Le Coup de l'escalier (analyse) - Gisèle Montbriand
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Document generated on 05/28/2023 11:50 p.m. Séquences La revue de cinéma Le Coup de l’escalier (analyse) Gisèle Montbriand Number 33, May 1963 URI: https://id.erudit.org/iderudit/51938ac See table of contents Publisher(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital) Explore this journal Cite this article Montbriand, G. (1963). Le Coup de l’escalier (analyse). Séquences, (33), 61–66. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1963 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LE COUP DE L'ESCALIER (Odds Against Tomorrow) .A. 2b,o c u m e n ttati utioii 1. Générique par le Modem Jazz Quartet — Int. : Har- ry Belafonte (Johnny Ingram), Robert Film américain 1959 — Prod. : Robert Ryan (Slater), Ed. Begley (Burke), Shel- Wise pour la Cie Harbel — Réal. : Ro- ley Winters (Lorry), Gloria Grahame (He- bert Wise — Scén. : John O. Killens et len), Will Kuluva (Bacco), Kim Hamil- Nelson Gidding, d'après le roman de ton (Ruth), Mae Barnes ( A n n i e ) , Car- William P. McGivern — Photo. : Joseph men de Lavallade ( K i t t y ) , Richard Bright Brun — Mus. : John Lewis, interprétée (Coco). MAI 1963 61
2. Résumé du scénario cent Ambersons. Il devient réalisateur en 1943 ; son oeuvre compte une trentaine de films. Burke, un policier révoqué prépare un hold-up. Il lui faut deux hommes La critique s'entend pour reconnaî- de main qu'il convoque séparément. Le tre à Wise d'admirables qualités de premier. Slater, est un raté; aigri et technicien et de metteur en scène. Il violent, il vit aux crochets de la femme possède un style brillant, nerveux et qu'il aime. Il voit dans le vol un moyen vigoureux. Il intègre en un tout har- de sortir de sa situation humiliante; monieux et efficace les éclairages, le mais il se récuse lorsqu'il apprend que jeu des acteurs et les artifices du mon- son comparse sera un Noir. Celui-ci, tage. Malheureusement, l'intérêt des Johnny Ingram, est un chanteur qui scénarios qu'il a réalisés n'est pas tou- connaît un certain succès; mais à cause jours à la hauteur de leur réalisation de sa passion des courses, il est criblé technique, et Wise n'est pas homme à de dettes et vit séparé de sa femme et faire un chef-d'oeuvre de rien; cepen- de sa fille. Il refuse tout d'abord mais dant aucun de ses films n'est bâclé ou par suite des pressions d'un créancier, complètement dépourvu d'intérêt. Par il se voit contraint d'accepter. Slater, ailleurs, plusieurs sont des oeu- de son côté, connaît de nouvelles hu- vres remarquables dont le sujet et la miliations et donne son adhésion. A la valeur rejoignent l'audace de la forme. première rencontre du trio. Slater ma- En 1949, The Set-up (Nous avons ga- nifeste son racisme. Le vol se prépare gné ce Soir) est un film exceptionnel quand même et les trois hommes se sur la boxe; Executive Suite (La Tour rendent à Melton où il doit avoir lieu. des ambitieux), en 1954, constitue une Après une longue attente, ils exécutent exploitation magistrale d'un sujet "à leur plan. Après le vol, la mesquinerie priori" anti-cinématographique (cf. ana- de Slater compromet leur fuite. Burke lyse dans Séquences, no 2 9 ) ; en 1956, est abattu par la police et ses deux com- Somebody Up There L'kes Me (Marqué parses doivent se sauver à pied. Leur par la Haine), reprend avec puissance haine éclate violemment et ils se pour- le sujet de la boxe; en 1959, / Want suivent dans les dédales et les escaliers to Live (Je veux vivre) constitue un d'une usine à gaz. Un coup de feu pro- plaidoyer virulent contre la peine de voque une explosion où ils trouvent la mort; la même année, Odds Against mort. Tomorrow (Le Coup de l'escalier) a- borde des thèmes sociaux pleins d'acui- té par le biais de l'intrigue policière. Wise s'est vivement signalé à l'atten- 3. Le réalisateur tion, en 1961, dans un genre nouveau pour lui et très mal servi depuis quel- Robert Wise est un véritable "hom- ques années, la comédie musicale : West me de cinéma". Né en 1914, il débute Side Story allie à une réalisation parti- dès 1933 dans un emploi secondaire à culièrement brillante une conception la RKO. Il pratique les techni ques du audacieuse du film musical. montage et devient chef monteur, en 1939. Il a l'occasion, en particulier, de Depuis quelques années, Robert collaborer aux films magistraux d'Orson Wise tourne ses films à New-York, qui Welles, Citizen Kane et The Magnifi- est devenu le port d'attache de la jeune 62 SÉQUENCES
génération de cinéastes et des indépen- pagnies de Hollywood. En plus de Odds dants de l'industrie du film. Il semble Against Tomorrow, Harbel a produit, manifester, ainsi, son désir de ne pas en 1958, The World, the Flesh and the se scléroser mais de se renouveler. Dans Devil (Le Monde, la chair et le dia- une interview accordée à Gene Mosko- ble), qui traite du conflit racial dans witz pour les Cahiers du Cinéma, en le contexte d'une destruction atomique. 1959. Wise commentait en ces termes Durant la guérie, Belafonte sert dans Odds Against Tomorrow : ]e tourne la marine américaine. Par la suite, il actuellement une histoire de hold-up où j'introduis par la bande le problème essaie un peu du théâtre et entreprend racial, ayant confié à un Noir, Harry une carrière de chanteur. En 1950, il Belafonte, le rôle d'un des gangsters. se constitue un répertoire de chansons Mais je n'ai nullement l'intention de du folklore noir et son succès grandit faire des sermons, je voudrais présen- sans cesse. Il débute au cinéma en ter un Noir en tant qu'individu et A- 1953; mais c'est son rôle dans Carmen méricain, décrire la manière dont il fait Jones, d'Otto Preminger, en 1955, qui face aux survivances du racisme, com- le consacre dans ce nouveau mode d'ex- ment il les intègre à sa vie personnelle pression. Belafonte a la réputation de se (Cahiers du cinéma, no 94, p. 3 0 ) . préoccuper de la situation de ses frères noirs. A propos de Odds Against To- morrow, il déclarait en 1959 : l e ne 4. Harry Belafonte m'inquiète pas que Odds Against To- morrow rapporte de l'argent ou non ; je suis très satisfait de sa valeur artisti- En plus d'interpréter un rôle impor- que. Le film essaie de montrer que si tant dans le film, Belafonte est le pro- l'homme n'est pas capable de supprimer priétaire de la compagnie de produc- tion Harbel. Il est le premier Noir a- ses antagonismes vis-à-vis les autres, non méricain à diriger une maison indépen- seulement il détruira ceux qu'il oppri- dante de production qui peut faire dis- me, mais il se détruira lui-même. (Filmi tribuer ses films par les grandes com- and Filming, décembre 1959) 1. Analyse dramatique ments. Mais le film ne se réduit pas à cela : l'intérêt est centré surtout sur les personnages et leurs problèmes et le a) Le sujet film est plus encore psychologique et Le cadre et le déroulement sont ceux idéologique que policier. du film policier : milieux louches, pré- b) Les personnages paratifs d'un vol de banque, exécution du coup et échec. L'action comporte Les trois personnages principaux ne suspense, mouvement et rebondisse- sont pas du genre habituel de gangster, MAI 1963 63
mais plutôt du type d'homme raté. L'ex- c) Portée idéologique policier, déshonoré, dépourvu d'argent, plein d'amertume, veut utiliser son ex- Le préjugé racial, la défiance et la périence du crime commis par les au- haine chez le Blanc, l'agressivité du tres pour organiser un vol dont le pro- Noir, voilà la trame sous-iacente et duit le tirera de l'impasse. Mais son cas constante de toute l'action. Ce problè- n'est pas très approfondi et ce person- me social marque et parfois condition- nage joue vis-à-vis de ses deux hommes ne l'évolution psychologique et les tour- de main le rôle de catalyseur. nures de l'action. Les réactions haineu- ses, un moment freinées par la fatale Slater, à 40 ans, n'a rien fait de va- nécessité de collaborer, se produisent lable; il vit aux crochets de celle qu'il en chaîne et aboutissent à la démen- aime; cette dépendance lui pèse. C'est tielle poursuite finale. un instable et un violent : allusion à un meurtre passé, scène du bar avec le jeune soldat, haine instinctive et bles- d) Construction dramatique sante pour le Noir, collaborateur pro- Le déroulement dramatique du film posé. Une blessure d'amour-propre le est à la fois concis et fortement frag- poussera à se décider pour le vol, en menté. Il est concis, car l'action, limi- faisant taire (momentanément) son tée dans son objet et dans le temps, se préjugé racial. concentre entre quelques personnages Johnny Ingram, le Noir, est encore seulement. Il est fragmenté parce que jeune, fier et entreprenant ; il est en la situation des protagonistes, leurs rap- mésentente avec sa femme, mais ado- ports mutuels et l'évolution de l'action re sa fille. Comme chanteur, il gagne- sont présentés dans de nombreuses sé- rait bien sa vie. Mais tout s'engouffre quences courtes et alternées. L'impres- dans sa passion des courses. Ses lourdes sion de mouvement est accentuée par dettes, l'amour de sa fillette menacée les déplacements fréquents des person- par le chantage de son créancier, la nages et par le passage continuel de fierté de s'opposer au Blanc: voilà trois l'intérieur à l'extérieur. raisons pour lui d'accepter le risque du Ce rythme saccadé se maintient jus- vol. qu'à la séquence du coup qui prend a- Ces deux derniers personnages sont lors l'allure d'un suspense : avant le présentés longuement, habilement, par vol, longue attente, créatrice de nervo- séquences alternées, par touches succes- sité et d'inquiétude. Après le vol ra- sives; à mesure que le film se déroule, pidement mené, poursuite haletante a- on les connaît davantage et on les voit chevée par l'explosion. La séquence des évoluer du refus primitif à l'accepta- ambulanciers, d'un rythme plus lent et tion fatale et à l'opposition irréducti- solennel, invite le spectateur à la ré- ble. flexion. Les personnages féminins ont plus En général, la forme dramatique du de consistance que dans le "policier" film épouse de très près le sujet et sa habituel. Lorry et l'épouse de Ingram signification. Son rythme croît à me- ne sont pas des femmes fatales ou l'en- sure que se durcissent les conflits qui jeu de rivalités masculines; mais cha- agitent les individus et les opposent. cune à sa manière précipite le conflit Un engrenage, puis un tourbillon sem- chez l'homme qu'elle approche et le blent les entraîner inexorablement vers force involontairement à une décision. leur destin tragique. 64 SÉQUENCES
2. La réalisation sion qui y survient évoquerait facile- ment le champignon atomique. Tous les éléments de la mise en scè- b) Montage et rythme ne et du langage cinématographique semblent se conjuguer pour obtenir une Le montage est abrupt. Sauf un cas atmosphère dure, tendue, tragique et de fondu-enchaîné, les coupures entre significative. Le style se caractérise sur- les scènes sont franches et directes. On tout par une grande virtuosité techni- évite les transitions apparentes, mais que et la création d'un climat de réa- le lien entre les scènes existe cependant: lisme symbolique. attraction visuelle par un objet, une forme, une ligne, un éclairage; transi- tions sonores fréquentes; appel logique, a) Décors et lumière etc. Ce montage syncopé est évidem- L'action se passe dans des lieux quo- ment voulu en vue de l'effet de choc tidiens : rues de New-York, intérieurs recherché. modestes, bar, route, etc. ; mais ces dé- c) Bande sonore cors sont très dépouillés et jouent sur- tout un rôle dramatique. Les intérieurs Le Modem Jazz Quartet, avec une sont très significatifs des individus. A excellente partition de jazz, soutient noter, dans les deux premières séquen- merveilleusement l'atmosphère, l'accen- ces qui se passent dans l'appartement tue même au besoin. Au club de nuit, mystérieux de Burke, la lumière qui le chant de Belafonte et la musique éclaire la tête décidée de Burke, tandis s'intègrent bien au style général de la que l'interlocuteur hésitant. Slater, puis bande sonore. Lors de la poursuite fi- Ingram, ont la figure dans l'ombre. nale, elle est réduite à un rythme très L'appartement de Slater est sombre dépouillé qui s'identifie presque avec mais empreint d'une touche féminine; les bruits amplifiés des pas et des c'est là que Slater cherche à cacher sa heurts métalliques. Le choix et l'utili- défaite en même temps qu'il est attaqué sation des bruits jouent aussi un rôle dans sa fierté. La maison quasi-bour- important tout au cours du film. Ils geoise de la femme de Johnny oppose sont durs et concourent souvent à créer à ce dernier une vie rangée et accordée un choc, surtout au début des scènes. aux Blancs; le club enfumé et l'éclai- rage où chante Johnny établit un con- d ) Interprétation traste frappant. Les rues sont souvent Les interprètes soutiennent avec vé- désertes et d'une lumière blafarde. La rité leurs différents rôles : Ed Begley vue insistante d'un rond-point routier prête sa figure ambiguë et inquiétante semble symboliser le destin inextrica- au policier Burke; Robert Ryan au ble où le trio s'engage. Pendant la lon- masque ravagé et buté incarne à fond gue attente, avant le vol, les lieux où le personnage de Slater; Belafonte, d'un chacun des trois se cantonne sont très registre d'expressions assez étendu, joue significatifs de leur personnalité et de bien le personnage complexe du Noir; leur état d'âme. L'usine à gaz est un les femmes ont une densité suffisante décor typique de l'ère industrielle; la dans les rôles secondaires. Si les per- poursuite de Slater et de Ingram prend sonnages n'inspirent pas assez la sym- une allure hallucinante dans ce cadre pathie, cela ne serait-il pas imputable à inusité et fantastique; de plus l'explo- l'atmosphère qui les écrase ? MAI 1963 65
3. Jugement d'ensemble Thèmes de réflexion Odds Against Tomorrow est certes 1. Les personnages sont-ils présentés un film à message, ce qui ne veut pas avec suffisamment de nuances et dire un film ennuyeux. Au contraire, ici, d'intérêt ? on a nettement l'impression que la signi- fication du film se dégage naturellement 2. Le conflit racial est-il intégré habi- d'une action en apparence banale mais lement au drame ? Sous quel an- solidement charpentée et traduite puis- gle est-il présenté ? samment dans un style percutant. Deux 3. Comment le réalisateur crée-t-il u- intentions majeures semblent se déga- ne atmosphère empreinte de réalis- ger du film : au plan individuel, pré- me symbolique ? senter une étude du préjugé raciste et de la haine incontrôlable qu'il engen- 4. Le montage ioue-t-il un rôle im- dre; au plan social, montrer les consé- portant dans le film ? quences désastreuses de la lutte suscitée par la haine. L'étiquette film policier 5. Le film a-t-il vraiment une portée est ici une enveloppe qui cache une sociale et idéologique ? oeuvre véritable et profonde. Gisèle Montbriand JOURNÉES DU CINÉMA TCHÉCOSLOVAQUE 14 AU 20 JUIN, À LA COMÉDIE CANADIENNE, MONTRÉAL Le Festival International du Film de Montréal vient d'inscri- re à son programme les journées du cinéma tchécoslovaque. Pen- dant sept jours, les cinéphiles auront l'avantage de voir 13 longs métrages et 25 courts métrages qui s'échelonnent de Telle est la vie (1929) jusqu'à Un jour, un chat qui vient d'être pré- senté au Festival de Cannes. Du célèbre Jiri Trnka, nous pour- rons voir Les vieilles Légendes tchèques. Ajoutons que la se- maine se terminera avec Le Baron de Crac qui a déjà connu un succès au dernier Festival International du Film de Montréal. 66 SÉQUENCES
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