LA VIOLENCE DANS LA BIBLE

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LA VIOLENCE DANS LA BIBLE

                                      Par Philippe Haddad 1

                                                    AIEMPR, XVIIe congrès international
                                                               Religions et violences ?
                                                         Strasbourg, 10-14 juillet 2006
                                                             table ronde interreligieuse

        La Bible et son contenu sommaire :

        La Bible hébraïque comprend trois grands livres :
ƒ       La Torah ou "Enseignement" traduit par "Pentateuque" (5 livres de
        Moïse).
ƒ       Les Néviim ou "Prophètes"
ƒ       Les Kétouvim ou "Écrits".
        Le mode d'écriture de la Bible est majoritairement l'écriture narrative ou
        le récit. A l'intérieur de ce récit, nous trouvons une législation (la loi
        mosaïque composée de grands principes de justice et d'amour, et de
        préceptes religieux), des paraboles, des proverbes, des oracles
        prophétiques, des prières (livre des Psaumes) et de courtes histoires
        pour édifier la foi des fidèles.
        Ce grand récit biblique prend prétexte d'une histoire particulière, celle
        du peuple d'Israël, pour transmettre un enseignement dans le cadre
        d'un monothéisme absolu. A partir du chapitre XII de la Genèse et
        jusqu'à la fin de la Bible, le peuple d'Israël demeure au cœur de
        l'Ecriture.
        Avant l'apparition d'Israël, des versets nous offrent une vision générale
        sur l'histoire universelle. Ainsi la Genèse est inaugurée par la Création
        du monde, et se poursuit par des récits fondateurs comme l'épisode du
        jardin d'Eden, le meurtre d'Abel par son frère Caïn, le déluge et l'arche
        de Noé ou la tour de Babel. Ces récits fondateurs peuvent être
        entendus comme des paradigmes plutôt que comme des réalités
        historiques. Pour les compilateurs de ces récits, l'historicité semble
        moins importante que les messages religieux et éthiques qui y sont
        véhiculés.
        A l'analyse de toute la Bible, c'est quelque deux millénaires qui sont
        retracés parfois de façon rapide, parfois en insistant sur quelques
        personnages considérés comme importants.
        Dans ce récit, on ne trouve aucune information de type théologique,
        éclairant le lecteur sur la nature de Dieu ; par contre, le lecteur est
        informé de la volonté de ce Dieu pour les hommes. On peut parler de
        Bible comme d'une grande saga israélite, où le héros est Dieu, qui juge
        positivement ou négativement les événements. Mais ce héros divin
        n'est jamais seul, ayant fait alliance (bérith) avec l'Homme, ce dernier
        oriente l'histoire et contraint souvent Dieu à modifier ses projets

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     Auteur d’ouvrages sur le judaïsme, notamment : Pour expliquer le judaïsme à mes
    amis. In Press (traduit en italien) et Islam et judaïsme en dialogue. Atelier (avec Ghaleb
    Bencheikh).

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originaux. Dieu commence le monde, et l’homme est invité à le
parachever. Sous cet angle, l'existence prend le pas sur l'essence.

La récurrence de la violence :

L'un des éléments récurrents à ces récits reste la violence : violence
subie, violence prônée, violence suggérée, violence condamnée,
violence bannie.
Cette violence, nous la définirons comme l'agression à l'égard de
l'homme, agression d’abord contre sa vie, contre son corps, mais aussi
contre ses biens ou contre son honneur.
Cette violence est constamment présente, sauf dans les derniers récits
(Esdras ou Néhémie) qui parlent du retour des Judéens sur la terre
ancestrale, et qui portent une note d’optimisme. Les personnages
bibliques, hommes et femmes, ne sont pas des êtres béats,
angéliques, hors du temps et de l'espace. La Bible ne présente pas un
guide de bonne conduite, il ne s’agit pas d’un petit traité des grandes
vertus. Elle décrit plutôt les hommes tels qu'ils sont, plutôt que de les
définir tels qu'ils devraient être. Au lecteur d’en tirer des leçons.
A l'opposé de maîtres sages et sereins, les héros bibliques sont des
êtres passionnés, passionnels, passionnants parfois, fougueux ; et
rares sont les personnages qui ne côtoieront pas la violence
directement ou indirectement, la provoquant ou la subissant.

Le Dieu biblique est-Il violent ? Le Dieu biblique n’étant pas présenté
hors de l’Histoire, il agit, comme les hommes, parfois avec violence,
parfois avec pitié ; parfois avec l’attribut d’amour, parfois avec l’attribut
de rigueur, parfois Il gronde, parfois Il console.
Le texte justifiera ces réactions divines au nom de la justice et d’une
éthique qui pose des limites à la patience : Ainsi, c’est le déluge qui
noie une humanité agressive, c’est le feu et le souffre qui recouvre
Sodome et Gomorrhe, les cités inhospitalière, ce sont les eaux qui
recouvrent l'armée de pharaon, ce souverain qui avait noyé les bébés
hébreux dans le Nil.

Mais revenons à la violence humaine ! La consommation du fruit
interdit peut être entendue comme une première violence à l'égard de
la loi divine, mais c'est surtout le meurtre d'Abel par Caïn qui inaugure
l'histoire humaine.
Ce meurtre du frère apparaît à l'origine de l'Histoire, de même que le
fratricide marque la naissance de Rome, voire le parricide dans la
conception freudienne (cf. Totem et tabou).
Cette violence parcoure tous les récits bibliques, que ce soit dans les
récits à caractère universel, par exemple à l'époque du déluge à propos
de laquelle le verset dit « et la terre était emplie de violence », que ce
soit dans les récits israélites : La conquête de Canaan ou les guerres
de David.
Cette violence peut venir de l'extérieur de l'identité d'Israël, les
Égyptiens qui asservissent les Hébreux, jugés trop nombreux, les
Amalécites qui, au lendemain de la traversée de la mer Rouge,

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attaquent lâchement femmes et enfants qui se trouvent à l'arrière du
camp israélite. Les Assyriens ou les Babyloniens qui conquièrent puis
détruisent sauvagement Jérusalem et le Temple de Salomon, Haman
qui dans le livre d'Esther décrète la première solution finale contre le
peuple judéen.
Mais cette violence peut venir aussi des Israélites eux-mêmes, l'attitude
à l'égard des Cananéens qualifiés d'idolâtres est sans ambages dans le
discours de Moïse et jusqu'au prophète Elie. Car pour le prophétisme
hébraïque, l’idolâtrie représente l'anti-monothéisme. Les valeurs
paraissent, en effet, inconciliables, sacrifices d'enfants, prostitutions
sacrées d'un côté, refus du sacrifice humain, décalogue de l'autre.
Cette lutte devient obsessionnelle chez Moïse qui lors d'expédition
punitive lance à son armée « Tu ne laisseras vivre aucune âme ». Des
formules, qui je dois l’avouer, sont difficiles à entendre pour une oreille
humaniste.
Moïse apparaît, dès ses jeunes années, animé d'une fougue et d'un
zèle pour la justice et la vérité du Dieu un. Il ne connaît ni les
compromis ni les arrangements à l'amiable. Entre la lapidation d'un
profanateur du Shabbath et l'attitude de Jésus devant la femme
adultère, on mesurera la distance. Pour autant, et c'est là l'un des
paradoxes du personnage, c'est au moment où les Hébreux
commettent la faute du veau d'or sous la montagne où le Décalogue a
été proclamé, que Moïse intercédera de façon énergique : « Pardonne
donc à ce peuple, lance-t-il à l'Eternel, sinon efface-moi de Ton livre ».
Cela n'empêchera pas Moise d'appeler à une vengeance contre
quelque trois mille instigateurs idolâtres.
Arrivé aux frontières de Canaan, Moïse s'adresse à Og roi de Basan et
Sihon roi des Amorrites pour pouvoir traverse leur territoire « Je ne
ferai que passer avec mon peuple, promet-il, je paierai ce que je boirai
ou consommerai ». Mais pour toute réponse, les deux souverains
proposent la guerre qui se soldera par leur défaite, et la conquête de
leur territoire. Violence d’un côté violence de l’autre.
A la mort de Moïse, la conquête de Canaan devient l'objectif de Josué,
successeur de Moïse. Jéricho, la première ville est prise, après que ces
murailles se soient écroulées miraculeusement. Hormis Rahav qui avait
caché les espions hébreux, et sa famille, la population subit l'anathème,
ce qui signifie exécution des habitants et consécration des biens à
l'Eternel. Akan qui vole quelques bijoux et un manteau sera mis à mort.
Après la conquête, commence le temps des Juges. Période de violence
encore : les peuplades alentours pillent et dominent les tribus d'Israël.
Israël se repent et demande à l'Eternel un libérateur. Ce libérateur,
parfois une libératrice (la prophétesse Déborah), apparaît sous les
traits d’un chef militaire qui après avoir mené un combat contre
l'occupant, deviendra juge d'Israël durant quelques années. Le plus
célèbre reste Samson, qui possédait une force impressionnante dans
ses cheveux et qui sera trahi par Dalila.
D’ailleurs dans ce livre des Juges, les femmes aussi vivent au cœur de
la violence, elles séduisent, elles rusent, elles tuent, ou alors elles sont
humiliées, violées, exécutées. La Bible nous décrit là, une société où la
violence engendre la violence. Ce qui semble être un leitmotiv.

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La période des Rois reste toujours marquée par la violence. Saül
premier roi d'Israël sera destitué par le prophète Samuel, pour avoir eu
pitié du roi amalécite Agag, en l'épargnant de la mort. Ce sera Samuel
qui exécutera au final Agag. David succédera à Saül.
David restera légendaire par son combat contre le géant Goliath. C'est
David qui consolidera le royaume judéen, faisant de Jérusalem sa
capitale.
David n'est pas seulement l'auteur des Psaumes, de l'imagerie
religieuse, il est aussi cet homme qui va convoiter la femme de son
prochain, Bethsabée épouse de Uri le Hittite. Le roi d'Israël ne se
contentera pas de transgresser le dernier commandement : « tu ne
convoiteras pas la femme de ton prochain », il ira jusqu'à mettre Uri,
présenté comme un fidèle serviteur du roi, en premières lignes, afin
qu'il soit tué. Et Uri se tué au combat.
C'est après cet épisode que le langage de la Bible commence à se
métamorphoser sur la violence. Dieu, généralement invoqué pour
exécuter les idolâtres, et mentionné par le prophète Nathan comme le
juge de David. Nathan rapporte la parabole d’un riche propriétaire qui
exécute un pauvre berger, pour lui voler son unique brebis. David qui
ne comprend pas l'allusion s'écrit : « Cet homme mérite la mort », la
réponse de Nathan est cinglante : « C'est toi l’assassin ».
Quand plus tard, David veut construire le Temple, Dieu refuse que les
mains qui ont versé le sang soient celles qui construisent le sanctuaire.
Le glissement vers la condamnation de la violence se poursuit.
Salomon, fils de David et Bethsabée, représentera le roi de la paix. Le
nom Shlomo signifie d'ailleurs « Shalom, la Paix en lui ». Salomon brille
par sa sagesse, son intelligence, ses jugements éclairés (le célèbre
jugement de Salomon).
A sa mort, son royaume connaîtra un schisme, entre le royaume du
Nord, ou royaume d'Israël, et royaume du Sud au royaume de Juda.
Dix tribus au Nord ; Deux tribus au Sud qui gardent le Temple de
Jérusalem.
Durant cette période, des prophètes s'élèvent contre l'idolâtrie du
peuple, mais aussi, et cela est nouveau, contre les abus de pouvoir des
classes dirigeantes. C'est notamment le prophète Elie, qui rappelle
Moïse par sa fougue et ses colères. Face à lui le roi Achab et surtout la
reine Jézabel, princesse de Tyr, qui renforce le culte du dieu Baal,
extermine des centaines de prophètes de Dieu. Elle ira jusqu'à accuser
faussement le malheureux Naboth pour le condamner à la peine
capitale, et lui voler sa vigne.
Elie lance alors un défi aux prêtres du dieu Baal, une sorte de duel
religieux au mont Carmel. Un miracle se produit en faveur d'Elie qui
encourage le peuple à abattre les prêtres. Au carnage de Jézabel,
répond le carnage initié par Elie. Toujours la même logique : la violence
appelle la violence.
Jézabel ne s'avoue pas vaincue et déclare Elie, hors la loi, alors que le
peuple s'en retourne lentement vers ses idolâtries. Elie s'enfuit dans le
désert du Sinaï, réclamant la mort devant l'Eternel. C'est alors que se
produit une théophanie : Tonnerre, séisme, tremblement de terre, mais

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le texte de préciser que Dieu n'était pas dans ces phénomènes. Car
Dieu se trouve, dans « la voix d'un doux silence ».
Cet épisode, dans sa lecture symbolique, est fondateur d’une
rupture : Le Dieu violent (le tonnerre, le tremblement de terre) devient
le Dieu de la patience. Le récit annonce la formule de l’un des derniers
prophètes Zacharie : « Ni pas la force, ni par l'armée, mais par mon
esprit, dit l'Israël ».
Les prophètes postérieurs à Elie (Jérémie, Isaïe, etc.) se distingueront
par des exigences éthiques, transformant le discours religieux en
discours social (par exemple, le véritable jeûne de l’Eternel signifie
« donner à manger à celui qui a faim, habiller celui qui est nu et donner
un toit à celui qui n’en a pas »). Nous quittons alors les oracles
fougueux de Moise contre les idolâtres pour écouter des paroles qui
peuvent toucher nos contemporains par leur modernité. Pour autant, la
fougue et l’impétuosité ne sont absentes du discours. Mais tout se
passe comme la Bible critiquait sa propre violence originelle.
Les rabbins hériteront de cette métamorphose du langage : entre le
« Ne laissez vivre aucune âme » de Moïse et « sois le premier à saluer
tout homme fût-il païen » de Rabbi Aquiba, un maître du deuxième
siècle ap. J.-C., quel chemin parcouru !

De la violence à sa condamnation :

Est-ce à dire que le discours biblique ne doit être entendu que comme
un long récit marqué par la violence ? Objectivement non. Car la loi
semble être donnée pour extirper la violence du cœur de l'homme. Les
Dix commandements tout d'abord qui pose un minimum vital pour
qu'une société perdure. L'interdiction de la haine, de la vengeance, de
la rancune, l'amour du prochain comme soi-même, l'amour de
l'étranger comme soi même, la prohibition de sacrifier la vache et le
veau le même jour constituent quelques commandements qui ouvrent
au respect d'autrui et au respect de la vie. L’introduction de l’argent
aussi comme entre-deux, entre deux plaignants pour éviter les
solutions violentes.
Tout se passe comme si la loi hébraïque dans beaucoup de domaines
demeurait en avance par rapport à l'état moral du peuple qui la
recevait.
C'est là l'un des paradoxes de la Bible.
Lorsque plus tard, à l'époque de Jésus, les rabbins hériteront de toute
cette littérature, ils la réinterprèteront à la mesure de l'homme. La peine
de mort sera abolie, les guerres religieuses condamnées, l'énergie de
la violence sera transformée en énergie d'étude. La seule conquête
autorisée sera celle d'un texte, d'un livre d'où le sage fera jaillir des
étincelles d'interprétations.
Si l'histoire est inaugurée par un fratricide, les visions messianiques et
eschatologiques par de fraternité. Au cœur de cette histoire violente
naît l’espérance de la paix, l’une des plus belles inventions de l’utopie
prophétique. Cette espérance transforme la résignation et à la fatalité
en responsabilité de l’homme comme acteur du bien et co-créateur de
l’Histoire.

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Citons Isaïe pour conclure : « Ils transformeront leurs épées en socs de
charrue, et ils n'apprendront plus l'art de la guerre. »
Comment transformer l'économie militaire en économie du partage,
c'est peut-être cela l'utopie biblique !

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