Les immigrants face au logement à Winnipeg - Cas des nouveaux arrivants d'Afrique francophone
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Les immigrants face au logement à Winnipeg Cas des nouveaux arrivants d’Afrique francophone David Alper Halimatou Ba Mamadou Ka Bintou Sacko Janvier 2012 ISBN: 978-1-926888-94-1 Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba
Contents 1. L'immigration au Canada et ses défis 1 2. Le Manitoba francophone et l'immigration 2 3. Le logement comme déterminant social et la santé des immigrants 3 4. Objectif et méthodologie de l'étude 4 5. Conditions de logement et santé des immigrants francophones à Winnipeg 6 5.1 Conditions socio-économiques des répondants 6 5.2 Expérience d'accès au logement 7 5.3 Capacité de se loger selon les revenus 9 5.4 Stratégies utilisées pour payer le montant du loyer 11 5.5 Les problèmes générés par l'expérience de logement 12 5.6 L'impact des conditions de logement sur l'état de santé 14 5.7 Les solutions collectives pour contrer la crise de logement 15 Conclusion 16 Bibliographie 19 Connaître les Auteurs David Alper est professeur à l’École de service Mamadou Ka est agent de projets immigration social de l’Université de Saint-Boniface. pour le Consortium national de formation en santé à l’Université de Saint-Boniface. Halimatou Ba est professeure adjointe à l’École de service social de l’Université de Bintou Sacko est gestionnaire à l’Accueil Saint-Boniface. francophone du Manitoba. Remerciements Cet article a été écrit grâce à une subvention financé par les Alliances de recherches univer- reçue dans le cadre du projet de recherche The sités-communautés du Conseil de recherches Manitoba Research Alliance for Transforming en sciences humaines du Canada. Aboriginal and Inner-city Communities et Vous pouvez télécharger ce rapport gratuitement à partir du site Web du CCPA dont l’adresse est http://www.policyalternatives.ca. Il est possible d’en commander des exemplaires imprimés, au prix de 10 $, en communiquant avec le bureau manitobain. i Les immigrants face au logement à Winnipeg
Les immigrants face au logement à Winnipeg Cas des nouveaux arrivants d’Afrique francophone Introduction1 La présente étude se propose de comprendre sur leur état de santé et de connaître leurs la situation des immigrants francophones face perceptions quant aux solutions collectives à la question de logement à Winnipeg. Basée qu’ils préconisent. sur l’approche des déterminants sociaux de la santé (Morin et Baillergeau, 2008), elle a pour Ce rapport présente d’abord un exposé bref de objet de voir dans quelle mesure le logement la question de l’immigration au Canada et ses peut être un facteur essentiel en termes de défis au Manitoba avant d’aborder la question bien-être social et de santé dans le processus de logement comme déterminant social, qui est d’établissement des nouveaux arrivants fran- traitée en faisant ressortir le lien avec la santé cophones d’origine africaine à Winnipeg. Le des immigrants. Ensuite, après une description manque de logement reste une des grandes de la démarche méthodologique adoptée pour questions sociales pour la ville de Winnipeg. générer et analyser les données recueillies, les Le Conseil de planification sociale de Win- résultats de l’étude sont exposés. Ils relatent nipeg (2009) parle déjà de crise et des lacunes l’expérience de logement des répondants en dans les logements locatifs en particulier dans mentionnant leur capacité et les stratégies le quartier Saint-Boniface. Il attire l’attention utilisées pour se loger selon leurs revenus. sur des répercussions possibles auprès des Puis, sont exposés les problèmes générés sur immigrants francophones devant habiter loin le plan social et de la santé et les solutions de leur communauté. Dans le contexte de envisagées. Enfin, une conclusion résume la transformations sociales, de modernisation et situation en faisant ressortir le rôle de l’État de l’immigration massive, il semble nécessaire dans la résolution de la question de logement pour la ville de Winnipeg de s’ajuster du côté social à Winnipeg. de l’habitat. Cette étude qualitative, exploratoire et descrip- 1. L’immigration au Canada tive s’inscrit dans l’élaboration des stratégies et ses défis de lutte contre le mal-logement des immigrants Le Canada, avec ses 250 000 nouveaux arriv- francophones nouvellement arrivés à Winni- ants par année, renforce la tendance qui fait peg. Réalisée auprès de 12 familles africaines de l’Amérique du Nord, une destination de francophones, elle vise à mieux connaître leurs plus en plus privilégiée pour l’immigration. En conditions de logement et l’effet de celles-ci sur effet, de simples candidats reçus, des réfugiés leur santé. Le nombre réduit de l’échantillon et les membres de leurs familles arrivent mas- constitue une limite à cette étude et rend non sivement pour s’y installer. Ils sont admis dans généralisables les résultats. Néanmoins, ceux- le pays d’accueil pour des raisons humani- ci ont permis de cerner certains problèmes taires et pour pallier à la double problématique d’accès au logement adéquat et abordable que qui vise à maintenir le renforcement de la dé- ces personnes éprouvent. Ils ont aussi permis mographie et le développement de l’économie de saisir l’effet des conditions de logement (Vatz-Laaroussi, 2008). 1 Nous remercions Blandine Ngo Tona et Marième Wane pour leur précieuse collaboration à la réalisation de cette recherche. Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba 1
Plusieurs études (Legault, 2000; Vatz-Laarous- à leur accès aux logements adéquats compte si, 2008) font état des problèmes d’intégration tenu de la taille de leurs familles. des nouveaux arrivants dans une société qui, à l’instar de beaucoup d’autres sociétés occi- dentales et nord-américaines, est caractérisée 2. Le Manitoba francophone par un mode de vie individualiste et égalitaire. et l’immigration Ce modèle correspond à la fois à l’autonomie, L’immigration au Manitoba est considérée à l’indépendance de la personne, à l’égalité comme un facteur très important dans la entre l’homme et la femme, et à la primauté croissance démographique de la province. En de l’individu sur le groupe (Cohen-Emerique, effet, pour les autorités gouvernementales, elle 1990). En plus, ce contexte exige pour la plu- est vue comme une stratégie permettant de part de ces nouveaux arrivants de s’adapter combler le déficit humain de la force de travail à la culture du pays d’accueil, et de faire face manitobaine causé par le vieillissement de la aux accommodements nécessaires qu’exige le population et la faiblesse du taux de natalité changement de pratiques et de comportements (Carter, Pandey et Townsend, 2010). En 2003, culturels. le Manitoba s’est fixé un objectif d’accueillir 10 000 nouveaux arrivants par année. Ce nombre Si les critères sélectifs de l’immigration peu- a déjà été dépassé plusieurs fois. En 2007, la vent favoriser une bonne intégration en terre province a reçu 10 995 immigrants (Gouverne- d’accueil canadienne, des études ont révélé ment du Manitoba, 2007). Ce succès lui a des facteurs qui fragilisent et déstabilisent ces permis de reconsidérer à la hausse son objectif nouveaux arrivants dans le contexte postmi- d’accueil annuel à 20 000 nouveaux arrivants à gratoire. Plusieurs facteurs expliquent leurs partir de 2016, et d’être ainsi considéré comme difficultés à bien s’intégrer dans la société l’un des chefs de file en matière d’immigration (Rojas-Viger, 2007; Vatz Laaroussi, 2001; Mar- au Canada. tin, 2005; Campanile, 2007). D’abord, dans leur recherche d’emploi, ils se heurtent aux La communauté francophone du Manitoba difficultés de la non-reconnaissance de leurs n’est pas restée indifférente à tous ces avan- diplômes, de leur non-qualification, de leur tages provinciaux et a su en tirer profit. Elle manque d’expériences « canadiennes » de a choisi de considérer l’immigration comme travail antérieures. Au cas où ils arrivent avec un facteur de croissance démographique et des expériences, celles-ci peuvent s’avérer non surtout linguistique. Déjà dans les années adaptées au contexte. Le plus souvent, il faut quatre-vingt-dix, 2 400 immigrants (dont 841 réapprendre à travailler et apprendre une au- francophones) avaient choisi les communautés tre langue, notamment l’anglais à Winnipeg, francophones en milieu minoritaire, 60 % de ce pour avoir accès à un travail intéressant. En- nombre avaient pour origine l’Europe et seule- suite, en dépit des diverses précautions prises ment 16 % provenaient du continent africain. avant leur arrivée en terre d’accueil, ils peuvent La tendance s’est par la suite renversée, car la souvent demeurer longtemps sans travail. majorité des immigrants, dorénavant, viennent Et s’ils parviennent à en trouver, les revenus principalement de l’Afrique, des Caraïbes et peuvent s’avérer insuffisants ou irréguliers. de l’Asie (Ka, 2007). Ce faisant, sous le poids de la charge des fa- milles, souvent nombreuses, leurs économies Sous l’égide de la Société franco-manitobaine, accumulées peuvent diminuer rapidement et le projet Agrandir l’espace francophone au finalement se réduire à rien. Toutes ces difficul- Manitoba : toile de fond commune 2001-2050 tés peuvent constituer des paramètres hostiles est proposé aux franco-manitobains. De nombreuses rencontres communautaires ont 2 Les immigrants face au logement à Winnipeg
permis d’élaborer un certain nombre de pri- stigmatisation. Parmi les populations plus orités, notamment « la révision des politiques fragiles, le mal-logement risque d’affecter les fédérales et provinciales quant aux réfugiés, immigrants. la rétention des étudiants internationaux et les immigrants francophones reçus dans nos Les difficultés d’acquisition d’un logement communautés » (Therrien, 2002). Pour faci- peuvent contraindre les immigrants à la pré- liter l’établissement des nouveaux arrivants, carité sociale. Le logement, particulièrement l’Accueil francophone du Manitoba est mis celui décent et adéquat, représente un milieu sur pied en 2003. de vie qui permet l’épanouissement de tous les membres de la famille. Il constitue aussi Au début des années 2000, nous assistons à une passerelle pour une bonne intégration un grand changement dans la provenance des sociale. Pour ces immigrants, la non-obtention nouveaux arrivants, car environ 85 % d’entre de logements convenables et les difficultés d’y eux étaient des Noirs venus principalement avoir accès peuvent générer des problèmes de d’Afrique (Ka, 2007). Ces derniers revêtent santé et contribuer à l’émergence d’un proces- une triple casquette de minorités au Mani- sus d’exclusion sociale si certaines conditions toba : immigrants, francophones, et minorités ne sont pas réunies. Comme milieu physique, visibles. Et, pour Lafontant (2007) ce fait est un bon logement est particulièrement déter- plus souvent source de discrimination pou- minant pour la préservation d’un bon état vant être un obstacle à leur intégration dans de santé. Selon Morin et Pori (2007), le loge- la communauté d’accueil. Ces discriminations ment, comme déterminant social de la santé, concernent le domaine économique, profes- est indispensable pour une meilleure qualité sionnel et spécialement celui du logement, qui de vie. Ainsi, point d’insertion permettant de est l’objet principal de cette étude. situer l’individu dans son environnement, le logement permet d’établir des opportunités d’accès à divers réseaux formels et informels. 3. Le logement comme Ce faisant, il peut faciliter l’intégration des déterminant social et nouveaux immigrants, notamment les réfugiés la santé des immigrants à Winnipeg (Carter et al, 2008). Il leur permet Dans la communauté francophone, l’accès au de reconstruire leur identité personnelle et so- logement représente une question très impor- ciale, tout en facilitant le processus d’insertion tante. La très grande majorité des nouveaux postmigratoire dans la société d’accueil (Enns, arrivants préfèrent s’installer à Saint-Boniface 2005). pour jouir de la proximité des nombreux services en français que peuvent leur offrir la Par ailleurs, la bonne santé n’est pas seule- communauté et l’Accueil francophone. Durant ment l’absence de maladie, c’est aussi la ces cinq dernières années, le manque de loge- présence de l’ensemble de conditions socio- ment oblige la plupart d’entre eux à s’établir environnementales satisfaisantes pour le bien- ailleurs à Winnipeg, loin de Saint-Boniface. être des populations. À cet effet, Carter et al S’il est connu maintenant qu’un réel « chez- (2008) affirment qu’un logement inabordable, soi » stable constitue un endroit déterminant surpeuplé, non sécuritaire peut causer des pour les personnes vulnérables (Dorvil, ennuis à tout le processus d’intégration. Le Morin et Robert, 2001), ce lieu peut être aussi Rapport Lalonde (1974) indique que la santé l’endroit de toutes les contradictions sociales des individus dépend autant des réseaux des dans les centres urbains tel que Winnipeg et soins de santé que des facteurs en dehors de générer les problèmes de ghettoïsation et de ces réseaux. Thériault et Gill (2007 : 77) esti- ment que « ... le milieu physique compte pour Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba 3
10 %, et les facteurs sociaux et économiques qualité. Il peut être très décisif dans le choix comptent pour 50 % de l’état de santé d’une de la zone de localité, du prix de location ou population. » C’est dire que 60 % de la qualité d’achat et des possibilités d’acquisition pour de la santé dépendent des facteurs socioéco- des groupes sociaux de revenus modestes nomiques et du milieu physique. (Carter et al, 2009). Selon le State of the Inner City Report du Centre canadien de politiques Il est donc tout à fait logique que l’Organisation alternatives Manitoba, l’insuffisance de bons mondiale de la santé reconnaisse en 2008 le logements abordables demeure toujours un logement comme « préalable de base pour grand défi dans les quartiers défavorisés de la santé ». L’on peut dire à cet égard que les Winnipeg (CCPA, 2008). chercheurs n’ont commencé à s’intéresser à ce domaine que tout récemment. Selon la Société Concernant les nouveaux arrivants, négliger canadienne d’hypothèque et de logement, ces facteurs, pourrait compromettre leur in- un ménage éprouve des besoins impérieux sertion dans la ville de Winnipeg et entrainer lorsqu’il n’est pas en mesure de se trouver des répercussions négatives sur leur état de un logement abordable et conforme aux nor- santé. L’habitat est devenu un lieu essentiel mes de taille et de qualité, ne dépassant pas d’intégration et d’insertion sociale, de protec- un plafond de 30 % du revenu du ménage tion et de stabilité. Il permet aux immigrants (SCHL, 2008). L’étude de Carter et al (2008) la construction d’un lieu de support identi- révèle que les ménages des réfugiés sont plus taire, de sécurité psychologique, culturelle et nombreux que la moyenne et ont donc besoin civique. Il peut promouvoir le maintien d’une de logements plus grands. Déjà en 2006, 37 % bonne santé. On présume que le fait d’en des ménages locataires à Winnipeg débour- disposer peut favoriser une meilleure qualité saient plus de 30 % du revenu familial pour se de vie et renforcer la santé et le mieux-être. loger (CMHC, 2005). Cette tendance se main- Par contre, son manque pourrait causer des tient-elle aujourd’hui? Qu’en est-il pour les préjudices et des problèmes de santé chez les nouveaux arrivants francophones demeurant mêmes populations, particulièrement pour actuellement à Winnipeg? celles nouvellement arrivées. Cette recherche s’intéresse particulièrement à la question En matière de santé, les études ont clairement d’accès au logement pour les immigrants fran- démontré des liens entre la pauvreté, les cophones nouvellement arrivés à Winnipeg. conditions socioéconomiques et les problèmes Elle tente de cerner leurs expériences de loge- de santé (Carter et al, 2008; Fernandez et al, ment et faire le lien avec d’éventuels problèmes 2010). Selon un rapport de l’Institut canadien de santé qu’ils ont pu vivre. De façon précise, d’information sur la santé, les Canadiens dont la question de recherche est de connaître quels le statut socio-économique est considéré faible sont les problèmes liés au logement que vivent sont plus susceptibles d’être hospitalisés pour les nouveaux arrivants francophones et leurs plusieurs formes de problèmes de santé que familles à Winnipeg, l’effet de ces problèmes d’autres personnes de statut différent (ICIS, sur la santé de ces derniers et leurs solutions 2008). Une étude de Santé Manitoba (Postl, collectives. 1995) indiquait déjà des coûts additionnels pour le système de santé, et que les personnes les plus pauvres étaient dix fois plus à risque 4. Objectif et méthodologie d’être hospitalisées que les personnes les plus de l’étude riches. Cette recherche part du postulat que Le coût constitue une des variables détermi- l’accessibilité à des logements décents con- nantes à l’accessibilité au logement de bonne stitue un droit humain fondamental, comme 4 Les immigrants face au logement à Winnipeg
le confirme d’ailleurs la littérature abondante Il permet aussi de recueillir leurs perceptions ci-dessus mentionnée. Le défaut de ce loge- des solutions collectives à la question de loge- ment décent peut entrainer un impact négatif ments sociaux. sur leur santé. Après étude des dossiers, une première sé- Son objectif principal est de connaître les fac- lection a été faite. Vingt-quatre familles (12 teurs qui déterminent les conditions de loge- familles d’immigrants reçus et 12 familles de ment des nouveaux arrivants francophones réfugiés) ont été choisies et sélectionnées selon à Winnipeg, leurs conséquences sur l’état de les critères suivants : santé de ces derniers et les perceptions et so- • Nombre de personnes dans la famille lutions collectives ces derniers proposent. De (taille) façon spécifique il s’agit de : • Familles qui connaissent des défis par • décrire les conditions socioéconomiques rapport à la gestion du budget des nouveaux arrivants francophones • Personnes qui sont sur l’aide sociale • décrire leurs expériences d’accès aux logements • Lieu d’habitation • décrire l’impact de leurs conditions de • Difficultés d’intégration socio- logement sur leur état de santé économique. • décrire leurs perceptions et les solutions Plusieurs familles dans cette base de données collectives qu’ils envisagent répondaient à ces critères. Le recours à l’avis expert et éclairant des informatrices-clé, en La recherche est effectuée sur la base d’une service à l’Accueil francophone, a été déter- méthodologie qualitative. Le recueil des in- minant pour fixer un choix définitif. formations essentielles a nécessité la mise en œuvre des stratégies qui soutiennent la cohé- La technique d’échantillonnage adoptée est rence méthodologique de la recherche tout en typique et non aléatoire. Elle a consisté à faisant le lien avec la spécificité de la méthode faire appel à des volontaires pour constituer de cueillette et d’analyse des matériaux empi- l’échantillon. Elle a l’avantage de permettre riques (Denzin et Lincoln, 1994). de joindre facilement des personnes désirées (Gauthier et al, 2009). Pour chaque famille sé- La population ciblée est constituée de l’en- lectionnée, le chef a été contacté au téléphone semble des nouveaux arrivants francophones pour l’informer du but de la recherche, avoir inscrits dans la base de données de l’Accueil sa disponibilité et son consentement quant à francophone, organisme communautaire qui réaliser une entrevue. Finalement, seulement a servi de tremplin pour accéder à la popula- douze familles ont répondu positivement et tion ciblée. Cette base de données réfère à la ont accepté à réaliser une entrevue. clientèle immigrante reçue et déjà identifiée comme étant des francophones. Dans cette Toutes ces personnes qui ont voulu participer à base de données ont été ciblées les personnes l’étude ont été invitées à remplir un formulaire dont le séjour à Winnipeg couvre une période de consentement qui les informe des condi- minimale de deux ans et maximale de cinq tions de leur participation. Par la suite, une ans. Ce délai de séjour parait suffisant pour entrevue en profondeur d’une durée d’environ pouvoir cerner à titre exploratoire autant de une heure à une heure et demie a été réalisée difficultés que peuvent rencontrer ces per- auprès de ces mêmes personnes. Le canevas sonnes en matière de logement et des consé- d’entretien contient une liste de questions quences d’être mal logé sur leur état de santé. ouvertes élaborées à partir des objectifs de la Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba 5
recherche. Toutes les personnes interviewées le prix du loyer, les difficultés et les problèmes ont reçu une compensation pour leur partici- sociaux générés par cette expérience de loge- pation à l’étude. ment et leur impact sur l’état de santé des répondants. Ces derniers s’expriment aussi Leurs propos ont été recueillis suite à des ent- sur des solutions collectives à déployer pour revues semi-dirigées. Les informations ont été faire face à la crise de logement. transcrites, puis analysées selon la méthode de l’analyse du contenu (L’Écuyer, 1990). Les résultats obtenus ont permis de comprendre 5.1 Conditions socio-économiques l’expérience de logement des nouveaux arriv- des répondants ants francophones à Winnipeg. La compilation Plusieurs caractéristiques de ces familles ont des données analysées a permis de produire été explorées. Parmi les douze familles rencon- ce rapport. trées, dix vivent en couples avec leurs enfants. Les deux familles restantes sont monoparen- Par ailleurs, nous sommes conscients que le tales, composées de veuves vivant avec leurs nombre de personnes interviewées est très enfants. restreint, ce qui constitue une limite à l’étude et donc ne permet pas une généralisation. Cepen- Parmi ces familles, sept sont composées de dant, les témoignages collectés expriment des réfugiés d’origine congolaise et rwandaise. expériences individuelles qui ont permis de Les cinq autres répondants sont constitués faire ressortir suffisamment de données spéci- d’immigrants reçus provenant d’autres na- fiques liées au thème et l’étude a le mérite de tionalités (Maroc, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo) valider certaines connaissances déjà générées qui ont choisi de venir s’installer librement au dans un autre contexte différent. Manitoba pour diverses raisons. Dans ces familles, les répondants ont l’âge 5. Conditions de logement compris entre 33 ans et 61 ans. Une nette dif- et santé des immigrants férence est notée lorsqu’il s’agit de la taille francophones à Winnipeg de ces familles. Elle est généralement assez Les résultats de la recherche légitiment la de- grande et peut compter jusqu’à 11 enfants scription des conditions socio-économiques parmi les réfugiés. En plus de leurs propres des répondants, leurs expériences et capacités enfants, les réfugiés ont d’autres personnes à d’accès au logement en fonction de leurs rev- charge qui vivent avec eux. enus, les stratégies qu’ils déploient pour payer Tableau 1 : caractéristiques sociales des répondants Immigrants Réfugiés Âge 33 à 37 33 à 61 ans Origine Côte-d’Ivoire, Congo, Rwanda Guinée, Maroc, Togo Statut mariés (5) veuves (2), mariés (5) Scolarité universitaire (5) école secondaire (5), collégial (2) Taille de la famille 3 à 5 personnes 3 à 11 personnes Nombre de familles 5 7 6 Les immigrants face au logement à Winnipeg
La recherche révèle une différence de niveau 5.2 Expérience d’accès au logement de scolarité entre les réfugiés et les immigrants Les participants à cette étude ont connu di- reçus, avec un impact évident sur leur inser- verses expériences d’accès au logement. Il y en tion au travail. Pour tous les réfugiés qui ont a qui ont transité dans les structures d’accueil participé à l’étude, le niveau de scolarité est financées par le ministère de l’immigration, minimal. Il varie entre la 8eet la 12eannée notamment à Welcome Place, avant de se trou- (équivalence ici au Canada). La plupart ont ver un logement à eux. Généralement, c’est le perdu leurs diplômes pendant la guerre civile cas pour les réfugiés qui sont pris en charge et les déplacements. Ils doivent reprendre leurs dès leur arrivée par le gouvernement. La forme études ici pour avoir un diplôme secondaire. d’accueil est différente pour les immigrants Cette situation les rend plus vulnérables par reçus. Ces derniers doivent se prendre en rapport aux immigrants reçus sur le plan de charge eux-mêmes durant leurs trois pre- l’obtention d’emplois stables et suffisamment miers mois à partir de leur entrée au Canada. bien rémunérés. Le manque ou l’insuffisance Certains ont été accueillis par un parent déjà d’instruction, associé parfois à la non-maitrise établi alors que d’autres ont dû transiter dans de l’anglais compromet sérieusement leur in- un hôtel, une auberge ou prendre une chambre sertion sur le marché de l’emploi, comme l’ont dans des familles d’accueil avant de trouver un prouvé d’autres études (Martin, 2005). La plu- logement pour eux-mêmes. part des familles de réfugiés rencontrées sont sans emploi depuis au moins deux ans. Les Le tableau ci-dessus souligne le fait que seule- autres qui trouvent du travail sont employés ment deux répondants sur 12 habitent Saint- à temps partiel ou sur appel certains soirs et Boniface alors que l’idéal serait, pour les auto- fins de semaines. rités communautaires, que ces derniers soient concentrés dans la localité francophone (voir Pour ce qui est des immigrants reçus, quelle tableau 2 à la page 8). En effet, les répondants que soit leur origine, leur niveau de scolarité habitent différents quartiers de la ville de Win- est souvent assez élevé. Il correspond re- nipeg et les zones principalement ciblées sont : spectivement au baccalauréat, voire même le centre-ville, St-Vital, St-Boniface, Windsor à la maitrise. Ce niveau élevé de formation Park, Southdale, East Kildonan et le North explique leur grande capacité à s’intégrer plus End. On remarque que bien que les répondants rapidement que les réfugiés dans le marché soient des francophones, le manque de loge- de l’emploi. Ce haut niveau d’instruction ne ment les oblige à habiter dans les quartiers où se traduit pas forcément en un atout pour ces le français est moins parlé. La plupart d’entre immigrants reçus. Plusieurs entre eux ne sont eux demeurent dans les quartiers centraux, pas forcément assurés de pouvoir travailler une zone en déclin. Ils y sont attirés par les dans leur domaine respectif de compétence. logements plus abordables, mais qui sont de Les résultats indiquent que ceux qui trouvent moindre qualité (Carter et al, 2009; Madariaga du travail s’exercent à travers divers emplois et al 2005). En effet, les propos de ce répon- tels que : enseignant de français, agent de dant en donnent un témoignage: «la fenêtre de sécurité, conseiller en emploi, agent de di- la chambre est cassée, c’était cassé et ils ont mis du rection. Pour bien se tirer d’affaire face aux scotch dessus et ils ont promis de changer ça et là, problèmes sociaux qu’ils rencontrent, il y en le chauffage de la chambre des enfants faisait un a qui cumulent plusieurs emplois. D’autres grand bruit…on a fait cinq mois là-bas, ils n’ont préfèrent retourner aux études pourvu qu’ils pas changé la moquette ni la fenêtre ni le chauffage aient l’opportunité d’être financés par les prêts donc on est resté dans ça donc on payait 650 plus et bourses comme ils y ont droit. Hydro…», «...dans la douche il y avait un trou en Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba 7
dessous du plafond où on se lave, quand les autres fois. Les motifs du déménagement sont liés se lavent là ça verse chez nous. Le propriétaire au coût élevé du loyer, au caractère transitoire m’a dit d’accord que ça va s’arranger, mais ils du logement d’accueil ou encore à la qualité n’ont rien arrangé jusqu’à présent (E8). Carter du logement qui ne convient pas à la famille. et al (2009), ces personnes acceptent d’habiter Une étude faite sur des réfugiés (Enns et al, dans ces zones, marquées par un taux élevé 2009) révèle qu’ils ont de la difficulté à trouver de chômage, de pauvreté, de criminalité et des logements abordables. Ce problème est des problèmes de sécurité, grâce à l’avantage d’autant plus sérieux qu’ils manquent de ren- qu’elles ont de vivre à proximité des services seignements essentiels fiables concernant les communautaires. logements et les caractéristiques des quartiers. La majorité d’entre eux habitent dans des loge- À Winnipeg, ils faisaient preuve d’une très ments de type appartement, à l’exception de grande mobilité, et 93% d’entre eux ont démé- trois familles qui demeurent dans de grandes nagé au moins une fois au cours de la première maisons de sept à neuf pièces. Toutes les mai- année (Enns et al, 2009), ce qui corrobore avec sons, à l’exception d’une maison au centre- les résultats de cette présente étude. ville, sont pourvues d’équipement de base La sécurité dans ces logements ne les préserve (laveuse, sécheuse, poêle et frigo). pas d’être victime de discrimination. Des ac- L’étude a montré que huit sur 12 familles ont cusations sont portées contre les propriétaires déménagé au moins une fois et au plus trois de logement qui exigent la crédibilité des lo- Tableau 2 : expériences de logement Nbre Zone Type de Nbre Démén Discrimination Sentiments pers habitation logement pièces agement d’insécurité Réfugiés 6 Centre-ville appart 6 oui (1) oui, par le oui Manitoba Housing 7 St-Vital appart 6 non oui, par le non Manitoba housing 11 East Kildonan maison 9 non non oui 7 Centre-ville maison 7 non non pas de réponse 5 Centre-ville maison 7 oui oui, ancien logement non 5 St-Vital appart 5 oui (3) oui, travail, historique oui de carte de crédit 5 St-Vital appart 5 oui (3) oui, travail, historique oui de carte de crédit 3 St-Boniface appart 4 oui (3) oui, parce que noire oui Immigrants 4 Windsor Park appart 5 non non oui 3 North End appart 5 oui (2) oui non 4 Southdale appart 5 oui oui, historique de oui carte de crédit 5 St-Boniface maison 6 oui oui, par le concierge oui 3 St-Vital maison 9 oui non oui 8 Les immigrants face au logement à Winnipeg
cataires par le biais de leur histoire de crédit la même chose, c’est un chèque et puis moi je lui et de leur expérience de travail : « Bien sûr, bien paye avec la carte c’est la même chose et il dit qu’il sûr ici il y a d’autres problèmes encore lorsque je ne reçoit personne après 17 h. Ben c’est une discri- viens d’arriver, on te demande d’abord OK! Est- mination et j’ai posé plainte au « manager » du bloc, ce que tu as déjà travaillé tandis que toi tu viens mais j’ai rien reçu comme réponse » (E10). d’arriver tu n’as pas encore l’expérience et eux ils demandent d’abord l’expérience et deuxièmement Les propriétaires d’immeubles refusent ils demandent si tu as les cartes de crédit ou bien si d’attribuer des logements aux immigrants qui tu as beaucoup de trucs on te demande qu’ils vont ont des enfants, sous prétexte que ces derni- essayer de voir ça, c’est un peu difficile donc ce ers font du bruit : « c’est que j’avais trouvé une n’est pas vraiment bien pour les nouveaux venus. première maison de deux chambres plus salon Il y a beaucoup de trucs qu’on demande tandis que et le propriétaire m’avait demandé de remplir le tu n’as pas encore travaillé, tu cherches la maison formulaire de demande, je l’ai fait, et à la dernière donc si tu ne réponds à leurs choses là donc on te minute il m’appelé pour me dire que comme j’ai donne pas la maison » (E7). un enfant de 8 ans, lui ne peut pas me donner la maison parce que l’enfant va faire beaucoup de bruit À la limite, il peut s’agir de racisme selon ces et donc à cause de cela il a refusé de me donner la deux répondants : « Quand j’habitais d’abord maison. Pourtant la maison quand je suis allé, à Talbot là lorsqu’on voit toujours un noir c’est l’immeuble était en plein rénovation, il y au moins vraiment un problème c’est comme si j’avais trois appartements libres je devais faire mon choix, un problème avec les propriétaires de la maison. mais il a refusé. C’est quelque part à 50 mètres de Lorsque les gens viennent te voir à la maison il y Henderson Highway » (E8). a toujours un problème là chaque jour on dit que c’est toi qui amènes beaucoup de gens dans la mai- Comme alibi, les propriétaires mettent en son, mais ce n’est pas ça » (E7) ; « une fois je suis avant la non-employabilité des épouses des partie à Windsor Park trouver un appart, qu’on immigrants pour refuser de leur louer un m’a accepté, après quand je me suis présentée, ils appartement. Cela s’est passé à Wolseley : «... ont dit qu’ils n’en ont pas, mais il y en avait, car elle (la propriétaire) disait aussi que ma femme est il y avait une pancarte dehors qui montrait que arrivée nouvellement et qu’elle ne travaille pas et l’appartement est disponible encore. Parce que je que celui qui louait la maison auparavant c’est-à- suis Noire» (E11). dire avant que moi j’arrive là-bas, le jeune vivait avec sa copine et leur relation n’a pas été fructueux Parfois, c’est l’attitude des concierges qui est donc la femme a décidé de quitter et le garçon seul fustigée par les répondants : «…la personne (le n’arrivait plus à payer le loyer donc dû de cette concierge), agit différemment avec moi quand il expérience là, elle a décidé de donner à un couple où s’agit de payer par exemple le loyer avec la carte. tous les deux membres du foyer travaillent » (E8). Ben, on s’est habitué que les anciens payent n’im- Dans cette étude, les répondants ont claire- porte quand. Eh bien, eux les nouveaux je dirais ment signifié qu’ils éprouvent de la difficulté étaient un peu orgueilleux. Ben ils ne parlent pas de trouver un logement pour des raisons assez beaucoup avec les gens, ils étaient tellement impo- discriminatoires. lis. Ben ce qui s’est passé, une nuit je l’ai appelé en disant voilà je vais payer le loyer, il m’a dit non notre temps du travail après 17 h il ne reçoit per- 5.3 Capacité de se loger sonne. OK voilà, OK si vous le faites avec tout le selon les revenus monde alors OK. Après juste 10 minutes comme ça, À Winnipeg, le fait de travailler n’est pas une une autre personne est venue avec un chèque (un garantie qui met à l’abri de la pauvreté. Selon Canadien), il lui a permis, là, vous voyez. Ben c’est le CCPA (2008), un travailleur sur cinq à temps Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba 9
plein ou à mi-temps gagne un salaire annuel l’aide sociale. S’ils ne trouvent pas de travail minimum, inférieur à 17 550 $, ce qui ne les entre temps, leurs économies s’épuisent con- préserve pas de la pauvreté. Pour le CCPA, sidérablement et ils deviennent des personnes le salaire minimum devrait passer à 13 $ de à risques. Pour les familles immigrantes dans l’heure pour permettre aux familles compre- cette étude, les revenus se situent entre 10 000 $ nant au moins trois personnes de subvenir aux (minimum) et 40 000 $ et plus par année. Ce besoins primaires et d’avoir une maison. montant ne les classe pas très loin du seuil de faible revenu selon la taille de leur famille. La plupart des nouveaux arrivants ne travail- Le retour aux études que préfèrent certains lent pas. Les raisons souvent invoquées sont d’entre eux leur offre la possibilité de faire des relatives au manque d’expérience, non-recon- prêts et bourses dont la fourchette d’emprunt naissance des diplômes, manque de quali- est comprise entre 20 000 et 30 000 $ par an. fication requise (Therrien, 2002; Lafontant, Ce système les met momentanément à l’abri 2007). Cette étude révèle que le programme de manque financier pour le temps de leurs d’aide au rétablissement (PAR) constituait une études. Ainsi, ils peuvent profiter de ce mo- source principale des revenus des six familles ment pour obtenir un diplôme et apprendre de réfugiés. Ces revenus varient entre 1800 à l’anglais, toute chose qui à long terme facilite 2500 $ par mois pour une famille dont le nom- à coup sûr leur intégration sociale. bre de personnes se situe entre six et onze. Ces familles sont parrainées par le gouvernement Globalement, le payement du loyer constitue pour une durée d’un an, jusqu’à un maximum une grande source de dépenses (voir tableau de deux ans. Leurs enfants recevaient aussi des 3 à la page 11). Qu’il s’agisse de famille de allocations variant entre 250 et 420 $ par mois. réfugiés ou d’immigrants reçus, le logement à À la fin de ce programme, si les membres lui seul engloutit une bonne partie des revenus de ces familles n’obtiennent toujours pas de globaux. Dès leur arrivée à Winnipeg, tous les travail, ils se retrouvent dans l’obligation de nouveaux arrivants n’ont pas la chance d’être s’inscrire à l’aide sociale et leur prestation de accueillis dans un logement subventionné revenu peut diminuer d’environ de moitié. Le du Manitoba Housing, le temps de trouver constat est que le revenu moyen des familles un logement à leur convenance. L’étude de réfugiés pendant qu’ils sont sous l’aide montre que ces familles consacrent une part du gouvernement est approximativement 26 trop élevée de leurs revenus pour se loger. 000 $/an. Ces mêmes familles se retrouvent La dépense de logement constitue pour ceux au seuil de la pauvreté lorsqu’ils dépendent qui sont à l’aide sociale entre 75 % et 80 % du de l’aide sociale (12 000 $ à 15 000 $). Les revenu net familial. Pour les immigrants, la quelques familles (réfugiées ou immigrantes dépense pour le logement se situe entre 28 % reçues) qui parviennent à trouver du travail, et 40 % du revenu familial. gagnent le salaire minimum et sont souvent obligées de faire un double travail pour être Face aux autres dépenses aussi nécessaires capables de subvenir aux besoins essentiels pour la famille, celles consacrées au loge- de leurs familles. ment ne sont pas réductibles. Elles sont fixes et redevables mensuellement jusqu’au terme La situation est différente pour les immi- du bail ou jusqu’à ce que l’on devienne pro- grants reçus. Ces derniers ne bénéficient pas priétaire de son propre logement. Cette situ- du programme gouvernemental de l’aide ation oblige les répondants à développer des au rétablissement. Ils doivent se prendre en stratégies pour s’en sortir. charge personnellement pendant les premiers mois de leur présence avant d’être éligibles à 10 Les immigrants face au logement à Winnipeg
5.4 Stratégies utilisées pour payer répondants annoncent qu’ils se « privent» de le montant du loyer certains besoins importants avec beaucoup de difficultés (E5). Avec leur modeste revenu, qui En matière d’habitation, les répondants se situe entre 891 $ et 1060 $ par mois, ils sont préfèrent de loin loger dans une maison plutôt obligés de « s’adapter et de se priver des choses » que dans un appartement lorsque la famille (E6). Généralement, on se prive de manger à est nombreuse. Qu’il s’agisse d’une maison ou sa faim : « Nous ne pouvons pas nous permettre d’un appartement, le coût de la location reste de prendre les trois repas de la journée » (E3). Bien toujours élevé. Payer le loyer est une charge sûr, les conséquences de cette privation sont fixe et non négociable pour toutes les familles négatives et elles affectent essentiellement les étudiées. Pour ne pas se retrouver dans la enfants : « il y a des matins, les enfants ne partent rue du jour au lendemain, il faut s’acquitter pas avec la nourriture à l’école, mais je n’y peux de cette charge obligatoirement lorsque l’on rien, je ne peux pas faire de miracles, ils vont à est locataire. Avec beaucoup de difficultés, l’école sans manger. Je ne peux pas me couper pour ces familles doivent faire de grandes ponc- leur donner à manger » (E5). tions sur leurs revenus déjà insuffisants pour couvrir toutes les charges qui leur incombent. Conscients de ne pas pouvoir trouver « un Pour ce faire, ils développent trois principales bon loyer avec trois chambres à moins de 750 $ stratégies. par mois » (E5) en dehors des logements sub- ventionnés comme le Manitoba Housing, ceux La privation de nourriture et qui sont sur l’aide sociale font des sacrifices sacrifice personnel personnels énormes: « je fais de mon mieux pour La première stratégie consiste à faire des pri- ne pas tomber malade, car sinon, mes enfants vont vations de nourriture pour payer le loyer. Les faire comment, je supporte et prends mon mal en pa- Tableau 3 : comparaison des dépenses de loyer par rapport au revenu Nombre Prix du loyer Revenu estimé Seuil de faible revenu selon personnes par an par par an par la taille de la famille en zone par famille famille famille urbaine 500 000 et plus interviewée (Statistique Canada, 2008) Réfugiés 6 9 420 12 720 43 869 $ 7 9 960 22 836 48 181 $ 11 22 800 22 404 48 181 $ 7 14 400 18 900 48 181 $ 5 4 524 10 080 39 556 $ 5 11 100 36 000 39 556 $ 3 6 720 20 400 27 844 $ Immigrants 4 9 396 24 000 34 738 $ 3 7 200 15 600 27 844 $ 4 9 240 30 000 34 738 $ 5 10 200 15 840 39 556 $ 3 12 000 + 36 000 27 844 $ Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba 11
tience, et mes enfants me comprennent »(E5). Pour 5.5 Les problèmes générés par la plupart de ces familles, la stratégie consiste l’expérience de logement à réduire dans les autres charges de dépenses La rareté de logements sociaux adéquats dans familiales et prioriser celle du loyer : « je n’ai la ville de Winnipeg fragilise l’intégration so- pas de moyens d’aller vivre ailleurs » (E6). ciale des immigrants d’origine francophone. Pour les répondants de l’étude, la cause est L’entraide et la solidarité claire : « on ne peut pas s’intégrer en vivant dans la rue » (E9). De leur point de vue, l’idéal de Une autre stratégie développée par les fa- logement est celui qui respecte la « dignité de milles consiste à être solidaires entre elles la personne » (E10); un logement qui « respecte et à s’entraider. L’entraide est généralement les normes de sécurité, sans drogue, ni violence, ni une pratique qui porte fruit. À l’initiative des prostitution » (E12); un logement qui « respecte femmes, les familles à faibles revenus parvi- les normes d’hygiène et d’isolement » (E12); un ennent à faire des réalisations qui n’auraient « bien équipé avec une bonne aération et où les jamais été possibles si elles étaient entreprises femmes et les enfants ne stressent pas » (E6). isolément. Ainsi, en dépit de leurs faibles reve- nus, les répondants disent parvenir, ensemble, Leur expérience de logement révèle au con- à assurer la satisfaction de certains besoins traire de nombreux problèmes. Parmi ceux que fondamentaux dans la famille sans toucher l’étude a révélés, il y en a certains qui sont cau- à l’argent du loyer : « Souvent on s’associe avec sés par le voisinage et d’autres par l’étroitesse d’autres dames pour payer la viande de bœuf et de et la promiscuité dans les logements. Ces porc à la ferme, parce que c’est moins cher » (E5). problèmes viennent en sus de ceux portant sur les privations et sacrifices nécessaires pour être en mesure de payer le loyer, faire l’épicerie Le regroupement familial et s’occuper de certaines maladies liées à la Le regroupement de tous les membres de la qualité du logement. famille sous un même toit est un meilleur moyen d’atténuer le coût du loyer. Pour par- Problèmes de voisinage venir à s’acquitter du montant du loyer, les répondants choisissent de vivre ensemble et La plupart des nouveaux arrivants habitent susciter la participation de tous les membres dans des appartements. Certes, ce type de de la famille. Le regroupement familial permet logement comporte bien des avantages comme de réaliser certaines économies par l’entremise la prise en charge des travaux d’entretien et d’entraide et la solidarité des membres. Ainsi, des travaux saisonniers par le propriétaire il faut « négocier tout le temps avec les enfants au profit des locataires. Il comporte aussi des pour qu’ils paient leur part de loyer, se priver de inconvénients. Ceux-ci peuvent s’accroitre certaines choses essentielles pour qu’ils puissent lorsqu’il s’agit de familles nombreuses. La payer le logement » (E3). Pouvoir soutenir la cohabitation de plusieurs familles issues de cherté du loyer devient une situation déses- milieux culturels différents peut mettre en pérante pour certaines familles qui veulent à évidence des comportements individuels tout prix « rester avec tous ses enfants dans une qui ne sont pas toujours compatibles, ce qui, même maison » (E3). Cette volonté de rester en- à la longue, peut installer un climat plutôt semble ne se fait pas sans écueils. Elle entraine préjudiciable au niveau des occupants des ap- d’autres problèmes d’ordre social et sanitaire partements. Ceci explique pourquoi certains que génère la vie en commun. répondants affirment que « beaucoup de bruits dans le voisinage les perturbent et peuvent indis- poser les membres de leur famille » (E8). 12 Les immigrants face au logement à Winnipeg
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