Les immigrants face au logement à Winnipeg - Cas des nouveaux arrivants d'Afrique francophone

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Les immigrants face au logement à Winnipeg - Cas des nouveaux arrivants d'Afrique francophone
Les immigrants face
  au logement à Winnipeg
  Cas des nouveaux arrivants d’Afrique francophone

                              David Alper
                             Halimatou Ba
                             Mamadou Ka
                             Bintou Sacko

Janvier 2012                                                 ISBN: 978-1-926888-94-1
               Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba
Les immigrants face au logement à Winnipeg - Cas des nouveaux arrivants d'Afrique francophone
Contents
1. L'immigration au Canada et ses défis                                                                 1
2. Le Manitoba francophone et l'immigration                                                             2
3. Le logement comme déterminant social et la santé des immigrants                                      3
4. Objectif et méthodologie de l'étude                                                                  4
5. Conditions de logement et santé des immigrants francophones à Winnipeg                               6
		 5.1 Conditions socio-économiques des répondants                                                      6
		 5.2 Expérience d'accès au logement                                                                   7
		 5.3 Capacité de se loger selon les revenus                                                           9
		 5.4 Stratégies utilisées pour payer le montant du loyer                                              11
		 5.5 Les problèmes générés par l'expérience de logement                                               12
		 5.6 L'impact des conditions de logement sur l'état de santé                                          14
		 5.7 Les solutions collectives pour contrer la crise de logement                                      15
Conclusion		                                                                                            16
Bibliographie		                                                                                         19

Connaître les Auteurs
David Alper est professeur à l’École de service       Mamadou Ka est agent de projets immigration
social de l’Université de Saint-Boniface.             pour le Consortium national de formation en
                                                      santé à l’Université de Saint-Boniface.
Halimatou Ba est professeure adjointe à
l’École de service social de l’Université de          Bintou Sacko est gestionnaire à l’Accueil
Saint-Boniface.                                       francophone du Manitoba.

Remerciements
Cet article a été écrit grâce à une subvention        financé par les Alliances de recherches univer-
reçue dans le cadre du projet de recherche The        sités-communautés du Conseil de recherches
Manitoba Research Alliance for Transforming           en sciences humaines du Canada.
Aboriginal and Inner-city Communities et

             Vous pouvez télécharger ce rapport gratuitement à partir du site Web du CCPA dont l’adresse est
                  http://www.policyalternatives.ca. Il est possible d’en commander des exemplaires imprimés,
                                               au prix de 10 $, en communiquant avec le bureau manitobain.

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Les immigrants face au logement à Winnipeg
Cas des nouveaux arrivants d’Afrique francophone
Introduction1

La présente étude se propose de comprendre           sur leur état de santé et de connaître leurs
la situation des immigrants francophones face        perceptions quant aux solutions collectives
à la question de logement à Winnipeg. Basée          qu’ils préconisent.
sur l’approche des déterminants sociaux de la
santé (Morin et Baillergeau, 2008), elle a pour      Ce rapport présente d’abord un exposé bref de
objet de voir dans quelle mesure le logement         la question de l’immigration au Canada et ses
peut être un facteur essentiel en termes de          défis au Manitoba avant d’aborder la question
bien-être social et de santé dans le processus       de logement comme déterminant social, qui est
d’établissement des nouveaux arrivants fran-         traitée en faisant ressortir le lien avec la santé
cophones d’origine africaine à Winnipeg. Le          des immigrants. Ensuite, après une description
manque de logement reste une des grandes             de la démarche méthodologique adoptée pour
questions sociales pour la ville de Winnipeg.        générer et analyser les données recueillies, les
Le Conseil de planification sociale de Win-          résultats de l’étude sont exposés. Ils relatent
nipeg (2009) parle déjà de crise et des lacunes      l’expérience de logement des répondants en
dans les logements locatifs en particulier dans      mentionnant leur capacité et les stratégies
le quartier Saint-Boniface. Il attire l’attention    utilisées pour se loger selon leurs revenus.
sur des répercussions possibles auprès des           Puis, sont exposés les problèmes générés sur
immigrants francophones devant habiter loin          le plan social et de la santé et les solutions
de leur communauté. Dans le contexte de              envisagées. Enfin, une conclusion résume la
transformations sociales, de modernisation et        situation en faisant ressortir le rôle de l’État
de l’immigration massive, il semble nécessaire       dans la résolution de la question de logement
pour la ville de Winnipeg de s’ajuster du côté       social à Winnipeg.
de l’habitat.

Cette étude qualitative, exploratoire et descrip-    1. L’immigration au Canada
tive s’inscrit dans l’élaboration des stratégies        et ses défis
de lutte contre le mal-logement des immigrants       Le Canada, avec ses 250 000 nouveaux arriv-
francophones nouvellement arrivés à Winni-           ants par année, renforce la tendance qui fait
peg. Réalisée auprès de 12 familles africaines       de l’Amérique du Nord, une destination de
francophones, elle vise à mieux connaître leurs      plus en plus privilégiée pour l’immigration. En
conditions de logement et l’effet de celles-ci sur   effet, de simples candidats reçus, des réfugiés
leur santé. Le nombre réduit de l’échantillon        et les membres de leurs familles arrivent mas-
constitue une limite à cette étude et rend non       sivement pour s’y installer. Ils sont admis dans
généralisables les résultats. Néanmoins, ceux-       le pays d’accueil pour des raisons humani-
ci ont permis de cerner certains problèmes           taires et pour pallier à la double problématique
d’accès au logement adéquat et abordable que         qui vise à maintenir le renforcement de la dé-
ces personnes éprouvent. Ils ont aussi permis        mographie et le développement de l’économie
de saisir l’effet des conditions de logement         (Vatz-Laaroussi, 2008).

1 Nous remercions Blandine Ngo Tona et Marième Wane pour leur précieuse collaboration à la réalisation
  de cette recherche.

Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba                                                         1
Plusieurs études (Legault, 2000; Vatz-Laarous-       à leur accès aux logements adéquats compte
si, 2008) font état des problèmes d’intégration      tenu de la taille de leurs familles.
des nouveaux arrivants dans une société qui,
à l’instar de beaucoup d’autres sociétés occi-
dentales et nord-américaines, est caractérisée       2. Le Manitoba francophone
par un mode de vie individualiste et égalitaire.     		 et l’immigration
Ce modèle correspond à la fois à l’autonomie,        L’immigration au Manitoba est considérée
à l’indépendance de la personne, à l’égalité         comme un facteur très important dans la
entre l’homme et la femme, et à la primauté          croissance démographique de la province. En
de l’individu sur le groupe (Cohen-Emerique,         effet, pour les autorités gouvernementales, elle
1990). En plus, ce contexte exige pour la plu-       est vue comme une stratégie permettant de
part de ces nouveaux arrivants de s’adapter          combler le déficit humain de la force de travail
à la culture du pays d’accueil, et de faire face     manitobaine causé par le vieillissement de la
aux accommodements nécessaires qu’exige le           population et la faiblesse du taux de natalité
changement de pratiques et de comportements          (Carter, Pandey et Townsend, 2010). En 2003,
culturels.                                           le Manitoba s’est fixé un objectif d’accueillir 10
                                                     000 nouveaux arrivants par année. Ce nombre
Si les critères sélectifs de l’immigration peu-      a déjà été dépassé plusieurs fois. En 2007, la
vent favoriser une bonne intégration en terre        province a reçu 10 995 immigrants (Gouverne-
d’accueil canadienne, des études ont révélé          ment du Manitoba, 2007). Ce succès lui a
des facteurs qui fragilisent et déstabilisent ces    permis de reconsidérer à la hausse son objectif
nouveaux arrivants dans le contexte postmi-          d’accueil annuel à 20 000 nouveaux arrivants à
gratoire. Plusieurs facteurs expliquent leurs        partir de 2016, et d’être ainsi considéré comme
difficultés à bien s’intégrer dans la société        l’un des chefs de file en matière d’immigration
(Rojas-Viger, 2007; Vatz Laaroussi, 2001; Mar-       au Canada.
tin, 2005; Campanile, 2007). D’abord, dans
leur recherche d’emploi, ils se heurtent aux         La communauté francophone du Manitoba
difficultés de la non-reconnaissance de leurs        n’est pas restée indifférente à tous ces avan-
diplômes, de leur non-qualification, de leur         tages provinciaux et a su en tirer profit. Elle
manque d’expériences « canadiennes » de              a choisi de considérer l’immigration comme
travail antérieures. Au cas où ils arrivent avec     un facteur de croissance démographique et
des expériences, celles-ci peuvent s’avérer non      surtout linguistique. Déjà dans les années
adaptées au contexte. Le plus souvent, il faut       quatre-vingt-dix, 2 400 immigrants (dont 841
réapprendre à travailler et apprendre une au-        francophones) avaient choisi les communautés
tre langue, notamment l’anglais à Winnipeg,          francophones en milieu minoritaire, 60 % de ce
pour avoir accès à un travail intéressant. En-       nombre avaient pour origine l’Europe et seule-
suite, en dépit des diverses précautions prises      ment 16 % provenaient du continent africain.
avant leur arrivée en terre d’accueil, ils peuvent   La tendance s’est par la suite renversée, car la
souvent demeurer longtemps sans travail.             majorité des immigrants, dorénavant, viennent
Et s’ils parviennent à en trouver, les revenus       principalement de l’Afrique, des Caraïbes et
peuvent s’avérer insuffisants ou irréguliers.        de l’Asie (Ka, 2007).
Ce faisant, sous le poids de la charge des fa-
milles, souvent nombreuses, leurs économies          Sous l’égide de la Société franco-manitobaine,
accumulées peuvent diminuer rapidement et            le projet Agrandir l’espace francophone au
finalement se réduire à rien. Toutes ces difficul-   Manitoba : toile de fond commune 2001-2050
tés peuvent constituer des paramètres hostiles       est proposé aux franco-manitobains. De
                                                     nombreuses rencontres communautaires ont

2                                                       Les immigrants face au logement à Winnipeg
permis d’élaborer un certain nombre de pri-        stigmatisation. Parmi les populations plus
orités, notamment « la révision des politiques     fragiles, le mal-logement risque d’affecter les
fédérales et provinciales quant aux réfugiés,      immigrants.
la rétention des étudiants internationaux et
les immigrants francophones reçus dans nos         Les difficultés d’acquisition d’un logement
communautés » (Therrien, 2002). Pour faci-         peuvent contraindre les immigrants à la pré-
liter l’établissement des nouveaux arrivants,      carité sociale. Le logement, particulièrement
l’Accueil francophone du Manitoba est mis          celui décent et adéquat, représente un milieu
sur pied en 2003.                                  de vie qui permet l’épanouissement de tous
                                                   les membres de la famille. Il constitue aussi
Au début des années 2000, nous assistons à         une passerelle pour une bonne intégration
un grand changement dans la provenance des         sociale. Pour ces immigrants, la non-obtention
nouveaux arrivants, car environ 85 % d’entre       de logements convenables et les difficultés d’y
eux étaient des Noirs venus principalement         avoir accès peuvent générer des problèmes de
d’Afrique (Ka, 2007). Ces derniers revêtent        santé et contribuer à l’émergence d’un proces-
une triple casquette de minorités au Mani-         sus d’exclusion sociale si certaines conditions
toba : immigrants, francophones, et minorités      ne sont pas réunies. Comme milieu physique,
visibles. Et, pour Lafontant (2007) ce fait est    un bon logement est particulièrement déter-
plus souvent source de discrimination pou-         minant pour la préservation d’un bon état
vant être un obstacle à leur intégration dans      de santé. Selon Morin et Pori (2007), le loge-
la communauté d’accueil. Ces discriminations       ment, comme déterminant social de la santé,
concernent le domaine économique, profes-          est indispensable pour une meilleure qualité
sionnel et spécialement celui du logement, qui     de vie. Ainsi, point d’insertion permettant de
est l’objet principal de cette étude.              situer l’individu dans son environnement, le
                                                   logement permet d’établir des opportunités
                                                   d’accès à divers réseaux formels et informels.
3. Le logement comme                               Ce faisant, il peut faciliter l’intégration des
		 déterminant social et                           nouveaux immigrants, notamment les réfugiés
		 la santé des immigrants                         à Winnipeg (Carter et al, 2008). Il leur permet
Dans la communauté francophone, l’accès au         de reconstruire leur identité personnelle et so-
logement représente une question très impor-       ciale, tout en facilitant le processus d’insertion
tante. La très grande majorité des nouveaux        postmigratoire dans la société d’accueil (Enns,
arrivants préfèrent s’installer à Saint-Boniface   2005).
pour jouir de la proximité des nombreux
services en français que peuvent leur offrir la    Par ailleurs, la bonne santé n’est pas seule-
communauté et l’Accueil francophone. Durant        ment l’absence de maladie, c’est aussi la
ces cinq dernières années, le manque de loge-      présence de l’ensemble de conditions socio-
ment oblige la plupart d’entre eux à s’établir     environnementales satisfaisantes pour le bien-
ailleurs à Winnipeg, loin de Saint-Boniface.       être des populations. À cet effet, Carter et al
S’il est connu maintenant qu’un réel « chez-       (2008) affirment qu’un logement inabordable,
soi » stable constitue un endroit déterminant      surpeuplé, non sécuritaire peut causer des
pour les personnes vulnérables (Dorvil,            ennuis à tout le processus d’intégration. Le
Morin et Robert, 2001), ce lieu peut être aussi    Rapport Lalonde (1974) indique que la santé
l’endroit de toutes les contradictions sociales    des individus dépend autant des réseaux des
dans les centres urbains tel que Winnipeg et       soins de santé que des facteurs en dehors de
générer les problèmes de ghettoïsation et de       ces réseaux. Thériault et Gill (2007 : 77) esti-
                                                   ment que « ... le milieu physique compte pour
Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba                                                   3
10 %, et les facteurs sociaux et économiques         qualité. Il peut être très décisif dans le choix
comptent pour 50 % de l’état de santé d’une          de la zone de localité, du prix de location ou
population. » C’est dire que 60 % de la qualité      d’achat et des possibilités d’acquisition pour
de la santé dépendent des facteurs socioéco-         des groupes sociaux de revenus modestes
nomiques et du milieu physique.                      (Carter et al, 2009). Selon le State of the Inner
                                                     City Report du Centre canadien de politiques
Il est donc tout à fait logique que l’Organisation   alternatives Manitoba, l’insuffisance de bons
mondiale de la santé reconnaisse en 2008 le          logements abordables demeure toujours un
logement comme « préalable de base pour              grand défi dans les quartiers défavorisés de
la santé ». L’on peut dire à cet égard que les       Winnipeg (CCPA, 2008).
chercheurs n’ont commencé à s’intéresser à ce
domaine que tout récemment. Selon la Société         Concernant les nouveaux arrivants, négliger
canadienne d’hypothèque et de logement,              ces facteurs, pourrait compromettre leur in-
un ménage éprouve des besoins impérieux              sertion dans la ville de Winnipeg et entrainer
lorsqu’il n’est pas en mesure de se trouver          des répercussions négatives sur leur état de
un logement abordable et conforme aux nor-           santé. L’habitat est devenu un lieu essentiel
mes de taille et de qualité, ne dépassant pas        d’intégration et d’insertion sociale, de protec-
un plafond de 30 % du revenu du ménage               tion et de stabilité. Il permet aux immigrants
(SCHL, 2008). L’étude de Carter et al (2008)         la construction d’un lieu de support identi-
révèle que les ménages des réfugiés sont plus        taire, de sécurité psychologique, culturelle et
nombreux que la moyenne et ont donc besoin           civique. Il peut promouvoir le maintien d’une
de logements plus grands. Déjà en 2006, 37 %         bonne santé. On présume que le fait d’en
des ménages locataires à Winnipeg débour-            disposer peut favoriser une meilleure qualité
saient plus de 30 % du revenu familial pour se       de vie et renforcer la santé et le mieux-être.
loger (CMHC, 2005). Cette tendance se main-          Par contre, son manque pourrait causer des
tient-elle aujourd’hui? Qu’en est-il pour les        préjudices et des problèmes de santé chez les
nouveaux arrivants francophones demeurant            mêmes populations, particulièrement pour
actuellement à Winnipeg?                             celles nouvellement arrivées. Cette recherche
                                                     s’intéresse particulièrement à la question
En matière de santé, les études ont clairement       d’accès au logement pour les immigrants fran-
démontré des liens entre la pauvreté, les            cophones nouvellement arrivés à Winnipeg.
conditions socioéconomiques et les problèmes         Elle tente de cerner leurs expériences de loge-
de santé (Carter et al, 2008; Fernandez et al,       ment et faire le lien avec d’éventuels problèmes
2010). Selon un rapport de l’Institut canadien       de santé qu’ils ont pu vivre. De façon précise,
d’information sur la santé, les Canadiens dont       la question de recherche est de connaître quels
le statut socio-économique est considéré faible      sont les problèmes liés au logement que vivent
sont plus susceptibles d’être hospitalisés pour      les nouveaux arrivants francophones et leurs
plusieurs formes de problèmes de santé que           familles à Winnipeg, l’effet de ces problèmes
d’autres personnes de statut différent (ICIS,        sur la santé de ces derniers et leurs solutions
2008). Une étude de Santé Manitoba (Postl,           collectives.
1995) indiquait déjà des coûts additionnels
pour le système de santé, et que les personnes
les plus pauvres étaient dix fois plus à risque      4. Objectif et méthodologie
d’être hospitalisées que les personnes les plus      		 de l’étude
riches.                                              Cette recherche part du postulat que
Le coût constitue une des variables détermi-         l’accessibilité à des logements décents con-
nantes à l’accessibilité au logement de bonne        stitue un droit humain fondamental, comme

4                                                       Les immigrants face au logement à Winnipeg
le confirme d’ailleurs la littérature abondante     Il permet aussi de recueillir leurs perceptions
ci-dessus mentionnée. Le défaut de ce loge-         des solutions collectives à la question de loge-
ment décent peut entrainer un impact négatif        ments sociaux.
sur leur santé.
                                                    Après étude des dossiers, une première sé-
Son objectif principal est de connaître les fac-    lection a été faite. Vingt-quatre familles (12
teurs qui déterminent les conditions de loge-       familles d’immigrants reçus et 12 familles de
ment des nouveaux arrivants francophones            réfugiés) ont été choisies et sélectionnées selon
à Winnipeg, leurs conséquences sur l’état de        les critères suivants :
santé de ces derniers et les perceptions et so-     • Nombre de personnes dans la famille
lutions collectives ces derniers proposent. De        (taille)
façon spécifique il s’agit de :
                                                    • Familles qui connaissent des défis par
• décrire les conditions socioéconomiques             rapport à la gestion du budget
  des nouveaux arrivants francophones
                                                    • Personnes qui sont sur l’aide sociale
• décrire leurs expériences d’accès aux
  logements                                         • Lieu d’habitation

• décrire l’impact de leurs conditions de           • Difficultés d’intégration socio-
  logement sur leur état de santé                     économique.

• décrire leurs perceptions et les solutions        Plusieurs familles dans cette base de données
  collectives qu’ils envisagent                     répondaient à ces critères. Le recours à l’avis
                                                    expert et éclairant des informatrices-clé, en
La recherche est effectuée sur la base d’une        service à l’Accueil francophone, a été déter-
méthodologie qualitative. Le recueil des in-        minant pour fixer un choix définitif.
formations essentielles a nécessité la mise en
œuvre des stratégies qui soutiennent la cohé-       La technique d’échantillonnage adoptée est
rence méthodologique de la recherche tout en        typique et non aléatoire. Elle a consisté à
faisant le lien avec la spécificité de la méthode   faire appel à des volontaires pour constituer
de cueillette et d’analyse des matériaux empi-      l’échantillon. Elle a l’avantage de permettre
riques (Denzin et Lincoln, 1994).                   de joindre facilement des personnes désirées
                                                    (Gauthier et al, 2009). Pour chaque famille sé-
La population ciblée est constituée de l’en-        lectionnée, le chef a été contacté au téléphone
semble des nouveaux arrivants francophones          pour l’informer du but de la recherche, avoir
inscrits dans la base de données de l’Accueil       sa disponibilité et son consentement quant à
francophone, organisme communautaire qui            réaliser une entrevue. Finalement, seulement
a servi de tremplin pour accéder à la popula-       douze familles ont répondu positivement et
tion ciblée. Cette base de données réfère à la      ont accepté à réaliser une entrevue.
clientèle immigrante reçue et déjà identifiée
comme étant des francophones. Dans cette            Toutes ces personnes qui ont voulu participer à
base de données ont été ciblées les personnes       l’étude ont été invitées à remplir un formulaire
dont le séjour à Winnipeg couvre une période        de consentement qui les informe des condi-
minimale de deux ans et maximale de cinq            tions de leur participation. Par la suite, une
ans. Ce délai de séjour parait suffisant pour       entrevue en profondeur d’une durée d’environ
pouvoir cerner à titre exploratoire autant de       une heure à une heure et demie a été réalisée
difficultés que peuvent rencontrer ces per-         auprès de ces mêmes personnes. Le canevas
sonnes en matière de logement et des consé-         d’entretien contient une liste de questions
quences d’être mal logé sur leur état de santé.     ouvertes élaborées à partir des objectifs de la

Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba                                                   5
recherche. Toutes les personnes interviewées          le prix du loyer, les difficultés et les problèmes
ont reçu une compensation pour leur partici-          sociaux générés par cette expérience de loge-
pation à l’étude.                                     ment et leur impact sur l’état de santé des
                                                      répondants. Ces derniers s’expriment aussi
Leurs propos ont été recueillis suite à des ent-      sur des solutions collectives à déployer pour
revues semi-dirigées. Les informations ont été        faire face à la crise de logement.
transcrites, puis analysées selon la méthode
de l’analyse du contenu (L’Écuyer, 1990). Les
résultats obtenus ont permis de comprendre            5.1 Conditions socio-économiques
l’expérience de logement des nouveaux arriv-          			 des répondants
ants francophones à Winnipeg. La compilation          Plusieurs caractéristiques de ces familles ont
des données analysées a permis de produire            été explorées. Parmi les douze familles rencon-
ce rapport.                                           trées, dix vivent en couples avec leurs enfants.
                                                      Les deux familles restantes sont monoparen-
Par ailleurs, nous sommes conscients que le
                                                      tales, composées de veuves vivant avec leurs
nombre de personnes interviewées est très
                                                      enfants.
restreint, ce qui constitue une limite à l’étude et
donc ne permet pas une généralisation. Cepen-         Parmi ces familles, sept sont composées de
dant, les témoignages collectés expriment des         réfugiés d’origine congolaise et rwandaise.
expériences individuelles qui ont permis de           Les cinq autres répondants sont constitués
faire ressortir suffisamment de données spéci-        d’immigrants reçus provenant d’autres na-
fiques liées au thème et l’étude a le mérite de       tionalités (Maroc, Guinée, Côte d’Ivoire, Togo)
valider certaines connaissances déjà générées         qui ont choisi de venir s’installer librement au
dans un autre contexte différent.                     Manitoba pour diverses raisons.

                                                      Dans ces familles, les répondants ont l’âge
5. Conditions de logement                             compris entre 33 ans et 61 ans. Une nette dif-
		 et santé des immigrants                            férence est notée lorsqu’il s’agit de la taille
		 francophones à Winnipeg                            de ces familles. Elle est généralement assez
Les résultats de la recherche légitiment la de-       grande et peut compter jusqu’à 11 enfants
scription des conditions socio-économiques            parmi les réfugiés. En plus de leurs propres
des répondants, leurs expériences et capacités        enfants, les réfugiés ont d’autres personnes à
d’accès au logement en fonction de leurs rev-         charge qui vivent avec eux.
enus, les stratégies qu’ils déploient pour payer

Tableau 1 : caractéristiques sociales des répondants
                             Immigrants                  Réfugiés
    Âge                      33 à 37                     33 à 61 ans
    Origine                  Côte-d’Ivoire,              Congo, Rwanda
                             Guinée, Maroc, Togo
    Statut                   mariés (5)                  veuves (2), mariés (5)
    Scolarité universitaire (5)                          école secondaire (5),
    		                                                   collégial (2)
    Taille de la famille     3 à 5 personnes             3 à 11 personnes
    Nombre de familles       5                           7

6                                                        Les immigrants face au logement à Winnipeg
La recherche révèle une différence de niveau        5.2 Expérience d’accès au logement
de scolarité entre les réfugiés et les immigrants
                                                    Les participants à cette étude ont connu di-
reçus, avec un impact évident sur leur inser-
                                                    verses expériences d’accès au logement. Il y en
tion au travail. Pour tous les réfugiés qui ont
                                                    a qui ont transité dans les structures d’accueil
participé à l’étude, le niveau de scolarité est
                                                    financées par le ministère de l’immigration,
minimal. Il varie entre la 8eet la 12eannée
                                                    notamment à Welcome Place, avant de se trou-
(équivalence ici au Canada). La plupart ont
                                                    ver un logement à eux. Généralement, c’est le
perdu leurs diplômes pendant la guerre civile
                                                    cas pour les réfugiés qui sont pris en charge
et les déplacements. Ils doivent reprendre leurs
                                                    dès leur arrivée par le gouvernement. La forme
études ici pour avoir un diplôme secondaire.
                                                    d’accueil est différente pour les immigrants
Cette situation les rend plus vulnérables par
                                                    reçus. Ces derniers doivent se prendre en
rapport aux immigrants reçus sur le plan de
                                                    charge eux-mêmes durant leurs trois pre-
l’obtention d’emplois stables et suffisamment
                                                    miers mois à partir de leur entrée au Canada.
bien rémunérés. Le manque ou l’insuffisance
                                                    Certains ont été accueillis par un parent déjà
d’instruction, associé parfois à la non-maitrise
                                                    établi alors que d’autres ont dû transiter dans
de l’anglais compromet sérieusement leur in-
                                                    un hôtel, une auberge ou prendre une chambre
sertion sur le marché de l’emploi, comme l’ont
                                                    dans des familles d’accueil avant de trouver un
prouvé d’autres études (Martin, 2005). La plu-
                                                    logement pour eux-mêmes.
part des familles de réfugiés rencontrées sont
sans emploi depuis au moins deux ans. Les           Le tableau ci-dessus souligne le fait que seule-
autres qui trouvent du travail sont employés        ment deux répondants sur 12 habitent Saint-
à temps partiel ou sur appel certains soirs et      Boniface alors que l’idéal serait, pour les auto-
fins de semaines.                                   rités communautaires, que ces derniers soient
                                                    concentrés dans la localité francophone (voir
Pour ce qui est des immigrants reçus, quelle
                                                    tableau 2 à la page 8). En effet, les répondants
que soit leur origine, leur niveau de scolarité
                                                    habitent différents quartiers de la ville de Win-
est souvent assez élevé. Il correspond re-
                                                    nipeg et les zones principalement ciblées sont :
spectivement au baccalauréat, voire même
                                                    le centre-ville, St-Vital, St-Boniface, Windsor
à la maitrise. Ce niveau élevé de formation
                                                    Park, Southdale, East Kildonan et le North
explique leur grande capacité à s’intégrer plus
                                                    End. On remarque que bien que les répondants
rapidement que les réfugiés dans le marché
                                                    soient des francophones, le manque de loge-
de l’emploi. Ce haut niveau d’instruction ne
                                                    ment les oblige à habiter dans les quartiers où
se traduit pas forcément en un atout pour ces
                                                    le français est moins parlé. La plupart d’entre
immigrants reçus. Plusieurs entre eux ne sont
                                                    eux demeurent dans les quartiers centraux,
pas forcément assurés de pouvoir travailler
                                                    une zone en déclin. Ils y sont attirés par les
dans leur domaine respectif de compétence.
                                                    logements plus abordables, mais qui sont de
Les résultats indiquent que ceux qui trouvent
                                                    moindre qualité (Carter et al, 2009; Madariaga
du travail s’exercent à travers divers emplois
                                                    et al 2005). En effet, les propos de ce répon-
tels que : enseignant de français, agent de
                                                    dant en donnent un témoignage: «la fenêtre de
sécurité, conseiller en emploi, agent de di-
                                                    la chambre est cassée, c’était cassé et ils ont mis du
rection. Pour bien se tirer d’affaire face aux
                                                    scotch dessus et ils ont promis de changer ça et là,
problèmes sociaux qu’ils rencontrent, il y en
                                                    le chauffage de la chambre des enfants faisait un
a qui cumulent plusieurs emplois. D’autres
                                                    grand bruit…on a fait cinq mois là-bas, ils n’ont
préfèrent retourner aux études pourvu qu’ils
                                                    pas changé la moquette ni la fenêtre ni le chauffage
aient l’opportunité d’être financés par les prêts
                                                    donc on est resté dans ça donc on payait 650 plus
et bourses comme ils y ont droit.
                                                    Hydro…», «...dans la douche il y avait un trou en

Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba                                                        7
dessous du plafond où on se lave, quand les autres    fois. Les motifs du déménagement sont liés
se lavent là ça verse chez nous. Le propriétaire      au coût élevé du loyer, au caractère transitoire
m’a dit d’accord que ça va s’arranger, mais ils       du logement d’accueil ou encore à la qualité
n’ont rien arrangé jusqu’à présent (E8). Carter       du logement qui ne convient pas à la famille.
et al (2009), ces personnes acceptent d’habiter       Une étude faite sur des réfugiés (Enns et al,
dans ces zones, marquées par un taux élevé            2009) révèle qu’ils ont de la difficulté à trouver
de chômage, de pauvreté, de criminalité et            des logements abordables. Ce problème est
des problèmes de sécurité, grâce à l’avantage         d’autant plus sérieux qu’ils manquent de ren-
qu’elles ont de vivre à proximité des services        seignements essentiels fiables concernant les
communautaires.                                       logements et les caractéristiques des quartiers.
La majorité d’entre eux habitent dans des loge-       À Winnipeg, ils faisaient preuve d’une très
ments de type appartement, à l’exception de           grande mobilité, et 93% d’entre eux ont démé-
trois familles qui demeurent dans de grandes          nagé au moins une fois au cours de la première
maisons de sept à neuf pièces. Toutes les mai-        année (Enns et al, 2009), ce qui corrobore avec
sons, à l’exception d’une maison au centre-           les résultats de cette présente étude.
ville, sont pourvues d’équipement de base
                                                      La sécurité dans ces logements ne les préserve
(laveuse, sécheuse, poêle et frigo).
                                                      pas d’être victime de discrimination. Des ac-
L’étude a montré que huit sur 12 familles ont         cusations sont portées contre les propriétaires
déménagé au moins une fois et au plus trois           de logement qui exigent la crédibilité des lo-

Tableau 2 : expériences de logement
    Nbre   Zone           Type de     Nbre      Démén    Discrimination                Sentiments
    pers   habitation     logement    pièces    agement		                              d’insécurité
    Réfugiés
    6 Centre-ville appart 6 oui (1)                         oui, par le                oui
    					                                                   Manitoba Housing
    7 St-Vital appart 6 non                                 oui, par le                non
    					                                                   Manitoba housing
    11     East Kildonan maison       9         non         non                        oui
    7      Centre-ville   maison      7         non         non                        pas de réponse
    5      Centre-ville   maison      7         oui         oui, ancien logement       non
    5 St-Vital appart 5 oui (3)                             oui, travail, historique   oui
    					                                                   de carte de crédit
    5 St-Vital appart 5 oui (3)                             oui, travail, historique   oui
    					                                                   de carte de crédit
    3      St-Boniface    appart      4         oui (3)     oui, parce que noire       oui
    Immigrants
    4      Windsor Park   appart      5         non         non                        oui
    3      North End      appart      5         oui (2)     oui                        non
    4 Southdale appart 5 oui                                oui, historique de         oui
    					                                                   carte de crédit
    5      St-Boniface    maison      6         oui         oui, par le concierge      oui
    3      St-Vital       maison      9         oui         non                        oui

8                                                         Les immigrants face au logement à Winnipeg
cataires par le biais de leur histoire de crédit         la même chose, c’est un chèque et puis moi je lui
et de leur expérience de travail : « Bien sûr, bien      paye avec la carte c’est la même chose et il dit qu’il
sûr ici il y a d’autres problèmes encore lorsque je      ne reçoit personne après 17 h. Ben c’est une discri-
viens d’arriver, on te demande d’abord OK! Est-          mination et j’ai posé plainte au « manager » du bloc,
ce que tu as déjà travaillé tandis que toi tu viens      mais j’ai rien reçu comme réponse » (E10).
d’arriver tu n’as pas encore l’expérience et eux ils
demandent d’abord l’expérience et deuxièmement           Les propriétaires d’immeubles refusent
ils demandent si tu as les cartes de crédit ou bien si   d’attribuer des logements aux immigrants qui
tu as beaucoup de trucs on te demande qu’ils vont        ont des enfants, sous prétexte que ces derni-
essayer de voir ça, c’est un peu difficile donc ce       ers font du bruit : « c’est que j’avais trouvé une
n’est pas vraiment bien pour les nouveaux venus.         première maison de deux chambres plus salon
Il y a beaucoup de trucs qu’on demande tandis que        et le propriétaire m’avait demandé de remplir le
tu n’as pas encore travaillé, tu cherches la maison      formulaire de demande, je l’ai fait, et à la dernière
donc si tu ne réponds à leurs choses là donc on te       minute il m’appelé pour me dire que comme j’ai
donne pas la maison » (E7).                              un enfant de 8 ans, lui ne peut pas me donner la
                                                         maison parce que l’enfant va faire beaucoup de bruit
À la limite, il peut s’agir de racisme selon ces         et donc à cause de cela il a refusé de me donner la
deux répondants : « Quand j’habitais d’abord             maison. Pourtant la maison quand je suis allé,
à Talbot là lorsqu’on voit toujours un noir c’est        l’immeuble était en plein rénovation, il y au moins
vraiment un problème c’est comme si j’avais              trois appartements libres je devais faire mon choix,
un problème avec les propriétaires de la maison.         mais il a refusé. C’est quelque part à 50 mètres de
Lorsque les gens viennent te voir à la maison il y       Henderson Highway » (E8).
a toujours un problème là chaque jour on dit que
c’est toi qui amènes beaucoup de gens dans la mai-       Comme alibi, les propriétaires mettent en
son, mais ce n’est pas ça » (E7) ; « une fois je suis    avant la non-employabilité des épouses des
partie à Windsor Park trouver un appart, qu’on           immigrants pour refuser de leur louer un
m’a accepté, après quand je me suis présentée, ils       appartement. Cela s’est passé à Wolseley : «...
ont dit qu’ils n’en ont pas, mais il y en avait, car     elle (la propriétaire) disait aussi que ma femme est
il y avait une pancarte dehors qui montrait que          arrivée nouvellement et qu’elle ne travaille pas et
l’appartement est disponible encore. Parce que je        que celui qui louait la maison auparavant c’est-à-
suis Noire» (E11).                                       dire avant que moi j’arrive là-bas, le jeune vivait
                                                         avec sa copine et leur relation n’a pas été fructueux
Parfois, c’est l’attitude des concierges qui est         donc la femme a décidé de quitter et le garçon seul
fustigée par les répondants : «…la personne (le          n’arrivait plus à payer le loyer donc dû de cette
concierge), agit différemment avec moi quand il          expérience là, elle a décidé de donner à un couple où
s’agit de payer par exemple le loyer avec la carte.      tous les deux membres du foyer travaillent » (E8).
Ben, on s’est habitué que les anciens payent n’im-       Dans cette étude, les répondants ont claire-
porte quand. Eh bien, eux les nouveaux je dirais         ment signifié qu’ils éprouvent de la difficulté
étaient un peu orgueilleux. Ben ils ne parlent pas       de trouver un logement pour des raisons assez
beaucoup avec les gens, ils étaient tellement impo-      discriminatoires.
lis. Ben ce qui s’est passé, une nuit je l’ai appelé
en disant voilà je vais payer le loyer, il m’a dit non
notre temps du travail après 17 h il ne reçoit per-      5.3 Capacité de se loger
sonne. OK voilà, OK si vous le faites avec tout le       			 selon les revenus
monde alors OK. Après juste 10 minutes comme ça,         À Winnipeg, le fait de travailler n’est pas une
une autre personne est venue avec un chèque (un          garantie qui met à l’abri de la pauvreté. Selon
Canadien), il lui a permis, là, vous voyez. Ben c’est    le CCPA (2008), un travailleur sur cinq à temps

Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba                                                             9
plein ou à mi-temps gagne un salaire annuel         l’aide sociale. S’ils ne trouvent pas de travail
minimum, inférieur à 17 550 $, ce qui ne les        entre temps, leurs économies s’épuisent con-
préserve pas de la pauvreté. Pour le CCPA,          sidérablement et ils deviennent des personnes
le salaire minimum devrait passer à 13 $ de         à risques. Pour les familles immigrantes dans
l’heure pour permettre aux familles compre-         cette étude, les revenus se situent entre 10 000 $
nant au moins trois personnes de subvenir aux       (minimum) et 40 000 $ et plus par année. Ce
besoins primaires et d’avoir une maison.            montant ne les classe pas très loin du seuil de
                                                    faible revenu selon la taille de leur famille.
La plupart des nouveaux arrivants ne travail-       Le retour aux études que préfèrent certains
lent pas. Les raisons souvent invoquées sont        d’entre eux leur offre la possibilité de faire des
relatives au manque d’expérience, non-recon-        prêts et bourses dont la fourchette d’emprunt
naissance des diplômes, manque de quali-            est comprise entre 20 000 et 30 000 $ par an.
fication requise (Therrien, 2002; Lafontant,        Ce système les met momentanément à l’abri
2007). Cette étude révèle que le programme          de manque financier pour le temps de leurs
d’aide au rétablissement (PAR) constituait une      études. Ainsi, ils peuvent profiter de ce mo-
source principale des revenus des six familles      ment pour obtenir un diplôme et apprendre
de réfugiés. Ces revenus varient entre 1800 à       l’anglais, toute chose qui à long terme facilite
2500 $ par mois pour une famille dont le nom-       à coup sûr leur intégration sociale.
bre de personnes se situe entre six et onze. Ces
familles sont parrainées par le gouvernement        Globalement, le payement du loyer constitue
pour une durée d’un an, jusqu’à un maximum          une grande source de dépenses (voir tableau
de deux ans. Leurs enfants recevaient aussi des     3 à la page 11). Qu’il s’agisse de famille de
allocations variant entre 250 et 420 $ par mois.    réfugiés ou d’immigrants reçus, le logement à
À la fin de ce programme, si les membres            lui seul engloutit une bonne partie des revenus
de ces familles n’obtiennent toujours pas de        globaux. Dès leur arrivée à Winnipeg, tous les
travail, ils se retrouvent dans l’obligation de     nouveaux arrivants n’ont pas la chance d’être
s’inscrire à l’aide sociale et leur prestation de   accueillis dans un logement subventionné
revenu peut diminuer d’environ de moitié. Le        du Manitoba Housing, le temps de trouver
constat est que le revenu moyen des familles        un logement à leur convenance. L’étude
de réfugiés pendant qu’ils sont sous l’aide         montre que ces familles consacrent une part
du gouvernement est approximativement 26            trop élevée de leurs revenus pour se loger.
000 $/an. Ces mêmes familles se retrouvent          La dépense de logement constitue pour ceux
au seuil de la pauvreté lorsqu’ils dépendent        qui sont à l’aide sociale entre 75 % et 80 % du
de l’aide sociale (12 000 $ à 15 000 $). Les        revenu net familial. Pour les immigrants, la
quelques familles (réfugiées ou immigrantes         dépense pour le logement se situe entre 28 %
reçues) qui parviennent à trouver du travail,       et 40 % du revenu familial.
gagnent le salaire minimum et sont souvent
obligées de faire un double travail pour être       Face aux autres dépenses aussi nécessaires
capables de subvenir aux besoins essentiels         pour la famille, celles consacrées au loge-
de leurs familles.                                  ment ne sont pas réductibles. Elles sont fixes
                                                    et redevables mensuellement jusqu’au terme
La situation est différente pour les immi-          du bail ou jusqu’à ce que l’on devienne pro-
grants reçus. Ces derniers ne bénéficient pas       priétaire de son propre logement. Cette situ-
du programme gouvernemental de l’aide               ation oblige les répondants à développer des
au rétablissement. Ils doivent se prendre en        stratégies pour s’en sortir.
charge personnellement pendant les premiers
mois de leur présence avant d’être éligibles à

10                                                     Les immigrants face au logement à Winnipeg
5.4 Stratégies utilisées pour payer                répondants annoncent qu’ils se « privent» de
			 le montant du loyer                            certains besoins importants avec beaucoup de
                                                   difficultés (E5). Avec leur modeste revenu, qui
En matière d’habitation, les répondants
                                                   se situe entre 891 $ et 1060 $ par mois, ils sont
préfèrent de loin loger dans une maison plutôt
                                                   obligés de « s’adapter et de se priver des choses »
que dans un appartement lorsque la famille
                                                   (E6). Généralement, on se prive de manger à
est nombreuse. Qu’il s’agisse d’une maison ou
                                                   sa faim : « Nous ne pouvons pas nous permettre
d’un appartement, le coût de la location reste
                                                   de prendre les trois repas de la journée » (E3). Bien
toujours élevé. Payer le loyer est une charge
                                                   sûr, les conséquences de cette privation sont
fixe et non négociable pour toutes les familles
                                                   négatives et elles affectent essentiellement les
étudiées. Pour ne pas se retrouver dans la
                                                   enfants : « il y a des matins, les enfants ne partent
rue du jour au lendemain, il faut s’acquitter
                                                   pas avec la nourriture à l’école, mais je n’y peux
de cette charge obligatoirement lorsque l’on
                                                   rien, je ne peux pas faire de miracles, ils vont à
est locataire. Avec beaucoup de difficultés,
                                                   l’école sans manger. Je ne peux pas me couper pour
ces familles doivent faire de grandes ponc-
                                                   leur donner à manger » (E5).
tions sur leurs revenus déjà insuffisants pour
couvrir toutes les charges qui leur incombent.     Conscients de ne pas pouvoir trouver « un
Pour ce faire, ils développent trois principales   bon loyer avec trois chambres à moins de 750 $
stratégies.                                        par mois » (E5) en dehors des logements sub-
                                                   ventionnés comme le Manitoba Housing, ceux
 La privation de nourriture et                     qui sont sur l’aide sociale font des sacrifices
 sacrifice personnel                               personnels énormes: « je fais de mon mieux pour
La première stratégie consiste à faire des pri-    ne pas tomber malade, car sinon, mes enfants vont
vations de nourriture pour payer le loyer. Les     faire comment, je supporte et prends mon mal en pa-

Tableau 3 : comparaison des dépenses de loyer par rapport au revenu
 Nombre      Prix du loyer              Revenu estimé          Seuil de faible revenu selon
 personnes   par an par                 par an par             la taille de la famille en zone
 par famille famille                    famille                urbaine 500 000 et plus
 			                                    interviewée            (Statistique Canada, 2008)
 Réfugiés
      6            9 420                12 720                 43 869 $
      7            9 960                22 836                 48 181 $
      11           22 800               22 404                 48 181 $
      7            14 400               18 900                 48 181 $
      5            4 524                10 080                 39 556 $
      5            11 100               36 000                 39 556 $
      3            6 720                20 400                 27 844 $
 Immigrants
      4            9 396                24 000                 34 738 $
      3            7 200                15 600                 27 844 $
      4            9 240                30 000                 34 738 $
      5            10 200               15 840                 39 556 $
      3            12 000               + 36 000               27 844 $

Canadian Centre for Policy Alternatives–Manitoba                                                     11
tience, et mes enfants me comprennent »(E5). Pour     5.5 Les problèmes générés par
la plupart de ces familles, la stratégie consiste     			 l’expérience de logement
à réduire dans les autres charges de dépenses
                                                      La rareté de logements sociaux adéquats dans
familiales et prioriser celle du loyer : « je n’ai
                                                      la ville de Winnipeg fragilise l’intégration so-
pas de moyens d’aller vivre ailleurs » (E6).
                                                      ciale des immigrants d’origine francophone.
                                                      Pour les répondants de l’étude, la cause est
 L’entraide et la solidarité                          claire : « on ne peut pas s’intégrer en vivant dans
                                                      la rue » (E9). De leur point de vue, l’idéal de
Une autre stratégie développée par les fa-
                                                      logement est celui qui respecte la « dignité de
milles consiste à être solidaires entre elles
                                                      la personne » (E10); un logement qui « respecte
et à s’entraider. L’entraide est généralement
                                                      les normes de sécurité, sans drogue, ni violence, ni
une pratique qui porte fruit. À l’initiative des
                                                      prostitution » (E12); un logement qui « respecte
femmes, les familles à faibles revenus parvi-
                                                      les normes d’hygiène et d’isolement » (E12); un
ennent à faire des réalisations qui n’auraient
                                                      « bien équipé avec une bonne aération et où les
jamais été possibles si elles étaient entreprises
                                                      femmes et les enfants ne stressent pas » (E6).
isolément. Ainsi, en dépit de leurs faibles reve-
nus, les répondants disent parvenir, ensemble,        Leur expérience de logement révèle au con-
à assurer la satisfaction de certains besoins         traire de nombreux problèmes. Parmi ceux que
fondamentaux dans la famille sans toucher             l’étude a révélés, il y en a certains qui sont cau-
à l’argent du loyer : « Souvent on s’associe avec     sés par le voisinage et d’autres par l’étroitesse
d’autres dames pour payer la viande de bœuf et de     et la promiscuité dans les logements. Ces
porc à la ferme, parce que c’est moins cher » (E5).   problèmes viennent en sus de ceux portant
                                                      sur les privations et sacrifices nécessaires pour
                                                      être en mesure de payer le loyer, faire l’épicerie
 Le regroupement familial
                                                      et s’occuper de certaines maladies liées à la
Le regroupement de tous les membres de la             qualité du logement.
famille sous un même toit est un meilleur
moyen d’atténuer le coût du loyer. Pour par-
                                                       Problèmes de voisinage
venir à s’acquitter du montant du loyer, les
répondants choisissent de vivre ensemble et           La plupart des nouveaux arrivants habitent
susciter la participation de tous les membres         dans des appartements. Certes, ce type de
de la famille. Le regroupement familial permet        logement comporte bien des avantages comme
de réaliser certaines économies par l’entremise       la prise en charge des travaux d’entretien et
d’entraide et la solidarité des membres. Ainsi,       des travaux saisonniers par le propriétaire
il faut « négocier tout le temps avec les enfants     au profit des locataires. Il comporte aussi des
pour qu’ils paient leur part de loyer, se priver de   inconvénients. Ceux-ci peuvent s’accroitre
certaines choses essentielles pour qu’ils puissent    lorsqu’il s’agit de familles nombreuses. La
payer le logement » (E3). Pouvoir soutenir la         cohabitation de plusieurs familles issues de
cherté du loyer devient une situation déses-          milieux culturels différents peut mettre en
pérante pour certaines familles qui veulent à         évidence des comportements individuels
tout prix « rester avec tous ses enfants dans une     qui ne sont pas toujours compatibles, ce qui,
même maison » (E3). Cette volonté de rester en-       à la longue, peut installer un climat plutôt
semble ne se fait pas sans écueils. Elle entraine     préjudiciable au niveau des occupants des ap-
d’autres problèmes d’ordre social et sanitaire        partements. Ceci explique pourquoi certains
que génère la vie en commun.                          répondants affirment que « beaucoup de bruits
                                                      dans le voisinage les perturbent et peuvent indis-
                                                      poser les membres de leur famille » (E8).

12                                                       Les immigrants face au logement à Winnipeg
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