Les quatre vents Francis H. Cabot - Continuité - Érudit

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Les quatre vents Francis H. Cabot - Continuité - Érudit
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Continuité

Les quatre vents
Francis H. Cabot

Les grands jardins
Number 36, Summer 1987

URI: https://id.erudit.org/iderudit/18831ac

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Publisher(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (print)
1923-2543 (digital)

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Cabot, F. H. (1987). Les quatre vents. Continuité, (36), 30–33.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1987                  This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Les quatre vents Francis H. Cabot - Continuité - Érudit
La maison Les Quatre Vents. Devant la terrasse
     s'e'tale un vaste tapis vert, bordé à gauche par le jar-   Dans la nature généreuse     par Francis H . Cabot
     din blanc qu'a dessiné Edward J. Mathews, il y a
     plus de cinquante ans. (photo: coll. P. Dubé)                          de Charlevoix,
                                                                le plus grand jardin privé
                                                                              au Canada.

30   < I I M I M I I I i-lf   1987
Les quatre vents Francis H. Cabot - Continuité - Érudit
L'ALLEE DES OIES
                                                                                                             Au nord du tapis vert et derrière le
                                                                                                       jardin blanc se trouvait une pelouse dé-
                                                                                                       gagée, bordée au nord par une clôture et
                                                                                                       à l'ouest par le lac caché. De toute évi-
                                                                                                       dence, cet espace réclamait plus d'atten-

L     e jardin des Quatre Vents, à La Mal-
      baie, dans le comté de Charlevoix,
a été aménagé il y a une soixantaine
                                                    Ces deux axes étaient déjà établis
                                              au début des années trente et donnent
                                              toujours satisfaction. Ils forment l'ossa-
                                                                                                       tion. Nous avons commencé par créer
                                                                                                       une autre allée de vivaces bordée de
                                                                                                       haies d'aubépine. Elle s'étend d'est en
d'années sur une partie de la seigneurie      ture du jardin et sont l'oeuvre de deux                  ouest, sur une trentaine de mètres, tan-
appelée Sunset Hill, propriété de mon         oncles architectes et artistes, aujourd'hui              dis que la première allée de vivaces pré-
père. La configuration du terrain a dicté     disparus.                                                sente plutôt un axe nord-sud. Elle
le développement du paysage, à partir
d'un aménagement très modeste jusqu'à
une série de jardins couvrant maintenant
environ huit hectares.
       Pour avoir jardiné au nord de la
ville de New York durant la plus grande
partie de ma vie, je sais par expérience
que plus on va vers le nord, meilleures
sont les chances de succès en horticul-
ture. Dans le comté de Charlevoix,
comme dans les autres localités qui bor-
dent le Saint-Laurent au nord de Qué-
bec, le jardinage profite de conditions
idéales. Les raisons en sont évidentes: un
climat maritime est synonyme de super-
bes brouillards et de nuits fraîches et hu-
mides en été, tandis que les montagnes
toutes proches, à cette latitude nordi-
que, garantissent pratiquement une
bonne couverture neigeuse tout l'hiver.
Lorsqu'une épaisse couche de neige
tombe sur le sol avant qu'il ne gèle et
qu'elle s'accumule suffisamment pour ré-
sister à un dégel de mi-saison, le jardin
jouit des conditions les plus favorables.
Charlevoix est, selon moi, l'endroit qui
se prête le mieux au jardinage dans l'Est         Épousant les méandres d'une pelouse moelleuse,
de l'Amérique du Nord.                        une bordure de vivaces se pare de teintes d'aquarelle,   contient le plus grand nombre possible
                                              (photo: F. H. Cahot)                                     de hautes plantes dressées ou en épi afin
DEUX AXES I M P O R T A N T S                                                                          d'accentuer l'effet de tunnel créé par les
       La maison est située au centre de                                                               haies. Un banc de jardin occupe l'une
l'axe principal. A l'est, cet axe traverse           Nous avons hérité de la propriété                 des extrémités et un bouleau à papier
un jardin de prairie, un potager en ter-      en 1965, ce qui nous permettait d'y sé-                  planté au bord du lac constitue le point
rasses et une remise de jardin doublée        journer plus longtemps. Vers le milieu                   focal de l'autre extrémité. Cette partie
d'un poulailler baptisé «Doodle-Doo»,         des années soixante-dix, nous avons                      du jardin a été nommée «l'allée des oies»
pour aboutir à une serre et aux plates-       commencé à y ajouter graduellement des                   en l'honneur de ces habitants du lac qui
bandes de pépinière, d'asperges et de         éléments qui paraissaient appropriés,                    viennent brouter la pelouse.
framboisiers. Â l'ouest, l'axe parcourt un    inspirés de jardins que nous avions visités                     La saison débute avec l'heureuse
long tapis vert, un lac caché (le lac «Li-    pendant nos séjours outre-mer ou au su-                  combinaison formée de Daphne meze-
bellule»), des champs et des bois; ensuite    jet desquels nous avions lu. Nous dispo-                 reum, d'un étage inférieur de Scilla sibirica
le regard va se perdre dans les Lauren-       sions d'assez d'espace pour tenter de créer              et de Primula abchasica, suivis de doro-
tides.                                        plusieurs jardins clos de chaque côté des                nics du Caucase et de buglosses de Sibé-
       Près de la maison, un axe transver-    haies encadrant le tapis vert, sans abîmer               rie plantés en alternance. Bientôt les pi-
sal part d'un jardin blanc surélevé, amé-     la structure de base du jardin.                          voines arbustives et les pavots s'épa-
nagé autour d'un miroir d'eau. Il traverse                                                             nouissent, puis, entre autres, des touffes
le tapis vert, puis une roseraie en contre-                                                            de reines-des-prés et des aconits hâtifs.
bas (autrefois le jardin bleu) et descend                                                              Ensuite vient le tour des delphiniums.
une allée de vivaces étagée jusqu'à une                                                                L'aconit tardif, les phlox et les asters
fontaine en bordure du sous-bois.                                                                      terminent la saison dans un foisonne-
                                                                                                       ment de couleurs.

                                                                                                       (OMIMIlKflf   1987                              31
Les quatre vents Francis H. Cabot - Continuité - Érudit
L'élément de surprise est peut-être
     ce que je préfère de l'allée des oies. Nous
     la découvrons brusquement en franchis-
     sant la haie d'aubépine, qui ne laisse en
     rien deviner sa présence. Tout comme
     nous ne soupçonnons pas l'existence
     d'un lac à son extrémité, avant de traver-
     ser l'allée et d'arriver par un haut tunnel
     de cèdres en face de la statue d'une des
     quatre saisons. En arrière-plan, à la li-
     sière des champs de l'autre côté du lac,
     un peuplier de Lombardie, lorsqu'il aura
     assez grandi, servira de point d'exclama-
     tion à la perspective.

     LE LAC C A C H É
     E T LE R U I S S E A U
             En continuant par le tunnel de
     cèdres, nous émergeons tout à coup au
     milieu d'une série de bassins en cascade         LE R A V I N                                  ruisseau se drape d'impatientes indi-
     qui descendent en pente douce vers le                   En pénétrant dans le sous-bois,        gènes.
     lac. Les bassins sont ornés de lis d'eau et       une autre surprise nous attend car nous
     flanqués de rhubarbes décoratives.                nous trouvons brusquement devant un          LE J A R D I N DE SOUS-BOIS
             Pour atteindre le lac, nous em-           pont de corde qui enjambe un ravin large            Puis nous retournons au plateau
     pruntons un large sentier gazonné planté         d'environ trente mètres et profond de         boisé qui domine le ravin. Nous devons
     de cèdres menant à un pont chinois.              vingt mètres. Le ravin forme un arc qui       l'existence même du jardin de sous-bois à
     Nous pouvons aussi apercevoir un petit           s'étend sur cent vingt mètres, du barrage     la tordeuse des bourgeons qui a détruit au
     pont japonais et au loin, les montagnes          fermant le petit lac jusqu'à un vieux ré-     moins deux cents grandes épinettes,
     qui se profilent derrière La Malbaie. Le         servoir en aval du ruisseau. Un deuxième      transformant un magnifique boisé adulte
     lac est alimenté par un ruisseau qui des-        pont de corde traverse la partie inférieure   en un fourré impénétrable. En commen-
     cend des collines boisées et dont les            du ravin jusqu'à un gazebo.                   çant à le nettoyer, nous y avons cepen-
     berges étaient autrefois couvertes d'un                 Le ravin constitue un habitat idéal    dant découvert une abondance de jeunes
     fouillis d'aulnes. Nous l'avons nettoyé et       pour les plantes de sous-bois, car la plus    bouleaux, érables et amélanchiers qui,
     nous y avons construit des barrages et           grande partie en est protégée du vent et      avec le temps, devraient fournir toute
     creusé des bassins, pour aménager une            se remplit de neige en hiver, tandis qu'en    l'ombre nécessaire à un jardin de sous-
     promenade qui un jour devrait atteindre          été, l'air y demeure frais et humide. Le      bois.
     l'orée du bois. Plusieurs sentiers ga-           climat parfait pour de nombreuses                    Nous y avons aménagé quatre ruis-
     zonnés serpentent des deux côtés du ruis-        plantes asiatiques, incluant plusieurs es-    seaux artificiels qui serpentent à travers
     seau, qu'on peut franchir en empruntant          pèces de l'Himalaya qui refusent généra-      le sous-bois avant de se jeter dans le
     l'un ou l'autre des sentiers de traverse         lement de pousser dans l'Est de l'Améri-      ruisseau principal, et installé trente gi-
     bordés d'arbres d'ornement. Le nombre            que du Nord. Pour la plus grande part, le     cleurs hors terre, actionnés régulière-
     de ponts atteint ici un total impression-        ravin renferme des plantes de sous-bois       ment les jours sans pluie, transformant:
     nant.                                            ornementales à larges feuilles dont la ma-    ainsi le jardin en «rain forest». C'est un
             Si nous traversons le barrage et le      jorité provient d'Asie. L'idée est d'en       véritable paradis pour les primevères et
     petit pont japonais qui le surmonte avant        arriver à des plantations bien visibles du    jusqu'ici, nous avons établi chez nous
     de prendre à droite, nous entrons dans           haut des ponts pour le visiteur qui a le      environ le quart des six cents espèces de
     un monde complètement différent. O n             courage de regarder en bas.                   ce genre fascinant. La plupart de celles
     voit d'abord, en bordure du sous-bois, de               Des sentiers et des escaliers per-     que nous cultivons sont asiatiques et plu-
     grands massifs regroupant des plantes qui        mettent l'accès à toutes les parties du       sieurs ajoutent au charme des formes et
     apprécient l'ombre, comme par exemple            ravin. Peu à peu, nous habillons de           des couleurs un parfum à la fois capiteux
     l'astilbe, l'actée indigène, le lis et la cam-   plantes choisies toutes les pentes prati-     et subtil.
     panule «à feuilles de pêcher».                   cables. Un cirque naturel est planté de
                                                      jeunes Rhododendron yakusimanum, une
                                                      variété assez rustique pour supporter nos
                                                      hivers. Le fond du ravin est envahi de
                                                      fougères à l'autruche et en août, le lit du

32   ( O V U M ITK f If 1987
Le pont de lune, tout en rondeurs gracieuses, est
            une répliaue d'un pont qui se trouve dans le parc des
            Sept Etoiles, à Guilin, en Chine, (photo: F. H.
            Cahot)

                                                                                                                 8âkZ,"0*0 O O Q j f ^ O U u                 u
                                                                                                                     m - s - ^ k f i K ° K°   .Ht, V   m»„y„

    Sur un muret de pierres rugueuses, se détache la              Nous retournons à la maison en
hluncheur délicate des fleurs de rocaille, (photo: F. H.
Cahot)                                                     traversant un jardin de prairie qui pré-
                                                           sente un défi de taille à qui voudrait le
                                                           voir continuellement fleuri. Chaque an-
                                                           née, depuis 1983, nous y avons planté
       Bien sûr, d'autres plantes prospè-                  environ 10 000 bulbes et nous prévoyons
rent dans le sous-bois. Au printemps, les                  continuer tant qu'il restera de la place.
charmants Soldanella dressent leurs fleurs                 Crocus, Scilla, Muscari et une foule              Les principaux axes du jardin qui entoure Les
délicatement frangées sitôt la neige fon-                  d'autres espèces s'y succèdent selon les       Quatre Vents, (photo: F. H. Cabot)
due. Diverses espèces de Cor^dalts prove-                  époques. Pendant une certaine période,
nant d'Europe centrale et du Japon vien-                   les pissenlits accompagnent gracieuse-                Aux Quatre Vents, le jardin est en
nent ensuite, suivis du bleu électrique                    ment les Muscari. Puis le spectacle conti-     constante évolution et le processus de-
des Corydalis cashmeriana en juillet.                      nue grâce aux lupins, apparemment très         vrait se poursuivre pendant au moins dix
Nous cultivons aussi la sanguinaire à                      heureux dans cet environnement. Nous           ans encore. Nous espérons qu'un jour il
fleur double, des trilles, des sabots de la                ajoutons d'autres vivaces pour diversifier     pourra être ouvert au public quelques fois
Vierge et une profusion de gentianes.                      et prolonger la floraison. À la fête du        la semaine en saison, à la manière des
                                                           Travail, la prairie est fauchée et prête à     jardins anglais, et qu'il restera toujours
SUR LE C H E M I N D U R E T O U R                         recevoir un nouveau régiment de bulbes.        un jardin privé plutôt que public. Nous
       Un chemin de carriole partant du                           Près de la maison, des treillis fleu-   souhaitons également qu'il procure à ses
sous-bois nous mène d'abord à la piscine,                  ris de plantes alpines décorent une ter-       visiteurs autant de plaisir qu'il en a
puis, par le verger, jusqu'au potager, tan-                rasse. De l'autre côté de la maison, près      donné à ceux qui l'ont développé.
dis que la vue sur Pointe-au-Pic et le                     de la cour d'entrée, un jardin vert se
fleuve dissipe les impressions asiatiques                  rattache à l'aile des invités, formant avec
laissées par le sous-bois. Plusieurs des                   sa pelouse et ses haies de cèdre taillées              Francis H. Cabot, de Cold Spring,
épinettes mortes ont trouvé leur dernier                   autour d'un bassin dissimulé, une rafraî-      New York, et La Malbaie, se décrit lui-
repos dans les terrasses du potager où se                  chissante oasis, loin de toute distraction     même comme un passionné d'horticulture.
côtoient légumes et fleurs à couper.                       horticole. Nous avons aussi créé à proxi-      Il a été trésorier de ('American Rock
                                                           mité un «jardin de la boulangère» dont         Garden Society et a présidé le conseil
                                                           l'élément central est un four à pain uti-      d'administration du New York Botanical
                                                           lisé régulièrement.                            Garden.

                                                                                                          COVriM l i l . élf 1987                                33
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