Les agressions intra-spécifiques chez le chat.

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Les agressions intra-spécifiques chez le chat.
Les agressions intra-spécifiques chez le chat.
                                    Congrès GERC à Bruxelles - 2008

Dominique Ranson-Cock
Bruxelles

Pour comprendre et résoudre les problèmes d’agressivité intra-spécifique, il est essentiel d’avoir
quelques points de repères quant à l’organisation sociale et territoriale du chat, très différentes de
celle du chien.

Organisation sociale et territoriale du chat

Le chat est connu pour être un solitaire, mais il n’est pas asocial pour autant. C’est plutôt un animal
grégaire. Il a tendance à vivre en groupe non structuré, sans organisation hiérarchique. Les femelles
forment des groupes familiaux avec les chatons (grand-mère, mère, tante, …). Les mâles en sont
exclus à la puberté. Ils peuvent alors vivre en solitaire ou rejoindre d’autres mâles mais toujours
dans une structure de groupe très lâche.
Seul l’accès aux femelles est hiérarchisé.
Le groupe des femelles est donc beaucoup plus fermé et peut même être qualifié de xénophobe
(hostile aux étrangers à la famille).

Mais en habitation, d’autres facteurs interviennent :
- On se trouve rarement dans un groupe familial (proprio ayant une chatte dont ils garderaient
uniquement les chatons femelles). Il s’agit généralement de l’introduction d’un nouveau chat au gré
d’une offre (portée née chez des connaissances), d’un changement familial (2 personnes ayant un ou
des chats s’installent ensemble), remplacement d’un chat décédé, décision (unilatérale du proprio)
d’adjoindre un compagnon de jeu, …
- Les chats d’intérieur sont souvent stérilisés (ce qui diminue l’agressivité entre mâles), de nombreux
chats, pouponnés par leurs proprios conservent un comportement immatures.
- On trouve des chats plus ou moins sociables, certains vivant sans interactions avec les autres chats
du groupe.
- Les possibilités de fuite à l’intérieur d’une habitation sont réduites ce qui interfère avec le
déroulement des agressions.
- Il faut surtout garder à l’esprit que le facteur déterminant quant à l’entente entre chats est la
socialisation précoce (avant 9 semaines) aux autres chats. Il sera donc plus facile d’introduire un
chaton ou un chat socialisé si le chat de la maison a déjà vécu en compagnie d’un autre (en bonne
entente !)
- Il est intéressant dans une SPA d’avoir une grande pièce dans laquelle on regroupe tous les chats
(après quarantaine), afin de tester la socialisation en vue d’un placement. Dans les grands groupes,
les agressions ont tendance à diminuer (mais le marquage urinaire augmente).

L’organisation territoriale est très subtile : plusieurs champs d’activité à destination bien précise
(chasse, jeu, repos, observation, alimentation, …) sont reliés par des passages balisés que tous les
chats peuvent emprunter. Ces zones sont occupées par un chat à des moments souvent très précis
de la journée ; cf visite à domicile, les gens savent souvent où se trouve chacun des chats (ex début
de matinée : fenêtre rue ; fin de matinée : fauteuil ; début après-midi : fenêtre jardin ; fin après-midi :
radiateur salle à manger ; …).
Ces champs peuvent être utilisés en “time sharing” (= temps partagé), plusieurs chats les utilisant à
divers moments de la journée, lorsqu’ils sont libres. Un chat n’en chasse normalement pas un autre
pour s’y mettre. La dimension du territoire est très variable et dépend, en habitation, de l’espace
disponible (en 3 D ce qui élargit considérablement le territoire).
Le chat est un animal naturellement peu enclin à l’affrontement : il préfère toujours éviter l’autre
chat en faisant demi-tour ou en le contournant rapidement ou très lentement, en détournant le
regard, en se toilettant (activité de substitution).
Et lors de rencontre à un endroit où le croisement est impossible (mur de jardin), un des deux
laissera le passage à l’autre sans qu’intervienne de notion de hiérarchie.
Il existe des zones neutres, par ex champ d’alimentation si alimentation en suffisance (ce qui est
généralement le cas en habitation, parc, …)

Les types d’agression

Agression hors habitation : généralement le fait de matous qui nous arrivent pour suture de plaies,
oreille déchirée, abcès, …
Seule prévention la castration précoce, l’interdiction de sortie. Il ne s’agit pas d’agression
pathologique.

Agression par un chat de tous les chats : pathologique. Il faut effectuer un examen comportemental
complet du chat agresseur.
Il peut s’agir de phobie intra-spécifique, d’un état algique (otite, arthrite, cystite, …) entraînant de
l’agression par irritation, d’un état dysthymique avec phase agressive, d’hyper-agressivité (cf HsHa du
chien), d’une anxiété intermittente, d’une alimentation trop peu fréquente (l’hypoglycémie entraîne
de l’agressivité), … et d’autres choses encore qui seront décelées par l’examen.
Dans tous ces cas, hormis la phobie intra-spécifique, l’agressivité sera rarement limitée aux seuls
chats mais également orientée vers les humains, chien, …

Agression d’un seul chat par tous les autres : Il faut effectuer un examen comportemental complet
du chat agressé. Pathologique.
Il s’agit d’un problème de communication visuelle et/ou olfactive du chat agressé. Ex : chaton élevé
par des humains suite à la mort de la mère et mis en présence d’autres chats vers 8 mois, vieux chat
très anxieux toujours en posture basse.

Agression entre 2 chats quel que soit le nombre de chats dans l’habitation. C’est le cas le plus
fréquent en consultation et de cela que je vais vous parler aujourd’hui.
Cette agressivité peut apparaître dès la mise en contact des chats, au moment de la puberté ou
lorsqu’une femelle est en chaleur, lors d’une mise-bas, après une séparation momentanée (ex un
chat amené chez le véto pour un détartrage).
Très frustrant pour le proprio dont le rêve était 2 chats “copains” (compagnie, jeu, sommeil).
Très traumatisant lorsque 2 chats qui s’entendaient bien ne peuvent soudain plus se trouver dans la
même pièce sans se battre furieusement. La situation est d’autant plus inextricable que lorsqu’ils
sont séparés, l’attitude des 2 chats est inchangée (sur le plan affectif).
Un examen comportemental des 2 chats est à réaliser.

Les différents stades

J’ai pour habitude de distinguer 4 stades (traitement et pronostic) dans l’agressivité intra-spécifique
du chat :

Distancement

Il s’agit d’une agression limitée aux menaces, généralement défensive (parfois offensive) qui se limite
à des soufflements et crachements. C’est un stade non pathologique permettant à l’un des chats de
marquer ses “limites” face à l’autre, de répartir au sein du groupe les territoires dans le temps et
dans l’espace. Généralement après un face à face de quelques minutes le chat “agresseur” s’en va.
Prévention :
Les gens nous questionnent parfois lors du décès d’un chat ou lors d’un vaccin sur l’acquisition d’un
deuxième chat, à nous de stimuler leur réflexion :
Pourquoi un nouveau chat ? Le chat déjà en place est-il socialisé aux autres chats ? Et le nouvel
arrivant ? Pourquoi ne pas prendre 2 chatons en même temps.
Traitement :
Ne pas intervenir dans un premier temps.
Vérifier que les deux chats ont une échappatoire (cf chat handicapé par obésité, arthrose, …), vérifier
qu’il ne s’agit pas d’un chaton inhibé planqué sous une armoire.
Veillez à ce que chaque chat dispose d’une zone de repos non envahie. L’intervention des
propriétaires pendant “l’agression” aggrave le problème qui sans cela se résout souvent de lui-même
en quelques jours.
Veiller à l’amélioration ou au statut quo. En cas d’aggravation, intervenir.

Escarmouche

Limite pathologique car à l’intérieur d’une habitation, les possibilités de fuite pour éviter la
confrontation sont limitées.
Cette attaque de très courte durée peut être comparée à un assaut en escrime : le juge dit « allez »,
on entend quelques bruits de ferraille et si on n’a pas été très attentif, tout est terminé avant que
l’on ait compris ce qui s’est passé et qui a fait quoi.
Souvent tamponnade griffes rentrées ou non, soufflement parfois miaulement - cri bref de forte
intensité.
On peut souvent reconnaître un chat passif (évitement ou agression défensive par anticipation) et un
chat actif (attaque brusquement le chat qui passe). Difficile de désigner « un » responsable, souvent
le chat passif « provoque » l’autre par une attitude de fuite coulée, de passage en courant,
d’agression de distanciation. Les blessures sont superficielles. La poursuite n’est pas systématique.
Les agressions ne sont pas permanentes et sont souvent bien localisées (endroits de passage, sortie
des champs d’isolement).
Parfois il s’agit d’un chat « taquin », qui recherche le jeu non souhaité par le partenaire.
Il peut s’agir d’une aggravation du stade précédent ou d’une apparition subite.
Suite à une séparation des chats, un des 2 chats revenant avec une odeur ou un comportement
anormal n’est dès lors pas reconnu par son compagnon. Le cas le plus fréquent est le retour de chez
le vétérinaire après une anesthésie (détartrage, castration, …). Le chat resté à la maison, effrayé par
l’odeur ou le comportement ataxique, agresse l’autre qui développe une phobie intra-spécifique et
un comportement d’auto défense. Effet « boule de neige », les menaces défensives ou le
comportement d’évitement déclenchent le conflit et l’anxiété s’installe rapidement chez les 2 chats,
menant au stade 3.
Cela peut également se produire après mise-bas. (cf chatterie : attaque systématique d’une des
femelle à chaque fois qu’elle a des chatons, toujours par le même mâle). Il semble donc qu’il y ait
une « prédisposition anxieuse ».

Prévention : lors d’une anesthésie, attendre que le chat soit bien réveillé avant de le mettre en
contact avec un congénère (garder le chat dans une pièce séparée jusqu’à récupération d’une
démarche normale), éventuellement hospitaliser les 2 chats en cas de situation à risque.
Thérapie : Il faut traiter les 2 chats.
 - chat actif : diminuer l’agressivité → fluvoxamine, fluoxétine
 - chat passif : diminuer la sensibilisation phobique. On peut arriver à supprimer les agressions en
    réduisant les signes d’anxiété du chat passif → clomipramine, fluvoxamine ou sertraline.

Bagarre

Dégradation du stade précédent, non reconnaissance d’un autre chat.
Ex : phobie post-traumatique. Chat couché sur une chaise ; un autre passe dessous au moment où
un bruit se produit → agression redirigée et par la suite phobie post-traumatique du chat agressé.
Feulement, cris, bagarre avec arrachage de poils et saignements (très « spectaculaire » sur le plan
auditif et visuel). Ensuite, fuite du chat passif poursuivi par le chat actif jusqu’à un champ
d’isolement avec au fil du temps envahissement de ce champ. Le chat passif restreint son espace
d’activité alors que le chat actif déambule plus que d’habitude (+ agité) il est hyper-moteur (agitation
de la queue, « rolling skin syndrom », agression redirigée sur les objets en pourtour des lieux
d’isolement du chat passif).
Dans un espace fermé (comme une habitation), le chat passif ne peut réellement échapper au
stimulus phobogène (le chat actif) et s’y sensibilise.
Risque d’agression redirigée sur les proprios s’ils interviennent.
Traitement : il faut séparer les chats car la fuite est un renforcement positif pour le chat actif et
l’impossibilité d’échapper au danger en milieu clos (l’habitation) entraîne une sensibilisation du chat
passif.
Il faut proposer une thérapie de cohabitation qui consiste à désensibiliser les chats l’un à l’autre à la
fois de manière olfactive et visuelle.
Deux solutions : la méthode lente chez les propriétaires et la méthode rapide en hospitalisation.
 - La première consiste à mettre les chats dans 2 pièces séparées et soit alterner tous les jours la
      pièce où ils sont enfermés (avec si possible contact visuel à travers un grillage ou une vitre, soit à
      les mettre quotidiennement en présence chacun dans un panier jusqu’à arrêt des
      manifestations d’agressivité (indifférence émotionnelle).
      On peut également tenter un contre-conditionnement en associant la présence de l’autre chat à
      une activité agréable (selon les chats : jeu, alimentation). La distance entre les 2 chats est
      progressivement réduite.
 - La deuxième solution est la « cageothérapie ». Il s’agit d’hospitaliser les 2 chats et de les mettre
      dans des cages contiguës permettant d’augmenter progressivement les contacts olfactifs puis
      visuels entre les 2 chats.

     Des planches séparent les 2 parties de la cage et peuvent être écartées légèrement après 24 à
     48 h.
     Après 3 - 4 jours, les planches sont enlevées et les chats peuvent rester ensemble dans la même
     cage et être rendus au propriétaire après 7 à 10 jours. Les chats sont rendus dans un seul panier.
     Dès le retour à la maison il est indispensable d’utiliser le Feliway et rendre progressivement
     l’espace aux chats.
     L’utilisation de médicaments est indispensable (Cf fluvoxamine/fluoxétine pour le chat actif)).

Obnubilation

Dégradation du stade précédent. L’agression par le chat actif est instrumentalisée (disparition des
phases d’appétence et d’apaisement), il passe tout son temps à chercher l’autre chat et « monte la
garde » devant la pièce où le chat passif s’est réfugié. Celui-ci est en anxiété permanente ou en
dépression souvent avec alopécie extensive. Les blessures sont sérieuses car la phase d’arrêt a
disparu.
Le chat actif est hyper-vigilant, hypersensible, pénètre dans les champs d’isolement du chat passif
pour l’agresser.

Thérapie : cageothérapie + médicaments (cf ci-dessus chat actif/passif).
Le pronostic est très sombre. Très nombreux échecs, exemples :
 - Pendant l’hospitalisation, le chat passif très inhibé se débloque et devient agressif envers le
     véto. Impossibilité de changer la litière, administration de nourriture à travers le grillage.
 - Après l’hospitalisation, difficulté à mettre du feliway quotidiennement et reprise progressive des
     agressions après 2 semaines. Impossibilité de rendre l’espace complet de l’habitation, les
     agressions recommencent aux mêmes endroits.
 - Parfois, pendant l’hospitalisation, au calme, les proprios décident de séparer les chats.

Conclusion

Les agressions entre chats sont à prendre très au sérieux car elles s’enveniment très vite et peuvent
atteindre rapidement un stade irréversible.
Si la solution idéale consiste à faire vivre harmonieusement les chats ensemble, notre rôle est parfois
aussi de faire prendre conscience aux propriétaires que cela est impossible et de les aider à trouver
d’autres solutions (séparation des chats dans 2 parties de la maison).
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