A faim le monde - Comité Français pour la Solidarité Internationale
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
www.alternatives-economiques.fr N uumme er r o o2 7 22 5b9i s ■ ■ jsue ip n tem 2 0b 0 re7 2 ■0 0 83 , ■8 02 Au Sud, plus dur est le choc page 4 Des prix agricoles de plus en plus volatils page 5 Le monde peut-il nourrir le monde ? page 7 Produits laitiers : à qui profite la hausse ? page 11 Le monde a faim nos choix sont vitaux www.cfsi.asso.fr
MÖbvusf!sfhbse!tvs! mÖdpopnjf!fu!mb!tpdju DIBRVF!NPJT-!BMUFSOBUJWFT!FDPOPNJRVFT!DÖFTU!; ?!!Mf!tvjwj!dpnqmfu!ef!mÖbduvbmju!dpopnjrvf!fu!tpdjbmf!! www.alternatives-economiques.fr DOSSIER : ÉCONOMIE : fo!Gsbodf-!fo!Fvspqf!fu!bv!ojwfbv!joufsobujpobm LE CHANTIER POURQUOI DE LA VILLE L'INFLATION DURABLE A ÉTÉ DOMPTÉE ?!!Eft!forvuft!fu!eft!fousfujfot!qpvs!wpvt!! page 56 page 32 N U M E R O 2 5 3 D E C E M B R E 2 0 0 6 3 , 8 0 LICENCIEMENTS La grande triche PAGE 38 SYNTHÈSE Les migrations et le développement du Sud PAGE 78 SOUTIEN SCOLAIRE La fièvre des cours particuliers PAGE 46 SUD Les limites du microcrédit PAGE 70 jogpsnfs!ef!upvu!df!rvj!cpvhf-!tbot!pvcmjfs!qpvs!bvubou!! df!rvj!of!dibohf!qbt-!pv!qbt!bttf{!wjuf Climat ?!!Eft!tzouitft!sejhft!qbs!mft!nfjmmfvst!tqdjbmjtuft-!! ON EN PARLE (BEAUCOUP) bßo!ef!gbjsf!mf!upvs!eft!rvftujpot!rvj!gpou!ecbu MAIS ON NE FAIT RIEN (OU PRESQUE) PAGE 6 ?!!Vo!dmbjsbhf!vojrvf!tvs!upvuft!mft!bmufsobujwft!! rvj!dpousjcvfou!!sfoesf!mf!npoef!qmvt!kvtuf T 02125 - 253 - F: 3,80 E ISSN 0247-3739 3:HIKMLC=ZUX]U^:?k@m@f@d@a; (France métropolitaine) BELGIQUE/LUXEMBOURG 4,30 € ALLEMAGNE/ESPAGNE/ITALIE/GRÈCE/PORTUGAL (CONT) 4,60 € SUISSE 8 CHF DOM/A 5,20 € DOM/S 4,30 € MAROC 42 MAD ZONE CFA 3-300 CFA CANADA 6.95 CAD BMUFSOBUJWFT!FDPOPNJRVFT!DÖFTU!BVTTJ! 5!ipst.tsjf!qbs!bo!rvj!gpou!mf!qpjou!tvs!eft!rvftujpot! eÖbduvbmju!pv!rvj!qspqptfou!eft!tzouitft!joejtqfotbcmft!;! MÖfnqmpj-!Mb!ßobodf-!MÖubu!ef!mÖdpopnjf-!MÖdpopnjf!ef!nbsdiÊ! BCPOOF[.WPVT! Qspdibjoft!qbsvujpot!;!Mft!dijggsft!ef!mÖdpopnjf!311:!)pdu!3119*-! QPVS!5-19!Ü!QBS!NPJT!! MÖfousfqsjtf!)ed/!3119*Ê tvs!xxx/bmufsobujwft.fdpopnjrvft/gs ✂ Cvmmfujo!eÖbcpoofnfou Pvj-!kf!nÖbcpoof!!Bmufsobujwft!Fdpopnjrvft!qpvs!vo!bo!)22!ovnspt!,!5!ipst.tsjf* !!!Kf!nÖbcpoof!bv!ubsjg!qbsujdvmjfs!ef!5:!D!tfvmfnfou!bv!mjfv!ef!77-:1!D!)qsjy!bv!ovnsp*-!tpju!qmvt!ef!39!&!ef!sevdujpo/ Bwfd!npo!bcpoofnfou-!kÖbddef!hsbuvjufnfou!bvy!sfttpvsdft!fo!mjhof!tvs!xxx/bmufsobujwft.fdpopnjrvft/gs Dj.kpjou!npo!shmfnfou!qbs!dirvf!cbodbjsf!pv!DDQ! !mÖpsesf!eÖBmufsobujwft!Fdpopnjrvft Opn! B!sfupvsofs! bwfd!df!cpo!ef!dpnnboef!!;! Qsopn Bmufsobujwft!Fdpopnjrvft!! Bcpoofnfout-! Dpvssjfm! A 23!svf!ev!Dbq!Wfsu 32911!Rvujhoz Besfttf Bcpoof{.wpvt!ejsfdufnfou! Besfttf qbs!umqipof!bv!14!91!59!21!51!! BQ383C )dbsuf!cbodbjsf!vojrvfnfou*! Dpef!qptubm!! Wjmmf pv!fo!mjhof!tvs!! xxx/!bmufsobujwft.fdpopnjrvft/gs )qbjfnfou!tdvsjt* Pggsf!wbmbcmf!kvtrvÖbv!4202303119!fu!stfswf!bvy!bcpoot!ef!mb!Gsbodf!nuspqpmjubjof/! Dpogpsnnfou!!mb!shmfnfoubujpo!ef!mb!DOJM-!wpvt!ejtqptf{!eÖvo!espju!eÖbddt!fu!ef!sfdujßdbujpo!bvy!jogpsnbujpot!wpvt!dpodfsobou/
www.alternatives-economiques.fr ÉDITORIAL Fondateur, conseiller de la rédaction : Denis Clerc RÉDACTION : 28 rue du Sentier 75002 Paris Tél. 01 44 88 28 90 Courriel : redaction@alternatives-economiques.fr Pour joindre directement votre correspondant, composez le 01 44 88 suivi des quatre chiffres entre parenthèses. Directeur de la rédaction : Philippe Frémeaux (28 90) Rédacteur en chef : Guillaume Duval (28 92) Retrouver la raison Rédacteurs en chef adjoints : Sandra Moatti (95 36), L Christian Chavagneux (27 38) Secrétaire général de la rédaction : Daniel Salles (28 98) ’année 2008 restera marquée les cas, elle nous fait entrer dans une Macroéconomie : Christian Chavagneux, Sandra Moatti par la hausse brutale des prix période critique de volatilité des prix, Entreprise : Marc Chevallier (27 39), Pascal Canfin (95 39) Société : Louis Maurin, chef de service (28 94), agricoles mondiaux, provo- où la seule logique du marché n’est Naïri Nahapétian (23 85). quant de violentes émeutes plus à même d’assurer l’accès de tous Travail, social : Camille Dorival, Laurent Jeanneau (95 38) International : Antoine de Ravignan (95 92) à Dakar, à Port-au-Prince ou à Douala. à une alimentation adéquate, comme Histoire : Gérard Vindt Livres : Christian Chavagneux Devoir dépenser plus des trois quarts le voudrait le respect du droit à l’ali- Multimédia : Bruno Lapeyssonnie Agir, agenda, association des lecteurs : de son revenu pour mal se nourrir rend mentation. Claire Alet-Ringenbach (23 86) la situation intenable pour des millions Cette crise, au-delà de ses aspects Secrétariat de rédaction, iconographie : d’urbains pauvres. Cette crise alimen- douloureux et inacceptables, devrait Martine Dortée (27 37), Nathalie Zemmour-Khorsi (28 96), Charlotte Chartan (95 37) taire n’est pas nouvelle. Elle s’ajoute à au moins avoir une conséquence Ont également participé à ce numéro : Laurence Estival, celle qui touche depuis Jean-Louis Vielajus “ Relations extérieures : Véronique Orlandi (28 90) plus de dix ans 600 mil- Comité d’orientation : Jean-Joseph Boillot, Philippe Bonzom, lions de ruraux sous- Jean-Pierre Chanteau, Christian Dufour, Christophe Fourel, Jean-Paul Hébert, Daniel Lenoir, Bruno Magliulo, Jacques Maire, alimentés. Mais la faim Il faut développer, Dominique Méda, Bernard Pecqueur, Jean Pisani-Ferry, en ville est plus visible dans chaque pays, Dominique Plihon, Hugues Sibille, Pierre Volovitch Rédaction Web : Wojtek Kalinowski et les émeutiers n’ont les capacités locales Développement Web : Romain Dortier que quelques rues à de l’agriculture pour DIFFUSION, PROMOTION, PUBLICITÉ parcourir pour se rap- 28, rue du Sentier, 75002 Paris tél. 01 44 88 28 90 procher dangereuse- répondre le mieux Directeur du développement : Pascal Canfin (95 39) ment des lieux du pou- possible aux besoins ” Directrice commerciale : Hélène Reithler (27 33) alimentaires CFSI Chargée de promotion diffusion : Aïssata Seck (28 97), voir. La souffrance Publicité, directeur de clientèle : Jérémy Martinet (27 34) Chef de publicité : Nicolas Chabret (27 35) rurale dure depuis des ABONNEMENTS, FABRICATION décennies, mais elle s’entend moins ositive : celle de pousser les organi- p 12, rue du Cap-Vert, 21800 Quétigny depuis les palais présidentiels et re- sations internationales et les gouver- Tél. 03 80 48 10 25 - Fax 03 80 48 10 34 Abonnements : Delphine Dorey (chef de service), présente un moindre risque pour les nements du Nord et du Sud à revenir Courriel : abonnements@alternatives-economiques.fr gouvernants. à la raison. C’est-à-dire développer, Responsable marketing : Alban Roussel Assistante marketing : Marianne Thibaut Durant plus de vingt ans, les insti- dans chaque pays, les capacités loca- Directeur administratif et financier : François Colas tutions internationales ont clamé leur les de l’agriculture pour répondre le Comptabilité : Zineb Hemairia, Odile Villard credo de libéralisation des marchés mieux possible aux besoins alimen- Rédactrices/graphistes : Julie Brignonen, Odile Al Daghistani, Isabelle Alexandre, Christine Martin agricoles comme la meilleure façon taires : une agriculture familiale mo- Conception graphique : Rampazzo.com (Paris) de nourrir le monde. Des voix se sont dernisée, pourvoyeuse d’emplois et Photo couverture : William Dupuy - Picturetank Imprimerie : SPEI, Nancy élevées pour critiquer cette doctrine de revenus ruraux, apte à approvision- Edité par Scop-SA Alternatives Economiques. dominante, dont celle du Comité fran- ner les villes à un prix supportable RC 84 B 221 Dijon, Siret 330 394 479 00043. Le capital est partagé principalement entre les salariés de la Scop-SA, çais pour la solidarité internationale. pour les consommateurs urbains l’Association Alternatives Economiques et la Société civile des lecteurs Nous en avons montré l’effet catastro- pauvres. Ce qui implique de dévelop- d’Alternatives Economiques. phique sur les agricultures du Sud per les aménagements agricoles, rendre Directeur de la publication : Philippe Frémeaux CPPAP 0309 I 84446 - ISSN 0247-3739 appauvries et désertées. Nous avons plus accessibles les intrants et le cré- Dépôt légal à parution pointé les risques de dépendance des dit, relancer la formation en milieu Imprimé en France/Printed in France pays pauvres vis-à-vis du prix des rural, construire des routes, etc. Vaste © Alternatives Economiques. Toute reproduction, même partielle, des textes, produits alimentaires importés. La programme pour lequel l’aide publique infographies et documents parus dans le présent numéro est soumise à l’autorisation préalable de l’éditeur, quel que soit le support de la reproduction. crise alimentaire qui s’est déclenchée au développement doit accorder une Toute copie destinée à un usage collectif doit avoir l’accord du Centre français du droit de copie (CFC) : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris, en 2008 n’est pas fortuite. Elle démon- priorité sans faille et vis-à-vis duquel tél. : 01 44 07 47 70, fax : 01 46 34 67 19. tre la permanence du problème de la la société civile organisée, au Nord et Ce numéro a été réalisé par Alternatives Economiques pour le compte du Comité pauvreté. Elle se nourrit de plus de au Sud, devra se mobiliser. 5 français de solidarité internationale. vingt années d’erreurs, comme la Jean-Louis Vielajus, Banque mondiale elle-même l’a re- délégué général du Comité français connu. La hausse des prix enregistrée pour la solidarité internationale en 2008 est pour partie conjoncturelle et pour partie structurelle. Dans tous www.cfsi.asso.fr nº 272 bis septembre 2008 ALTERNatives Économiques I
I le monde a faim Les pays en développement subissent de plein fouet l’explosion des prix agricoles mondiaux. Il est crucial qu’ils puissent accroître leur propre production. Au Sud, plus dur est le choc son aide alimentaire ne pourrait pas toucher les 73 millions de très pauvres (dans 78 pays) visés par ses interventions. « Il faut 375 millions de dollars pour compenser les hausses des produits ali- mentaires, mais également 125 millions pour couvrir les surcoûts d’achemine- ment », précise Tamara Kummer, porte- parole du PAM pour la France. La hausse des prix de l’énergie a éga- lement stimulé l’essor des agrocarburants. Ils représentent autant de surfaces gelées pour la production alimentaire : aux Etats-Unis, poids lourd de la production mondiale de maïs, 30 % de la récolte nationale sont consacrés cette année à la fabrication d’éthanol. Aux évolutions récentes sur le front © AFP de l’énergie s’ajoutent des tendances de Emeute de la faim à Haïti (avril 2008). 36 pays sont aujourd’hui confrontés à une crise alimentaire. plus long terme. La croissance écono- mique des pays en développement (6 % par an en moyenne, 9 % à 10 % en Inde S énégal, Cameroun, Bangladesh, blé, son cours mondial a atteint le som- et en Chine) tire la demande. L’augmen- Indonésie, Mexique…, nombre met de 480 dollars la tonne en avril tation du pouvoir d’achat dans les zones de pays sont aujourd’hui confron- dernier contre100 dollars entre 2000 et urbaines se traduit par une consomma- tés à des crises alimentaires dont la 2006. Les hausses frappent également tion croissante de produits animaux gravité est proportionnelle à leur degré la plupart des productions animales (viande, produits laitiers, œufs), ce qui de dépendance vis-à-vis de marchés ainsi que les fruits et légumes. accroît les besoins céréaliers pour l’ali- internationaux où les prix s’envolent. C’est dans les pays en développement mentation du bétail (il faut 4 à 10 calo- Tous les pays déficitaires ont vu leur et pour les populations urbaines que les ries végétales pour produire une calorie facture alimentaire doubler en l’espace effets de cette crise sont les plus violents, animale) alors que les stocks sont au d’une année. Sur les marchés interna- y compris parmi les classes moyennes. plus bas. Les réserves de blé représen- tionaux, le prix moyen du riz, qui évoluait L’alimentation y représente en effet 60 % taient, au début 2008, 23 % de la consom- encore autour de 300 dollars la tonne à 80 % des dépenses des ménages, contre mation mondiale, contre 30 % en 2004- en avril 2007, a culminé à près de 15 % pour les Européens. 2006, selon la FAO. Quant au riz, denrée 1 000 dollars en mai dernier. Quant au de base pour la moitié de la population Du conjoncturel mondiale, sa production progresse de et du structurel 0,5 % par an depuis dix ans, tandis que Prix du maïs, du blé, du riz et du pétrole sur les marchés mondiaux Les causes de cette crise sont nom- la consommation augmente de 1 %. $ par tonnes $ par baril breuses. La multiplication par plus de 500 100 six des prix du pétrole depuis 2002 (de Des situations locales 400 Pétrole 80 20 à 130 dollars le baril) alourdit les différenciées coûts de production des agriculteurs. Face aux crises alimentaires qui ont 300 Blé 60 Les prix de l’énergie se communiquent éclaté ces derniers mois, les voix ne man- Riz ensuite à toute la chaîne en aval, depuis quent pas pour défendre l’idée que l’agri- 200 40 la première transformation jusqu’à l’éla- culture des pays riches doit venir à la Sources : FAO et FMI 100 20 boration des produits finis, puis à leur rescousse des pays pauvres. De tels propos Maïs transport. Le Programme alimentaire sont en fait peu en phase avec la diversité 0 0 mondial (PAM) a annoncé fin mars que des situations locales. Tous les pays en Janvier Janvier Janvier Janvier Février 2000 2002 2004 2006 2008 sans une rallonge de 500 millions de développement ne sont pas touchés par dollars à son budget 2008 de 2,9 milliards, la crise. « Le Mali, rappelle Sandrine Dury, I ALTERNatives Économiques nº 272 bis septembre 2008
nos choix sont vitaux I économiste au Cirad, est un pays enclavé, à titre transitoire la TVA et les taxes Pays importateurs ou exportateurs nets qui compte essentiellement sur lui-même sur les importations, comme au Bénin. de céréales, en millions de tonnes, pour se nourrir, et la production céréalière Mais sauf dans le cas de pays comme moyenne 2003-2005 couvre actuellement les besoins. Au Came- l’Egypte ou le Sénégal, dont le poten- + 76,65 Etats-Unis roun, pays pourtant côtier, la dépendance tiel agricole sera toujours très insuf- Argentine + 20,43 vis-à-vis des importations est limitée en fisant par rapport aux besoins, faire Inde + 3,6 raison d’une production locale importante des importations un élément central Burkina Faso + 0,03 – 0,78 Ethiopie et diversifiée (banane, manioc…). Les des politiques alimentaires ne peut – 1,33 Chine émeutes qui ont fait 40 morts le 23 février être une solution de long terme : outre – 2,67 Brésil sont bien davantage dues à la hausse des une dangereuse exposition aux fluc- Source : FAO 2007 – 2,92 Nigeria – 10,76 Egypte carburants. » tuations des prix, une telle politique – 12,57 Mexique Les pays exportateurs nets sont par aboutit à appauvrir une population – 24,98 Japon ailleurs gagnants. En Argentine, les agricole locale, qui forme souvent producteurs n’ont pas manifesté contre l’essentiel de la population active. Aide publique au développement la vie chère, mais contre un gouverne- Le nœud du problème reste la faiblesse pour l’agriculture, en milliards de dollars 2004 et en % de l’APD totale ment qui cherche à accroître la fiscalité des politiques publiques et le sous- 10 20 % sur des exportations agricoles dont la investissement dans le secteur agricole. Part de l’aide valeur a augmenté. Quant aux Etats La responsabilité en revient aux Etats 8 16 % affectés par la crise alimentaire, beaucoup concernés, mais aussi aux bailleurs de 6 12 % sont intervenus vigoureusement pour fonds internationaux. Leur aide à l’agri- protéger leurs populations urbaines. culture n’a en effet cessé de diminuer 4 8% Niveau de l’aide L’Indonésie, l’Inde, la Chine, le Vietnam, depuis vingt ans. Si la crise actuelle a Source : OCDE 2 4% le Cambodge, le Kazakhstan ont procédé été l’occasion pour ces bailleurs, Banque à des restrictions, voire à des interdictions mondiale en tête, de rappeler qu’il était 0 0% 1975 1985 1995 2005 d’exportation, et ont limité les dégâts. urgent de renverser la vapeur, rien n’in- Du côté des pays déficitaires, les dique pour l’instant que l’intendance gouvernements ont réagi en réduisant suivra. 5 Antoine de Ravignan Après avoir culminé au printemps, les prix agricoles se sont un peu assagis. Mais une nouvelle flambée des cours n’est pas du tout exclue. Des prix agricoles de plus en plus volatils M algré les signes d’apaisement de 60 % pour le beurre et les graines Cette augmentation n’est d’ailleurs pas de ces derniers mois sur les oléagineuses et de plus de 80 % pour prête de s’arrêter : selon la FAO, la pro- marchés agricoles, l’Organisa- les huiles végétales. duction mondiale de céréales pourrait tion des Nations unies pour l’alimenta- progresser de 3,8 % cette année. Cette tion et l’agriculture (FAO) reste prudente : Des changements profonds hausse supérieure à l’augmentation de rien n’indique que cette tendance à la Si la croissance démographique 2,3 % de la consommation ne permet- baisse des cours va se poursuivre, ni e xplique ces taux de progression, les tra pas toutefois de reconstituer les même que les prix vont retrouver leur changements de régime alimentaire stocks avant plusieurs années. niveau d’avant la fièvre. Pour faire face pèsent eux aussi dans la balance : une La production de maïs devrait pour à la demande mondiale, le rapport sur vaste partie de la population des pays sa part atteindre 1,08 milliard de tonnes les perspectives agricoles réalisé par la émergents, notamment asiatiques, en 2008. Malgré une progression de FAO et l’OCDE pour les années 2008 à semble toujours encline à passer à des 1,6 % par rapport à l’année dernière, 2017 (1) prévoit sur cette période une repas plus riches en viande, dont la elle devrait rester inférieure à la consom- augmentation des prix de 20 % pour la production est fortement consomma- mation, qui a augmenté de 2,3 %, viande bovine et porcine, de 30 % pour trice de céréales. Et ce malgré la hausse (1) « Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO le sucre, de 40 % à 60 % pour le blé, le des prix des produits carnés, tributaires 2008-2017 », disponible sur www.fao.org/es/esc/com- maïs et le lait écrémé en poudre, de plus des cours des céréales et des oléagineux. mon/ecg/550/fr/AgOut2017F.pdf nº 272 bis septembre 2008 ALTERNatives Économiques I
I le monde a faim otamment en raison de la croissance n des agrocarburants. Aux Etats-Unis, par exemple, l’extension de 18 % en 2007 des surfaces de maïs utilisées pour fa- briquer de l’éthanol s’est faite au détri- ment des autres cultures comme le soja et le blé. Ce phénomène a participé à la hausse des prix de ces produits, in- citant les agriculteurs à faire de nouveaux arbitrages. Les cultures de blé ont ainsi retrouvé de la vigueur. Du coup, la pro- duction de maïs pourrait être moins élevée que l’année dernière, alors que le programme de développement des agrocarburants se poursuit. Cette situa- tion pourrait, en cas de récolte décevante, obliger les Etats-Unis à puiser dans leurs propres réserves, mentionne l’OCDE. Ce qui entraînerait, par ricochet, une nouvelle envolée des cours. Cette tendance à la hausse est de plus accentuée par l’augmentation du prix du pétrole depuis octobre 2007. Elle se répercute immédiatement sur les intrants (*) et se propage tout au long de la chaîne. Spéculation et aléas climatiques Dans ce contexte, une nouvelle flam- bée des cours n’est pas exclue. Les élé- © NathalieSchnuriger ments conjoncturels qui ont accentué la hausse des prix de ces derniers mois n’ont pas totalement disparu. La spé- culation est en effet toujours à l’œuvre. Congo. L’envolée des prix du blé, du maïs et du lait écrémé en poudre devrait se poursuivre selon Après avoir été échaudés par la crise la FAO et l’OCDE. des subprime et avoir encaissé de lourdes pertes, les investisseurs sont en quête de placements rapidement rémunéra- Le moindre incident climatique pourrait leur recommandent de se positionner teurs pour se refaire. La banque belge aussi remettre en cause l’accalmie qui sur des produits peu soumis aux aléas KBC proposait ainsi à ses clients en mai se dessine. des cours mondiaux. L’Inde a par exem- dernier de « tirer avantage de la hausse Résultat : « la volatilité des cours devrait ple choisi de multiplier par deux en dix du prix des denrées alimentaires » et devenir la règle et non une exception », ans sa production de pommes de terre. vantait un produit financier investi dans note la FAO. Pour protéger leurs agricul- Au Burkina Faso, la Fédération des pro- plusieurs matières premières agricoles. teurs de ces mouvements, certains pays fessionnels agricoles a décidé de mettre en place un programme d’amélioration Garantir la stabilité des cours du maraîchage et de la culture du niébé, une légumineuse qui permet de faire la Pour protéger les produc- S’ils baissent, ils ont toujours national de la recherche agro- soudure pendant la saison sèche et de teurs, l’idée de mécanismes ce filet de sécurité. Ce système nomique (Inra). disposer de fourrage pour les animaux. permettant de stabiliser les pourrait être financé par un L’Europe a d’ailleurs utilisé Mais toutes ces incertitudes touchent cours au niveau mondial refait fonds international. « C’est une des mécanismes similaires dans également les consommateurs. La fac- surface, notamment du côté alternative à la fermeture des le cadre de la politique agricole ture des importations alimentaires qui de la FAO. Il s’agirait de créer frontières prônée par certains. commune (PAC) pour protéger s’alourdit au Sud, menaçant la sécurité un système de stockage pour Celle-ci pouvant se traduire par ses agriculteurs. Reste toutefois alimentaire des pays dépendant de ces les principales matières pre- une hausse des prix néfaste à convaincre l’Organisation livraisons pour se nourrir, grignote aussi mières au niveau de la planète, tant pour les consommateurs mondiale du commerce (OMC), le pouvoir d’achat des habitants du avec des prix minimums garan- que pour les pays dépendant farouchement opposée aux Nord… 5 Laurence Estival tis accordés aux agriculteurs des importations alimentaires », subventions liées à la produc- lors des livraisons. Si les cours explique Hervé Guyomard, di- tion, du bien-fondé de cette augmentent, ils en bénéficient. recteur scientifique de l’Institut démarche… 5 *tail,Intrants : engrais, pesticides, produits pour le bé etc. nécessaires à la production agricole. I ALTERNatives Économiques nº 272 bis septembre 2008
nos choix sont vitaux I Le monde n’est pas condamné à la famine. Mais il faudra mobiliser tous les leviers disponibles et réinvestir dans le secteur agricole, notamment au Sud. Le monde peut-il nourrir le monde ? L a crise agricole actuelle a relancé celle de la population pendant la même Accroître les surfaces le débat sur la capacité de la planète période (1,6 %), mais cela n’a pas permis agricoles ? à nourrir le monde aujourd’hui et d’améliorer la situation faute d’adéqua- Première voie possible : l’extension encore plus demain. D’autant que le tion entre besoins et ressources. Ainsi, des terres cultivées. Mis à part dans nombre de personnes qui souffrent de en Afrique centrale, la part de la popu- des pays de l’ex-URSS et surtout en sous-alimentation chronique, soit quel- lation sous-alimentée est passée de 36 % Afrique, où seuls 10 % de la surface que 860 millions de personnes, dont au début des années 90 à 56 % une dé- exploitable sont utilisés, les réserves 820 millions dans les pays en dévelop- cennie plus tard. Nous sommes donc sont peu importantes. A moins de pement, n’a pas diminué au cours des confrontés à deux problèmes : dévelop- poursuivre la déforestation, notam- vingt dernières années. Certes, la pro- per la production pour subvenir aux ment en Amérique du Sud, une option duction agricole mondiale s’est accrue besoins des 9 milliards d’humains de risquée dans un contexte de réchauf- de 2 % en moyenne annuelle entre 1980 2050 et veiller à ce que cette production fement climatique. Par ailleurs, l’ur- et 2004, une progression supérieure à serve à satisfaire les besoins. banisation (la moitié de la population © Jean-Michel Rodrigo Mali. Les petits paysans sont les premières victimes de la malnutrition. nº 272 bis septembre 2008 ALTERNatives Économiques I
I le monde a faim © abcburkina.net Burkina Faso. Au-delà du débat de principe, force est de constater que l’offre d’OGM n’inclut aucune variété capable de lutter réellement contre la malnutrition. mondiale vit dans les villes) gagne perdus chaque année, rappelle la personne pendant un an, souligne la du terrain et réduit les surfaces agri- Banque mondiale. Banque mondiale… « Reste que la coles. Et les modes de production Autre piste : redonner leur vocation question d’accès à la nourriture de peu soucieux de l’environnement, alimentaire aux terres désormais nombreux habitants de la planète mis en œuvre au cours des dernières consacrées aux agrocarburants. La préexistait au développement des décennies, ont entraîné d’importantes quantité de matières premières né- agrocarburants. S’ils ont une part de dégradations des terres agricoles : 5 cessaire pour produire 100 litres responsabilité dans l’exacerbation des à 10 millions d’hectares seraient ainsi d’éthanol permettrait de nourrir une problèmes, leur abandon ne pourra pas les résoudre à lui seul », nuance Bénédicte Hermelin, directrice du A Madagascar, l’union fait la force Gret, une association de solidarité et de coopération internationale, mem- Sur les hauts plateaux de ment. Pour faire reculer l’insé- de dix ans), les organisations bre du Comité français de solidarité Madagascar, dans la région curité alimentaire, l’Association paysannes rencontrent encore internationale (CFSI). de Haute-Matsiatra, les pay- de formation et d’information beaucoup de difficultés. Cer sans vivent difficilement de pour le développement d’ini- taines ont choisi de se regrou- Augmenter les rendements ? la culture du riz, du manioc tiatives rurales (Afip), membre per à l’échelon régional, mais Deuxième voie : accroître les ren- et des légumes secs comme du CFSI, a initié un programme leur collaboration n’a pas encore dements. Surtout dans les pays d’Afri- les haricots ou les pois. Les visant à appuyer le développe- débouché sur des projets que subsaharienne, où la production rendements sont souvent fai- ment d’organisations paysannes concrets. Or en opérant au ni- de céréales par hectare n’a pas pro- bles. La majorité des récoltes capables de sortir les agricul- veau régional, ces organisations gressé depuis le milieu des années 80. est autoconsommée et quand teurs de leur isolement et de pourraient représenter un in- Selon l’Organisation des Nations unies ils dégagent des excédents diffuser auprès d’eux de nou- terlocuteur de poids pour né- pour l’alimentation et l’agricul vendus à des grossistes, les velles techniques culturales et gocier avec les autres acteurs ture (FAO), les rendements céréaliers producteurs n’arrivent pas tou- des conseils. des filières (en amont ou en aval) sont de 12,3 quintaux/hectare, contre jours à les valoriser correcte- Généralement jeunes (moins et avec les politiques. 5 30,9 en Asie et 54 en Europe. S’il existe des marges de manœuvre, le déve- I ALTERNatives Économiques nº 272 bis septembre 2008
nos choix sont vitaux I L’agriculture, première loppement de l’agriculture ne peut toutefois plus se faire dans les mêmes conditions qu’il y a vingt ans : les semences performantes utilisées dans nombre de pays asiatiques ont mon- source de développement tré leurs limites. Après avoir fortement augmenté, les rendements stagnent Sur les 5,5 milliards d’habitants des passé de 37 % à 29 % pendant la même aujourd’hui. De plus, elles se sont pays du Sud, 3 milliards vivent en zone période. Les résultats enregistrés par avérées coûteuses et difficilement rurale et 2,5 millions exercent une ac- l’agriculture chinoise ou indienne ne accessibles aux petits producteurs. tivité agricole. L’agriculture contribue sont pas étrangers à cette amélioration, D’autre part, elles sont fortement donc directement au développement même si de nombreux progrès restent consommatrices d’eau et d’intrants. en assurant un revenu aux petits pro- encore à faire : devenue exportatrice Or aujourd’hui, l’eau est devenue une ducteurs et en générant des activités de produits agricoles, l’Inde n’a pas ressource rare et la hausse du prix du complémentaires (transformation, trans- encore réussi à juguler la pauvreté dans pétrole se répercute sur le coût des ports, distribution de produits alimen- ses campagnes. De même, le dévelop- intrants, ce qui réduit leur possibilité taires…). La croissance du produit in- pement de l’agriculture brésilienne – le d’utilisation. térieur brut (PIB) agricole pèse deux pays est le 4e producteur mondial –, basé « Ces résultats en demi-teinte nous fois plus pour réduire la pauvreté que principalement sur des cultures d’ex- obligent à poursuivre les recherches l’augmentation du PIB dans un secteur portation réalisées dans de grandes en matière de génétique », met en non agricole et quatre fois plus dans les exploitations à forte intensité de capital, évidence Hervé Guyomard, directeur pays les plus pauvres, selon la Banque n’a pas profité aux petits producteurs scientifique à l’Inra, l’Institut national mondiale. ou aux sans-terre. « Ces limites montrent de recherche agronomique. Les re- La baisse récente du taux de pauvreté que c’est en soutenant l’agriculture fa- cherches sur l’amélioration des se- dans les pays en développement – qui miliale dans les pays du Sud que l’on mences sont les premières concer est tombé de 28 % en 1993 à 22 % en arrivera durablement à lutter contre la 2002 – est due essentiellement au recul pauvreté », souligne Jean-Louis Vielajus, L’agriculture vivrière de la pauvreté rurale, dont le taux est délégué général du CFSI. 5 a été la grande perdante des dernières décennies nées. Les organismes génétiquement eau ; la récupération des eaux de pluie la production mondiale, qui a entraîné modifiés (OGM) sont-ils une voie offre de nouvelles voies insuffisam- une chute des cours jusqu’au début prometteuse ? Au-delà du débat de ment exploitées. des années 2000, alliée à la libéralisa- principe, force est de constater que Le développement de ces pratiques tion des échanges de produits agricoles, l’offre d’OGM est aujourd’hui contrô- dans les pays en développement les décidée dans le cadre de l’Organisation lée par une poignée de multinatio- plus pauvres permettrait d’accroître mondiale du commerce (OMC), a nales qui s’approprient les brevets. la production agricole de 56 %, selon encouragé le recours aux importations Par ailleurs, elles ne sont pas parve- la FAO. D’où l’appel lancé en avril d’aliments bon marché, ruinant les nues à développer des variétés per- dernier par l’IAASTD (International agricultures locales. Peu compétitives, mettant de lutter réellement contre Assessment of Agricultural Science celles-ci n’ont pas pu résister aux pro- la malnutrition. and Technology for Development), duits des pays du Nord qui ont sub- « Les variétés actuellement commer- qui réunit plus de 400 experts, en ventionné leurs excédents agricoles cialisées visent à lutter contre les ma- faveur d’une intensification des re- pour les écouler, ni aux brisures de riz ladies, les insectes ou à réduire les cherches en agro-biologie. thaïlandais ou à la viande de volaille mauvaises herbes. Des résultats ana- brésilienne. logues pourraient être obtenus par le Les importations, La plupart des gouvernements des développement de méthodes agro- la fausse piste pays en développement ne se sont pas environnementales », explique Michel L’avantage de ces modes de produc- opposés à cette ouverture des fron Griffon, directeur général adjoint de tion est de reposer sur des pratiques tières : ils y ont vu un moyen de faire l’Agence nationale pour la recher- accessibles aux petits paysans. Pre- bénéficier les habitants des villes d’une che (ANR) et promoteur de « la révo- mières victimes de la malnutrition, ils alimentation à bas prix et une occasion lution doublement verte ». Cette représentent près de 80 % des per de réduire leurs investissements dans technique permet d’accroître la pro- sonnes souffrant de la faim au niveau le secteur agricole. Sur les injonctions ductivité en utilisant les potentialités mondial. L’agriculture vivrière, prin- du Fonds monétaire international (FMI), de la nature. Exemples : la mise en cipale source alimentaire pour ces ces Etats, fortement endettés, ont en place d’une rotation des cultures évite populations, a en effet été la grande effet dû couper dans les dépenses un épuisement des sols ; le dévelop- perdante des dernières décennies. Les publiques. pement de cultures au pied des arbres pays du Sud ont favorisé les cultures Cette troisième voie – nourrir le dans les forêts favorise la fixation de d’exportation censées leur rapporter monde en favorisant l’ouverture des l’azote et la maîtrise des besoins en des devises. D’autre part, la hausse de frontières – montre ses limites : elle nº 272 bis septembre 2008 ALTERNatives Économiques I
I le monde a faim n’a pas réduit la malnutrition dans cette nourriture », observe Bénédicte facilitant l’accès au crédit ou en sub- nombre de pays mais, surtout, la Hermelin. ventionnant l’achat par les paysans flambée des cours actuels des matières « L’accroissement de la production d’engrais ou de semences, en favori- premières, que les experts estiment mondiale passe par la possibilité don- sant le développement des infras- durable, a changé la donne. La facture née aux populations de répondre elles- tructures (petits projets d’irrigation, alimentaire s’alourdit pour les pays mêmes à leurs besoins. Ce qui suppose de stockage des eaux de pluie ou des importateurs. Selon le Fonds inter- d’investir massivement dans l’agri- récoltes, de routes pour acheminer national de développement agri culture, notamment dans les pays en la production sur les lieux de consom- cole (Fida), une augmentation de 1 % développement », insiste Jean-Louis mation…). Sans parler de la formation des prix des denrées de base plonge Vielajus, délégué général du CFSI. des agriculteurs ou de l’accès à la Cette quatrième voie, défendue depuis terre. C’est d’ailleurs ce que l’Europe L’aide publique de nombreuses années par les or a fait en instituant la politique agricole ganisations non gouvernemen commune (PAC) en 1962. « Et pour au développement tales (ONG), trouve aujourd’hui un permettre à l’agriculture de se déve- a triplé nouvel écho. Y compris dans les ins- lopper, le Vieux Continent a mis en de 1985 à 2005, titutions internationales comme la place un système de protection aux Banque mondiale : après avoir imposé frontières. Sans ce filet de protection, mais l’aide à l’agriculture à ces pays des plans d’ajustement la reprise de la production dans les a diminué de 25% structurel limitant leurs dépenses pays les plus pauvres sera remise en publiques, et donc les sommes in- cause », ajoute Bénédicte Hermelin. 16 millions de personnes supplémen- vesties dans le soutien aux petits Et c’est bien là que le bât blesse. taires dans l’insécurité alimentaire… producteurs, elle redécouvre les ver- Reconnaissant la nécessité d’investir Et le chiffre de 1,2 milliard d’habitants tus des politiques agricoles. dans le secteur agricole, les institutions souffrant de la faim à l’horizon 2025 internationales n’en continuent pas commence à circuler. Le droit des peuples moins de prôner une plus grande En dépit des affirmations de certains à se nourrir eux-mêmes libéralisation des échanges. Pour les lobbys agricoles qui estiment qu’une Il y a en effet urgence : les pays les défenseurs de cette politique, une hausse de la production dans les pays plus dépendants de l’agriculture ne ouverture des frontières et la dispa- du Nord pourrait contribuer à l’ali- consacrent que 4 % de leurs dépenses rition des subventions agricoles qui mentation de la planète, on ne voit publiques à ce secteur, alors qu’ils ont des effets sur les prix devraient pas comment celle-ci serait capable s’étaient engagés dans le cadre du faciliter une meilleure allocation des de multiplier par deux la quantité de Nepad (1) à y réserver 10 % de leur ressources : les pays qui n’ont pas produits disponibles à l’horizon 2050. budget. Cette diminution n’a pas été d’avantages agricoles cesseraient leur Même constat pour les pays agro- compensée par l’aide internationale : production. Celle-ci serait alors re- exportateurs d’Amérique latine : ré- les financements consacrés au secteur localisée dans des Etats disposant de pondre à un tel défi, se traduirait par agricole sont passés de 3,37 milliards terres, d’une main-d’œuvre abondante, une progression de la déforestation. de dollars en 1985 à 2,51 milliards en de conditions favorables, etc. « Dans la plupart des cas, le problème 2005 (de 2,63 milliards à 1,9 milliard Mais dans un contexte de volatilité de la faim n’est d’ailleurs pas lié à un d’euros), alors que l’aide publique au des cours renforcée par les aléas cli- manque de nourriture au niveau mon- développement a triplé, selon l’OCDE. matiques, faire reposer l’alimentation dial mais aux difficultés pour des Seul un retour de l’argent public de la population sur les seules lois populations pauvres d’avoir accès à pourrait relancer la production en du marché peut s’avérer un choix dangereux, comme le montre la crise actuelle. « Si on ne peut pas nier l’im- Au Cambodge, les avantages d’une agriculture durable portance du marché – les échanges restent et resteront dans de nombreuses Pour tirer son épingle du gienne de solidarité internatio- pesticides par du compost réa- parties du monde nécessaires pour jeu et répondre à la demande nale partenaire du CFSI, entend lisé grâce au développement de assurer l’équilibre alimentaire –, il a mondiale, le gouvernement bien s’appuyer sur les actions l’élevage, a entraîné en quelques besoin d’être régulé. Il n’y a pas qu’une cambodgien vient d’annoncer conduites depuis le début des années un doublement des ren- solution pour assurer la sécurité ali- son intention de doubler la années 2000, dont les résultats dements. Les paysans ont pu mentaire mondiale. Il ne faut pas faire production de riz. Objectif : sont tangibles : intervenant dans alors répondre à leurs besoins preuve de dogmatisme, mais jouer sur dégager un excédent de 8 mil- la province de Prey Veng, il a et même dégager un surplus tous les leviers disponibles », conclut lions de tonnes pour l’exporta- conduit un travail de sensibili- vendu sur les marchés urbains. Michel Dodet, directeur des relations tion. Une opportunité pour les sation et d’appui auprès des Parallèlement, ils se sont enga- internationales de l’Inra et membre paysans, à condition toutefois paysans pour les inciter à utiliser gés dans une diversification de du bureau de l’IAASTD. 5 que tous, et particulièrement des modes de production alter- la production, l’aménagement L. E. les plus vulnérables, puissent natifs. La mise en place de sys- de jardins paysagers procurant (1) Le Nouveau partenariat pour le développement de bénéficier de ce plan... tèmes de riziculture intensifs, une source d’alimentation et de l’Afrique est un cadre mis en œuvre en 2004, à l’initia- Pour atteindre cet objectif, le avec une meilleure utilisation revenus complémentaires aux tive de l’Organisation de l’unité africaine, pour sortir le Cedac, une association cambod- de l’eau et le remplacement des familles. 5 continent de la pauvreté. 10 I ALTERNatives Économiques nº 272 bis septembre 2008
nos choix sont vitaux I Si la hausse des prix affecte les consommateurs et les producteurs, les élevages intensifs, les industries de transformation et la distribution ont su tirer leur épingle du jeu. Produits laitiers : à qui profite la hausse ? M ême si les cours des produits laitiers semblent s’être calmés, les prix restent aujourd’hui à un niveau beaucoup plus élevé qu’avant la flambée de 2007 : la tonne de lait en poudre écrémé s’échangeait à 3 475 dol- lars en juin 2008, contre 2 000 dollars il y a deux ans, le pic de 5 150 dollars ayant été atteint en juillet 2007. Ce mouvement a créé une véritable onde de choc au Nord comme au Sud. Premières victimes : les pays en dé- veloppement qui dépendent fortement des importations. Le Sénégal est à ce titre exemplaire : structurellement dé- ficitaire, la production nationale ne couvre qu’un tiers des besoins. Jusqu’en 2006, le développement de la consom- mation de produits laitiers a été assuré grâce aux importations à bas prix. Afin de faciliter l’entrée dans le pays de ces produits moins onéreux que les produits locaux, le Sénégal avait même baissé, en 2002, les droits de douane à 7 % pour la poudre de lait consommée par la quasi-totalité des ménages. Cette situation a certes profité aux consommateurs et aux industriels, mais elle n’a pas favorisé le développement de la production locale. Avec des ren- dements compris entre un et quatre litres par vache, le cheptel sénégalais est un des moins productifs de l’Afrique subsaharienne. Réactions en chaîne Dans ce contexte, l’envolée des cours des produits laitiers entre fin 2006 et mi-2007 sur les marchés mondiaux a fait l’effet d’une bombe : faute d’alter- © Anne-Laure Constantin native locale, les prix de vente des sachets de poudre de lait ou des produits fabri- qués à partir de celle qui est importée ont, en quelques mois, fait un bond de 30 % à 50 %. Les consommateurs n’ont Sénégal. Seuls des investissements dans le secteur agricole et une protection des frontières pas tardé à réduire leurs achats, créant permettront un décollage de la production au Sud. nº 272 bis septembre 2008 ALTERNatives Économiques I 11
I le monde a faim des réactions en chaîne. Frappés par ser les investissements nécessaires, années, selon une étude réalisée par cette baisse des ventes comprise entre d’autant que les consommateurs ne le Groupe de recherche et d’échanges 10 % et 20 % selon les marchandises, les sont pas prêts à remplacer leurs achats technologiques (Gret). industriels ont diminué leurs achats de poudre de lait par des produits auprès des importateurs et ont baissé locaux, jugés moins pratiques et pas … et au Nord la qualité des produits fabriqués à par- toujours de bonne qualité. Si, faute de politique agricole co- tir de poudre de lait. Incertains de leurs débouchés à hérente, la plupart des paysans du Sous la pression des transformateurs moyen terme, nombre de producteurs Sud, comme le montre l’exemple et pour éviter une trop forte grogne des ont donc préféré revendre leur pro- du Sénégal, ont du mal à bénéficier consommateurs, le gouvernement a, duction à des intermédiaires, des de la hausse des prix des produits dès juillet 2007, totalement supprimé acteurs qui avaient quasiment disparu laitiers, les producteurs du Nord ne les droits de douane et la TVA sur les avec la création de mini-laiteries semblent pas mieux lotis. Alors que ventes de poudre de lait. Parallèlement, artisanales, fruits des efforts antérieurs le revenu moyen des agriculteurs il a annoncé sa volonté de relancer la pour organiser la filière. Ces acheteurs français a progressé de 17 % en 2007, production nationale pour répondre à informels, qui transforment eux- selon le ministère de l’Agriculture, la demande des industriels, en quête mêmes la marchandise, ont profité celui des producteurs laitiers ne s’est de nouvelles sources d’approvisionne- de la flambée des cours pour propo- accru que de 3 %, contre 104 % pour ser des prix plus rémunérateurs que les céréaliers… les laiteries (300 à 325 francs CFA, L’envolée des cours des produits Faute de politique contre 275 à 300 francs CFA). Une laitiers en Europe a en effet été de cohérente, la plupart attitude qui compromet l’organisation courte durée. Dans le nouveau contexte des paysans du Sud de la filière. créé par l’augmentation de la demande Le développement pérenne de la de produits laitiers, l’Union euro- ont du mal à bénéficier production supposerait que les trans- péenne a, dès septembre 2007, as- de la hausse des prix formateurs s’engagent à acheter du- soupli le régime des quotas laitiers des produits laitiers rablement le lait aux éleveurs à un instaurés en 1992 pour limiter la pro- prix rémunérateur. La Fédération duction, à une époque où l’Europe nationale des acteurs de la filière lait croulait sous des montagnes de lait ment. Déjà, quelques producteurs, bien local du Sénégal (Fenafils) a d’ailleurs et de beurre. En autorisant les éleveurs organisés qui pratiquent une agriculture demandé aux pouvoirs publics d’ini- du Vieux Continent à augmenter de intensive, notamment dans la région tier des programmes permettant de 2 % leur production en 2008, Bruxelles des Niayes, commencent à tirer partie sécuriser les débouchés et de créer a provoqué un retournement de de la nouvelle situation. des centres de collecte dans le cadre conjoncture. La Confédération pay- de son plan de relance de la produc- sanne est d’ailleurs montée au créneau Désorganisation au Sud… tion nationale (qui reste pour l’instant pour demander une annulation de Cette dynamique risque toutefois une déclaration d’intention). Mais la cette mesure, la régulation de l’offre de mettre un certain temps à attein- suppression des droits de douane et de lait étant le seul moyen de main- dre l’ensemble des fermiers. La mul- de la TVA sur le lait en poudre importé, tenir des prix rémunérateurs. tiplication par six du prix des graines accordée par les pouvoirs publics Dans les exploitations pratiquant de coton utilisées pour l’alimentation pour amoindrir l’impact de la hausse une agriculture extensive ou dans les du bétail renchérissant les coûts de des prix, diminue ses marges de zones de montagne, les marges brutes production, ils sont nombreux à refaire manœuvre. Elle représente un man- des producteurs se sont même dété- plusieurs fois leurs comptes avant de que à gagner de 16,4 milliards de riorées. La hausse des prix des céréales, se lancer, n’étant plus sûrs de valori- francs CFA pour les deux prochaines qui complètent la ration alimentaire des animaux, n’a pas pu être com- Une production à l’avenir incertain pensée par une augmentation rapide des rendements : le cheptel est gé- Sur les 676 millions de cours, comme en 2007 : la sé- ouvelle-Zélande est touchée N nétiquement peu productif – même t onnes de lait produites dans cheresse qui a touché l’Austra- par la sécheresse. L’Europe, mal- si les rendements sont supérieurs à le monde en 2007, les expor- lie, alliée à une hausse de la gré le relèvement des quotas, ceux des vaches sénégalaises – et les tations ne représentent que demande mondiale due à l’émer- ne sera pas en mesure de four- agriculteurs sont soumis à des cahiers 5,6 % des volumes, contre 16,7 % gence de nouveaux importateurs nir des quantités supplémen des charges précis qui limitent l’usage pour le blé. Six principaux expor comme la Chine, a provoqué taires conséquentes. Toutefois, de ces compléments alimentaires. tateurs dominent le marché une flambée des cours. D’autant l’Organisation des Nations unies mondial (Nouvelle-Zélande, plus que les stocks mondiaux pour l’alimentation et l’agricul- L’agriculture intensive Australie, Union européenne, étaient au plus bas. ture (FAO) note que plusieurs gagnante Etats-Unis, Argentine, Biélorus- Si globalement, la production pays importateurs, dont la Chine En revanche, les élevages intensifs sie). Ils réalisent 80 % des ventes. mondiale devrait croître de 2,3 % et l’Inde, ont décidé de dévelop- sont parvenus à tirer leur épingle du La baisse de la production dans en 2008 et rester supérieure à per leur propre production, ce jeu. En rajoutant à la ration alimentaire un seul de ces Etats peut provo la consommation, de nombreuses qui devrait limiter leur recours des animaux des produits à forte valeur quer une rapide montée des incertitudes demeurent : la aux importations. 5 énergétique (maïs, soja…), certaines exploitations ont réussi à faire jusqu’à 12 I ALTERNatives Économiques nº 272 bis septembre 2008
Vous pouvez aussi lire