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112 Réacteurs de 4ème génération Éléments d’analyse des technologies et perspectives Par Didier PILLET Ingénieur général des Mines, Conseil général de l’Économie Alors que le déploiement de réacteurs nucléaires, dits de « troisième génération », amorce son démarrage au niveau mondial, notamment avec les réacteurs EPR de Taishan 1 et 2 récemment raccordés au réseau chinois, les études sur les réacteurs dits de « quatrième génération » se poursuivent au sein du forum « Génération IV ». Ce forum, regroupant 14 pays, a amorcé ses travaux en 2000, avec l’objectif d’identifier les meilleures solutions susceptibles de répondre aux nombreux défis posés, en ce début de XXIe siècle, en matière d’énergie et de climat, avec, en toile de fond, la possible raréfaction des ressources en uranium fissile (235U) d’ici à la fin de ce siècle. Dans cet article, après une présentation des différentes technologies en lice dans le cadre de ce forum « Génération IV », un focus particulier sera fait sur les travaux d’ores et déjà réalisés au sein du projet ASTRID, ainsi que sur les conditions de déploiement des RNR-Na envisagé en France, dans le cadre de ce projet, compte tenu notamment de la décision récente de reporter le déve- loppement d’un démonstrateur au-delà de 2050. Introduction la seconde période, amorcée au début des années 1970, que les réacteurs électronucléaires commerciaux, ceux de Après un bref rappel historique des étapes du déploiement la « génération II », ont vu le jour et se sont rapidement du nucléaire civil au niveau mondial, cet article évoquera déployés dans les deux à trois décennies qui ont suivi. les raisons qui ont conduit aux études menées autour des réacteurs dits de « quatrième génération », et, en particu- Vers la fin des années 1990, ces réacteurs constituaient lier, celles conduites dans le cadre du forum « Génération la quasi-totalité des réacteurs alors en fonctionnement, IV » (en anglais GIF pour : Generation IV international fo- lorsque la nécessité de relancer l’activité nucléaire s’est rum). Seront ainsi passées en revue les six technologies imposée au niveau mondial. Cette relance du nucléaire est retenues dans le cadre de ce forum, en examinant tout intervenue après une période de stagnation et d’interroga- particulièrement la question des réacteurs rapides au tion, qui, elle-même, avait fait suite aux accidents interve- sodium (RNR-Na), technologie dans laquelle la France nus à Three-Mile Island (1979), d’une part, et à Tchernobyl s’est investie, notamment à travers sa participation active (1986), d’autre part. Les raisons de cette relance étaient dans le projet ASTRID. Nous analyserons également com- multiples. Il s’agissait notamment, avec cette « troisième ment le déploiement de ces technologies peut s’envisager génération » de réacteurs (GIII) : 1) d’anticiper le rempla- en France, avec la récente décision de reporter, au-delà cement des réacteurs de génération II, 2) de profiter de de 2050, le développement du démonstrateur prévu dans cette étape pour concevoir des réacteurs à la fois plus le cadre de ce projet. sûrs et plus efficaces, ou encore 3) de prendre en compte la préoccupation grandissante à l’égard du réchauffement Des débuts du nucléaire civil, climatique, en capitalisant sur le faible impact climatique aux récents travaux du GIF des technologies nucléaires. Parmi les solutions mises au point dans le cadre de cette Depuis le démarrage du nucléaire civil dans les années relance, et dont nous assistons actuellement au déploie- 1950, deux générations de réacteurs se sont succédé ment, on peut citer les réacteurs avancés à eau bouillante (voir la Figure 1 de la page suivante). (Advanced boiling water reactor : ABWR), les AP1000 ou Si la première période a été caractérisée par le déploie- bien encore les réacteurs pressurisés européens (Euro- ment des tout premiers prototypes de réacteurs nucléaires, pean pressurised reactor : EPR). Plus récemment, tou- ceux constituant la « génération I », ce n’est que lors de jours dans cette catégorie, un intérêt s’est fait jour autour LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
113 Figure 1 : Les générations de réacteurs nucléaires passées présentes et futures (source : https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_9260/Public). du concept de réacteur modulaire de petite taille, le SMR Le forum GIF et ses objectifs (Small modular reactor). Ce type de réacteur se caracté- rise par de faibles puissances (de 10 à 300 MWe), et une Le forum GIF est une initiative du département de l’Éner- construction modulaire standardisée en usine, pouvant gie des États-Unis destinée à instaurer une coopération le rendre compétitif sur le plan économique, malgré la internationale dans le cadre du développement des sys- perte de gains d’échelle. Des études sont actuellement en tèmes nucléaires dits de quatrième génération. Aux neuf cours sur les perspectives de marché et la compétitivité membres fondateurs (2), signataires de la charte du GIF du concept développé par le consortium français rassem- en juillet 2001, se sont ajoutés par la suite cinq autres blant EDF, TechnicAtome, Naval Group et le CEA (1). membres, également signataires de la charte. Il s’agit de la Suisse (2002), d’Euratom (2003), de la Chine et la Rus- Ces développements récents interviennent alors que sie (2006), et, plus récemment, de l’Australie (2016). l’étape suivante, la préparation de la « génération IV », est engagée depuis maintenant près de vingt ans. À cet ef- Très concrètement, il s’agit de mener au sein de ce forum fet, deux programmes internationaux, l’INPRO et le GIF, des recherches pour tester la faisabilité et le rendement ont été initiés en 2000. L’INPRO (International Project on des futures filières nucléaires de génération IV, et d’en as- Innovative Nuclear Reactors and Fuel Cycles) a été lan- surer la disponibilité, à des fins industrielles, à l’horizon cé pour faire en sorte que l’énergie nucléaire continue de 2030. Pour cela, plusieurs objectifs ont été assignés aux contribuer à répondre aux besoins mondiaux en énergie membres du GIF, à savoir : jusqu’à la fin du XXIe siècle. Pour cela, il offre aux experts l améliorer la durabilité du nucléaire par une utilisation et aux décideurs politiques des pays industrialisés, ainsi plus efficace du combustible : en l’occurrence, il s’agit qu’à ceux des pays en développement, un espace de dis- d’économiser l’uranium 235 (235U), soit en améliorant cussion et de coopération sur des questions, telles que l’efficacité des réacteurs actuels, soit, surtout, en ayant la planification, le développement ou encore l’exploitation recours à la surgénération en s’appuyant sur les res- durable de l’énergie nucléaire. Le GIF a, pour sa part, une sources en uranium 238 (238U) ou en thorium 232 (232Th), orientation essentiellement technologique, dont les détails qui sont les isotopes fertiles (3) envisagés pour alimenter font l’objet des paragraphes qui suivent. les réacteurs de génération IV ; (1) Le 17 septembre 2019, lors de la Conférence générale de l’Agence (2) Les neuf membres fondateurs du GIF sont : l’Argentine, le internationale de l’énergie atomique à Vienne, le CEA, EDF, Naval Group Brésil, le Canada, les États-Unis, la France, le Japon, la Corée du Sud, le et TechnicAtome ont dévoilé NUWARDTM, un projet de petit réacteur Royaume-Uni et l’Afrique du Sud. modulaire. Cette solution, basée sur la technologie REP, est destinée à (3) Un isotope fertile est un isotope qui peut produire un isotope fissile à répondre aux besoins croissants du marché de l’électricité décarbonée, la suite de la capture d'un neutron, directement, ou après désintégration sûre et compétitive, sur le segment de puissance 300-400 MWe. radioactive. RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
114 l améliorer la sûreté et la fiabilité des réacteurs : une des Dans leurs grandes lignes, les six technologies retenues voies envisagées consisterait à aller vers plus de passi- par le GIF présentent les caractéristiques suivantes : vité dans le système de sauvegarde, en particulier en cas l le réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium d’accident du réacteur ; (RNR-Na) : le réacteur dont il est question ici est un l réduire la production de déchets : cette minimisation de réacteur régénérateur à combustible solide et refroidi la production de déchets serait réalisée en recyclant le au sodium. De nombreux pays ont étudié ce type de plus possible les noyaux lourds actuellement rejetés, et réacteur, par exemple la Russie, le Japon, les États-Unis en limitant l’activation des matériaux de structure envi- et, plus récemment, l’Inde et la Chine. Sans oublier la ronnant le cœur ; France qui possède une longue expérience de ce type l assurer une compétitivité économique aux filières de de réacteurs avec les réacteurs Rapsodie, Phénix et génération IV : cela au regard des autres énergies, mais Superphénix, une expérience mise à profit dans le également vis-à-vis des technologies nucléaires de cadre du projet ASTRID, sous maîtrise d’ouvrage CEA, générations III/III+ ; et sur lequel nous reviendrons dans la suite de cet ar- l réduire le risque de prolifération : il s’agit ici, sur l’en- ticle. L’une des difficultés avec les RNR au sodium ré- semble du cycle du combustible, d’éviter que de la side dans l’inflammabilité du sodium, ce qui impose des matière fissile puisse être isolée afin de produire une contraintes en termes de conception. Par ailleurs, une matière fissile de qualité militaire. particularité du réacteur Superphénix était de présenter un « coefficient de vidange » (5) positif, ce qui, dans le Les filières technologiques retenues cadre du GIF, représente un des points à traiter en vue dans le cadre du GIF d’une amélioration de la sûreté ; En 2002, après avoir examiné les quelque 200 concepts l le réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb (RNR- proposés par les membres du GIF, ces derniers ont re- Pb) : ce réacteur fonctionne selon le même principe que tenu six filières technologiques. Ces filières sont détail- le RNR au sodium, mais cette fois-ci avec du plomb lées dans un document élaboré au sein du forum GIF et liquide comme caloporteur. Si cette solution permet de intitulé « Technology Roadmap for Generation IV Nuclear résoudre le problème d’inflammabilité rencontrée avec Energy Systems » (4). Il est à noter que parmi ces six filières, le sodium, son « coefficient de vidange », également quatre fonctionnent en régime dit « neutrons rapides », les positif, est en revanche plus marqué que celui du RNR deux autres constituant des variantes de réacteurs fonc- au sodium ; tionnant en régime dit « neutrons thermiques ». Ces deux régimes se distinguent par le spectre énergétique des (5) S’agissant des RNR-Na, ce coefficient traduit la variation de réactivité neutrons intervenant dans les processus de fission, ainsi du cœur du réacteur intervenant lors d’une élévation de température conduisant à une amorce d’ébullition du sodium. Dans le cas de que par les combustibles mobilisés dans ces processus Superphénix, ce coefficient était positif, ce qui conduisait à une possibilité (voir l’Encadré 1 ci-après). d’emballement des réactions en chaîne en pareille situation. Ce coefficient est à ne pas confondre avec le « coefficient de température », celui-ci traduisant la réaction du réacteur à des fluctuations de température, et devant être systématiquement globalement négatif afin de garantir la stabilité de ce dernier. Celle-ci est principalement due à l’238U, dont les captures stériles s’accroissent avec la température (effet « Doppler »), (4) Voir : https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_40481/technology-roadmap entraînant donc une contre-réaction négative. Régime de neutrons « rapides » versus régime de neutrons « thermiques » Comparaison des spectres neutroniques entre réacteurs REP et RNR-Na/MSFR La figure ci-contre donne la répartition des flux de neutrons, en fonction de leur énergie, exprimée en électronvolt (eV). Les différences entre REP, d’une part, et RNR/MSFR, d’autre part, proviennent no- tamment des effets liés au spectre énergétique des neutrons. Ceux-ci sont majoritairement lents (quelques eV) dans le cas des REP, car ralentis par un modérateur afin de favoriser la fission de l’235U. On parle alors de régime thermique. À l’inverse, ils sont majoritairement rapides dans le cas des RNR et des MSFR, où l’absence de modérateur les maintient dans une plage énergétique de l’ordre de quelques centaines de keV, favorisant cette fois-ci la fission de l’ensemble des isotopes de l’uranium, ainsi que ceux des transuraniens (Pu, Np, Am, Cu...). On parle dans ce cas de régime rapide. Encadré 1 : Différence de fonctionnement des réacteurs, entre régimes de neutrons « rapide » et « thermique » (source : https://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/ue_2016/05-Heuer_Creusot-2016_MSFR.pdf). LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
115 Figure 2 : Synoptique d’un réacteur MSFR « de référence » au thorium fonctionnant en mode surgénérateur (6). l le réacteur à neutrons rapides à caloporteur gaz (RNR-G) : soutes les matières fertiles et fissiles, un mélange qui fait il s’agit ici d’un réacteur régénérateur en combustible également office de caloporteur. En France, le concept solide, le refroidissement étant assuré par de l’hélium. a été repris par le CNRS qui a abouti au projet MSFR La haute température obtenue avec ce réacteur (plus (Molten salt fast reactor). Cette solution présente plu- de 1 000°C), outre l’obtention de très bons rendements sieurs avantages, tels que : de production d’électricité, offre la possibilité d’utili- - la possibilité, en cas d’accident, de vidanger le cœur du ser directement la chaleur dans des procédés indus- réacteur en quelques minutes seulement ; triels, comme la production d’hydrogène par craquage - la possibilité de contrôler la composition du combus- de l’eau. En France, le CEA travaille lui aussi sur cette tible au jour le jour (voir la Figure 2 ci-dessus), minimisant technologie, avec une option à long terme étudiée dans ainsi les risques de prolifération ; le cadre du projet de réacteur expérimental ALLEGRO, - des « coefficients de température » et des « coefficients pour lequel plusieurs verrous technologiques importants de vidange » négatifs ; subsistent (assurer la bonne tenue jusqu’à 1 600 °C des - un fonctionnement à des températures de l’ordre de gaines en carbure de silicium, sûreté en cas de dépres- 800°C. surisation...). Cette solution suscite également un intérêt En outre, s’agissant des combustibles utilisés, il a été dans quelques pays de l’Est (Hongrie, Pologne, Slo- établi que le fonctionnement d’un tel réacteur présentait vaquie et République Tchèque) ; les meilleurs résultats avec le couple 233U/232Th associé à l le réacteur à sels fondus (RSF) : le concept ici mis en du fluorure de lithium (LiF), ce qui ouvre des perspectives œuvre est totalement différent des précédents, avec un intéressantes, dans la mesure où les ressources terrestres combustible liquide, mélange de fluorures où sont dis- en thorium seraient 2 à 3 fois plus importantes que les ressources en uranium. Néanmoins, le manque de retour d’expérience sur cette (6) Source : https://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/ technologie nécessitera de reprendre à la base des études ue_2016/05-Heuer_Creusot-2016_MSFR.pdf dans nombre de domaines, avant de valider une version RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
116 industrialisable. C’est en particulier le cas du système de tion quasi parfaite des produits de fission, mais aussi traitement, au jour le jour, du combustible liquide. une quasi-impossibilité de réaliser un retraitement, un avantage du point de vue du risque de prolifération, mais Par ailleurs, l’233U, l’élément fissile du couple 233U/232Th, est plutôt un inconvénient s’agissant des possibilités de un isotope de l’uranium qui n’entre pas dans la composition recyclage en réacteur RNR. de l’uranium disponible dans la nature. L’amorçage d’un réacteur MSFR à partir d’un mélange 233U/232Th (7) nécessitera donc de constituer au préalable un stock de cet isotope, ce Les contributions des différents qui peut se faire en soumettant du thorium naturel à un flux membres au sein du GIF de neutrons. En pratique, cela sera obtenu en disposant ce Le Tableau 1 de la page suivante reprend les six techno- thorium autour d’un cœur de réacteur (8) afin que les neutrons logies retenues par le GIF et résumées brièvement ci-des- échappés du cœur puissent contribuer à la fertilisation du sus. Il indique, par ailleurs, les contributions apportées thorium, puis, par décroissance radioactive, à la production dans chacune des filières par les membres du forum, telles d’233U. Dans le cas d’un MSFR « de référence » au thorium, qu’elles étaient définies en septembre 2016. La nature des une telle couverture pourra également être mise en place contributions y est spécifiée selon trois niveaux qui vont afin, par exemple, de produire plus d’233U que la quantité de la participation en tant que simple observateur, à la consommée par le réacteur. Le réacteur fonctionne alors en contribution active, en passant par une contribution plus mode « surgénérateur », comme illustré dans la Figure 2 de limitée. Parmi les six filières, la filière RNR-Na se détachait la page précédente, où l’on notera que la surgénération se alors particulièrement du lot en comptabilisant pas moins traduit par un surplus de 260 g/j d’233U (9). de cinq contributeurs actifs, dont la France avec le projet ASTRID. Telle était la situation à la fin 2016, mais nous l le réacteur refroidi à l’eau supercritique (RESC) : contrai- verrons plus loin que, depuis cette date, quelques chan- rement aux quatre technologies présentées ci-dessus, gements sont intervenus concernant ce dernier projet. ce type de réacteur fonctionne en régime thermique. Il se situe dans le prolongement des réacteurs actuels, avec un fonctionnement à 550°C au lieu de 320°C pour les Focus sur le développement des RNR REP actuels, le but étant ici de tirer avantage d’une tem- en France et dans le monde pérature de fonctionnement supérieure, tout en gardant L’idée des réacteurs à neutrons rapides est apparue dès les acquis des réacteurs actuels ; le début des développements du nucléaire civil, avec l le réacteur à très haute température (RTHT) : fonction- notamment la perspective intéressante d’un fonctionne- nant également en régime thermique, ce type de réac- ment en mode surgénérateur dans le cas d’une utilisation teur est un système associant le graphite pour la fonc- du plutonium comme combustible, cela compte tenu de tion de modération, et l’hélium pour le refroidissement, l’excellent bilan neutronique de ce dernier. Dit autrement, ce dernier circulant sous pression (50 à 90 bars). Bien le RNR est un réacteur qui permet de produire plus de que non régénérateur, le fonctionnement de ce réac- matière fissile (le plutonium) qu’il n’en consomme (11), en teur très haute température autorise une réduction de exploitant l’238U, présent à 99,3 % dans l’uranium naturel, la consommation de combustible, rendue possible par et qui, après capture neutronique, conduit à la production l’augmentation des rendements thermodynamiques de de 239Pu. Initiées aux États-Unis, dans les années 1944-45, conversion de la chaleur en électricité, conséquence les premières études sur les RNR surgénérateurs (en an- des températures de l’ordre de 800-900°C permises par glais breeder), alors motivées par la crainte d’un manque l’hélium. Un exemple de réacteur THT est donné par le d’uranium, ont conduit à la réalisation d’un réacteur expé- réacteur, dit « à lit de boulets », où le combustible, qui rimental de puissance (1,4 MWth), l’EBR-1 (Experimental se présente sous forme de boulets (10), assure une réten- breeder reactor n°1), conçu pour produire de l’électricité. De nos jours, sur le plan international, la filière des réac- (7) Il est à noter que, s’agissant des réacteurs MSFR, l’amorçage peut également se faire plus directement à partir d’éléments fissiles teurs rapides est au centre des stratégies à long terme transuraniens (TRU), tels que le plutonium, le neptunium, l’américium ou sur l’énergie nucléaire. Comme souligné ci-dessus, c’est le curium, voire à partir d’235U enrichi (enrichissement de l’ordre de 13%). la filière RNR-Na qui, dans le cadre du GIF, regroupe le (8) Ce réacteur n’est pas nécessairement de type MSFR, il peut égale- plus de contributeurs actifs. Parmi ceux-ci, on mentionne- ment être de type REP. Ce qui compte ici, c’est la production d’un flux de neutrons capables de fertiliser le thorium installé autour du cœur. ra tout spécialement la Russie qui exploite actuellement (9) Ce surplus d’233U est obtenu en considérant une composition du deux démonstrateurs RNR-Na industriels : 1) le réacteur cœur en éléments lourds quasi stabilisée, laquelle est atteinte après une durée de fonctionnement de l’ordre de 50-60 ans. Pour ce qui concerne l’233U, cela correspond à une masse stabilisée de 7,5 tonnes, sachant que pour initialiser ce réacteur d’une puissance de 1,4 GWe, une masse (11) Dans le cas des RNR-Na, ce fonctionnement en mode surgénéra- d’233U avoisinant les 5 tonnes aura été nécessaire. Le rapprochement teur n’est possible qu’en entourant le cœur du réacteur d’une « couver- de ces quelques chiffres conduit à un temps minimal de doublement de ture » d’238U, ce qui permet de capturer une grande partie des neutrons l’ordre de 50 ans, c’est-à-dire le temps nécessaire pour accumuler les 5 s’échappant du cœur du réacteur, conduisant ainsi à une production de tonnes d’233U considérées. 239 Pu. Ce n’est qu’en cumulant la production de plutonium du cœur, avec (10) Il s’agit ici de billes d’un diamètre d’environ 60 mm, où le combus- celle de la couverture fertile, que l’on peut générer plus de plutonium tible se présente sous forme d’une sphère d’oxyde UOx d’environ 1 mm que n’en consomme le réacteur. À l’inverse, sans couverture fertile, il se de diamètre, et gainée par plusieurs couches de carbone de propriétés consommerait plus de plutonium qu’il ne s’en créerait, le réacteur fonc- différentes de sorte à remplir les fonctions : 1) de « vase d’expansion » tionnant alors en mode incinérateur. Lorsqu’il se crée autant de plutonium des produits de fission gazeux, 2) de rétention des produits de fission et qu’il s’en consomme, on parle d’iso-générateur, ce qui est l’option rete- 3) de transfert thermique. nue dans le cadre du projet ASTRID. LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
117 Tableau 1 : Les filières technologiques fixées dans le cadre du GIF et les contributions (septembre 2016) des membres du forum (source : « Quel avenir pour le nucléaire et pour ses différentes applications civiles ? » – 5ème colloque organisé par le groupe régional PACA-Corse de la SFEN, 20 avril 2018, Nicolas Devictor). BN-600, mis en service en 1980, d’une puissance de 600 En France, au début du nucléaire civil, le but était de MWe, et initialisé à partir d’235U, enrichi à 26 %, et 2) le construire quelques réacteurs à neutrons thermiques afin réacteur BN-800, mis en service en 2015, d’une puis- de constituer un stock initial de plutonium, de manière sance de 800 MWe, et fonctionnant à partir d’un mélange à amorcer la filière RNR. Cela a conduit à opter pour le de dioxyde d’uranium et de plutonium (MOX) (12). retraitement des combustibles usés (oxydes d’uranium, UOx) des réacteurs REP, afin de constituer cette masse De leur côté, les Chinois exploitent, depuis 2011, un initiale de plutonium, avec, en parallèle, le démarrage d’un réacteur RNR-Na expérimental, le CEFR (China experi- petit réacteur RNR-Na, Rapsodie, d’une puissance de 38 mental fast reactor), d’une puissance de 20 MWe, et dé- MWth, refroidi au sodium, et démarré en 1967 (puis arrêté marré avec un combustible à base d’oxyde d’235U. Ces en 1983), afin de mettre au point la technologie. Ce pre- derniers ont par ailleurs entamé la construction d’un RNR mier réacteur a été suivi par Phénix, un démonstrateur in- de 600 MWe en 2017. dustriel d’une puissance électrique de 250 MWe, raccordé De l’autre côté du spectre neutronique, et à l’inverse des au réseau en décembre 1973 (et arrêté en 2010), puis par RNR surgénérateurs, les réacteurs « thermiques », exploi- Superphénix, un RNR d’une puissance de 1 200 MWe, dé- tant l’235U, présent à 0,7 % dans l’uranium naturel, sont marré en 1986, et dont l’arrêt est intervenu en 1997, pour de fait tributaires des ressources en 235U, qui, sur la base des motivations à caractère essentiellement politique. des consommations mondiales actuelles (~ 65 000 tonnes Au final, les enseignements tirés de ce programme RNR- d’uranium naturel/an), ainsi que des ressources en ura- Na français tiennent beaucoup au retour d’expérience nium naturel, estimées à 8 Mt (13), laissent de l’ordre d’une réalisé autour du fonctionnement du réacteur Phénix, dont centaine d’années avant qu’une pénurie d’uranium naturel les bilans matières ont permis d’établir un taux de surgé- ne se manifeste. Par comparaison, dans le cas des RNR, nération de 1,16 (14) (contre 1,13 attendu théoriquement), et du fait de l’utilisation de l’238U, la perspective d’une pénurie d’uranium serait repoussée à une échéance de l’ordre de quelques milliers d’années. (14) S’agissant des RNR-Na, la masse de plutonium requise pour un cœur de réacteur de 1 GWe est de l’ordre de 7,5 tonnes. Par ailleurs, (12) Le terme MOX est l’abréviation de « Mélange d'oxydes » (en anglais : avec un temps d’irradiation de 5 ans, puis d’un temps de refroidissement Mixed oxyde fuel), à savoir : le dioxyde de plutonium (PuO2) et le dioxyde de 5 ans, et enfin d’un temps de fabrication de 2 ans, l’inventaire total de d'uranium (UO2). Ce combustible nucléaire est constitué d’environ 8,5 % plutonium sur l’ensemble cycle serait de 18 tonnes [soit : 7,5*(5+5+2)/5 = de plutonium et 91,5 % d’uranium appauvri. 18 tonnes Pu)]. En rapprochant cette donnée avec le taux de régénération (13) Il s’agit des ressources récupérables identifiées à des coûts inférieurs de 1,16 constaté sur Phénix, cela conduit à un temps de doublement de à 260 USD/kg. Voir à ce sujet : “Uranium 2018, resources, production l’ordre de 75 ans [soit : 5*18/(0,16*7,5) = 75 ans)]. Avec le taux de régéné- and demand” (source : International atomic energy agency & Nuclear ration visé pour les futurs RNR-Na, ce temps passerait à 60 ans (Source : energy agency). Sylvain David, CNRS/IN2P3, séminaire LIED, octobre 2017). RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
118 comme le rappelle Dominique Grenêche dans un ouvrage métalliques qui l’entourent, ce qui conduirait à la forma- paru en 2016 (15). Il y précise par ailleurs que sur les 4,4 tion d’un magma très chaud (plus de 2 000°C), appelé tonnes de plutonium récupérées durant son exploitation, corium, un dispositif innovant a été conçu. Placé en fond 3,3 tonnes ont été recyclées dans le cœur de Phénix, sous de cuve, ce dispositif permet une récupération et un éta- forme de combustible MOX, concluant qu'avec ce pro- lement du corium afin de faciliter son refroidissement, et gramme, la mise en œuvre pratique de la surgénération évite ainsi tout problème d’emballement de la réaction dans les RNR aura donc été démontrée en France, à une en chaîne. échelle préindustrielle. l Le sodium étant réactif chimiquement avec l’eau, le générateur en eau-vapeur actionnant le turbogénéra- Sur la conception d’un nouveau teur est remplacé par un système de conversion en gaz. démonstrateur industriel RNR-Na : Ainsi, la chaleur du sodium du circuit secondaire est le projet ASTRID communiquée à de l’azote sous pression, qui se détend ensuite dans les turbines du générateur électrique. Pour rappel, fin 2019, le projet ASTRID est arrivé en fin de phase d’avant-projet détaillé. Ce projet, décidé en 2006 par Stratégies de déploiement le président Jacques Chirac, dans le cadre de la loi sur la des RNR-Na en France gestion des matières et des déchets, puis lancé en 2010, prévoyait la mise en service d’un prototype de réacteur de La stratégie de déploiement des RNR en France a fait l’ob- « quatrième génération » en 2020. Par la suite, après un jet de plusieurs rapports, le dernier en date ayant été ren- glissement du calendrier initial en 2012, puis, en 2014, suite du public le 25 octobre 2018. Élaboré par la direction de au ralentissement du nucléaire dans le monde, consécutif l’Énergie nucléaire (DEN) du CEA, ce rapport (17) répond à à l’accident de Fukushima, la phase d’étude a été prolon- l’article 51 de l’arrêté du 23 février 2017 pris en application gée jusqu’en 2019, avant une éventuelle décision de pour- des prescriptions de l’édition 2016-2018 du Plan national suite du projet, suivie d’une phase de consolidation sur la de gestion des matières et des déchets radioactifs période 2020-2023 en cas de décision favorable. (PNGMDR). Contrairement à l’hypothèse avancée lors d’études précédentes (2012), où un remplacement à grande Selon le calendrier établi, cette période devait être sui- échelle des REP par des RNR avait été envisagé, le rapport vie d’une décision de construction, puis d’une phase de de 2018 a retenu une approche plus graduelle, avec un développement, de 2024 à 2028, avant d’enchaîner sur déploiement progressif des RNR, tirant parti des matières la phase de construction d’un démonstrateur industriel et des infrastructures existantes. Le scénario industriel d’une puissance de 600 MWe, cette construction étant pris en compte dans le cadre de cette étude est constitué programmée de 2029 à 2039. Mais la décision récente (voir de 4 paliers, notés (A), (B), (C) et (D) dans le rapport. Par supra) de ne pas aller au-delà de la phase d’avant-projet ailleurs, à des fins de comparaisons, un cinquième palier a détaillé, a cependant mis un terme au projet tel qu’envi- également été considéré. Ce palier, noté (0), correspond à sagé initialement. un parc français hypothétique qui n’aurait fonctionné qu’en À ce jour, sur la base de l’expérience acquise avec les cycle ouvert, sans retraitement des combustibles UOx réacteurs Rapsodie, Phénix, puis Superphénix, ainsi usés. Concernant les paliers (A), (B), (C) et (D), les objectifs qu’avec le projet européen de réacteur EFR (European de chacun d’eux sont les suivants : Fast reactor) (16), les principales innovations tirées des tra- l Palier (A) : l’objectif de ce palier est la stabilisation de vaux accomplis dans le cadre du projet ASTRID ont porté l’inventaire des combustibles UOX usés par mono- sur trois points : recyclage sous forme de MOX. L’uranium et le plutonium l Afin de traiter la question du « coefficient de vidange » po- contenus dans ces combustibles sont ainsi valorisés, sitif rencontré avec le réacteur Superphénix, un nouveau permettant par ailleurs de réaliser une économie de res- concept de cœur a été développé. Il s’agit d’une solution sources naturelles (de l’ordre de 20 %). Le parc est à ce mettant en œuvre le concept dit de « Cœur à faible effet stade constitué exclusivement de réacteurs à eau, prin- de vidange » (CFV), qui correspond à une configuration cipalement les REP actuels ; géométrique du cœur donnant à celui-ci une forme apla- l Palier (B) : l’objectif de ce palier B, qui sera amorcé en tie (on parle alors d’un cœur « galette »), ce qui favorise 2040, est la stabilisation de l’inventaire des combustibles la fuite des neutrons hors du cœur en cas de surchauffe, MOX REP usés. Pour cela, la totalité des REP actuels se- réduisant ainsi la réactivité de l’ensemble, et conduisant ront progressivement remplacés par des réacteurs EPR, au final à un « coefficient de vidange » négatif. le parc EPR, constitué à horizon 2065, étant composé l Afin de prendre en compte les situations accidentelles de : 22 EPR UOx, 4 EPR URE (18) et 10 EPR moxés à pouvant entraîner la fusion du combustible et des gaines (17) Voir https://www.asn.fr/Media/Files/00-PNGMDR/PNGMDR-2016- (15) Histoire et techniques des réacteurs nucléaires et de leurs combus- 2018/Inventaire-prospectif-entre-2016-et-2100-des-matieres-et-des- tibles, GRENÊCHE Dominique, EDP sciences, 2016. dechets-radioactifs-produits-par-le-parc-francais-selon-differents-scena- (16) Le projet de réacteur EFR de 1 500 MWe avait été conçu en 1988 rios-d-evolution-avec-evaluation-de-l-emprise-au-stockage? par une association d’organismes européens, dont EDF, Novatome et (18) L’uranium « URE » correspond à de l’uranium issu du réenrichisse- le CEA. Finalement gelé fin 1998, le projet EFR avait pour objectif prin- ment de l’uranium récupéré lors du retraitement des combustibles UOx cipal de démontrer la viabilité des RNR-Na en visant des performances usés. Cet uranium issu du retraitement est lui désigné sous l’appellation économiques plus intéressantes que les réacteurs construits jusqu’alors. « URT ». LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
119 30 %. Ce parc EPR sera par ailleurs complété par une que, compte tenu de la dégradation de la composition première série de RNR, à savoir le réacteur ASTRID de isotopique du plutonium au fil des recyclages, les RNR 600 MWe, auquel s’ajouteraient 2 RNR de 1 000 MWe. fonctionnent ici en mode surgénérateur afin de produire Cette puissance RNR correspond à celle requise afin du plutonium susceptible de relever la qualité du pluto- de stabiliser l’entreposage des MOX usés, grâce au nium issu des multi-recyclages ; recyclage d’un volume de plutonium égal à celui issu du l Palier (D) : ce palier vise la fermeture complète du cy- retraitement des UOx et MOX usés produit par le parc cle, à savoir la suppression de tout besoin d’uranium d’EPR (on parle alors de bi-recyclage « REP, puis RNR »). naturel pour alimenter le parc, ainsi que la stabilisation Il est à noter que les combustibles RNR usés, ainsi que de l’inventaire en plutonium comme pour le palier C. les combustibles URE usés, ne sont pas recyclés dans L’ensemble du parc est alors globalement iso-généra- le cadre de ce palier ; teur, avec deux options envisagées pour y parvenir, à sa- l Palier (C) : l’objectif de ce palier est la stabilisation de voir : 1) un parc homogène 100 % RNR (palier D1, parc l’inventaire total en plutonium, par multi-recyclage constitué à horizon 2180) ; et 2) un parc mixte composé des MOX en REP (voir l’Encadré ci-après), à partir de de RNR surgénérateurs produisant le plutonium, et de réacteurs EPR et RNR (parc constitué à horizon 2125 : REP 100 % MOX consommant le plutonium ainsi produit 25 EPR moxés à 30 %, 1 EPR moxé à 100 % et 12 RNR dans les RNR (palier D2, parc également constitué à ho- 1 450 MWe). L’idée est ici de ne pas accumuler des rizon 2180). Par ailleurs, dans les deux cas, il est procé- quantités de plutonium au-delà des besoins nécessaires dé au multi-recyclage de l’ensemble des combustibles pour le déploiement de la filière RNR jusqu’à la ferme- MOX RNR et REP. ture complète du cycle (palier D). Il est toutefois à noter Le multi-recyclage des combustibles MOX en REP La question du multi-recyclage du MOX en REP avait déjà fait l’objet d’études menées par le CEA à partir des années 1990, cela afin de permettre une optimisation de l’utilisation de la ressource uranium. Cette optimisa- tion est toutefois rendue délicate du fait de la dégradation isotopique du plutonium observée après passage du MOX en réacteur (19). Réaliser le multi-recyclage de ce MOX implique donc d’en augmenter la teneur en plutonium afin de préserver le niveau de réactivité nécessaire au bon fonctionnement du réacteur. Cependant, poursuivre ce processus au-delà d’un premier recyclage poserait un problème de sûreté du réacteur, notam- ment en situation de « vidange » (20) du modérateur (de l’eau légère dans le cas des REP) susceptible de survenir à l’occasion d’une forte élévation de la température du cœur de réacteur. En pareille situation, le ralentissement des neutrons serait moins efficace. On parle alors de durcissement du spectre énergétique, avec pour consé- quence une augmentation de la probabilité de fission pour tous les isotopes du plutonium, ce qui conduirait à un « coefficient de vidange » positif. Il existe donc une teneur maximale en plutonium dans le combustible au-delà de laquelle la sûreté du réacteur ne serait plus garantie. Cette limite se situe entre 12 et 15 % selon la composition isotopique du plutonium, et est en pratique fixée à 12 %. Afin de surmonter cette difficulté, la mise au point d’un nouveau type de combustible, le MOX2, a été lancée sur la base des recherches réalisées par le CEA dans les années 1990. Celles-ci avaient notamment permis de dégager deux concepts susceptibles de répondre à la question, à savoir : le concept MOXEUS (MOX sur support d’uranium enrichi), également connu sous l’appellation MIX ; et le concept CORAIL (Combustible recy- clage à îlots). Avec le concept MIX, il s’agit de limiter la teneur en plutonium dans le combustible à une teneur proche de celle des MOX actuels, et de compléter le besoin en noyaux fissiles par un apport d’uranium enrichi. Le concept CORAIL consiste, quant à lui, à faire cohabiter, au sein d’un même assemblage, des crayons UOx et des crayons MOX à support d’uranium appauvri. Ces deux concepts ont récemment été repris dans le cadre de l’étude sur l’ « Inventaire prospectif 2016-2100 des matières et déchets » menée en 2017-2018 par le CEA (voir la note de bas de page 15). Il est à noter que l’emploi de ce type de combustible nécessitera de mener un programme préalable de recherche et développement, ainsi que des études d’ingénierie portant sur les nouvelles infrastructures du cycle, avec, notamment, l’adaptation des installations de La Hague et de l’usine Mélox. En termes de calendrier, l’introduction d’un assemblage test de combustible MOX2 en réacteur est visée à l’horizon 2025-2028, avec un possible déploiement industriel au-delà de 2040) (21). (19) Après un premier passage en réacteur, le plutonium est constitué principalement des isotopes 239Pu, 240Pu, 241Pu et 242Pu (dans la terminologie nucléaire, on parle de « vecteur » plutonium). Cependant, en régime thermique, seuls les isotopes 239Pu et 241Pu sont fissiles, les isotopes pairs étant essentiellement capturants. Ces derniers, issus de captures obtenues à partir d’isotopes impairs, ont tendance à s’accumuler plus rapidement que les isotopes impairs, une partie de ceux-ci disparaissant par fission. Au final, la teneur en éléments fissiles du plutonium diminue au fil du temps passé en réacteur. (20) Il s’agit ici d’un effet similaire à celui déjà mentionné plus haut (voir note de bas de page 4) avec le sodium des RNR-Na, mais s’appliquant cette fois-ci à l’eau qui assure ici la double fonction de modérateur et de caloporteur. (21) Source : https://participons.debatpublic.fr/processes/pngmdr/f/41/questions/728 RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
120 La définition de ces différents paliers conduit ainsi à cette date, par la fermeture de 14 réacteurs de 900 MWe. considérer deux scénarios de transition – « ABCD1 » et La question de l’éventuelle réduction de puissance du « ABCD2 » –, découlant des deux variantes introduites pour réacteur ASTRID évoquée ci-dessus, et qui passerait de le palier D. En plus de ces deux scénarios, et pour tenir 600 MWe prévu initialement à 100-200 MWe, est aussi de compte de certaines analyses basées sur des hypothèses nature à revenir sur les hypothèses de déploiement des d’une demande nucléaire soutenue au niveau mondial (22), futurs réacteurs RNR-Na. qui concluent à des tensions sur les prix de l’uranium à Enfin, la perspective d’une remontée des prix de l’uranium horizon de la fin de ce siècle, rendant ainsi les RNR plus plus précoce que prévu (24), impliquerait de basculer plus compétitifs que les technologies REP, l’étude du CEA en- rapidement vers un parc RNR, ce qui mettrait en avant le visage un basculement anticipé vers le palier D2 (suivant scénario « ABD2 » évoqué plus haut, avec une contrainte directement le palier B), amorcé aux alentours de 2090. sur le stock de plutonium qui pourrait ne pas être suffisant Il est à noter que pour ces trois scénarios – « ABCD1 », dans le cas d’un basculement plus rapide qu’anticipé vers « ABCD2 » et « ABD2 » –, l’hypothèse retenue est une les technologies RNR. Pour rappel, en ce qui concerne la production nucléaire constante de 420 TWh/an. France, le basculement complet du parc actuel vers un parc à 100 % RNR nécessiterait de disposer d’une masse Le report du démonstrateur de plutonium de près de 1 200 tonnes (25), comme cela est industriel ASTRID au-delà de 2050 illustré par la Figure 3 qui suit. et ses conséquences Au vu de cette figure, et si l’on exclut le scénario « 0 » évoqué S’agissant de la construction d’un démonstrateur indus- plus haut, on constate que, pour tous les autres scénarios triel, le CEA, maître d'ouvrage du programme, a, début d’évolution, la constitution de cet inventaire en plutonium 2018, et pour des considérations budgétaires, proposé n’est effective qu’aux alentours de 2115, ce qui pourrait au gouvernement français de revoir à la baisse les am- s’avérer trop tardif au regard d’une forte remontée des prix bitions initiales, en visant une puissance de réacteur de de l’uranium d’ici à la fin de ce siècle, surtout en considérant 200 MWe, voire 100 MWe, au lieu des 600 MWe prévus le rôle clé que l’235U continuera d’avoir, pour le siècle à venir, initialement. Puis, en août 2019, est intervenue la décision dans la constitution du stock de plutonium nécessaire pour de reporter la construction du démonstrateur industriel une transition « sans couture » vers les technologies RNR. au-delà de 2050. Par la suite, l'administrateur général du CEA, lors de son audition par la Commission des affaires économiques du Sénat, le 23 octobre 2019 (23), a clarifié la position du CEA en précisant qu’il y avait deux raisons à l'appui de cette décision de ne pas construire le dé- monstrateur à la date prévue. La première raison invoquée est économique, la viabilité du projet de démonstrateur requérant un prix significativement plus élevé de l’ura- nium, la seconde raison étant que la partie s'attachant au cycle de l’uranium n'avait pas été suffisamment étudiée. S’agissant de ce dernier point, il a précisé que le CEA étu- dierait le multi-recyclage des MOX en REP, avec le test en réacteur d’un assemblage de crayons de combustible à horizon 2025. Par ailleurs, en parallèle, un travail serait maintenu sur les technologies clés en matière de RNR, cela dans le cadre d’une coopération internationale. S’agissant du déploiement des futurs réacteurs RNR-Na Figure 3 : Évolution de l’inventaire Pu en fonction des scénarios tel qu’envisagé dans les scénarios décrits ci-dessus, cette de déploiement des RNR (source : Étude CEA 2018 sur l’« Inven- décision récente de report du démonstrateur ASTRID taire prospectif entre 2016 et 2100 des matières et des déchets au-delà de 2050 appellera sans nul doute à une révision radioactifs produits par le parc français selon différents scénarios d’évolution »). de ces scénarios. Cette révision s’avère par ailleurs né- cessaire, considérant que l’étude CEA de 2018, qui prend comme hypothèse une production nucléaire constante (24) Cette remontée des prix dépendra bien entendu du développement du nucléaire à l’échelle mondiale dans les décennies à venir, notamment de 420 TWh/an, n’intègre pas l’objectif de réduction, d’ici dans l’hypothèse d’un doublement, voire plus, du parc nucléaire mon- à 2035, de la part de production d’électricité nucléaire à dial, cela en lien avec les politiques de décarbonation de l’économie 50 % de la production totale d’électricité, ce qui, selon le mondiale. Sur ce point, les regards se tournent tout particulièrement vers projet de PPE soumis à consultation, se traduirait, d’ici la Chine qui fait montre d’une volonté de se positionner résolument sur l’ensemble des compartiments du secteur nucléaire, comme l’illustre par ailleurs l’annonce de la signature prochaine (d’ici fin janvier 2020) d’un contrat franco-chinois portant sur la construction en Chine d’une usine (22) « Disponibilité à long terme des ressources mondiales d’uranium », de recyclage du combustible nucléaire usagé, annonce faite lors du dé- Thèse de MONNET A., 2017 ; MONNET A., GABRIEL S. & PERCEBOIS placement en Chine du président Macron, du 4 au 6 novembre 2019. J., « Ressources mondiales d’uranium : quelle disponibilité à long terme (25) S’agissant des RNR-Na, la masse de plutonium requise pour le ? », La Revue de l’Énergie, n°635, décembre 2017. fonctionnement d’un réacteur de 1 GWe est de l’ordre de 18 tonnes, (23) http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20191021/eco. comme signalé plus haut. Pour un parc de 63,2 GWe, cela conduit pré- html#toc2 cisément à une masse de plutonium de 1 140 tonnes de plutonium. LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
121 Conclusion si la technologie présente de nombreux atouts, cela ne doit pas occulter la question de la disponibilité future du Comme cela avait été bien identifié au tout début du 239 Pu, nécessaire au fonctionnement des réacteurs RNR- nucléaire civil, les réacteurs RNR demeurent les seuls à Na. Il y a, à cet égard, comme nous l’avons vu, une relative pouvoir garantir la fourniture d’énergie nucléaire sur une incertitude quant au nombre de réacteurs RNR-Na qu’il échelle de temps de l’ordre du millier d’années. À travers sera possible de déployer, en France, à partir de 2050, et cet article, nous avons pu prendre la mesure des efforts au-delà. Ajoutons que, face aux discours mettant en avant consentis au niveau international afin d’assurer la péren- le rôle positif du nucléaire dans le processus de décar- nité des technologies nucléaires, en prenant appui pour bonation de l’économie mondiale, force est de constater cela sur les réacteurs dits « de génération IV », dont nous que des incertitudes persistent quant à la place effective avons vu qu’ils se déclinaient selon six filières définies que l’on entend donner au nucléaire sur l’échiquier éner- dans le cadre du GIF. Parmi ces filières, la solution RNR- gétique et climatique mondial, alors même que les incer- Na étudiée dans le cadre du projet ASTRID a été parti- titudes relatives au changement climatique en cours se culièrement mise en avant, car bénéficiant de nombreux réduisent au fil des rapports produits par le GIEC. retours d’expérience, et ayant de ce fait les meilleures chances d’être déployée à moyen-long terme. Cependant, RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
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