LES SOCIABILITES FEMININES ANALYSE COMPAREE DE TROIS SPORTS COLLECTIFS
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C. MENNESSON - C.R.I. - S.T.A.P.S. Université des Sciences humaines de Strasbourg LES SOCIABILITES FEMININES ANALYSE COMPAREE DE TROIS SPORTS COLLECTIFS INTRODUCTION Les sports collectifs ou l'idéal-type d'une sociabilité masculine Les sports collectifs, généralement perçus dans le secteur éducatif comme un support de socialisation privilégié, sont, historiquement, une affaire d'hommes. Les relations entre les joueurs au sein des équipes de sports collectifs masculins, et en particulier du rugby, sont souvent présentées et représentées comme l'idéal-type de la « sociabilité masculine » (amitié virile excluant le sentimentalisme et l'homosexualité, goût de la fête dont les femmes sont, d'une certaine manière, exclues...)1. Les relations au sein des équipes masculines de sports collectifs ne constituent pas un objet d'étude fréquent en sociologie du sport. Cependant, on peut s'appuyer sur le travail de Christian Pociello pour décrire les grandes caractéristiques de la sociabilité rugbistique, «modèle», d'une certaine manière, d'une sociabilité spécifiquement masculine. L'auteur souligne que le rugby est associé à la fête, c'est-à-dire à la « bringue » essentiellement centrée autour de la « bouffe » d'après match en ville. Il remarque également que « les pratiques constitutives du style de vie du rugbyman dégagent, dans leur cohérence même, l'image de l'homme viril dominateur et machiste, qui se coupe rituellement du monde des femmes ». D'autre part, cette sociabilité festive et virile apparaît comme un monde relativement clos, du fait d'une « identification à un monde culturel qui se veut autonome et fermé » (Pociello, 1983, p. 367). 1. L'idéal-type est employé au sens strict que lui donne Max Weber. « L'idéal-type est un tableau de pensée, il n'est pas la réalité historique ni surtout la réalité "authentique", il sert néanmoins de schéma dans lequel on pourrait ordonner la réalité à titre d'exemplaire. Il n'a d'autre signification que d'un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants, et avec lequel on la compare ». (Weber, 1965, p, 176). Jean-Pierre Augustin et Alain Garrigou (1985) relèvent des caractéristiques semblables dans la sociabilité des rugbymen en insistant sur le rôle social des actes de transgression. Si ce tableau peut paraître excessif pour les autres pratiques, il fait cependant partie de l'imaginaire des sports collectifs (Callède, 1985) et marque inévitablement le handball, le basket-ball et le volley-ball, pratiques plus récentes et plus féminisées. On peut donc
se demander comment les femmes structurent leurs relations dans un milieu aussi dominé par des valeurs masculines. Le handball, le basket-ball et le volley-ball présentent des caractéristiques techniques différentes allant du sport de contact rugueux (handball) à l'euphémisation de l'affrontement (volley-ball) et mobilisent des publics diversifiés. Dans une perspective comparative, ces sports présentent un intérêt certain pour aborder le problème des relations au sein des équipes féminines. L'étude de différents types de «sociabilités» caractérisant divers modes de groupements sportifs est fréquente en sociologie du sport. La question de savoir si ces formes de groupements originaux que sont les associations sportives proposent des modes également originaux de « sociabilité » pour leurs membres, se pose de manière implicite depuis l'implantation du sport bourgeois en France dans le courant du XXe siècle. Les groupements sportifs : une sociabilité particulière ? A ce propos les tenants d'une spécificité du sport, capable selon eux de produire des valeurs propres, précurseurs du sport bourgeois (comme P. de Coubertin), sport comme « loisir actif » (Dumazedier, 1962) s'opposent à ceux qui réfutent une telle spécificité (Meynaud, 1966) ou qui attribuent au sport une fonction d'aliénation (Brohm, 1976). Jean-Paul Callède considère la sociabilité sportive comme une sphère spécifique d'intégration sociale et d'expression d'un « esprit sportif » (Callède, 1987). Ses travaux confirment l'extrême diversité des formes de sociabilités sportives en fonction de l'influence variable et combinée de facteurs aussi divers que l'âge, le sexe, les caractéristiques sociales des pratiquants, d'une part, et le type de pratique, le contexte géographique, politique, social et sportif, d'autre part. Cependant, le fait d'envisager la sociabilité sportive comme un « univers culturel relativement cohérent et homogène » possédant un rôle spécifique d'intégration sociale est discutable. La diversité des modes de groupements sportifs et de leurs valeurs interroge cette conception. Nous préférons, pour notre part, appréhender les sociabilités sportives comme un espace à l'intérieur duquel chaque groupement définit ses propres valeurs. Ainsi, des modes de groupements sportifs proches sur le plan de leur finalité, comme les sports de combat, présentent des modes de relations très différents, voire antagonistes (Clément, 1985). De la même manière, les relations qu'entretiennent les Spiridoniens expriment des différences qui cristallisent les tensions entre ces derniers et les « Stadistes » (Defrance, 1989). Au-delà de la finalité sportive, souvent prétexte à se retrouver, c'est la perception que les agents ont de leur pratique et de la manière de s'y retrouver qui est déterminante. Corrélativement, les caractéristiques socioculturelles des pratiquants engagés dans les différentes pratiques (judo ou aïkido, course sur route ou sur piste), ne sont pas identiques. Dès lors, il semble évident que les sociabilités sportives ne seront pas les mêmes en fonction des caractéristiques techniques et symboliques des pratiques, d'une
pan, et des caractéristiques socioculturelles des pratiquants, d'autre pan. La pluralité des propositions des sociologues du sport, en ce qui concerne les études sur les « sociabilités », rend nécessaire une précision du cadre conceptuel dans lequel nous employons cette notion pour le moins ambiguë. La sociabilité comme lieu d'affirmation identitaire et statutaire et comme enjeu de luttes Parmi la diversité des approches contemporaines, deux d'entre elles semblent plus particulièrement adaptées pour appréhender provisoirement la notion de sociabilité dans la perspective de notre travail. La première, celle d'Erwin Goffman, s'intéresse à la manière dont les individus et les groupes vivent au quotidien en fonction des différences techniques, politiques, structurales et culturelles des organisations sociales dans lesquelles ils évoluent. Ce mode de relation au quotidien est déterminé ici par la nécessité de « garder la face » (Goffman, 1974). L'ordre nécessaire à sa préservation est un ordre rituel, par l'intermédiaire duquel l'individu intègre les comportements élémentaires qui le feront interactant, et assureront, de ce fait, la cohésion du groupe autour d'une définition unique de la situation. L'approche interactionniste part du principe que les rôles se façonnent dans et en fonction des situations vécues (et construites) par les individus. L'approche de Pierre Bourdieu permet d'envisager la « sociabilité » non seulement comme la manière dont se gèrent les relations à l'intérieur d'un groupe (ou entre groupes), en fonction de la situation et des statuts des différentes personnes engagées dans l'interaction, mais aussi comme une pratique sociale. L'investissement d'un individu dans un groupe étant, avant tout, l'inclinaison à agir qui s'engendre dans la relation entre un espace de jeu proposant certains enjeux, et un système de dispositions adaptées à ce jeu (Bourdieu, 1980a), le groupe apparaît comme un lieu privilégié d'affirmation identitaire et statutaire. Les actes de cooptation plus ou moins explicites qui fondent les groupes primaires, sont, en effet, des actes de reconnaissance des autres par lesquels un habitus s'assure de son affinité avec d'autres habitus (Bourdieu, 1979). Cependant, si elle est un processus de reconnaissance, la sociabilité d'un groupe, parce qu'elle met en interaction des individus dont les « trajectoires » ne sont jamais identiques, est aussi un lieu de luttes entre les membres du groupe pour définir un certain type de relations. Sociabilités féminines - Sociabilités masculines Processus d'affirmation identitaire et statutaire, les « sociabilités » sont, inévitablement, structurées en fonction d'une vision du monde bisexuée. Si les sociabilités féminines présentent des spécificités, elles suggèrent inévitablement l'existence d'une éventuelle identité féminine. Pour Georg Simmel, on peut distinguer l'objectif, historiquement masculin, du subjectif, spirituellement féminin (Simmel, 1989). L'essence féminine se caractérise par l'unité
être-perception-action tandis que « l'homme » se définit par une bipolarité dans l'orientation de sa vie (importance notamment de la réussite sociale). De ce point de vue, il est donc probable qu'au sein d'un groupe d'hommes, qui se pensent plutôt dans l'avenir, et d'un groupe de femmes, qui s'affirment plutôt dans «l'être présent», s'établissent des relations de nature différente. La sociabilité féminine présenterait, dès lors, des particularités qui restent à déterminer, en relation avec l'existence éventuelle d'une « essence féminine » favorisant la vie intérieure, et le temps présent. Pour Bourdieu, la différenciation homme-femme est déterrninée par une causalité sociale, génératrice d'une vision du monde bisexuée (Bourdieu, 1980 b). La domination masculine est présente à « l'état objectivé » dans le monde social et à «l'état incorporé», comme système de catégories de perception et d'action (Bourdieu, 1990). Les hommes sont préparés à entrer dans les luttes pour l'accumulation du capital symbolique, les femmes sont préparées à s'en exclure. Les différences entre sociabilité féminine et sociabilité masculine ne s'expliquent pas ici par des différences «d'essences», mais sont déterminées par la construction d'habitus distincts et socialement complémentaires. D'une certaine manière, P. Bourdieu accepte l'idée d'une différenciation du rapport au monde qui serait liée à la différenciation sexuelle. Cependant, cette capacité des femmes à s'exclure du jeu varie en fonction de leur position sociale et de celle des hommes auxquels elles sont éventuellement liées. Le groupe social d'appartenance a, en effet, une importance considérable sur la manière dont sont appréhendées et vécues les différences hommes-femmes. Ainsi, des différences sont perceptibles au niveau de la sociabilité de femmes de milieux différents (Héran, 1988 c). L'étude de François Héran met également en évidence des différences entre les sociabilités de femmes et d'hommes d'un même niveau social, l'écart se réduisant toutefois pour les femmes actives des classes aisées, laissant ainsi ouverte la question d'une spécificité des sociabilités féminines. Michael Messner confirme les différences de comportements quant au degré d'investissement des hommes et des femmes dans les pratiques sportives. Ainsi, pour les jeunes noirs d'origine populaire, les pratiques sportives (le plus souvent collectives) sont un lieu od se cristallise la quête de la « masculinité » par reconnaissance de la «réussite publique», tandis que les jeunes femmes du même milieu valorisent davantage l'école (Messner, 1992). Le sport, fait de société, exprime inévitablement la domination masculine. Les pratiques sportives féminines constituent un espace possédant une certaine autonomie par rapport à l'ensemble des pratiques sportives. Cet espace spécifique s'organise et prend du sens en relation avec les pratiques masculines, que les femmes s'approprient et transforment (Clément, 1983 ; Dechavanne, 1981). Pour C. Louveau, « non seulement l'existence de la division du travail sexuel et des rôles fondent les probabilités qu'une femme, socialement située, a de pratiquer une activité physique, mais elle en définit aussi les modalités d'appropriation ou de pratique) autrement dit, elle joue sur la structure même de l'activité proprement dite » (Louveau, 1981, p. 58). Si l'appropriation influe particulièrement sur la nature technique de l'activité, elle concerne également l'ensemble du système de signes attachés à la pratique, parmi
lesquels le type de sociabilité occupe une place importante. PROBLÉMATIQUE A partir des orientations théoriques choisies, nous allons étudier les sociabilités d'équipes féminines de sports collectifs, en développant les trois grandes questions exposées précédemment. La première est relative à la définition de la « sociabilité » et à la manière de l'aborder. La sociabilité est envisagée ici à la fois comme un processus interactionniste, au cours duquel chacune des joueuses agit en fonction de son statut à l'intérieur de l'équipe (Cicourel, 1979) et comme un lieu de reconnaissance sociale. Les joueuses n'adhèrent pas à une équipe sans prendre en compte l'image que le groupe donne de lui-même. La seconde interrogation est liée au processus d'appropriation, par les joueuses de sports collectifs, du « modèle de sociabilité masculin ». On peut en effet se demander quels types de permanences et/ou de différences existent entre les molles de relations des équipes féminines et masculines. Face à la complexité des questions posées, nous avons choisi d'examiner, en particulier, dans quelle mesure les relations qu'entretiennent les joueuses de sports collectifs s'apparentent, au niveau de leurs contenus, et de leur organisation (fréquence des relations internes élevée, liens avec d'autres formes de vie sociale peu développés) au « type idéal masculin». La question de la structuration des sociabilités féminines reste posée. Se construisent-elles par rapport à l'idéal-type de la sociabilité masculine en sport collectif ou par comparaison avec les représentations que les joueuses des équipes étudiées ont des formes de sociabilité des joueurs ? La méthodologie employée dans la première partie de l'étude ne permet pas de répondre à cette question, qui sera abordée dans une seconde phase d'analyse. Corrélativement, la mise en évidence d'éventuelles spécificités relationnelles féminines est envisageable. En effet, certaines préoccupations relationnelles peuvent, à un moment donné, devenir un enjeu interne pour certaines équipes, comme, par exemple, la question de l'homosexualité, sujet réputé « tabou » chez les masculins (Messner, 1992). Par ailleurs, la différenciation est présente jusque dans la plus petite unité, théoriquement la plus soudée, le club, où hommes et femmes ne se rencontrent guère et occupent des statuts différents. Enfin, si l'on se réfère à certaines analyses réalisées en sociologie du sport, le problème de l’influence de la «logique technique » de la pratique sur les modes de relations qu'entretiennent les joueuses reste posé. Plusieurs axes d'analyse sont possibles. Quel est le poids de la pratique, en tant que système de caractéristiques techniques et symboliques, dans le mode de relation, qu'entretiennent les joueuses ? On peut en effet émettre l'hypothèse que le volley-ball, où l'affrontement est euphémisé, et le handball, sport de « contact », favoriseront des modes de relation différents. Néanmoins, si les caractéristiques techniques de la pratique peuvent, d’une certaine manière, caractériser symboliquement chaque public de pratiquantes, elles ne peuvent pas expliquer à elles seules les différences observées entre les types de relations
établies au sein des différentes équipes. Autrement dit, ce sont les pratiquantes qui façonnent la « sociabilité » de leur équipe. De ce fait, on peut aussi avancer que les caractéristiques sociales et culturelles des pratiquantes interviennent dans les différences relevées dans les modes de relations des joueuses des différentes équipes. Quoi qu'il en soit, expliquer la dynamique relationnelle au sein d'une équipe exclut le recours exclusif à un système d'hypothèses générales. Chaque équipe connaît en son sein des luttes plus ou moins intenses pour la définition du mode de relation. MÉTHODOLOGIE Un questionnaire comprenant 60 questions a été distribué au cours de la saison 1990/1991 aux joueuses de 20 équipes féminines de sports collectifs. Le choix du questionnaire répond au souci d'avoir, pour une première étude sur les sociabilités féminines, un nombre suffisant d'observations pour pouvoir tirer des conclusions générales sur les relations au sein des équipes de filles. Il est certain que, dans une seconde phase d’étude, les interviews sont indispensables pour appréhender les relations établies entre les joueuses de manière plus détaillée et plus nuancée. L'élaboration du questionnaire s'organise autour de six groupes de données, construits à partir de nos hypothèses, et fonctionnant comme un système d'indicateurs. Trois groupes d'indicateurs portent sur l'identification de la joueuse (âge, situation familiale, caractéristiques socioculturelles, mais aussi opinions sur la sexualité et l'homosexualité) et de la pratique (sport pratiqué, club, niveau de jeu). D'autres groupes d'indicateurs tentent de cerner les multiples facettes de la sociabilité des joueuses de sports collectifs. Trois aspects ont été plus particulièrement étudiés : une sociabilité dite « externe à l'équipe et au club » (participation des joueuses à la vie associative en général, relations avec les personnes extérieures à l'équipe), une « sociabilité interne à l’équipe et au club » (relations entre les membres de l'équipe du club au sein du club : entraînements, matchs et soirées qui les suivent), et une « sociabilité interne à l'équipe, hors des activités du club» (rencontres entre les membres de l'équipe à des moments et des lieux sans rapport direct avec les activités du club). Sur les 20 équipes sondées, 16 ont été retenues (celles dont la quasi-totalité des membres ont répondu), soit 7 équipes de basket, 5 équipes de volley et 4 équipes de hand. L'échantillonnage des équipes répond à la nécessité de varier les niveaux de jeu (de Régionale à Nationale I) et les lieux d'implantation (urbain, rural). Cependant, si la variété des niveaux de jeu est effective en volley (1 club de Nationale 1, 2 clubs de Nationale III, 2 clubs de niveau régional) et en basket (3 clubs de Nationale II, 1 club de Nationale III, 1 club de Nationale IV et 2 clubs de niveau régional), elle n'apparaît pas en handball (1 club de Nationale 1, 3 clubs de Nationale II) car les clubs de niveau régional contactés n'ont pas répondu suffisamment massivement. Les questionnaires n'ont pas été distribués aux équipes masculines. Ce choix peut surprendre, puisque notre investigation repose en partie sur une analyse comparative homme-femme. Cependant, il ne s'agit pas, dans le cadre de notre étude, de comparer les sociabilités d'équipes masculines et celles d'équipes féminines, mais d'examiner comment se
structurent les sociabilités des équipes féminines, par rapport au modèle idéal (idéalisé) de la sociabilité masculine, tel que l'on peut le définir à partir d'approches ethnologiques. RÉSULTATS Structure de la population étudiée et « univers des pratiquantes » Plutôt jeunes (68 % des joueuses ont entre 20 et 30 ans), les joueuses de sports collectifs sont majoritairement célibataires (57 %), plutôt diplômées (75 % sont titulaires du baccalauréat), étudiantes ou exerçant le plus souvent une profession intermédiaire (48 %). Les cadres supérieurs (12,6 %) sont sur-représentées par rapport à l'ensemble de la population active féminine, les employées (32 %) sous-représentées, et les ouvrières, agricultrices et commerçantes totalement absentes. On constate une grande homologie entre les caractéristiques des pratiquantes de sports collectifs et celles du public sportif féminin dans son ensemble (Irlinger; Louveau ; Metoudi, 1987). Ainsi, le caractère « populaire », attribué à certains sports collectifs (handball, basket-ball), n'apparaît pas clairement, en terme de catégories socio-professionnelles. Cela dit, au-delà des indicateurs classiques de diplômes et de CSP, «l'univers culturel» des joueuses n'est pas équivalent à celui des femmes issues apparemment des mêmes milieux. Si elles fréquentent les cinémas (46 %), les joueuses sont peu attirées par les manifestations « culturelles » théâtre, concert, exposition...) par rapport au niveau de fréquentation général des femmes du même milieu social (seules 12 % des femmes du public étudié fréquentent le théâtre alors que 34 % des femmes de moins de 35 ans vivant seules vont au théâtre plus d'une fois par an [INSEE, 1989]). D'autre part, malgré une certaine hétérogénéité, les lectures des joueuses sont plutôt régionales, accompagnées d'un intérêt « technique » (Science et Vie) et « féminin» (Femme Actuelle), plus proche du type de lecture des employées que des intermédiaires culturels ou des cadres supérieurs (seules 12 % des joueuses lisent un quotidien national (Le Monde ou Libération) et 9 % un magazine d'information politique (Le Nouvel Observateur ou L'Express). Mais surtout, le loisir privilégié (en dehors de la pratique étudiée) demeure la pratique d'activités physiques (64 %) qui constitue l'élément central de l'univers des joueuses de sports collectifs. Tout se passe comme si ce surinvestissement, dont il reste à expliquer les raisons, freinait l'accès aux autres formes de loisirs ou d'activités « culturelles ». Le capital scolaire n'apparaît donc pas, pour la population étudiée, comme un indicateur fiable pour expliquer les différenciations des pratiques sociales et culturelles des agents, par rapport à l'ensemble de la population active féminine, et plus encore, de la population en général. Ce constat confirme la relative autonomie du fonctionnement social de tout groupe institué, et du sport collectif en particulier, par rapport à l'ensemble des agents constitués en catégories statistiques. La question de savoir si cette autonomie est due à la pratique ou aux dispositions particulières des femmes qui y adhèrent reste cependant posée. Les pratiques des conjoints renforcent cette centration sur le sport en général et les
sports collectifs en particulier (94 % des conjoints pratiquent une activité sportive, 60 % un sport collectif. Cette tendance est particulièrement marquée pour le handball (10 conjoints sur 14 pratiquent le handball). « L'univers des pratiquantes» témoigne d'un « effet » sport collectif d'homogénéisation des comportements en matière de loisirs et de vie de couple, qui transcende les disparités observées entre les publics des trois pratiques. Les volleyeuses sont les plus diplômées (63 % des volleyeuses ont un diplôme supérieur au bac pour 32 % des handballeuses et 28 % des basketteuses), et les pratiquantes de handball et de basket-ball se différencient au niveau de leur profession; le handball apparaît plutôt comme une pratique de professions intermédiaires (65 % des handballeuses ayant achevé leurs études) et le basket-ball plutôt comme une pratique d'employées (54 % des basketteuses ayant achevé leurs études). Cependant, la structure des loisirs non sportifs des trois groupes de pratiquantes est très semblable (même si les volleyeuses sont un peu plus nombreuses que les autres joueuses à fréquenter le théâtre et les expositions culturelles). La pratique d'un sport collectif n'apparaît pas ici comme un élément parmi d'autres du style de vie, mais comme l'élément organisateur de celui-ci. Caractéristiques générales des sociabilités des équipes féminines de sports collectifs Pour analyser les caractéristiques générales des sociabilités des équipes féminines de sports collectifs, et pour mettre en évidence leur degré de convergence avec le type idéal masculin, l'étude a été menée à partir des trois groupes d'indicateurs de sociabilité («sociabilité interne à l'équipe et au club», «sociabilité interne à l'équipe hors du cadre du club», et « sociabilité externe à l'équipe et au club »). Sociabilité interne à l'équipe et au club Les manières de se rencontrer au sein des équipes féminines rappellent, par leur fréquence souvent élevée (une joueuse sur deux rencontre ses partenaires une fois par semaine ou plus, à l'issue d'un match ou d'un entraînement, 87 % une fois par quinzaine) et les lieux privilégiés de rencontre (restaurant) celles des équipes masculines. La rencontre d'après match au restaurant apparaît en effet comme un comportement central et quasi ritualisé (87 % des filles qui se retrouvent à l'issue des matchs vont au restaurant). La fréquence des rencontres n'est pas influencée par l'âge ou la situation familiale. Ici encore, le fait d'appartenir à une équipe favorise l'adoption de comportements analogues chez des joueuses que d'autres caractéristiques différencient. Cependant, cet effet «d'homogénéisation» doit être nuancé en jonction du niveau de jeu Iles équipes de Nationale 1 ou II sont les seules à se rencontrer plus d'une fois par semaine), des caractéristiques socioculturelles, et du sport pratiqué. En effet, les fréquences de rencontre au sein du club ici tableau 1) dessinent un axe de forte
centration sur la pratique - centration moins importante, sur lequel se situent le handball, le basket-ball et le volley-ball. D'autre part, les équipes composées majoritairement d'employées et/ou de membres non bachelières présentent un degré de sociabilité important, alors que celles qui regroupent une majorité de cadres supérieurs et/ou celles dont la quasi-totalité des membres possèdent un diplôme supérieur au baccalauréat, font preuve, pour la plupart, d'une moindre intensité relationnelle (Cf. tableau n° 2). Ainsi, l’effet de centration sur la pratique est le plus sensible pour les handballeuses de Nationale I ou II, ayant le BEPC ou la baccalauréat. Le handball se singularise par une fréquence très élevés de rencontre au sein du club pour près de la moitié des joueuses. Une volleyeuse sur deux ne voit pas ses partenaires toutes les semaines (en dehors de la pratique proprement dite). Près de la moitié des joueuses de niveau BEPC se rencontrent plus d'une fois par semaine au sein du club, alors que plus de la moitié des joueuses de niveau licence- maîtrise ne s'y retrouvent qu'une à deux fois par mois. Sociabilité interne à l'équipe, hors du cadre du club L’analyse de la fréquence tics rencontres entre les membres d'une équipe hors du cadre du club montre que l’effet de repli sur la vie de l'équipe, pour les unes, et celui d'une plus grande ouverture sur la vie sociale et culturelle, pour les autres, s'en trouve accentué (38% des joueuses se retrouvent une fois par semaine ou plus hors du cadre du club et 31 % seulement une à trois fois par an). Elle est, en effet, fortement liée à la fréquence des rencontres au sein du club (cf. tableau n° 3). Les joueuses qui se rencontrent le plus en dehors du cadre du club sont également celles qui se voient le plus fréquemment au sein du club, et, inversement, celles qui se rencontrent le moins en dehors du cadre du club se retrouvent le moins fréquemment en son sein. TABLEAU 1.- Relation entre la fréquence des rencontres au sein du club et la discipline pratiquée Rencontre au sein du club 1 fois 1 à 2 fois 1 fois par plus d'une fois Discipline par mois par mois semaine par semaine Handball 5% 22% 28% 45% (2) (8) (10) (16) Basket-ball 14% 42% 28% 16% (6) (18) (21) (7) Volley-ball 11% 49% 31% 9% (4) (17) (11) 13)
TABLEAU 2.- Relation entre la fréquence des rencontres au sein du club et le diplôme des joueuses Rencontre au sein du club 1 fois 1 à 2 fois 1 fois par plus d'une fois Diplôme par mois par mois semaine par semaine BEPC 14% 29% 14% 43% (4) (8) (4) (12) BAC 8% 33%c 31% 28% (9) (13) (2) (11) BTS -DEDG 14% 41% 38% 7% (4) (12) (1) (2) LICENCE 8% 55% 33% 6% MA ÎTRISE (1) (10) (6) (1) TABLEAU 3. - Relation entre la fréquence des rencontres au sein du club et la fréquence des rencontres hors du club Rencontre hors du club 1 à 3 fois 1 à 3 fois 1 fois par plus d’une fois Rencontre au sein du club aucune par an par mois semaine par semaine moins de une fois par mois 58% 11% 0% 22% 11% (5) (1) 50) (2) (1) 1 à 2 fois par mois 19% 21% 32% 16% 12% (8) (8) (14) (7) (5) 1 fois par semaine 12% 10% 30% 27% 21% (4) (3) (10) (9) (7) plus de une fois par 8% 0% 38% 8% 48% semaine (2) (0) (10) (2) (12) La nature des activités pratiquées en commun - discussion à domicile (45%), fréquentation du restaurant (31 %), cinéma (19 %), et pratique d'activités physiques et sportives de loisirs (18%) - renforce l'impression d'une relative centration sur la vie de l'équipe. En effet, les loisirs « culturels » sont absents des loisirs communs et la diversité des loisirs partagés est faible. Mais, surtout, les deux loisirs les plus prisés (discussion à domicile et fréquentation du restaurant) permettent de conserver et de perpétuer une convivialité propre au groupe des membres. Cependant, comme pour les rencontres au sein du club, les résultats sont à nuancer en fonction du sport pratiqué (cf. tableau n° 4) et des caractéristiques socioculturelles des joueuses. Près d'un tiers des volleyeuses ne rencontre jamais ses partenaires à l'extérieur du club. Les basketteuses et les handballeuses présentent des fréquences de rencontre hors club semblables.
TABLEAU 4.- Relation entre la fréquence des rencontres hors du club et la discipline pratiquée Rencontre hors du club 1 fois 1 à 3 fois 1 fois par plus d’une fois Discipline aucune par mois par mois semaine par semaine Handball 14% 8% 39% 11% 28% (5) (3) (4) (4) (0) Basket-ball 16% 11% 29% 20% 24% (7) (5) (3) (9) (1) Volley-ball 31% 14% 23% 20% 12% (1) (5) (8) (7) (4) Ainsi, si les handballeuses se retrouvent fréquemment à l'extérieur des clubs, en nombre important (10 des 12 handballeuses qui fréquentent le cinéma y vont accompagnées de membres de leur équipe), les volleyeuses se voient peu hors du cadre du club et privilégient les relations de petits groupes (seules 4 volleyeuses vont au cinéma avec des membres de leur équipe sur 15 qui fréquentent ce lieu). La tendance des volleyeuses à moins occuper leur temps libre ensemble peut être mise en relation avec leur intérêt plus marqué pour les loisirs plutôt « culturels » et individuels [13 volleyeuses ont des loisirs «culturels» (théâtre, expositions, ...) pour 7 handballeuses et 5 basketteuses]. De même les joueuses possédant un capital culturel et scolaire relativement important se rencontrent moins hors du cadre du club, et maintiennent une certaine ouverture sur la vie sociale et culturelle « extérieure ». Souvent multi-adhérentes, elles n'ont pas le même attachement aux associations qu'elles fréquentent que les membres moins diplômés, comme si l'essentiel était d'accroître leur capital relationnel. On retrouve à travers cette gestion de la pratique sportive des dispositions et des comportements propres aux catégories cultivées (Héran, 1988 b). A l'inverse, les joueuses dont le capital scolaire et culturel est plus faible accentuent la centration sur la vie du club. L'attachement, voire l'enracinement au sein de l'équipe constitue un trait de sociabilité et de convivialité qualifié, pour aller vite, de « populaire » (tel que le décrit Hoggart, 1970). Sociabilité externe à l'équipe La sociabilité externe des joueuses de sports collectifs témoigne également de leur polarisation, à des degrés divers, autour de la vie de l'équipe et du sport collectif pratiqué. Ainsi, malgré un petit noyau associatif « extra-sportif», la centration sur le monde sportif se retrouve au niveau de la vie associative. L'investissement dans une seconde association autre que sportive, peu fréquent (34 % des joueuses adhèrent à une autre association que leur club sportif, la moitié de ces multi-adhérentes s'investit dans un second club sportif) s'avère très lié au capital culturel. Celles qui adhèrent à une autre association sportive sont majoritairement bachelières, celles qui adhèrent à un syndicat sont plutôt de niveau bac + 2, tandis que
les adhérentes d'une association culturelle ou politique, très peu nombreuses (8 joueuses), sont toutes de niveau licence ou maîtrise. D'autre part, la dynamique de la « centration » est confirmée par les caractéristiques des deux meilleur(e)s ami(e)s de chaque joueuse. La pratique des joueuses apparaît comme un lieu important de rencontre pour le (la) « premier(e) ami(e) » (premier(e) ami(e) dans l'ordre donné sur la grille de réponses sans hiérarchisation demandée : 23% des joueuses ayant répondu). Les loisirs des ami(e)s, comme ceux des joueuses, sont limités dans leur diversité - activités physiques et sportives (50 %), « sorties » (restaurant, night-club, et cinéma). Le nombre d'ami(e)s qui pratiquent le même sport collectif que les joueuses est, par ailleurs, important : la moitié des filles a au moins une de ses deux meilleures amies qui pratique le même sport collectif. Pour de nombreuses joueuses, la quasi-totalité de leurs relations privilégiées a pour cadre leur sport collectif, et, bien souvent, leur équipe. La moitié des joueuses dont une amie pratique le même sport collectif ont rencontré cette dernière dans un autre lieu, ce qui témoigne d'une tendance importante à amener ses amies à une pratique physique identique. Les réseaux d'amitié des joueuses renforcent leurs centres d'intérêt. La relation entre une certaine distance à la vie culturelle et associative autre que sportive, et la pratique des sports collectifs semble établie. Pourtant, le public est composé des fractions sociales théoriquement les plus ouvertes à un engagement «culturel» ou associatif. F. Héran souligne que « l'essentiel est bien la liaison privilégiée du capital culturel avec l'engagement associatif» (Héran, 1988 a, p. 30). Or, si le public a un capital scolaire important, son capital culturel, imparfaitement appréhendé par l'étude de « l'univers » du public, paraît moins élevé. On perçoit ici les limites des catégories socio-professionnelles comme indicateurs du capital culturel, surtout pour ce type de groupement particulier que sont les sports collectifs. La pratique d'un sport collectif demande un investissement temporel qui ne facilite pas d'autres pratiques associatives. L'engagement dans une équipe implique la participation à certains rituels, ce qui influence inévitablement les manières d'agir et de penser de chaque membre. D'où un intérêt particulier pour ce qui apparaît comme fondateur du groupe (la pratique physique, le repas au restaurant), et un relatif désintérêt pour des formes de loisirs solitaires, qui ne permettent pas à l'équipe de se retrouver. Des rencontres dans des lieux et à des moments particuliers pour renforcer sa cohésion et son identité sont en ce sens indispensables. Si le monde des sports collectifs est très autocentré, il serait cependant abusif de parler d'enfermement. D'une part, il existe des exceptions notables, et, d'autre part on ne peut appréhender ce que seraient les styles de vie des agents sans la pratique des sports collectifs. C'est donc tout le problème des raisons du choix qui est posé. Par ailleurs, ce constat est à nuancer en fonction du type de la pratique et du niveau socioculturel des pratiquantes. L'analyse des éléments structurants des sociabilités féminines montre une certaine homologie avec le type idéal masculin (rituel du repas au restaurant, tendance à une certaine centration sur la vie de l'équipe). Cependant, une étude plus approfondie de l'organisation et du contenu des relations entre les coéquipières met en évidence des spécificités relationnelles au sein des équipes féminines..
Spécificités relationnelles féminines au sein des sports collectifs Les caractéristiques « typiquement » féminines (idéal-typiques) sont perceptibles dans différents domaines de la sociabilité des équipes. Nous évoquerons ici deux aspects qui paraissent essentiels : la survalorisation de l'équipe comme lieu de sociabilité, par rapport au club, et le rapport à l'homosexualité. Le rapport à l'homosexualité L'homosexualité masculine est une « question qui ne se pose pas » dans le monde des sports collectifs masculins. Elle est symboliquement intolérable dans un milieu qui vante les vertus de la virilité. L'importance des commentaires «indigènes » concernant le problème de l'homosexualité féminine dans les sports collectifs témoigne, sinon de l'ampleur du phénomène, du moins de son « impact » au niveau des « imaginaires » et des représentations dans le monde du sport. Les positions des joueuses à l'égard de l'homosexualité sont diversifiées. Des oppositions très nettes apparaissent à ce sujet dans l'ensemble du public, comme au sein de chaque équipe : 17 % des joueuses sont opposées à la légalisation des couples homosexuels, 48 % n'y sont pas hostiles et 32 % n'ont pas d'opinion sur la question. On constate donc un certain libéralisme théorique d'une partie du public. Mais, surtout, les réponses concernant la « nature » des relations homosexuelles sont très clivantes et montrent l'importance réelle de cette question dans le milieu des sports collectifs féminins. Si le pourcentage des sans-opinion reste stable (31%), 32%. des joueuses jugent que les relations homosexuelles sont contre nature, 25 % pensent qu'elles sont équivalentes ou complémentaires des relations hétérosexuelles, et 8 % qu'elles correspondent davantage à la sensibilité féminine (ce qui est une réponse sémantiquement très « chargée »). Les réponses qui se répartissent équitablement dans le public des trois pratiques semblent indiquer que le type d'engagement corporel que les joueuses privilégient n'a pas de rapport direct avec ses comportements et ses opinions dans le domaine de la sexualité. D'autre part, si les différences d'opinion entre les joueuses les plus diplômées (niveau supérieur ou égal à bac + 2) et celles n'ayant pas le niveau baccalauréat ne sont pas significatives en ce qui concerne le rejet ou l'acceptation, elles sont néanmoins perceptibles pour les «sans-opinion» et les joueuses très favorables à l'homosexualité. Les joueuses les plus diplômées sont, en effet, les plus nombreuses à se déterminer. D'autre part, les fille; qui pensent que l'homosexualité correspond davantage à la sensibilité féminine sont toutes au moins de niveau bac + 2. Le résultât conforte deux constats, désormais classiques de la sociologie générale : «les diplômés» sont , d'une part, les plus nombreux à avoir une « opinion » dans les enquêtes, et, d'autre part, les plus libéraux en matière de moeurs. L'importance des oppositions sur la question de l'homosexualité au sein de notre public montre que ce débat est réel même s'il n'est pas toujours explicite au sein des équipes.
En fait, tous les cas de figures possibles se présentent au sein des clubs étudiés. Certaines équipes sont regroupées autour de tendances majoritaires affirmées par presque tous les membres (5 « contre-nature » sur 6 membres), ou pur un «noyau dur», les autres étant sans opinion (4 correspondant davantage à la sensibilité féminine sur 6). Au sein d'autres équipes, le rapport à l'homosexualité oppose deux groupes de membres (3 « contre-nature » et 3 « équivalent-complémentaire à l'hétérosexualité » sur 8 membres...). Si le rapport à l'homosexualité ne laisse aucune équipe indifférente, la question de savoir comment fonctionne ces mécanismes d'homogénéisation ou de différenciation des opinions en leur sein reste posée. Une analyse plus qualitative des trajectoires individuelles et de la constitution historique des groupes serait nécessaire pour répondre à une telle question. Les interviews actuellement réalisées montrent que si la réalité des pratiques homosexuelles au sein des équipes féminines ne pose pas de problème relationnel fondamental, elle structure cependant en partie les réseaux d'amitié. Toujours est-il que les opinions des membres d'une équipe sur l'homosexualité apparaissent comme une caractéristique structurante de l'identité des équipes, et que ce fait témoigne bien d'une spécificité féminine en ce domaine. Cette spécificité s'accompagne d'une valorisation de l'aspect tendre et affectif des relations sexuelles, par rapport à l'aspect plus physique (sur deux choix possibles en ce qui concerne ce qu'est l'acte sexuel pour Ici joueuses, 73% pensent que c'est avant tout un acte d'amour, 50 % que c'est un moment de tendresse, 30 % un plaisir physique et 13 % un besoin physiologique : 2 réponses étaient possibles). Cependant, ces spécificités féminines n'excluent pas la volonté d'égalité, par rapport aux hommes, quant aux soins et aux comportements corporels à adopter : pas d'attention plus soutenue (affirmée) que les hommes à l'apparence, acceptation massive de la prise de risque... Ces faits sont caractéristiques des paradoxes propres aux femmes contemporaines. Les revendications égalitaires et le refus de la «domination masculine» côtoient le désir de différenciation et de recherche identitaire. Dès lors, les sociabilités féminines en sports collectifs se distinguent forcément du modèle idéal masculin. Des sociabilités féminines centrées sur la vie de l'équipe Si, comme pour les hommes, le rituel du repas au restaurant est très ancré dans les sociabilités féminines, des différences apparaissent cependant dans la fréquentation des lieux annexes. La faible fréquentation des clubs houses (21 %), lieu de sociabilité central chez les masculins, et l’importance des rencontres aux domiciles des membres (41%), lieu par définition extrêmement personnalisé et intime, renforcent l'idée d'un particularisme féminin, commun à tous les niveaux de jeu ou de diplôme, tendant à privilégier la vie de l'équipe par rapport à celle du club. Cette caractéristique est également perceptible dans les sujets de discussion des joueuses.
Si l'activité de l'équipe est un sujet de discussion important (60% des joueuses font l'analyse du match qui précède les rencontres), la vie du club intéresse peu les joueuses (seules 26% l'évoquent). Mais, surtout, les joueuses parlent beaucoup de leur vie quotidienne (72 %) et très peu de l'actualité (21%). Les résultats peuvent s'expliquer par la « tendance féminine » à accorder plus d'importance à l’immédiateté du quotidien qu'aux événements politiques, économiques et sociaux. L'accès aux postes de responsabilité au sein des clubs témoigne d'une tendance identique. Si 31 % des joueuses occupent un poste de responsabilité au sein de leur club, elles s'investissent surtout dans l'entraînement d'équipes de jeunes féminines, et participent peu à la gestion et à la direction des clubs. Il est difficile de distinguer les raisons d'une telle attitude, générale pour toutes les associations. Le refus délibéré de certaines joueuses de s'investir au sein du club (21%) ne doit pas masquer Ia fréquence, chez certains joueurs ou dirigeants masculins, d'attitudes peu favorable; à l'accès des femmes aux postes de responsabilités. En fait, les relations homme-femme au sein des clubs sont, le plus souvent, des relations de dominants à dominés (entraîneur-féminines, dirigeants-féminines). Les relations « égalitaires », entre équipes des deux sexes, par exemple, sont quasi inexistantes. En effet, et si l'on excepte l'assistance des joueuses aux matchs masculins, les équipes féminines et masculines d'un même club se côtoient sans se rencontrer (41 % des joueuses assistent régulièrement aux matchs masculins et 71 % d'entre elles jugent que les masculins sont très peu ou peu nombreux à leurs matchs, 72 % des féminines ne participent jamais ou très rarement aux soirées de l'équipe du sexe opposé et 89 % d'entre elles jugent que les masculins ne participent jamais à leurs soirées). Les caractéristiques socioculturelles des joueuses n'influent pas sur cette tendance générale. Chaque joueuse semble ainsi réagir, dans sa relation à l'équipe masculine, non comme un individu particulier mais comme un membre d'une équipe de sport collectif féminin, qui, s'il « mime » d'une certaine façon les manières d'être ensemble des masculins, évolue cependant dans un monde spécifiquement féminin. Rejet mutuel ou « à sens unique » des pratiquants de l'autre sexe, les raisons évoquées pour expliquer la séparation sont multiples.
CONCLUSION Les sociabilités féminines des équipes de sports collectifs étudiées présentent un certain nombre de points communs, qui rappellent pantois le type idéal de sociabilité masculine, et qui témoignent d'une certaine homogénéisation des comportements des pratiquantes. Cependant, les modes de relation des joueuses des différentes équipes ne sont pas pour autant identiques. Deux variables, le type de sport collectif pratiqué, et les caractéristiques professionnelles et scolaires des joueuses, apparaissent comme relativement déterminantes dans la structuration de la sociabilité des équipes. Les raisons des différences d'intensité relationnelle entre les handballeuses et les volleyeuses sont à questionner. La violence plus grande de l'affrontement, le contact direct des corps au handball, l'euphémisation de l'opposition, la mise à distance de l'adversaire au volley-ball, peuvent expliquer en partie des relations entre partenaires qui retraduisent, d'une certaine manière, des règlements et une éthique différents de l'affrontement collectif. On retrouve à ce niveau la question de l'homologie entre «caractéristiques techniques» et « caractéristiques symboliques», qui traverse au fond bon nombre d'analyses en sociologie du sport (Defrance, 1989). Cependant, si la nature technique de la discipline influence certainement le comportement relationnel des joueuses, le choix de cette pratique témoigne de dispositions antérieures (au contact ou au non-contact, mais aussi à la vie « tribale » ou aux relations plus distancées). On peut ainsi faire l'hypothèse que les caractéristiques sociales «incorporées» des pratiquantes participent aussi à la construction du système de relations à l'intérieur de chaque équipe de sport collectif féminin. Cependant si l'on peut observer une certaine homologie entre les caractéristiques socioculturelles des joueuses, et le type de relations qu'elles établissent, on ne peut pas pour autant affirmer que les « sociabilités » des différents clubs sont entièrement liées à ce type de caractéristiques. D'une part, il existe des exceptions notables aux homologies repérées précédemment. Ainsi, un club composé majoritairement d'employées présente une intensité relationnelle très moyenne, notamment au sein du club. De même, deux clubs, dont la plupart des membres possèdent des diplômes supérieurs au baccalauréat, se singularisent par une forte fréquentation de leurs membres hors du cadre du club. Dès lors, l'importance d'autres variables, comme « l'histoire du club », est évidente mais difficile à mesurer quantitativement. D'autre part, certaines variables ne sont pas discriminatives. Ainsi, l'intensité des relations dans les clubs dont le noyau dur est constitué de membres exerçant une profession intermédiaire, n'est pas toujours identique. Dans le même ordre d'idée, au sein des clubs composés d'un public varié sur le plan des CSP et des diplômes, on ne relève pas de différence significative de comportement entre les membres les plus diplômés et ceux qui le sont moins. Dès lors, l'hypothèse théorique avançant que la sociabilité des équipes peut s'expliquer par les caractéristiques sociales des joueuses est nécessaire mais insuffisante. La profession apparaît en effet comme un indicateur pauvre de la position des femmes dans la hiérarchie professionnelle (Murgatroyd, 1982) (on a ainsi constaté des
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