Les Ombres De Venise à Paris - Opéra Orchestre National Montpellier

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Les Ombres
De Venise à Paris
Valérie Chevalier
                                                                       directrice générale
                                                                       Michael Schønwandt
                                                                       chef principal

Les Ombres                                       Sophie de Bardonnèche
                                                 Olivier Briand
Margaux Blanchard                                Paul Monteiro
Sylvain Sartre                                   violons II
direction artistique                             Géraldine Roux
                                                 alto
Théotime Langlois de Swarte                      Margaux Blanchard
violon                                           viole de gambe
Sylvain Sartre                                   Hanna Salzenstein
flûte traversière                                violoncelle
                                                 Marie-Amélie Clément
Benjamin Chénier                                 contrebasse
Rozarta Luka                                     Marc Meisel
Augusta McKay Lodge                              clavecin
violons I

Jean-Marie Leclair (1697 – 1754)
Six concertos à trois violons, alto et basse opus 7
Concerto n° 5 en la mineur
Six concertos à trois ciolons, alto et basse opus 10
Concerto n° 3 en ré majeur

Antonio Vivaldi (1678 – 1741)
L’Olimpiade RV 725 - Sinfonia
Concerto pour flûte en sol majeur RV 438
Le Quattro Stagioni
Concerto n° 2 opus 8 « L’Estate » RV 315

La Caisse des Dépôts est le mécène principal des Ombres. L’ensemble bénéficie du soutien
de la DRAC et de la Région Occitanie/ Pyrénées-Méditerranée. Les Ombres sont en résidence
à la Fondation Singer-Polignac en tant qu’artiste associé et sont membres de la FEVIS et de
PROFEDIM.

Captation réalisée à l’Opéra Comédie en janvier 2021 avec le soutien du Centre National de
Musique
De Venise à Paris
Il est parfois des destins musicaux        œuvres d’une difficulté redoutable.

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dont les ressemblances confinent à la      En 1733, Louis XV le nomme
gémellité ; ceux de Jean-Marie Leclair     ordinaire de la musique du roi ; il
(1697 – 1764) et d’Antonio Vivaldi         quitte ensuite Paris pour la Haye en
(1678 – 1741) sont assurément de           1738 ; il retrouve la France en 1744
ceux-là. Compositeurs célébrés en          pour ne plus la quitter. À l’instar de
leur temps, ils s’illustrent avec brio     Rameau, il compose et fait représenter
dans les mêmes genres : la sonate,         en 1746, à près de 50 ans, son
le concerto et l’opéra ; virtuoses, ils    premier et unique opéra, Scylla et
mettent leur art et leur éblouissante      Glaucus. Sa mort demeure l’une des
technique au service d’un même             plus rocambolesque de l’histoire de la
instrument : le violon. Un seul            musique : après s’être séparé de sa
élément semble séparer ces                 seconde épouse, Leclair acquiert une
Doppelgänger musicaux : les Alpes.         maison dans le quartier parisien de la
                                           Courtille, fort mal famé ; il y est
Vivaldi le Vénitien occupe longtemps       retrouvé transpercé de trois coups de
les fonctions de maestro di violino au     couteau, le matin du 23 octobre 1764.
sein du célèbre Pio Ospedale della         L’enquête n’aboutit pas et l’affaire ne
Pietà, institution caritative qui          fut jamais jugée, quoique tous les
recueille et pourvoit à l’éducation –      soupçons semblent se porter sur son
notamment musicale – des jeunes            neveu, Jean-Guillaume Vial, avec qui
filles pauvres de la cité des Doges. Ses   il s’était brouillé.
opéras sont représentés dans toutes
les métropoles musicales importantes   L’un est donc un pur produit de l’art
de la péninsule, et sa renommée        musical italien ; l’autre, pourtant
s’étend jusqu’à Paris, Amsterdam et    abreuvé à la même source, n’en
la Vienne des Habsbourg ; c’est dans   exhale pas moins à chaque note
cette cité qu’il s’éteint en 1741, lorsson caractère éminemment français.
d’un ultime voyage.                    Rien n’est plus représentatif de l’ère
                                       baroque que cette opposition, qui
Leclair le Lyonnais est d’abord        confère aux écoles et aux styles
danseur, comme avant lui Jean-         nationaux un caractère quasi-sacré.
Baptiste Lully. En 1722, il est engagé En plaçant en regard ces compositeurs,
à Turin comme maître de ballet ;       l’ensemble Les Ombres invite donc
il y prend des leçons de violon avec   à se livrer à un savoureux jeu de
Giovanni Battista Somis. Le jeu de     ressemblances et de différences, à
Leclair, d’une virtuosité incomparable traquer l’influence d’une « manière »
est bien vite remarqué de ses          sur l’autre ou, au contraire, à jouir
contemporains, de même que ses         de leurs particularités propres.
En ce qui concerne le genre du            et de la tourterelle, le souffle des
concerto, la différence entre les         zéphyrs et les lamentations du berger
deux compositeurs est assez fine.         que les vents effraient ; le deuxième
Le genre naît en effet en Italie au       dépeint le repos troublé par la foudre,
début du XVIIe siècle ; il oppose alors   le tonnerre et les essaims de mouches
et fait dialoguer plutôt des masses       quant au troisième, il décrit
instrumentales de densité différente.     musicalement un violent orage estival.
C’est au siècle suivant que le concerto
dit « de soliste » connaît son essor ;    Jean-Marie Leclair s’empare du genre
Vivaldi en écrit près de 600, pour les    ultramontain du concert ; il en
formations et les instruments les plus    respecte d’ailleurs les codes, tant en
divers, du violon à la mandoline.         ce qui regarde le nombre et le tempo
                                          des mouvements que leur forme.
Le Concerto pour flûte RV 438, existe     Frappe surtout chez ce virtuose
ainsi en deux versions : l’une pour       accompli la difficulté prodigieuse de
flûte, l’autre pour violoncelle, sans,    la partie de violon solo, hérissée de
à ce jour, que les musicologues aient     doubles et triples cordes et de traits
réussi déterminer laquelle pourrait       rapides et vertigineux. C’est pourtant
être la transcription de l’autre. Selon   la retenue, la sobriété et la justesse
le modèle formel habituel du genre,       de sentiment, loin de toute
il se compose d’un mouvement lent         démonstration outrée de virtuosité
qu’encadrent deux mouvements vifs.        gratuite, que soulignent les
Dans les mouvements extrêmes              commentateurs de l’époque lorsqu’ils
alternent ritournelles de l’ensemble      parlent de Leclair ; ils l’opposent
orchestral et interventions solistes      volontiers à ses homologues italiens :
virtuoses. Le mouvement médian,           pour le claveciniste J. W. Lustig, qui
plus libre, voit l’essentiel de son       entend se produire au sein d’un
matériau musical confié à la flûte        même concert Leclair et Locatelli en
soliste et aux basses de l’orchestre,     1728, « celui-ci joue comme un ange,
dans un grand dépouillement ;             et celui-là comme un diable. » En
seules les deux brèves ritournelles       effet, la virtuosité des œuvres de
qui servent d’introduction et de          Leclair n’est pas de celle qui s’exhibe
conclusion sont confiées au tutti.        et fait briller l’interprète aux yeux du
Les quatre concertos des Quatre           public ; d’une précision chirurgicale,
Saisons, pour leur part, infléchissent    elle constitue une véritable mise en
ce modèle à une volonté descriptive.      danger de soi et impose par
Chacun d’entre eux est en effet           conséquent l’intériorité et la retenue.
accompagné d’un sonnet – sans doute
de la plume de Vivaldi lui-même –,        Faut-il voir dans les concertos de
qui dépeint les caractéristiques de       l’opus 7 et de l’opus 10 une volonté de
chacune des saisons ; le compositeur      « réunion des goûts » français et
indique même dans la partition les        italiens ? Leclair n’est pas de ceux qui,
détails pittoresques mis en musique.      à l’instar de Couperin dans Les Goûts
Dans le Concerto n° 2, « L’été », le      réunis, renvoient dos-à-dos les deux
premier mouvement évoque ainsi la         écoles nationales pour mieux les
chaleur écrasante, le chant du coucou     fondre en d’étonnantes quoique
éblouissantes chimères ; sa démarche
et son esthétique sont plus proches
de celles de Rameau : de sa formation
italienne, il retient des principes
musicaux qu’il mêle à sa sensibilité
française, dans une symbiose sincère
et détachée des débats esthétiques du

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temps. Sa position de passeur entre
deux mondes n’en rend que plus
fascinante sa personnalité musicale.

De Venise à Paris, de l’opéra au
concerto, du « prêtre roux » au
« Locatelli français », ce riche
programme offre un instantané d’une
période cruciale du baroque musical
européen, dont la célèbre « Querelle
des Bouffons » cristallisera les enjeux
en France, quelques décennies plus
tard.

Nathan Magrecki
étudiant au CNSM de Lyon
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