Les disparus de guerre Les règles du droit international et les besoins des familles. Entre espoir et incertitude

La page est créée Lionel Marty
 
CONTINUER À LIRE
Document generated on 07/11/2022 8:05 a.m.

Frontières

Les disparus de guerre
Les règles du droit international et les besoins des familles.
Entre espoir et incertitude
Marco Sassòli

Guerre, mort amère                                                                   Article abstract
Volume 15, Number 2, Spring 2003                                                     The article explores into how international law responds to the needs of
                                                                                     families affected by war-related disappearances. Those families are torn by the
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1073818ar                                        hope that their relative is still alive and the need to start despite the
DOI: https://doi.org/10.7202/1073818ar                                               uncertainty the mourning process. It also describes the other contradictory
                                                                                     emotions and dilemmas to which humanitarian organisations searching for
                                                                                     the missing and assisting the families are confronted. The law aims at
See table of contents
                                                                                     preventing disappearances and at obliging the parties to the conflict to provide
                                                                                     answers to tracing requests. The author analyzes the obstacles to the
                                                                                     implementation of those rules. A particular emphasis is put on the growing
Publisher(s)                                                                         need of families to receive not only information on the fate, but also the human
                                                                                     remains of their beloved ones. This need is difficult to meet after many armed
Université du Québec à Montréal
                                                                                     conflicts, but it is based upon psychological and cultural reasons. Local and
                                                                                     international actors may also manipulate it.
ISSN
1180-3479 (print)
1916-0976 (digital)

Explore this journal

Cite this article
Sassòli, M. (2003). Les disparus de guerre : les règles du droit international et
les besoins des familles. Entre espoir et incertitude. Frontières, 15(2), 38–44.
https://doi.org/10.7202/1073818ar

Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2003                        This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                                    (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
                                                                                    viewed online.
                                                                                    https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

                                                                                    This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                                    Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                                    Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                                    promote and disseminate research.
                                                                                    https://www.erudit.org/en/
A        R      T      I      C      L      E

 Résumé
 L’article présente les règles instaurées

                                                                 LES DISPARUS
 par le droit international pour pourvoir
 aux besoins des familles des disparus de
 guerre, familles qui sont souvent déchi-
 rées entre l’espoir que leur proche soit

                                                                  DE GUERRE
 toujours vivant et la nécessité, malgré
 l’incertitude, d’entamer le processus de
 deuil. L’auteur y décrit également les
 émotions et les dilemmes auxquels les

                                                         Les règles
 organisations humanitaires se trouvent
 confrontées lorsqu’elles s’engagent dans
 la recherche des disparus et dans l’assis-
 tance aux familles. Le droit essaie de

                                                   du droit international
 prévenir les disparitions et oblige les
 parties au conflit à fournir des réponses.
 Il existe maints obstacles à la bonne

                                                       et les besoins
 application de ces règles. Les familles
 d’aujourd’hui ne se contentent plus de
 simples réponses, elles expriment souvent
 leur désir de récupérer les dépouilles de

                                                        des familles
 leurs proches. Ce besoin, difficile à satis-
 faire après de nombreux conflits armés,
 se fonde généralement sur des raisons
 psychologiques et culturelles. Parfois, il

                                                         Entre espoir
 est aussi influencé par des manipulations
 des acteurs locaux et / ou internationaux.
 Mots clés : disparu – guerre – droit
 international – famille – recherche –
 dépouille.

 Abstract
 The article explores into how inter-
                                                        et incertitude
 national law responds to the needs of
 families affected by war-related disap-
 pearances. Those families are torn by the
 hope that their relative is still alive and
 the need to start despite the uncertainty
 the mourning process. It also describes
 the other contradictory emotions and
 dilemmas to which humanitarian organi-
 sations searching for the missing and                                                                      cation, le nombre de disparus augmente.
                                                                Marco Sassòli, Ph.D.,
 assisting the families are confronted. The       professeur, Département des sciences juridiques, UQÀM*.   Les disparitions concernent depuis toujours
 law aims at preventing disappearances                                                                      les soldats tombés au combat ou capturés
 and at obliging the parties to the conflict                                                                par l’ennemi. De plus en plus fréquemment
 to provide answers to tracing requests.            LES DISPARUS DE GUERRE                                  toutefois, il s’agit de civils victimes de
 The author analyzes the obstacles to the
                                                     La guerre occasionne des morts, des                    massacres, d’attaques indiscriminées, ou qui
 implementation of those rules. A parti-
 cular emphasis is put on the growing need       blessés, des destructions, la haine, la peur               ont dû fuir les combats. S’ajoute à cela le
 of families to receive not only information     et le désespoir. Elle sépare également les                 phénomène des disparitions forcées et
 on the fate, but also the human remains of      familles, en érigeant des lignes de front ou               involontaires, qui existe tout autant lors des
 their beloved ones. This need is difficult to   parce que l’un des leurs est mort, blessé ou               conflits armés qu’en dehors de ceux-ci. Des
 meet after many armed conflicts, but it is      détenu. Dans ces conditions, très souvent                  autorités ou des groupes, paramilitaires ou
 based upon psychological and cultural           les familles ne savent pas où se trouve l’un               rebelles, décident alors de « faire dispa-
 reasons. Local and international actors         de leurs membres. Ce dernier est alors con-                raître » des individus ciblés, sans donner
 may also manipulate it.                         sidéré comme « disparu ». Les guerres sont                 d’informations sur le sort de ces derniers,
 Key words : missing – war – international       aujourd’hui pudiquement appelées « con-                    et ce souvent pour semer la terreur au sein
 law – family – search – human remains.          flits armés » par les juristes. Cette notion               du groupe auquel le disparu appartient.
                                                 englobe tout autant les conflits internatio-                  Dans tous ces cas, la famille de la per-
                                                 naux entre États que les conflits armés non                sonne concernée demeure dans l’incerti-
                                                 internationaux, qui sont d’ailleurs de plus                tude quant au sort d’un parent, ce qui
                                                 en plus fréquents. Dans tous ces conflits,                 s’avère souvent finalement pire que de
                                                 et en dépit de l’existence de moyens                       savoir que l’être aimé est bel et bien décédé.
                                                 modernes de communication et d’identifi-                   Prenons l’exemple de deux pays du Nord,

FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003                                                38
dont on parle souvent : 29 ans après le          cace et correspondant mieux aux besoins            p. 201-203). Les principes essentiels demeu-
conflit à Chypre, presque 2000 personnes         des familles. À cette fin, toute une série d’or-   rent toutefois les mêmes (Sassòli et Bouvier,
sont toujours portées disparues et la plu-       ganisations gouvernementales, non gouver-          1999, p. 206-210). Le DIH fait partie du
part des familles n’ont toujours pas aban-       nementales et d’experts, parmi lesquels            jus in bello, qui fixe les règles à respecter
donné l’espoir qu’ils puissent être vivants.     l’auteur de ces lignes, ont été invités à          en cas d’usage de la force armée. Ce droit
De même, sept ans après le conflit en            contribuer à l’élaboration de normes et de         doit s’appliquer indépendamment de toute
Bosnie-Herzégovine, plus de 20 000 per-          lignes directrices et à une solution à ce pro-     considération relevant du jus ad bellum, qui
sonnes sont toujours portées disparues, et       blème extrêmement complexe5. À cet effet,          traite pour sa part de la justification de
nombreuses sont, par exemple, les épouses        trois études spéciales ont été réalisées et huit   l’usage de la force et des causes soutenues
des hommes massacrés à Srebrenica qui            ateliers ont eu lieu en 2002. Pour conclure        par les parties au conflit ou attribuées à
gardent – manipulées ou non – l’illusion         ce projet, une conférence internationale sur       celles-ci (voir pour des références Sassòli
que leur mari reste détenu par « les Serbes »,   les disparus et leurs familles a été organi-       et Bouvier, 1999, p. 83-87, 665, 681 et
illusion qui empêche toute réconciliation.       sée à Genève au mois de février 2003 dans          682). Conformément à cette nécessité de
Pour ce qui est des conflits impliquant les      le but de définir les meilleures pratiques en      séparer jus ad bellum et jus in bello, les
pays du Sud, les chiffres sont beaucoup plus     la matière.                                        belligérants sont toujours obligés de res-
importants, il en est cependant moins fait           Il est opportun de rappeler ici les types      pecter les mêmes règles humanitaires, et
état dans les médias.                            de dilemmes et de problèmes auxquels on            ce quelle que soit la justification de leur
    L’incertitude quant au sort des personnes    est confronté lors de la recherche des             lutte (Meyrowitz, 1970).
portées disparues constitue souvent un           disparus, de même que les règles du droit              La préoccupation principale des dispo-
obstacle majeur aux efforts entrepris pour       international régissant la matière et les          sitions du DIH concernant les disparus est
parvenir à une réconciliation et implanter       raisons pour lesquelles ces règles ne réus-        « le droit qu’ont les familles de connaître le
la paix. En effet, au-delà du cercle restreint   sissent pas à résoudre le problème. En             sort de leurs membres7 ». Chaque partie à
des familles, cette question touche l’en-        découlera alors tout naturellement la ques-        un conflit armé a alors l’obligation de
semble des communautés et des pays               tion de savoir si un autre droit correspon-        rechercher les personnes qui ont été décla-
affectés, et favorise alors le maintien d’une    drait mieux aux besoins des familles. Le           rées disparues par la partie adverse8.
situation conflictuelle.                         tout sera exposé en prenant en considé-                En réalité, les personnes disparues sont
    De nombreuses organisations œuvrent          ration les familles concernées, déchirées          soit décédées, soit encore en vie. Si elles
dans les pays affectés par les conflits pour     entre un espoir souvent trop irréaliste et la      sont vivantes, elles sont soit détenues par
prévenir de telles disparitions, informer les    nécessité d’entamer un processus de deuil          l’ennemi, soit libres mais séparées de leur
familles du sort de leur proche et assister,     pénible, mais salutaire. Trop souvent, ces         famille par une ligne de front ou une fron-
en attendant, les familles affectées. Au sein    dernières sont d’ailleurs manipulées par des       tière. Dans ces cas, elles bénéficient de la
même des Nations Unies, la Commission            (anciennes) parties au conflit et des acteurs      protection du DIH offerte à la catégorie à
des droits de l’homme a créé, en 1980, un        internationaux, y compris par ceux qui sont        laquelle elles appartiennent (civil, prison-
Groupe de travail sur les disparitions           engagés dans la compétition entre organi-          nier de guerre, blessé et malade, etc.). Cette
forcées et involontaires. Ce groupe s’inté-      sations humanitaires.                              protection comprend des règles créées pour
resse également à certaines disparitions                                                            s’assurer que ces personnes ne restent pas
engendrées par des conflits armés, dans la          LES RÈGLES PERTINENTES                          considérées comme disparues, sauf, évidem-
mesure où ceux-ci demeurent non interna-            DU DROIT INTERNATIONAL                          ment, si elles souhaitent rompre tout lien
tionaux1. L’activité de ce groupe consiste          HUMANITAIRE                                     avec leur famille ou leur pays9. Si la per-
essentiellement à soumettre les cas indivi-         Le droit international humanitaire (DIH)        sonne a été portée disparue à la suite de
duels de disparition aux autorités gouver-       protège les victimes des conflits armés, en        l’interruption habituelle des services pos-
nementales territorialement compétentes et       particulier toutes celles et tous ceux qui ne      taux ou des fréquents déplacements de
à exiger de ces dernières des éclaircis-         participent pas au conflit – les civils – et       population en temps de conflit armé, et si
sements satisfaisant les familles. Il existe     tous ceux qui n’y participent plus – les pri-      les parties respectent leur obligation de
également une organisation humanitaire           sonniers de guerre et les blessés, les malades     favoriser l’échange de renseignements
indépendante, neutre et impartiale, qui dis-     et les naufragés. Ce droit est aujourd’hui         familiaux et la réunification des familles10,
pose d’un mandat fondé sur le droit inter-       largement codifié dans les quatre Con-             les liens familiaux devraient alors être
national : le Comité international de la         ventions de Genève du 12 août 1949, aux-           rétablis rapidement, grâce, entre autres, à
Croix-Rouge (CICR). Ce dernier déploie           quelles tous les États de la planète sont          l’Agence centrale de recherche du CICR. De
une action de protection et d’assistance         parties, et dans leurs deux Protocoles addi-       la même manière, si une personne est
humanitaire en tant qu’intermédiaire neutre      tionnels de 19776, qui comptent respecti-          portée disparue en raison d’une détention
et impartial dans les conflits armés.            vement 159 et 153 États parties, mais qui          ou d’une hospitalisation par l’ennemi,
Les Conventions de Genève2 lui confient          ont été rejetés par les États-Unis et auxquels     l’incertitude des familles ne devrait pas
d’ailleurs, à travers son Agence centrale de     des États souvent impliqués dans des               durer très longtemps dans la mesure où, une
recherches (Djurovic, 1981), la tâche spéci-     conflits, comme Israël, l’Iran, l’Iraq et          fois encore, le DIH prévoit que des infor-
fique de recueillir, concentrer et transmettre   l’Afghanistan, ne sont pas parties. Soucieux       mations rapides sur l’hospitalisation ou la
aux familles concernées toutes les informa-      de préserver leur souveraineté, les États ont      détention doivent être transférées aux
tions sur le sort des victimes de guerre3.       accepté de se voir imposer, par les quatre         familles et aux autorités, et ce à travers trois
Estimant que les approches actuellement          Conventions de Genève et le Protocole I,           canaux : la notification de l’hospitalisation,
utilisées dans le traitement des cas des per-    des règles beaucoup plus détaillées pour           de la capture ou de l’arrestation11, la trans-
sonnes portées disparues lors des conflits       les conflits armés internationaux que pour         mission des cartes de capture ou d’interne-
sont inadéquates, le CICR a récemment pris       les conflits armés non internationaux régis        ment12, et la correspondance avec la famille
l’initiative de mener une étude majeure sur      quant à eux uniquement par l’article 3 com-        qui doit être autorisée13. Une personne
ce problème spécifique4. Il a ainsi l’espoir     mun aux quatre Conventions de Genève et            détenue légalement ne peut donc pas demeurer
de mettre au point une méthode plus effi-        par le Protocole II (Sassòli et Bouvier, 1999,     disparue très longtemps, et ce d’autant moins

                                                                        39                                                 FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003
que l’autorité détentrice a également l’obli-     hoc pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le           exigent cette façon de faire et succombent
gation de répondre aux demandes de ren-           Rwanda (TPIR) et la récente création d’une       ainsi à l’illusion de recevoir des informa-
seignements relatives aux personnes               Cour pénale internationale constituent des       tions plus rapidement que les « autres ».
protégées14.                                      pas importants dans cette direction21.           On a ainsi vu les familles de disparus
    Si la personne disparue est décédée, il                                                        israéliens aller jusqu’à la Cour suprême
est tout aussi important, mais plus com-             OBSTACLES À LA RÉALISATION                    d’Israël pour essayer d’empêcher, heureu-
pliqué, d’informer la famille. Comme cela            DE LA SOLUTION PROPOSÉE                       sement en vain, que le CICR n’ait accès à
s’avérerait pratiquement impossible, les             PAR LE DROIT INTERNATIONAL                    des détenus libanais avant que les groupes
parties n’ont pas l’obligation d’identifier          HUMANITAIRE                                   auxquels ces détenus appartiennent ne
toutes les dépouilles retrouvées. Chaque              Au-delà des difficultés générales rencon-    fournissent des informations au sujet des
partie doit simplement essayer de collec-         trées pour obtenir un meilleur respect du        disparus israéliens23.
ter les informations qui peuvent aider à          DIH, la mise en œuvre des règles en matière         D’autres belligérants, voulant cacher à
l’identification des dépouilles15 et s’effor-     de disparus est confrontée à des difficultés     leur propre population l’étendue des pertes
cer de convenir avec l’ennemi de la               et à des dilemmes spécifiques qui méritent       subies lors d’un conflit, préfèrent considérer
mise en place d’équipes de recherche16.           qu’on s’y arrête un instant. Le reste de cet     leurs soldats disparus plutôt que de devoir
L’expérience montre que les équipes de            article sera consacré aux situations fré-        admettre que ces derniers sont morts. Des
recherche mixtes, composées de représen-          quentes pour lesquelles on doit présumer         dirigeants dont le pouvoir dans leur propre
tants de chacun des anciens belligérants          que les disparus qui ne sont pas réapparus       communauté est fondé sur la haine d’une
impliqués, sont les plus efficaces. Le travail    à la fin du conflit sont très vraisembla-        autre communauté ont eux aussi intérêt à
de recherche est quant à lui grandement           blement décédés. Nous ne traitons pas des        faire durer le problème des disparus afin
facilité si la personne décédée possède des       contextes comme ceux de la guerre entre          de conserver ce pouvoir. Or, s’il est possible
documents ou une carte d’identité, com-           l’Iran et l’Iraq de 1980-1988 où, bien que       d’envisager de se réconcilier avec un pays
me cela est prescrit pour les combattants         des centaines de milliers de combattants         ou une communauté responsable de la mort
par le DIH17. Si la procédure d’identifica-       aient été portés disparus, ils ne peuvent être   d’un proche, personne n’est vraiment
tion est effectuée avec succès, la famille        présumés morts dans la mesure où, dix ans        en mesure de faire la paix avec ceux dont
doit alors en être notifiée. Dans tous les        après la fin du conflit, des milliers d’entre    il présume qu’ils détiennent encore un
cas, les dépouilles mortelles doivent être        eux restent détenus prisonniers22.               être aimé.
respectées, inhumées décemment et les
tombes doivent être marquées18. Le désir
des proches d’avoir accès à ces tombes et                                   POUR ÊTRE EN MESURE DE SE RÉSIGNER À ACCEPTER
même, souvent, de voir les dépouilles mor-
telles retourner dans leur pays d’origine ne                            LE DÉCÈS DE LEUR PROCHE, LES FAMILLES ONT BESOIN
peut être satisfait, en vertu du DIH, que si
les parties concernées concluent un accord          DE PLUS EN PLUS D’ÉLÉMENTS ET SURTOUT D’UNE PREUVE TANGIBLE
à cet effet, ce qui ne se produit généra-
lement qu’à la fin du conflit19.                                                                           DU DÉCÈS DE LA PERSONNE.
    Au-delà des règles spécifiques que nous
venons de mentionner, toutes les règles du
DIH permettraient, si elles étaient respec-          LORSQUE LES BELLIGÉRANTS                          Les poursuites pénales intentées contre
tées, de réduire le nombre de personnes qui          NE VEULENT PAS DONNER DE RÉPONSES             certains responsables de crimes de guerre
disparaissent au cours d’un conflit armé.             Selon le DIH, les (anciennes) parties        devant les tribunaux nationaux et interna-
Si les civils et tous ceux qui sont « hors com-   au conflit doivent donner des réponses           tionaux contribuent, nous l’avons vu, au
bat » étaient respectés comme l’exige le          aux questions qu’on leur pose au sujet des       respect du DIH et donc à la prévention
DIH et si le CICR était autorisé à avoir          disparus. Souvent cependant, elles ne            des disparitions. Elles ont toutefois un effet
accès à toutes les victimes de guerre et à        veulent pas les donner. Elles préfèrent          secondaire indésirable : puisque les auto-
les enregistrer, comme le prescrit égale-         conserver « l’ennemi » dans l’incertitude        rités locales doivent désormais craindre
ment le DIH, peu de personnes dispa-              et infliger à sa population des souffrances      d’être poursuivies, il risque de devenir plus
raîtraient, à part les combattants morts au       supplémentaires. La mort est alors instru-       difficile d’obtenir d’elles les informations
combat. Dans ce domaine comme dans                mentalisée comme une arme symbolique             nécessaires concernant les victimes. Ainsi,
beaucoup d’autres, la principale difficulté       pour provoquer, humilier et anéantir             si les délégués du CICR en Colombie
est donc d’obtenir le respect du DIH. Cela        psychologiquement l’ennemi. Elles tentent        reçoivent encore parfois des indications
nécessite tout d’abord une action préven-         d’utiliser le dossier des disparus pour          provenant d’un chef militaire selon lesquel-
tive, par la diffusion des règles du DIH et       exercer des pressions en relation avec           les la personne recherchée a été exécutée
la formation de tous ceux qui auront à            d’autres exigences, souvent politiques.          et que son corps peut être récupéré, il est
les respecter, en particulier de tous les         Dans d’autres cas, la réciprocité, véritable     peu probable qu’il en soit de même en
porteurs d’armes. Cela doit ensuite être          « cancer » du respect du DIH, les                Bosnie où un chef militaire qui fournirait
fait pendant le conflit, par le CICR et par       empêche de donner de premières infor-            de tels renseignements devrait craindre
les États tiers, qui doivent rappeler aux         mations aux familles appartenant « à             d’être poursuivi devant le TPIY. Pour ces
belligérants leurs obligations et coopérer        l’ennemi », avant qu’elles ne se soient          mêmes raisons, il sera moins évident
avec eux pour le respect du DIH. Il faut          assurées que leurs propres familles n’ob-        désormais d’obtenir des autorisations pour
finalement réprimer universellement les           tiennent elles aussi des réponses. Au lieu       réaliser les exhumations nécessaires à
violations, conformément à l’obligation           de se montrer solidaires en exigeant que         l’identification des dépouilles. Cette diffi-
que les Conventions de Genève adressent           des réponses soient fournies par leurs pro-      culté devrait en outre être aggravée par les
à tous leurs États parties20. L’établissement     pres autorités aux familles « adverses », les    procureurs des tribunaux internationaux
de tribunaux pénaux internationaux ad             familles approuvent et parfois même              qui risquent d’exiger que les identifications

FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003                                            40
médicolégales soient dorénavant effectuées
par leurs services (afin d’éviter que les
preuves ne soient biaisées), ce qui aura
pour conséquence de ralentir l’ensemble
de la procédure.

   LORSQUE LES BELLIGÉRANTS
   N’ONT PAS DE RÉPONSES
   Dans beaucoup de cas, les belligérants
ne disposent tout simplement pas des
réponses qu’ils devraient fournir. Cela est
en partie dû au fait qu’ils n’ont pas rempli
pendant le conflit les devoirs que leur
impose le DIH : ils n’ont pas systémati-
quement cherché à identifier les corps,
même ceux appartenant à des combattants
ennemis, ils n’ont pas non plus automati-
quement enregistré toutes les personnes
arrêtées ou détenues. En fait, de nos jours,
peu de belligérants enregistrent minutieu-
sement les civils avant de les massacrer (ce
que faisaient les nazis dans certains camps
de concentration). À mon avis, même si
elles le voulaient et même si elles menaient
des enquêtes approfondies parmi leurs
agents responsables, ni les autorités serbes
de Bosnie ni les autorités de Belgrade, qui
ont pourtant été jugées comme ayant eu

                                                                                                                                                       © Josée Lambert, 2003
le contrôle sur les Serbes de Bosnie24, ne
seraient aujourd’hui en mesure de fournir
la liste des personnes qui ont été massa-
crées à Srebrenica. Dans la majorité des cas,
on peut toutefois s’attendre des (anciens)
belligérants à ce qu’ils mènent des enquêtes
parmi leurs propres agents et parmi la                       Les responsables de ce désastre      dienne, dans l’attente constante de recevoir
population des territoires qu’ils contrôlent.                                                     des nouvelles génère inévitablement de
                                                                               sont en fuite.
Dans tous les cas, ils devraient pouvoir four-                                                    l’inquiétude, de l’anxiété et de l’angoisse
nir, au minimum, des informations sur la                                                          affective et morale. C’est à ce titre l’une des
localisation d’éventuelles fosses communes                                                        souffrances les plus pénibles engendrées par
et d’opérations militaires qui ont provoqué                                                       la guerre.
des disparitions.                                menées par l’auteur de ces lignes, mais
                                                 plutôt de son expérience pratique qu’il a           ANÉANTIR L’ESPOIR ?
   LES FAMILLES NE SE CONTENTENT PLUS            acquise pendant l’année 1996 en qualité de           Malgré l’absence de l’être proche et bien
   DE SIMPLES RÉPONSES                           président du Groupe de travail sur les           que, selon toute logique, celui-ci doive sou-
   Un nouveau problème est apparu récem-         disparus, qui a été établi sous les auspices     vent être présumé mort, il subsiste toujours
ment dans certaines régions du monde : les       du CICR à la fin du conflit en Bosnie-           un espoir insensé que la personne portée
familles ne se contentent plus de l’informa-     Herzégovine et conformément aux Accords          disparue ait réussi à survivre quelque part.
tion qu’elles ont le droit de recevoir selon     de paix de Dayton, pour éclaircir le sort des    De nombreuses familles qui continuent d’y
le DIH actuel. Elles se méfient des certifi-     plus de 20 000 disparus musulmans, serbes        croire vont donc tout faire pour chasser ou
cats de décès établis par l’(ancien) ennemi,     et croates de Bosnie (Girod, 1996).              mettre en doute les informations indiquant
même si ceux-ci sont conformes aux                                                                que leur être cher est mort. C’est une longue
exigences du DIH25. De plus en plus sou-            DILEMMES DU DROIT                             et lente torture morale que ces familles
vent, elles désirent récupérer le corps de          ET DE L’ACTION HUMANITAIRE                    subissent ; elles ont alors particulièrement
leur proche. Parfois, elles souhaitent savoir       FACE AUX BESOINS DES FAMILLES                 besoin d’être encadrées et soutenues. C’est
qui est responsable de sa mort et exigent           D’IMMENSES ÉMOTIONS                           dans leur intérêt qu’il est si important de
que le coupable soit puni. Or, certains de           La problématique des personnes portées       réussir à clarifier la situation des personnes
ces besoins sont – nous l’avons vu – pas ou      disparues dans le cadre d’un conflit est un      portées disparues. Afin d’être en mesure de
peu pris en compte par le droit existant.        sujet particulièrement sensible, où s’entre-     faire véritablement le deuil de leurs proches,
C’est ce que nous analyserons plus en détail     mêlent des phénomènes forts qui touchent         ces familles doivent avoir la certitude que
maintenant, dans le cadre de quelques            à l’essence même de l’existence humaine          la personne portée disparue est bien décé-
réflexions plus générales sur l’attitude des     tels la mort, l’amour et les liens familiaux,    dée, dans le cas contraire, il est en effet pro-
familles et des acteurs humanitaires             tous dominés et même supplantés par un           bable qu’elles ne seront pas en mesure de
vis-à-vis des disparus et de la probabilité      sentiment de plus en plus difficilement          franchir les différentes étapes du travail
qu’ils soient morts. Ces réflexions ne sont      accepté dans nos sociétés modernes :             de deuil : « Un deuil a besoin de certitude.
pas le fruit de recherches scientifiques         l’incertitude. Vivre dans l’incertitude quoti-   Abandonner l’espoir de retrouver un jour

                                                                       41                                                FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003
l’être aimé revient à l’abandonner lui-même,     soient pas décomposés et restent identi-          différences d’ordre culturel et elles ont leur
ce qui est inconcevable pour ses proches »       fiables. Pour identifier les restes exhumés,      importance. Par exemple, les familles dont
(Ireland, 2001, p. 238). Pour être en mesure     une base de données ante mortem doit être         la religion ou la tradition préconise l’inci-
de se résigner à accepter le décès de leur       péniblement constituée auprès des familles.       nération ne manifesteront pas si ardemment
proche, les familles ont besoin de plus en       Souvent, comme par exemple dans le cas            que les autres le souhait de retrouver les
plus d’éléments et surtout d’une preuve          des centaines de milliers de morts provo-         restes humains de leurs parents. En dépit
tangible du décès de la personne. En outre,      qués par les récents conflits dans la région      de quelques distinctions, toutes les familles
de nombreuses religions et cultures exigent      des Grands Lacs en Afrique, les moyens            souffrent cependant de ne pas savoir ce que
la présence d’un corps afin de pouvoir           financiers nécessaires pour une recherche         leurs proches sont devenus. En outre, dans
accomplir les rites jugés nécessaires. La        et une identification systématique des            le contexte actuel de la mondialisation, il
mort est toujours comprise dans une culture      dépouilles mortelles ne pourront jamais être      semble plutôt que les besoins des familles,
précise. Quelle que soit la manière de traiter   trouvés.                                          où qu’elles se trouvent, tendent à devenir
les restes d’un être humain, les pratiques                                                         de plus en plus semblables. Après l’attaque
obéissent à un rituel qui définit souvent le        UNIVERSALITÉ DES BESOINS                       du 11 septembre 2001 contre le World
« destin » du décédé après sa mort. Il est          OU SÉLECTIVITÉ ?                               Trade Center, on a vu que certaines familles
toutefois intéressant de noter que les exi-          Cette dernière remarque nous amène à          américaines ont refusé d’accepter la mort
gences des familles ne sont pas toujours les     nous interroger sur les différences existant,     de leurs proches avant qu’un test d’ADN
mêmes. Certaines se contenteront de l’an-        au niveau des attentes et des besoins des         n’ait été effectué. On est donc en droit de
nonce du décès par les autorités ou par une      familles, entre les pays et notamment entre       penser que ce ne devrait plus être qu’une
organisation qu’elles considèrent crédible       pays développés et pays en voie de déve-          question de temps avant que les familles de
ainsi que de la production d’un certificat.      loppement. Certaines d’entre elles, qui ne        la région des Grands Lacs en Afrique
Ainsi les familles de disparus en Colombie,      peuvent être niées, justifient-elles le recours   n’adoptent les mêmes exigences. Cette
en Azerbaïdjan et en Arménie acceptent           à un traitement différentiel des cas de per-      homogénéisation des attentes et des exi-
aujourd’hui encore les réponses fournies         sonnes disparues ? Ainsi, dans les pays dits      gences risque toutefois de se heurter à un
par une partie au conflit et transmises          développés, les membres d’une même                écueil important : la question du finan-
par le CICR. D’autres réclameront un corps       famille même lorsqu’ils sont géographique-        cement. De tels tests, et surtout la collecte
et même parfois une preuve scientifique          ment éloignés ont l’habitude et les moyens,       des données ante mortem et post mortem
que ce corps est bien celui de leur proche.      grâce notamment aux nouvelles techno-             qu’ils nécessitent, coûtent cher.
Ce fut notamment le cas en Bosnie-               logies de l’information et de la communi-             De l’avis de certains il est indécent de
Herzégovine, où les familles ont refusé de       cation, de rester en contact avec leurs           dépenser autant d’argent et de moyens pour
se contenter des réponses fournies par le        proches. Dans les pays en voie de dévelop-        tenter de retrouver des personnes très pro-
CICR et continuent d’insister pour récupé-       pement, les conditions de vie, difficiles et      bablement décédées. Il serait préférable
rer un corps dont l’identité aura été confir-    précaires (misère, chômage, ruée vers les         d’affecter ces ressources à des missions visant
mée par un test de concordance à l’acide         villes, éclatement des familles), ne permet-      à aider « réellement » à sauver des milliers
désoxyribonucléique (ADN). Est-ce parce          tent pas toujours aux familles, et ce même        de vies humaines (comme la lutte contre la
que dans le langage de l’inconscient « pas       en temps de paix, de conserver un lien            famine). Bien que toute comparaison,
de corps » équivaut à « pas de mort » ?          direct avec l’ensemble de leurs membres.          toute pesée des intérêts et tout ordre de
Est-ce parce qu’elles n’ont plus confiance       Celles-ci, habituées à vivre dans une             priorité semble immoral dans ce domaine,
en personne ? Est-ce parce qu’elles peuvent      certaine incertitude quant au sort de             il faut certainement qu’une allocation des
ainsi continuer à espérer que leur être cher     leurs parents, semblent dès lors « mieux »        ressources se fonde sur une évaluation des
est toujours en vie ? Est-ce à cause des rites   s’accommoder de la situation, développant         besoins prioritaires. Même le médecin con-
funéraires… et ce bien que l’islam, dont se      un certain fatalisme. En vertu de leur expé-      fronté à une urgence doit décider de traiter
réclament la plupart des victimes, interdise     rience, elles sont en outre moins amenées         certains patients et certaines blessures en
les exhumations ? Ou est-ce simplement           à attendre des autorités ou de la « commu-        priorité. Dans l’identification des besoins les
dû aux manipulations exercées par les            nauté internationale » des solutions à leurs      plus urgents et les plus importants, il faut
ex-parties belligérantes, qui tentent ainsi de   problèmes que ne le sont, par exemple, les        toutefois impliquer la communauté desti-
maintenir la haine, ou par des acteurs           familles en Bosnie-Herzégovine.                   nataire et tenir compte du fait qu’au-delà
internationaux qui cherchent à vendre des            Si l’on s’en tenait à ce raisonnement, il     des souffrances des personnes portées
technologies coûteuses ?                         conviendrait alors de traiter différemment        disparues, il y a les angoisses, l’incertitude
    Les exhumations et les identifications       les personnes disparues selon les conditions      continue et les difficultés de leurs proches
médicolégales semblent souvent être la           de vie en vigueur dans leur pays respectif        et de leurs communautés.
meilleure solution pour obtenir des infor-       ou selon les pressions exercées par les
mations sur le sort des disparus, dans la        familles et les opinions publiques. L’auteur         LES ACTEURS HUMANITAIRES
mesure notamment où elles ne nécessitent         de ces lignes n’est pas expert en psycholo-          DOIVENT-ILS TIRER DES CONCLUSIONS ?
pas de réponses des anciens belligérants.        gie interculturelle. C’est peut-être simple-          Devrait-on, en l’absence de preuve
Elles permettent par ailleurs, dans bien des     ment parce qu’il est juriste et que le droit      absolue, annoncer le décès d’un disparu à
cas aux familles de récupérer les restes de      international et sa mise en œuvre doivent         sa famille ? Il est parfois difficile de prendre
leurs proches et de procéder à une inhu-         être pour lui les mêmes pour tous, que cette      la décision de notifier aux familles que leurs
mation plus « convenable ». Il faut toute-       approche impliquant un double standard ne         proches sont décédés selon toute vraisem-
fois craindre que la grande majorité des         lui semble pas adéquate et qu’il préfère          blance – ou, comme le prévoit le DIH,
familles de disparus de guerre du monde          penser que toutes les familles partagent les      selon les informations fournies par l’ancien
ne puissent jamais bénéficier de telles          mêmes besoins et les mêmes attentes. Ce           ennemi. Cela est d’autant plus difficile qu’en
certitudes : il faut d’abord que les belli-      n’est pas parce que des individus mani-           l’absence d’un cadavre, c’est la confiance
gérants donnent accès aux dépouilles et          festent moins leur douleur qu’ils n’en éprou-     dans la source qui déclenche le processus
aux tombes, il faut ensuite que les corps ne     vent pas. Il existe bien évidemment des           de deuil. L’auteur de ces lignes se rappelle

FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003                                            42
avoir dû informer une femme en Bosnie du          incertitude et (re)commencent ainsi à             conflit qui doivent résoudre les problèmes
décès, annoncé par la partie adverse, de son      prendre leur vie en mains. De telles asso-        humanitaires. Conviendrait-il plutôt d’adap-
mari et de son fils. Il aurait de loin préféré    ciations peuvent être des relais pour des         ter le droit à la réalité en renforçant le rôle,
pouvoir étayer cette annonce par une              programmes d’assistance matérielle, psy-          les droits et les obligations des acteurs inter-
preuve tangible, ne serait-ce que pour se         chologique ou légale. Elles peuvent exercer       nationaux ? Les États sont-ils mûrs pour
sentir moins « responsable » de l’informa-        une pression sur les autorités et, dans cer-      accepter de telles règles ? Ne seraient-ils
tion fournie. Les collaborateurs et collabo-      tains cas, elles s’engagent même directe-         pas déresponsabilisés par de telles règles ?
ratrices des organisations humanitaires           ment dans la recherche des disparus26. Elles      Ces dernières pourraient-elles rester les
doivent trouver, dans ce domaine comme            sont des interlocuteurs permettant aux            mêmes pour tous, comme l’exige la fiction
dans d’autres, un équilibre entre l’identifi-     autorités et aux acteurs humanitaires de          du système westphalien selon laquelle le
cation humainement compréhensible avec            mieux connaître les besoins et les choix des      droit international régit des États souverains
la victime et la distanciation psychologique-     familles. Certains représentants « profes-        et égaux ?
ment et opérationnellement nécessaire. Au-        sionnels » des familles de disparus ont               L’accent mis par le droit existant sur
delà des problèmes personnels rencontrés          toutefois fait de cette question leur « fond      le droit des familles à recevoir des informa-
par les collaborateurs des organisations          de commerce ». Le jour où toute la lumière        tions – et non nécessairement des preuves
humanitaires (mécontentement des familles,        sera enfin faite, leurs services ne seront plus   ou les restes de leurs proches – mérite en
culpabilisation allant jusqu’au sentiment,        d’aucune utilité, ce qui explique pourquoi        revanche d’être repensé. Certains éléments,
parfois, d’avoir personnellement décidé de        certains d’entre eux ont – consciemment ou        comme l’importance cruciale des prati-
condamner à mort le disparu), il convient         inconsciemment – tout intérêt à ce que le         ques funéraires, le scepticisme croissant
de prendre en compte, d’abord et avant            problème perdure. Ils ont tendance à exi-         des familles et le fait que seules des
tout, les intérêts des familles. La situation     ger des preuves de plus en plus nombreuses        preuves tangibles peuvent détruire leurs
                                                                                                    espoirs irrationnels, amènent à croire que
                                                                                                    les familles contemporaines ont besoin
                              L’INCERTITUDE QUANT AU SORT DES PERSONNES                             des restes de leurs proches décédés pour
                                                                                                    pouvoir véritablement entamer le proces-
      PORTÉES DISPARUES CONSTITUE SOUVENT UN OBSTACLE MAJEUR                                        sus de deuil. Le droit pourrait alors être
                                                                                                    modifié dans le sens d’un droit de la
                                       AUX EFFORTS ENTREPRIS POUR PARVENIR                          famille à obtenir la dépouille. En outre,
                                                                                                    modifier le droit international n’est jamais
                               À UNE RÉCONCILIATION ET IMPLANTER LA PAIX.                           un exercice facile. Dans la mesure où la
                                                                                                    société internationale ne connaît pas de
                                                                                                    législateur central, toute modification
                                                                                                    nécessite l’accord de tous ses destina-
se complique cependant lorsque ceux-ci            avant de considérer un cas comme clos, une        taires. Cependant, même sous un droit
apparaissent contradictoires. Peut-on déci-       réponse comme crédible ou un corps                ainsi modifié, la grande majorité des
der à leur place ce qui est dans leur « intérêt   comme identifié. Ils empêchent ainsi les          familles de disparus ne pourra vraisem-
véritable » ? Doit-on anéantir leurs espoirs,     acteurs humanitaires de connaître les véri-       blablement pas récupérer de telles
et ce bien que l’on ne puisse affirmer de         tables besoins des familles qui doivent           dépouilles. Le nombre de celles qui pour-
façon absolue que la personne disparue            souvent refaire leur vie malgré les dispari-      ront tout au moins recevoir des informa-
soit morte, ou est-il préférable de ne rien       tions tandis que les représentants font la        tions crédibles sera toujours plus élevé.
dire et du coup de faire perdurer leurs souf-     leur grâce à ces mêmes disparitions.              Il faudra donc veiller à ce que le plus
frances pour la seule et unique raison qu’il                                                        grand nombre de familles possible conti-
n’existe pas de certitude absolue ? Nous             LE DROIT INTERNATIONAL                         nuent à recevoir ces informations. On
pensons que les familles doivent être infor-         HUMANITAIRE                                    peut enfin se demander si le droit et les
mées en toute transparence, même si elles            DOIT-IL ÊTRE RÉVISÉ ?                          acteurs impliqués n’ont pas également la
ne semblent pas le souhaiter, de la situa-            En guise de conclusion, nous pouvons          responsabilité de ne pas laisser les familles
tion et des probabilités réelles que l’on         constater que le phénomène des disparus           se créer de faux espoirs qui ne pourront
retrouve leur parent en vie ou, le cas            dans le cadre de conflits armés pourrait être     pas être satisfaits, et qui risquent d’empê-
échéant, mort. Même si de prime abord cela        considérablement réduit si le DIH existant        cher la grande majorité des familles
peut passer pour un manque de compas-             était systématiquement respecté. Ce droit         d’entamer le processus indispensable de
sion, il est souvent préférable de ne pas lais-   doit toutefois également tenir compte du          deuil. En combinant progrès technique et
ser éternellement les familles espérer. Dans      fait que, par sa nature, il est fréquemment       volonté des familles de retrouver leur proche
leur propre intérêt, il est important qu’elles    violé. Dans ce cas, le droit met l’accent sur     vivant, le problème risque alors d’être
acceptent le plus rapidement possible la          l’obligation des parties au conflit de four-      déplacé. Lorsque la majorité des familles
nouvelle de la mort de leur proche et             nir des réponses aux demandes des familles.       recevront enfin des dépouilles, elles seront
qu’elles entament le travail de deuil.            L’efficacité de cette solution dépend, comme      peut-être alors portées à considérer que
                                                  pour toute règle de droit, d’un minimum           seul un test d’ADN serait à même de leur
   LES ASSOCIATIONS DE FAMILLES :                 d’organisation et de bonne volonté de la          apporter une certitude nécessaire. Or,
   PARTIE DE LA SOLUTION                          partie destinataire. Dans les conflits con-       lorsque la majorité des familles bénéfi-
   ET DU PROBLÈME                                 temporains, ces deux caractéristiques font        ciera de ce privilège (ce qui paraît prati-
   Lorsque les familles affectées par des         cependant souvent défaut. Il est toutefois        quement inimaginable), certaines d’entre
disparitions de guerre s’organisent et échan-     peu probable que des règles nouvelles soient      elles risquent de penser qu’il a pu y avoir
gent avec d’autres familles affectées, elles      mieux respectées. Une des solutions serait        une erreur lors du test et que leur proche
effectuent un pas important pour sortir de        d’abandonner la chimère du droit actuel           est en réalité encore vivant. On est alors
leur isolement, de leur désespoir et de leur      selon laquelle ce sont surtout les parties au     en droit de se demander si la solution ne

                                                                        43                                                 FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003
réside pas davantage dans l’octroi d’un               traitement des prisonniers de guerre, 12 août       15. Cf. art. 16 de la Convention I et art. 33,
meilleur soutien psychologique et humain              1949, 75 R.T.N.U. 135 [ci-après IIIe Conven-            par. 2 du Protocole I.
                                                      tion] ; Convention de Genève relative à la
à ces familles que dans la révision du droit                                                              16. Cf. art. 33, par. 4 du Protocole I.
                                                      protection des personnes civiles en temps
et dans la généralisation de méthodes                 de guerre, 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 287            17. Cf. art. 17, al. 3 de la Convention III.
d’identification coûteuses. Quelle que soit           [ci-après IVe Convention].                          18. Cf. art. 17 de la Convention I et art. 34,
la solution, il est nécessaire que la souf-                                                                   par. 1 du Protocole I.
                                                    3. Art. 123, IIIe Convention et art. 140 IVe Con-
france des familles ne soit plus exploitée             vention.                                           19. Cf. art. 34, par. 2 et 4 du Protocole I.
par les parties aux conflits ou par certains
                                                    4. Cf. The Missing, A major ICRC initiative, en       20. Cf. art. 49/50/129 et 146, respectivement,
des acteurs internationaux impliqués.                  ligne : CICR, , date d’accès : 21 octobre 2002.
                                                                                                          21. Cf. Résolution 827 (1993) du 25 mai 1993 du
   ARIÈS, P. (1977). L’homme devant la mort,        5. Les opinions exprimées dans cet article sont           Conseil de sécurité, approuvant le Rapport du
   Paris, Seuil.                                       en revanche exclusivement celles de l’auteur.          Secrétaire général établi conformément au
   DJUROVIC, G. (1981). L’Agence centrale de        6. Protocole additionnel aux Conventions de               paragraphe 2 de la Résolution 808 (1993) du
   recherches du Comité international de la            Genève du 12 août 1949 relatif à la protec-            Conseil de sécurité, Document S/25708
   Croix-Rouge, Genève, Institut Henry-Dunant.         tion des victimes des conflits armés interna-          du 3 mai 1993, qui contient le Statut du
   GIROD, C. (1996). « Bosnie-Herzégovine :            tionaux (Protocole I), 8 juin 1977, 1125               Tribunal pénal international pour l’ex-
   rechercher les disparus », Revue internatio-        R.T.N.U. 3 [ci-après Protocole I], et Protocole        Yougoslavie (TPIY) ; la Résolution 955 (1994)
   nale de la Croix-Rouge, no 819, p. 418-422.         additionnel aux Conventions de Genève du               du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité
                                                       12 août 1949 relatif à la protection des vic-          contenant le Statut du Tribunal pénal inter-
   IRELAND, M. (2001). Apprivoiser le deuil,           times des conflits armés non internationaux            national pour le Rwanda (TRIR), et le Statut
   Paris, Presses du Châtelet.                         (Protocole II), 8 juin 1977, 1125 R.T.N.U. 609         de Rome de la Cour pénale internationale,
   MEYROWITZ, H. (1970). Le principe de                [ci-après Protocole II].                               Doc. NU A/CONF/183/9, adopté le 17 juillet
   l’égalité des belligérants devant le droit de                                                              1998 par la Conférence diplomatique de
                                                    7. Cf. art. 32 du Protocole I.                            plénipotentiaires des Nations Unies sur la
   la guerre, Paris, Pedone.
                                                    8. Cf. art. 33, par. 1 du Protocole I.                    création d’une Cour criminelle internationale.
   MORIN, E. (1970). L’homme et la mort,
   Paris, Seuil.                                    9. Ce cas pose des dilemmes moraux épineux            22. Cf. p. ex., CICR, Communiqué de presse 02/
                                                       auprès des acteurs humanitaires, mais, n’étant         05 du 23 janvier 2002, Irak / Iran : Libération
   SASSÒLI, M. et A. BOUVIER (1999). How               pas provoqué par les conflits armés, il n’est          de prisonniers irakiens, en ligne :  (date d’accès : 22 octobre
                                                       nées. Cf. art. 137, al. 2 de la Convention IV.         2002).
   Notes                                           10. Cf. art. 25 et 26 de la Convention IV.             23. Cf. Israël, High Court of Justice, Cheikh
* J’aimerais remercier Mme Marianne Reux,                                                                     Abdal Karim Obeid and Mustafa Dib Mar’i
                                                   11. Cf., concernant les blessés, malades et naufra-
  détentrice d’une maîtrise en science politique                                                              Dirani v. The Ministry of Security, H.C.J. 794/
                                                       gés, art. 16 de la Convention I, art. 19 de la
  de l’UQÀM, pour son assistance dans la pré-          Convention II, concernant les prisonniers de           98, 23 août 2001.
  paration de cet article.                             guerre, art. 122 et 123 de la Convention III,      24. Cf. Procureur c. Dusko Tadic (1999), Affaire
1. Voir la Résolution 20 (XXXVI) de la Com-            concernant les civils protégés, art. 136 et 140        no IT-94-A (Tribunal pénal international pour
   mission des droits de l’homme des Nations           de la Convention IV, et par rapport à toutes           l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel), aux paras
   Unies, « Question des personnes disparues »,        les victimes des conflits armés, art. 33, par. 2       116-144, en ligne : Nations Unies  (date
   port du Groupe, Document des Nations            12. Cf., concernant les prisonniers de guerre,             d’accès : 2 novembre 2002).
   Unies E/CN.4/2002/79, du 18 janvier 2002.           art. 70 de la Convention III et, concernant les    25. Voir, p. ex., art. 120 de la Convention III et
2. Convention de Genève pour l’amélioration            civils internés, art. 106 de la Convention IV.         l’avis de décès figurant à l’Annexe IV de cette
   du sort des blessés et des malades dans les     13. Cf., concernant les prisonniers de guerre,             Convention.
   forces armées en campagne, 12 août 1949, 75         art. 71 de la Convention III et, concernant les    26. Voir, par ex., la Federación Latinoamericana
   Recueil des Traités des Nations Unies               civils internés, art. 107 de la Convention IV.         de Asociaciones de Familiares de Detenidos-
   (R.T.N.U) 31 [ci-après Ire Convention] ;                                                                   Desaparecidos, en ligne : < http ://www.
   Convention de Genève pour l’amélioration        14. Cf., concernant les prisonniers de guerre,
                                                       art. 122, al. 7 de la Convention III et, concer-       desaparecidos.org/fedefam/eng.html > (date
   du sort des blessés, des malades et des nau-                                                               d’accès : 23 octobre 2002).
                                                       nant les civils protégés, art. 137, al. 1 de la
   fragés des forces armées sur mer, 12 août
                                                       Convention IV.
   1949, 75 R.T.N.U. 85 [ci-après IIe Conven-
   tion] ; Convention de Genève relative au

FRONTIÈRES ⁄ PRINTEMPS 2003                                                44
Vous pouvez aussi lire