LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille

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LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille
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             LES HOMMES
                 DE MAIN
          DES PRÉSIDENTS
                                                  Le « Benallogate », devenu en quelques jours une affaire

L
                                                       d’Etat, est révélateur d’un système de pouvoir où la
                                                        confiance du Président semble aveugler ceux qui le
                                                    servent. Des gros bras du SAC sous de De Gaulle aux
                                                          gendarmes de l’Elysée sous Mitterrand, la Vème
                                                  République est fertile en dérives des « hommes de main »
                                                           du président, qui se croient parfois tout permis.

                                                                                          Par Charles Jaigu et Vincent Nouzille

                                            d’élite, qui dépend officiellement du         dérives, imputables aux présidents
                                            ministère de l’Intérieur. Objectif : don-     eux-mêmes. Souvent méfiants à
                                            ner plus de liberté aux hommes de             l’égard des services officiels, ils préfè-
                                            l’Elysée pour faire ce qu’ils veulent.        rent parfois s’entourer d’hommes de
                                            Omniprésent lors des voyages, promu           toute confiance, davantage choisis
                                            au rang de lieutenant-colonel dans la         pour leur loyauté aveugle que pour
                                            réserve opérationnelle de la gendarme-        leurs compétences.
es barbouzes sont-elles de retour ? L’af-   rie sur ordre de l’Elysée, Alexandre          Ceux qui reçoivent les injonctions de
faire Benalla – ce proche du président      Benalla bénéficiait visiblement d’ap-         ces « hommes du Président » peuvent
Macron accusé de violences lors des         puis et de sésames hors du commun.            difficilement résister à leurs pres-
manifestations du 1er Mai et long-          Ses dérapages et les dysfonctionne-           sions. L’ancien préfet Rémy Pautrat,
temps couvert par l’Elysée – semble en      ments qui ont suivi révèlent à quel           qui prit en 1985 les rênes de la Direc-
attester. L’incident initial s’est trans-   point le pouvoir élyséen peut aveugler        tion de la surveillance du territoire
formé en quelques jours en véritable        ceux qui ont pourtant promis de chan-         (DST), eut ainsi une « explication
scandale d’Etat. Les révélations des        ger les règles. Emmanuel Macron, qui          orageuse » avec les collaborateurs du
médias et des enquêtes déclenchées          fonctionne, depuis les débuts de son as-      président François Mitterrand, lors-
dans la foulée n’ont pas fini de sur-       cension politique météorique avec une         qu’il arrêta de transmettre des rensei-
prendre : l’ancien garde du corps du        équipe restreinte de collaborateurs, a        gnements sur des personnes privées
candidat Macron était devenu, depuis        entraîné avec lui des militants dévoués       que l’Elysée exigeait avec insistance.
l’élection de son mentor, un homme          tout autant que des carriéristes pressés.     A la DST, une « brigade du chef » re-
tout-puissant dans l’ombre du Prési-        L’ivresse de la victoire et celle du pou-     cueillait des informations sensibles
dent. Nommé adjoint au chef de cabi-        voir ont fait tourner les têtes.              réclamées et les transmettait chaque
net d’Emmanuel Macron en                    Il est vrai que les présidents successifs     semaine au directeur de cabinet du
juin 2017, Alexandre Benalla avait,         de la Ve République n’ont jamais lésiné       Président. Rémy Pautrat put mettre
semble-t-il, la haute main sur la sécu-     sur l’emploi de séides et de fidèles, prêts   fin à cette pratique parce qu’il avait
rité des déplacements présidentiels. Il     à tout pour les servir, y compris à fran-     l’appui de son ministre de l’Intérieur
s’est même vu confier par son patron        chir les lignes jaunes. Des sombres his-      de l’époque, l’intraitable Pierre Joxe,
la mission de réformer le dispositif de     toires du Service d’action civique            qui avait peu de considération pour
sécurité : celui-ci repose essentielle-     (SAC), le service d’ordre du parti gaul-      l’équipe entourant alors François
ment sur le Groupe de sécurité de la        liste, aux scandales de la cellule des        Mitterrand. Tous les titulaires de la
présidence de la République (GSPR),         gendarmes de l’Elysée sous François           Place Beauvau n’ont pas eu cet esprit
composé de gendarmes et de policiers        Mitterrand, la liste est longue de ces        de résistance !                       V.N. ____
                                                                                                                                        u

                                               24/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille
STÉPHANE GEUFROI/OUEST FRANCE/MAXPPP

                                       Alexandre Benalla,
                                       26 ans, adjoint au chef de
                                       cabinet du président de la
                                       République, aux côtés
                                       d’Emmanuel Macron.

                                       25/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
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ANNÉES
DE GAULLE :
LES GROS
BRAS DU SAC
On est très loin, dans le temps, et
dans le style, des barbouzeries me-
nées dans les années 1960 au nom du
général de Gaulle à l’intervention
ponctuelle et erratique d’Alexandre
Benalla dans une manifestation qui
tourne mal. Les turbulences histori-
ques en cours dans ces années-là
sont d’une autre gravité. Elles por-
tent les germes d’une guerre civile.
La guerre d’Algérie d’abord, les évé-
nements de 1968 ensuite suscitent
des initiatives rugueuses de la part
du pouvoir gaullien en place. Les ar-
chives de Jacques Foccart l’attes-        Jacques Foccart, conseiller du général de Gaulle, officiellement en charge de l’Afrique à
tent. Le conseiller de De Gaulle à        l’Elysée, avait la haute main sur les services secrets et les officines liées au pouvoir.
l’Elysée, de 1958 à 1969, a donné des
ordres ciblés d’élimination pendant
la guerre d’Algérie. Même quand il        qui agissait depuis Londres, et Jac-          confie dans un livre d’entretien que
n’est pas question d’exécutions dis-      ques Foccart, lui aussi résistant de la       ce sont surtout les événements de
crètes – une pratique que François        première heure. Ce dernier est le             1968 qui ont ouvert le SAC à des in-
Hollande a revendiquée contre les         plus en vue. Il est, dès 1958, repéré         dividus venus de l’extrême droite ou
djihadistes – les services parallèles     par la presse comme « homme de                du gangstérisme. « Quand il y a le
de la Républiques font ce qu’il faut      main » du Général, dont il est un fi-         feu, on ne demande pas leur casier ju-
pour déstabiliser l’ennemi du mo-         dèle depuis le début des années               diciaire aux pompiers volontaires, des
ment : FLN, OAS ou gauchistes de          1950. A l’Elysée, il est chargé de            gens peu recommandables en avaient
tout poil. Le Service d’action civi-      l’Outre-Mer et de la fameuse cellule          profité pour s’infiltrer », dit-il à pro-
que (SAC) est l’un des canaux de          Afrique. Foccart est avant tout               pos de la lutte contre les émeutiers
cette politique. Il a été créé en 1960    d’une fidélité indéfectible à de              de Mai 68. On attribue au SAC une
« pour faire connaître la pensée et       Gaulle malgré son opposition à l’in-          longue liste de forfaits, dont le ta-
l’action du général de Gaulle », décrit   dépendance de l’Algérie, comme                bassage de manifestants devant le
sobrement le statut de l’association.     l’établit la biographie méticuleuse           QG de la France libre, rue de Solfe-
Il ne s’agit pas d’un service dépen-      de Frédéric Turpin parue en 2015              rino, le 11 mai. L’enlèvement du chef
dant de l’Elysée, mais plutôt du bras     Jacques Foccart. Dans l’ombre du              de l’opposition marocaine Mehdi
armé des mouvements gaullistes qui        pouvoir (CNRS éditions), qui décrit           Ben Barka, en 1965, qui lui a été im-
sera dissous par François Mit-            un personnage moins noir que sa lé-           puté, n’aurait pas été une initiative
terrand en 1982, après un règlement       gende, et surtout voué corps et âme           du SAC. Jacques Foccart est main-
de comptes entre anciens du SAC           à son chef – il n’amassera aucune             tenu à l’Elysée par Georges Pompi-
entraînant la mort d’un certain Jac-      fortune personnelle.                          dou. La longévité de sa carrière,
ques Massié et de toute sa famille, y     Les collaborations du SAC avec « le           l’importance politique de son rôle
compris un enfant de 7 ans. Au com-       milieu » auraient commencé dans               dans les années de décolonisation le
mencement du SAC, on trouve               les années de la guerre d’Algérie,            placent très au-dessus des habituels
Pierre Debizet, un ancien de la           après le départ des grognards du              hommes de confiance chargés des
France libre et du Bureau central de      gaullisme, hostiles à sa nouvelle po-         basses œuvres qui entourent depuis
renseignements et d’action (BCRA)         litique d’indépendance. Foccart               toujours les présidents en exercice.

                                            26/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille
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                                                                                                                          cret de François Mitterrand : l’exis-
                                                                                                                          tence de sa « deuxième famille », à
                                                                                                                          savoir sa maîtresse Anne Pingeot et
                                                                                                                          sa jeune fille Mazarine, qui sont lo-
                                                                                                                          gées quai Branly, dans une annexe
                                                                                                                          de l’Elysée. Les gendarmes com-
                                                                                                                          mencent donc à accompagner Ma-
                                                                                                                          zarine à l’école ou, lorsqu’elle passe
                                                                                                                          le week-end avec sa mère, dans le do-
                                                                                                                          maine présidentiel de Souzy-la-Bri-
                                                                                                                          che, à l’abri des regards indiscrets.
                                                                                                                          Le système dérape rapidement.
                                                                                                                          Après l’attentat de la rue des Ro-
                                                                                                                          siers, le 9 août 1982, le Président dé-
                                                                                                                          cide de réorganiser la lutte antiter-
                                                                                                                          ro r i s t e, d o n t i l d é n o n c e l e s
                                                                                                                          « carences ». Le commandant Prou-
                                                                                                                          teau, qui supervise déjà sa sécurité
                                                                                                                          personnelle, est chargé de piloter
                                                                                                                          une nouvelle « cellule » élyséenne de
                                                                                                                          coordination et d’action contre le
                                                                                                                          terrorisme. Il a carte blanche pour
                                                                                                                          recruter des agents, procéder à des
                              Le commandant Christian Prouteau (à droite), fondateur et patron du groupe d’élite de la    écoutes, recueillir des renseigne-
                              gendarmerie (GIGN), devenu le protecteur des secrets du président François Mitterrand.      ments, hors de tout cadre habituel.
                                                                                                                          « J’ai constitué un système paral-
                                                                                                                          lèle », admettra Prouteau. Ses
                                                                            François Mitterrand se repose donc            « hommes du Président », venus
                              ANNÉES                                        sur ses fidèles. Son conseiller spécial       principalement du GIGN, mais
                                                                            François de Grossouvre, le ministre           aussi d’autres services, se croient
                              MITTERRAND :                                  de l’Intérieur, Gaston Defferre, et le        tout permis. Au sein de la cellule, ils
                                                                            ministre de la Défense, Charles               constituent un « groupe d’action
                              LES COW-BOYS                                  Hernu, estiment que le Président est          mixte » (GAM), composé d’une
                              DU PRÉSIDENT                                  mal protégé. Au printemps 1982,
                                                                            des agents du service action de la
                                                                                                                          douzaine de policiers et de gendar-
                                                                                                                          mes. Ces cow-boys effectuent des
                              FONT LES                                      DGSE, en mission commandée,
                                                                            réussissent à approcher le président
                                                                                                                          missions nocturnes en Corse pour
                                                                                                                          surveiller des nationalistes. Ils es-
                              400 COUPS                                     sans être repérés, ce qui démontre la
                                                                            perméabilité du dispositif de sécu-
                                                                                                                          saient d’assassiner un mercenaire
                                                                                                                          d’extrême droite suspecté de vouloir
                                                                            rité. Fils de gendarme, Charles               tuer le président. Ils se rendent en
                              Les dérives prennent une nouvelle             Hernu conseille François Mit-                 Suisse durant les fêtes de fin d’année
                              tournure sous l’ère Mitterrand. Elu           terrand d’avoir recours aux services          1982 pour tenter de « neutraliser » le
                              le 10 mai 1981, le président socialiste       du Groupe d’intervention de la gen-           terroriste Carlos, censé venir sur
                              se méfie comme de la peste des servi-         darmerie nationale (GIGN), dirigé             place !
                              ces secrets et de la police, suspectés        par son fondateur, le commandant              Surtout, le bras droit de Prouteau,
                              d’être truffés d’ennemis politiques.          Christian Prouteau. Convoqué à                Paul Barril, qui dirige le GIGN, a
                              François Mitterrand redoute d’être            l’Elysée par François de Grossou-             son bureau à l’Elysée. Ce spécialiste
                              victime de complots ourdis par des            vre, le chef du GIGN se voit confier          des barbouzeries est incontrôlable.
RUE DES ARCHIVES/AGIP ; AFP

                              officines liées à la droite gaulliste vi-     la tâche, en juillet 1982, de créer,          Le 28 août 1982, avec ses hommes, il
                              sant à le renverser, voire de subir le        avec ses hommes, le Groupe de sécu-           interpelle trois présumés terroristes
                              destin tragique de Salvador Al-               rité de la présidence de la Républi-          irlandais dans un appartement de
                              lende, le leader socialiste chilien tué       que (GSPR). Dévoué, Prouteau ap-              Vincennes. Sur place, les gendarmes
                              lors d’un coup d’Etat militaire en            prend en même temps qu’il doit                saisissent des armes et des explosifs.
                              1973.                                         protéger à tout prix « le » grand se-         Problème : c’est Paul Barril qui les a ____   u

                                                                               27/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille
En couverture

apportés lui-même pour charger les
suspects ! Les procédures sont illé-
gales, le scandale énorme. Paul Bar-
ril est mêlé à d’autres sombres his-
toires : des contacts avec le chef du
groupe terroriste Action directe,
Jean-Marc Rouillan, des préparatifs
d’un coup d’Etat à Haïti, des livrai-
sons d’armes au Nicaragua, le cam-
briolage d’un magasin de métaux
précieux à Paris. La justice le blan-
chit, mais il finit par être écarté du
GIGN et de l’Elysée.
Cela n’empêche pas le commandant
Prouteau de poursuivre les coups
tordus. A grande échelle cette fois.
Car la mission antiterroriste finit
par se confondre avec la sécurité du
Président et de ses proches. La cel-
lule profite, en effet, de ses contin-
gents d’écoutes téléphoniques pour
surveiller tous ceux qui pourraient
révéler l’existence de sa « deuxième
famille » cachée. Cela commence fin
1983 avec l’écrivain Jean-Edern
Hallier qui veut faire publier un
                                                  Jean-Edern Hallier, surveillé par les hommes de Mitterrand à propos d’un projet de
pamphlet au vitriol sur le sujet, pré-            pamphlet, publiera son manuscrit « L’honneur perdu de François Mitterrand ».
titré Tonton et Mazarine. L’entou-
rage d’Hallier est écouté, de sa cuisi-
nière à son valet de chambre en                   Dans leur jugement, les magistrats           ment. Prudent, il préfère se reposer
passant par le restaurant où il dé-               mettront en évidence la responsabi-          sur quelques hommes bien placés ou
jeune et le bar où il achète ses ciga-            lité cruciale du président Mit-              en marge du système. Il fait parfois
rettes. « Je sais où il est et ce qu’il fait      terrand, principal « inspirateur et          appel à Jean-Charles Marchiani,
à tout moment du jour et de la nuit »,            décideur » de ce système occulte.            ancien du SDECE (l’actuelle
se vante François Mitterrand. Inci-                                                            DGSE) et protégé corse de Charles
demment, la cellule « branche » de                                                             Pasqua, notamment pour des libé-
plus en plus de supposés ennemis –                ANNÉES                                       rations d’otages. Le Président rap-
et même des amis – du Président :                                                              pelle également à ses côtés en 2001
avocats, journalistes, actrices, hom-             CHIRAC : DES                                 Philippe Massoni, ancien patron
mes d’affaires, et même Paul Barril !                                                          des RG et préfet de police de Paris,
Au total, au moins 150 personnes                  FIDÈLES POUR                                 un homme sûr, fort de réseaux soli-
sont écoutées de manière totale-                                                               des.
ment illicites entre 1983 et 1986, et             DOUBLER LES                                  Pour sa part, le secrétaire général de
plus de 2 000 de leurs contacts ré-                                                            l’Elysée, Dominique de Villepin, re-
pertoriés dans des fichiers illégaux.             SERVICES                                     çoit régulièrement des visiteurs du
Une information judiciaire, ouverte                                                            soir au profil controversé, qu’il
en 1995, conduira plusieurs respon-               Lorsque Jacques Chirac arrive à              s’agisse de l’avocat de la Françafri-
sables de l’Elysée devant le tribunal             l’Elysée en mai 1995, il prend soin de       que Robert Bourgi ou de l’intermé-
correctionnel de Paris fin 2004.                  ne pas retomber dans le même tra-            diaire Alexandre Djouhri. Et il fait
Christian Prouteau et Gilles Mé-                  vers caricatural que son prédéces-           le point deux fois par mois avec Yves
nage, qui était directeur adjoint du              seur. Néanmoins, l’ancien maire de           Bertrand, inamovible patron des
c ab i n e t d u P r é s i d e n t , s e ro n t   Paris et ex-Premier ministre cultive         RG de 1992 à 2004 et détenteur des
condamnés à des peines de six mois                la même défiance instinctive à               secrets les plus inavouables de la Ré-
avec sursis, puis amnistiés peu après.            l’égard des services de renseigne-           publique. « Je rapportais tout ce que

                                                    28/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille
net noir » au service de Chirac n’a
                                                                                                                                                        fait que s’amplifier avec cette his-
                                                                                                                                                        toire.

                                                                                                                                                        ANNÉES
                                                                                                                                                        SARKOZY-
                                                                                                                                                        HOLLANDE :
                                                                                                                                                        LE TEMPS DES
                                                                                                                                                        COMBINES
                                                                                                                                                        Nicolas Sarkozy a fait l’objet de
                                                                                                                                                        nombreuses poursuites judiciaires
                                                                                                                                                        avant et après sa présidence, qui por-
                                                                                                                                                        tent sur le financement de ses cam-
                                                                                                                                                        pagnes présidentielles, mais il n’a
                                                                                                                                                        pas été visé par un scandale lié aux
                                                                                                                                                        services de sécurité de l’Elysée dans
                                                                                                                                                        ses années élyséennes. En revanche,
                                                                                                                                                        son cabinet a été mis en cause dans
                                                                                                                                                        l’affaire dite des sondages, où ses
                                                                                                                                                        services auraient surfacturé des en-
                                                                                                                                                        quêtes d’opinion en faveur de son
                                                            Le général Philippe Rondot, homme de confiance du président Chirac et de Dominique
                                                            de Villepin, lors du procès de l’affaire Clearstream, fin 2009, où il ne fut que témoin.
                                                                                                                                                        conseiller extérieur, Patrick Buis-
                                                                                                                                                        son. Ironiquement – ou cruellement
                                                                                                                                                        – cette enquête a été ouverte après
                                                            je savais à Dominique de Villepin, té-        Japon. Le Président écrit à Jospin            l’ouverture des livres de l’Elysée au
                                                            moignera Yves Bertrand dans Ce                pour lui dire son courroux. Réélu en          contrôle par la Cour des comptes,
                                                            que je n’ai pas dit dans mes carnets…         2002, il fait tomber les têtes à la           voulue par Nicolas Sarkozy, pour la
                                                            (Fayard). Jacques Chirac n’attendait          DGSE et à la DST, qui est égale-              première fois dans l’histoire de la Ve.
                                                            pas du directeur des RG qu’il lui ré-         ment soupçonnée d’avoir voulu dés-            Les liens de son ancien secrétaire gé-
                                                            vèle des secrets d’alcôve. Ce qu’il pri-      tabiliser l’Elysée.                           néral, Claude Guéant, avec des « in-
                                                            sait, c’était le renseignement politi-        Jacques Chirac et Dominique de                termédiaires sulfureux », intéres-
                                                            que. Il voulait être au courant des           Villepin font toute confiance au gé-          sent également les juges, mais ces
                                                            coups tordus qui se préparaient               néral Rondot afin de piloter des in-          affaires se sont développées après la
                                                            contre lui et contre l’Etat. »                vestigations parallèles. Désormais            fin de la présidence Sarkozy. Par
                                                            Lorsque, en septembre 2001, Jac-              ministre des Affaires étrangères,             ailleurs, les soupçons d’un « cabinet
                                                            ques Chirac suspecte le cabinet de            Villepin, alerté par son ami Jean-            noir » élyséen, par exemple pour
GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES ; RICHARD VIALERON/LE FIGARO

                                                            Lionel Jospin à Matignon, via la              Louis Gergorin, croit que son rival           faire tomber Dominique Strauss-
                                                            DGSE, de préparer des boules                  Nicolas Sarkozy peut tomber dans              Kahn, n’ont jamais été clairement
                                                            puantes pour la future campagne               une affaire de liste de comptes               étayés. En revanche, le quinquennat
                                                            présidentielle, il demande à un autre         offshore de la chambre de compen-             Hollande a connu quelques turbu-
                                                            homme de l’ombre, proche de Ville-            sation luxembourgeoise Clears-                lences qui montrent la difficile ges-
                                                            pin, le général Philippe Rondot, de           tream. Début 2004, Rondot est                 tion des questions de sécurité à
                                                            mener une enquête. Ce gradé, qui              chargé par Villepin, sur instruction          l’Elysée. La première est une affaire
                                                            occupe un poste clé pour les affaires         de l’Elysée, de vérifier discrètement         restée peu médiatisée qui implique
                                                            sensibles auprès du ministre de la            la validité de ses listings, qui s’avére-     le service de sécurité du Palais et
                                                            Défense, constitue un épais dossier           ront falsifiés. Villepin et Rondot se-        l’entourage proche du président
                                                            sur une équipe de la DGSE qui                 ront finalement blanchis de toute             d’alors. Elle a été révélée par Ber-
                                                            aurait enquêté sur un présumé                 accusation dans l’affaire Clears-             nard Muenkel, ancien chef du ser-
                                                            compte secret de Jacques Chirac au            tream. Mais la rumeur d’un « cabi-            vice informatique de l’Elysée, dans ____u

                                                                                                             29/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
LES HOMMES DE MAIN - Vincent Nouzille
En couverture

une interview à Valeurs actuelles en
octobre 2013. Il lui aurait été de-
mandé d’accomplir des recherches
illégales de documents numériques
susceptibles de mettre directement
en cause Nicolas Sarkozy. Cette
fois-ci, le personnage clé s’appelle
Eric Bio-Farina. Son profil est plus
classique. Il est devenu le comman-
dant militaire de l’Elysée en 2012.
Ancien patron du groupement de
gendarmerie en Corrèze, il fait par-
tie des hommes de confiance de
François Hollande, de cette « pro-
motion corrézienne » que le chef de
l’Etat a placée à divers postes clés,
comme le directeur de cabinet ad-
joint Alain Zabulon, qui a été préfet
                                            Le colonel Eric Bio-Farina, commandant militaire de l’Elysée à partir de 2012, avec
de Corrèze de 2008 à 2011.                  le président François Hollande.
Or, le 8 avril 2013, le colonel Bio-Fa-
rina a expliqué à Muenkel qu’il avait
reçu une demande d’un juge pour ef-         matinée, il convoque Bernard Muen-           Frémont, qui décrit le manque de
fectuer des recherches dans les ar-         kel, en présence de la responsable des       coopération de l’équipe Hollande,
chives informatiques de l’Elysée sur        archives, Mme Van den Neste, et du           et souligne que cela « pose un sérieux
une série de noms et de mots-clés.          commandant Minet, un gendarme                problème de fond ».
De « A » comme arbitrage à « T »            qui a, lui aussi, été en poste en Cor-       Le préfet Alain Zabulon, l’autre
comme Tapie en passant par Bor-             rèze. « Le colonel Bio-Farina veut que       « Corrézien » impliqué dans la ges-
loo, Bredin, Lagarde et Mazeaud.            l’archiviste du palais me restitue ce        tion du dossier Muenkel, a été mis
Pas besoin d’être grand clerc pour          disque pour que je fasse les recherches      en cause dans l’affaire Cahuzac et
comprendre que cette recherche              demandées. La responsable des archi-         auditionné par la commission de
d’information, présentée comme              ves du palais explique à son tour avec       l’Assemblée nationale en juin 2013.
« strictement confidentielle » par          beaucoup de calme que cela ne peut se        Ses explications très vagues ont
Bio-Farina, aurait eu pour objectif         faire sans autorisation du cabinet de        donné le sentiment d’une volonté de
de nourrir l’équipe Hollande en mu-         l’ancien président », raconte Muen-          protéger le ministre du Budget,
nitions. On est alors au cœur de l’of-      kel. Le colonel sort de ses gonds. « On      alors qu’il avait reçu par téléphone,
fensive judiciaire et parlementaire         regardait tous le bout de nos chaussu-       dès décembre 2012, un témoignage
qui accuse Nicolas Sarkozy de col-          res », confie-t-il. Jointe par Le Figaro,    très clair de l’ancien maire de Ville-
lusion avec Bernard Tapie dans la           Mme Van den Neste a confirmé                 neuve-sur-Lot, Michel Gonelle, qui
résolution de son contentieux avec          l’existence de cette réunion, elle           est à l’origine du fameux enregistre-
le Crédit lyonnais.                         confirme aussi qu’elle était dans            ment de Cahuzac où il évoque son
Muenkel sait que le cabinet de Fran-        l’impossibilité de restituer le disque       compte en Suisse. Pour le remercier
çois Hollande n’est pas autorisé à          dur à Bio-Farina.                            – ou l’éloigner de l’Elysée – Zabulon
consulter ces documents, qui sont           Cette guerre des archives a notam-           a été promu en juillet 2013 coordon-
normalement entreposés aux Archi-           ment été confirmée par Jean-Louis            nateur national du renseignement,
ves nationales. Seul Nicolas Sarkozy        Debré, qui l’évoque dans Ce que je           où il restera moins de deux ans.
peut en autoriser la consultation,          ne pouvais pas dire, ses carnets de la       Enfin, l’organisation de la sécurité
sauf si une instruction judiciaire en       période 2007-2016, à la date du              du président Hollande a fait l’objet
exige la mise à disposition. Il se dé-      16 mai 2013. Il relate que Nicolas           de plusieurs polémiques en 2015.
pêche donc de remettre aux Archi-           Sarkozy lui dit ne pas pouvoir accé-         « La sécurité du Président n’est pas
ves nationales le disque dur conte-         der à ses propres archives, toujours         assurée », ont fait savoir à l’époque
nant toutes les correspondances             retenues à l’Elysée, « contre toutes         plusieurs gendarmes du Groupe de
mails de l’époque Sarkozy.                  les règles de droit ». Il cite également     sécurité de la présidence de la Répu-
                                                                                                                                    DENIS/REA

Informé, le colonel Bio-Farina ne ca-       la lettre de l’ancien directeur de ca-       blique (GSPR). ■
che pas sa colère. Le 11 avril, en fin de   binet de Nicolas Sarkozy, Christian                 Charles Jaigu et Vincent Nouzille

                                              30/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
En couverture

                LE 11 QUAI BRANLY
                       Alexandre Benalla avait reçu l’accord de l’Elysée
   pour s’installer dans l’une des résidences parisiennes les plus discrètes de la République.
                        Enquête sur un lieu du pouvoir insoupçonnable.

Q
                uand Nicolas Sarkozy a négocié la conces-
                sion du quai Branly avec les Russes, certains
                dignitaires de la République se sont émus, ra-
                conte un haut fonctionnaire. On se doutait
                bien que les bulbes de la cathédrale ortho-
                doxe cacheraient quelques micros et camé-
ras… » Le chantier de Vladimir Poutine avait de quoi in-
quiéter le voisinage. Adjacent à l’édifice religieux, un
vaste quadrilatère accueille en effet, sans autre signe ap-
parent qu’un drapeau tricolore, certaines des personna-
lités les plus exposées de la République. Celles qui ont un
contact direct et quotidien avec le chef de l’Etat. Le bâti-
ment, construit en 1861 pour servir d’écuries, devenu dé-
pendance de l’Elysée en 1881, s’étend sur une surface de
5 300 mètres carrés sur laquelle sont répartis 63 appar-
tements de fonction de taille variable. « Il est impossible         Entre le musée du Quai Branly et la cathédrale russe, habitent
d’obtenir un bail dans ce lieu très prisé et bien situé sans        une soixantaine de collaborateurs du Président et leur famille.
la signature expresse du directeur de cabinet du président
de la République », assure un ancien résident.                      ceux qui sont « tenus par un service d’astreinte » s’acquit-
Une trentaine de locataires, considérés comme répon-                tent d’une redevance égale à 50 % de la valeur locative,
dant à une nécessité absolue de service (« NAS »), sont             indexée sur les références les plus basses des logements
dispensés de loyer. Selon les informations du Monde,                anciens du quartier.
Alexandre Benalla y était officiellement domicilié de-              Dimanche dernier, quatre têtes blondes en trottinette
puis le 9 juillet. En tant que chef adjoint de cabinet, il en       composaient un code pour ouvrir l’une des trois portes
aurait été exempté au même titre que les conseillers di-            derrière lesquelles s’étend une cour arborée avec une
plomatiques, le patron de la DGSE, le chef d’état-major             vingtaine de voitures garées à l’ombre de marronniers,
des armées, le coordonnateur national du renseigne-                 de ginkgos bilobas et de tilleuls. Au loin, un portique de
ment, le chef des cuisines ou celui de l’intendance qui ré-         balançoires laisse deviner une résidence familiale. « A
sident là avec leur famille. Une liste non confirmée par            mon avis, cette colocation ne diffère en rien d’une autre,
l’Elysée. Ces résidents paient toutefois des charges, ce            note Hubert Védrine qui a refusé l’appartement mis à sa
qui représenterait environ, selon une information de                disposition à l’époque où il était secrétaire général de
2013, 200 000 € par an.                                             l’Elysée (1991-1995), préférant rester chez lui. La coha-
                                                                    bitation est très discrète, bonjour bonsoir, pas plus que
         DES APPARTEMENTS BIENTÔT RÉNOVÉS                           dans n’importe quelle résidence avec un gardien. Ce site
Outre sa situation exceptionnelle, sur les rives de la              est utile pour loger des personnels techniques et quelques
Seine, à quelques pas de la tour Eiffel, l’immeuble ne              collaborateurs du Président, peu nombreux, qui doivent se
donne pas une impression de luxe excessif. Classé monu-             rendre très disponibles. »
ment historique depuis 2002, désamianté en 2016, il                 D’autres personnalités ont refusé de s’y installer. C’est
n’aurait pas fait l’objet de travaux depuis des années et,          le cas du précédent coordonnateur national du rensei-
selon un visiteur du soir, se trouverait « dans un état assez       gnement (CNR), l’ex-ambassadeur Didier Le Bret qui,
vétuste ». L’Elysée confirme que quatre appartements                par pure coïncidence, forme un couple avec Mazarine
« en mauvais état » sont en voie de rénovation. Quelques            Pingeot. La fille du président François Mitterrand
studios et deux-pièces accueillent les lingères de l’Elysée,        ayant vécu, elle, une bonne partie de son enfance cachée
des officiers de sécurité, des majordomes, certains cuisi-          dans les murs du 11 quai Branly avec sa mère, a opposé
niers et jardiniers. Ceux qui sont arrivés avant 2013 lo-           un « non » catégorique à son compagnon lorsque l’op-
                                                                                                                                      GILLES TARGAT/PHOTO12

gent gracieusement. Depuis que Sylvie Hubac, direc-                 portunité de s’y installer s’est présentée. « Nous étions
trice de cabinet de François Hollande, a clarifié cette             sur les listes de Daech, et on nous a proposé le même ap-
distribution discrète mais réelle d’avantages en nature,            partement, au deuxième étage, dans lequel Mazarine
les nouveaux résidents « non NAS » doivent payer un                 avait vécu. Ce fut sans appel », sourit-il. ■
loyer. En vertu d’une convention d’occupation précaire,                                                       Guyonne de Montjou

                                              32/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018
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