TROUBLES DU SOMMEIL ET GROSSESSE - Association MAPAR

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TROUBLES DU SOMMEIL ET GROSSESSE

     Audrey Stalla-Bourdillon, Anne Rosa, Frédéric J. Mercier
     Département d’anesthésie Hôpital Antoine Béclère, 157 rue de la porte
     de Trivaux 92140 Clamart.

INTRODUCTION

     Les troubles du sommeil sont très fréquents chez la femme enceinte : insomnie,
éveils nocturnes, fragmentation du sommeil, nycturie, syndrome des jambes sans
repos, mouvement périodique des jambes, et en particulier le ronflement. Environ
une femme enceinte sur deux ronfle au 3ème trimestre de la grossesse [1]. La difficult
réside dans la reconnaissance et le diagnostic d’un sommeil pathologique.
     L’obésité est le premier facteur de risque de survenue d’un Syndrome d’Apnée
Hypopnée Obstructive du sommeil (SAHOS). L‘obésité est en augmentation
constante et en particulier chez la femme enceinte. De plus, les modifi ations
hormonales anatomiques des voies aériennes liées à la grossesse sont des facteurs
favorisants de survenue d’un SAHOS.
     La prévalence du SAHOS est de 2 % chez la femme et de 4 % chez l’homme
en population générale. Bien que la prévalence du SAHOS soit mal connue chez la
femme enceinte, il est reconnu qu’il a tendance à s’aggraver au cours de la gros-
sesse. Chez la femme en âge de procréer la prévalence du SAHOS modéré à sévère
est estimée entre 3 et 6,5 % versus 9-15 % chez les femmes ménopausées [2].

1.     DÉFINITIONS
     Le SAHOS est défini par la présence des critè es A ou B et C.
A. Somnolence diurne excessive non expliquée par d’autres facteurs.
B. Deux au moins des critères suivants non expliqués par d’autres facteurs : ron-
  flement, sensation d’étouffement ou de suffocation pendant le sommeil, sommeil
  non réparateur, fatigue diurne, difficulté de concentration, nycturie
C. Critère polysomnographique ou polygraphique : index apnées/hypopnées
  supérieur ou égal à 5 par heure. Par ailleurs les micro-éveils liés à des efforts respi-
  ratoires (ce qui se traduit par un plateau inspiratoire sur la courbe d’enregistrement
  du débit aérien naso-buccal suivi d’un micro-éveil électro-encéphalographique
  (EEG)) doivent être intégrés au calcul de l’index d’apnée/hypopnée [3, 4].
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 2.   PHYSIOLOGIE
      La grossesse s’accompagne de modifications physiologiques dépendantes des
 œstrogènes et de la progestérone : gain de poids, augmentation de la ventilation,
 œdème muqueux pharyngo-laryngé. Il en résulte une modification du calibre et des
 résistances des voies aériennes supérieures à l’origine du ronflement pendant la
 grossesse qui concerne 47 % des femmes enceintes [5]. Le SAHOS de la femme
 enceinte dépend le plus souvent de ces modifications anatomiques : obésité et
 modifications de la perméabilité des voies aériennes supérieu es.
      Il est en fait décrit au cours de la grossesse un sous type SAHOS : le syndrome
 de haute résistance des voies aériennes supérieures (SHRVAS). Les symptômes
 cliniques liés au SHRVAS sont identiques à celui d’un SAOS modéré : somnolence
 diurne excessive, céphalées, insomnie [6]. A l’enregistrement polysomnographique,
 les limitations de débit associées à de micro-éveils corticaux et les hypopnées
 sont plus fréquents que les apnées. Par ailleurs les conséquences physiopatho-
 logies métaboliques et materno-fœtales du SHRVAS sont identiques à celles du
 SHAOS [5, 7]. Seul l’enregistrement polysomnographique permet le diagnostic,
 car la polygraphie ventilatoire ne comprend pas d’EEG et ne permet donc pas de
 diagnostiquer les micro-éveils corticaux. De ce fait l’index d’apnée hypopnée peut
 parfois être minoré, ce qui pourrait conduire à ne pas appareiller une personne qui
 en aurait besoin.

 3.   ANESTHÉSIE ET SAOS
      Pour les patientes présentant un SAHOS connu ou à haut risque de SAHOS, une
 analgésie péridurale précoce est recommandée pour le travail et l’accouchement.
 L’idée principale est d’avoir le temps de s’assurer de la bonne mise en place et de
 la fonctionnalité du cathéter péridural, au cas où il faudrait l’utiliser pour l’anesthésie
 d’une césarienne en urgence (afin d’éviter l’anesthésie générale). L’utilisation d’une
 péri-rachi combinée peut être aussi envisagée en début de travail [8].
      Si l’anesthésie générale, ne peut être évitée chez une parturiente présentant
 un SAHOS, les recommandations rejoignent celles faites pour la réalisation d’une
 anesthésie générale chez une patiente obèse : patiente à considérer à risque de
 ventilation et d’intubation difficile, nécessité de disparition complète du bloc neuro
 musculaire avant le réveil, mise en position proclive en post extubation et utilisation
 de drogues faiblement liposolubles et de demi-vie courte [9].
      Lorsqu’ils sont administrés par voie intra-thécale les morphiniques peuvent
 entraîner une dépression respiratoire (bradypnée et désaturation). Le risque de
 dépression respiratoire lié à l’utilisation de la morphine intra-thécale présente deux
 pics : un pic de survenue précoce en général asymptomatique et un pic retardé
 (à partir de la 6ème heure et jusqu’à la 24ème heure selon la dose employée). Dans
 une série prospective de 856 patientes en population obstétricale, le risque de
 dépression respiratoire a été évalué à 0,7 % pour une posologie de 0,2 mg par
 voie intra-thécale. Les cas de dépression respiratoires concernaient à chaque fois
 des parturientes obèses [10].
      Pour le sufentanil utilisé par voie intra-thécale, son action analgésique débute
 5 min après son administration et dure environ 2 à 3 heures. Le pic de survenue de
 dépression respiratoire est unique et survient dans les 2 à 3 heures. En pratique il
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n’y a donc pas de risque de survenue d’événement respiratoire lorsque la patiente
est en dehors de la salle de naissance et donc non surveillée.
     Par ailleurs, dans une revue parue en 2013, les cinq complications graves liées
à l’utilisation de morphine par voie intra-thécale (arrêt cardio-respiratoire, décès)
survenues dans une population de patients présentant un SAHOS ont eu lieu chez
des patients diagnostiqués mais non traités [11]. C’est pourquoi l’utilisation de
morphinique type morphine par voie intra-thécale n’est pas recommandée chez
ces patientes.
     Durant le post-partum, le monitorage continu de la saturation est recommandé
ainsi que la mise en route d’une ventilation par pression positive continue (CPAP)
nasale ou une ventilation non invasive (VNI) en cas de désaturation, chez les
patientes présentant un SAHOS connu ou à risque. Il est par ailleurs souhaitable
qu’elles soient hospitalisées dans une unité de surveillance continue. L’administration
continue d’oxygène nasal peut être justifiée afin de maintenir la saturation d’oxygène
à son niveau de base.
     Les patientes à risque de SAHOS doivent être considérées et prise en charge
comme des patientes présentant un SAHOS jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-
dire jusqu’à la confirmation diagnostique par la polysomnographie. Un séjour en
unité disposant d’un monitorage continue de la SaO2 est recommandé.

4.   COMPLICATIONS MATERNO-FŒTALES ET SAOS
     Les épisodes d’hypopnées, de désaturation sont responsables de micro-éveils
corticaux qui eux-mêmes sont responsables de la fragmentation du sommeil. Le
cortex se « réveille » afin de permettre la réactivation des muscles des voies aériennes
supérieurs capables de rétablir le bon calibre de la filiè e des voies aériennes
supérieures. Ces micro-éveils corticaux (qui ne sont pas des réveils cliniques)
s’associent à une activation « corticale » du système nerveux sympathique, à la
production des cytokines pro-inflammatoi es et altèrent l’axe corticotrope ainsi
que le métabolisme du glucose. Les femmes enceintes qui présentent un SAHOS
non traité sont plus à risque de développer des pathologies tensionnelles liées à la
grossesse (hypertension artérielle gravidique ou une pré-éclampsie) et un diabète
gestationnel. Par ailleurs les taux de césariennes, d’accouchements prématurés
et de nouveau-nés de petit poids de naissance ont été retrouvés plus élevés chez
ces parturientes [8].

5.   TRAITEMENT DU SAOS CHEZ LA FEMME ENCEINTE
     La pression positive nocturne (CPAP) qui joue le rôle d’une attelle pneumatique
permettant de rétablir la perméabilité des voies aériennes supérieures reste aussi
le traitement de référence chez la femme enceinte. En cas de SAHOS diagnosti-
qué antérieurement à la grossesse la CPAP pourra être continuée et les niveaux
de pressions requis seront adaptés aux besoins qui évoluent tout au long de la
grossesse. En cas de SAHOS diagnostiqué pendant la grossesse, la CPAP pourra
être débutée en cours de grossesse. Il est actuellement montré que la CPAP est
bien tolérée chez la femme enceinte même si quelques effets indésirables, qui
peuvent être minimisés, sont parfois présents : rhinite, sécheresse naso-buccale,
aérophagie [2].
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      Peu d’études ont été réalisées pour montrer le bénéfice de la CPAP dans la
 prévention des pathologies cardio-vasculaires de la grossesse. Cependant, les
 quelques études effectuées semblent prometteuses et devraient être confirmées
 sur des plus grands effectifs. Dans une population de patientes pré-éclamptiques
 et atteintes de SAHOS, il a été montré que chez les patientes traitées par CPAP
 nocturne, les pressions artérielles (systolique et diastolique) étaient mieux contrôlées
 en particulier la nuit [12].

 6.   DÉPISTAGE DU SAOS PENDANT LA GROSSESSE
      Actuellement aucun test de dépistage spécifique de la grossesse n’a encore
 été validé. Le STOP BANG test est le questionnaire validé en population générale
 et chirurgicale : plus le STOP BANG test est élevé plus le risque de SAOS modéré
 à sévère est élevé. C’est un dérivé simplifié du questionnai e de Berlin [13].
      Malgré le manque de validation dans la population des femmes enceintes, il
 reste recommandé de l’utiliser dans ce cas [2]. Il a été montré que la sensibilité et
 la spécificité des tests de dépistage étaient meilleures au cours du 2ème trimestre
 de la grossesse [14]. Certains auteurs ont proposé d’ajouter comme items la
 circonférence du cou et le score de Mallampati. Par ailleurs des auteurs recom-
 mandent que les femmes enceintes obèses soient soumises à un questionnaire et
 un examen clinique particulier dès la première visite de grossesse : recherche de
 ronflement et somnolence diurne excessive, évaluation de la qualité du sommeil [15].
 Même si ces symptômes se révèlent lorsque le terme avance, il reste nécessaire
 d’interroger en ce sens la patiente dès le premier trimestre. Ces questionnaires ont
 pour but d’évaluer une probabilité pré-test qui orientera vers la réalisation d’une
 polysomnographie nécessaire dans tous les cas pour la confirmation diagnostique.

 CONCLUSION
 • Les troubles du sommeil sont fréquents chez la femme enceinte en particulier le
   ronflement
 • Le SHRVAS est une sous entité du SAHOS.
 • La grossesse peut inaugurer ou décompenser un SAHOS.
 • Les critères diagnostiques sont les mêmes qu’en population générale.
 • L’obésité est le principal facteur lié au SAHOS de la femme enceinte.
 • Il existe un bénéfice maternel et fœtal à diagnostiquer et traiter un SAHOS pendant
   la grossesse.

 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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