Les aménagements hydro-agricoles en Afrique Situation actuelle et perspectives

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Les aménagements hydro-agricoles en Afrique Situation actuelle et perspectives
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                        1

    Les aménagements hydro-agricoles en Afrique
          Situation actuelle et perspectives
                                      Jean-Marc Faurès
                      Division de la mise en valeur des terres et des eaux
                                         Moïse Sonou
                                Bureau régional pour l’Afrique
               Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

L’irrigation dans le monde couvrait en 1998 272 millions d’hectares, soit environ 18% des terres
cultivées. En Afrique, seuls 12,5 millions d’hectares sont irrigués sur un total de 202 millions de
terres cultivées, soit 6,2%. La proportion de terres irriguées en Afrique au sud du Sahara est
encore plus réduite, puisque seuls 5,2 millions d’hectares, soit 3,3% des terres cultivées sont
irrigués.
Pourtant, l’irrigation joue un rôle considérable dans la production agricole et la sécurité alimentaire.
En moyenne, on estime que les 18% de terres irriguées contribuent pour 40% à la production
agricole mondiale. A l’échelle locale, ce rapport varie énormément d’un pays à l’autre et l’irrigation
joue souvent un rôle de pôle de développement régional, surtout dans les zones arides à semi-
arides.
Afin de mieux comprendre les enjeux liés à l’irrigation en Afrique, on propose ici un panorama
de la situation des aménagements hydro-agricoles sur le continent. On présente d’abord une
description de la situation actuelle de l’irrigation en Afrique. L’irrigation est ensuite placée dans
le contexte plus vaste de la production agricole et de la sécurité alimentaire, avec un regard
particulier sur l’Afrique de l’Ouest. Enfin, on tente de tracer les grandes lignes des perspectives
pour les aménagements hydro-agricoles en Afrique dans les prochaines décennies.

CADRE   PHYSIQUE

L’Afrique est le continent regroupant le plus grand nombre de pays, 53 au total. On propose ici
une division du continent en sept régions présentant une cohérence climatique et géographique
qui influe fortement sur la problématique de l’irrigation (figure 1). Ces régions sont le Nord, la
Région soudano-sahélienne , le golfe de Guinée, le Centre , l’Est, les îles de l’océan
Indien et le Sud1 . Cette section présente brièvement les faits marquants qui se dégagent aux
niveaux national et régional ainsi que les particularités et les tendances de chaque région.

1   Ces régions sont constituées des pays suivants:
    Nord: Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Tunisie; Région soudano-sahélienne: Burkina Faso, Cap-Vert,
    Djibouti, Erythrée, Gambie, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Somalie, Soudan, Tchad; Golfe de Guinée:
    Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Nigeria, Sierra Leone, Togo; Centre:
    Angola, Cameroun, République centrafricaine, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Sao Tomé-et-Principe,
    République démocratique du Congo (RDC); Est: Burundi, Ethiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie
    Iles de l’océan Indien: Comores, Madagascar, Maurice, Seychelles; Sud: Afrique du Sud, Botswana,
    Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Swaziland, Zambie, Zimbabwe.
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2                                                                     Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

Ressources en eau
                                          FIGURE 1
On considère généralement les             Division de l’Afrique en grandes régions climatiques
ressources en eau comme étant
l’ensemble des volumes d’eau de
précipitation qui s’écoulent dans
les rivières ou s’infiltrent dans le
sol pour recharger les nappes
(aquifères). Cette ressource se
régénère chaque année grâce au
cycle de l’eau. D’autres sources
d’ eau existent (dessalement de
l’eau de mer, réutilisation des eaux
usées, etc.), mais celles-ci sont
en général marginales dans le
contexte africain. En particulier,
le dessalement de l’eau de mer
présente un coût prohibitif pour
des activités comme l’irrigation et
est limité à l’approvisionnement
en eau des populations urbaines
dans les zones côtières les plus
arides.
Le tableau 1 présente, pour
chaque région, les données relatives aux ressources en eau et compare ces résultats avec les
volumes de précipitation. Les écoulements représentent moins de 2% des précipitations dans
les pays arides tels la Libye, le Niger, ou le Botswana, jusqu’à des extrêmes de plus de 80%
dans les zones les plus arrosées du Liberia et de la Sierra Leone. Bien qu’elles couvrent les plus
grandes superficies, les régions du Nord et soudano-sahélienne ne contribuent respectivement
que pour 1,2% et 4,3% au total des ressources du continent. Le Sud montre également un
coefficient de ruissellement très réduit (9%). Ainsi, les pays les plus arides, qui nécessiteraient
les plus grands volumes d’eau pour l’agriculture, disposent des ressources les plus limitées.
TABLEAU 1
Distribution régionale des ressources en eau

                                  Superficie       Pluie         Ressources en eaux renouvelables

          Région                                                                       % du     % de la
                                           2         3            3
                                 (1000 km )      (km /an)      (km /an)     (mm/an)    total     pluie

Nord                                    5 753            411           50        8,7      1,2      12,2

Région soudano-sahélienne               8 591       2 878             170      19,8       4,3       5,9

Golfe de Guinée                         2 106       2 965             952     452,0      23,8      32,1

Centre                                  5 329       7 621         1 946       365,2      48,8      25,5

Est                                     2 916       2 364             259      88,8       6,5      11,0

Iles de l'océan indien                   591        1 005             340     575,3       8,5      33,8

Sud                                     4 739       2 967             274      57,8       6,9       9,2

Total                                  30 025      20 211         3 991       132,9     100,0      19,7
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                         3

Utilisation de l’eau en Afrique
Le tableau 2 montre la répartition des prélèvements en eau par région entre les trois grands
secteurs consommateurs d’eau: l’agriculture, l’industrie et les villes. A l’échelle du continent,
environ 85% des utilisations recensées sont destinées à l’agriculture (contre 69% en moyenne
pour le monde) mais ce chiffre varie considérablement d’une région à l’autre. Ce sont les
régions arides, où l’irrigation joue un rôle important, qui prélèvent le plus d’eau pour l’agriculture.
Les pays du Nord, à eux seuls, représentent la moitié de la consommation agricole en eau. A
l’inverse, les régions arrosées ont un taux d’utilisation agricole de l’eau plus faible: 62% pour le
golfe de Guinée et 43% pour le Centre, où il ne dépasse pas le taux d’utilisation par les villes.
La proportion que représentent les prélèvements en eau par rapport aux ressources renouvelables
internes est un indicateur de l’intensité d’utilisation de l’eau et donc de sa rareté relative. On
considère qu’au delà de 20% de ressources utilisées, la pression est forte et la compétition pour
la ressource est importante (en effet, une grande partie de la ressource ne peut pas être mobilisée
pour les besoins humains et s’écoule, soit lors des crues soit lors des périodes où elle n’est pas
nécessaire). Si d’une manière générale moins de 4% des ressources totales en eau sont utilisées,
on constate de très grandes disparités et entre pays au sein d’une région. Le Nord, par exemple,
affiche une utilisation supérieure à ses ressources propres, qui n’est possible que grâce aux
importants transferts entre régions par le biais du Nil et à l’utilisation de ressources fossiles
(ressources en eau souterraines profondes non renouvelables) de la part de pays comme la
Libye ou la Tunisie. De manière générale, ce sont bien évidemment les pays les plus arides qui
exercent la pression la plus forte sur leurs ressources en eau.

TABLEAU 2
Distribution régionale des prélèvements d'eau
                                                   Prélèvements par secteur
 Région                Agriculture      Villes      Industries     Total         en %       en % des
                                                                                 du total   ressources
                                                                                            internes

                        ×106m3/an     ×106m3 /an     × 106m3/an    ×106 m3/an          %            %

 Nord                      65 000          5 500          5 800         76 300      50,9         152,6
                            (85%)           (7%)           (8%)        (100%)
 Région soudano-           22 600          1 200           300          24 100      16,1          14,2
 sahélienne                 (94%)           (5%)          (1%)         (100%)
 Golfe de Guinée             3 800         1 600           700           6 100        4,1          0,6
                            (62%)         (26%)          (12%)         (100%)
 Centre                       600           600            200           1 400        0,9          0,1
                            (43%)         (43%)          (14%)         (100%)

 Est                         5 400          900            200           6 500        4,3          2,5
                            (83%)         (14%)           (3%)         (100%)

 Iles de l'océan           16 400            200             20         16 620      11,1           4,9
 indien                     (99%)           (1%)             (-)       (100%)
 Sud                       14 100          3 000          1 800         18 900      12,6           6,9
                            (75%)         (16%)            (9%)        (100%)

 Total                    127 900        13 000           9 020       149 920      100,0           3,8
                            (85%)          (9%)            (6%)        (100%)
4                                                                 Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

SITUATION DE L’IRRIGATION EN AFRIQUE
Potentiel d’irrigation
De par sa relation étroite avec les ressources en eaux, le potentiel d’irrigation est aussi inégalement
réparti entre les différentes régions. Il faut également noter qu’en raison de la non concordance
entre les régions géographiques et les bassins hydrographiques, les transferts d’eaux des zones
humides vers des zones plus arides permettent à ces dernières de bénéficier d’un potentiel
d’irrigation nettement plus élevé que ne leur permettraient leurs ressources propres. C’est le
cas des zones traversées par les fleuves internationaux tels que le Sénégal, le Niger et le Chari
en Afrique de l’Ouest, le Nil et les fleuves Shebele et Juba en Afrique de l’Est, le Limpopo,
l’Orange et le Zambèze en Afrique australe pour n’en citer que quelques-uns. C’est la raison
pour laquelle on comptabilise le potentiel d’irrigation par rivière plutôt que par pays. Le tableau
3 présente les terres aptes à l’irrigation pour les grands fleuves d’Afrique, dont le total s’élève
à près de 600 millions d’hectares. Si outre la qualité des terres on tient compte des ressources
en eau (auxquelles s’ajoutent d’autres considérations relatives aux possibilités économiques de
mise en valeur des terres), ce total se réduit à 42,5 millions d’hectares, soit encore plus de trois
fois la superficie actuellement irriguée.
Malgré un degré d’incertitude élevé quant au potentiel des grands pays humides (République
démocratique du Congo (RDC), Angola), on constate que sept pays (Angola, Soudan, Egypte,
RDC, Ethiopie, Mozambique et Nigeria) concentrent à eux seuls presque 60% du potentiel
d’irrigation de l’Afrique. A l’autre extrémité de la liste, 18 pays ne se partagent que 5% de ce
potentiel.

TABLEAU 3
Terres irrigables et potentiel d’irrigation des principaux fleuves d’Afrique
           Principaux            Superficie totale du      Terres aptes à              Potentiel
             fleuves                    bassin                l’irrigation            d’irrigation
                                          (ha)                     (ha)                   (ha)
                (1)                        (2)                      (3)                    (4)
 Sénégal                                    48 318 100                  3 645 800              420 000
 Niger                                    227 394 600                  28 943 400            2 816 510
 Lac Tchad                                238 163 500                  36 524 600            1 163 200
 Nil                                      311 236 900                  92 019 000            8 000 000
 Vallée du Rift                             63 759 300                 13 946 700              844 010
 Shebelli-Juba                              81 042 700                 25 847 900              351 460
 Congo                                    378 905 300                109 815 500             9 800 000
 Zambèze                                  135 136 500                  37 632 500            3 160 380
 Okavango                                   32 319 200                  6 612 100              208 060
 Limpopo                                    40 186 400                  9 736 100              295 400
 Orange                                     89 636 800                 14 140 500              390 000
 Bassins endoréiques (déserts)            645 028 900                  63 747 500              125 000
 Bassins côtiers du nord                  207 584 800                  36 242 000            2 128 050
 Golfe de Guinée                          213 497 000                  45 902 400            5 947 750
 Bassins côtiers du sud                   257 172 200                  57 601 100            5 319 560
 Madagascar                                 58 704 000                 14 497 400            1 500 000
 Autres îles                                   934 600                    105 500               34 990
 Total                                  3 029 020 800                596 960 000           42 504 370

Superficies irriguées et typologies des systèmes irrigués
La diversité des méthodes d’irrigation utilisées en Afrique rend difficile leur classification. Sur la
base des aménagements hydro-agricoles, on peut distinguer les superficies irriguées au sens
strict, en général équipées d’ouvrages hydrauliques, de celles qui utilisent d’autres méthodes
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                                      5

plus aléatoires de contrôle de l’eau, tels les marais ou bas-fonds équipés pour le contrôle de
l’eau et les zones d’épandage de crues (voir tableau 4). Enfin, on distingue une troisième catégorie
de cultures bénéficiant d’apports d’eau autre que la pluie dans laquelle on trouve les marais et
bas-fonds cultivés et les zones de cultures de décrue aux abords des grands fleuves.
L’ensemble des superficies irriguées de l’Afrique s’élevait, au milieu des années 1990 à 12,2
millions d’hectares auxquels s’ajoutaient 2,1 millions d’hectares de bas-fonds cultivés et de
cultures de décrues (Tableau 4). On observe une distribution géographique très inégale de ces
superficies, le Nord représentant plus de 40% du total. La part des superficies avec contrôle de
l’eau dans l’agriculture nationale varie de moins de 1% des terres cultivées (RDC, Ouganda,
Ghana, Togo, Comores) à 100% dans les pays les plus arides (Egypte et Djibouti où l’agriculture
est impossible sans irrigation). Cette distribution met bien en évidence la relation entre le climat
et le rôle que joue l’irrigation dans l’agriculture. En Afrique équatoriale, là où les précipitations
sont les plus importantes, l’agriculture pluviale est dominante. L’irrigation y est pratiquée pour
mener à bien les cultures de contre-saison, pour la riziculture, pour sécuriser des spéculations
exigeantes en eau, ou sous forme de culture de marais et de bas-fonds. A Madagascar, l’irrigation
du riz sur les plateaux est très développée, ce qui explique le fort pourcentage des superficies
irriguées en par rapport aux superficies cultivées, bien que la pluviométrie soit importante dans
ce pays.
Au niveau national, la distribution des superficies irriguées est très inégale. Cinq pays (l’Egypte,
le Soudan, l’Afrique du Sud, le Maroc et Madagascar), qui couvrent 19% de la superficie totale
de l’Afrique, ont à eux seuls plus de 60% des terres avec contrôle de l’eau. Ce chiffre monte à
80% si on y ajoute le Nigéria, l’Algérie, la Libye, l’Angola et la Tunisie. A l’inverse, 28 pays, qui
couvrent 30% de la superficie totale de l’Afrique, se partagent à peine 5% des terres irriguées.
TABLEAU 4
Distribution régionale des méthodes de contrôle de l'eau
                             Irrigation                         Autres         Cultures
   Région                                                     marais et       de décrue               Total
                Irriga- Epandage Marais et    Total           bas-fonds
              tion s.s. de crues bas-fonds irrigation          cultivés
                                  équipés

             1000 ha    1000 ha      1000 ha       1000 ha    1000 ha         1000 ha      1000 ha    en %     en % de
                                                                                                       du       la sup.
                                                                                                      total    cultivée

Nord            5 610        305               -      5 915               -            -      5 915    41,5        24,8
               (95%)        (5%)             (-)    (100%)              (-)          (-)    (100%)

Région          2 263        212               9     2 484            97            296       2 877    20,2        12,1
soudano-       (79%)        (7%)             (-)     (86%)          (4%)          (10%)     (100%)
sahélienne

Golfe de         307             -          163        470          193             730       1 393      9,8        4,0
Guinée         (22%)           (-)        (11%)      (33%)        (14%)           (53%)     (100%)

Centre           119             -             2       121          352               3        476       3,3        3,9
               (25%)           (-)           (-)     (25%)        (74%)            (1%)     (100%)

Est              428             -            6        434          222                -       656       4,6        2,9
               (65%)           (-)         (1%)      (66%)        (34%)              (-)    (100%)

Iles de         1 105            -             -      1 105               -            -      1 105      7,7       40,3
l'océan       (100%)           (-)           (-)    (100%)              (-)          (-)    (100%)
Indien

Sud             1 645            -             -     1 645          182               9       1 836    12,9         8,1
               (90%)           (-)           (-)     (90%)        (10%)              (-)    (100%)

Total          11 477        517            180     12 174         1 046          1 038      14 258   100,0         9,9
                (81%)       (4%)           (1%)      (86%)          (7%)           (7%)     (100%)
6                                                                                                                                                                                               Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

    FIGURE 2
    Evolution des superficies irriguées en Afrique 1961-1998
                              14000

                              12000

                              10000
      Irrigation (1 000 ha)

                              8000
                                                                                                                                                                                                   Nord

                              6000
                                                                                                                                                                                                                             Région soudano-sahélienne

                              4000
                                                                                                                                                Centre                                                                                                    Golfe de Guinée

                                                                                                                                                                                                              Est
                              2000                                                                                                                                                                                                   Sud

                                                                                                                                                                                                       Iles de l'Océan Indien
                                 0
                                      1961
                                             1962
                                                    1963
                                                           1964
                                                                  1965
                                                                         1966
                                                                                1967
                                                                                       1968
                                                                                              1969
                                                                                                     1970
                                                                                                            1971
                                                                                                                   1972
                                                                                                                          1973
                                                                                                                                 1974
                                                                                                                                        1975
                                                                                                                                               1976
                                                                                                                                                      1977
                                                                                                                                                             1978
                                                                                                                                                                    1979
                                                                                                                                                                           1980
                                                                                                                                                                                  1981
                                                                                                                                                                                         1982
                                                                                                                                                                                                1983
                                                                                                                                                                                                       1984
                                                                                                                                                                                                               1985
                                                                                                                                                                                                                      1986
                                                                                                                                                                                                                              1987
                                                                                                                                                                                                                                     1988
                                                                                                                                                                                                                                            1989
                                                                                                                                                                                                                                                   1990
                                                                                                                                                                                                                                                           1991
                                                                                                                                                                                                                                                                  1992
                                                                                                                                                                                                                                                                         1993
                                                                                                                                                                                                                                                                                1994
                                                                                                                                                                                                                                                                                       1995
                                                                                                                                                                                                                                                                                              1996
                                                                                                                                                      Année

    FIGURE 3
    Irrigation en Afrique (en pour-cent du potentiel d’irrigation)
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                      7

Parmi les cinq classes présentées au tableau 4, on constate que l’irrigation au sens strict représente
la majeure partie de ces superficies (81%). Parmi les autres classes de contrôle de l’eau, les
marais et bas-fonds cultivés et les cultures de décrue sont majoritaires (15% du total). Les
cultures de décrue sont pratiquées essentiellement en bordure du Niger et du Sénégal et de leurs
affluents, ou encore aux abords du Logone, du Chari, du Congo, du Molopo et de l’Okavango.
Les fadamas du nord-ouest du Nigéria représentent à eux seuls 70% de cette catégorie.
L’irrigation par épandage de crues n’est, quant à elle, présente que dans les pays du Maghreb et
la corne de l’Afrique. La figure 2 présente l’évolution des superficies irriguées depuis 1961 en
Afrique montre bien les disparités régionales. La figure 3 représente, pour les grands bassins
fluviaux, la part du potentiel d’irrigation déjà exploitée. Elle montre que globalement, en Afrique
sub-saharienne, seule une très faible partie du potentiel est actuellement exploitée.
Une autre typologie des terres irriguées peut être faite à partir de leur mode d’exploitation, lui-
même souvent lié à leur taille. On distingue ainsi, sans pouvoir pour autant les définir avec
précision, l’irrigation informelle, souvent composée de périmètres de petite taille (connus également
sous l’appellation de petite hydraulique) et gérés directement par les agriculteurs, de l’irrigation
formelle, qui regroupe les grands périmètres dont la mise en valeur et la gestion ont
traditionnellement été du ressort de l’Etat. Une troisième classification peut être faite en distinguant
les périmètres à caractère commercial des périmètres à caractère social, les premiers se
concentrant sur la production de cultures de rente (y compris le maraîchage) et les seconds
destinés principalement aux grandes cultures stratégiques tel le riz. Bien que certains liens
existent entre ces catégories, il est pratiquement impossible d’estimer la part relative de chacune
au niveau du continent.

Techniques d’irrigation
L’irrigation gravitaire (ou de surface) domine nettement le panorama des techniques d’irrigation
pratiquées en Afrique (90% des terres irriguées). On recense cependant plus d’un million
d’hectares équipés en irrigation par aspersion, surtout dans les pays du Nord (Libye, Egypte,
Maroc, Tunisie) ainsi qu’au Zimbabwe et en Afrique du Sud. Enfin, l’irrigation localisée est
pratiquée dans 14 pays, mais elle ne représente qu’environ 1% des terres irriguées.

Cultures irriguées
Il est très difficile d’obtenir de bonnes estimations des cultures pratiquées en irrigation. Le
tableau 5 présente néanmoins la distribution des cultures irriguées pour environ 10,5 millions
d’hectares (regroupées en six grandes classes) et donne une bonne image de leur distribution
régionale. La culture la plus répandue est le riz, qui représente à lui seul près d’un tiers des
spéculations. On observe cependant une grande disparité entre les régions. Cultivé principalement
dans les marais et bas-fonds, le riz est majoritaire dans les zones humides du golfe de Guinée et
de l’Est. Il est également très développé sur les plateaux de Madagascar. Parmi les autres
céréales, le blé et le maïs sont cultivés et irrigués surtout dans les pays du Nord (Egypte, Maroc)
et du Sud (Afrique du Sud) ainsi qu’au Soudan et en Somalie. Le sorgho est cultivé principalement
dans la zone soudano-sahélienne, notamment en culture de décrue.
Le maraîchage est présent dans toutes les régions et pratiquement tous les pays. Au total, il
représente environ 8% des superficies d’irrigation. L’arboriculture, qui représente 5% du total,
se concentre presque uniquement dans les pays du Nord (agrumes). Les cultures industrielles
irriguées sont quant à elles présentes surtout au Soudan et dans les pays du Sud: coton et
oléagineux principalement, mais aussi la canne à sucre, le café, le cacao, le palmier, les bananes,
le tabac et les fleurs. A part la canne à sucre, présente indistinctement dans toutes les régions
8                                                                   Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

TABLEAU 5
Principales cultures irriguées (données partielles)
 Région          Riz         Autres      Maraîchage    Fourrages      Cultures      Arbori-      Total
                            céréales                                industrielles   culture

               1000 ha      1000 ha       1000 ha      1000 ha       1000 ha        1000 ha     1000 ha

 Nord               538         2 221           423        1 207              80         459      4 928
                  (11%)        (45%)           (9%)        24%)             (2%)        (9%)    (100%)

 Région             384          839             61            4            471            1      1 760
 soudano-         (22%)        (48%)           (3%)           (-)         (27%)           (-)   (100%)
 sahélienne

 Golfe de           993            52           168             -             21           6      1 240
 Guinée           (80%)          (4%)         (14%)           (-)           (2%)          (-)   (100%)

 Centre              21              -            4             -            42            4        71
                  (29%)            (-)         (6%)           (-)         (59%)         (6%)    (100%)

 Est                173           80            158             -             33           8       452
                  (38%)        (18%)          (35%)           (-)             (7)       (2%)    (100%)

 Iles de            880              -             -            -             31            -      911
 l'ocean          (97%)            (-)           (-)          (-)             (3)         (-)   (100%)
 Indien

 Sud                147          358             42         353             198           32      1 130
                  (13%)        (32%)           (4%)       (31%)           (17%)         (3%)    (100%)

 Total             3 136        3 550           856        1 564             876         510     10 492
                  (30%)        (34%)           (8%)       (15%)             (8%)        (5%)    (100%)

sauf dans le Nord, ces cultures sont généralement concentrées dans un nombre restreint de
pays. Enfin, la catégorie de plantes fourragères et des pâturages irrigués, bien que ne concernant
qu’un nombre très restreint de pays (concentrés dans les régions du Nord et du Sud), représente
une part relativement importante des superficies avec contrôle de l’eau (15%).

Taux d’utilisation des superficies équipées
En l’absence de données fiables concernant le taux d’intensification des terres irriguées, on
peut se faire une idée de l’intensification des systèmes de cultures irriguées à travers le taux
d’utilisation des périmètres équipés, c’est-à-dire la part des superficies équipées pour l’irrigation
réellement utilisées au moins une fois dans l’année. En Afrique, le taux moyen d’utilisation des
superficies équipées pour l’irrigation varie sensiblement en fonction des conditions climatiques
(lorsque des périodes de sécheresse affectent les ressources en eau destinées à l’irrigation),
mais surtout en fonction des conditions socio-économiques des pays. Si la majorité des pays ont
un taux d’utilisation de plus de 80%, plusieurs d’entre eux montrent des performances nettement
plus faibles, allant jusqu’à moins de 50%. En moyenne, on estime que 18% des superficies
destinées à l’irrigation ne sont pas exploitées. Il s’agit là d’un résultat relativement médiocre, qui
s’explique en partie par le fait que, par le passé de nombreuses erreurs ont été commises dans
l’aménagement des terres pour l’irrigation.

Aspects économiques et financiers
Les coûts de mise en valeur et d’exploitation des terres pour l’irrigation sont très variables d’un
pays à l’autre et d’un type d’irrigation à l’autre. Ils peuvent aller de quelques centaines de
dollars EU par hectare dans le cas de petits jardins maraîchers dans lesquels la main d’œuvre
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                    9

familiale représente l’investissement le plus important, à plus de 25 000 $ EU par hectare pour
les grands périmètres en zone enclavée telle la région soudano-sahélienne. Ces coûts, qui sont
les plus élevés du monde (en Asie, on estime entre 1 000 et 2 000 $ EU le coût moyen à
l’hectare des aménagements hydro-agricoles) rendent l’expansion de la grande hydraulique très
problématique à l’heure actuelle étant donné qu’à ces taux, une rentabilité économique des
aménagements est presque toujours impossible. Paradoxalement, ce sont souvent les
aménagements à caractère «social» plutôt que commercial qui représentent les investissements
les plus conséquents. On verra dans la section relative aux perspectives futures que la tendance
actuelle est de favoriser l’irrigation privée, souvent moins coûteuse et plus productive, aux dépens
de la grande irrigation.

Environnement et santé
L’Afrique, comme les autres régions en développement, souffre de sérieux problèmes relatifs à
l’impact de l’irrigation sur la santé et l’environnement. Malheureusement, très peu d’information
quantitative est disponible à ce sujet pour les pays africains. La salinisation des terres est une
réalité pour certains périmètres irrigués en régions arides. Bien que la pollution de l’eau par
l’agriculture ne soit pas très importante en Afrique étant donné le niveau relativement faible
d’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires, des problèmes de ce type sont toutefois
enregistrés, notamment en Afrique du Nord. En Afrique sub-saharienne, ce sont les cultures
maraîchères qui présentent les risques les plus élevés, tant pour ce qui est de la qualité des eaux
d’irrigation (surtout en bordure des villes) que pour la pollution par usage inadéquat de fertilisants
et pesticides.
Les problèmes de santé liés au développement de l’irrigation et les maladies transmises par
l’eau, telles la schistosomiase et la malaria, sont par contre des fléaux de première importance
en Afrique. Environ 90 à 95 pour-cent des décès dus à la malaria dans le monde sont concentrés
en Afrique. Les données spécifiques relatives aux pays et liant la pratique de l’irrigation à la
santé sont, une fois de plus, très souvent inexistantes ou incomplètes. Un sérieux effort est à
faire pour améliorer le suivi des impacts environnementaux et sanitaires de l’irrigation en Afrique.

TENDANCES ET PERSPECTIVES POUR L’IRRIGATION EN AFRIQUE          DANS LES PROCHAINES DECENNIES

A l’aube du XXIème siècle, la conception du rôle de l’irrigation pour le développement rural, la
production agricole et la sécurité alimentaire, est destinée à évoluer considérablement pour
s’adapter à l’environnement mondial et aux tendances actuelles relatives notamment à la gestion
des ressources naturelles. Les principaux facteurs de changement sont passés en revue ci-
dessous et leur impact probable sur l’irrigation est discuté dans le contexte plus spécifique de
l’Afrique de l’Ouest.

Croissance démographique
Les projections des Nations Unies indiquent que la population mondiale devrait passer de 6
milliards de personnes en l’an 2000 à 8 milliards en 2025. Plus de 80% de cette augmentation
aura lieu dans les pays en développement. La figure 4 montre l’évolution prévue en Afrique de
l’Ouest jusqu’à 2025. Cette situation aura de sérieuses implications en termes de production
agricole, de main d’oeuvre, et de disponibilité des ressources naturelles (terre et eau notamment).
Le défi consistera donc à produire assez de nourriture pour une population croissante et créer
des emplois non agicoles tout en satisfaisant une demande croissante en eau de la part des
10                                                                                               Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

     FIGURE 4
     Evolution de la population entre 1970 et 2025

                                   500,000

                                   450,000
     Population (1000 habitants)

                                   400,000

                                   350,000

                                   300,000

                                   250,000

                                   200,000

                                   150,000

                                   100,000

                                    50,000

                                        0
                                             1970   1975   1980   1985   1990   1995   2000   2005   2010   2015   2020   2025

autres secteurs d’utilisation (villes et industries). Si, comme on l’a vu plus avant, le potentiel
d’irrigation est encore largement intouché en Afrique Sub-saharienne, il existe déjà des régions
au sein du continent pour lesquelles la pression sur les ressources en terres ou en eau est très
forte et qui ne pourront pas satisfaire localement les besoins croissants de leurs populations. Les
transferts régionaux de produits alimentaires sont donc appelés à croître au fur et à mesure que
le nombre de régions déficitaire augmentera.

Production agricole, sécurité alimentaire et développement rural
La conception actuelle du développement rural repose sur la recherche de conditions de vie
pour les populations rurales basées en premier lieu sur la sécurité alimentaire. La sécurité
alimentaire est comprise comme une situation dans laquelle l’ensemble des ménages ont un
accès, physique et économique, à une alimentation saine et équilibrée. La notion plus ancienne
d’autosuffisance alimentaire, qui se rapporte en général aux pays, garde son importance,
notamment sur le plan stratégique. Mais elle n’est pas une condition à la sécurité alimentaire, qui
peut très bien être atteinte par une combinaison de production locale et d’importations. Un
nombre croissant de pays, sous la pression d’une croissance démographique encore forte, voient
d’ailleurs leur capacité d’autosuffisance alimentaire diminuer rapidement et les prévisions indiquent
que les importations de nourriture des pays développés vers les pays en développement devraient
croître de 140% entre 1993 et 2020.
Pour les pays qui ne peuvent générer suffisamment de biens ou services d’exportation pour
pouvoir compenser leur déficit alimentaire par l’importation (beaucoup d’entre eux se situent en
Afrique sub-saharienne), il est nécessaire de développer et renforcer les programmes de
développement rural orientés vers une plus grande productivité (travail, terre, eau), tant en
agriculture pluviale qu’en agriculture irriguée. L’agriculture irriguée a un rôle important à jouer
comme promoteur de développement régional, comme agent d’amélioration des conditions
nutritionnelles des populations et pour combattre la pauvreté en zones rurales.
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                                                                                                                              11

   FIGURE 5
   Production et demande en céréales pour l’Afrique de l’Ouest 1970-2025
                                                     120,000,000
    Production et consommation de céréales en t/an

                                                     100,000,000

                                                         80,000,000

                                                         60,000,000

                                                                                                                                           Demande

                                                         40,000,000

                                                                                                                                            Production
                                                         20,000,000

                                                                                                      0
                                                                                                      1970    1975   1980   1985   1990         1995      2000    2005     2010     2015     2020      2025

   FIGURE 6
   Production et importation de riz en Afrique de l’Ouest

                                                                                                9,000,000

                                                                                                8,000,000

                                                                                                7,000,000
                                                      Production et importation de riz (t/ha)

                                                                                                6,000,000

                                                                                                5,000,000
                                                                                                                                   Production

                                                                                                4,000,000

                                                                                                3,000,000

                                                                                                2,000,000
                                                                                                                                          Importations

                                                                                                1,000,000

                                                                                                       0
                                                                                                       1970   1975   1980   1985   1990         1995     2000    2005    2010     2015     2020     2025

La figure 5 montre qu’en Afrique de l’Ouest la production céréalière suit la demande mais sans
jamais la satisfaire, ce qui implique le recours systématique aux importations, notamment de riz
et de blé. Depuis les années 1980, on assiste à une augmentation régulière du déficit de production
céréalière dans la région. La région ne dispose pas d’un climat lui permettant de développer la
culture du blé, dont l’importation est inévitable, mais c’est la situation du riz qui est préoccupante.
En 1995, la région produisait seulement 63% du riz qu’elle consommait, alors qu’elle dispose de
tout le potentiel nécessaire pour satisfaire à ses besoins en riz. Etant donné que le coût des
importations pèse lourdement sur les balances commerciales des pays, ceux-ci seront tôt ou
tard contraints à adopter une politique active de promotion de la riziculture irriguée (figure 6).
12                                                                                                Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

Urbanisation
En l’an 2000, on considère qu’un habitant sur deux vit en zone urbaine. En 2025, on prévoit que
84% des populations des pays développés et 56% de celles des pays en développement se
concentreront dans les zones urbaines. Cette modification profonde de l’équilibre entre le rural
et l’urbain aura des implications importantes sur la demande alimentaire. L’urbanisation favorisera
une croissance de la demande en riz et en blé, une consommation plus importante de viande et
une alimentation plus diversifiée. On peut donc s’attendre à ce que cette situation favorise
l’augmentation de la productivité agricole (travail, terres et eau) et des salaires agricoles et
contribue à une plus grande intégration de l’agriculture dans les circuits économiques. En Afrique
de l’Ouest, dont le taux d’urbanisation devrait croître jusqu’à 65% en 2025, chaque personne
habitant en zone rurale devra produire assez de nourriture pour subvenir aux besoins de 2,5
personnes (contre 1,6 personnes actuellement). Cette tendance à l’intensification joue en faveur
de l’irrigation qui trouve plus facilement sa raison d’être dans un contexte de production intensive
que dans une agriculture de subsistance.
De plus, le développement croissant des marchés urbains exercera une influence positive sur la
commercialisation des produits agricoles des zones périurbaines où devraient s’intensifier le
maraîchage et les autres cultures irriguées de rente. Ainsi, la carte de la figure 7 montre l’étendue
des zones rurales qui seront connectées aux marchés urbains en 2025 en Afrique de l’Ouest.

     FIGURE 7
     Etendue des zones rurales ayant accès aux marchés urbains en 2025 (Source: OCDE, 1994)

                  Area highly connected to urban market   Area moderately connected to urban market        Area almost disconnected from urban market

Technologies et énergie
Les avancées technologiques dans les domaines des communications joueront également un
rôle important, notamment dans la commercialisation des produits, alors que les capacités accrues
de traitement de l’information devraient bénéficier aux agences d’irrigation et leur permettre de
gérer leurs périmètres de manière plus efficace à un coût moindre.
Le coût de l’énergie aura également des répercussions importantes sur les performances des
systèmes irrigués. Selon certains experts, l’énergie devrait conserver un coût relativement bas
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives                   13

ou baisser quelque peu à moyen terme, ce qui devrait encourager l’équipement des superficies
irriguées en technologies avancées telle l’irrigation localisée et promouvoir l’irrigation à partir de
pompages. Un aspect négatif pourrait être l’accélération de la surexploitation des aquifères
dans les zones ne disposant pas de moyens de contrôle juridiques ou institutionnels.

Transparence dans la gestion, dévolution et participation
La tendance globale de décentralisation des processus de décision et des responsabilités de
gestion dans tous les domaines aura probablement des conséquences importantes sur la façon
dont seront gérés les grands périmètres irrigués. La gestion de l’eau qui prévalait jusqu’aux
années 1990 dans les grands périmètres, à partir de structures lourdes et étatiques, sera remplacée
par un service de l’eau de la part des Agences d’irrigation aux irriguants, ceux-ci participant
pleinement aux processus de décision relatifs à la gestion de leurs périmètres. Cette transformation
devrait s’accompagner d’une meilleure connaissance des coûts de l’irrigation et par conséquent
d’une accélération de la facturation de l’eau d’irrigation, encore à l’état embryonnaire dans la
plupart des pays d’Afrique. D’une manière générale, la dévolution des services de l’eau devrait
se traduire par une réduction des coûts de sa gestion.

Durabilité et environnement
La conscience croissante de l’importance des écosystèmes naturels et de leur valeur contribuera
à accroître la pression sur l’irrigation afin que celle-ci se pratique sans effets néfastes pour
l’environnement. De même, une part toujours plus importante des écoulements des rivières sera
probablement destinée à la préservation des écosystèmes aquatiques, ce qui exigera de l’irrigation,
comme de la plupart des autres secteurs d’utilisation de l’eau, une plus grande efficience dans
l’utilisation de l’eau. La gestion de la demande en eau deviendra un élément important des
stratégies nationales dans les zones arides soumises à une rareté croissante de l’eau.

Changement de climat et réchauffement de la planète
Il est désormais prouvé que, sous l’influence de l’homme, on assiste à un réchauffement progressif
de la planète (1o C au cours des 50 dernières années). Bien que l’impact de ce changement sur
les éléments du climat ne soit pas encore bien connu, il semble probable que l’on assistera à une
augmentation de la variabilité des précipitations. Cette variabilité entraînera à son tour des
variations dans la disponibilité des ressources en eau. Ainsi, l’agriculture risque d’être affectée
à deux niveaux. D’une part, l’augmentation de variabilité des précipitations entraînera une
demande plus grande pour l’irrigation afin de pallier aux risques accrus de sécheresses en
cultures pluviales. D’autre part, il se peut également que la variation des disponibilités en eau ait
un impact négatif sur l’irrigation.

Projections pour le développement de l’irrigation en Afrique de l’Ouest
L’analyse des tendances, des principaux facteurs de croissance de la production agricole et des
politiques nationales et régionales en matière d’irrigation permet d’établir des projections pour le
développement de l’irrigation en Afrique de l’Ouest. Un tel exercice a été fait il y a peu de
temps par la FAO dans le cadre de la préparation du rapport “L’agriculture - horizon 2015/30”
(tableau 6). On constate que les superficies irriguées ne sont pas appelées à s’étendre de
manière considérable. Par contre, il est prévu que le taux d’intensification fasse des progrès
importants (de 129% en 1996 à 156% en 2030) sous la pression de la demande croissante en
produits agricoles, ce qui rejoint l’analyse faite plus haut concernant la croissance démographique
et l’urbanisation. En d’autres mots, on s’attend à une intensification de la production agricole
14                                                                                                                 Jean-Marc Faurès et Moïse Sonou

TABLEAU 6
Projections pour le développement de l’irrigation en Afrique de l’Ouest (1 000 ha)

                      Potentiel d'irrigation
                                                             1994-96                                      2015                                        2030

                                                              culturale (%)

                                                                                                          culturale (%)

                                                                                                                                                      culturale (%)
                                               Superficies

                                                                              Superficies

                                                                                            Superficies

                                                                                                                          Superficies

                                                                                                                                        Superficies

                                                                                                                                                                      Superficies
                                                                               cultivées

                                                                                                                           cultivées

                                                                                                                                                                       cultivées
                                                irriguées

                                                                                             irriguées

                                                                                                                                         irriguées
                                                                Intensité

                                                                                                            Intensité

                                                                                                                                                        Intensité
        Pays

BENIN                            300                     1            158              2             4           155                6            6            153               9
BURKINA FASO                     164                    24            160             39            28           170               48           33            180              59
CAMEROUN                         240                    33             85             28            38            90               34           42            100              42
TCHAD                            935                    13             85             11            15           100               15           16            120              20
COTE D'IVOIRE                    475                    69             85             59            92           100               92          113            120             135
GHANA                          1 900                     4            100              4             4           110                5            5            120               6
GUINEE                           520                    93             80             74           103           100              103          114            110             125
LIBERIA                          600                     3             85              3             3            90                3            4            100               4
MALI                             560                   129            200            258           157           200              315          183            200             365
MAURITANIE                       221                    91            150            137           101           150              151          108            150             163
NIGERIA                        3 137                   249            100            249           304           110              334          380            120             456
NIGER                            270                    66             90             60            74           100               74           82            110              91
SENEGAL                          400                    71             73             52            96            85               82          118            100             118
SIERRA LEONE                     807                    32            100             32            32           100               32           32            100              32
TOGO                             180                     8            106              8             9           114               10           10            123              12

Total                 10 709                           887            129         1 016         1 061            144          1 304         1 247             156         1 638

irriguée, qui pourrait avoir comme conséquence une meilleure rentabilisation des aménagements
hydro-agricoles.

CONCLUSIONS
Aujourd’hui et probablement dans les années à venir, il faut considérer qu’il n’existe non pas
une irrigation mais plutôt deux ou même trois grands types d’irrigation. D’une part, les cultures
à haute valeur ajoutée, tel le maraîchage, justifient pleinement l’apport de l’irrigation: le niveau
élevé d’intrants et de facteurs de production qu’exige le maraîchage nécessite que le producteur
s’affranchisse des aléas climatiquesgrâce à l’irrigation. Le marché offre aux producteurs la
capacité d’investir dans l’irrigation et on assiste le plus souvent à une agriculture très intensive.
Si ce type d’irrigation est destiné à croître en fonction de la demande de la part des zones
urbaines, il ne constitue cependant qu’une faible partie des superficies irriguées (entre 3 et 9%
en régions arides).
D’autre part, les cultures vivrières constituent la majeure part de l’irrigation, et cela devrait
continuer dans les décennies à venir. Parmi celles-ci, les cultures telles le sorgho, cultivées de
façon relativement peu intensive dans des systèmes traditionnels de contrôle de l’eau, auront
plutôt un rôle à jouer dans le développement régional et la lutte contre l’insécurité alimentaire.
Quant au riz, sa production devrait continuer à augmenter, mais à un rythme qui dépendra fort
des dispositions que voudront prendre les pays pour la promotion de leurs capacités rizicoles. La
culture du riz s’adapte tant aux grands périmètres irrigués qu’aux marais et bas-fonds équipés
pour l’irrigation (qui représentent une alternative intéressante aux grands périmètres, trop
coûteux), mais les conditions actuelles de marché ne favorisent pas son expansion. L’un des
grands défis de la riziculture sera de prouver qu’il est possible de produire du riz en Afrique de
l’Ouest à des conditions économiques satisfaisantes pour les producteurs et pour les
consommateurs.
Les aménagements hydro-agricoles en Afrique : situation actuelle et perspectives               15

L’irrigation est donc bien le reflet d’une agriculture appelée à jouer plusieurs rôles différents.
Elle est d’une part le fer de lance d’une agriculture intensive qui valorise bien les facteurs de
production et dont l’importance devrait croître dans le futur avec l’extension des zones urbaines.
Elle joue d’autre part le rôle de promoteur du développement rural lorsqu’elle apparaît comme
pôle de développement régional et que son rôle social prend le pas sur son rôle économique. Elle
a, enfin, un rôle stratégique à jouer au niveau macro-économique lorsqu’elle permet de réduire
la dépendance des pays vis-à-vis des importations.
Chacune de ces catégories d’irrigation joue un rôle spécifique sur le plan nutritionnel et de
santé. Si on peut espérer que dans l’ensemble ces trois irrigations contribuent positivement à
améliorer les conditions nutritionnelles et de santé des populations, tant rurales qu’urbaines, il
n’en reste pas moins qu’elles représentent également une menace pour la santé des populations
lorsqu’ellesne sont pas pratiquées correctement. Les grands systèmes irrigués s’accompagnent
trop souvent de maladies hydriques, tandis que les conditions sanitaires du maraîchage, notamment
aux abords des villes, présentent encore souvent des risques importants pour les consommateurs
et pour les utilisateurs d’eau à l’aval des sites de production. On a souligné plus haut le manque
de données fiables relatives aux aspects nutritionnels et de santé des aménagements hydro-
agricoles en Afrique. Il reste à espérer que ce colloque permettra d’apporter un élément de
réponse à la question de l’impact des aménagements hydro-agricoles sur la nutrition et la santé
en Afrique.

B IBLIOGRAPHIE
FAO (1995). L’Irrigation en Afrique en chiffres. Rapport sur l’eau No 7, 336 pages.
FAO (1997). Irrigation potential in Africa – A Basin Approach. FAO Land and Water Bulletin
  No 4, 176 pages.
FAO/IPTRID (1999). Report on the Expert consultation on “Water for food”in the West African
  Sub-Region, Accra, 6-7 May 1999. Document préparé dans le cadre de la Vision mondiale
  de l’eau, 22 pages. (publié sur le Web).
FAO/IPTRID (1999). World Water Vision 2025 – East and Southern Africa Consultation on
  Water ofr Food and Rural Development. Regional expert consultation, Harare, Zimbabwe,
  26-27 May 1999. Document préparé dans le cadre de la Vision mondiale de l’eau, 29 pages.
  (publié sur le Web).
FAO (2000). Agriculture – Twards 2015/30 Interim report.
OCDE/ADB/CILSS (1994). West Africa Long Term Perspective Study. Club du Sahel, Paris,
  décembre 1994.
van Hofwegen, P. and Svendsen, M. (2000). A vision of water for food and rural development.
   World Water Vision. 29 pages + annexes (publié sur le web).
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