce secteur, les grands tudes du quotidien, transforme radicalement les ambiances patrons du tourisme, du spectacle urbaines. L’offre ainsi créée répond indiscutablement à et du divertissement semblent jouer une demande de certaines couches sociales. un rôle hégémonique qui peut dif- Toutefois, l’impression de déjà-vu, la répétition des ficilement être assuré par les musées spectacles et des ambiances, la présence des mêmes com- municipaux ou d’État qui fonc- merces et des mêmes acteurs hyperspécialisés laissent le tionnent souvent avec un maigre chercheur sceptique. fonds d’acquisition d’œuvres d’art. La globalisation des loisirs et de la culture s’exprime, À Las Vegas, archétype de la ville en effet, quasi-inévitablement par une homogénéisation festive(21), l’argent du jeu est en des propositions ludico-culturelles urbaines. L’urbanisme mesure de doter la ville de collec- ludique qui se met en place comporte des éléments de tions d’œuvres d’art que beaucoup la même nature et souvent les mêmes expressions archi- de très grandes villes américaines tecturales, que se soit dans les zones de loisirs ou dans ou européennes ne sont pas en les grands musées de la “globalisation culturelle(22)”. mesure de posséder. Aussi surpre- Mais elle s’exprime aussi par une privatisation crois- nant que cela puisse paraître, dans sante des espaces publics centraux. l’hypothèse d’une candidature au En effet, la ville ludique qui se met en place, joyeuse, titre de “capitale américaine de la animée, éclectique, entretient finalement peu de rap- culture”, Las Vegas, capitale indis- ports avec les espaces dont elle prétend s’inspirer (la cutable du divertissement, a plu- ville traditionnelle, son bazar ou son agora). Elle tend sieurs cartes à jouer. à transformer l’expérience collective en consommation visuelle et la vie urbaine en spectacle exclusif. LA PRIVATISATION Que se soit Times Square, la Potsdamer Platz, le Navy DE L’ESPACE PUBLIC Pier, le Universal City Walk ou le Strip de Las Vegas, on ne peut que constater que c’est dans des espaces lar- La place des loisirs, de la cul- gement privatisés, gérés de manière intégrale, instau- ture, du tourisme dans la ville, de rant leur propre ordre esthétique et comportemental, moins en moins résiduelle et de que les citadins, forcément solvables, peuvent désormais prendre leur bain de foule, dans une ambiance sécuri- (21) Maria GRAVARI-B ARBAS, ”La leçon de Las Vegas, le tourisme dans la ville festive”, Géocarrefour, Revue de géographie de Lyon, sante et bon enfant. Leur développement se fait souvent Vol. 76, n° 2 (Le tourisme et la ville), Lyon, 2001, pp. 159-165. au détriment des “vrais espaces” publics de la ville qui, (22) Comment ne pas mentionner ici la présence de quelques faute de moyens et d’attention de la part des autorités architectes du star system international dans tous les chantiers des grands musées dans le monde, en commençant par Frank Gehry publiques, assurent de moins en moins leur rôle. ou Rem Koolhas ? Indépendamment de la qualité architecturale Roost a mis en évidence, dans le cas de Times Square, des œuvres produites, qu’il ne s’agit pas de mettre en cause, on ne peut que ressentir un malaise devant l’inévitable “clonification” la manière dont les entreprises privées, lorsqu’elles s’im- du paysage culturel et muséal qui en résulte. plantent dans des centres-villes, tendent à traiter ceux- F É V R I E R 2 0 0 6 • E S PA C E S 2 3 4 55
DE L’INFLUENCE DES LOISIRS SUR L’URBANISME CONTEMPORAIN ci de la même manière que les enclaves de leurs parcs à cities américaines mais aussi, et thème. Il donne l’exemple du lancement du New de manière croissante, les villes Amsterdam Theater par Disney, accompagné de la mise européennes. en place d’un défilé conçu dans la tradition des parades En fait, le décloisonnement tem- des parcs Disney. Pour que son effet soit plus saisissant, porel des pratiques et l’interpé- la compagnie a prié 5 000 commerçants et bureaux nétration croissante du temps loi- situés dans le quartier d’éteindre leurs lumières. La même sirs-travail induit un cloisonnement chose a été demandée à la ville de New York (qui y a sur le plan spatial, par l’intermé- d’ailleurs consenti). Le défilé a ainsi permis à une entre- diaire de la mise en place de lieux prise de spectacle et de divertissement de transformer organisés pour permettre le le centre-ville en support publicitaire pour ses produits. mélange loisirs et affaires dans des Autrement dit, la société Disney a intégré, pour sa cam- espaces bien circonscrits. Il contri- pagne marketing, l’espace public de New York, de la bue à l’organisation de territoires même manière qu’elle le fait dans le cas des parcs à créés de toutes pièces, à la créa- thème de la compagnie(23). tion d’enclaves qui vendent du loi- Ces exemples tendent à prouver que, depuis que les sir à l’heure ou à la demi-journée. industries du spectacle et du divertissement ont saisi Mais, même lorsque c’est l’en- l’intérêt d’intégrer les sites urbains dans leurs plans semble des villes qui est gagné par marketing, on assiste à des nouvelles formes de déve- ces nouvelles activités, cela se fait loppement urbain en centre-ville. Plusieurs travaux ont selon des logiques de différentia- mis en évidence la privatisation croissante de la ville tions spatiales qui tendent à contemporaine(24). La ville post-moderne procède du concentrer dans les centres-villes brouillage du modèle la ville post-libérale correspon- anciens et requalifiés les fonctions dant à l’urbanisme d’Haussmann, selon lequel la res- nobles pour repousser vers la péri- ponsabilité des superstructures était attribuée au privé, phérie celles qui attirent moins les tandis que les espaces extérieurs, les rues et les places, nouveaux usages (résidents, visi- les réseaux et les équipements collectifs étaient du res- teurs, employés) des centres sort du public(25). “reconquis”. Dans la ville contemporaine, on assiste, au contraire, Ces tendances confirment l’im- à la prolifération d’espaces appartenant au privé mais portance structurante des loisirs, “offerts” à un usage public(26). Cependant, contraire- du tourisme et de la culture dans ment à ce que l’on pouvait supposer, ce phénomène de la ville contemporaine. Le mélange l’espace public-privé ne correspond pas forcément à bien dosé des ingrédients ludicques, une extension des espaces urbains accessibles publi- commerciaux et culturels (une ins- quement, mais à la marchandisation des espaces publics. piration des parcs à thème, un peu Dans ces espaces, le citoyen tend à être traité comme d’art contemporain, une dose d’ex- un usager, voire comme un client. Ces nouveaux espaces périences ludiques, beaucoup de publics ou publics-privés sont essentiellement des espaces commerces) constitue désormais de consommation. Ce sont par conséquent les citoyens la locomotive du développement solvables qui y sont invités ou qui peuvent y trouver urbain. Las Vegas a décidément leur compte. Comme le souligne Claude Gintz(27) pour fait des émules ! ■ Guggenheim, les nouveaux équipements et espaces cul- turels “ont tendance à faire l’objet d’un spectacle à la (23) Franck ROOST, “Recreating the city as entertainment center : the media industry’s role in transforming portée de tous, tout en demeurant – et c’est bien la Potsdamer Platz and Times Square”, Journal of Urban Technology, contradiction qui les habite – aussi de plus en plus, une vol. 5, n° 3, pp. 1-21, 1998. marchandise de luxe, ou un objet de spéculation.” (24) Michael SORKIN (dir.), Variations on a Theme Parc, éd. Hill and Wang, New York, 1992. Plusieurs des lieux ludiques de la ville contemporaine (25) Françoise ASCHER, “La révolution des villes appelle un nouvel sélectionnent en effet leurs publics de manière beau- urbanisme”, Le Monde, mardi 18 avril 2000. coup plus ségrégative que ne le faisaient les foires, les (26) David HARVEY, The Condition of Post-Modernity. An Enquiry into pleasure piers ou les autres lieux de plaisir de la ville the Origins of cultural Change, Basil Blackwell, Oxford, 1989. industrielle. Cela ne concerne pas uniquement les fun (27) Claude GINTZ, op. cit., 2001. 56 E S PA C E S 2 3 4 • FÉVRIER 2006
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