Les disparus de guerre Les règles du droit international et les besoins des familles. Entre espoir et incertitude
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Document generated on 07/11/2022 8:05 a.m. Frontières Les disparus de guerre Les règles du droit international et les besoins des familles. Entre espoir et incertitude Marco Sassòli Guerre, mort amère Article abstract Volume 15, Number 2, Spring 2003 The article explores into how international law responds to the needs of families affected by war-related disappearances. Those families are torn by the URI: https://id.erudit.org/iderudit/1073818ar hope that their relative is still alive and the need to start despite the DOI: https://doi.org/10.7202/1073818ar uncertainty the mourning process. It also describes the other contradictory emotions and dilemmas to which humanitarian organisations searching for the missing and assisting the families are confronted. The law aims at See table of contents preventing disappearances and at obliging the parties to the conflict to provide answers to tracing requests. The author analyzes the obstacles to the implementation of those rules. A particular emphasis is put on the growing Publisher(s) need of families to receive not only information on the fate, but also the human remains of their beloved ones. This need is difficult to meet after many armed Université du Québec à Montréal conflicts, but it is based upon psychological and cultural reasons. Local and international actors may also manipulate it. ISSN 1180-3479 (print) 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this article Sassòli, M. (2003). Les disparus de guerre : les règles du droit international et les besoins des familles. Entre espoir et incertitude. Frontières, 15(2), 38–44. https://doi.org/10.7202/1073818ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2003 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
A R T I C L E Résumé L’article présente les règles instaurées LES DISPARUS par le droit international pour pourvoir aux besoins des familles des disparus de guerre, familles qui sont souvent déchi- rées entre l’espoir que leur proche soit DE GUERRE toujours vivant et la nécessité, malgré l’incertitude, d’entamer le processus de deuil. L’auteur y décrit également les émotions et les dilemmes auxquels les Les règles organisations humanitaires se trouvent confrontées lorsqu’elles s’engagent dans la recherche des disparus et dans l’assis- tance aux familles. Le droit essaie de du droit international prévenir les disparitions et oblige les parties au conflit à fournir des réponses. Il existe maints obstacles à la bonne et les besoins application de ces règles. Les familles d’aujourd’hui ne se contentent plus de simples réponses, elles expriment souvent leur désir de récupérer les dépouilles de des familles leurs proches. Ce besoin, difficile à satis- faire après de nombreux conflits armés, se fonde généralement sur des raisons psychologiques et culturelles. Parfois, il Entre espoir est aussi influencé par des manipulations des acteurs locaux et / ou internationaux. Mots clés : disparu – guerre – droit international – famille – recherche – dépouille. Abstract The article explores into how inter- et incertitude national law responds to the needs of families affected by war-related disap- pearances. Those families are torn by the hope that their relative is still alive and the need to start despite the uncertainty the mourning process. It also describes the other contradictory emotions and dilemmas to which humanitarian organi- sations searching for the missing and cation, le nombre de disparus augmente. Marco Sassòli, Ph.D., assisting the families are confronted. The professeur, Département des sciences juridiques, UQÀM*. Les disparitions concernent depuis toujours law aims at preventing disappearances les soldats tombés au combat ou capturés and at obliging the parties to the conflict par l’ennemi. De plus en plus fréquemment to provide answers to tracing requests. LES DISPARUS DE GUERRE toutefois, il s’agit de civils victimes de The author analyzes the obstacles to the La guerre occasionne des morts, des massacres, d’attaques indiscriminées, ou qui implementation of those rules. A parti- cular emphasis is put on the growing need blessés, des destructions, la haine, la peur ont dû fuir les combats. S’ajoute à cela le of families to receive not only information et le désespoir. Elle sépare également les phénomène des disparitions forcées et on the fate, but also the human remains of familles, en érigeant des lignes de front ou involontaires, qui existe tout autant lors des their beloved ones. This need is difficult to parce que l’un des leurs est mort, blessé ou conflits armés qu’en dehors de ceux-ci. Des meet after many armed conflicts, but it is détenu. Dans ces conditions, très souvent autorités ou des groupes, paramilitaires ou based upon psychological and cultural les familles ne savent pas où se trouve l’un rebelles, décident alors de « faire dispa- reasons. Local and international actors de leurs membres. Ce dernier est alors con- raître » des individus ciblés, sans donner may also manipulate it. sidéré comme « disparu ». Les guerres sont d’informations sur le sort de ces derniers, Key words : missing – war – international aujourd’hui pudiquement appelées « con- et ce souvent pour semer la terreur au sein law – family – search – human remains. flits armés » par les juristes. Cette notion du groupe auquel le disparu appartient. englobe tout autant les conflits internatio- Dans tous ces cas, la famille de la per- naux entre États que les conflits armés non sonne concernée demeure dans l’incerti- internationaux, qui sont d’ailleurs de plus tude quant au sort d’un parent, ce qui en plus fréquents. Dans tous ces conflits, s’avère souvent finalement pire que de et en dépit de l’existence de moyens savoir que l’être aimé est bel et bien décédé. modernes de communication et d’identifi- Prenons l’exemple de deux pays du Nord, FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003 38
dont on parle souvent : 29 ans après le cace et correspondant mieux aux besoins p. 201-203). Les principes essentiels demeu- conflit à Chypre, presque 2000 personnes des familles. À cette fin, toute une série d’or- rent toutefois les mêmes (Sassòli et Bouvier, sont toujours portées disparues et la plu- ganisations gouvernementales, non gouver- 1999, p. 206-210). Le DIH fait partie du part des familles n’ont toujours pas aban- nementales et d’experts, parmi lesquels jus in bello, qui fixe les règles à respecter donné l’espoir qu’ils puissent être vivants. l’auteur de ces lignes, ont été invités à en cas d’usage de la force armée. Ce droit De même, sept ans après le conflit en contribuer à l’élaboration de normes et de doit s’appliquer indépendamment de toute Bosnie-Herzégovine, plus de 20 000 per- lignes directrices et à une solution à ce pro- considération relevant du jus ad bellum, qui sonnes sont toujours portées disparues, et blème extrêmement complexe5. À cet effet, traite pour sa part de la justification de nombreuses sont, par exemple, les épouses trois études spéciales ont été réalisées et huit l’usage de la force et des causes soutenues des hommes massacrés à Srebrenica qui ateliers ont eu lieu en 2002. Pour conclure par les parties au conflit ou attribuées à gardent – manipulées ou non – l’illusion ce projet, une conférence internationale sur celles-ci (voir pour des références Sassòli que leur mari reste détenu par « les Serbes », les disparus et leurs familles a été organi- et Bouvier, 1999, p. 83-87, 665, 681 et illusion qui empêche toute réconciliation. sée à Genève au mois de février 2003 dans 682). Conformément à cette nécessité de Pour ce qui est des conflits impliquant les le but de définir les meilleures pratiques en séparer jus ad bellum et jus in bello, les pays du Sud, les chiffres sont beaucoup plus la matière. belligérants sont toujours obligés de res- importants, il en est cependant moins fait Il est opportun de rappeler ici les types pecter les mêmes règles humanitaires, et état dans les médias. de dilemmes et de problèmes auxquels on ce quelle que soit la justification de leur L’incertitude quant au sort des personnes est confronté lors de la recherche des lutte (Meyrowitz, 1970). portées disparues constitue souvent un disparus, de même que les règles du droit La préoccupation principale des dispo- obstacle majeur aux efforts entrepris pour international régissant la matière et les sitions du DIH concernant les disparus est parvenir à une réconciliation et implanter raisons pour lesquelles ces règles ne réus- « le droit qu’ont les familles de connaître le la paix. En effet, au-delà du cercle restreint sissent pas à résoudre le problème. En sort de leurs membres7 ». Chaque partie à des familles, cette question touche l’en- découlera alors tout naturellement la ques- un conflit armé a alors l’obligation de semble des communautés et des pays tion de savoir si un autre droit correspon- rechercher les personnes qui ont été décla- affectés, et favorise alors le maintien d’une drait mieux aux besoins des familles. Le rées disparues par la partie adverse8. situation conflictuelle. tout sera exposé en prenant en considé- En réalité, les personnes disparues sont De nombreuses organisations œuvrent ration les familles concernées, déchirées soit décédées, soit encore en vie. Si elles dans les pays affectés par les conflits pour entre un espoir souvent trop irréaliste et la sont vivantes, elles sont soit détenues par prévenir de telles disparitions, informer les nécessité d’entamer un processus de deuil l’ennemi, soit libres mais séparées de leur familles du sort de leur proche et assister, pénible, mais salutaire. Trop souvent, ces famille par une ligne de front ou une fron- en attendant, les familles affectées. Au sein dernières sont d’ailleurs manipulées par des tière. Dans ces cas, elles bénéficient de la même des Nations Unies, la Commission (anciennes) parties au conflit et des acteurs protection du DIH offerte à la catégorie à des droits de l’homme a créé, en 1980, un internationaux, y compris par ceux qui sont laquelle elles appartiennent (civil, prison- Groupe de travail sur les disparitions engagés dans la compétition entre organi- nier de guerre, blessé et malade, etc.). Cette forcées et involontaires. Ce groupe s’inté- sations humanitaires. protection comprend des règles créées pour resse également à certaines disparitions s’assurer que ces personnes ne restent pas engendrées par des conflits armés, dans la LES RÈGLES PERTINENTES considérées comme disparues, sauf, évidem- mesure où ceux-ci demeurent non interna- DU DROIT INTERNATIONAL ment, si elles souhaitent rompre tout lien tionaux1. L’activité de ce groupe consiste HUMANITAIRE avec leur famille ou leur pays9. Si la per- essentiellement à soumettre les cas indivi- Le droit international humanitaire (DIH) sonne a été portée disparue à la suite de duels de disparition aux autorités gouver- protège les victimes des conflits armés, en l’interruption habituelle des services pos- nementales territorialement compétentes et particulier toutes celles et tous ceux qui ne taux ou des fréquents déplacements de à exiger de ces dernières des éclaircis- participent pas au conflit – les civils – et population en temps de conflit armé, et si sements satisfaisant les familles. Il existe tous ceux qui n’y participent plus – les pri- les parties respectent leur obligation de également une organisation humanitaire sonniers de guerre et les blessés, les malades favoriser l’échange de renseignements indépendante, neutre et impartiale, qui dis- et les naufragés. Ce droit est aujourd’hui familiaux et la réunification des familles10, pose d’un mandat fondé sur le droit inter- largement codifié dans les quatre Con- les liens familiaux devraient alors être national : le Comité international de la ventions de Genève du 12 août 1949, aux- rétablis rapidement, grâce, entre autres, à Croix-Rouge (CICR). Ce dernier déploie quelles tous les États de la planète sont l’Agence centrale de recherche du CICR. De une action de protection et d’assistance parties, et dans leurs deux Protocoles addi- la même manière, si une personne est humanitaire en tant qu’intermédiaire neutre tionnels de 19776, qui comptent respecti- portée disparue en raison d’une détention et impartial dans les conflits armés. vement 159 et 153 États parties, mais qui ou d’une hospitalisation par l’ennemi, Les Conventions de Genève2 lui confient ont été rejetés par les États-Unis et auxquels l’incertitude des familles ne devrait pas d’ailleurs, à travers son Agence centrale de des États souvent impliqués dans des durer très longtemps dans la mesure où, une recherches (Djurovic, 1981), la tâche spéci- conflits, comme Israël, l’Iran, l’Iraq et fois encore, le DIH prévoit que des infor- fique de recueillir, concentrer et transmettre l’Afghanistan, ne sont pas parties. Soucieux mations rapides sur l’hospitalisation ou la aux familles concernées toutes les informa- de préserver leur souveraineté, les États ont détention doivent être transférées aux tions sur le sort des victimes de guerre3. accepté de se voir imposer, par les quatre familles et aux autorités, et ce à travers trois Estimant que les approches actuellement Conventions de Genève et le Protocole I, canaux : la notification de l’hospitalisation, utilisées dans le traitement des cas des per- des règles beaucoup plus détaillées pour de la capture ou de l’arrestation11, la trans- sonnes portées disparues lors des conflits les conflits armés internationaux que pour mission des cartes de capture ou d’interne- sont inadéquates, le CICR a récemment pris les conflits armés non internationaux régis ment12, et la correspondance avec la famille l’initiative de mener une étude majeure sur quant à eux uniquement par l’article 3 com- qui doit être autorisée13. Une personne ce problème spécifique4. Il a ainsi l’espoir mun aux quatre Conventions de Genève et détenue légalement ne peut donc pas demeurer de mettre au point une méthode plus effi- par le Protocole II (Sassòli et Bouvier, 1999, disparue très longtemps, et ce d’autant moins 39 FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003
que l’autorité détentrice a également l’obli- hoc pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le exigent cette façon de faire et succombent gation de répondre aux demandes de ren- Rwanda (TPIR) et la récente création d’une ainsi à l’illusion de recevoir des informa- seignements relatives aux personnes Cour pénale internationale constituent des tions plus rapidement que les « autres ». protégées14. pas importants dans cette direction21. On a ainsi vu les familles de disparus Si la personne disparue est décédée, il israéliens aller jusqu’à la Cour suprême est tout aussi important, mais plus com- OBSTACLES À LA RÉALISATION d’Israël pour essayer d’empêcher, heureu- pliqué, d’informer la famille. Comme cela DE LA SOLUTION PROPOSÉE sement en vain, que le CICR n’ait accès à s’avérerait pratiquement impossible, les PAR LE DROIT INTERNATIONAL des détenus libanais avant que les groupes parties n’ont pas l’obligation d’identifier HUMANITAIRE auxquels ces détenus appartiennent ne toutes les dépouilles retrouvées. Chaque Au-delà des difficultés générales rencon- fournissent des informations au sujet des partie doit simplement essayer de collec- trées pour obtenir un meilleur respect du disparus israéliens23. ter les informations qui peuvent aider à DIH, la mise en œuvre des règles en matière D’autres belligérants, voulant cacher à l’identification des dépouilles15 et s’effor- de disparus est confrontée à des difficultés leur propre population l’étendue des pertes cer de convenir avec l’ennemi de la et à des dilemmes spécifiques qui méritent subies lors d’un conflit, préfèrent considérer mise en place d’équipes de recherche16. qu’on s’y arrête un instant. Le reste de cet leurs soldats disparus plutôt que de devoir L’expérience montre que les équipes de article sera consacré aux situations fré- admettre que ces derniers sont morts. Des recherche mixtes, composées de représen- quentes pour lesquelles on doit présumer dirigeants dont le pouvoir dans leur propre tants de chacun des anciens belligérants que les disparus qui ne sont pas réapparus communauté est fondé sur la haine d’une impliqués, sont les plus efficaces. Le travail à la fin du conflit sont très vraisembla- autre communauté ont eux aussi intérêt à de recherche est quant à lui grandement blement décédés. Nous ne traitons pas des faire durer le problème des disparus afin facilité si la personne décédée possède des contextes comme ceux de la guerre entre de conserver ce pouvoir. Or, s’il est possible documents ou une carte d’identité, com- l’Iran et l’Iraq de 1980-1988 où, bien que d’envisager de se réconcilier avec un pays me cela est prescrit pour les combattants des centaines de milliers de combattants ou une communauté responsable de la mort par le DIH17. Si la procédure d’identifica- aient été portés disparus, ils ne peuvent être d’un proche, personne n’est vraiment tion est effectuée avec succès, la famille présumés morts dans la mesure où, dix ans en mesure de faire la paix avec ceux dont doit alors en être notifiée. Dans tous les après la fin du conflit, des milliers d’entre il présume qu’ils détiennent encore un cas, les dépouilles mortelles doivent être eux restent détenus prisonniers22. être aimé. respectées, inhumées décemment et les tombes doivent être marquées18. Le désir des proches d’avoir accès à ces tombes et POUR ÊTRE EN MESURE DE SE RÉSIGNER À ACCEPTER même, souvent, de voir les dépouilles mor- telles retourner dans leur pays d’origine ne LE DÉCÈS DE LEUR PROCHE, LES FAMILLES ONT BESOIN peut être satisfait, en vertu du DIH, que si les parties concernées concluent un accord DE PLUS EN PLUS D’ÉLÉMENTS ET SURTOUT D’UNE PREUVE TANGIBLE à cet effet, ce qui ne se produit généra- lement qu’à la fin du conflit19. DU DÉCÈS DE LA PERSONNE. Au-delà des règles spécifiques que nous venons de mentionner, toutes les règles du DIH permettraient, si elles étaient respec- LORSQUE LES BELLIGÉRANTS Les poursuites pénales intentées contre tées, de réduire le nombre de personnes qui NE VEULENT PAS DONNER DE RÉPONSES certains responsables de crimes de guerre disparaissent au cours d’un conflit armé. Selon le DIH, les (anciennes) parties devant les tribunaux nationaux et interna- Si les civils et tous ceux qui sont « hors com- au conflit doivent donner des réponses tionaux contribuent, nous l’avons vu, au bat » étaient respectés comme l’exige le aux questions qu’on leur pose au sujet des respect du DIH et donc à la prévention DIH et si le CICR était autorisé à avoir disparus. Souvent cependant, elles ne des disparitions. Elles ont toutefois un effet accès à toutes les victimes de guerre et à veulent pas les donner. Elles préfèrent secondaire indésirable : puisque les auto- les enregistrer, comme le prescrit égale- conserver « l’ennemi » dans l’incertitude rités locales doivent désormais craindre ment le DIH, peu de personnes dispa- et infliger à sa population des souffrances d’être poursuivies, il risque de devenir plus raîtraient, à part les combattants morts au supplémentaires. La mort est alors instru- difficile d’obtenir d’elles les informations combat. Dans ce domaine comme dans mentalisée comme une arme symbolique nécessaires concernant les victimes. Ainsi, beaucoup d’autres, la principale difficulté pour provoquer, humilier et anéantir si les délégués du CICR en Colombie est donc d’obtenir le respect du DIH. Cela psychologiquement l’ennemi. Elles tentent reçoivent encore parfois des indications nécessite tout d’abord une action préven- d’utiliser le dossier des disparus pour provenant d’un chef militaire selon lesquel- tive, par la diffusion des règles du DIH et exercer des pressions en relation avec les la personne recherchée a été exécutée la formation de tous ceux qui auront à d’autres exigences, souvent politiques. et que son corps peut être récupéré, il est les respecter, en particulier de tous les Dans d’autres cas, la réciprocité, véritable peu probable qu’il en soit de même en porteurs d’armes. Cela doit ensuite être « cancer » du respect du DIH, les Bosnie où un chef militaire qui fournirait fait pendant le conflit, par le CICR et par empêche de donner de premières infor- de tels renseignements devrait craindre les États tiers, qui doivent rappeler aux mations aux familles appartenant « à d’être poursuivi devant le TPIY. Pour ces belligérants leurs obligations et coopérer l’ennemi », avant qu’elles ne se soient mêmes raisons, il sera moins évident avec eux pour le respect du DIH. Il faut assurées que leurs propres familles n’ob- désormais d’obtenir des autorisations pour finalement réprimer universellement les tiennent elles aussi des réponses. Au lieu réaliser les exhumations nécessaires à violations, conformément à l’obligation de se montrer solidaires en exigeant que l’identification des dépouilles. Cette diffi- que les Conventions de Genève adressent des réponses soient fournies par leurs pro- culté devrait en outre être aggravée par les à tous leurs États parties20. L’établissement pres autorités aux familles « adverses », les procureurs des tribunaux internationaux de tribunaux pénaux internationaux ad familles approuvent et parfois même qui risquent d’exiger que les identifications FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003 40
médicolégales soient dorénavant effectuées par leurs services (afin d’éviter que les preuves ne soient biaisées), ce qui aura pour conséquence de ralentir l’ensemble de la procédure. LORSQUE LES BELLIGÉRANTS N’ONT PAS DE RÉPONSES Dans beaucoup de cas, les belligérants ne disposent tout simplement pas des réponses qu’ils devraient fournir. Cela est en partie dû au fait qu’ils n’ont pas rempli pendant le conflit les devoirs que leur impose le DIH : ils n’ont pas systémati- quement cherché à identifier les corps, même ceux appartenant à des combattants ennemis, ils n’ont pas non plus automati- quement enregistré toutes les personnes arrêtées ou détenues. En fait, de nos jours, peu de belligérants enregistrent minutieu- sement les civils avant de les massacrer (ce que faisaient les nazis dans certains camps de concentration). À mon avis, même si elles le voulaient et même si elles menaient des enquêtes approfondies parmi leurs agents responsables, ni les autorités serbes de Bosnie ni les autorités de Belgrade, qui ont pourtant été jugées comme ayant eu © Josée Lambert, 2003 le contrôle sur les Serbes de Bosnie24, ne seraient aujourd’hui en mesure de fournir la liste des personnes qui ont été massa- crées à Srebrenica. Dans la majorité des cas, on peut toutefois s’attendre des (anciens) belligérants à ce qu’ils mènent des enquêtes parmi leurs propres agents et parmi la Les responsables de ce désastre dienne, dans l’attente constante de recevoir population des territoires qu’ils contrôlent. des nouvelles génère inévitablement de sont en fuite. Dans tous les cas, ils devraient pouvoir four- l’inquiétude, de l’anxiété et de l’angoisse nir, au minimum, des informations sur la affective et morale. C’est à ce titre l’une des localisation d’éventuelles fosses communes souffrances les plus pénibles engendrées par et d’opérations militaires qui ont provoqué la guerre. des disparitions. menées par l’auteur de ces lignes, mais plutôt de son expérience pratique qu’il a ANÉANTIR L’ESPOIR ? LES FAMILLES NE SE CONTENTENT PLUS acquise pendant l’année 1996 en qualité de Malgré l’absence de l’être proche et bien DE SIMPLES RÉPONSES président du Groupe de travail sur les que, selon toute logique, celui-ci doive sou- Un nouveau problème est apparu récem- disparus, qui a été établi sous les auspices vent être présumé mort, il subsiste toujours ment dans certaines régions du monde : les du CICR à la fin du conflit en Bosnie- un espoir insensé que la personne portée familles ne se contentent plus de l’informa- Herzégovine et conformément aux Accords disparue ait réussi à survivre quelque part. tion qu’elles ont le droit de recevoir selon de paix de Dayton, pour éclaircir le sort des De nombreuses familles qui continuent d’y le DIH actuel. Elles se méfient des certifi- plus de 20 000 disparus musulmans, serbes croire vont donc tout faire pour chasser ou cats de décès établis par l’(ancien) ennemi, et croates de Bosnie (Girod, 1996). mettre en doute les informations indiquant même si ceux-ci sont conformes aux que leur être cher est mort. C’est une longue exigences du DIH25. De plus en plus sou- DILEMMES DU DROIT et lente torture morale que ces familles vent, elles désirent récupérer le corps de ET DE L’ACTION HUMANITAIRE subissent ; elles ont alors particulièrement leur proche. Parfois, elles souhaitent savoir FACE AUX BESOINS DES FAMILLES besoin d’être encadrées et soutenues. C’est qui est responsable de sa mort et exigent D’IMMENSES ÉMOTIONS dans leur intérêt qu’il est si important de que le coupable soit puni. Or, certains de La problématique des personnes portées réussir à clarifier la situation des personnes ces besoins sont – nous l’avons vu – pas ou disparues dans le cadre d’un conflit est un portées disparues. Afin d’être en mesure de peu pris en compte par le droit existant. sujet particulièrement sensible, où s’entre- faire véritablement le deuil de leurs proches, C’est ce que nous analyserons plus en détail mêlent des phénomènes forts qui touchent ces familles doivent avoir la certitude que maintenant, dans le cadre de quelques à l’essence même de l’existence humaine la personne portée disparue est bien décé- réflexions plus générales sur l’attitude des tels la mort, l’amour et les liens familiaux, dée, dans le cas contraire, il est en effet pro- familles et des acteurs humanitaires tous dominés et même supplantés par un bable qu’elles ne seront pas en mesure de vis-à-vis des disparus et de la probabilité sentiment de plus en plus difficilement franchir les différentes étapes du travail qu’ils soient morts. Ces réflexions ne sont accepté dans nos sociétés modernes : de deuil : « Un deuil a besoin de certitude. pas le fruit de recherches scientifiques l’incertitude. Vivre dans l’incertitude quoti- Abandonner l’espoir de retrouver un jour 41 FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003
l’être aimé revient à l’abandonner lui-même, soient pas décomposés et restent identi- différences d’ordre culturel et elles ont leur ce qui est inconcevable pour ses proches » fiables. Pour identifier les restes exhumés, importance. Par exemple, les familles dont (Ireland, 2001, p. 238). Pour être en mesure une base de données ante mortem doit être la religion ou la tradition préconise l’inci- de se résigner à accepter le décès de leur péniblement constituée auprès des familles. nération ne manifesteront pas si ardemment proche, les familles ont besoin de plus en Souvent, comme par exemple dans le cas que les autres le souhait de retrouver les plus d’éléments et surtout d’une preuve des centaines de milliers de morts provo- restes humains de leurs parents. En dépit tangible du décès de la personne. En outre, qués par les récents conflits dans la région de quelques distinctions, toutes les familles de nombreuses religions et cultures exigent des Grands Lacs en Afrique, les moyens souffrent cependant de ne pas savoir ce que la présence d’un corps afin de pouvoir financiers nécessaires pour une recherche leurs proches sont devenus. En outre, dans accomplir les rites jugés nécessaires. La et une identification systématique des le contexte actuel de la mondialisation, il mort est toujours comprise dans une culture dépouilles mortelles ne pourront jamais être semble plutôt que les besoins des familles, précise. Quelle que soit la manière de traiter trouvés. où qu’elles se trouvent, tendent à devenir les restes d’un être humain, les pratiques de plus en plus semblables. Après l’attaque obéissent à un rituel qui définit souvent le UNIVERSALITÉ DES BESOINS du 11 septembre 2001 contre le World « destin » du décédé après sa mort. Il est OU SÉLECTIVITÉ ? Trade Center, on a vu que certaines familles toutefois intéressant de noter que les exi- Cette dernière remarque nous amène à américaines ont refusé d’accepter la mort gences des familles ne sont pas toujours les nous interroger sur les différences existant, de leurs proches avant qu’un test d’ADN mêmes. Certaines se contenteront de l’an- au niveau des attentes et des besoins des n’ait été effectué. On est donc en droit de nonce du décès par les autorités ou par une familles, entre les pays et notamment entre penser que ce ne devrait plus être qu’une organisation qu’elles considèrent crédible pays développés et pays en voie de déve- question de temps avant que les familles de ainsi que de la production d’un certificat. loppement. Certaines d’entre elles, qui ne la région des Grands Lacs en Afrique Ainsi les familles de disparus en Colombie, peuvent être niées, justifient-elles le recours n’adoptent les mêmes exigences. Cette en Azerbaïdjan et en Arménie acceptent à un traitement différentiel des cas de per- homogénéisation des attentes et des exi- aujourd’hui encore les réponses fournies sonnes disparues ? Ainsi, dans les pays dits gences risque toutefois de se heurter à un par une partie au conflit et transmises développés, les membres d’une même écueil important : la question du finan- par le CICR. D’autres réclameront un corps famille même lorsqu’ils sont géographique- cement. De tels tests, et surtout la collecte et même parfois une preuve scientifique ment éloignés ont l’habitude et les moyens, des données ante mortem et post mortem que ce corps est bien celui de leur proche. grâce notamment aux nouvelles techno- qu’ils nécessitent, coûtent cher. Ce fut notamment le cas en Bosnie- logies de l’information et de la communi- De l’avis de certains il est indécent de Herzégovine, où les familles ont refusé de cation, de rester en contact avec leurs dépenser autant d’argent et de moyens pour se contenter des réponses fournies par le proches. Dans les pays en voie de dévelop- tenter de retrouver des personnes très pro- CICR et continuent d’insister pour récupé- pement, les conditions de vie, difficiles et bablement décédées. Il serait préférable rer un corps dont l’identité aura été confir- précaires (misère, chômage, ruée vers les d’affecter ces ressources à des missions visant mée par un test de concordance à l’acide villes, éclatement des familles), ne permet- à aider « réellement » à sauver des milliers désoxyribonucléique (ADN). Est-ce parce tent pas toujours aux familles, et ce même de vies humaines (comme la lutte contre la que dans le langage de l’inconscient « pas en temps de paix, de conserver un lien famine). Bien que toute comparaison, de corps » équivaut à « pas de mort » ? direct avec l’ensemble de leurs membres. toute pesée des intérêts et tout ordre de Est-ce parce qu’elles n’ont plus confiance Celles-ci, habituées à vivre dans une priorité semble immoral dans ce domaine, en personne ? Est-ce parce qu’elles peuvent certaine incertitude quant au sort de il faut certainement qu’une allocation des ainsi continuer à espérer que leur être cher leurs parents, semblent dès lors « mieux » ressources se fonde sur une évaluation des est toujours en vie ? Est-ce à cause des rites s’accommoder de la situation, développant besoins prioritaires. Même le médecin con- funéraires… et ce bien que l’islam, dont se un certain fatalisme. En vertu de leur expé- fronté à une urgence doit décider de traiter réclament la plupart des victimes, interdise rience, elles sont en outre moins amenées certains patients et certaines blessures en les exhumations ? Ou est-ce simplement à attendre des autorités ou de la « commu- priorité. Dans l’identification des besoins les dû aux manipulations exercées par les nauté internationale » des solutions à leurs plus urgents et les plus importants, il faut ex-parties belligérantes, qui tentent ainsi de problèmes que ne le sont, par exemple, les toutefois impliquer la communauté desti- maintenir la haine, ou par des acteurs familles en Bosnie-Herzégovine. nataire et tenir compte du fait qu’au-delà internationaux qui cherchent à vendre des Si l’on s’en tenait à ce raisonnement, il des souffrances des personnes portées technologies coûteuses ? conviendrait alors de traiter différemment disparues, il y a les angoisses, l’incertitude Les exhumations et les identifications les personnes disparues selon les conditions continue et les difficultés de leurs proches médicolégales semblent souvent être la de vie en vigueur dans leur pays respectif et de leurs communautés. meilleure solution pour obtenir des infor- ou selon les pressions exercées par les mations sur le sort des disparus, dans la familles et les opinions publiques. L’auteur LES ACTEURS HUMANITAIRES mesure notamment où elles ne nécessitent de ces lignes n’est pas expert en psycholo- DOIVENT-ILS TIRER DES CONCLUSIONS ? pas de réponses des anciens belligérants. gie interculturelle. C’est peut-être simple- Devrait-on, en l’absence de preuve Elles permettent par ailleurs, dans bien des ment parce qu’il est juriste et que le droit absolue, annoncer le décès d’un disparu à cas aux familles de récupérer les restes de international et sa mise en œuvre doivent sa famille ? Il est parfois difficile de prendre leurs proches et de procéder à une inhu- être pour lui les mêmes pour tous, que cette la décision de notifier aux familles que leurs mation plus « convenable ». Il faut toute- approche impliquant un double standard ne proches sont décédés selon toute vraisem- fois craindre que la grande majorité des lui semble pas adéquate et qu’il préfère blance – ou, comme le prévoit le DIH, familles de disparus de guerre du monde penser que toutes les familles partagent les selon les informations fournies par l’ancien ne puissent jamais bénéficier de telles mêmes besoins et les mêmes attentes. Ce ennemi. Cela est d’autant plus difficile qu’en certitudes : il faut d’abord que les belli- n’est pas parce que des individus mani- l’absence d’un cadavre, c’est la confiance gérants donnent accès aux dépouilles et festent moins leur douleur qu’ils n’en éprou- dans la source qui déclenche le processus aux tombes, il faut ensuite que les corps ne vent pas. Il existe bien évidemment des de deuil. L’auteur de ces lignes se rappelle FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003 42
avoir dû informer une femme en Bosnie du incertitude et (re)commencent ainsi à conflit qui doivent résoudre les problèmes décès, annoncé par la partie adverse, de son prendre leur vie en mains. De telles asso- humanitaires. Conviendrait-il plutôt d’adap- mari et de son fils. Il aurait de loin préféré ciations peuvent être des relais pour des ter le droit à la réalité en renforçant le rôle, pouvoir étayer cette annonce par une programmes d’assistance matérielle, psy- les droits et les obligations des acteurs inter- preuve tangible, ne serait-ce que pour se chologique ou légale. Elles peuvent exercer nationaux ? Les États sont-ils mûrs pour sentir moins « responsable » de l’informa- une pression sur les autorités et, dans cer- accepter de telles règles ? Ne seraient-ils tion fournie. Les collaborateurs et collabo- tains cas, elles s’engagent même directe- pas déresponsabilisés par de telles règles ? ratrices des organisations humanitaires ment dans la recherche des disparus26. Elles Ces dernières pourraient-elles rester les doivent trouver, dans ce domaine comme sont des interlocuteurs permettant aux mêmes pour tous, comme l’exige la fiction dans d’autres, un équilibre entre l’identifi- autorités et aux acteurs humanitaires de du système westphalien selon laquelle le cation humainement compréhensible avec mieux connaître les besoins et les choix des droit international régit des États souverains la victime et la distanciation psychologique- familles. Certains représentants « profes- et égaux ? ment et opérationnellement nécessaire. Au- sionnels » des familles de disparus ont L’accent mis par le droit existant sur delà des problèmes personnels rencontrés toutefois fait de cette question leur « fond le droit des familles à recevoir des informa- par les collaborateurs des organisations de commerce ». Le jour où toute la lumière tions – et non nécessairement des preuves humanitaires (mécontentement des familles, sera enfin faite, leurs services ne seront plus ou les restes de leurs proches – mérite en culpabilisation allant jusqu’au sentiment, d’aucune utilité, ce qui explique pourquoi revanche d’être repensé. Certains éléments, parfois, d’avoir personnellement décidé de certains d’entre eux ont – consciemment ou comme l’importance cruciale des prati- condamner à mort le disparu), il convient inconsciemment – tout intérêt à ce que le ques funéraires, le scepticisme croissant de prendre en compte, d’abord et avant problème perdure. Ils ont tendance à exi- des familles et le fait que seules des tout, les intérêts des familles. La situation ger des preuves de plus en plus nombreuses preuves tangibles peuvent détruire leurs espoirs irrationnels, amènent à croire que les familles contemporaines ont besoin L’INCERTITUDE QUANT AU SORT DES PERSONNES des restes de leurs proches décédés pour pouvoir véritablement entamer le proces- PORTÉES DISPARUES CONSTITUE SOUVENT UN OBSTACLE MAJEUR sus de deuil. Le droit pourrait alors être modifié dans le sens d’un droit de la AUX EFFORTS ENTREPRIS POUR PARVENIR famille à obtenir la dépouille. En outre, modifier le droit international n’est jamais À UNE RÉCONCILIATION ET IMPLANTER LA PAIX. un exercice facile. Dans la mesure où la société internationale ne connaît pas de législateur central, toute modification nécessite l’accord de tous ses destina- se complique cependant lorsque ceux-ci avant de considérer un cas comme clos, une taires. Cependant, même sous un droit apparaissent contradictoires. Peut-on déci- réponse comme crédible ou un corps ainsi modifié, la grande majorité des der à leur place ce qui est dans leur « intérêt comme identifié. Ils empêchent ainsi les familles de disparus ne pourra vraisem- véritable » ? Doit-on anéantir leurs espoirs, acteurs humanitaires de connaître les véri- blablement pas récupérer de telles et ce bien que l’on ne puisse affirmer de tables besoins des familles qui doivent dépouilles. Le nombre de celles qui pour- façon absolue que la personne disparue souvent refaire leur vie malgré les dispari- ront tout au moins recevoir des informa- soit morte, ou est-il préférable de ne rien tions tandis que les représentants font la tions crédibles sera toujours plus élevé. dire et du coup de faire perdurer leurs souf- leur grâce à ces mêmes disparitions. Il faudra donc veiller à ce que le plus frances pour la seule et unique raison qu’il grand nombre de familles possible conti- n’existe pas de certitude absolue ? Nous LE DROIT INTERNATIONAL nuent à recevoir ces informations. On pensons que les familles doivent être infor- HUMANITAIRE peut enfin se demander si le droit et les mées en toute transparence, même si elles DOIT-IL ÊTRE RÉVISÉ ? acteurs impliqués n’ont pas également la ne semblent pas le souhaiter, de la situa- En guise de conclusion, nous pouvons responsabilité de ne pas laisser les familles tion et des probabilités réelles que l’on constater que le phénomène des disparus se créer de faux espoirs qui ne pourront retrouve leur parent en vie ou, le cas dans le cadre de conflits armés pourrait être pas être satisfaits, et qui risquent d’empê- échéant, mort. Même si de prime abord cela considérablement réduit si le DIH existant cher la grande majorité des familles peut passer pour un manque de compas- était systématiquement respecté. Ce droit d’entamer le processus indispensable de sion, il est souvent préférable de ne pas lais- doit toutefois également tenir compte du deuil. En combinant progrès technique et ser éternellement les familles espérer. Dans fait que, par sa nature, il est fréquemment volonté des familles de retrouver leur proche leur propre intérêt, il est important qu’elles violé. Dans ce cas, le droit met l’accent sur vivant, le problème risque alors d’être acceptent le plus rapidement possible la l’obligation des parties au conflit de four- déplacé. Lorsque la majorité des familles nouvelle de la mort de leur proche et nir des réponses aux demandes des familles. recevront enfin des dépouilles, elles seront qu’elles entament le travail de deuil. L’efficacité de cette solution dépend, comme peut-être alors portées à considérer que pour toute règle de droit, d’un minimum seul un test d’ADN serait à même de leur LES ASSOCIATIONS DE FAMILLES : d’organisation et de bonne volonté de la apporter une certitude nécessaire. Or, PARTIE DE LA SOLUTION partie destinataire. Dans les conflits con- lorsque la majorité des familles bénéfi- ET DU PROBLÈME temporains, ces deux caractéristiques font ciera de ce privilège (ce qui paraît prati- Lorsque les familles affectées par des cependant souvent défaut. Il est toutefois quement inimaginable), certaines d’entre disparitions de guerre s’organisent et échan- peu probable que des règles nouvelles soient elles risquent de penser qu’il a pu y avoir gent avec d’autres familles affectées, elles mieux respectées. Une des solutions serait une erreur lors du test et que leur proche effectuent un pas important pour sortir de d’abandonner la chimère du droit actuel est en réalité encore vivant. On est alors leur isolement, de leur désespoir et de leur selon laquelle ce sont surtout les parties au en droit de se demander si la solution ne 43 FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003
réside pas davantage dans l’octroi d’un traitement des prisonniers de guerre, 12 août 15. Cf. art. 16 de la Convention I et art. 33, meilleur soutien psychologique et humain 1949, 75 R.T.N.U. 135 [ci-après IIIe Conven- par. 2 du Protocole I. tion] ; Convention de Genève relative à la à ces familles que dans la révision du droit 16. Cf. art. 33, par. 4 du Protocole I. protection des personnes civiles en temps et dans la généralisation de méthodes de guerre, 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 287 17. Cf. art. 17, al. 3 de la Convention III. d’identification coûteuses. Quelle que soit [ci-après IVe Convention]. 18. Cf. art. 17 de la Convention I et art. 34, la solution, il est nécessaire que la souf- par. 1 du Protocole I. 3. Art. 123, IIIe Convention et art. 140 IVe Con- france des familles ne soit plus exploitée vention. 19. Cf. art. 34, par. 2 et 4 du Protocole I. par les parties aux conflits ou par certains 4. Cf. The Missing, A major ICRC initiative, en 20. Cf. art. 49/50/129 et 146, respectivement, des acteurs internationaux impliqués. ligne : CICR, , date d’accès : 21 octobre 2002. 21. Cf. Résolution 827 (1993) du 25 mai 1993 du ARIÈS, P. (1977). L’homme devant la mort, 5. Les opinions exprimées dans cet article sont Conseil de sécurité, approuvant le Rapport du Paris, Seuil. en revanche exclusivement celles de l’auteur. Secrétaire général établi conformément au DJUROVIC, G. (1981). L’Agence centrale de 6. Protocole additionnel aux Conventions de paragraphe 2 de la Résolution 808 (1993) du recherches du Comité international de la Genève du 12 août 1949 relatif à la protec- Conseil de sécurité, Document S/25708 Croix-Rouge, Genève, Institut Henry-Dunant. tion des victimes des conflits armés interna- du 3 mai 1993, qui contient le Statut du GIROD, C. (1996). « Bosnie-Herzégovine : tionaux (Protocole I), 8 juin 1977, 1125 Tribunal pénal international pour l’ex- rechercher les disparus », Revue internatio- R.T.N.U. 3 [ci-après Protocole I], et Protocole Yougoslavie (TPIY) ; la Résolution 955 (1994) nale de la Croix-Rouge, no 819, p. 418-422. additionnel aux Conventions de Genève du du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité 12 août 1949 relatif à la protection des vic- contenant le Statut du Tribunal pénal inter- IRELAND, M. (2001). Apprivoiser le deuil, times des conflits armés non internationaux national pour le Rwanda (TRIR), et le Statut Paris, Presses du Châtelet. (Protocole II), 8 juin 1977, 1125 R.T.N.U. 609 de Rome de la Cour pénale internationale, MEYROWITZ, H. (1970). Le principe de [ci-après Protocole II]. Doc. NU A/CONF/183/9, adopté le 17 juillet l’égalité des belligérants devant le droit de 1998 par la Conférence diplomatique de 7. Cf. art. 32 du Protocole I. plénipotentiaires des Nations Unies sur la la guerre, Paris, Pedone. 8. Cf. art. 33, par. 1 du Protocole I. création d’une Cour criminelle internationale. MORIN, E. (1970). L’homme et la mort, Paris, Seuil. 9. Ce cas pose des dilemmes moraux épineux 22. Cf. p. ex., CICR, Communiqué de presse 02/ auprès des acteurs humanitaires, mais, n’étant 05 du 23 janvier 2002, Irak / Iran : Libération SASSÒLI, M. et A. BOUVIER (1999). How pas provoqué par les conflits armés, il n’est de prisonniers irakiens, en ligne : (date d’accès : 22 octobre nées. Cf. art. 137, al. 2 de la Convention IV. 2002). Notes 10. Cf. art. 25 et 26 de la Convention IV. 23. Cf. Israël, High Court of Justice, Cheikh * J’aimerais remercier Mme Marianne Reux, Abdal Karim Obeid and Mustafa Dib Mar’i 11. Cf., concernant les blessés, malades et naufra- détentrice d’une maîtrise en science politique Dirani v. The Ministry of Security, H.C.J. 794/ gés, art. 16 de la Convention I, art. 19 de la de l’UQÀM, pour son assistance dans la pré- Convention II, concernant les prisonniers de 98, 23 août 2001. paration de cet article. guerre, art. 122 et 123 de la Convention III, 24. Cf. Procureur c. Dusko Tadic (1999), Affaire 1. Voir la Résolution 20 (XXXVI) de la Com- concernant les civils protégés, art. 136 et 140 no IT-94-A (Tribunal pénal international pour mission des droits de l’homme des Nations de la Convention IV, et par rapport à toutes l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel), aux paras Unies, « Question des personnes disparues », les victimes des conflits armés, art. 33, par. 2 116-144, en ligne : Nations Unies (date port du Groupe, Document des Nations 12. Cf., concernant les prisonniers de guerre, d’accès : 2 novembre 2002). Unies E/CN.4/2002/79, du 18 janvier 2002. art. 70 de la Convention III et, concernant les 25. Voir, p. ex., art. 120 de la Convention III et 2. Convention de Genève pour l’amélioration civils internés, art. 106 de la Convention IV. l’avis de décès figurant à l’Annexe IV de cette du sort des blessés et des malades dans les 13. Cf., concernant les prisonniers de guerre, Convention. forces armées en campagne, 12 août 1949, 75 art. 71 de la Convention III et, concernant les 26. Voir, par ex., la Federación Latinoamericana Recueil des Traités des Nations Unies civils internés, art. 107 de la Convention IV. de Asociaciones de Familiares de Detenidos- (R.T.N.U) 31 [ci-après Ire Convention] ; Desaparecidos, en ligne : < http ://www. Convention de Genève pour l’amélioration 14. Cf., concernant les prisonniers de guerre, art. 122, al. 7 de la Convention III et, concer- desaparecidos.org/fedefam/eng.html > (date du sort des blessés, des malades et des nau- d’accès : 23 octobre 2002). nant les civils protégés, art. 137, al. 1 de la fragés des forces armées sur mer, 12 août Convention IV. 1949, 75 R.T.N.U. 85 [ci-après IIe Conven- tion] ; Convention de Genève relative au FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003 44
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