Réacteurs de 4ème génération Éléments d'analyse des technologies et perspectives - Les ...

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      Réacteurs de 4ème génération
      Éléments d’analyse des
      technologies et perspectives
      Par Didier PILLET
      Ingénieur général des Mines, Conseil général de l’Économie

       Alors que le déploiement de réacteurs nucléaires, dits de « troisième génération », amorce son démarrage
       au niveau mondial, notamment avec les réacteurs EPR de Taishan 1 et 2 récemment raccordés au réseau
       chinois, les études sur les réacteurs dits de « quatrième génération » se poursuivent au sein du forum
       « Génération IV ». Ce forum, regroupant 14 pays, a amorcé ses travaux en 2000, avec l’objectif d’identifier
       les meilleures solutions susceptibles de répondre aux nombreux défis posés, en ce début de XXIe siècle,
       en matière d’énergie et de climat, avec, en toile de fond, la possible raréfaction des ressources en uranium
       fissile (235U) d’ici à la fin de ce siècle. Dans cet article, après une présentation des différentes technologies
       en lice dans le cadre de ce forum « Génération IV », un focus particulier sera fait sur les travaux d’ores et
       déjà réalisés au sein du projet ASTRID, ainsi que sur les conditions de déploiement des RNR-Na envisagé
       en France, dans le cadre de ce projet, compte tenu notamment de la décision récente de reporter le déve-
       loppement d’un démonstrateur au-delà de 2050.

      Introduction                                                  la seconde période, amorcée au début des années 1970,
                                                                    que les réacteurs électronucléaires commerciaux, ceux de
      Après un bref rappel historique des étapes du déploiement     la « génération II », ont vu le jour et se sont rapidement
      du nucléaire civil au niveau mondial, cet article évoquera    déployés dans les deux à trois décennies qui ont suivi.
      les raisons qui ont conduit aux études menées autour des
      réacteurs dits de « quatrième génération », et, en particu-   Vers la fin des années 1990, ces réacteurs constituaient
      lier, celles conduites dans le cadre du forum « Génération    la quasi-totalité des réacteurs alors en fonctionnement,
      IV » (en anglais GIF pour : Generation IV international fo-   lorsque la nécessité de relancer l’activité nucléaire s’est
      rum). Seront ainsi passées en revue les six technologies      imposée au niveau mondial. Cette relance du nucléaire est
      retenues dans le cadre de ce forum, en examinant tout         intervenue après une période de stagnation et d’interroga-
      particulièrement la question des réacteurs rapides au         tion, qui, elle-même, avait fait suite aux accidents interve-
      sodium (RNR-Na), technologie dans laquelle la France          nus à Three-Mile Island (1979), d’une part, et à Tchernobyl
      s’est investie, notamment à travers sa participation active   (1986), d’autre part. Les raisons de cette relance étaient
      dans le projet ASTRID. Nous analyserons également com-        multiples. Il s’agissait notamment, avec cette « troisième
      ment le déploiement de ces technologies peut s’envisager      génération » de réacteurs (GIII) : 1) d’anticiper le rempla-
      en France, avec la récente décision de reporter, au-delà      cement des réacteurs de génération II, 2) de profiter de
      de 2050, le développement du démonstrateur prévu dans         cette étape pour concevoir des réacteurs à la fois plus
      le cadre de ce projet.                                        sûrs et plus efficaces, ou encore 3) de prendre en compte
                                                                    la préoccupation grandissante à l’égard du réchauffement
      Des débuts du nucléaire civil,                                climatique, en capitalisant sur le faible impact climatique
      aux récents travaux du GIF                                    des technologies nucléaires.
                                                                    Parmi les solutions mises au point dans le cadre de cette
      Depuis le démarrage du nucléaire civil dans les années
                                                                    relance, et dont nous assistons actuellement au déploie-
      1950, deux générations de réacteurs se sont succédé
                                                                    ment, on peut citer les réacteurs avancés à eau bouillante
      (voir la Figure 1 de la page suivante).
                                                                    (Advanced boiling water reactor : ABWR), les AP1000 ou
      Si la première période a été caractérisée par le déploie-     bien encore les réacteurs pressurisés européens (Euro-
      ment des tout premiers prototypes de réacteurs nucléaires,    pean pressurised reactor : EPR). Plus récemment, tou-
      ceux constituant la « génération I », ce n’est que lors de    jours dans cette catégorie, un intérêt s’est fait jour autour

      LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
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Figure 1 : Les générations de réacteurs nucléaires passées présentes et futures (source : https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_9260/Public).

du concept de réacteur modulaire de petite taille, le SMR                 Le forum GIF et ses objectifs
(Small modular reactor). Ce type de réacteur se caracté-
rise par de faibles puissances (de 10 à 300 MWe), et une                  Le forum GIF est une initiative du département de l’Éner-
construction modulaire standardisée en usine, pouvant                     gie des États-Unis destinée à instaurer une coopération
le rendre compétitif sur le plan économique, malgré la                    internationale dans le cadre du développement des sys-
perte de gains d’échelle. Des études sont actuellement en                 tèmes nucléaires dits de quatrième génération. Aux neuf
cours sur les perspectives de marché et la compétitivité                  membres fondateurs (2), signataires de la charte du GIF
du concept développé par le consortium français rassem-                   en juillet 2001, se sont ajoutés par la suite cinq autres
blant EDF, TechnicAtome, Naval Group et le CEA (1).                       membres, également signataires de la charte. Il s’agit de
                                                                          la Suisse (2002), d’Euratom (2003), de la Chine et la Rus-
Ces développements récents interviennent alors que                        sie (2006), et, plus récemment, de l’Australie (2016).
l’étape suivante, la préparation de la « génération IV », est
engagée depuis maintenant près de vingt ans. À cet ef-                    Très concrètement, il s’agit de mener au sein de ce forum
fet, deux programmes internationaux, l’INPRO et le GIF,                   des recherches pour tester la faisabilité et le rendement
ont été initiés en 2000. L’INPRO (International Project on                des futures filières nucléaires de génération IV, et d’en as-
Innovative Nuclear Reactors and Fuel Cycles) a été lan-                   surer la disponibilité, à des fins industrielles, à l’horizon
cé pour faire en sorte que l’énergie nucléaire continue de                2030. Pour cela, plusieurs objectifs ont été assignés aux
contribuer à répondre aux besoins mondiaux en énergie                     membres du GIF, à savoir :
jusqu’à la fin du XXIe siècle. Pour cela, il offre aux experts            l   améliorer la durabilité du nucléaire par une utilisation
et aux décideurs politiques des pays industrialisés, ainsi                    plus efficace du combustible : en l’occurrence, il s’agit
qu’à ceux des pays en développement, un espace de dis-                        d’économiser l’uranium 235 (235U), soit en améliorant
cussion et de coopération sur des questions, telles que                       l’efficacité des réacteurs actuels, soit, surtout, en ayant
la planification, le développement ou encore l’exploitation                   recours à la surgénération en s’appuyant sur les res-
durable de l’énergie nucléaire. Le GIF a, pour sa part, une                   sources en uranium 238 (238U) ou en thorium 232 (232Th),
orientation essentiellement technologique, dont les détails                   qui sont les isotopes fertiles (3) envisagés pour alimenter
font l’objet des paragraphes qui suivent.                                     les réacteurs de génération IV ;

(1) Le 17 septembre 2019, lors de la Conférence générale de l’Agence      (2) Les neuf membres fondateurs du GIF sont : l’Argentine, le
internationale de l’énergie atomique à Vienne, le CEA, EDF, Naval Group   Brésil, le Canada, les États-Unis, la France, le Japon, la Corée du Sud, le
et TechnicAtome ont dévoilé NUWARDTM, un projet de petit réacteur         Royaume-Uni et l’Afrique du Sud.
modulaire. Cette solution, basée sur la technologie REP, est destinée à   (3) Un isotope fertile est un isotope qui peut produire un isotope fissile à
répondre aux besoins croissants du marché de l’électricité décarbonée,    la suite de la capture d'un neutron, directement, ou après désintégration
sûre et compétitive, sur le segment de puissance 300-400 MWe.             radioactive.

                                           RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
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      l améliorer la sûreté et la fiabilité des réacteurs : une des          Dans leurs grandes lignes, les six technologies retenues
        voies envisagées consisterait à aller vers plus de passi-            par le GIF présentent les caractéristiques suivantes :
        vité dans le système de sauvegarde, en particulier en cas
                                                                             l le réacteur à neutrons rapides à caloporteur sodium
        d’accident du réacteur ;
                                                                               (RNR-Na) : le réacteur dont il est question ici est un
      l réduire la production de déchets : cette minimisation de
                                                                               réacteur régénérateur à combustible solide et refroidi
        la production de déchets serait réalisée en recyclant le
                                                                               au sodium. De nombreux pays ont étudié ce type de
        plus possible les noyaux lourds actuellement rejetés, et
                                                                               réacteur, par exemple la Russie, le Japon, les États-Unis
        en limitant l’activation des matériaux de structure envi-
                                                                               et, plus récemment, l’Inde et la Chine. Sans oublier la
        ronnant le cœur ;
                                                                               France qui possède une longue expérience de ce type
      l assurer une compétitivité économique aux filières de
                                                                               de réacteurs avec les réacteurs Rapsodie, Phénix et
        génération IV : cela au regard des autres énergies, mais
                                                                               Superphénix, une expérience mise à profit dans le
        également vis-à-vis des technologies nucléaires de
                                                                               cadre du projet ASTRID, sous maîtrise d’ouvrage CEA,
        générations III/III+ ;
                                                                               et sur lequel nous reviendrons dans la suite de cet ar-
      l réduire le risque de prolifération : il s’agit ici, sur l’en-
                                                                               ticle. L’une des difficultés avec les RNR au sodium ré-
        semble du cycle du combustible, d’éviter que de la
                                                                               side dans l’inflammabilité du sodium, ce qui impose des
        matière fissile puisse être isolée afin de produire une
                                                                               contraintes en termes de conception. Par ailleurs, une
        matière fissile de qualité militaire.
                                                                               particularité du réacteur Superphénix était de présenter
                                                                               un « coefficient de vidange » (5) positif, ce qui, dans le
      Les filières technologiques retenues                                     cadre du GIF, représente un des points à traiter en vue
      dans le cadre du GIF                                                     d’une amélioration de la sûreté ;
      En 2002, après avoir examiné les quelque 200 concepts                  l le réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb (RNR-

      proposés par les membres du GIF, ces derniers ont re-                    Pb) : ce réacteur fonctionne selon le même principe que
      tenu six filières technologiques. Ces filières sont détail-              le RNR au sodium, mais cette fois-ci avec du plomb
      lées dans un document élaboré au sein du forum GIF et                    liquide comme caloporteur. Si cette solution permet de
      intitulé « Technology Roadmap for Generation IV Nuclear                  résoudre le problème d’inflammabilité rencontrée avec
      Energy Systems » (4). Il est à noter que parmi ces six filières,         le sodium, son « coefficient de vidange », également
      quatre fonctionnent en régime dit « neutrons rapides », les              positif, est en revanche plus marqué que celui du RNR
      deux autres constituant des variantes de réacteurs fonc-                 au sodium ;
      tionnant en régime dit « neutrons thermiques ». Ces deux
      régimes se distinguent par le spectre énergétique des                  (5) S’agissant des RNR-Na, ce coefficient traduit la variation de réactivité
      neutrons intervenant dans les processus de fission, ainsi              du cœur du réacteur intervenant lors d’une élévation de température
                                                                             conduisant à une amorce d’ébullition du sodium. Dans le cas de
      que par les combustibles mobilisés dans ces processus                  Superphénix, ce coefficient était positif, ce qui conduisait à une possibilité
      (voir l’Encadré 1 ci-après).                                           d’emballement des réactions en chaîne en pareille situation. Ce coefficient
                                                                             est à ne pas confondre avec le « coefficient de température », celui-ci
                                                                             traduisant la réaction du réacteur à des fluctuations de température, et
                                                                             devant être systématiquement globalement négatif afin de garantir la
                                                                             stabilité de ce dernier. Celle-ci est principalement due à l’238U, dont les
                                                                             captures stériles s’accroissent avec la température (effet « Doppler »),
      (4) Voir : https://www.gen-4.org/gif/jcms/c_40481/technology-roadmap   entraînant donc une contre-réaction négative.

                    Régime de neutrons « rapides » versus régime de neutrons « thermiques »
                  Comparaison des spectres neutroniques entre réacteurs REP et RNR-Na/MSFR
                                                                                 La figure ci-contre donne la répartition des flux de
                                                                                 neutrons, en fonction de leur énergie, exprimée en
                                                                                 électronvolt (eV). Les différences entre REP, d’une
                                                                                 part, et RNR/MSFR, d’autre part, proviennent no-
                                                                                 tamment des effets liés au spectre énergétique
                                                                                 des neutrons. Ceux-ci sont majoritairement lents
                                                                                 (quelques eV) dans le cas des REP, car ralentis par
                                                                                 un modérateur afin de favoriser la fission de l’235U.
                                                                                 On parle alors de régime thermique. À l’inverse,
                                                                                 ils sont majoritairement rapides dans le cas des
                                                                                 RNR et des MSFR, où l’absence de modérateur les
                                                                                 maintient dans une plage énergétique de l’ordre de
                                                                                 quelques centaines de keV, favorisant cette fois-ci
                                                                                 la fission de l’ensemble des isotopes de l’uranium,
                                                                                 ainsi que ceux des transuraniens (Pu, Np, Am, Cu...).
                                                                                 On parle dans ce cas de régime rapide.

      Encadré 1 : Différence de fonctionnement des réacteurs, entre régimes de neutrons « rapide » et « thermique »
      (source : https://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/ue_2016/05-Heuer_Creusot-2016_MSFR.pdf).

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Figure 2 : Synoptique d’un réacteur MSFR « de référence » au thorium fonctionnant en mode surgénérateur (6).

l le réacteur à neutrons rapides à caloporteur gaz (RNR-G) :               soutes les matières fertiles et fissiles, un mélange qui fait
  il s’agit ici d’un réacteur régénérateur en combustible                  également office de caloporteur. En France, le concept
  solide, le refroidissement étant assuré par de l’hélium.                 a été repris par le CNRS qui a abouti au projet MSFR
  La haute température obtenue avec ce réacteur (plus                      (Molten salt fast reactor). Cette solution présente plu-
  de 1 000°C), outre l’obtention de très bons rendements                   sieurs avantages, tels que :
  de production d’électricité, offre la possibilité d’utili-               - la possibilité, en cas d’accident, de vidanger le cœur du
  ser directement la chaleur dans des procédés indus-                      réacteur en quelques minutes seulement ;
  triels, comme la production d’hydrogène par craquage                     - la possibilité de contrôler la composition du combus-
  de l’eau. En France, le CEA travaille lui aussi sur cette                tible au jour le jour (voir la Figure 2 ci-dessus), minimisant
  technologie, avec une option à long terme étudiée dans                   ainsi les risques de prolifération ;
  le cadre du projet de réacteur expérimental ALLEGRO,                     - des « coefficients de température » et des « coefficients
  pour lequel plusieurs verrous technologiques importants                  de vidange » négatifs ;
  subsistent (assurer la bonne tenue jusqu’à 1 600 °C des                  - un fonctionnement à des températures de l’ordre de
  gaines en carbure de silicium, sûreté en cas de dépres-                  800°C.
  surisation...). Cette solution suscite également un intérêt
                                                                          En outre, s’agissant des combustibles utilisés, il a été
  dans quelques pays de l’Est (Hongrie, Pologne, Slo-
                                                                          établi que le fonctionnement d’un tel réacteur présentait
  vaquie et République Tchèque) ;
                                                                          les meilleurs résultats avec le couple 233U/232Th associé à
l le réacteur à sels fondus (RSF) : le concept ici mis en
                                                                          du fluorure de lithium (LiF), ce qui ouvre des perspectives
  œuvre est totalement différent des précédents, avec un
                                                                          intéressantes, dans la mesure où les ressources terrestres
  combustible liquide, mélange de fluorures où sont dis-
                                                                          en thorium seraient 2 à 3 fois plus importantes que les
                                                                          ressources en uranium.
                                                                          Néanmoins, le manque de retour d’expérience sur cette
(6) Source : https://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/   technologie nécessitera de reprendre à la base des études
ue_2016/05-Heuer_Creusot-2016_MSFR.pdf                                    dans nombre de domaines, avant de valider une version

                                           RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
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116

      industrialisable. C’est en particulier le cas du système de                     tion quasi parfaite des produits de fission, mais aussi
      traitement, au jour le jour, du combustible liquide.                            une quasi-impossibilité de réaliser un retraitement, un
                                                                                      avantage du point de vue du risque de prolifération, mais
      Par ailleurs, l’233U, l’élément fissile du couple 233U/232Th, est
                                                                                      plutôt un inconvénient s’agissant des possibilités de
      un isotope de l’uranium qui n’entre pas dans la composition
                                                                                      recyclage en réacteur RNR.
      de l’uranium disponible dans la nature. L’amorçage d’un
      réacteur MSFR à partir d’un mélange 233U/232Th (7) nécessitera
      donc de constituer au préalable un stock de cet isotope, ce
                                                                                     Les contributions des différents
      qui peut se faire en soumettant du thorium naturel à un flux
                                                                                     membres au sein du GIF
      de neutrons. En pratique, cela sera obtenu en disposant ce                     Le Tableau 1 de la page suivante reprend les six techno-
      thorium autour d’un cœur de réacteur (8) afin que les neutrons                 logies retenues par le GIF et résumées brièvement ci-des-
      échappés du cœur puissent contribuer à la fertilisation du                     sus. Il indique, par ailleurs, les contributions apportées
      thorium, puis, par décroissance radioactive, à la production                   dans chacune des filières par les membres du forum, telles
      d’233U. Dans le cas d’un MSFR « de référence » au thorium,                     qu’elles étaient définies en septembre 2016. La nature des
      une telle couverture pourra également être mise en place                       contributions y est spécifiée selon trois niveaux qui vont
      afin, par exemple, de produire plus d’233U que la quantité                     de la participation en tant que simple observateur, à la
      consommée par le réacteur. Le réacteur fonctionne alors en                     contribution active, en passant par une contribution plus
      mode « surgénérateur », comme illustré dans la Figure 2 de                     limitée. Parmi les six filières, la filière RNR-Na se détachait
      la page précédente, où l’on notera que la surgénération se                     alors particulièrement du lot en comptabilisant pas moins
      traduit par un surplus de 260 g/j d’233U (9).                                  de cinq contributeurs actifs, dont la France avec le projet
                                                                                     ASTRID. Telle était la situation à la fin 2016, mais nous
      l le réacteur refroidi à l’eau supercritique (RESC) : contrai-
                                                                                     verrons plus loin que, depuis cette date, quelques chan-
        rement aux quatre technologies présentées ci-dessus,
                                                                                     gements sont intervenus concernant ce dernier projet.
        ce type de réacteur fonctionne en régime thermique. Il se
        situe dans le prolongement des réacteurs actuels, avec
        un fonctionnement à 550°C au lieu de 320°C pour les
                                                                                     Focus sur le développement des RNR
        REP actuels, le but étant ici de tirer avantage d’une tem-
                                                                                     en France et dans le monde
        pérature de fonctionnement supérieure, tout en gardant                       L’idée des réacteurs à neutrons rapides est apparue dès
        les acquis des réacteurs actuels ;                                           le début des développements du nucléaire civil, avec
      l le réacteur à très haute température (RTHT) : fonction-                      notamment la perspective intéressante d’un fonctionne-
        nant également en régime thermique, ce type de réac-                         ment en mode surgénérateur dans le cas d’une utilisation
        teur est un système associant le graphite pour la fonc-                      du plutonium comme combustible, cela compte tenu de
        tion de modération, et l’hélium pour le refroidissement,                     l’excellent bilan neutronique de ce dernier. Dit autrement,
        ce dernier circulant sous pression (50 à 90 bars). Bien                      le RNR est un réacteur qui permet de produire plus de
        que non régénérateur, le fonctionnement de ce réac-                          matière fissile (le plutonium) qu’il n’en consomme (11), en
        teur très haute température autorise une réduction de                        exploitant l’238U, présent à 99,3 % dans l’uranium naturel,
        la consommation de combustible, rendue possible par                          et qui, après capture neutronique, conduit à la production
        l’augmentation des rendements thermodynamiques de                            de 239Pu. Initiées aux États-Unis, dans les années 1944-45,
        conversion de la chaleur en électricité, conséquence                         les premières études sur les RNR surgénérateurs (en an-
        des températures de l’ordre de 800-900°C permises par                        glais breeder), alors motivées par la crainte d’un manque
        l’hélium. Un exemple de réacteur THT est donné par le                        d’uranium, ont conduit à la réalisation d’un réacteur expé-
        réacteur, dit « à lit de boulets », où le combustible, qui                   rimental de puissance (1,4 MWth), l’EBR-1 (Experimental
        se présente sous forme de boulets (10), assure une réten-                    breeder reactor n°1), conçu pour produire de l’électricité.
                                                                                     De nos jours, sur le plan international, la filière des réac-
      (7) Il est à noter que, s’agissant des réacteurs MSFR, l’amorçage
      peut également se faire plus directement à partir d’éléments fissiles
                                                                                     teurs rapides est au centre des stratégies à long terme
      transuraniens (TRU), tels que le plutonium, le neptunium, l’américium ou       sur l’énergie nucléaire. Comme souligné ci-dessus, c’est
      le curium, voire à partir d’235U enrichi (enrichissement de l’ordre de 13%).   la filière RNR-Na qui, dans le cadre du GIF, regroupe le
      (8) Ce réacteur n’est pas nécessairement de type MSFR, il peut égale-          plus de contributeurs actifs. Parmi ceux-ci, on mentionne-
      ment être de type REP. Ce qui compte ici, c’est la production d’un flux de
      neutrons capables de fertiliser le thorium installé autour du cœur.
                                                                                     ra tout spécialement la Russie qui exploite actuellement
      (9) Ce surplus d’233U est obtenu en considérant une composition du             deux démonstrateurs RNR-Na industriels : 1) le réacteur
      cœur en éléments lourds quasi stabilisée, laquelle est atteinte après une
      durée de fonctionnement de l’ordre de 50-60 ans. Pour ce qui concerne
      l’233U, cela correspond à une masse stabilisée de 7,5 tonnes, sachant
      que pour initialiser ce réacteur d’une puissance de 1,4 GWe, une masse         (11) Dans le cas des RNR-Na, ce fonctionnement en mode surgénéra-
      d’233U avoisinant les 5 tonnes aura été nécessaire. Le rapprochement           teur n’est possible qu’en entourant le cœur du réacteur d’une « couver-
      de ces quelques chiffres conduit à un temps minimal de doublement de           ture » d’238U, ce qui permet de capturer une grande partie des neutrons
      l’ordre de 50 ans, c’est-à-dire le temps nécessaire pour accumuler les 5       s’échappant du cœur du réacteur, conduisant ainsi à une production de
      tonnes d’233U considérées.                                                     239
                                                                                        Pu. Ce n’est qu’en cumulant la production de plutonium du cœur, avec
      (10) Il s’agit ici de billes d’un diamètre d’environ 60 mm, où le combus-      celle de la couverture fertile, que l’on peut générer plus de plutonium
      tible se présente sous forme d’une sphère d’oxyde UOx d’environ 1 mm           que n’en consomme le réacteur. À l’inverse, sans couverture fertile, il se
      de diamètre, et gainée par plusieurs couches de carbone de propriétés          consommerait plus de plutonium qu’il ne s’en créerait, le réacteur fonc-
      différentes de sorte à remplir les fonctions : 1) de « vase d’expansion »      tionnant alors en mode incinérateur. Lorsqu’il se crée autant de plutonium
      des produits de fission gazeux, 2) de rétention des produits de fission et     qu’il s’en consomme, on parle d’iso-générateur, ce qui est l’option rete-
      3) de transfert thermique.                                                     nue dans le cadre du projet ASTRID.

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Tableau 1 : Les filières technologiques fixées dans le cadre du GIF et les contributions (septembre 2016) des membres du forum (source :
« Quel avenir pour le nucléaire et pour ses différentes applications civiles ? » – 5ème colloque organisé par le groupe régional PACA-Corse
de la SFEN, 20 avril 2018, Nicolas Devictor).

BN-600, mis en service en 1980, d’une puissance de 600                          En France, au début du nucléaire civil, le but était de
MWe, et initialisé à partir d’235U, enrichi à 26 %, et 2) le                    construire quelques réacteurs à neutrons thermiques afin
réacteur BN-800, mis en service en 2015, d’une puis-                            de constituer un stock initial de plutonium, de manière
sance de 800 MWe, et fonctionnant à partir d’un mélange                         à amorcer la filière RNR. Cela a conduit à opter pour le
de dioxyde d’uranium et de plutonium (MOX) (12).                                retraitement des combustibles usés (oxydes d’uranium,
                                                                                UOx) des réacteurs REP, afin de constituer cette masse
De leur côté, les Chinois exploitent, depuis 2011, un
                                                                                initiale de plutonium, avec, en parallèle, le démarrage d’un
réacteur RNR-Na expérimental, le CEFR (China experi-
                                                                                petit réacteur RNR-Na, Rapsodie, d’une puissance de 38
mental fast reactor), d’une puissance de 20 MWe, et dé-
                                                                                MWth, refroidi au sodium, et démarré en 1967 (puis arrêté
marré avec un combustible à base d’oxyde d’235U. Ces
                                                                                en 1983), afin de mettre au point la technologie. Ce pre-
derniers ont par ailleurs entamé la construction d’un RNR
                                                                                mier réacteur a été suivi par Phénix, un démonstrateur in-
de 600 MWe en 2017.
                                                                                dustriel d’une puissance électrique de 250 MWe, raccordé
De l’autre côté du spectre neutronique, et à l’inverse des                      au réseau en décembre 1973 (et arrêté en 2010), puis par
RNR surgénérateurs, les réacteurs « thermiques », exploi-                       Superphénix, un RNR d’une puissance de 1 200 MWe, dé-
tant l’235U, présent à 0,7 % dans l’uranium naturel, sont                       marré en 1986, et dont l’arrêt est intervenu en 1997, pour
de fait tributaires des ressources en 235U, qui, sur la base                    des motivations à caractère essentiellement politique.
des consommations mondiales actuelles (~ 65 000 tonnes
                                                                                Au final, les enseignements tirés de ce programme RNR-
d’uranium naturel/an), ainsi que des ressources en ura-
                                                                                Na français tiennent beaucoup au retour d’expérience
nium naturel, estimées à 8 Mt (13), laissent de l’ordre d’une
                                                                                réalisé autour du fonctionnement du réacteur Phénix, dont
centaine d’années avant qu’une pénurie d’uranium naturel
                                                                                les bilans matières ont permis d’établir un taux de surgé-
ne se manifeste. Par comparaison, dans le cas des RNR,
                                                                                nération de 1,16 (14) (contre 1,13 attendu théoriquement),
et du fait de l’utilisation de l’238U, la perspective d’une
pénurie d’uranium serait repoussée à une échéance de
l’ordre de quelques milliers d’années.
                                                                                (14) S’agissant des RNR-Na, la masse de plutonium requise pour un
                                                                                cœur de réacteur de 1 GWe est de l’ordre de 7,5 tonnes. Par ailleurs,
(12) Le terme MOX est l’abréviation de « Mélange d'oxydes » (en anglais :       avec un temps d’irradiation de 5 ans, puis d’un temps de refroidissement
Mixed oxyde fuel), à savoir : le dioxyde de plutonium (PuO2) et le dioxyde      de 5 ans, et enfin d’un temps de fabrication de 2 ans, l’inventaire total de
d'uranium (UO2). Ce combustible nucléaire est constitué d’environ 8,5 %         plutonium sur l’ensemble cycle serait de 18 tonnes [soit : 7,5*(5+5+2)/5 =
de plutonium et 91,5 % d’uranium appauvri.                                      18 tonnes Pu)]. En rapprochant cette donnée avec le taux de régénération
(13) Il s’agit des ressources récupérables identifiées à des coûts inférieurs   de 1,16 constaté sur Phénix, cela conduit à un temps de doublement de
à 260 USD/kg. Voir à ce sujet : “Uranium 2018, resources, production            l’ordre de 75 ans [soit : 5*18/(0,16*7,5) = 75 ans)]. Avec le taux de régéné-
and demand” (source : International atomic energy agency & Nuclear              ration visé pour les futurs RNR-Na, ce temps passerait à 60 ans (Source :
energy agency).                                                                 Sylvain David, CNRS/IN2P3, séminaire LIED, octobre 2017).

                                               RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
118

      comme le rappelle Dominique Grenêche dans un ouvrage                          métalliques qui l’entourent, ce qui conduirait à la forma-
      paru en 2016 (15). Il y précise par ailleurs que sur les 4,4                  tion d’un magma très chaud (plus de 2 000°C), appelé
      tonnes de plutonium récupérées durant son exploitation,                       corium, un dispositif innovant a été conçu. Placé en fond
      3,3 tonnes ont été recyclées dans le cœur de Phénix, sous                     de cuve, ce dispositif permet une récupération et un éta-
      forme de combustible MOX, concluant qu'avec ce pro-                           lement du corium afin de faciliter son refroidissement, et
      gramme, la mise en œuvre pratique de la surgénération                         évite ainsi tout problème d’emballement de la réaction
      dans les RNR aura donc été démontrée en France, à une                         en chaîne.
      échelle préindustrielle.                                                    l Le sodium étant réactif chimiquement avec l’eau, le

                                                                                    générateur en eau-vapeur actionnant le turbogénéra-
      Sur la conception d’un nouveau                                                teur est remplacé par un système de conversion en gaz.
      démonstrateur industriel RNR-Na :                                             Ainsi, la chaleur du sodium du circuit secondaire est
      le projet ASTRID                                                              communiquée à de l’azote sous pression, qui se détend
                                                                                    ensuite dans les turbines du générateur électrique.
      Pour rappel, fin 2019, le projet ASTRID est arrivé en fin de
      phase d’avant-projet détaillé. Ce projet, décidé en 2006 par
                                                                                  Stratégies de déploiement
      le président Jacques Chirac, dans le cadre de la loi sur la
                                                                                  des RNR-Na en France
      gestion des matières et des déchets, puis lancé en 2010,
      prévoyait la mise en service d’un prototype de réacteur de                  La stratégie de déploiement des RNR en France a fait l’ob-
      « quatrième génération » en 2020. Par la suite, après un                    jet de plusieurs rapports, le dernier en date ayant été ren-
      glissement du calendrier initial en 2012, puis, en 2014, suite              du public le 25 octobre 2018. Élaboré par la direction de
      au ralentissement du nucléaire dans le monde, consécutif                    l’Énergie nucléaire (DEN) du CEA, ce rapport (17) répond à
      à l’accident de Fukushima, la phase d’étude a été prolon-                   l’article 51 de l’arrêté du 23 février 2017 pris en application
      gée jusqu’en 2019, avant une éventuelle décision de pour-                   des prescriptions de l’édition 2016-2018 du Plan national
      suite du projet, suivie d’une phase de consolidation sur la                 de gestion des matières et des déchets radioactifs
      période 2020-2023 en cas de décision favorable.                             (PNGMDR). Contrairement à l’hypothèse avancée lors
                                                                                  d’études précédentes (2012), où un remplacement à grande
      Selon le calendrier établi, cette période devait être sui-
                                                                                  échelle des REP par des RNR avait été envisagé, le rapport
      vie d’une décision de construction, puis d’une phase de
                                                                                  de 2018 a retenu une approche plus graduelle, avec un
      développement, de 2024 à 2028, avant d’enchaîner sur
                                                                                  déploiement progressif des RNR, tirant parti des matières
      la phase de construction d’un démonstrateur industriel
                                                                                  et des infrastructures existantes. Le scénario industriel
      d’une puissance de 600 MWe, cette construction étant
                                                                                  pris en compte dans le cadre de cette étude est constitué
      programmée de 2029 à 2039. Mais la décision récente (voir
                                                                                  de 4 paliers, notés (A), (B), (C) et (D) dans le rapport. Par
      supra) de ne pas aller au-delà de la phase d’avant-projet
                                                                                  ailleurs, à des fins de comparaisons, un cinquième palier a
      détaillé, a cependant mis un terme au projet tel qu’envi-
                                                                                  également été considéré. Ce palier, noté (0), correspond à
      sagé initialement.
                                                                                  un parc français hypothétique qui n’aurait fonctionné qu’en
      À ce jour, sur la base de l’expérience acquise avec les                     cycle ouvert, sans retraitement des combustibles UOx
      réacteurs Rapsodie, Phénix, puis Superphénix, ainsi                         usés. Concernant les paliers (A), (B), (C) et (D), les objectifs
      qu’avec le projet européen de réacteur EFR (European                        de chacun d’eux sont les suivants :
      Fast reactor) (16), les principales innovations tirées des tra-
                                                                                  l   Palier (A) : l’objectif de ce palier est la stabilisation de
      vaux accomplis dans le cadre du projet ASTRID ont porté
                                                                                      l’inventaire des combustibles UOX usés par mono-
      sur trois points :
                                                                                      recyclage sous forme de MOX. L’uranium et le plutonium
      l Afin de traiter la question du « coefficient de vidange » po-                 contenus dans ces combustibles sont ainsi valorisés,
        sitif rencontré avec le réacteur Superphénix, un nouveau                      permettant par ailleurs de réaliser une économie de res-
        concept de cœur a été développé. Il s’agit d’une solution                     sources naturelles (de l’ordre de 20 %). Le parc est à ce
        mettant en œuvre le concept dit de « Cœur à faible effet                      stade constitué exclusivement de réacteurs à eau, prin-
        de vidange » (CFV), qui correspond à une configuration                        cipalement les REP actuels ;
        géométrique du cœur donnant à celui-ci une forme apla-
                                                                                  l   Palier (B) : l’objectif de ce palier B, qui sera amorcé en
        tie (on parle alors d’un cœur « galette »), ce qui favorise
                                                                                      2040, est la stabilisation de l’inventaire des combustibles
        la fuite des neutrons hors du cœur en cas de surchauffe,
                                                                                      MOX REP usés. Pour cela, la totalité des REP actuels se-
        réduisant ainsi la réactivité de l’ensemble, et conduisant
                                                                                      ront progressivement remplacés par des réacteurs EPR,
        au final à un « coefficient de vidange » négatif.
                                                                                      le parc EPR, constitué à horizon 2065, étant composé
      l Afin de prendre en compte les situations accidentelles
                                                                                      de : 22 EPR UOx, 4 EPR URE (18) et 10 EPR moxés à
        pouvant entraîner la fusion du combustible et des gaines

                                                                                  (17)  Voir  https://www.asn.fr/Media/Files/00-PNGMDR/PNGMDR-2016-
      (15) Histoire et techniques des réacteurs nucléaires et de leurs combus-    2018/Inventaire-prospectif-entre-2016-et-2100-des-matieres-et-des-
      tibles, GRENÊCHE Dominique, EDP sciences, 2016.                             dechets-radioactifs-produits-par-le-parc-francais-selon-differents-scena-
      (16) Le projet de réacteur EFR de 1 500 MWe avait été conçu en 1988         rios-d-evolution-avec-evaluation-de-l-emprise-au-stockage?
      par une association d’organismes européens, dont EDF, Novatome et           (18) L’uranium « URE » correspond à de l’uranium issu du réenrichisse-
      le CEA. Finalement gelé fin 1998, le projet EFR avait pour objectif prin-   ment de l’uranium récupéré lors du retraitement des combustibles UOx
      cipal de démontrer la viabilité des RNR-Na en visant des performances       usés. Cet uranium issu du retraitement est lui désigné sous l’appellation
      économiques plus intéressantes que les réacteurs construits jusqu’alors.    « URT ».

      LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
119

    30 %. Ce parc EPR sera par ailleurs complété par une                                   que, compte tenu de la dégradation de la composition
    première série de RNR, à savoir le réacteur ASTRID de                                  isotopique du plutonium au fil des recyclages, les RNR
    600 MWe, auquel s’ajouteraient 2 RNR de 1 000 MWe.                                     fonctionnent ici en mode surgénérateur afin de produire
    Cette puissance RNR correspond à celle requise afin                                    du plutonium susceptible de relever la qualité du pluto-
    de stabiliser l’entreposage des MOX usés, grâce au                                     nium issu des multi-recyclages ;
    recyclage d’un volume de plutonium égal à celui issu du
                                                                                       l   Palier (D) : ce palier vise la fermeture complète du cy-
    retraitement des UOx et MOX usés produit par le parc
                                                                                           cle, à savoir la suppression de tout besoin d’uranium
    d’EPR (on parle alors de bi-recyclage « REP, puis RNR »).
                                                                                           naturel pour alimenter le parc, ainsi que la stabilisation
    Il est à noter que les combustibles RNR usés, ainsi que
                                                                                           de l’inventaire en plutonium comme pour le palier C.
    les combustibles URE usés, ne sont pas recyclés dans
                                                                                           L’ensemble du parc est alors globalement iso-généra-
    le cadre de ce palier ;
                                                                                           teur, avec deux options envisagées pour y parvenir, à sa-
l   Palier (C) : l’objectif de ce palier est la stabilisation de                           voir : 1) un parc homogène 100 % RNR (palier D1, parc
    l’inventaire total en plutonium, par multi-recyclage                                   constitué à horizon 2180) ; et 2) un parc mixte composé
    des MOX en REP (voir l’Encadré ci-après), à partir de                                  de RNR surgénérateurs produisant le plutonium, et de
    réacteurs EPR et RNR (parc constitué à horizon 2125 :                                  REP 100 % MOX consommant le plutonium ainsi produit
    25 EPR moxés à 30 %, 1 EPR moxé à 100 % et 12 RNR                                      dans les RNR (palier D2, parc également constitué à ho-
    1 450 MWe). L’idée est ici de ne pas accumuler des                                     rizon 2180). Par ailleurs, dans les deux cas, il est procé-
    quantités de plutonium au-delà des besoins nécessaires                                 dé au multi-recyclage de l’ensemble des combustibles
    pour le déploiement de la filière RNR jusqu’à la ferme-                                MOX RNR et REP.
    ture complète du cycle (palier D). Il est toutefois à noter

                                         Le multi-recyclage des combustibles MOX en REP
    La question du multi-recyclage du MOX en REP avait déjà fait l’objet d’études menées par le CEA à partir des
    années 1990, cela afin de permettre une optimisation de l’utilisation de la ressource uranium. Cette optimisa-
    tion est toutefois rendue délicate du fait de la dégradation isotopique du plutonium observée après passage
    du MOX en réacteur (19). Réaliser le multi-recyclage de ce MOX implique donc d’en augmenter la teneur en
    plutonium afin de préserver le niveau de réactivité nécessaire au bon fonctionnement du réacteur. Cependant,
    poursuivre ce processus au-delà d’un premier recyclage poserait un problème de sûreté du réacteur, notam-
    ment en situation de « vidange » (20) du modérateur (de l’eau légère dans le cas des REP) susceptible de survenir
    à l’occasion d’une forte élévation de la température du cœur de réacteur. En pareille situation, le ralentissement
    des neutrons serait moins efficace. On parle alors de durcissement du spectre énergétique, avec pour consé-
    quence une augmentation de la probabilité de fission pour tous les isotopes du plutonium, ce qui conduirait
    à un « coefficient de vidange » positif. Il existe donc une teneur maximale en plutonium dans le combustible
    au-delà de laquelle la sûreté du réacteur ne serait plus garantie. Cette limite se situe entre 12 et 15 % selon la
    composition isotopique du plutonium, et est en pratique fixée à 12 %.
    Afin de surmonter cette difficulté, la mise au point d’un nouveau type de combustible, le MOX2, a été lancée
    sur la base des recherches réalisées par le CEA dans les années 1990. Celles-ci avaient notamment permis
    de dégager deux concepts susceptibles de répondre à la question, à savoir : le concept MOXEUS (MOX sur
    support d’uranium enrichi), également connu sous l’appellation MIX ; et le concept CORAIL (Combustible recy-
    clage à îlots). Avec le concept MIX, il s’agit de limiter la teneur en plutonium dans le combustible à une teneur
    proche de celle des MOX actuels, et de compléter le besoin en noyaux fissiles par un apport d’uranium enrichi.
    Le concept CORAIL consiste, quant à lui, à faire cohabiter, au sein d’un même assemblage, des crayons UOx
    et des crayons MOX à support d’uranium appauvri. Ces deux concepts ont récemment été repris dans le cadre
    de l’étude sur l’ « Inventaire prospectif 2016-2100 des matières et déchets » menée en 2017-2018 par le CEA
    (voir la note de bas de page 15). Il est à noter que l’emploi de ce type de combustible nécessitera de mener
    un programme préalable de recherche et développement, ainsi que des études d’ingénierie portant sur les
    nouvelles infrastructures du cycle, avec, notamment, l’adaptation des installations de La Hague et de l’usine
    Mélox. En termes de calendrier, l’introduction d’un assemblage test de combustible MOX2 en réacteur est visée
    à l’horizon 2025-2028, avec un possible déploiement industriel au-delà de 2040) (21).

    (19)   Après un premier passage en réacteur, le plutonium est constitué principalement des isotopes 239Pu, 240Pu, 241Pu et 242Pu (dans la terminologie
    nucléaire, on parle de « vecteur » plutonium). Cependant, en régime thermique, seuls les isotopes 239Pu et 241Pu sont fissiles, les isotopes pairs étant
    essentiellement capturants. Ces derniers, issus de captures obtenues à partir d’isotopes impairs, ont tendance à s’accumuler plus rapidement que les
    isotopes impairs, une partie de ceux-ci disparaissant par fission. Au final, la teneur en éléments fissiles du plutonium diminue au fil du temps passé en
    réacteur.
    (20) Il s’agit ici d’un effet similaire à celui déjà mentionné plus haut (voir note de bas de page 4) avec le sodium des RNR-Na, mais s’appliquant cette fois-ci
    à l’eau qui assure ici la double fonction de modérateur et de caloporteur.
    (21) Source : https://participons.debatpublic.fr/processes/pngmdr/f/41/questions/728

                                                  RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
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      La définition de ces différents paliers conduit ainsi à                    cette date, par la fermeture de 14 réacteurs de 900 MWe.
      considérer deux scénarios de transition – « ABCD1 » et                     La question de l’éventuelle réduction de puissance du
      « ABCD2 » –, découlant des deux variantes introduites pour                 réacteur ASTRID évoquée ci-dessus, et qui passerait de
      le palier D. En plus de ces deux scénarios, et pour tenir                  600 MWe prévu initialement à 100-200 MWe, est aussi de
      compte de certaines analyses basées sur des hypothèses                     nature à revenir sur les hypothèses de déploiement des
      d’une demande nucléaire soutenue au niveau mondial (22),                   futurs réacteurs RNR-Na.
      qui concluent à des tensions sur les prix de l’uranium à
                                                                                 Enfin, la perspective d’une remontée des prix de l’uranium
      horizon de la fin de ce siècle, rendant ainsi les RNR plus
                                                                                 plus précoce que prévu (24), impliquerait de basculer plus
      compétitifs que les technologies REP, l’étude du CEA en-
                                                                                 rapidement vers un parc RNR, ce qui mettrait en avant le
      visage un basculement anticipé vers le palier D2 (suivant
                                                                                 scénario « ABD2 » évoqué plus haut, avec une contrainte
      directement le palier B), amorcé aux alentours de 2090.
                                                                                 sur le stock de plutonium qui pourrait ne pas être suffisant
      Il est à noter que pour ces trois scénarios – « ABCD1 »,
                                                                                 dans le cas d’un basculement plus rapide qu’anticipé vers
      « ABCD2 » et « ABD2 » –, l’hypothèse retenue est une
                                                                                 les technologies RNR. Pour rappel, en ce qui concerne la
      production nucléaire constante de 420 TWh/an.
                                                                                 France, le basculement complet du parc actuel vers un
                                                                                 parc à 100 % RNR nécessiterait de disposer d’une masse
      Le report du démonstrateur                                                 de plutonium de près de 1 200 tonnes (25), comme cela est
      industriel ASTRID au-delà de 2050                                          illustré par la Figure 3 qui suit.
      et ses conséquences
                                                                                 Au vu de cette figure, et si l’on exclut le scénario « 0 » évoqué
      S’agissant de la construction d’un démonstrateur indus-
                                                                                 plus haut, on constate que, pour tous les autres scénarios
      triel, le CEA, maître d'ouvrage du programme, a, début
                                                                                 d’évolution, la constitution de cet inventaire en plutonium
      2018, et pour des considérations budgétaires, proposé
                                                                                 n’est effective qu’aux alentours de 2115, ce qui pourrait
      au gouvernement français de revoir à la baisse les am-
                                                                                 s’avérer trop tardif au regard d’une forte remontée des prix
      bitions initiales, en visant une puissance de réacteur de
                                                                                 de l’uranium d’ici à la fin de ce siècle, surtout en considérant
      200 MWe, voire 100 MWe, au lieu des 600 MWe prévus
                                                                                 le rôle clé que l’235U continuera d’avoir, pour le siècle à venir,
      initialement. Puis, en août 2019, est intervenue la décision
                                                                                 dans la constitution du stock de plutonium nécessaire pour
      de reporter la construction du démonstrateur industriel
                                                                                 une transition « sans couture » vers les technologies RNR.
      au-delà de 2050. Par la suite, l'administrateur général du
      CEA, lors de son audition par la Commission des affaires
      économiques du Sénat, le 23 octobre 2019 (23), a clarifié
      la position du CEA en précisant qu’il y avait deux raisons
      à l'appui de cette décision de ne pas construire le dé-
      monstrateur à la date prévue. La première raison invoquée
      est économique, la viabilité du projet de démonstrateur
      requérant un prix significativement plus élevé de l’ura-
      nium, la seconde raison étant que la partie s'attachant au
      cycle de l’uranium n'avait pas été suffisamment étudiée.
      S’agissant de ce dernier point, il a précisé que le CEA étu-
      dierait le multi-recyclage des MOX en REP, avec le test
      en réacteur d’un assemblage de crayons de combustible
      à horizon 2025. Par ailleurs, en parallèle, un travail serait
      maintenu sur les technologies clés en matière de RNR,
      cela dans le cadre d’une coopération internationale.
      S’agissant du déploiement des futurs réacteurs RNR-Na                      Figure 3 : Évolution de l’inventaire Pu en fonction des scénarios
      tel qu’envisagé dans les scénarios décrits ci-dessus, cette                de déploiement des RNR (source : Étude CEA 2018 sur l’« Inven-
      décision récente de report du démonstrateur ASTRID                         taire prospectif entre 2016 et 2100 des matières et des déchets
      au-delà de 2050 appellera sans nul doute à une révision                    radioactifs produits par le parc français selon différents scénarios
                                                                                 d’évolution »).
      de ces scénarios. Cette révision s’avère par ailleurs né-
      cessaire, considérant que l’étude CEA de 2018, qui prend
      comme hypothèse une production nucléaire constante                         (24) Cette remontée des prix dépendra bien entendu du développement
                                                                                 du nucléaire à l’échelle mondiale dans les décennies à venir, notamment
      de 420 TWh/an, n’intègre pas l’objectif de réduction, d’ici                dans l’hypothèse d’un doublement, voire plus, du parc nucléaire mon-
      à 2035, de la part de production d’électricité nucléaire à                 dial, cela en lien avec les politiques de décarbonation de l’économie
      50 % de la production totale d’électricité, ce qui, selon le               mondiale. Sur ce point, les regards se tournent tout particulièrement vers
      projet de PPE soumis à consultation, se traduirait, d’ici                  la Chine qui fait montre d’une volonté de se positionner résolument sur
                                                                                 l’ensemble des compartiments du secteur nucléaire, comme l’illustre par
                                                                                 ailleurs l’annonce de la signature prochaine (d’ici fin janvier 2020) d’un
                                                                                 contrat franco-chinois portant sur la construction en Chine d’une usine
      (22) « Disponibilité à long terme des ressources mondiales d’uranium »,    de recyclage du combustible nucléaire usagé, annonce faite lors du dé-
      Thèse de MONNET A., 2017 ; MONNET A., GABRIEL S. & PERCEBOIS               placement en Chine du président Macron, du 4 au 6 novembre 2019.
      J., « Ressources mondiales d’uranium : quelle disponibilité à long terme   (25) S’agissant des RNR-Na, la masse de plutonium requise pour le
      ? », La Revue de l’Énergie, n°635, décembre 2017.                          fonctionnement d’un réacteur de 1 GWe est de l’ordre de 18 tonnes,
      (23)  http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20191021/eco.           comme signalé plus haut. Pour un parc de 63,2 GWe, cela conduit pré-
      html#toc2                                                                  cisément à une masse de plutonium de 1 140 tonnes de plutonium.

      LE NUCLÉAIRE CIVIL, ENJEUX ET DÉBATS - © Annales des Mines
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Conclusion                                                    si la technologie présente de nombreux atouts, cela ne
                                                              doit pas occulter la question de la disponibilité future du
Comme cela avait été bien identifié au tout début du          239
                                                                  Pu, nécessaire au fonctionnement des réacteurs RNR-
nucléaire civil, les réacteurs RNR demeurent les seuls à      Na. Il y a, à cet égard, comme nous l’avons vu, une relative
pouvoir garantir la fourniture d’énergie nucléaire sur une    incertitude quant au nombre de réacteurs RNR-Na qu’il
échelle de temps de l’ordre du millier d’années. À travers    sera possible de déployer, en France, à partir de 2050, et
cet article, nous avons pu prendre la mesure des efforts      au-delà. Ajoutons que, face aux discours mettant en avant
consentis au niveau international afin d’assurer la péren-    le rôle positif du nucléaire dans le processus de décar-
nité des technologies nucléaires, en prenant appui pour       bonation de l’économie mondiale, force est de constater
cela sur les réacteurs dits « de génération IV », dont nous   que des incertitudes persistent quant à la place effective
avons vu qu’ils se déclinaient selon six filières définies    que l’on entend donner au nucléaire sur l’échiquier éner-
dans le cadre du GIF. Parmi ces filières, la solution RNR-    gétique et climatique mondial, alors même que les incer-
Na étudiée dans le cadre du projet ASTRID a été parti-        titudes relatives au changement climatique en cours se
culièrement mise en avant, car bénéficiant de nombreux        réduisent au fil des rapports produits par le GIEC.
retours d’expérience, et ayant de ce fait les meilleures
chances d’être déployée à moyen-long terme. Cependant,

                                    RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT - JANVIER 2020 - N°97 - © Annales des Mines
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