GIESSBACH: 35 ANS DÉJÀ - FRANZ WEBER - Fondation Franz Weber
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indépendant — intrépide — compétent JOUR NA L FRANZ WEBER j a nv ier | fév r ier | m a r s 2 019 No . 1 2 7 GIESSBACH: 35 ANS DÉJÀ CAPTURE DE POISSONS MARINS COMMERCE DE L'IVOIRE Une industrie qui nage en eau Les éléphants disparaissent trouble et l'EU est coupable 6 22 f f w. c h
Éditorial3 En Bref 4–5 Equidad – longue vie à notre sanctuaire 6–9 — Industrie des aquariums – un commerce incontrôlable 10 – 11 Aucun contrôle n’est exercé sur la capture et le commerce des poissons coralliens. Il est im- Pourquoi la corrida existe-t-elle encore en France? 12 – 13 possible d’attester que les méthodes de capture Espoir pour l'avenir – le message d'Alika Lindbergh 15 – 18 sont durables. Une interview de Monica Biondo, Disparition des éléphants – l'UE sur le banc des accusés 20 – 26 docteur en biologie. Page 6 Ne touche pas à mes plumes – recours contre l'éolien à Sainte-Croix 27 – 29 Il y a 35 ans, Giessbach rouvre ses portes – Judith Weber se souvient 30 — Le commerce de l’ivoire est l’un des principaux moteurs du braconnage et du déclin alarmant des populations d’éléphants en Afrique. L'EU et IMPRESSUM le Japon détiennent les plus grands marchés UNE PUBLICATION DE LA FONDATION FRANZ WEBER d'ivoire légal au monde et se rendent ainsi cou- REDACTION EN CHEF: Vera Weber et Matthias Mast pables de la disparition des éléphants. Page 22 REDACTION: Matthias Mast, Vera Weber PARUTION: 4 fois l'an CONCEPT: KARGO Kommunikation GMBH, MISE EN PAGE: Gianpaolo Burlon IMPRESSION: Swissprinters AG ABONNEMENTS: Journal Franz Weber, Abo, BP 257, 3000 Berne 13, Suisse T: +41 (0)21 964 24 24 | E-Mail: ffw@ffw.ch | www.ffw.ch | Tous droits réservés. Reproduction de photos, de textes ou d'illustration uni- quement avec la permission de la rédaction. Aucune responsabilité ne peut être acceptée pour les manuscrits ou les photos non sollicités. — Grâce à une campagne unique en son genre, Franz Weber a sauvé l’hôtel Giessbach de la dé- Imprimé sur papier FSC provenant de sources responsables molition. C’est aujourd’hui un joyau du tourisme suisse. Les souvenirs de Judith Weber. Page 28 POUR VOS DONS: Compte postal: 18-6117-3, Fondation Franz Weber, 3000 Berne 13 IBAN: CH31 0900 0000 1800 6117 3 2
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 EDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur Voici venu le moment décisif. Le 19 mai 2019, les électrices et électeurs bâlois décideront si le projet «Ozeanium» — un aquarium géant d’animaux marins — va être construit ou non. Les Bâloises et les Bâlois tiennent entre leurs mains le destin de milliers d’êtres vivants. Car si l’«Ozeanium» est construit, d’innombrables animaux marins seront arrachés à leur milieu natu- rel, expédiés par avion à Bâle et enfermés derrière des vitres. Les initiateurs du projet demandent sa construction comme celle d’un «moyen nécessaire pour que le zoo de Bâle ne perde pas sa VERA WEBER place en première division des zoos européens». Le choix de cette expression venue du football Présidente de la Fondation Franz Weber pour justifier de vouloir passer à la postérité aux frais des animaux est tout simplement révoltant. Un aquarium n’est pas un stade. Et pour que l’idée de départ n'apparaisse pas trop cousue de fil blanc, le projet est élégamment présenté comme «lieu de formation et d'information essentiel face aux menaces qui pèsent sur les océans.» Sur l'autel de la durabilité, la recherche, la formation environnementale et la «ren- contre avec l’animal vivant» on peut justifier n'importe quoi, n'importe quel sacrifice. Surtout lorsqu’il y va d’argent et de prestige. Loin de toute mer, c’est aussi le cas dans ce projet d’aqua- rium marin géant et rien d’autre. Depuis des années, la Fondation Franz Weber demande une remise en question critique du pro- jet d’«Ozeanium» et une discussion ouverte sur le sujet. Nous savons depuis le début que nous aurions beaucoup de mal, en tant que petite organisation, à contester un projet du tout-puissant zoo de Bâle. Il ne s’agit pas d’attaquer le zoo lui-même, mais d’empêcher ce projet rétrograde. L’«Ozeanium» est une idée aussi absurde et grotesque que le slogan publicitaire de ses auteurs, que «Bâle est au bord de la mer». Avec beaucoup de travail et d’opiniâtreté, nous sommes tout de même parvenus à lancer le débat public et à donner aux habitants de Bâle-Ville la possibilité de décider si Bâle a vraiment besoin d’un «Ozeanium». Evidemment, ce n’est pas tant la question de savoir si Bâle a besoin d’un «Ozeanium» qui importe, mais celle de savoir si les monstres que sont ces aquariums géants doivent encore être construits au 21ème siècle. On compte aujourd’hui 150 de ces «institutions» en Europe, mais les océans vont-ils mieux pour autant ? Les recherches que tous ne cessent de vanter ont-elles jamais obtenu des résultats qui contribuent concrètement à protéger les océans ? Les aqua- riums publics existent depuis 160 ans, mais les avantages pour les océans et la protection de la vie marine se font encore attendre. Au contraire, les mers n’ont jamais été au plus mal dans le monde entier. Espérons que les électrices et électeurs de Bâle prendront conscience de leur responsabilité et voteront non à ce projet le 19 mai 2019. Nous mettrons tout en œuvre pour cela jusqu’au dernier moment. Votre Vera Weber 3
Le titre de * ANIMAUX EN BREF docteur pour Monica Biondo * NATURE Le mardi 12 mars, Un non Monica Biondo a massif aux été promue docteur en biologie marine. éoliennes La Fondation Franz La voix de la raison l’a emporté dans la Weber est fière que Commune de Court, dans le Jura bernois. sa collaboratrice Les citoyennes et les citoyens ont rejeté à et conseillère de hauteur de 70% la construction du parc éo- longue date ait obtenu son doctorat. lien de Montoz-Pré Richard. Le projet est Lors de sa soutenance publique à la Faculté des sciences naturelles de l’Uni- enterré. Helvetia Nostra, qui s’était opposée au projet, salue ce signal clair en faveur du * PATRIMOINE versité de Berne, Monica Biondo est reve- Non paysage. nue sur la préparation de sa thèse intitu- lée «The marine ornamental fish trade in Le projet prévoyait l’installation de au téléphérique Switzerland and Europe» («Le commerce dans le bassin du 7 machines pouvant culminer à 200 des poissons d’ornements marins en mètres de haut, beaucoup plus que les Suisse et en Europe»). Engagée dans la turbines déjà en service dans l’Arc ju- lac de Zurich ! protection de la faune et de la flore, Moni- rassien. Avec les six installations sup- ca Biondo a dû faire preuve d’une grande plémentaires prévues juste à côté à la La construction d'un immense téléphé- rigueur et consacrer beaucoup de temps Montagne de Granges, une zone de rique est prévue dans le bassin du lac et de travail pour avancer sur ce qui était production industrielle d’énergie de 13 de Zurich. La Fondation Franz Weber alors un terrain inconnu puisque les don- installations aurait vu le jour. soutient le «IG Seebecken Seilbahnfrei», nées et les faits disponibles sur ce sujet dont l'objectif est d'empêcher cette étaient effroyablement limités. «Il n’existe La votation de Court témoigne claire- réalisation de prestige qui défigurerait le à ce jour aucun contrôle international de ment du refus de la population de sacri- paysage. La Banque cantonale zurichoise ce commerce», conclut notamment cette fier son cadre de vie pour une énergie entend célébrer son 150e anniversaire spécialiste des poissons coralliens. «Se aléatoire au rendement dérisoire. Ce avec ce grand projet de funiculaire cen- fier aux déclarations des marchands eux- sont les alternatives respectueuses de sé relier les quartiers de Wollishofen et mêmes pour prouver que la capture des l’environnement comme la biomasse de Seefeld. Ce «cadeau à la population», poissons d’ornement est durable ne suffit ou le solaire que sollicite la population, qui n'a pas été consultée à ce sujet, serait pas et est fallacieux.» Heureusement, la pas une fausse solution coûteuse et lourd de conséquences: les personnes qui Suisse, l’Union européenne et les États- inutile. viennent se détendre sur la Blatterwiese Unis ont désormais l’intention de s’in- et sur la plage du Mythenquai n'auraient téresser de plus près au commerce des Le verdict de Court montre aussi que plus une vue dégagée sur le lac et les poissons d’ornement et à sa durabilité en la population n’est pas prête à sacrifier Alpes, mais feraient face à deux pylônes s’appuyant sur les conclusions scienti- ses derniers espaces de liberté. Dans un de 88 mètres de hauteur. La vue impre- fiques de Monica Biondo. environnement économique toujours nable de la Bürkliplatz et du Quaibrücke plus stressant et exigeant, les lieux de sur la crête des Alpes serait elle aussi gâ- Nous adressons au Dr. Monica Biondo toutes détente permettant de se ressourcer chée par les câbles disgracieux du funicu- nos félicitations pour cette réussite et de pratiquer des activités sportives laire face à la chaîne de montagnes. importante et tout particulièrement pour son douces deviennent chaque jour plus titre de docteur. importants. 4
«Epargner nos ressources n’est pas qu’un devoir mais aussi chance de survie. A ces ressources naturelles appartiennent évidemment les arbres et les forêts.» FRANZ WEBER UN PROJET QUI REPOSE EN PAIX, CHÈRE BANETTE, DEFIGURERAIT MORAT NOTRE VACHE SAUVAGE À CORNES! En septembre 2017, un promoteur immobilier a dépo- Vous souvenez-vous de Banette, notre extraordi- sé une demande de permis de construire concernant naire vache à l’âme de battante? neuf grands bâtiments locatifs identiques et «mo- dernes» sur une parcelle située juste au-dessous Un matin d’avril 2004, Banette s’est enfuie de l’abattoir d’Yverdon et a de la vieille ville de Morat. Ce «méga-projet» aurait déclenché une féroce course-pour- pour effet de défigurer gravement et irrémédiablement suite de deux heures dans les rues la silhouette de la ville. Pourtant, le projet en question viole de la ville, s’achèvant brusquement dans l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance natio- le canal Orient. Un policier bienveillant s’est alors nale à protéger en Suisse (ISOS), qui prévoit expressément précipité pour venir en aide à la belle vache à cornes que la parcelle concernée est une «zone tampon», qui jouxte et a pu l’attraper au lasso. Impressionné par la vache immédiatement la zone protégée du vieux centre-ville, et qui indomptable, il a souhaité la sauver de son imminent devrait être particulièrement protégée, voire être rendue in- destin funeste. constructible. Le Canton de Fribourg et la Commune de Mo- Lorsque Franz Weber a appris l’histoire de cette vache, rat n’ont eu que faire des règles fédérales : ils n’ont jamais il a décidé d’acheter Banette à son propriétaire. Ba- nette devait être accueillie dans une ferme à Montet. Mais, mis en œuvre l’ISOS par le biais de la planification canto- cette vache de caractère avait d’autres projets… Suite à nale et communale. La parcelle concernée est donc, à ce son arrivée à Montet, elle s’est encore enfuie. Ce n’est qu’après 5 longues jour, considérée comme une zone à bâtir comme une autre. heures de fuite qu’elle a pu être ramenée à la ferme. Banette continuait Récemment, le constructeur a légèrement réduit son projet donc de se languir de ses prés verdoyants des hauteurs du Jura vaudois. Elle – des propositions insuffisantes, selon Helvetia Nostra, pour refusait de manger. Pas de foin, pas d’herbe. Le mal du pays était trop fort! garantir la préservation du patrimoine architectural de la ville Avec l’aide de la Fondation Franz Weber, Banette est alors repartie en vu l’inaction des autorités de planification territoriale. Helve- voyage – cette fois-ci chez elle à Montborget! Arrivée sur ses prés connus, tia Nostra a donc maintenu son opposition – et espère que Banette n’a pas immédiatement aperçu son troupeau, qui paissait un peu la Commune de Morat entendra raison et refusera ce projet plus loin. Soudain, elle a entendu de loin un meuglement familier – tout le pharaonique. . troupeau s’approchait. Il l’a immédiatement entourée pour la saluer comme il se doit. Depuis lors, Banette a mené une vie paisible et épanouie de vache domi- nante. Fin janvier 2019, elle est décédée, entourée de ses chers compa- gnons humains. À la Fondation Franz Weber, nous sommes reconnaissants et touchés d’avoir pu accompagner cet animal impressionnant sur son che- min mouvementé. Nous continuerons à nous engager pour que les vaches puissent porter leurs cornes avec fierté! 5
ANIMAUX Longue vie à notre sanctuaire! Vous souvenez-vous d’Antonia, Roble et Luz, ces malheureux équidés que nous avions sauvés in extremis du bourbier in- fâme de la police où ils étaient parqués? Leurs vies ont bien changées depuis Salta! * ALEJANDRA GARCÍA Directrice du sanctuaire Equidad et de ZOOXXI en Amérique latine – En tout juste un an, eux ainsi qu’une UN COMBAT UNIQUE centaine d’autres de leurs compa- ET HISTORIQUE POUR gnons d’infortune ont découvert que LES CHEVAUX EN AMÉRIQUE LATINE les humains étaient aussi capables de Notre aventure commence avec la créa- bienveillance. Nourriture à volonté, tion du programme Basta de TaS. Cette personnel aux petits soins… que de campagne part d’un constat : en Amé- changements pour ces êtres qui ont frô- rique latine et notamment en Argen- lé la mort ! Les obstacles n’ont pas man- tine, misère animale et humaine sont qué pour nos équipes qui se sont bat- souvent intimement liées. Cette mi- tues sans relâche pour leur offrir une sère est particulièrement flagrante au vie digne de ce nom… Afin de rendre sein d’une catégorie de la population : hommage à leur courage et à leur téna- les éboueurs «indépendants». Tranche cité, voici une petite rétrospective de extrêmement pauvre de la société, les tout ce que nos guerriers de la protec- éboueurs tentent de survivre en reven- tion animale ont accompli en un an. dant tant bien que mal des déchets. 6
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 — Josefina, une jument sauvée du commissariat de police de Salta qui portait un poulain. Nous l' avons nommé Capuccino. Il est né juste après l'arrivée de sa mère à Equidad. 7
ANIMAUX — Luciana, atteinte de la gale comme de nombreux autres chevaux en provenance du terrain de la police de Salta. A Equidad, elle se remettra rapide- ment. Afin de proposer ces détritus à la vente, fi de nos conseils et de notre expertise, C’était sans compter la détermination ils les tractent à longueur de journée le gouvernement décida d’agir sans en de nos équipes. Alertée sur la situation, dans des charrettes tirées par des che- tenir compte, promulguant une ordon- la Fondation Franz Weber a immédia- vaux, des mules ou des ânes. Les ani- nance interdisant du jour au lende- tement mobilisé ses équipes pour une maux pâtissent autant que les hommes main la circulation de charrettes tirées prise charge qui allait s’avérer unique de ces conditions de vie épouvantables: par des chevaux sans proposer d’alter- en son genre. journées épuisantes, absence de soins natives. Privées de leur unique source Cette intervention était en effet et de nourriture, ferrures mal ajustées… de revenus, des centaines de famille unique à de multiples égards: tout Ayant à peine de quoi subvenir aux be- se sont ainsi retrouvées contraintes d’abord en raison du nombre considé- soins de leurs familles, les malheureux d’abandonner leurs équidés. Livrés à rable d’animaux dans un état critique éboueurs sont incapables de prendre eux-mêmes, ces derniers furent rapi- qu’il fallait sauver – près d’une cen- soin de leurs animaux. Rachitiques, ces dement saisis par la police, soucieuse taine! Certains cas étant particulière- équidés ne représentent aux yeux de d’éviter que ces êtres massifs errent ment graves, il nous a fallu renforcer leurs propriétaires que des «machines», dans les rues. Mais la police ne s’est nos équipes et solliciter l’aide de vété- censées soulager leur labeur quotidien. pas impliquée davantage: débordée par rinaires spécialisés. S’il avait juste fallu S’ensuit alors un cercle vicieux infer- l’afflux d’animaux, incapable de gérer soigner les animaux, le problème aurait nal : plus l’animal dépérit, moins son leurs besoins, elle s’est contentée de les presque été simple… Or avant que bé- propriétaire peut travailler, gagner de entasser sur un terrain vague devenu névoles et spécialistes puisse interve- l’argent et le soigner. L’équidé devient tristement célèbre: l'enfer de Salta. nir sur ce domaine privé et exfiltrer ces un fardeau et une proie facile pour les créatures, détenues à plus de 800 ki- abattoirs qui rôdent comme des vau- …PUIS DE L’ENFER À EQUIDAD lomètres de notre sanctuaire, il fallait, tours et promettent quelques pesos Dès lors, la vie des abandonnés de Sal- avant tout obtenir des autorisations! contre les maigres chairs... ta est passée de difficile à infernale: Aidés de l’APAN, une organisation lo- souffrant déjà pour la plupart de mal- cale, nos avocats et bénévoles ont tout DESCENTE AUX ENFERS… nutrition, les chevaux ont commencé donné pour convaincre au jour le jour, Confronté comme toute l’Amérique à se battre dans une lutte sans merci au porte à porte, chaque institution ou latine à ce fléau, le gouvernement de pour leur survie. Entassés par cen- juge corrompu, récalcitrant et indiffé- Salta a commencé par consulter nos taines sans eau ni nourriture, noyés rent au sort de ces êtres que la loi argen- équipes. Sensibilisés aux réalités du dans un marécage d’excréments et tine qualifie de «choses». Chaque jour terrain, nous avions compris que pour de boue, contraints de cohabiter avec présentait son nouveau challenge: le sauver les chevaux, il fallait venir en des taureaux et des vaches, ils dépé- ministère de l’Agriculture notamment, aide à leurs propriétaires. Hélas, faisant rissaient et mourraient en cascade… n’était jamais à court de nouvelles exi- 8
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 gences impossibles à remplir. Courbant tamment au niveau financier. Bien sur, tonnes de nourriture afin de pouvoir l’échine, nous ne nous sommes ni lais- nous n’allions pas décliner! Nous nous accueillir ces rescapés de l’enfer dans sés intimider ni décourager: sans ciller, sommes lancé tête baissée, faisant pas- les meilleures conditions. Et nous n’au- nous avons fourni toutes les preuves, ser la survie des animaux avant toute rions jamais pu accomplir tout cela factures et autres documents attestant considération. Nous avons «poussé sans la générosité de nos merveilleux de notre action salvatrice. les murs» de notre sanctuaire, aména- donateurs! gé nos installations et commandé des MALVEILLANCE… Loin de nous faciliter la tâche, la police a tout fait pour miner nos efforts, notre — moral, et pour influencer les services Narciso est le poulain de l’Etat à notre défaveur. Se moquant de Pacha qui est de nos actions et insultant nos béné- également arrivée voles au quotidien, les policiers ont enceinte de Salta. en effet tout tenté pour convaincre les L’accouchement était juges de ne pas nous accorder la garde prématuré. Heureu- des animaux détenus sur leur terrain sement, Narciso est et pour torpiller nos actions. Furieuse hors de danger et est de se voir ainsi exposée et coupable de devenu un poulain maltraitance, la police avait en outre doux et affectueux. trouvé un moyen de tirer profit des malheureux tombés entre ses mains. Son objectif ? La mise en vente aux en- chères des chevaux, ce qui aurait per- mis aux agents de gagner de l’argent sur chaque bête envoyée dans l’un des cinq abattoirs du pays… …MAIS TRIOMPHE DE L’ENGAGEMENT ABSOLU Malgré tous ces obstacles, nos efforts ont fini par payer: non seulement parce que nous avons réussi à sauver d’une mort épouvantable la plupart POUR RÉSUMER, VOICI CE QUE NOUS AVONS PU ACCOMPLIR des «pensionnaires» de Salta, mais aus- si car nous avons réussi une véritable GRÂCE À VOUS: prouesse juridique: alors que trois juges avaient validés la vente aux enchères 8 t ribunaux avec qui nous 4 â nes sauvés des chevaux, la Cour suprême a intercé- coopérons 3m ules sauvées dée en notre faveur, annulant la vente 12 a llers-retours à Salta à la dernière minute ! Si une trentaine 8 v aches sauvées 7 allers-retours Salta-Cordoba d’équidés reste encore à Salta – soi- en camion de transport pour 34 v olontaires gnés par nos volontaires – ce n’est plus chevaux 2 a vocats qu’une question de temps avant qu’ils 800 s acs d’aliments spéciaux 8 c hevaux castrés pour chevaux, transférés ne nous soient confiés et que nous puis- à Salta pour les nourrir sur place 2 c hevaux opérés d’hernies sions les placer dans une famille d’ac- 1500 b allots de luzerne transférés à 6 j uments enceintes désormais cueil aimante. Salta heureuses mamans à Equidad Vous l’aurez compris: ce sauvetage 77 c hevaux sauvés unique en son genre a nécessité un engagement total de notre part, no- 9
Le commerce des animaux marins nage en eaux troubles Monica Biondo, docteur en biologie marine et expert scientifique du commerce de poissons marins d’ornement, met en garde contre la construction de l’«Ozeanium» à Bâle. Aucun contrôle n’est * Interview exercé sur la capture et le commerce JULIA FISCHER Economiste de l'environnement et de des poissons coralliens. Il est impossible la politique d’attester que les méthodes de capture — sont durables. Se fonder sur les déclarations des commerçants n’est pas sérieux. 10
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 — Les poissons peuvent être capturés dans une région et finir par arriver chez nous après être passés entre les mains d’innom- brables intermédiaires avec les moyens de transport les plus divers — bateau, voiture, avion. Les méthodes de capture et de transport varient selon les régions, les pays et les espèces. Pourquoi dénoncez-vous la capture d’animaux capturés meurent aussitôt, ou alors peu Ce taux de mortalité est effrayant, dans les océans? après, des conséquences de leur empoi- mais aussi contesté avec véhémence Monica Biondo: La capture, le transport, sonnement. Le poison fait d’autres vic- par les initiateurs du projet «Ozea- puis la vie en aquarium causent aux ani- times: des poissons non convoités et les nium». Ils se réfèrent de leur côté à maux des souffrances extrêmes. La cap- coraux. une étude de l’Office fédéral des ture à elle seule est une source d’énorme affaires vétérinaires selon laquelle 1,5% stress, que les animaux soient pêchés avec A-t-on des chiffres? seulement des animaux ne survivraient des filets, au harpon ou par l’utilisation Une enquête réalisée en 2016 pour les USA, pas au transport. Ce chiffre n’est-il pas de poisons. Le cyanure, un anesthésique le premier pays importateur de poissons aussi issu d’études scientifiques? mortel, est encore très souvent utilisé, coralliens, a montré que 50% des sujets Attention! Les auteurs du projet alors même que cette méthode est interdit importés ont été capturés par l’utilisation «Ozeanium» comparent des faits depuis longtemps. Beaucoup des animaux de poisons. Globalement, de la capture à qui ne sont pas comparables. Ils l’aquarium, plusieurs veulent exposer des poissons de rapports, témoignages mer dans leur aquarium géant DR. MONICA BIONDO et études estiment que mais font appel à une étude qui Monica Biondo, Dr. phil. nat., est le taux de mortalité concerne presque exclusivement biologiste marin et experte de la pourrait atteindre 80%. des poissons d’eau douce, et qui de protection des animaux et des Pourtant, ces poissons surcroît date de presque 20 ans. Le espèces. Depuis 2010, elle dirige morts ne sont pas pris chiffre de 1,5% est issu d’un rap- une campagne de protection des en compte dans le calcul port de 2001 intitulé «Sur l’impor- poissons coralliens commercia- du volume du commerce tation de poissons d’ornement en lisés pour l’industrie des aquari- de poissons marins d’or- Suisse». Ce rapport s’est contenté ums. Elle a étudié ce commerce nement – estimé de ma- de suivre 12 envois de poissons en dans le cadre de sa thèse. Depu- nière conservative à 40 Suisse et les données qu’il expose is 2012, Monica Biondo travaille millions de spécimens sont basées sur des questionnaires en tant que biologiste pour la vendus chaque année complétés par les importateurs Fondation Franz Weber. En 2013, dans le monde! Seuls eux-mêmes. L’étude concernait elle a reçu le prix « Trophée de femmes » de la Fondation Yves Rocher les poissons qui arrivent 29’146 poissons - mais seuls 364 (3ème place) pour son engagement en faveur des poissons coralliens, effectivement dans le d’entre eux, soit près d’1%, étaient des raies et des requins. commerce sont comp- des poissons de mer. Or, ces der- tés… niers sont de manière générale 11
— Les poissons morts sont simplement jetés et rem- ANIMAUX placés incognito puisque rien ne ressemble plus à un poisson qu’un autre poisson. Photo : Gregg Yan beaucoup plus sensibles et fragiles que les poissons d’eau douce. Le taux de mortalité des poissons de mer n’a pas fait l’objet d’une étude spécifique. Cela veut dire que beaucoup plus que 1,5% des poissons de mer meurent en réalité? Exactement. Par ailleurs, les initiateurs du projet «Ozeanium» se fondent exclu- sivement sur le taux de mortalité du- rant le transport issu de ce rapport. Ce- Seuls un genre et deux espèces de pendant, seuls les poissons morts dans leurs sacs en plastique à l’arrivée chez poisson sont protégés par la CITES. le dernier revendeur en Suisse sont pris en compte. Tous les autres, ceux L’hippocampe (Hippocampus spp.): de qui sont morts ou ont été éliminés lors nombreuses espèces d’hippocampe sont de la capture, lors du transfert dans les menacées par la surpêche et le commerce sacs en plastique, de la manipulation, non durable. Depuis 2004, le commerce des stockages intermédiaires et des in- des hippocampes est contrôlé par la CITES. nombrables trajets d’un intermédiaire à On dénombre aujourd’hui 45 espèces d'hip- l’autre ne sont pas comptabilisés et leur pocampes différentes. nombre est simplement gardé secret. Dans le cadre de votre thèse à l’université de Berne, vous avez examiné de très près le Le napoléon (Cheilinus undulatus): le commerce de poissons coralliens. Qu’avez- commerce porte essentiellement sur les vous découvert? poissons juvéniles et subadultes car ils J’ai étudié des documents d’importa- conviennent bien aux restaurants. Mais l'es- tion de 2009, ainsi que les statistiques pèce est souvent présentée dans de grands des importations et les données électro- aquariums. Ces poissons peuvent atteindre niques concernant la Suisse et l’UE de une taille impressionnante de 2 à 3 mètres. 2014 à 2017. Ces données ne visent pas Leur commerce est contrôlé par la CITES à contrôler ce commerce, mais à préve- depuis 2004. nir les épidémies en cas d’importations Le poisson-ange doré (Holacanthus cla- d’animaux vivants. Elles fournissent rionensis): cette espèce se trouve presque malgré tout des indices concrets et exclusivement dans la réserve marine des démontrent notamment que le com- îles Revillagigedo, au large du Mexique, où merce suisse des poissons d’ornement la pêche est interdite depuis longtemps est plus important qu'il n'apparaît à déjà. Il continue pourtant à faire l’objet d’un première vue. Presque tous les pois- commerce en raison de ses couleurs vives sons coralliens peuvent être importés et des prix élevés qu’il atteint (jusqu’à 15 sans le moindre contrôle: ils sont sans 000 dollars). Depuis 2017, le commerce de doute 220 000 à l’être chaque année. cette espèce est contrôlé par la CITES. Plus de 2000 espèces se retrouvent sur le commerce, et presque aucune de ces espèces ne peut faire l’objet d’élevages. Toutes les autres espèces de poissons Il s’agit donc de poissons sauvages cap- d’ornement marins peuvent être turés dans la nature à travers le monde. Quant à la CITES *, la convention inter- capturées quasi sans aucun contrôle. * C onvention on International Trade of Endangered Species of Fauna and Flora; www.cites.org 12
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 nationale sur le commerce des espèces aquarium géant va alimenter le com- D’ici à ce que ces mesures soient prises, menacées, elle ne surveille la commer- merce d’animaux marins sauvages si elles le sont, de nombreux poissons cialisation que de trois espèces : l’hip- et constituera une source de grandes d’ornement vont encore être arrachés aux pocampe, les poissons-napoléon et le souffrances et de préjudices impor- océans… poisson-ange doré. Il existe bien des tants à différents niveaux. Les affir- C’est malheureusement ce qui va se pro- tentatives de rendre ce commerce plus mations et assurances des revendeurs duire. Mais tant qu’il n’existe aucune transparent, notamment par le biais de eux-mêmes dont les partisans de disposition légale qui protège les ani- certificats de durabilité, mais elles ont «l’Ozeanium» se réclament pour «at- maux marins sauvages et régule leur toutes échoué. tester» les méthodes de capture du- commerce, nous pouvons au moins rable des poissons d’ornement desti- exercer une certaine influence en tant Pour quelle raison les certificats de durabi- nés au projet «Ozeanium» ne sont que de que consommateurs: en ne visitant au- lité ne fonctionnent-ils pas? la poudre aux yeux. Le commerce inter- cun aquarium géant et en renonçant à La chaîne commerciale est extrême- national ne fait l’objet d’aucun contrôle, posséder des aquariums chez nous, pour ment complexe. Personne n’a véritable- c’est pourquoi la Suisse exige enfin que ouvrir tous ensemble la voie vers une ment de vue d’ensemble. Les poissons des mesures soient enfin prises. protection active des mers et des océans. peuvent être capturés dans une région du monde, puis passer entre les mains d’innombrables intermédiaires, par les moyens de transport les plus divers – bateau, voiture, avion – avant d’arriver CONFIRMATION DU CONSEIL FÉDÉRAL: en Suisse. Les méthodes de capture et de transport varient selon les régions, IL EST IMPOSSIBLE DE CONTRÔLER LA les pays et les espèces. C’est pourquoi DURABILITÉ DU COMMERCE DES il est difficile d’adopter des règles de protection, et encore davantage de les POISSONS D’ORNEMENT À L’ÉTRANGER appliquer. Le Conseil fédéral confirme, dans la réponse à une interpellation parlementaire, qu’il estime très difficile, voire impossible de vérifier le respect des conditions de durabilité. Les initiateurs du projet Les résultats de votre thèse peuvent-ils d’aquarium géant «Ozeanium» à Bâle sont eux aussi confrontés à ce dysfonctionnement. être utiles? Nous nous mobilisons au niveau inter- Dans son interpellation «Le commerce de poissons d’ornement cache de la souffrance national depuis 2011 pour que les dys- animale», la conseillère nationale Irène Kälin demande notamment une interdiction d’im- fonctionnements du commerce mon- portation des poissons sauvages issus de sources non-durables et des mesures qui s’im- dial des poissons d’ornement soient posent en conséquence. enfin mis à jour et combattus active- ment. Mes recherches ont abouti à ce Dans sa réponse, le Conseil fédéral se prononce en l’état contre cette interdiction d’im- que la Suisse, conjointement avec les portation. Il indique en effet que «des contrôles visant à vérifier le respect des conditions USA et l’UE, dépose récemment une re- à l’étranger [seraient] très difficiles, voire impossibles». Vera Weber, présidente de la quête auprès de la prochaine conférence Fondation Franz Weber, répond: «dès lors que l’État suisse estime impossible de prouver des États-membres de la CITES, qui se et de contrôler la durabilité des méthodes de capture, comment les initiateurs du projet tiendra en mai-juin 2019. Le but de cette «Océanium» peuvent-ils, eux, promettre cette durabilité? Leur «longue expérience» dont requête est d’obtenir une étude du com- ils se prévalent si fréquemment, n’est qu’une formule toute faite et ne peut en aucun cas merce des poissons marins d’ornement. tenir lieu de preuve.» Qu’est-ce que cela signifie pour l’«Ozea- La Fondation Franz Weber lutte activement depuis 2011 contre les dysfonctionnements nium»? Les auteurs du projet indiquent du commerce mondial de poissons d’ornement. Elle soutient l’adoption de la requête de qu’ils sont en mesure de garantir la durabi- la Suisse auprès de la CITES pour une étude détaillée, sur des bases scientifiques solides, lité, vu les longues années de collaboration du commerce des poissons marins d’ornement. Les pratiques cruelles envers les animaux avec leurs fournisseurs… et l’étendue de la souffrance animale dans l’industrie des aquariums doivent enfin être Malgré toutes leurs belles formules, quantifiées. C’est seulement ainsi que des mesures efficaces pourront être prises pour les auteurs du projet «Ozeanium» ne protéger les océans. peuvent pas cacher le fait que leur 13
FONDATION FRANZ WEBER La Fondation Franz Weber lutte pour les animaux et la nature depuis 1975. Elle gère et soutient plusieurs réserves naturelles et mène campagne en Suisse et dans le monde pour la protection de la faune et de la flore . La FFW collabore étroitement avec les autorités régionales et nationales pour que la pro- tection des animaux et de leur habitat devienne une priorité au plus haut niveau. • Pour la protection des éléphants en Afrique • Pour la protection des chevaux en Amérique latine et en Australie • Pour l’abolition de la corrida dans le monde entier • Pour la protection des poissons marins • Pour la fin définitive de la chasse aux phoques au Canada • Pour la protection de la nature et des paysages suisses • … et plus encore ! 14
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 France: pourquoi la corrida existe-t-elle encore? * AMBRE SANCHEZ Pourquoi la corrida est-elle encore pratiquée dans Reporter et journaliste — une douzaine de départements du sud de la France? En effet, 74% des français sont en faveur de son abolition – y compris dans les régions dites taurines! -, plusieurs dizaines d’associations anti-corrida se mobilisent depuis des années et près d’une dizaine de propositions de lois ont tenté d’y mettre fin! Tentative de réponse. — «C’est bien moins terrible de mourir dans une arène, avec la possibilité de se défendre, que de finir dans un abattoir!» L’argument des partisans de la «PURGER LES PULSIONS»: corrida témoigne d’un cynisme LA PROPAGANDE AU SERVICE sans égal. DE LA BARBARIE OU COMMENT JUSTIFIER L’INJUSTIFIABLE Que fait encore la corrida dans un pays où l’on privilégie de plus en plus la sécurité, le bien-être ani- mal et où l’on refuse de plus en plus la violence, surtout gratuite? De tout temps, les militants anti-taurins se sont heurtés à des raisonnements aussi stupides que bien rôdés. Hélas, ces argu- ments trouvent toujours un écho auprès des puissants de ce pays. 15
— «Pourquoi?» semble nous demander ce taureau. Pourquoi les hommes prennent-ils plaisir à faire souffrir et à tuer les animaux? Si aujourd’hui la position de l’Eglise et tant d’autres hélas, le sacrifice du abattoir!» conclut-il. Dommage que les catholique est ambigüe sur le sujet, elle taureau est un mal «indispensable», taureaux ne puissent s’exprimer sur la fut l’une des premières à s’insurger – symbolisant le «triomphe de l’Homme question ! sans succès – contre la corrida: non pas sur la nature féroce». En somme, en pour venir en aide aux taureaux, mais exterminant une bête «dangereuse», le LA FRANCE, MAUVAISE ÉLÈVE parce que selon elle, ce «jeu» dangereux torero «rassure» le public sur la capaci- POUR TOUT CE QUI CONCERNE risquait de «tuer des chrétiens». Hélas, té humaine à triompher des éléments LES DROITS DES ANIMAUX ses menaces n’ont pas suffit à échauder sauvages… Ce que les taurins oublient Les taureaux ne sont pas les seuls à pé- la soif de sang des férus de corrida. de préciser, c’est à quel point les tau- rir dans d’atroces souffrances à cause reaux dits de combat sont domestiqués de l’indifférence de la classe politique Car pour ces derniers, c’est préci- et habitués à dépendre de l’homme, française à l’égard des animaux. Alors sément la violence qui rend ce «spec- notamment pour la nourriture, ce qui que le président Macron avait promis tacle» unique et donc indispensable. rend le combat d’autant plus déloyal! lors de la campagne présidentielle qu’il En effet, pour les amateurs taurins, les mettrait un terme aux cages de batterie aficionados, la corrida est une façon Aussi aberrant soit-il, cet argument pour les poulets et les lapins, qu’il im- de purger les passions, «d’évacuer» la trouve un écho souvent favorable au- poserait la surveillance systématique violence qui sommeille en eux. «Les près des politiques : «Si ce n’était pas un dans les abattoirs et la castration avec hommes ont toujours eu besoin d’un taureau, ça serait autre chose», estime anesthésie des porcs d’élevage, aucune catharsis, d’un défouloir à leur ins- l’un d’eux, dont nous tairons l’identi- de ces mesures n’a à ce jour été appli- tinct violent, c’est la nature humaine», té. Selon lui, la corrida présente même quée. A titre d’exemple, la surveillance plaide un aficionado, justifiant ainsi la certains avantages pour les bovins, qui des abattages par vidéo caméra est dé- fascination de tout temps et sur tous «de toute façon sont condamnés à être sormais une «option», que les gérants les continents des peuples pour les abattus». «C’est bien moins terrible de d’abattoir peuvent choisir ou non d’ins- spectacles morbides, des exécutions mourir dans une arène, avec la possibi- taurer. Non contents d’être passifs et publiques aux jeux romains. Pour lui lité de se défendre, que de finir dans un conciliants, les politiques français sont 16
— La Fondation Franz Weber lutte pour que cette NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 sordide et sombre tradition n’existe plus que dans les musées et les livres d’histoire. également complices des violations aux sondages, ils ne sont pas forcément des droits des animaux. Lors d’un vote représentatifs» ajoute-t-il. à l’assemblée nationale en mai 2018, 48 députés français (dont 34 membres du A ce jour, aucun président n’a osé parti du président Macron, La Répu- prendre ouvertement parti pour les blique en Marche – LREM) ont couvert taureaux. Frileux pour dénoncer la bar- de honte le pays en votant contre ces barie que représente la tauromachie, propositions - sans doute par peur de beaucoup considèrent, à l’instar de se mettre à dos les lobbys de la viande Jacques Chirac, François Hollande ou et de contrarier les français qui esti- encore Nicolas Sarkozy, qu’elle est une ment «qu’il y a plus grave que la souf- tradition indissociable du Sud de la france animale». L’ampleur qu’a pris France. Et le fait que certains, – à l’ins- le mouvement des gilets jaunes, qui tar de Nicolas Sarkozy, réputé proche protestaient contre la mise en place de l’ancienne torera à cheval Marie de taxes écologiques, révèle un certain Sara, par ailleurs ancienne candidate nombrilisme typique de l’Hexagone: LREM dans le Gard aux législatives de en France, les gens sont plus préoccu- 2017 –, fréquentent des taurins notoires pés par leur pouvoir d’achat que par la ne simplifie pas les choses car leurs nécessité de se mobiliser pour la na- liens privilégiés rendent la corrida qua- ture et les animaux. si intouchable! Politiques mis à part, il pa- Cette prise de position en faveur de rait fort heureusement aujourd’hui la «tradition» n’est pas dénuée d’oppor- évident à une majorité de français que tunisme: le lobby taurin, souvent lié à tuer et torturer un être innocent pour celui de la chasse, représente un élec- le «divertissement» est inacceptable. tionale. Ici encore, les taureaux sont torat rural que les politiques, souvent Problème: les aficionados ont plus d’un victimes d’une tendance française à se taxés de «parisiens déconnectés des tour dans leur sac pour légitimer le figer, dès lors que l’on aborde des su- réalités de la province», sont soucieux maintien de leur passion cruelle. Afin jets dits «sensibles». Une militante des de préserver. Très proche d’Emmanuel de «blanchir» leur sordide hobby, tous, droits des femmes, qui ne souhaite pas Macron, qu’il tutoie, Thierry Coste, le y compris ceux qui ne défendent pas révéler son identité, établi un parallèle redoutable lobbyiste des chasseurs, est particulièrement la corrida, se cachent avec la lutte contre les mutilations gé- un fervent défenseur des «traditions» derrière un concept intouchable en nitales faites aux femmes: «Pour beau- et il a, pour cela, toute l’attention du France: la tradition. coup de gens, une mutilation, dès lors président. Enfin, la création en 1966 qu’elle est liée à la culture, devient to- de l’Union française des villes taurines LA SACRO-SAINTE TRADITION talement taboue. Prenez le cas de l’ex- (UVTF) a permis aux villes taurines de «Je n’aime pas particulièrement la cor- cision: il n’existe toujours pas de loi la parler d’une même voix: «Nous sommes rida mais ça fait partie du folkore du nommant spécifiquement! Les mutila- souvent en désaccord, mais dès lors sud, c’est une tradition!» lance un jeune tions sexuelles sont punies par la loi, qu’il s’agit de l’essentiel, c'est-à-dire dé- père de famille rencontré aux abords mais elles ne sont pas citées par leur fendre coûte que coûte notre tradition des arènes de Nîmes. La sacro-sainte nom d’origine, pour éviter la stigmati- taurine, nous faisons front commun et tradition, ce concept au nom duquel sation.» nous mettons de côté nos différents» toute abomination peut-être justifiée, résume l’un de ses membres. «Nous car elle est légitimée par des siècles de «L’UNION SACRÉE»: formons une union sacrée indébou- pratique, est l’arme fatale des aficio- LE POIDS DES LOBBYS lonnable que la grande majorité des nados. Car peu de politiques, y compris «Le problème avec la corrida, c’est politiques respecte, car ils ont bien ceux qui ne sont pas particulièrement qu’elle est soutenue par une poignée compris que nous défendions une tra- intéressés par la corrida, osent se pro- très organisée et très connectée» ré- dition ancestrale et profondément an- noncer contre un «acquis» culturel, sume un célèbre lobbyiste parisien crée » conclut-il en souriant. Unis pour aussi insignifiant soit-il à l’échelle na- sous couvert d’anonymat. «Attention le meilleur, mais surtout pour le pire… 17
Abandonnons toute désespérance! L’état catastrophique de notre pauvre monde pollué, saccagé et livré au chaos des bouleversements climatiques causés par l’irresponsabilité humaine, * ALIKA LINDBERGH nous pousse bien souvent à penser que Femme-écrivain, artiste-peintre, tout est perdu. Et il est vrai, hélas, qu’à naturaliste — bien des signes on peut redouter qu’il soit trop tard désormais pour sauver notre terre – sinon de l’apocalypse, au moins d’irréversibles désastres écologiques. 18
NR . 12 7 J A N V I E R | F É V R I E R | M A R S 20 19 Même parmi les plus courageux et quelqu’autres décideurs qui semblent considérons comme des droits mais fidèles combattants pour la nature, frappés d’inertie. surtout dont nous sommes dépendants le pessimisme s’installe peu à peu, En cette occurrence, il est bien diffi- comme des drogués à leurs poisons! et beaucoup de leurs combats res- cile de croire que «l’homme arrangera Enfin – et plus que tout – il faudrait semblent fort à des barouds d’honneur tout» comme je l’ai lu si souvent na- vaincre l’obtuse stupidité! – «Vaste pro- entrepris sans illusion pour la seule guère, sous la plume des croyants en gramme!» comme eut dit le Général de beauté morale du geste. Comment ne l’immarcescible supériorité humaine. Gaulle! pas comprendre leur découragement? Comment rêver que l’humanité ob- Dans «La Divine Comédie», Dante a Après tant de cris d’alarme lancés en sédée par le profit et de plus en plus écrit qu’au seuil des Enfers, on préve- vain, tant d’espèces disparues à jamais décadente, guérissant d’un coup de nait les âmes:«… Abandonnez toute es- en quelques décennies, après tant de baguette magique de sa navrante irres- pérance, vous qui entrez!» Or, nous voi- catastrophes d’origine climatique dont ponsabilité et son égocentrisme arro- ci, semble-t-il aux portes de l’Enfer… la fréquence anormale s’accentue, gant fasse front à l’urgence et redresse Alors?... que faire?... Abandonner toute après tant de victoires durement rem- énergiquement la barre? espérance? Vraiment? portées et aussitôt remises en question, Il y faudrait un miracle: celui de re- Non! A la réflexion, je préfère la for- les plus combattifs perdent espoir d’au- noncer à nos mauvaises habitudes si mule inspirée par Dante mais modi- tant qu’aucune décision drastique ca- plaisantes, si confortables, à nos «pro- fiée par Lautréamont: «… Abandonnez pable de stopper notre course à l’abîme grès» artificiels en tout genre, à tous toute désespérance, vous qui entrez! … n’est jamais prise par nos abus de pouvoir sur le reste du car, voyez-vous, si mince soit-il, l’espoir ces entités nom- monde vivant que nous avons réduit est ici, puisqu’il est en nous – en cha- mées «Etats» ou par en esclavage, toutes choses que nous cun de nous.» 19
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