Les rites funéraires en Valais - Trouver un lieu pour le défunt - HES-SO
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Les rites funéraires en Valais Trouver un lieu pour le défunt « On est jamais bien placé pour parler de la mort ; ni comme théoricien, ni comme spécialiste, quelle que soit la discipline à laquelle on appartient, ni comme endeuillé, ou non endeuillé. Reste le partage » (Crettaz, 2003, p. 20) BAC 19, 23.01.2020, 13h-15h30 Claude-Alexandre Fournier
L’épigraphe invite à une nouvelle pédagogie, celle du partage. Plusieurs raisons: – Nous ne savons rigoureusement rien sur la mort elle-même – Importance du retour sur soi …. et de la place de l’autre dans ce retour sur soi dans notre rapport à la mort HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• L’épigraphe annonce le lieu et la méthode qui seront adoptés par Bernard Crettaz Méthode culturellement marquée: -le bistrot et le débat, propres à la culture d’Anniviers -méthode qui répond à un besoin social de parler de la mort dans un lieu de (re)création sociale où la parole est libre (non captée par des professionnels) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Partager autour d’un témoignage Le deuil, une nouvelle maladie? Comment garder le lien avec nos proches décédés? Témoignage de Bernard Crettaz Podcast: http://pages.rts.ch/esp ace- 2/programmes/babylo ne/4313783- babylone-du-15-10- 2012.html HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Plan • Trouver un lieu pour le défunt • Trouver un lieu pour le défunt: le rôle des rites • La mort et ses rites dans la culture valaisanne – 1) La civilisation traditionnelle (Sur le chemin des vivants et des morts) – 2) Civilisation moderne (La liberté plutôt que la mort) – 3) Civilisation encore (De la mort à la mode… à la mort passée de mode) • Conclusion HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Trouver un lieu pour le défunt • Méthodologie proposée pour aborder la question de la ritualité funéraire: Trouver un lieu pour le défunt – Un lieu physique – Un lieu social – Un lieu psychique HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Un lieu physique: le devenir du cadavre « l’éclatement actuel dans des non lieux ou dans des tous lieux où chacun bricole ce qu’il veut et met son mort où il veut moi je trouve que c’est préférable de garder cette dimension communautaire du cimetière ça assigne une limite ça assigne un espace ça assigne un lieu » (Bernard Crettaz, RTS, Babylone, 15. 10. 2012) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Un lieu social: la question de la socialisation « je suis allé dans les couloirs de l’hôpital et j’ai rassemblé tous mes morts en leur disant écoutez […] Yvonne va s’en aller je compte sur vous pour le voyage » (Bernard Crettaz, RTS, Babylone, 15. 10. 2012) https://www.cimetiere-virtuel.fr/index.php HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Un lieu psychique: la mise en ordre personnelle avec le défunt « pour moi aujourd’hui autour de la mort deux activités à l’intérieur de nous à satisfaire quand quelqu’un meurt de vos proches se met en branle à l’intérieur de vous toute une zone fantasmatique où vous voyez des signes vous croyez percevoir la présence du mort ou vous pensez qu’il vous parle je crois qu’il faut laisser s’exprimer cette zone fantasmatique mais en même temps vient un deuxième travail sur soi qui est ce que j’appelle le travail d’énigme c’est- à-dire de savoir quelqu’un qui est mort est parti qu’il est ailleurs dans le mystère » (Bernard Crettaz, RTS, Babylone, 15. 10. 2012) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• La mémoire, l’oubli, les « traces » https://www.francetvinfo.fr/decouverte/gadgets/des-flashcodes- sur-les-tombes-pour-connaitre-la-vie-du-defunt_873567.html http://www.hommages.ch/ HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Trouver un lieu pour le défunt: le rôle des rites • Des rites de passage au « bricolage rituel » – Les rites de passage • Le rite est une « action humaine, œuvre de l’homme fondée sur une autorité reconnue par la collectivité, [sur] une tradition qui structure la communauté » (Meslin, 2000) – Caractère collectif, répétitif et efficace – Création d’un temps particulier – Création d’un espace particulier HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Selon Arnold van Gennep (1909) • Trois phases: – préliminaire, liminaire, postliminaire – Importance de la zone liminaire (le succès d’une notion) » Van Gennep (anthropologie) » Winnicott (psychologie) Le corps comme instrument HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
La mort et ses rites dans la culture valaisanne • Trois périodes (Crettaz, 2003) – 1) La civilisation traditionnelle (Sur le chemin des vivants et des morts) – 2) Civilisation moderne (La liberté plutôt que la mort) – 3) Civilisation encore (De la mort à la mode… à la mort passée de mode) Trois périodes qui peuvent être lues à l’aide de la méthodologie proposée: – Trouver un lieu (physique, sociale et psychique) au défunt HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
1) La civilisation traditionnelle: Sur le chemin des vivants et des morts Religions et mythes fondateurs • Il existe deux religions autours de la mort en Valais jusqu’au XXème siècle: » Une religion populaire d’origine païenne » Une religion d’institution chrétienne – Métissage (Crettaz) ou habillage (Schüle, Fournier)? • Présence de mythes fondateurs qui structurent l’espace et le temps: – les mythes se « matérialisent », projection d’un imaginaire (culturellement partagé) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Ces mythes fondateurs sont des versions culturellement construites du mythe de « l’âge d’or » http://www.rts.ch/archives/tv/culture/vi va/3440780-les-mythes-alpins.html – « L’âge d’or » – Après « la chute », l’espace et le temps se structurent » vertu explicative du monde « actuel » – La fin des temps HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
L’espace » La haute montagne devient inhospitalière et dangereuse • De là, l’incompréhension face aux alpinistes anglais du début du XIXème siècle » Les glaciers domaine des morts et des démons • Le purgatoire, invention du XIIème siècle pour permettre un commerce entre les vivants et les morts, est « projeté » collectivement sur la figure du glacier • Le glacier, réceptacle d’un imaginaire, est aussi un réservoir de légendes HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Siegen J (1921). Les légendes du glacier. Recueillies dans le Lötschental. Lausanne: SPES HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
La Mer de Glace dévore le hameau des Bois (Henry George Willink (1892) Les légendes y prennent leur source principalement pour deux raisons Première raison Le glacier est une figure anthropomorphique (qui peut prendre les caractéristiques d’un être animé) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Cosey (1984). A la recherche de Peter Pan 1. Bruxelles: Le Lombard. Deuxième raison -Le rapport à l’environnement pris dans une double dynamique: la maîtrise technique-le recours à la religion (exorcisme du glacier, procession (cf. Aletsch) http://www.rts.ch/video/emissions/mise-au- point/2414563-la-priere-du-glacier-d-aletsch.html HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
» Les alpages, lieux privilégiés du meilleur lait • Lieux colonisés de rituels (bénédiction du bétail, des bergers, etc.) et d’objets religieux (croix, offertoires, etc.); importance du fromage dans les rituels funéraires HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
» La vallée, répartie en mayens, hameaux et villages • De même que pour les alpages, l’espace est colonisé par des rituels et objets religieux » La plaine, donnant surtout le vin • Importance du vin dans les rituels funéraires (et de naissance) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Le temps – À cette structuration de l’espace, correspond une structuration du temps, la pérégrination et le cycle vital: Entre « la chute » initiale et la catastrophe finale, « les vivants accomplissaient en nomades leur vie de travail, pérégrinant sans cesse, comme vivants et comme morts, sur les chemins de la vallée, remontant après la mort dans les glaciers afin d’obtenir la libération finale » (Crettaz, 2003, p. 43) https://www.rts.ch/play/tv/couleurs- locales/video/le-documentaire-dune- realisatrice-valaisanne-winna-chemin-des- ames-passe-au- cinema?id=7350735&station=a9e7621504c695 http://www.rts.ch/archives/tv/culture/di 9e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da mensions/3446742-haute-nendaz.html HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Les rituels funéraires dans la civilisation traditionnelle (Preiswerk, 1983, pp. 31-66) • Il commence le jour ou un ménage s’installe par la mise en réserve dans la cave le vin et le fromage pour le jour de son enterrement (certaines sources parlent du jour de la naissance; Preiswerk, p. 75) – Les séquences du rituel • Les présages – la question de la superstition; les signes naturels (la chouette, le coq) et surnaturels (le sort jeté) • L’agonie – La question de la « bonne mort »: la crainte de la mort subite HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Présence du curé, les derniers sacrements Au moment du trépas, les accompagnants ou celui qui est aux côtés du mourant, réciteront la prière aux grandes indulgences : Ame chrétienne, sors de ce monde Au nom de Dieu qui t’a créé Au nom du Fils qui t’a racheté Et du Saint-Esprit qui t’as sanctifié. Amen Sur quoi on asperge le mort d’eau bénite. Suspension du temps HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• La toilette mortuaire – But: « retenue » du mort pour permettre le travail psychique du deuil; maîtrise du cadavre (ambivalence de celui-ci) – Habituellement faite par les femmes, proche parente ou sage- femme » La sage-femme est habituée (et connaît bien souvent) le corps du défunt (place privilégiée dans la société villageoise) » Le menuisier peut-être appelé à faire cette tâche (c’est souvent le premier averti; construction d’une enveloppe (la question du maternel)) – La toilette consiste à laver le corps à l’eau tiède, à raser le défunt (si c’est un homme) et à boucher les orifices. A cela s’ajoute l’habillement (Fournier, 2013). HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
» « En fait de toilette, elle est très sommaire. On le lave quelque peu, on le coiffe mais surtout on porte un grand soin à l’habillement. Ceci revêt une grande importance à cause du voyage des âmes du purgatoire. Le chemin sera peut-être difficile et long s’il y a pénitence. C’est pourquoi on ne néglige aucun détail. Les femmes sont revêtues du costume anniviard et du plus beau qu’elle possède. On est assez scrupuleux de servir pratiquement et esthétiquement les morts. On n’oublie ni le chapeau, ni les plus belles chaussures. Pour les hommes, il en va de même. […] Par-dessus les « habits du dimanche » on passe au mort son habit blanc, l’habit de pénitent comme on disait, longue robe à capuchon de lin blanc de la Confrérie du saint sacrement » (Preiswerk, 1983, pp. 39- 40). HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
» Absence de parole lors de la toilette mortuaire (pour éviter que le défunt n’entende des commentaires désagréables sur son état) • Diffère d’avec le bain de parole dans lequel le nouveau-né est plongé à son arrivée. Comme si l’absence de parole marque le passage d’un monde à un autre – Valence maternelle de la toilette mortuaire (Thomas, 1985) – Similarité entre la toilette du nouveau-né et la toilette mortuaire: » Deux périodes liminaires qui nécessitent une maîtrise du corps jusqu’aux relevailles/baptême (Fournier, 2013) » Le cycle vital (Gélis, 2010): « maternage » aux deux extrémités de la vie HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
» La toilette mortuaire au Japon: un rite en soi » recherche sur la présentation de l’enfant mort in utero (Fournier, 2015-2018) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Installation du mort et mise en deuil de la maison – Maîtrise de l’espace (et du cadavre) lors de cette période de marge: - On ferme les volets - On installe si possible le mort dans son lit mais le plus souvent à la cuisine - On installe un crucifix, deux cierges, une flamme éternelle et de l’eau bénite/branche de genévrier « L’installation du mort dans la maison familiale souligne la « familiarité » des vivants et des morts » (Preiswerk, 1993, p. 42) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF Nyfeler, Vieillard à Kippel
• Annonce à la communauté – Messager envoyé par les proches (menuisier, marguillier, curé, autorité) – Cloches: aussi importante que la voix humaine, code transmis culturellement, trois manifestations: » Au décès » La veille de l’enterrement (« sonner la fin ») » L’enterrement Médiathèque du Valais, rencontre avec François Rey, marguillier à Vissoie: http://xml.memovs.ch/s01 2a204f001.xml HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Confection du cercueil par le menuisier – L’une des premières personnes averties si le cercueil n’avait pas été fait à l’avance…. « On l’essaie donc, on se couche dedans. On se le fait livrer et on le range au galetas. On l’utilise, d’ailleurs, on y met des noix, le grain ou d’autres provisions à l’abri des souris » (Preiswerk, 1993, p. 42) – Le menuisier livre le cercueil à la demeure du défunt la veille de l’enterrement et procède à la mise en bière: « on avait fait un fond avec des copeaux que l’on recouvrait d’un linge, un peu plus relevé vers la tête. […] on pensait à tout : le mouchoir de poche, le chapeau plié, le peigne. […] tout était prévu pour que le mort soit confortable, qu’il ait ce qui lui est nécessaire pour le dernier voyage. C’est pourquoi aussi, au début du siècle encore, certaines personnes se souviennent d’avoir ajouté dans le cercueil des vivres pour le voyage « (Preiswerk, 1993, p. 51) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Veillée mortuaire – Dure jusqu’au départ définitif de la maison pour la messe et le cimetière – Grand moment d’actualisation des liens entre les vivants et les morts: prières, bénédiction, vin… – Grand moment de transmission des rites mais aussi des histoires sur le mort et sur la mort (importance des récits) – Un malheur collectif HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Cortèges et cérémonie religieuse à l’église – Habit des confréries (abandon en Anniviers: 1920 pour les hommes, 1950 pour les femmes) Trois cortèges: » De la maison à la place du village Nyfeler, Kippel, 1920 » De la place du village à la place de l’église • Soins au confort du cadavre (retournement au passage de la Navizence) • Bénédiction individuelle (eau bénite) • Curé: encens et eau bénite HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
» De la place de l’église à l’église Nyfeler, Kippel, 1912 • À chacun sa place: défunt, parents, autorité, chantres, homme/femme – Office des morts (jusqu’en 1950-60) et messe HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Mise en terre – Fosse creusée la veille de l’enterrement – 3 « carrés » dont deux bénits: » Enfants (baptisés) » Chrétiens catholiques Et un non bénit (vers l’entrée): » Protestants » Incroyants » Vagabonds Reproduction de l’ordre social HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Cimetière comme un lieu de rencontre et d’activités (jusque vers 1848), lien entre les vivants et les morts – Dernière bénédiction et terre jetée sur le cercueil par le curé – Mise dans la fosse HES-SO/HEdS/24.01.2019/CAF
• Repas d’enterrement à la maison de commune – Le pain, le fromage et le vin (ces deux derniers préparés à l’avance par et pour celui que l’on enterre): « On consomme, ce jour-là ce qu’il a lui-même « laissé » selon un terme bien anniviard. » (Preiswerk, 1993, p. 79) – Une assemblée élargie – Le repas comme rite de réagrégation – Le repas comme lieu de transmission sur le mort et la mort – Le repas comme moment de réconciliation, de rééquilibrage et de retour à la vie (élément important du processus de remise en ordre) La place du rire et de la farce tout au long du rituel… HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Retour et mise en ordre de la maison – Ouverture des portes et des fenêtres – Remise en place des meubles et des objets – La « lessive du mort » et la « lessive de l’accouchée » « on rassemblait tout le linge ayant servi soit à accommoder et à laver le mort soit des habits qu’il avait portés en tout dernier. Ce linge était mis de côté et n’était pas mélangé à la lessive ordinaire. Il faisait l’objet d’une lessive à part. » (Preiswerk, 1993, p. 51) – La paillasse du mort et de l’accouchée (Fournier, 2013) http://www.rts.ch/archives/tv/culture/dimensions/3446742-haute-nendaz.html HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Les rituels funéraires dans la civilisation traditionnelle: • Une totalité rituelle • Un langage symbolique à dimension universelle (Crettaz, 2003, p. 36): – La mort comme voyage – Le repas comme rite d’adieu et solidité du lien communautaire – La présence des morts parmi les vivants Fin du XIXème siècle, volonté de l’Eglise d’épurer la religion populaire » « Bonne » et « mauvaise » tradition, « bonne » et « mauvaise » modernisation (suppression provisoire des repas d’enterrement avec l’aide l’Etat) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF » Entrée en jeu de la culpabilité, jugement dernier, etc.
2) Civilisation moderne: La liberté plutôt que la mort • 4 concepts pour décrire ce basculement au début du XXème siècle: – Le sujet: du « nous » au « je » – La ligne: du ciel à la terre – La conquête, l’être humain a plein pouvoirs par la connaissance – La mobilité intergénérationnelle, professionnelle et géographique (brassage des mentalités et des cultures) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Une modernité libératrice et problématique • Un vingtième siècle de progrès mais de destructions barbares (« le siècle de la mort ») • Modernité et mythe du progrès HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Civilisation moderne et ritualité funéraire – L’hôpital devient le lieu normal pour mourir dans l’après- guerre (1950), comme il devient celui du naître » La mort cachée (1950-1980): marginalisation et évacuation des corps « La mort n’appartient plus au mourant – d’abord irresponsable, ensuite inconscient – ni à la famille, persuadée de son incapacité. Elle est réglée et organisée par une bureaucratie dont la compétence et l’humanité ne peuvent l’empêcher de traiter la mort comme sa chose, une chose qui doit la gêner le moins possible, dans l’intérêt général ». (Ariès, 1977, p. 582) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Revue Newsweek: « How America lives with death », in Thomas, 1985, p. 60 • L’agonie solitaire et médicalisée • La toilette mortuaire: le passage du féminin au masculin (changement de rapport au temps, abandon du cycle vital) (Fournier, 2013) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• L’annonce par faire-part (tout comme pour la naissance) abandon des messagers traditionnels et de la symbolique de la cloche • La veillée mortuaire se déroule le plus souvent au funérarium avec toutes les contraintes y découlant mais aussi les avantages… (séparation des lieux, etc.) • Le cortège funèbre est une coutume (à cette époque) en voie d’extinction • Les obsèques: tendance à privatiser les obsèques, survivance des condoléances • Le repas d’enterrement, une coutume païenne (selon l’Eglise) et dispendieuse (souci de l’Etat) qui s’amenuise HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– du « côté » des pertes… » Perte de la dimension communautaire » Perte de contact avec le mourant, le mort et une certaine familiarité avec celle-ci » Professionnalisation de la mort par le savoir médical qui: • Implique une remise en question voir un abandon des conduites symboliques (tout ce qui ne relève pas des actes médicaux ou hygiénistes) • A, paradoxalement, tout en cachant la mort généré un savoir sur le fin de vie et l’approche de la mort HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
3) Civilisation encore: De la mort à la mode… à la mort passée de mode • L’accompagnement des mourants à l’hôpital (1980-): la naissance des soins palliatifs, 3 séquences (Crettaz, contexte romand): – « La mort à la mode », retour à la mort sectoriel, professionnalisé et technocratique – Institutionnalisation de la mort, champ médico-socio- thérapeutique, appropriation et prise de pouvoir – « La mort passée de mode », normalisation dans une médicalisation généralisée (amputation du sauvage) • Séquences « classiques » d’un processus de normalisation d’une pratique (découverte/bricolage- institutionnalisation-normalisation) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Place des soignants dans ce mouvement de normalisation: – Avec les familles, ils sont à l’origine du mouvement (au plus près de la souffrance des malades et des familles) – L’institution, via la direction médicale, a permis la présence de gestes symboliques aux côtés des gestes (para)médicaux: » « Les rites et pratiques symboliques au sein de l’hôpital dessinent une aire spécifique, transitionnelle entre le monde personnel et professionnel, individuel et collectif, médical et social. La liberté octroyée altère l’armure défensive du personnel soignant et administratif […] cette déstabilisation des positions libère chez ceux qui l’acceptent une créativité » (Deuil périnatal; Fellous, 2006, p. 23) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Pour Fellous (2006, p 25): » Les rites hospitaliers revitalisent des liens sociaux (rites comme créateurs de liens sociaux, « fondent » un groupe, cf. attachement aux équipes soignantes) » L’efficacité des rites vient de l’engagement réciproque de l’équipe soignante et des parents dans leur déroulement (création d’une « culture » commune?) • Temporalité: la « bonne naissance » et la « bonne mort » en institutions de soins « […] « 21 jours » : cette durée correspond à une mort, ni trop courte, ni trop longue ; une mort d’une durée suffisante pour laisser le temps au patient et à ses proches de cheminer et de se rapprocher au mieux d’une « bonne mort ». Dès lors, comment concilier le principe d’humanisation des soins et la pratique institutionnelle soumise à la rationalité économique. » (Olivier, 2007, p. 35) HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Conclusion • Trouver un lieu pour le défunt – Lieu physique: à qui appartient-il? (confiscation du cadavre) – Lieu social: quelle est sa sociabilité? (nouvelle privatisation de la mort, révolution numérique et nouvelle communauté) – Lieu psychique: quelle relation entretient-on avec lui? (le besoin d’être en lien, la bonne distance, mémoire et oubli) À lire au travers des filtres culturels (qui s’effacent ou plutôt se transforment) et des filtres des groupes d’appartenance qui nous habitent! HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
– Les rites, pour trouver ce lieu, doivent répondre à une grammaire symbolique – Les rites, pour trouver ce lieu, doivent si possible être partagés, négociés collectivement HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Merci pour le partage! HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
Bibliographie • Ariès P. (1977). L’homme devant la mort. Paris : Seuil. • Crettaz B. (2010). Cafés mortels.Sortir la mort du silence. Genève: Labor et Fides. • Crettaz B. (2008). Le curé, le promoteur, la vache, la femme et le président : que reste-t-il de notre procession ? Ayer : Ed. Porte-plumes. • Crettaz B. (2003). Vous parler de la mort. Ayer : Portes- Plumes. • Crettaz B., Delécraz C., Ducor J., Gallaz C. (1999). Petit manuel des rites mortuaires. Genève : La Joie de lire. • Fellous M. (2006). Autour de l’enfant mort-né, créer un espace rituel pour les parents. L’Autre, 7, pp. 383-398. HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Fournier C.-A. (2013). Odette Fournier, sage-femme : attitudes religieuses face à la naissance en Valais entre 1930 et 1970. Genève : Labor et Fides. • Gilbert M. (2005). Antigone et le devoir de sépulture. Genève : Labor et Fides. • Molinié M. (2006). Soigner les morts pour guérir les vivants. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond. • Ollivier F. (2007). La « bonne mort » : une durée idéale pour la fin de vie en unité de soins palliatifs ? Frontières, 1, pp. 34-39. • Preiswerk Y. (1983). Le Repas de la Mort. Sierre : Monographic. HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
• Thomas L.-V. (1994). Anthropologie de la mort. Paris : Payot, 1994. • Thomas L.-V. (2003). Rites de mort. Pour la paix des vivants. Paris : Fayard. • Thomas L.-V. (1997). La mort en question : traces de mort, mort des traces. Paris : L'Harmattan. • Thomas L.-V. (2000). Les chairs de la mort : corps, mort, Afrique. Pari : Les empêcheurs de penser en rond. HES-SO/HEdS/23.01.2020/CAF
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