Le paysage - Cité scolaire de Chantilly

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Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
le paysage
Le paysage, qui s’est constitué en genre autonome au XVIIème siècle, est un
chapitre important de l’histoire des arts. Sa présence se manifeste de façon
variable selon les civilisations et les époques et évolue aux rythmes des
innovations techniques de représentation de l’espace. Selon la manière dont
le paysage est représenté ou évoqué, il traduit et évoque la contemplation,
l’admiration ou la curiosité.
Le genre ne cesse de susciter l’intérêt des artistes contemporains qui le
sollicitent et participent à la synthèse de nouvelles perceptions de l’espace,
du temps et de l’environnement.

définition : qu’est-ce-qu’un paysage ?                 références
                                                       littéraires
I - historique d’un genre
                                                       cinéma
les prémices : de l’antiquité au moyen âge
                                                       film d’artistes
la renaissance : vers une tendance réaliste
                                                       glossaire
affirmation d’un genre à part entière
II - révolution du paysage
une réalité modifiée, renversée
au contact direct de la nature
paysages utopiques

dossier de médiation
Les dossiers de médiation sont consacrés à des thématiques spécifiques en lien avec
l’histoire de l’art et d’autres disciplines, ainsi que les œuvres et les artistes acquis par le
fracpicardie. Ils réunissent des textes et des commentaires comme premiers moyens de
documenter et situer les pratiques artistiques contemporaines.
Des cartels développés sur les œuvres et les artistes ainsi que des propositions d’ateliers
de pratique artistique autour d’un thème précis sont également disponibles sur
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Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
qu’est-ce-qu’un paysage ?                    I - historique d’un genre
Définition                                   les prémices : de l’antiquité
Etymologiquement, le terme « paysage »,
qui apparaît dans la langue française au     au moyen âge
XVIème siècle, signifie : étendue de pays.
                                             La période hellénistique
C’est :                                      Dans l’art de l’Orient ancien, le paysage
- « une étendue de pays que l’on             n’apparaît que comme décor de scènes
peut embrasser dans son ensemble »           de la vie civile ou militaire tandis que
(Larousse),                                  l’être humain reste le sujet central de                Renie SPOELSTRA, Misty Road, 2014.

 - « l’étendue d’un pays que l’on voit       l’art grec classique. L’intérêt porté au
d’un seul aspect » (Littré),                 paysage est peut-être la plus grande
- la « partie d’un pays que la nature        nouveauté de la période hellénistique :
présente à l’œil qui la regarde »            les peintres, à l’instar des poètes,
(Robert).                                    s’essayent à l’évocation pour les
                                             citadins des plaisirs de la campagne.
Le paysage est un chapitre important         Ils composent leurs paysages en
de l’histoire de l’art. Sa présence se       faisant varier l’intensité des couleurs
manifeste de façon variable selon            pour créer des effets de perspective.
les civilisations et les époques. Il         Les fresques retrouvées sur les murs
apparaît sous des formes diverses            des maisons de Pompéi en constituent
dans des œuvres à thèmes historiques,        un bel exemple.
                                                                                                    Vincent VAN GOGH, Paysage avec cyprès et arbres en fleurs,
religieux, commémoratifs. Il s’est aussi                                                            1889.
constitué en genre autonome, c’est-à-        Paysages idylliques
dire comme forme d’art reconnaissable        « Ces peintures ne représentent pas
à ses techniques et à son iconographie,      de sites précis ; on y voit réunis tous
mais de façon tardive et en restant          les éléments que comporte une idylle :
longtemps considéré comme mineur.            des bergers, des troupeaux, un temple
                                             rustique, des maisons de campagne et
Selon la manière dont le paysage est         des montagnes lointaines. Tout, dans
représenté ou évoqué, il traduit et/ou       ces peintures, est disposé d’une façon
suscite des sentiments aussi divers          charmante, et le peintre tire le meilleur
que l’admiration, le plaisir de s’évader     parti de chaque élément. Nous avons
ou de retrouver un lieu connu, le            vraiment       l’impression    d’assister
désarroi, l’inquiétude. Il est en effet      à une scène paisible. Et pourtant,
le lieu, à certaines époques plus que        ces peintures sont beaucoup moins
d’autres, d’interrogations sur les liens     réalistes qu’elles ne le paraissent à
qu’entretiennent l’humain et la nature.      première vue. Nous ne savons pas à
                                             quelle distance de la maison se trouve
Une histoire du paysage nécessite de         le temple et si le pont en est proche ou
retracer l’évolution des techniques de       éloigné. Nous serions incapables de
représentation de l’espace, celles qui,      dessiner un relevé topographique de
notamment, permettent de suggérer            l’endroit.
les différences de dimensions,               En effet, les artistes hellénistiques                  Georg BASELITZ, La forêt sur la tête, 1969.
l’éloignement et qui atteignent un haut      ignoraient les lois de la perspective. Ils
degré de perfectionnement en Europe          ne savaient pas faire fuir vers l’horizon
au XVème siècle avec l’introduction          une colonnade ou une allée d’arbres.
de la perspective géométrique. Elle          Les artistes dessinaient les sujets
balaye aussi l’ensemble des formes           lointains plus petits, plus grands les
sous lesquelles il est apparu et dont        objets proches ou les plus importants,
on ne mentionnera ici que les plus           mais la loi de la diminution progressive,
marquantes.                                  à mesure que grandit la distance,
                                             l’armature géographique où nous
                                             installons nos tableaux, étaient choses
                                             inconnues de l’Antiquité classique.
                                             Un millénaire devait s’écouler encore                  Paysage, 1er siècle ap. J.C., peinture murale - Rome Villa Albani.

                                             avant cette découverte. » (GOMBRICH, E. H.
                                             Histoire de l’art. Paris : Gallimard, 1987, p. 114.)
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
Le Moyen Âge                                 ouvrages le fruit de l’observation.
Au Moyen Âge, le paysage n’apparaît          Alors, paraît l’emploi du carnet de
dans la peinture et l’art, alors             croquis réunissant des esquisses de
essentiellement religieux, que de façon      plantes ou d’animaux choisis pour leur
accessoire, en arrière-plan : domaine        beauté ou pour leur rareté. » (GOMBRICH,
                                             E. H. Histoire de l’art. Paris : Gallimard, 1987, p. 218.)
féodal pour l’évocation des « travaux
et des mois », lieux de pèlerinage dans
les œuvres qui leur sont consacrées,         la renaissance : vers une
ou encore jardins de fleurs. D’une           tendance réaliste
manière générale, la végétation est
abondante mais avant tout symbolique         La Renaissance
et ornementale, comme on le voit par         La Renaissance innove en représentant
exemple dans les enluminures.                l’espace terrestre selon les règles
                                             d’une       perspective       construite
Episodes de la vie sacrée                    géométriquement. Cette méthode
« Il était courant au Moyen Âge              rationnelle permet de traduire de
d’illustrer des calendriers par des          façon réaliste l’espace tridimensionnel
représentations des travaux des mois :       sur un support plat, en prenant l’œil
semailles, chasse, moisson. Un               comme point de vue unique et dispositif
calendrier, annexé à un livre d’heures       de cadrage. Le paysage, dont la
qu’un riche duc de Bourgogne avait           représentation est ainsi profondément
commandé à l’atelier des frères              modifiée, ne figure encore souvent
Limbourg, permet de mesurer tout ce          qu’au second plan ; il témoigne dès lors
que les scènes de la vie réelle avaient      d’une curiosité topographique accrue                         Les Frères de LIMBOURG, Très Riches Heures du Duc de Berry : le
gagné en vivacité et en justesse                                                                          château de Saumur, vers 1412-1416, Chantilly, Musée Condé.
                                             et d’un lien profond à la nature.
d’observation depuis le temps du
Psautier de la reine Mary.                   Diversité des paysages
                                             « A l’aube du XVIème siècle, quelques
Car lorsque nous remarquons de               courants d’idées ouvraient au paysage
quelle manière l’artiste a situé sa          des voies nouvelles : le rêve de
scène devant une sorte de rideau             contrées inconnues, lié aux grandes
d’arbres que dominent les toits d’un         découvertes, le goût de la topographie,
grand château, nous nous apercevons          encouragé par la gravure d’illustration,
que nous sommes en fait loin de la           la littérature arcadienne en Italie. [...]
réalité. Cet art est si distant du récit     Un peu avant que la théorie artistique
symbolique des peintres antérieurs           reconnaisse dans le paysage un genre
qu’il nous faut faire un effort pour         à part entière, différents styles de
nous apercevoir que l’artiste n’est          paysages apparaissaient : le paysage
pas encore à même de représenter             cosmique, évocateur des nouvelles
l’espace dans lequel se meuvent ses          dimensions de la Terre, d’où son
figures et que, s’il obtient l’illusion de   allure imaginaire. [...] Cette voie est
la vie réelle, c’est plutôt grâce à une      frayée dès la fin du XVème siècle par
observation juste et minutieuse du           [Jérôme] Bosch, dont les vues de
détail. Ses arbres ne sont pas de vrais      la plaine hollandaise s’élargissent
arbres peints d’après nature, mais une       en visions fantasmagoriques. Les
rangée d’arbres symboliques et ses                                                                        Albrecht ALTDORFER, Paysage, vers 1526-1528.
                                             pays       germaniques      contribuent
visages eux-mêmes ne sont guère que          avec originalité à la naissance
des variantes aimables d’une formule         du paysage autonome [...] : les
unique. Pourtant, cet intérêt qu’il          paysages panoramiques offrent, au
porte à toute la splendeur joyeuse de        lieu de la nature pittoresque mais
la vie qui l’entoure montre bien que         domestiquée des Flamands, des plans
les idées de l’artiste concernant la         d’eau solitaires. Mais cette attitude
peinture et ses buts n’étaient plus du       préromantique, qui fait du paysage
tout celles du haut Moyen Age. Peu à         le véhicule des émotions du peintre,
peu, le centre de gravité s’est déplacé ;    loin de se traduire toujours par le
il ne s’agit plus de raconter un épisode     paroxysme expressionniste, revêt
d’histoire sacrée avec le maximum            aussi la forme d’une enquête patiente
de clarté et de puissance, mais de           sur la configuration des arbres ou des
représenter une scène de la vie réelle       rochers dans les paysages intimes de
aussi fidèlement que possible. Dès           [Lucas] Cranach le Jeune et d’[Albrecht]
lors, le métier d’artiste comportera         Altdorfer ou dans certains dessins
une tout autre science. Il faudra savoir     et gravures de [Albrecht] Dürer et de
étudier la nature et appliquer à ses
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
l’école du Danube. [...] Le rôle de l’Italie           la rigueur intellectuelle de [Nicolas]
dans l’essor du paysage fut plutôt de                  Poussin, les paysages de 1648-1650,
concevoir la participation de celui-ci                 ordonnés par un système de relations
à la scène comme le reflet d’un monde                  quasi mathématiques et ennoblis
harmonieusement orchestré. Chez                        d’édifices antiques, apparaissent
Léonard de Vinci, les bases en sont à                  comme l’expression de cette fois en
la fois scientifiques, philosophiques et               la raison qui confère au paysage la
artistiques, puisque écrits et dessins                 dignité des thèmes de l’Antiquité ou de
nous apprennent l’intérêt de celui-ci                  la fable. [...] A partir de 1655 environ,
pour les phénomènes optiques, son                      [...] Poussin y réintroduit les valeurs
acharnement à déchiffrer les secrets                   poétiques : celles de l’atmosphère,
                                                                                                              Nicolas POUSSIN, Paysage avec Saint Matthieu, 1640.
de la nature, considérée comme un                      celles de l’exubérance d’une nature à
être animé, et sa revendication de la                  laquelle l’homme se soumet. Affranchis
liberté imaginative du peintre.                        de toutes théories artistiques, les
Vers 1560-1570 apparaît aussi le                       Hollandais jettent sur la nature un
paysage dit « maniériste ». A la vie qui               regard neuf, sans mépriser ses aspects
animait les paysages « héroïques »                     les plus humbles, la campagne ou le
de Titien ou de [Pieter] Bruegel tend                  ciel gris, dont ils notent les moindres
à se substituer un paysage décoratif.                  nuances ; les panoramas eux-mêmes
Ainsi, dans la composition, on note                    ont pour source les plaines de Hollande
une préférence pour le schéma en                       [...] comme dans les gravures de
« V », qui encadre d’un premier plan                   Rembrandt. [...] La figure humaine, non
souvent sombre une perspective                         plus image mythologique ou sacrée,
claire... Simultanément, un autre                      mais image du peuple hollandais saisi                  Jacob VAN RUYSDAEL, Etang entouré d’arbres, 1665-1670.
type de paysage reflète les tendances                  dans sa vie quotidienne, se fond dans
intellectualistes du moment : les ruines.              le paysage. De 1680 à 1790, la veine
Dans la suite du dessin néerlandais                    paysagiste s’épuise, prolongeant
des environs de 1530, surgissent les                   dans une manière idyllique et factice
« fabriques » semées dans les paysages                 les grandes tendances de l’époque
de Véronèse [...] » (LAURIOL, Claude. « Paysage ».     précédente. L’Italie oscille entre un
In Dictionnaire des courants picturaux, tendances,
mouvements, écoles, genres du Moyen Âge à nos jours.   Classicisme « en mineur » et le goût
Paris : Larousse, 1990.)                               théâtral de Rosa. » (LAURIOL, Claude.
                                                       « Paysage ». In Dictionnaire des courants picturaux,
                                                       tendances, mouvements, écoles, genres du Moyen Âge
Autonomie du genre                                     à nos jours. Paris : Larousse, 1990.)
C’est au XVIIème siècle que le paysage
devient, d’abord en Europe du nord,                    Peindre en atelier
                                                                                                              Joseph MALLORD, William TURNER, Vapeur dans une tempête
un genre à part entière. En Hollande,                  Au XVIIIème siècle, la peinture du paysage             de neige, 1842.
Jacob Van Ruysdael, Albert Cuyp                        innove peu, prolongeant les grandes
ou Jan Van Goyen, s’y consacrent                       tendances de la période précédente.
exclusivement, privilégiant les sites qui              On citera néanmoins les nombreuses
leurs sont familiers et se spécialisant                productions des Vedutistes italiens
dans les vues de campagne, de dunes,                   (Canaletto, Francesco Guardi, Bernardo
de canaux, de marines ou dans les vues                 Belloto, etc.), liées à la demande des
de ville.                                              voyageurs venus de toute l’Europe et
Une conception différente du paysage                   qui associent un goût du détail précis à
se développe bientôt en Italie. Les                    des effets d’atmosphère et de coloris.
paysages d’Annibal Carrache puis de                    Leurs tableaux sont peints en atelier
Claude Gellée dit le Lorrain et Nicolas                à partir de notes prises à l’extérieur,
Poussin, grandes figures de la tradition               parfois à l’aide de camera obscura, et
classique française, se caractérisent                  donnent à voir sites et vues réels ou
par l’ordonnancement élégant et                        imaginaires.
rigoureux des éléments du tableau et                   En France notamment, la vogue des
par la présence d’édifices ou de ruines                « fêtes galantes » et des spectacles en
antiques.                                              plein air favorise par ailleurs les scènes
                                                       champêtres. Elles sont pourtant jugées
Pluralité des styles                                   inférieures par l’Académie de peinture
« Au XVIIème siècle, le foisonnement                   car elles ne requièrent ni maîtrise
du siècle précédent fait place à une                   poussée des lois de la composition ni
situation clarifiée selon trois lignes de              connaissances historiques.
force : le paysage idéal italo-français,
le naturalisme hollandais et le baroque,
représenté presque exclusivement par
[Pierre Paul] Rubens. En accord avec
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
Influence italienne                                Le romantisme
« Dans un genre seulement, l’art italien           « [...] Il ne semble pas excessif
s’est montré vraiment novateur au                  d’attacher à la période 1790-1860 le
cours du XVIIIème siècle. Il s’agit, et le         nom de Romantisme, dans le sens d’une
fait est assez caractéristique, de la              conscience commune de la nature
peinture et de la gravure de vedute,               qui domine l’homme [...] sous forme
de vues. Les voyageurs, qui, de tous               de paysages dramatiques, souvent
les coins du monde, affluaient en Italie           hostiles, nés des rêves passionnés de
pour en admirer les beautés, désiraient            l’artiste. [...] L’aquarelle, technique
souvent emporter des souvenirs de                  de la spontanéité, fait également son
leur séjour.                                       apparition. En Angleterre, Constable
A Venise qui, plus que toute autre ville           et son contemporain Turner vont                        Gustave COURBET, La falaise d’Étretat après l’orage, 1870.
italienne, offre au peintre des thèmes             travailler à partir d’une couleur pure
incomparables, se développa toute                  appliquée par touches discontinues
une école susceptible de répondre                  et seront plus préoccupés de rendre
à cette demande. [...] Comme les                   l’atmosphère du paysage qu’une
fresques de [Giovanni Battista] Tiepolo,           représentation strictement réaliste.
les peintures de [Francesco] Guardi                Les représentants de la veine
montrent que l’art vénitien n’avait                tourmentée sont [Eugène] Delacroix,
rien perdu ni de son sens du spectacle             mais surtout Paul Huet qui affectionne
ni de sa maîtrise dans le traitement               la mer déchaînée dans ses grands
de la lumière et de la couleur. [...] Il           tableaux. [...] Entre le romantisme le
a compris que l’impression générale                plus pathétique et le naturalisme de
d’une vue d’ensemble est essentielle               Courbet se situent les paysagistes de
et que le spectateur ne demande qu’à               Barbizon. La forêt de Fontainebleau,                   Paul CÉZANNE, Sainte-Victoire vue de la route du Tholonet,
                                                                                                          1895-1900.
laisser jouer son imagination pour en              qui les réunit vers 1827-1829, répond à
préciser le détail. » (GOMBRICH, E. H. Histoire    la fois à leur amour pour les Néerlandais
de l’art. Paris : Gallimard, 1987, pp. 444-445.)
                                                   du XVIIème siècle et à celui des motifs «
                                                   sublimes » - landes sauvages, arbres
affirmation d’un genre à                           gigantesques, étangs mélancoliques
                                                   - mais que ces artistes traitent avec
part entière                                       un extrême souci de vérité, exécutant
                                                   leurs esquisses à l’huile en plein air.
Traduire le monde
                                                   Tous excellent dans l’étude des effets
Au XIXème siècle, c’est au romantisme
                                                   momentanés de lumière […]. Les
que revient de libérer le paysage de
                                                   impressionnistes se réclameront aussi
l’idéalisation propre aux réalisations                                                                    Pierre BURAGLIO, Les Sainte-Victoire de Z, 1986.
                                                   de [Gustave] Courbet, associé par le
antérieures. Empreint d’une forte
                                                   public aux artistes de Barbizon, bien
tension émotionnelle, celui-ci devient
                                                   qu’il ait surtout travaillé isolément.
le véhicule des sentiments de l’artiste.
                                                   L’originalité des paysages de ce peintre
Alors que l’introduction de la technique
                                                   est le refus de toute effusion comme
de l’aquarelle permet aux artistes de
                                                   de toute référence à la tradition ; plus
travailler en extérieur et favorise la
                                                   qu’à l’atmosphère, Courbet s’intéresse
spontanéité, les Anglais explorent des
                                                   à la matérialité des choses. [...] En
voies différentes : rendu « réaliste »
                                                   marge de tous ces mouvements,
des vues de campagne chez John
                                                   Corot a su concilier une immédiateté
Constable, visions « cosmiques » du
                                                   de vision par laquelle il s’apparente à
paysage chez William Turner. Dans
                                                   ses contemporains. Dans les études
leur peinture, le sujet s’efface devant
                                                   de petits tableaux exécutés pour lui-
la recherche technique, mais aussi
                                                   même et ses amis, il ne retient que
devant la volonté de traduire par des
                                                   l’essentiel. » (LAURIOL, Claude. « Paysage ».
couleurs le monde des idées et des                 In Dictionnaire des courants picturaux, tendances,
sentiments.                                        mouvements, écoles, genres du Moyen Age à nos jours.
                                                   Paris : Larousse, 1990.)
Avec Jean-Baptiste Camille Corot en
France, les études d’après nature,
auparavant modèles destinés à
composer dans l’atelier de vrais
paysages, acquièrent le statut
d’œuvres à part entière. Quant aux
paysages des peintres de l’école de
Barbizon, ils gardent une part de
la spontanéité des esquisses qu’ils
réalisent en plein air dans la forêt de
Fontainebleau.
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
pittoresques auxquels il arrivait firent
II - révolution du paysage                             qu’on lui pardonna assez rapidement
                                                       la manière dont il avait dissous la
                                                       forme sculpturale. Par ailleurs, les
une réalité modifiée, renversée                        nuages, la vapeur, le brouillard,
                                                       l’eau et l’atmosphère n’étaient pas
Les impressionnistes
                                                       supposés avoir de forme définie et
Avec les Impressionnistes, l’approche
                                                       par conséquent, ce que nous prenons
du paysage est profondément
                                                       maintenant pour une démarche
modifiée. Quittant leurs ateliers, ils
                                                       audacieuse vers l’abstraction n’était à
saisissent dans l’immédiateté des
                                                       l’époque qu’un fait de naturalisme.
heures et des saisons les vibrations                                                                                  Piet MONDRIAN, Pommier en fleurs, 1912.
                                                       La même remarque s’applique à
des couleurs, s’intéressant avant tout
                                                       la dernière période de Monet. Les
à la fragmentation de l’image par la
                                                       couleurs chatoyantes satisferont
lumière.
                                                       toujours le goût commun et seront
Plusieurs artistes participeront du
                                                       donc toujours plus ou moins acceptées
dépassement de ce courant : Paul
                                                       comme substitut à la vraisemblance. »
Cézanne qui, en géométrisant les                       (FERRIER, Jean-Louis. « Greenberg : le tableau en tant
phénomènes et formes de la nature en                   que champ ». In L’aventure de l’art au XXème siècle. Paris :
                                                       Chêne, Hachette, 1988, p. 519.)
facettes, annonce les développements
cubistes, Georges Seurat par le
                                                       S’émanciper du réel                                            Olivier DEBRÉ, Signe Paysage, 1974.
divisionnisme des couleurs, Vincent
                                                       Si l’abstraction fournit ensuite les
Van Gogh et son expressionnisme
                                                       expressions les plus originales du
coloré ou encore Paul Gauguin puis
                                                       genre paysage – Wassily Kandinsky,
les fauves qui utilisent les couleurs de
                                                       Piet Mondrian et d’autres encore –,
façon arbitraire.
                                                       la veine figurative ne tarit pas pour
                                                       autant. En témoignent notamment les
Traduction instantanée
                                                       paysages naïfs et surréalistes.
« La première conquête des
impressionnistes est la spontanéité
                                                       L’abstraction géométrique
de la sensation dans la clarté du
                                                       « [...] Seul Mondrian, prenant pour
plein air. Entre 1864 et 1870, [Claude]
                                                       point de départ de sa théorie des
Monet, [Camille] Pissarro et [Alfred]
                                                       relations pures les horizontales et les
Sisley observent les variations des
                                                       verticales du paysage, accomplit entre
couleurs locales selon l’environnement
                                                       1912 et 1914 la logique du Cubisme. Mais
et découvrent le principe des ombres
                                                       l’abstraction géométrique abandonne
colorées, qu’ils appliquent, entre
                                                       vite toute référence à la nature [...]
autres, aux effets de neige. [...] C’est
                                                       grâce aux théories et à l’exemple
entre 1869 et 1875 que Monet et
                                                       de Kandinsky dès 1909. [...] [C]hez
Pissarro, notant les reflets sur la Seine,
                                                       les « paysagistes non figuratifs »,
en particulier à Bougival, parviennent à
                                                       la dislocation ultime de l’espace
une dissociation vibrante de la touche                                                                                chantalpetit, Sans titre de la série Hölder Nil, 1998.
                                                       (croisements de lignes de force chez
- en virgules ou en points de plus en
                                                       [Maria Helena] Vieira da Silva, nœud de
plus menus - qui décompose la lumière
                                                       rythmes chez [Alfred] Manessier, chaos
solaire selon les couleurs pures du
                                                       primordial chez [Jean] Dubuffet). D’où
prisme, mais qui permet, par l’accord
                                                       le lyrisme de plus en plus intense de la
des complémentaires, la reconstitution
                                                       couleur, si remarquable en particulier
à distance de l’impression première. En
                                                       chez [Nicolas] De Staël, le plus grand
1873, Sisley et Cézanne adhèrent à ce
                                                       paysagiste récent.
mode révolutionnaire. » (LAURIOL, Claude.
« Paysage ». In Dictionnaire des courants picturaux,   [...] Négation brutale des recherches
tendances, mouvements, écoles, genres du Moyen Age     de profondeur et de reproduction
à nos jours. Paris : Larousse, 1990.)
                                                       des apparences au profit d’un
                                                       jeu de signes synthétisant les
La lumière de William Turner
                                                       rapports entre esprit et nature,
« Ce fut en fait William Turner qui, le
                                                       telle semble l’ultime conséquence
premier, rompit de manière significative
                                                       de l’Abstraction, qu’elle soit de
les conventions d’ombre et de lumière.
                                                       nuance expressionniste ou de nuance
Dans la première période, il groupait
                                                       géométrique, comme si le paysage
les intervalles de valeur à l’extrémité
                                                       devenait « l’espace du dedans ». »
claire de la gamme de couleurs pour                    (LAURIOL, Claude. « Paysage ». In Dictionnaire des
montrer comment la lumière du ciel,                    courants picturaux, tendances, mouvements, écoles,
                                                       genres du Moyen Age à nos jours. Paris : Larousse,
ou tout autre phénomène lumineux,                      1990.)
tendait à estomper les demi-teintes
et les nuances d’ombre. Les effets
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
L’abstraction lyrique                                       Ce qui est détruit ici, c’est la notion
«     [L’abstraction    lyrique      est                    immémoriale, reprise par le cubisme,
l’]   expression     employée      pour                     du bord du tableau comme limite :
désigner, en opposition à l’abstraction                     avec Newman, le bord du tableau est
géométrique       ou   constructiviste,                     répété à l’intérieur, il fait le tableau
la tendance à l’expression directe                          au lieu d’être simplement redoublé.
de l’émotion individuelle. […] C’est                        Les bords des plus grandes toiles
vers 1947, dans la jeune génération                         fonctionnent exactement comme les
de l’école de Paris d’après-guerre,                         lignes à l’intérieur : diviser mais non pas
que l’opposition aux contraintes                            séparer, enfermer ou borner ; délimiter
géométriques s’est généralisée et qu’un                     et non limiter. Les tableaux ne se                     Richard LONG, Four Days and Four Circles (Quatre jours et quatre
fort courant d’Abstraction lyrique s’est                    fondent pas dans l’espace environnant ;                cercles), 1994.

développé sous des aspects divers. »                        ils gardent - lorsqu’ils sont réussis -
(BREUILLE, Jean-Philippe, Dictionnaire de peinture et
sculpture, l’art du XXème siècle, Larousse, 1991, p. 16).   leur intégrité et leur unité propre. Mais
                                                            ils ne se dégagent pas non plus de
La nature ressentie chez Olivier                            l’espace comme autant d’objets isolés ;
Debré                                                       en bref, ce ne sont pratiquement pas
Olivier Debré, un des représentants                         des peintures de chevalet - et pour
français de l’abstraction lyrique - aussi                   cette raison, ils échappent à la notion
appelé par ce dernier « abstraction                         d’ « objet » (et d’objet de luxe)
fervente » -, réalise au sein même du                       qui s’attache de plus en plus à ce
paysage de grands formats peints où la                      type de peinture. En définitive, les
couleur et la matière s’expriment dans                      tableaux de Newman doivent être
de grands champs monochromes.                               vus comme champs. » (FERRIER, Jean-
Sensible à l’atmosphère, la lumière, les                    Louis. « Greenberg : le tableau en tant que champ ».
                                                            In L’aventure de l’art au XXème siècle. Paris :
couleurs et aux saisons qui rythment                        Chêne, Hachette, 1988, p. 519.)
la nature, l’artiste matérialise les
émotions suscitées au contact des pays                      au contact direct de la nature
qu’il traverse ou des bords de Loire.
Dès 1953 c’est ces « signes paysages »                      Les Land artistes
qui rendent comptent de cela.                               « En français [« Land Art » signifie]
« L’espace ouvert est structuré en                          approximativement « art du paysage »
couleurs comme il l’était en formes.                        ou « art de plein air ». Dans les
Libéré, il se prolonge au-delà de la                        déserts américains ou dans d’autres
toile, poussant les couleurs vers les                       lieux abandonnés, des artistes
bords où elles s’y accumulent en                            prennent, dans les années 60, le parti
ponctuations. Ces empattements                              d’interventions sur la nature elle-
sont comme des signes. […] Le voyage                        même ou d’installations en plein air.
mêle impressions physiques, culture                         De grandes dimensions, en osmose
et esprit du lieu. Au-delà du folklore                      avec le site, voulant transformer
il subit l’endroit. Chaque œuvre est la                     celui-ci par l’art contemporain. Les
transposition du lieu où elle est créée,                    artistes sortent de leur atelier, comme
elle incarne sa propre émotion. »                           l’avaient fait un siècle plus tôt, les
(MOZZICONACCI, Jean-François, Olivier Debré,
rétrospective 1943-1993. Editeurs : musées de               impressionnistes, ou, un siècle et demi
Montbéliard/Valence/Ajaccio/Théâtre   de Saint-
Quentin en Yvelines, 1993, pp.13-14.)                       auparavant, les nomades du Far West ;
                                                            comme eux, les land artistes partent
Le Color field américain                                    à la conquête de terres vierges.
Du côté de la peinture américaine les                       Leurs constructions minérales, voire
grandes surfaces colorées se déploient                      végétales, sont souvent des traces
sous le terme du critique Clément                           éphémères, dans la neige par exemple.
Greenberg par Color field. « La chaleur                     Et autant en emporte le vent, mis
sombre de la couleur dans les peintures                     à part la pérennité des matériaux
de [Barnett] Newman, [Mark] Rothko                          préparatoires et des photographies
et [Clyfford] Still estompe les valeurs                     postérieures. L’arrière-pensée est
et donne à la surface une planéité                          souvent conceptuelle. La première
nouvelle, qui vibre et respire. Rompues                     exposition a lieu à New York en 1967. »
                                                            (DELARGE, Jean-Pierre, Dictionnaire des arts
par relativement peu d’accidents                            plastiques modernes et contemporains. Editions
de dessin ou de composition, les                            Gründ, Paris, 2001, p. 701.)

surfaces exhalent la couleur avec un
effet enveloppant accru par le format
même du tableau. On réagit à un
environnement autant qu’on réagit
à un tableau accroché au mur. […]
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
Modifier le paysage                        pittoresque. La Spiral Jetty (1970) vous
« Le rapport que les artistes du Land      entraîne en spirale dans le paysage,
Art entretiennent avec le paysage          en encadrant des perspectives sur le
est complexe. […] Mais, négatif ou         paysage, et vous amène aussi à vous
positif, ce rapport au paysage est de      concentrer sur sa structure interne, à
toute façon privilégié dans la mesure      mesure qu’elle se love sur elle-même. »
                                           (TIBERGHEIN, Gilles, « Paysages, de près, de loin ». In
où ces artistes interviennent dans         Land Art. Paris : Editions Carré, 1993, pp. 199-208.)
un environnement naturel qu’ils
modifient, si peu que ce soit, de façon    Habitué au déplacement d’immense
délibérée.                                 masse de terre pour ses réalisations,
                                                                                                     Robert SMITHSON, Spiral Jetty, 1970.
                                           en 1970, Robert Smithson construit
Le premier paysage est celui que l’on      cette spirale de 450 mètres à l’aide de
voit d’une fenêtre, celui qu’un cadre      galet de roche balsamique noire. Dans
découpe, prélève sur le pays. […]          le grand lac salé de l’Utah aux Etats-
Comment alors les artistes du Land         Unis, la terre est comme une extension
Art, avant de modifier cette vision, se    qui témoigne de la croissance
confrontent-ils au paysage lui-même ?      organique, d’un caractère intemporel.
L’une des fonctions primordiales de        Les photos qui rendent comptent
l’art fut de « schématiser » notre         de la scène originale de ce « site-
regard, de lui fournir une forme de        sculpture » témoignent du façonnage
représentation de la nature variable       du paysage qui détermine une nouvelle
selon les époques et les cultures, qui     définition du lieu. Le paysage est rendu
détermine notre jugement esthétique.       pittoresque par son prolongement qui
On peut, de ce point de vue, considérer    renforce la puissance de la nature.
les jardins comme une « application »
de ces schèmes, qu’un certain nombre       Faire l’expérience d’un lieu
d’artistes du Land Art n’ont fait que      « Pour les autres, le paysage est devenu
reconduire sous d’autres formes, mais      le lieu d’une expérience, intellectuelle,
dans une perspective toute classique.      perceptible et sensible. Plus qu’un
Et c’est vrai que Nancy Holt, Christo,     objet de contemplation, il fut un
Walter De Maria, des premiers travaux      simple partenaire esthétique. Plus les
éphémères de [Michael] Heizer et de        œuvres des artistes ont un caractère
Jan Dibbets ou des photographies de        durable, moins compte pour elles
Richard Long. On a parlé de ce dernier     leur inscription dans le paysage. Cela
comme d’un « paysagiste », c’est-à-dire    ne signifie pas pour autant qu’elles
un artiste qui construit une vision du     ne s’y intègrent pas avec harmonie,
paysage. Et c’est bien de construction     puisque tout, au contraire, contribue
qu’il s’agit en effet, puisque les         à les mettre en valeur, le chemin qui
photographies des lieux où prennent        y conduit, l’horizon sur lequel elles se
place ses cercles ou ses alignements       découpent, la couleur de la terre ou de
sont accompagnées d’un ensemble            l’eau, ou la position du soleil dans le
d’informations, toponymes, mesures         ciel. En retour, elles fixent ces espaces
indiquant l’altitude ou la distance, qui   qui cessent d’être des étendues
en constituent en quelque sorte les        traversées, pour devenir des paysages
instruments, en permettent en tout         œuvrés. […].
cas la « lecture » […].
On a pu considérer la démarche             Parfois, devant l’immensité des
des artistes du Land Art comme la          espaces, la grandeur des œuvres,
manifestation d’un intérêt renouvelé       on se prend à songer au sublime. Le
pour le pittoresque et pour la « mise      pittoresque, intermédiaire entre beau
en scène », déjà d’ailleurs cultivée par   et sublime, peut-être associé tantôt
le minimalisme. Richard Serra, quand       à l’un, tantôt à l’autre, de sorte que
on lui demande si l’objet sculpturale      l’on peut aussi bien parler d’un beau
dans le paysage ne joue pas vis-à-         pittoresque que d’un pittoresque
vis de celui-ci le rôle de cadre ou de     sublime. Ce n’est pas des objets
socle, répond qu’en effet il devient       cependant que naît ce sentiment
un élément de définition du paysage,       de sublime, mais des idées qu’ils
mais pas un cadre : »Si vous utilisez      évoquent. Le jugement par lequel
le mot « cadre » par rapport au            nous déclarons un paysage sublime
paysage, vous introduisez une notion       constitue une manière de penser et non
de pittoresque », ce qui, ajoute-t-il,     d’appréhender […] » (Ibid., pp. 217-219.)
ne l’a jamais préoccupé. Il poursuit :
« [Robert] Smithson s’intéressait au
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
Christo et Jeanne-Claude                    du monde de l’art. Ces avancées
Christo et Jeanne-Claude, couple            technologiques ont permis aux artistes
d’artistes rendu célèbre pour leurs         d’exploiter les nouveaux médias et d’en
projets paysagés d’empaquetages,            faire les outils de leurs réalisations.
réalisent des œuvres éphémères              Le genre du paysage n’échappe pas
notamment au sein d’environnements          à cette nouvelle forme d’expression
naturels comme l’illustre l’œuvre           artistique et vit aussi une expansion.
Surrounded Islands, réalisée en 1980-       Les paysages numériques deviennent
1983. Onze îles, qui s’étendent sur onze    le reflet de nouveaux questionnements
kilomètres de la baie de Biscayne à         et d’utopies.
Miami, sont entourées d’un plastique
rose fuchsia. L’intervention à l’échelle    Images numériques
de la nature est pour ces artistes un       « Les premières expériences de création
moyen de redéfinir le paysage par un        d’images numériques, notamment
changement radical. Le paysage et les       celles de l’artiste américain Charles
éléments le constituant sont mis en         Csuri, illustrent parfaitement certaines
scène pour en révéler la structure, la      des caractéristiques fondamentales du
forme et la grandeur.                       médium informatique, en particulier
                                            la possibilité de répéter une forme
Atteindre le sublime                        grâce à une fonction mathématique.
« D’ailleurs, et plus généralement,         SineScape (1967) est un dessin au trait
l’échelle et l’immensité des paysages       d’un paysage que Csuri a numérisé                       Christo et Jeanne-Claude, Surrounded Islands, 1980-1983.

américains dans lesquels se trouvent        puis modifié à l’aide d’une fonction
les œuvres de [Michael] Heizer,             d’onde selon une procédure répétée
[Robert] Smithson, [Walter] De              une dizaine de fois. A l’issue de ce
Maria ou Nancy Holt les associent           processus d’abstraction, le paysage
immédiatement au sublime et cela            apparaît comme une notation de
en raison du rapport qui peut exister       ses propres caractéristiques. » (PAUL,
                                            Christine. L’art numérique. Editions Thames & Hudson,
entre l’œuvre et le paysage, dont           collection l’univers de l’art, 2004, pp. 27-28.)
l’immensité, pour reprendre la formule
de Kant, nous donne le sentiment de         Révolution technologique
ce qui est « grand absolument ». C’est      « Les années 1990 ont connu une
quand la nature est transformée en          accélération sans précédent du                          Walter DE MARIA, The lightning field, 1974.

théâtre que le sublime peut s’imposer       développement technologique du
à nous en désorganisant tout à coup ce      médium numérique au point que l’on
que l’art avait réussi à stabiliser dans    a parlé de « révolution numérique ».
un équilibre tendu avec elle. Entre         […] Les artistes ont toujours été parmi
la forme et ce qui la produit, il s’agit    les premiers à réfléchir sur la culture
d’une inadéquation qui concerne au          et la technologie de leur époque, et
premier chef la représentation elle-        ils n’ont pas attendu la proclamation
même. » (Ibid., p. 224.)                    officielle de la révolution numérique
                                            pour utiliser ce nouveau médium. […]
Walter De Maria                             La véritable nouveauté réside dans le
La notion contemporaine du sublime          degré de développement auquel la                        Charles CSURI, SineScape, 1967.
est illustrée dans l’œuvre The lightning    technologie numérique est parvenue,
fiel (1974) de Walter De Maria. Dans        ouvrant ainsi des perspectives
un champ isolé du Nouveau Mexique,          radicalement nouvelles à la création et
quatre cents poteaux d’acier sont           à l’expérience de l’art. » (Ibid., p. 7.)
dressés dans un rituel géométrique          « Publié pour la première fois dans la
mesuré pour attirer la foudre. Par la       revue New Landscape Architecture en
mise en scène de la dangerosité et          2016, « Lanscape Without Design ! »
des intempéries de la nature, l’artiste     est le manifeste de la révolution
théâtralise le paysage. La puissance,       paysagiste numérique du XXIème
l’immensité et l’obscurité participent      siècle […]. [Mais il ne faut] pas nous
de cet effet. Par expansion de l’art, les   faire oublier que l’essentiel de sa
artistes cherchent une harmonie entre       doctrine pour un renouveau radical
leurs interventions et l’environnement,     de la conception paysagiste trouve
entre l’art et la nature.                   son origine dans la contestation, au
                                            nom des outils informatiques, de la
paysages utopiques                          pratique du dessin telle qu’enseignée
                                            encore à cette époque dans les écoles
L’apparition au début des années            d’art, d’architecture et du paysage.
1960 et la diffusion croissante de          […] Le projet de paysage porte sur
l’informatique a provoqué une véritable     un site donné. Il faut commencer
révolution dans l’épanouissement            par représenter ce site pour pouvoir
Le paysage - Cité scolaire de Chantilly
dessiner le projet. Or aucune carte                       découpage horizontal du site et surtout
ne peut prétendre représenter                             par une approche plurielle du temps et
parfaitement un site, puisque toute                       de l’espace. […] Comment comprendre
carte est une abstraction de la réalité                   le paysage immersif de Michel Paysant ?
spatiale. » (MAC GOOGLE, Philip-C. « Le paysage           Nous sommes là devant et dedans.
sans le dessin ». In Du dessin, Les carnets du paysage,
actes sud et l’école nationale supérieure de paysage,     Par son échelle dont il se présente
2013, pp. 65-67.)                                         à nous, il semble pensé pour être
                                                          parcouru aisément d’un regard,
Paysage graphique de Kristina                             du moins il ne s’y soustrait pas. »              Kristina SOLOMOUKHA, Paysage économique, 2001.
Solomoukha                                                (BEAUD, Marie-Claude et MINIGHETTI, Clément,
                                                          Nusquam, « Michel Paysant », Mudam Luxembourg,
C’est par l’étude du territoire que                       2009, pp. 9-13.
s’amorce la création de Paysage
Economique (2001) de Kristina                             A l’aide d’un oculomètre, qui enregistre
Solomoukha. Le paysage, au cœur de                        le mouvement de ses yeux, il redessine
ses réflexions artistiques, traité avec                   les lignes et les contours de paysages
l’emploi d’outils informatiques tend                      ou de sujets. Dans ses réalisations …
vers une nouvelle dimension.                              et après (2011) il soumet à son regard
« Telle une cartographe elle échafaude,                   des œuvres de maîtres (dessins et
détaille et décortiques le paysage                        peintures), comme celle de Caspar
urbain et tout ce qui constitue ses                       David Friedrich, afin d’en tirer un dessin
marges, ses espaces abandonnés,                           vectoriel retranscrivant les lignes du           Caspar David FRIEDRICH, Souvenir dans le massif des géants, 1835.
ses friches, privilégiant toujours la                     parcours de ses yeux sur le tableau.
représentation du territoire à celle de
l’architecture. Comme l’indiques son                      Paysages éveillés
titre, Paysage Economique, ce dessin se                   Si le paysage est changeant
manifeste par sa simplicité apparente,                    dans le temps, au rythme de ses
son emploi répétitif et machinal de                       transformations ou des saisons, son
ligne et du trait. Paysage Economique                     image, sa représentation reste figée sur
a pour origine un graphique                               le moment de sa captation. Au sein des
représentant les courbes économiques                      arts numériques qui se développent au
en relation avec un territoire                            début des années 1960, la vidéo occupe
                                                                                                           Michel PAYSANT, FRIEDRICH et après, 2013.
géographique donné, selon une source                      une place importante et permet de
précise et scientifique réalisée par                      déjouer cet aspect. Les artistes s’en
ordinateur que l’artiste redessine, de                    saisissent alors pour animer, explorer,
mémoire et à la main, brouillant les                      décortiquer les environnements qui
différentes lectures possibles entre                      retiennent leur attention et donner
le graphique et la représentation                         naissance à de véritables paysages
d’un paysage montagneux. […]                              éveillés.
Inspiré des cartographies et autres
relevés topographiques, Paysage                           Les jardins de Hans Op de Beeck
Economique plagie le tracé mécanique                      Par le biais de la vidéo, l’artiste belge
de l’ordinateur pour finalement créer                     Hans Op de Beeck crée un panorama
une image en trois dimensions toute en                    en mouvement de différents jardins
courbes, en relief quasi-géographique.                    dans son œuvre Garden of Loss (2004).
[…] La réflexion sur le paysage                           Les aquarelles ou photographies                  Hans OP DE BEECK, Garden of loss, 2004.
romantique et sublime s’estompe                           de l’artiste qui représentent des
au profit d’une recherche active et                       jardins à la française, à l’italienne ou
sociologique du territoire. » (STAEBLER,                  à l’anglaise, s’enchainent par plans
Claire, « Kristina Solomoukla ». In Landscope, le
paysage et le dessin contemporain, Black Jack éditions,   successifs. L’outil numérique permet
2008, p. 70.)                                             aussi à Hans Op de Beeck de jouer
                                                          avec la modulation des contrastes
Les paysages immersifs de Michel                          et de luminosité de chaque plan afin
Paysant                                                   d’accentuer planéité et profondeur,
Chez Michel Paysant, seules les lignes                    noir et blanc et rappeler la présence
de force composent ses paysages et                        et l’intervention humaines au sein de
décontextualisent l’environnement vers                    la nature.
une autre lisibilité.
« Michel Paysant interroge les lieux                      Catharina      Van     Eetvelde    :
et les choses. Il s’y emploie avec un                     Cartographier le paysage
véritable sens scientifique de l’art. Sa                  Le support vidéo est également
pratique révèle de l’archéologie mais                     une possibilité pour faire dérouler
aussi de la science […]. Il progresse par                 le paysage chez Catharina Van
prélèvements et nomenclatures, par                        Eetvelde. La vidéo Slice (2005-2007)
présente en partie supérieure la                           par les régions françaises comme la
coupe longitudinale d’un territoire                        Bretagne. Et pourtant les paysages
indéterminé sur lequel progresse un                        qui se succèdent sont plausibles
curseur. En partie inférieure plusieurs                    et tendent vers un environnement
vues plus détaillées de cette frise se                     global. Par l’image, grâce au réseau
développe. Comme une géomètre,                             internet et à ses applications de plus
par le dessin vectoriel, elle dresse                       en plus sophistiquées, Julien Lévesque
la cartographie d’un environnement                         propose un constat des territoires
impersonnel où la neutralité du                            à l’échelle du monde, un paysage
traitement technique en fait un                            universel.
continent ou un microcosme inexploré.                      « Cette œuvre, lorsqu’elle est projetée               Catharina VAN EETVELDE, Slice, 2005-2007.
                                                           en divers endroits de la planète est
Paysages connectés                                         un paysage partagé. Sans omettre
Les nouvelles technologies sont                            que nous visitons, bien souvent
aussi un moyen pour les artistes de                        simultanément les mêmes lieux qui
se connecter davantage au monde                            pourtant nous apparaissent déserts
dans lequel ils évoluent. L’invention                      au sein de nos navigateurs. Inabrités,
d’internet dans les années 1960, puis sa                   comme le sont les citées idéales
popularisation dans les années 1990, a                     autrefois commanditées par les
largement touché le champ artistique.                      humanistes en quête d’utopie » (MOULON,
                                                           Dominique. « Les pratiques numériques d’un art
Le réseau informatique qui permet                          contemporain ». In L’art dans le tout numérique,
une connexion à l’échelle mondiale                         artpress 2, trimestriel n°29, juillet 2013, p. 19.)
                                                                                                                 Julien LEVESQUE, Street Views Patchwork, 2009.
en temps réel donne naissance à de
véritables œuvres partagées, comme                         Avec les nouveaux-médias, les
des paysages connectés.                                    créateurs ont le pouvoir de se
« Peut-on imaginer qu’en regardant un                      réapproprier l’image issue de la réalité
paysage, nous voyions simultanément,                       et de l’emmener ailleurs. L’intervention
en palimpseste, toutes les visions de                      numérique fait basculer le paysage
ceux qui l’on traversé - comme c’est le                    vers une vision fantastique et utopique
cas aujourd’hui dans Google Maps, une                      pour une réorientation totale de
fois que l’on active le mode « photo » ?                   l’image.
La perception n’est pas immuable, elle
est soumise à l’histoire, elle aussi :                     références
Walter Benjamin nous l’a rappelé,
peut-être avec plus d’insistance que
quiconque. Mais avant même d’engager
                                                           littéraires
une historicité des appareils de la
                                                           Lord BYRON, Elle marche dans la
sensibilité, cette historicité engage
                                                           beauté, écrit en 1814
la temporalité de toute perception :
ce que nous voyons dans le temps et
                                                           Extrait
c’est grâce au renouvellement continu
                                                           « I. Elle marche dans sa beauté,
du relief sensible que celui-ci gagne
                                                           semblable à la nuit des climats
en champ ; dans la perception, ce qui
                                                           sans nuages et des cieux étoilés ;
fut à l’instant s’efface pour mieux faire
                                                           tout ce qu’ont de plus beau la lumière et
place à ce qui vient. » (MAC GOOGLE, Philip-C.
« Le paysage sans le dessin ». In Du dessin, Les carnets   l’ombre est réuni dans ses traits et dans ses
du paysage, actes sud et l’école nationale supérieure de   yeux,brillantdecesmollesettendresclartés
paysage, 2013, p. 53.)
                                                           que refuse le ciel à la splendeur du jour.
L’environnement universel chez
                                                           II. Une ombre de plus, un rayon de
Julien Lévesque
                                                           moins diminuerait de moitié cette grâce
Julien Lévesque convoque l’outil
                                                           ineffable qui ondoie dans les tresses de
internet pour la réalisation de son
                                                           sa noire chevelure, ou éclaire doucement
œuvre Street Views Patchwork réalisées
                                                           ce visage où des pensées d’une sérénité
en 2009. Elle se déploie sur onze
                                                           suave disent combien est pure cette
tableaux et chacun d’entre se compose
                                                           demeure, combien elle leur est chère.
de quatre bandes horizontales
superposées les unes sur les autres
                                                           III. Et sur cette joue, et sur ce front si doux,
pour offrir une vue spécifique. A
                                                           si calme, si éloquent, ce sourire séduisant,
l’aide de l’outil google street view, il
                                                           ces teintes animées, annoncent des jours
présente l’état des lieux en temps réel
                                                           passés dans la vertu, une âme en paix avec
de quatre paysages du monde entier :
                                                           tous, un cœur dont l’amour est innocent ! »
de l’état américain de l’Utah, jusqu’à
la Finlande ou le Japon en passant
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