Les Prix suisses de littérature 2020 - News

La page est créée Christian Guillet
 
CONTINUER À LIRE
Les Prix suisses de littérature 2020
Pour leur roman, leur rêverie ou leur recueil de poèmes, Flurina Badel, François Debluë, Doris
Femminis, Christoph Geiser, Pascal Janovjak, Noëmi Lerch et Demian Lienhard reçoivent un prix
suisse de littérature 2020. D’une voix singulière, ils rendent compte du monde contemporain. Ils déplient
les pages sombres de l’histoire, décrivent des bouleversements intimes, saisissent des changements de
mentalité et des transformations du paysage.

Durant tout le printemps, la tournée de lectures les emmènera à la rencontre du public des différentes
régions de Suisse.

Lors de ces lectures, Marion Graf, traductrice de Robert Walser, de Zsuzsanna Gahse et d’autres
auteurs alémaniques comme russes, lèvera le voile sur son travail de la langue, honoré par le Prix spécial
de traduction 2020. Quant à Sibylle Berg, reconnue comme l’une des voix les plus puissantes de la
littérature de langue allemande et lauréate du Grand Prix suisse de littérature 2020, elle reviendra sur
son roman GRM. Brainfuck, qui a marqué l’année littéraire 2019.

Prix suisses de littérature 2020                                                                        1
Flurina Badel, tinnitus tropic, poesias, Zürich, editionmevinapuorger, 2019

Citations
plastiqueries ternies
depuis le restoroute / ma main par la fenêtre / escrime avec le vent
heures découpées en tranches / sur le trait de goudron / coups de freins çà et / là des cadavres /
papillonnent devant les yeux
regarde la mer / quelle vue infernale / le long de buissons ornés pastel

tintouin tropique
tu dis / rareté l’oiseau / qui aiguise son bec de métal
de l’arbuste il / s’élance en l’air / de haut en bas / flèche qui vise mes pieds nus / se crashe à côté
ailes abattues sur le goudron
tu l’enveloppes dans du papier de soie
et l’air bourdonne

trinnitus tropic
Le livre, matériellement très réussi, contient 49 poèmes imprimés en une police vert foncé et divisés en
sept parties. Un « je » et un « tu » partent en des voyages bien peu idylliques. Des cadavres d’animaux
gisent dans les rues, des morceaux de plastique sont coincés dans des buissons et, finalement, la mer
apparaît en une « épouvantable vision ». Dans les montagnes ou dans les villes, à pied, en voiture ou
dans le métro, à la table de la cuisine ou dans le jardin, l’harmonie se refuse sans cesse à la poétesse, qui
révèle les blessures, les déchirures, les éclats, les abîmes et les absurdités. Dans l’écoulement sans fin
du temps, les relations amoureuses et l’identité sont aussi fragiles que l’environnement, que l’homme
menace de détruire. (« Das Leben ist ein Provisorium / und du ein Blitzableiter » (La vie est un passage
/ et toi, un paratonnerre). Avec insolence, Flurina Badel mêle au romanche des expressions anglaises,
allemandes et françaises. La martre qui traverse un parking est ainsi déclarée meilleure protectrice de la
planète « melgder ecoactivist ever ». Le langage quotidien côtoie les allusions littéraires. Les biens de
consommation comme la nicotine, le café et la gomme à mâcher sont associés, en des images frappantes,
aux constellations et aux quatre éléments – l’eau et l’air, le feu et la terre. Le bruit irritant de l’acouphène
évoqué dans le titre résonne dans les nombreux i’s et marque tout le recueil de Flurina Badel, qui
surprend et convainc par la force de la langue employée.

Flurina Badel
Flurina Badel est née et vit aujourd’hui encore à Guarda, en Engadine. Elle suit des études gymnasiales
de journaliste avant d’obtenir un Master of Fine Arts à l’Institut d’art de la Haute école d’art et de design
(Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse de Bâle). Entre 2017 et 2018, elle a étudié à l’Institut
des Arts du langage de l’Université d'Arts appliqués de Vienne. Depuis 2014, elle travaille comme artiste
au sein du duo Badel/Sarbach, honoré en 2019 par le Prix culturel Manor. Depuis 2016, elle est
rédactrice à l’émission littéraire « Impuls » sur la RSR. Elle écrit en romanche (Vallader) et en allemand
des textes courts en vers ou en prose. En 2018, elle reçoit le prix OpenNet des Journées Littéraires de
Soleure et la bourse double du Pour-cent culturel Migros.

https://badelsarbach.com
https://www.editionmevinapuorger.ch/autoren/flurina-badel/tinnitus-tropic/
https://www.viceversaliteratur.ch/book/20495

Prix suisses de littérature 2020                                                                              2
François Debluë : La seconde mort de Lazare, Rêverie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2019

Citations
On l’avait déclaré mort, et déjà on l’avait enterré. Il s’en était sorti. Jamais plus sa vie ne serait-ce
qu’elle avait été jusqu’alors. Ses habitudes, ses routines, ses sagesses, toutes avaient été d’un coup
comme congédiées.

De mauvaises langues disaient Lazare complice de Joshua. On prétendait que tout cela n’avait été que
théâtre et mise en scène […].

La seconde mort de Lazare, Rêverie
Il y a eu la mort de Lazare, puis sa résurrection. François Debluë reprend ce récit ancien, dont on a
collectivement gardé la mémoire, pour imaginer la seconde mort et, surtout, la seconde vie de cet
homme. L’écrivain s’autorise toutes les libertés qu’offre la littérature, mettant ses talents de conteurs au
service de cette « rêverie ».
Lazare est un homme aisé de Béthanie qui vit entouré de son épouse, Abigaïl, de leurs trois enfants ainsi
que de ses deux sœurs. Dans le voisinage, il est estimé et apprécié pour sa générosité et sa loyauté.
Enclin lui-même à la rêverie, il aime à passer les premières heures du jour à observer la lumière et les
rivages d’un lac, dans les alentours de Béthanie. C’est là, dans sa barque, qu’il est retrouvé inerte. Et le
jour de son enterrement, son grand ami Joshua, venu de loin, le ramènera à la vie avant de repartir pour
Jérusalem.
Après ce qu’il nomme son « accident », Lazare traverse une longue période de convalescence. Il souffre
de la culpabilité du survivant, ses nuits sont hantées de cauchemars. La présence des siens ne suffit pas
à contrer son sentiment de solitude. Peu à peu, il s’éloigne d’Abigaïl. Mais à mesure que reviennent ses
forces, son corps éprouve des émotions nouvelles. Sa sensibilité est vive. Il est alors pris d’un désir
immense pour Sarah, mariée à Zacharie, son contremaître. Ce désir partagé, auxquels les amants ne
pourront renoncer, aura toutefois des conséquences funestes.
François Debluë décrit avec finesse les sensations physiques et les tourments intérieurs de Lazare. En
contre-point de ces passages intimistes, il rend compte de la vie de la maisonnée et donne à entendre les
rumeurs, celles de Béthanie comme de Jérusalem. Avec une légère distance qui invite à la réflexion,
l’écrivain rapporte les colères de la foule capable de mettre à mort des hommes et des femmes, au nom
de la morale et de la bienséance.

François Debluë
Né près de Lausanne en 1950, François Debluë habite à Rivaz (VD), sur les bords du lac Léman. Après
des études de lettres, il enseigne la littérature française. Romancier, prosateur, fabuliste et chroniqueur,
François Debluë se considère avant tout comme un poète. Il est l’auteur d’une trentaine de livres, parus
pour la plupart aux éditions de l’Âge d’homme et Empreintes, parmi lesquels Lieux communs (1979),
Travail du temps (1985), Entretien d’un sentimental avec son mur (1994), Naissance de la lumière
(2001), Une certaine Chine (2012), Lyrisme et dissonances (2015), La dame de la mer, Après Ibsen
(2018), Poèmes de l’anneau d’or (2019). En 1995, il compose le poème de la Fête des vignerons, Les
saisons d’Arlevin. En 2020, il obtient un Prix suisse de littérature pour La seconde mort de Lazare,
Rêverie (L’Âge d’Homme, 2019).
François Debluë a reçu, entre autres récompenses, le Prix Michel-Dentan 1990 pour Troubles fêtes
(L’Âge d’Homme, 1989), traduit en allemand par Yla von Dach (Jubel Trubel, Benziger, 1993) et le
Prix Schiller 2004 pour l’ensemble de son œuvre.
https://www.viceversalitterature.ch/author/4807

Prix suisses de littérature 2020                                                                          3
Doris Femminis, Fuori per sempre, Milano, Marcos y Marcos, 2019

Citations
[...] Giulia Borioli, déchaînée, rompit le lien qui l’unissait à Esteban, à ses amis tourbillonnants et à la
terre vacillante pour s’élancer au son des trilles du diable.

Pour les émotions, elle prenait des feuilles. Sur de petits bâtons, elle plantait des feuilles de bouleau
pour les conversations aimables et inoffensives, des feuilles de hêtre pour les conflits, les craintes qui
s’émoussent et les chagrins, de chêne pour les mauvaises humeurs, de châtaigner pour les crasses
dissimulées sous les masques lisses des visages [...]

Fuori per sempre
Tessin, années 1990. Giulia, égarée, incertaine quant à son avenir, est admise à l’hôpital psychiatrique
de Mendrisio à la suite d’une tentative de suicide. Grâce au récit de sa petite sœur, Annalisa, et à la
proximité d’Alex Sanders, une autre patiente passionnelle et pleine de rage, Giulia s’efforce de découvrir
qui elle est vraiment. Les histoires du personnel hospitalier et surtout de ses proches complètent ce
tableau : sa mère atteinte d’une dépression chronique, ses frères confrontés aux contraintes de la vie
paysanne et son meilleur ami, Esteban, en osmose totale avec la nature qui l’entoure et pilier de son
existence.
Dans un tourbillon rythmé par les fugues de la protagoniste et l’enchevêtrement des vies des autres
personnages, les histoires et les thématiques se multiplient. Au-delà de celle de la dépression – présentée
si bien du point de vue des patients que du personnel soignant –, d’autres sujets sont évoqués tels que la
relation mère-fille, le passage à l’âge adulte, le rapport aux autres et à la nature, ainsi que la ville et la
campagne, les drogues, la déchéance, le sexe, les excès ou encore l’histoire de la psychiatrie et les
discriminations.
Par sa langue vive, ses images fortes et élémentaires, Doris Femminis nous invite, avec tout le respect
et l’intégrité que requiert le sujet, à entrer dans l’univers difficile et méconnu de la psychiatrie.

Doris Femminis
Doris Femminis naît en 1972 à Cavergno (Vallemaggia). Infirmière psychiatrique de profession, après
avoir étudié à Genève durant huit ans, elle devient chevrière dans le Val Bavona, un travail auquel elle
renonce finalement pour rentrer à Genève et approfondir ses études en psychiatrie. Avec la maternité
réapparaît aussi la nécessité d’écrire. Actuellement, elle travaille comme infirmière à domicile dans le
Canton de Vaud. Son premier roman, Chiara cantante e altre capraie (Pentàgora, 2016) a reçu de
nombreuses distinctions.

http://www.marcosymarcos.com/autori/femminis/
https://www.viceversaletteratura.ch/author/15740

Prix suisses de littérature 2020                                                                            4
Christoph Geiser: Verfehlte Orte, Erzählungen, Secession Verlag für Literatur, 2019

Citations
Au fond, ne voulons-nous pas secrètement être renversés ? Mais pas par le peuple ! Et par aucune
majorité.

Je plaide, mesdames et messieurs, en faveur de la visibilité de la langue – car celui, qui aujourd’hui a
une langue, pourrait ne pas être socialement visible. (Christophe Geiser, Der Angler des Zufalls, 2009)

Geiser est un des auteurs contemporains les plus en avance, les plus intransigeants, les plus
courageux : virtuose de la langue, versé dans les eaux de la poétologie, d’une érudition effarante sans
jamais tomber dans le pédantisme vide. (Sabine Haupt, sur literaturkritik.de, le 25.5.2019)

Verfehlte Orte
Venise et ses rues en forme de labyrinthe, des œuvres de Adolph von Menzel, un appartement à l’Est
de Berlin avant le tournant ou un multiple meurtre incompréhensible : dans cinq récits, Christoph Geiser
visite des lieux qui se sont imposés à lui comme des énigmes. Ces lieux et ces topographies l’attirent
comme par magie et le séduisent, l’auteur se perd dans les images et les correspondances, derrière
lesquelles il pressent l’inexploré. Invité de la « fructueuse » Académie de la langue et des sciences, il
tombe amoureux, lors d’une visite au Musée régional de la Hesse, des hommes de Néandertal de
Darmstadt. À la Alte Nationalgalerie de Berlin, il est fasciné par le sublime rideau de La Chambre avec
balcon de Menzel, avec le pressentiment que le rideau est peut-être mû par un fantôme un peu puéril.
Dans le dernier récit, « Step by step », l’intérêt est entièrement porté au multiple meurtre de Rupperswil,
qui effleure le thème de la pédophilie et soulève ainsi des questions très osées.
L’auteur poursuit une clarté qui semble fuir dès le début, comme l’annonce le titre même, Verfehlte
Orte. Mais où se situe ce manque : dans l’auteur même ou dans les circonstances extérieures ? Christoph
Geiser cherche en vain une réponse définitive dans les méandres d’une profonde autoréflexivité et dans
la forme d’une discrète narration en « nous ». Il trouve ainsi, dans ses tentatives d’élucidation, une
langue aussi fragile qu’élégante. Christoph Geiser est donc doublement entraîné par Eros, que sa prose
cerne en effet dans une langue elle-même subtilement érotique.

Christoph Geiser
Né en 1949 à Bâle, Christoph Geiser travaille à son compte comme écrivain, entre Berne et Berlin. Il
fréquente le gymnase humaniste de Bâle et, en 1968, se « perd » dans la sociologie, comme il l’écrit lui-
même. Il abandonne alors ses études et « trouve dans le marxisme (surtout chez Brecht) un point
d’Archimède ». Il se tourne vers le journalisme, travaille pour le journal Vorwärts avant de se consacrer
pleinement à la littérature. En 1978, il fait son apparition sur la scène littéraire avec Grünsee avant d’en
proposer la suite deux ans plus tard avec Brachland. Son règlement de compte avec sa famille grande
bourgeoise lui vaut parfois une réputation d’auteur « choquant ». Depuis, près de 20 livres ont été
publiés, dans lesquels il mêle comme nul autre le privé et l’obsession sexuelle à la société et à ses codes.
En 1985, il devient membre correspondant de l’Académie allemande pour la langue et la création
littéraire de Darmstadt. Son œuvre a été récompensée par de multiples prix, dont le Prix de littérature de
la Ville de Berne en 1992 et le Grand Prix de littérature de la Ville et du Canton de Berne en 2018.

Site internet : http://www.christophgeiser.ch/

Prix suisses de littérature 2020                                                                          5
Pascal Janovjak, Le Zoo de Rome, roman, Actes Sud, Arles, 2019

Citations
La virilité d’un empire est proportionnelle à la taille de son zoo, tout le monde sait ça.

Je vais vous dire, c’est quelque chose que j’ai compris avec le temps, je ne devrais pas vous dire ça…
mais les gens qui fréquentent souvent les zoos, ils ont toujours un problème. Ou alors, précisa Salvatore,
ils ont des enfants.

Le Zoo de Rome
Dans son deuxième roman, Pascal Janovjak entraîne ses lectrices et ses lecteurs dans la « zone non
cartographiée » du zoo de Rome. Avec beaucoup d’humour et un sens de l’observation très affûté, il
entremêle l’histoire fascinante de ce parc animalier à celles de personnages hauts en couleur. Maîtrisant
parfaitement les ressorts de la fiction, il noue plusieurs intrigues jusqu’aux révélations finales.
Érigé au cœur de la capitale, le zoo a été inauguré en 1911 pour célébrer le 50 e anniversaire de l’unité
de l’Italie. À l’époque, le pays rêve de grandeurs et d’expansion. Au début du roman, on suit la création
du zoo avec son concepteur allemand, Karl Hagenbeck, le célèbre marchand d’animaux sauvages. Plus
tard, on croisera Benito Mussolini et sa lionne, le pape ou encore Salman Rushdie.
Dans cette traversée du 20e siècle s’imbrique le quotidien du « bioparco », à la veille de son 100e
anniversaire. On assiste à la rencontre amoureuse de Giovanna, la nouvelle directrice de la
communication, et Chahin, un architecte algérien envoyé au zoo pour une mystérieuse mission. On
pénètre dans le laboratoire de Moro, le très ambitieux vétérinaire, et on savoure les récits de Leonardi,
véritable mémoire du lieu. La vie de ce petit monde est brusquement chamboulée, le jour où le
« tamandin », dont s’occupe Leonardi, devient le dernier représentant de son espèce. Le zoo renoue alors
avec le succès. Mais pour combien de temps ? et à quel prix ?
Dans ce roman très documenté, Janovjak fait du zoo de Rome un miroir de la société européenne. Il
déconstruit son histoire coloniale avec finesse et interroge un siècle de relations à la nature.

Pascal Janovjak
Né en 1975 à Bâle d’une mère française et d’un père slovaque, Pascal Janovjak fait des études de lettres
à Strasbourg avant de quitter l’Europe pour de nombreuses années. Il séjourne en Jordanie, enseigne le
français à l’Université de Tripoli, puis dirige, de 2002 à 2005, l’Alliance française de Dhaka, au
Bangladesh. Il s’établit ensuite à Ramallah en Palestine, où il donne des cours de littérature. En 2011, il
bénéficie d’une résidence d’écriture à l’Institut suisse de Rome. Depuis, il vit dans la capitale italienne.
En 2007, Pascal Janovjak publie un premier livre, Coléoptères (éd. Samizdat). Ce recueil de brèves
proses est suivi d’un roman, L’Invisible (éd. Buchet Chastel, 2009). En 2012, Janovjak signe avec
l’autrice québécoise Kim Thuy, À toi, récits croisés (Liana Levi).

https://www.viceversalitterature.ch/author/3535

Prix suisses de littérature 2020                                                                          6
Noëmi Lerch: Willkommen im Tal der Tränen, avec des illustrations de Walter Wolff, Verlag die
brotsuppe, 2019

Citations
Tuinar pose ses mains sur la table. Il les tient prêtes. Par elles, c’est une vie entière qu’il présente. Il
n’a aucun diplôme. Mais il a ses mains.

On attend les torrents de touristes du bas. Avec leur argent, ils doivent aider à sauver la nature et les
indigènes. Mais pourquoi pas l’inverse. Nous, les paysans, on pourrait descendre de notre vallée pour
aller en ville.

Nous, les hommes, on devrait réapprendre à créer. […] Pour moi, ça roule ici [sur la Greina]. C’est
une grande chance de pouvoir passer quelques mois dans l’année sans devoir rien acheter. (Noëmi
Lerch, Südostschweiz, 3 septembre 2019)

Willkommen im Tal der Tränen
La « Vallée de larmes » est un alpage où paissent des vaches et où trois vachers produisent du fromage.
Ici comme ailleurs, le paysage n’a plus rien d’idyllique : la terre est creusée par une pelle mécanique et
des flots de touristes viennent depuis les plaines. De nuit, cependant, le calme règne dans l’alpage et
« les sons de cloches résonnent contre les murs de la nuit ». Zoppo, Lombard et Tuinar, le nouveau,
accomplissent avec circonspection leur labeur quotidien. Zoppo garde un silence serein quand
Lombard, au contraire, semble parfois étouffer de rage. Tuinar, lui, vient de loin et rêve de la mer qu’il
a quittée ; et pourtant, il est joyeux d’être ici.

La langue de Noëmi Lerch est claire, simple et poétique. L’autrice capture des moments et des
sensations fugitives, fait apparaître de foudroyantes images sans les peindre complètement. Elle ne
laisse que rarement jaillir la narration, sauf pour la retenir aussitôt. Sa prose dépouillée ne remplit guère
le blanc des pages. Aux espaces vides répond, sur l’autre page, un fond noir sur lequel apparaît un
dessin du duo Walter Wolff. Noëmi Lerch, qui a elle-même vécu dans les Alpes, ne propose, dans
Willkommen im Tal der Tränen, aucune vision idyllique du pays et ses trois personnages ne sont pas
des modèles de vertu. Enfermés dans une monotonie quotidienne, qu’il vente ou qu’il neige, ils
comprennent qu’ils ne sont les rouages d’un tout immense et étrange.

Noëmi Lerch
Née en 1987 à Baden (AG), Noëmi Lerch est agricultrice et autrice à Aquila (TI) et passe l’été sur la
Greina en tant que gardienne de troupeau. Elle a étudié à l’Institut littéraire suisse de Bienne et à
l’Université de Lausanne. Elle a ensuite travaillé comme reporter de voyage et rédactrice pour la revue
pour la culture viatique Transhelvetica. Depuis 2014, elle forme un duo avec la violoncelliste Sara Käser
pour des performances texte-musique. En 2015, Noëmi Lerch entre dans le monde de la littérature avec
le texte en prose Die Pürin, un portrait de femmes « attentif au son le plus intime de l’existence »,
comme l’écrit Roman Bucheli dans la NZZ. En 2016, elle reçoit le Prix Terra Nova de la Fondation
Schiller. L’année suivante paraît Gri, dans lequel l’autrice, avec une langue simple et parfois onirique,
part à la recherche des souvenirs de plusieurs générations dont beaucoup restent flous. Avec Willkommen
im Tal der Tränen, Noëmi Lerch clôt sa trilogie sur la vie rurale.

Site internet : http://diebrotsuppe.de/autoren/noemi-lerch

Prix suisses de littérature 2020                                                                            7
Demian Lienhard: Ich bin die, vor der mich meine Mutter gewarnt hat, Frankfurter Verlagsanstalt,
2019

Citations
Mon beau-père m’a un jour raconté que les soviets ont construit le rideau de fer et que la RDA a
construit le mur parce qu’ils avaient peur que les gens fuient ; à Neuenhof, on s’est contenté de ne pas
construire de gare.

Le temps ne guérit absolument rien. Tout ce qu’il peut, c’est passer. Et même ça, il ne le fait pas
particulièrement bien.

Lienhard met en scène une danse macabre d’abord tranquille et qui, peu à peu, devient toujours plus
obsédante. (Hans-Peter Kunisch, Süddeutsche Zeitung, 7 août 2019)

Ich bin die, vor der mich meine Mutter gewarnt hat
L’histoire d’Alba, Jack, Gerold et de leurs compagnons nous ramène aux années 1970 et 1980, lorsque
l’essor économique s’est mis dévorer ses enfants. À Baden, le pont s’élève à plus de 20 mètres au-
dessus du fleuve. Rolf, Martina et Kai ont déjà sauté depuis là. D’après Alba, une chute ne dure, par
vent calme, que 2,08 secondes. Elle-même choisit un autre chemin, puisqu’elle s’ouvre les veines ;
seulement, le froid de l’hiver empêche l’hémorragie. Elle finit donc à l’hôpital, où Jack lui rend visite
et lui apporte de la crème glacée et du champagne. Alba, presque 20 ans, rapporte la scène avec une
laconique légèreté, comme si rien ne s’était passé. Elle a déjà perdu sa sœur et deux pères. Même sa
mère échappe de plus en plus à son attention, depuis qu’Alba sort avec Jack et passe souvent la nuit
chez lui.

Alba et ses amis trouvent refuge dans le sarcasme et l’amertume, et cherchent secours dans la drogue.
Après la maturité, ils se retrouvent à la Coupole de Bienne ou au Platzspitz de Zurich. L’herbe rend
mou et l’héroïne étreint insensiblement. Et toujours plus crûment, les récits laconiques d’Alba révèlent
une désespérance latente. Le roman de Demian Lienhard trouve le ton juste pour tenir l’écart dangereux
entre désinvolture et amertume, sans jamais tout à fait en combler le gouffre. Ce roman, qui se lit si
facilement, est une tragi-comédie sombre, au dénouement heureux – ou tragique.

Demian Lienhard
Né en 1987 à Baden (AG), Demian Lienhard vit à Francfort-sur-le-Main et est assistant scientifique à
l’Institut des sciences archéologiques de l’Université Johann Wolfgang Goethe depuis 2018. Il a étudié
l’archéologie classique, la philologie latine et la linguistique espagnole à Zurich, Cologne et Rome et
avant de devenir docteur en archéologie classique. Pour son œuvre littéraire, il a entre autres reçu en la
Bourse Stadtschreiber de Schwaz (Tirol) en 2017, a participé à la finale de l’open mike de Berlin en
2016 et 2018 et a remporté en 2018 le second prix au « concours littéraire de Prenzlauer Berg ». Ses
textes ont paru dans de nombreuses revues littéraires et anthologies. Ich bin die, vor der mich meine
Mutter gewarnt hat est son premier livre publié.

www.fva.de/Demian-Lienhard.html

Prix suisses de littérature 2020                                                                        8
Marion Graf
Prix spécial de traduction 2020

Citations
Marion Graf est une intellectuelle éprise d’action, décidée, énergique, travailleuse, soucieuse de
qualité, avec une grâce et une élégance rayonnantes. Elle partage avec les écrivains et les artistes sa
curiosité du contemporain sous ses formes les plus novatrices, ses inquiétudes éthiques e sa soif
d’ouverture comme de beauté. (Doris Jakubec, Entwürfe, Zeitschrift für Literatur, 45, mars 2006)

Je ne sépare pas lecture, critique et traduction : ce sont trois façons de s'exposer à un texte, de se
laisser (plus ou moins) envahir par lui, et d'y apporter une réponse. Le texte me transforme, et je le
transforme. (Marion Graf, propos recueillis par Isabelle Martin, Feuxcroisés, 3, 2001)

La traduction est aussi une sorte de jeu de rôles. On s'identifie à l'écrivain, au code qu'il a choisi, au
rôle qu'il endosse. On se met dans sa peau. (Marion Graf, propos recueillis par Anne Pitteloud, Le
Courrier, 09.09.2006)

Si le poème / original se grise ici des noms / (allemands) des ruisseaux de la région, // la traduction,
plus libre, donnera / à ces ruisselets et affluents une / poignée de nouveaux noms et de surnoms […]
(Zsuzsanna Gahse, Cubes danubiens, trad. Marion Graf, Hippocampe, Lyon, 2019)

Biographie
Traductrice littéraire de l’allemand et du russe, Marion Graf est née en 1954 à Neuchâtel, d’un père
suisse et d’une mère française. Elle a passé son adolescence à La Chaux-de Fonds. Ensuite, elle a mené
des études de lettres (français, russe, espagnol) aux universités de Bâle, Lausanne, Voronej (Russie) et
Cracovie (Pologne), avant de s’établir à Schaffhouse.
Marion Graf a rendu accessible aux francophones de nombreuses œuvres suisses-alémaniques, aussi
bien des romans, des poèmes, des essais que des récits pour la jeunesse. Son nom est associé à celui de
Robert Walser, dont elle a traduit une quinzaine de livres de proses brèves et de poèmes, parus pour la
plupart aux éditions Zoé. On lui doit aussi des textes de Erika Burkart, Zsuzsanna Gahse, Klaus Merz,
Franz Hohler, Peter Utz, Markus Werner, parmi de nombreux autres. En 2020, sortira sa traduction de
Gottfried Keller, Les Lettres d’amour détournées (éd. Zoé).
Du russe, elle a traduit le roman d’Alexandre Grine L’Écuyère des vagues (éd. L’Âge d’Homme),
L’Églantier fleurit et autres poèmes d’Anna Akhmatova (avec José-Flore Tappy, éd. La Dogana), des
albums jeunesse, tels que Le Cafard de Korneï Tchoukovski (éd. La Joie de lire), et des poètes pour des
revues (La Revue de Belles-Lettres, viceversa littérature, Europe, Passage, etc.)
Parallèlement à son activité de traductrice, Marion Graf a enseigné dans des gymnases puis à la Haute
École pédagogique de Schaffhouse et mené diverses activités dans le milieu littéraire. Elle s’est
particulièrement engagée dans ses deux domaines de prédilection, la traduction littéraire et la poésie
contemporaine.
Dès les années 1980, elle a signé des critiques dans le quotidien Le Journal de Genève puis Le Temps.
Elle a participé à la création de la revue Feuxcroisés, dont elle a fait partie du comité de rédaction de
1999 à 2005. En 2010, elle a repris la direction éditoriale de La Revue de Belles-Lettres, une revue de
renommée internationale consacrée à la poésie contemporaine.
De plus, Marion Graf a pris part à plusieurs projets éditoriaux. Elle a contribué à L’Histoire de la
littérature de Suisse romande (dir. Roger Francillon, éd. Zoé, 1999, revue en 2015), dirigé L’Écrivain

Prix suisses de littérature 2020                                                                           9
et son traducteur (éd. Zoé, 1998) et réuni, avec José-Flore Tappy, poète et chercheuse en littérature,
l’anthologie La Poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars (éd. Seghers, 2005).
Elle a également été membre de la commission de programmation des Journées littéraires de Soleure et
de plusieurs jurys de prix littéraires (prix suisses de littérature, prix de traduction Gérard de Nerval, prix
lémanique de traduction, prix Michel Dentan, etc.). Pendant vingt ans, elle a soutenu des projets de
traduction littéraire en Suisse au sein de la commission de publication de la Collection ch, qu’elle a
présidée de 1999 à 2009.

Prix et distinctions
Marion Graf a été récompensée à plusieurs reprises pour ses traductions et ses activités dans le milieu
éditorial. Elle a d’abord reçu le prix Lipp Zurich 1999 pour Frère Jacques de Klaus Merz, puis le prix
Fondation UBS pour la culture 2003, le prix de Belles-Lettres 2006, ainsi qu’une bourse Leenards en
2008. En France, ses traductions de Robert Walser lui ont valu le prix André Gide des traductions franco-
allemandes 2002 et le prix Laure Bataillon classique 2010. Le Prix lémanique, attribué à d’éminents
traducteurs de l’allemand vers le français et du français vers l’allemand, lui a été remis en 2006. Son
engagement en faveur des échanges entre les différentes régions linguistiques de Suisse a été salué, en
2010, par une donation d’honneur de la Fondation Martin Bodmer.

Zsuzsanna Gahse, Cubes danubiens, trad. Marion Graf, Hippocampe, Lyon, 2019
Il fallait toute la délicatesse d’une passionnée de poésie pour traduire Donauwürfel de Zsuzsanna Gahse,
Cubes danubiens en français. Avec ce livre paru en 2010 chez Korrespondenzen, la lauréate du Grand
prix suisse de littérature 2019 réinvente le poème-fleuve : elle crée une nouvelle forme poétique – le
cube –, pour écrire sur le Danube, ce fleuve qui, franchissant les frontières, traverse l’Europe centrale
d’ouest en est.
Gahse suit le parcours de l’eau en mélangeant les registres avec vivacité, gravité et humour. Elle
entrecroise des récits, des énumérations de poissons et de rivières et des réflexions sur la langue. Chaque
cube est composé de dix strophes, réunissant dix décasyllabes, à savoir dix vers de dix syllabes. Les
tensions entre le vers et les phrases donnent au livre sa vivacité, tout en rappelant les mouvements de
l’eau dans le lit du fleuve.
Marion Graf avait découvert les Donauwürfel de Zsuzsanna Gahse lors d’une lecture publique. Il lui
avait inspiré un numéro de La Revue de Belles-Lettres (RBL), entièrement consacré au Danube. C’est
pour ce « Danube poétique » (RBL, 2016,2) qu’elle avait traduit un premier extrait. En lisant Cubes
danubiens, on apprécie le rythme qu’elle a trouvé pour rendre toute la sagacité du style de l’autrice, née
à Budapest sur les bords du Danube. La traductrice a également su jouer avec la métrique et la tradition
poétique française pour recréer la tension entre la prose et le vers caractéristique de l’œuvre de Gahse.
Autre particularité de ce livre, Marion Graf, pour qui la traduction est avant tout un dialogue, a pu
compter avec la complicité de Zsuzsanna Gahse. En effet, connaissant bien les difficultés de l’exercice,
étant elle-même traductrice, celle-ci a généreusement réécrit deux « cubes » pour que les jeux sonores
puissent être transposés en français par Marion Graf:
                « Mais ici, ding ding dong : pour les oreilles
                françaises, le texte doit s’arranger
                pour faire sonner les OU et les U,
                sachant qu’à Ulm, la ville s’appelle Oulm,
                et que le texte original comporte
                quantité de mots prononcés OU comme
                Oulm, Hunnen et Hunde. […] »

Prix suisses de littérature 2020                                                                           10
BIBLIOGRAPHIE

Traductions de l’allemand
À paraître : Gottfried Keller, Les Lettres d’amour détournées, Zoé, Genève (Chêne-Bourg), 2020
Zsuzsanna Gahse, Cubes danubiens, Hippocampe, Lyon, 2019
Robert Walser, Ce que je peux dire de mieux sur la musique, Zoé, Genève (Chêne-Bourg), 2019 (avec
d’autres trad.).
Klaus Merz, Hart am Wind/Au plus près du vent, préface de Martin Zingg, En bas/CTL/SPS,
Lausanne, 2018
Peter Utz, Culture de la catastrophe, Les littératures suisses face aux cataclysmes, Zoé, Genève
(Carouge), 2017
Christoph Simon, Vocation : promeneur, Zoé, Genève (Carouge), 2016
Robert Walser, L’Enfant du bonheur, Zoé, Genève, 2015
Robert Walser, Lettres de 1897 à 1949, Zoé, Genève, 2012
Ralph Dutli, Mon temps, mon fauve, Le Bruit du Temps, Paris, 2012
Robert Walser, Petite prose, Zoé, Genève, 2009
Robert Walser, Au bureau, Zoé, Genève, 2009
Erika Burkart, Langsamer Satz - Mouvement lent, En bas, Lausanne, 2008
Robert Walser, Poèmes, Zoé, Genève (Carouge), 2008
Robert Walser, Morceaux de prose, Zoé, Genève (Carouge), 2008
Gerhard Meier, Habitante des jardins, Zoé, Genève (Carouge), 2008
Robert Walser, Vie de poète, Zoé, Genève (Carouge), 2006
Robert Walser, Histoires d’images, Zoé, Genève (Carouge), 2006
Robert Walser, Seeland, Zoé Genève (Carouge), 2005
Aglaja Veteranyi, Pourquoi l’enfant cuisait dans la polenta, L’Esprit des Péninsules, Paris /En bas,
Lausanne, 2004
Robert Walser, L’Écriture miniature, Zoé, Genève, 2004
Markus Werner, Zündel s’en va, Zoé, Genève, 2003
Robert Walser, Le Territoire du crayon. Proses des microgrammes. Zoé, Genève (Carouge), 2003
Klaus Merz, Déplacement / Kurze Durchsage, Empreintes, Moudon, 2002
Markus Werner, L’Ami de Lesseps, Zoé, Genève (Carouge), 2001
Robert Walser, Nouvelles du jour, Zoé, Genève (Carouge), 2000
Robert Walser, Porcelaine Minizoé, Genève (Carouge), 2000
Robert Walser, Porc-épic, Minizoé, Genève (Carouge), 2000
Erica Pedretti, Pays perdu, Zoé, Genève (Carouge), 1999
Klaus Merz, Frère Jacques, Zoé, Genève (Carouge), 1998
Markus Werner, Le Dos tourné, Zoé, Genève (Carouge), 1995
Conrad Ferdinand Meyer, La Femme juge, L’Aire, Vevey, 1994
Franz Hohler, La Reconquête, Zoé, Genève (Carouge), 1991

Traductions du russe
Alexander Markin, « Journal [2011-2015] » (Extraits), in Viceversa Littérature n°11, 2017
Anna Akhmatova, L’Églantier fleurit et autres poèmes, trad. en collaboration avec José-
Flore Tappy, La Dogana, Genève, 2010
Vladimir Odoïevski, Les Nuits russes, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1991
Alexandre Grine, L’Écuyère des vagues, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1986

Littérature jeunesse (sauf mention contraire : trad. de l’allemand)
Florence Parry Heide et Sergio Ruzzier, Contes pour l’enfant parfait, trad. de l’anglais

Prix suisses de littérature 2020                                                                  11
avec Jean-Pierre Lanarès, La Joie de lire, Genève, 2019
Laurenz Pauli, Après la fête, OSL, Zurich, 2018
Andreï et Natalia Snegiriov, Koshka au centre du monde, trad. du russe, La Joie de lire, Genève,
2018
Piotr & Józef Wilkon, Roseline, le petit chat, OSL Zurich, 2017
Franco Supino, Le Caillou de Lina, OSL, Zurich, 2016
Vera Eggermann, Et après ?, OSL, Zurich, 2016
Oren Lavie, L’Ours qui n’était pas là, trad. de l’anglais avec J.P Lanarès, La Joie de lire, Genève,
2015
Jürg Schubiger, Facile à trouver, facile à manquer, La Joie de lire, Genève, 2014
Jürg Schubiger, Deux qui s’aiment, La Joie de lire, Genève, 2013
Heinrich Heine, Pauvre Pierrot, La Joie de lire, Genève, 2013
Wolfdietrich Schnurre, La Princesse vient à quatre heures, La Joie de lire, Genève, 2012
Jürg Schubiger, Quand la mort est venue, La Joie de lire, Genève, 2012
Eduard Mörike, À minuit, La Joie de lire, Genève, 2011
Oleg Grigorev, Et alors ? trad. du russe, La Joie de lire, Genève, 2010
Heinz Janisch, Wolf Erlbruch, Le Roi et la mer, La Joie de lire, Genève, 2009
Rotraut Susanne Berner, Léo & Charlie, La Joie de lire, Genève, 2009
Jürg Schubiger, Franz Hohler, Aux commencements, La Joie de lire, Genève, 2008
Robert Walser, L’Homme qui ne remarquait rien, La Joie de lire, Genève, 2004
Korneï Tchoukovski, Un courant d’air dans la bouche, trad. du russe, La Joie de lire, Genève, 2004
Franz Hohler, Le Grand Nain et autres histoires, La Joie de lire, Genève, 2004
Korneï Tchoukovski, Le Cafard, trad. du russe, La Joie de lire, Genève, 2002

Collaborations, mentorats (trad. de l’allemand)
Robert Walser, Le Brigand et autres histoires (collab.), OSL, Zurich, 2013
Gertrud Leutenegger, Matines de l’oiseleur (mentorat), trad. par Yves Guignard, Zoé, Genève
(Carouge), 2011
Arno Camenisch, Sez Ner, (mentorat), trad. par Camille Luscher, En bas/CTL/SPS, Lausanne, 2010
Erika Burkart, Minute de silence (collab.), L’Aire, Vevey, 1989

Autres publications
Pierre-Louis Matthey, Poésies complètes en 5 vol., Empreintes, Chavannes-Près-Renens, 2016
Robert Walser, lecteur de petits romans sentimentaux français, Minizoé, Genève (Carouge), 2015
La Poésie en Suisse romande depuis Blaise Cendrars. Une Anthologie (en collab. avec José-
Flore Tappy), Seghers, Paris, 2005
Robert Walser, numéro spécial de la revue Europe, 2003
Les Textes comme aventure, en collab. avec José-Flore Tappy et Alain Rochat, Zoé, Genève
(Carouge), 2003
L’Écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, (dir.) Zoé, Genève (Carouge),1998
Anna Akhmatova – numéro spécial de La Revue de Belles-Lettres, en collab. avec José-Flore
Tappy, 1996

Et de nombreuses traductions pour des recueils collectifs ou des revues : La Revue de
Belles-Lettres, Viceversa, Feuxcroisés, Conférence, Europe, Passages, etc.

Prix suisses de littérature 2020                                                                       12
Sibylle Berg
Schweizer Grand Prix Literatur 2020

Citations
Écrire est l’activité la plus lâche qui soit. De ma peur des hommes naît le vœu de m’exprimer autrement
qu’eux. Je ne pense ainsi jamais au fait que quelqu’un me lise et suis toujours étonnée lorsque quelqu’un
le fait. (Sibylle Berg, entretien avec Regula Freuler, NZZ, 24 décembre 2006)

Lorsque les vieux systèmes échouent dans leur mission, il est peut-être temps d’essayer quelque chose
de nouveau. (Sibylle Berg sur diekanon.org)

Les livres de Sibylle Berg agissent comme des exorcismes contre la banalité de l’agitation bourgeoise
fatiguée. Ils racontent la nostalgie de la belle âme. Le dérangeant y devient divertissant et nous y
percevons notre rire le plus abject – un rire de cyniques. (Insa Wilke, Süddeutsche Zeitung, 2 mars
2015).

Sibylle Berg, par exemple, écrit également de très bons reportages pour magazines féminins, dans
lesquels elle tente avec insistance de montrer que le problème n’est pas une question de tour de taille,
mais ce qui se passe juste à notre porte. (Florian Illies, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 1er juillet 1998)

Biographie
Fille d’une bibliothécaire et d’un professeur de musique, Sibylle Berg naît à Weimar le 2 juin 1962.
Après l’école, elle suit une formation de marionnettiste. À 22 ans, elle part pour l’Ouest et pour Ascona,
où elle fréquente l’École de théâtre Dimitri. À Hambourg, elle étudie ensuite l’océanographie et les
sciences politiques et enchaîne les petits boulots. En 1991, elle est gravement blessée lors d’un accident
de voiture. Ayant acquis la nationalité suisse, Sibylle Berg habite depuis 1995 à Zurich, sa commune
d’élection.
Ein paar Leute suchen das Glück und lachen sich tot (Chercher le bonheur et crever de rire), son premier
roman, est un succès commercial. Grâce à ses chroniques, ses reportages, ses textes en prose et ses pièces
de théâtre, elle devient par la suite l’une des autrices de langue allemande les plus complexes et les plus
couronnées de succès. Ses articles et ses chroniques paraissent dans de nombreux journaux et revues.

Outre la littérature et le théâtre, Sibylle Berg s’illustre dans de nombreuses autres activités. Elle travaille
fréquemment avec des artistes et avec des musiciens. Elle écrit ainsi des textes pour la chanteuses
valaisanne Sina ; lors de la saison 2016/2017 de l’émission Schulz & Böhmermann diffusée sur ZDFneo,
elle présente le thème du débat. Elle monte aussi sur scène avec des musiciens de Grime pour y lire des
extraits de GRM. En 2018, elle lance, en collaboration avec d’autres femmes, l’initiative « Die Kanon »
(« Le Canon ») afin d’opposer au canon des sciences et de la culture marqué par la surreprésentation des
hommes une liste de femmes dont les mérites n’ont pas suffisamment été à l’honneur.
Sybille Berg soutient la Charte des droits numériques fondamentaux de l’Union européenne, initiative
d’activistes internet et de scientifiques. Elle a également été une des forces majeures du référendum
contre la surveillance des assurés par des détectives, refusé par la population suisse en novembre 2018.
D’après les chiffres indiqués par l’autrice, ses livres et pièces de théâtre sont traduits dans 34 langues.
Sibylle Berg travaille actuellement à une adaptation, entre musique et performance, de son roman GRM.

Distinctions
Sibylle Berg a reçu pour son travail un grand nombre de récompenses : le Prix Ergon-Erwin-Kisch en
1998 ; le Prix de littérature de Marburg en 2000 ; le Prix Wolfgang-Koeppen en 2008 ; le Prix de la Ville
de Zurich en 2012 ; le prix de la Pièce de l’année remis par la revue Theater heute pour Es sagt mir
nichts, das sogenannte Draussen (‘Dehors’ ? Ça ne me dit rien) en 2014 ; le Prix Friedrich-Luft pour
Und dann kam Mirna (Et ensuite vint Mirna) en 2015 ; le Prix de la pièce radiophonique des
Kriegsblinden pour Und jetzt: Die Welt! (Et maintenant, le monde !) en 2016 ; le Prix du public des
Journées du théâtre de Mülheimer pour Und dann kam Mirna (Et ensuite vint Mirna) en 2016 ; le Prix
de théâtre Else-Lasker-Schüler en 2016 ; le Prix annuel de la Ville de Zurich en 2017 ; le Prix de

Prix suisses de littérature 2020                                                                            13
littérature d’humour grotesque en 2019 ; le Prix de littérature de Thuringe en 2019 ; une contribution de
reconnaissance du Canton de Zurich en 2019 ; le Prix de théâtre Nestroy pour Hass-Triptychon – Wege
aus der Krise (Triptyque de la haine – chemins hors de la crise) en 2019 ; le Prix suisse du livre pour
GRM en 2019.

Pages internet
Vous trouverez de plus amples informations sur la page www.sibylleberg.com
Sur le projet « Le Canon », voir www.diekanon.org

Sur l’œuvre et le travail de Sibylle Berg
Une voix autonome au sein de la littérature contemporaine
« Le monde court passionnément à sa perte », tel pourrait être la devise du travail de Sibylle Berg. Il est
donc peu étonnant que les débats autour de son œuvre soient passionnés. Les articles de journaux, les
textes en proses et les pièces de Sibylle Berg ne laissent personne indifférent ou presque. Certains y
reconnaissent des aperçus visionnaires et un regard aiguisé sur la société contemporaine pourrie de
narcissisme ; d’autres expriment leur répugnance et leur indignation devant la froideur et la dureté du
diagnostic porté sur notre époque. Sibylle Berg serait une « dramaturge-sorcière de Sabbat », une
« prédicatrice de haine de la ‘société de célibataires’ (Singlegesellschaft) » ou la « Cassandre d’une
époque faite de brouhaha », d’après le recensement de Daniel Schreiber. Les sobriquets laissent
pressentir l’irritation. Il ne faut pas oublier que les livres de l’autrice sont des bestsellers et touchent un
large public. Le premier tirage du roman GRM a ainsi été épuisé dès le printemps 2019. Ce dernier livre
montre bien que la passion autour de l’œuvre de Sibylle Berg est intacte. L’écrivaine y raconte l’histoire
de quatre jeunes qui, armés de leurs vieux ordinateurs, résistent en vain à un système dont les algorithmes
assurent la soumission de la société. Il ne reste plus aux hommes que la drogue, le porno et la réalité
virtuelle – et celui qui se laisse implanter une puce reçoit un revenu de base inconditionnel. Avec une
sècheresse laconique, Sibylle Berg accentue les tendances sociétales et technologiques actuelles jusqu’à
faire apparaître une vision dérangeante, laissant reconnaître la vie que nous mènerons peut-être dans 20
ou 50 ans.
L’intransigeance et la sombre vision du monde de GRM rappelle les premiers écrits de Sibylle Berg, qui
a commencé sa carrière en 1997 avec Ein paar Leute suchen das Glück und lachen sich tot (Chercher
le bonheur et crever de rire). Dans des épisodes longs de quelques pages, elle décrit des personnages
qui, partis à la poursuite du bonheur, ne trouvent que la mort. Devant ces buts insignifiants et ces espoirs
vains retentit un rire inquiétant et douloureux. Dans Sex II, deuxième roman paru une année plus tard,
une recherche du bonheur et de l’amour dégénère irrésistiblement en une apocalypse de perversion et
de violence. La sexualité agit, chez Sibylle Berg, comme un miroir des rapports de force et des
obsessions de la société. Les deux thèmes cardinaux – un regard tourné vers l’avenir et une vaine
recherche du bonheur – entrent en collision, et les étincelles qui en naissent révèlent de funestes
présages. De temps en temps, Sybille Berg se rappelle à la retenue pour, comme dans Ende gut (Tout
finit bien, 2004), proposer une fin heureuse.
Propres à de nombreux œuvres en proses, les « histoires contre la folie » insérées dans Sex II, qui
découpent l’histoire principale en brefs fragments de récits, témoignent d’une stratégie narrative
journalistique. Auparavant, Sibylle Berg avait régulièrement rédigé des chroniques – et elle le fait
aujourd’hui encore. Elle utilise cette forme brève et ouverte pour aborder des thèmes nouveaux et jongler
avec ses nombreux intérêts, tels la science et la technique. Le Spiegel online lui réserve depuis 2011 la
rubrique bihebdomadaire « Vos questions à Sybille Berg », dans laquelle elle traite de toutes sortes de
questions scientifiques et politiques. Lors des deux dernières années, elle s’est régulièrement entretenue
avec des scientifiques spécialistes de l’intelligence artificielle, de neuropsychologie ou de technique
informatique. D’abord organisés pour la revue en ligne Republik, ces entretiens seront publiés en mars
2020 sous forme de livre.
Le critique Dietmar Jakobsen a un jour érigé Sibylle Berg au rang de « voix tout à fait extraordinaire –
et le plus souvent merveilleusement dissonante – de la littérature allemande contemporaine ». La
formule saisit très bien l’humour terrible de l’écrivaine, exprimé tantôt par des pointes acérées, tantôt
par des rires cruels. De fréquentes apparitions sur les planches et les plateaux de télévision offrent à
l’écrivaines un terrain de jeu rêvé. Dans le roman GRM, le pessimisme atteint cependant un paroxysme.
Aucun rire ne peut plus ni calmer, ni dissiper l’horreur du cauchemar.

Prix suisses de littérature 2020                                                                            14
Vous pouvez aussi lire