LIVRABLE LES MÉDIAS SOCIAUX : UNE RÉELLE INNOVATION DANS LES TERRITOIRES DE MONTAGNE ALPINS ? - CORESTART

 
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POUR UN MEILLEUR USAGE DU NUMERIQUE
     FACE AUX RISQUES NATURELS EN FRANCE

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                        Les médias sociaux :
                        une réelle innovation
                       dans les territoires de
                          montagne alpins ?

Septembre 2019

   Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, UMR ESPACE 7300 CNRS
    J. Douvinet, B. Gisclard, L. Journé, M. Coulon

                                              Plus d’informations sur :
                   UNIVERSITÉ   D’AVIGNON
                                              www.univ-avignon.fr
                                              www.umrespace.org
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LES MÉDIAS SOCIAUX : UNE RELLE
               INNOVATION EN TERRITOIRE DE MONTAGNE ?

Suivi et mise à jour du document

Titre : Les médias sociaux : une réelle innovation dans les territoires de montagne alpins ?
Responsables de la mise à jour : Johnny Douvinet (porteur du projet Co-RESTART, WP4, MCF
Géographie Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse / UMR ESPACE 7300 CNRS)
Responsables de la création et de l’édition : Lounis Journé (stagiaire Master II), Béatrice Gisclard
(post-doctorante POIA), Johnny Douvinet (MCF)
Date de rédaction de la première version : 5 juin 2019
Date de la version finalisée : 5 septembre 2019

Informations générales
       Objet                                                  Contributions
       Rédacteur                                               J. Douvinet, B. Gisclard, L. Journé, M.
                                                              Coulon + 3 étudiants CMI
       Date de la dernière modification                       5 juin 2019
       Vérificateur                                            Johnny Douvinet (UAPV)
       Approbateur                                             Johnny Douvinet (UAPV)

Evolutions du document depuis sa création

       Nature de la nouvelle modification                     Date à indiquer
       Présentation de la structure du document                19 juin 2019
       Synthèse du colloque Cap’Alert                         14 avril 2019
       Synthèse des entretiens des gestionnaires              5 juin 2019
       Synthèse des tris à plat des questionnaires            26 juin 2019
       Synthèse des tris à plat et traitements bivariés       22 juillet 2019
       Synthèse des traitements multivariés et conclusions    28 août 2019
       Relecture et corrections finales                       4 septembre 2019

Dates d’approbation par la région PACA et le fonds FEDER

       Nom du signataire                                      Date à indiquer

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Sommaire

Rappel des objectifs de l’action 2                               4

Partie 1 : Des gestionnaires lucides mais démunis                9
1.1 Méthodes et données utilisées                               10
1.2 Des innovations en quête d’opérationnalité !                14
1.3 Faut-il sublimer les médias sociaux, et si oui, comment ?   21
1.4 Synthèse                                                    25

Partie 2 : L’alerte à la population :
une étape cruciale à améliorer                                  26

2.1 Organisation et structuration du colloque Cap’Alert         28
2.2 Principaux enseignements issus du colloque                  34
2.3 Synthèse                                                    36

Partie 3 : Qu’en pense la population localement ?               37
3.1 Méthodes et données utilisées                               38
3.2 Présentation des variables générales                        43
3.3 Résultats issus des « tris à plat »                         45
3.4. Résultats issus des traitements complémentaires            50
3.5 Synthèse                                                    56

Conclusions et liens avec l’action 3                            57

Annexes                                                         61

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Rappel des
objectifs de
l’action 2

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Objectifs du méta-projet Co-RESTART (rappels)

Afin d’améliorer la résilience des territoires alpins face aux risques naturels et dans le contexte actuel
de changement climatique, le projet Co-RESTART vise plusieurs objectifs imbriqués :

-   Mieux prendre en compte les spécificités locales des terrains de montagne (en termes de
    vulnérabilités et de capacités mais aussi de relation au territoire) et des populations qui y vivent
    (classées selon leur rapport/connaissance du territoire, leur forme de peuplement à l’origine
    d’enjeux, d’intérêts, de priorités, de facteurs de motivation collective différenciés) pour les
    accompagner dans la dynamique de co-construction des outils de prévention des risques
    naturels et dans l'élaboration de stratégies d’adaptation au changement climatique (selon une
    approche intégrative des risques sur le long terme).

-   Impliquer les acteurs du territoire dans la réalisation des diagnostics. La recherche-action menée
    permet de faire participer les acteurs du territoires, qui interviennent à des degrés différents,
    mais ils contribuent à la définition des problèmes ou à l’opérationnalisation de la recherche dans
    ce projet.

-   Envisager des approches alternatives pour développer des :
       o diagnostics partagés de territoires dans l'optique d'une gestion intégrée des risques ;
       o outils d’expérimentation originaux et innovants ;
       o dispositifs de communication mobilisant savoirs experts et expertises d’usage ;
       o outils de gestion adaptés aux territoires étudiés.

Les résultats obtenus dans le cadre de CoRESTART contribueront à reconnaître l'importance des
savoirs émanant des experts d’usage, souvent négligés dans les approches de gouvernance du
type "TOP-DOWN", et reconnaissant un transfert nécessaire de l’information allant désormais aussi
du bas vers le haut ("BOTTOM UP"). Les méthodes et les outils développés permettront de replacer
le citoyen au cœur de sa propre sécurité et de sa prévention en expérimentant différents dispositifs
(scènes théâtralisées, nouveaux protocoles, enquêtes) et en étudiant les conditions d'émergence
de réseaux type « sentinelles », adaptés aux particularités des territoires.

Ces investigations méthodologiques, pensées pour répondre à une forte demande opérationnelle,
aboutiront à des préconisations pour les collectivités et les communes partenaires, avec des plans
d’action directement applicables et appropriés du fait d'une co-construction avec les acteurs locaux
et la population. Une partie des résultats sera transférable sous la forme de Guides à destination
d’autres collectivités et acteurs, notamment les Territoires Alpins de Gestion Intégrée des Risques
Naturels (TAGIRN), et le livre Blanc ici produit vient compléter le livrable réalisé pour l’action 1 (en
septembre 2018). Ces outils d'aide favoriseront la résilience de ces territoires, avec des stratégies
de gestion des risques naturels intégrées aux dynamiques de développement territorial.

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Objectifs du projet Co-RESTART – WP4 (rappels)

Le projet SMARS se focalise sur les Smartphones et les Réseaux Sociaux Numériques (RSN) qui
pourraient accroître la résilience face aux risques naturels et qui pourraient compléter, de manière
positive, l'ensemble des dispositifs préventifs existants, notamment grâce à la dynamique des
contenus partagés et aux interactions dont ils sont le support (Douvinet et al., 2015). Les échanges
postés pendant ou après un sinistre sont désormais perçus de façon positive par tous, aussi bien
les citoyens (qui maintiennent le contact avec une communauté), les services de gestion de crise
ou de sécurité civile (qui trouvent un appui pour guider leur action), que les élus, avec les effets
médiatiques qu’ils attendent des messages postés (Vieweg et al., 2010). Plusieurs pays (Etats-Unis,
Philippines) utilisent déjà les RSN et les Smartphones pour alerter leurs administrés en cas de crises
à venir et pourtant, les pratiques sont éphémères (dans l'espace et dans le temps), très diversifiées
(dans leur forme et leur contenu) voire encore très balbutiantes (encore peu de pratiques
systématiques dans le domaine des risques naturels) en France.

Face à un tel constat, le projet SMARS se structure autour de trois objectifs majeurs :

•    Mieux comprendre la "prudence" associée à l'usage des Smartphones et des RSN dans le
     Massif des Alpes et dans le domaine des risques majeurs. La protection des données
     individuelles, le manque de crédibilité accordée aux informations mises en ligne par les
     citoyens et les verrous techniques sont les trois principaux facteurs de blocage évoqués. Les
     spécificités sociotechniques des RSN résident pourtant dans la dynamique des messages et
     dans l’information émise, qui sont le fruit d’imprévisibles échanges et d’interactions sociales
     dont ils sont les supports.

•    Prendre en compte les spécificités locales des terrains de montagne + des populations qui y
     vivent dans les pratiques des RSN et des Smartphones. En effet, les populations et les acteurs
     doivent être à la fois préparés et formés pour être capables de bien appliquer les consignes
     de sécurité liés à des messages communiqués via ces outils, aussi bien en amont que pendant
     voire après la gestion de la crise. Cet élément est aussi crucial si on souhaite que les citoyens
     soient acteurs de leur propre sécurité face à des aléas hydro-climatiques naturels d'intensité
     remarquable (crues torrentielles, glissements de terrain…)

•    Impliquer les acteurs du territoire pour une meilleure gestion intégrée des risques. Des outils
     expérimentaux seront testés et co-construits avec les citoyens / élus locaux (dans des
     communes expérimentales), ce qui aboutira à la réalisation de guides de recommandations
     déclinables dans d'autres territoires qui sont enclins à de telles pratiques. Ces éléments sont
     cruciaux pour préparer les acteurs des territoires alpins à gérer les crises et pour rendre les
     citoyens responsables de leur propre sécurité, notamment face à des aléas hydroclimatiques
     d'intensité remarquable (crues torrentielles, glissements de terrain, avalanches, tempêtes…).

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    Les résultats attendus sont pluriels. Il s'agit de :

    •       contribuer à faire progresser les connaissances sur les besoins émanant de la part des
            citoyens face à l'arrivée des Smartphones et des Réseaux Sociaux Numériques (RSN),

    •       fournir des résultats sur l'opérationnalité du numérique dans une logique préventive (les
            messages postés sont analysés après événements et non en amont d'une crise),

    •       solidifier les liens entre une Politique de Gestion Intégrée des Risques Naturels (PGIRN) et
            les développements technologiques qui sont en constante évolution,

    •       faire avancer les méthodes d'analyse sur la portée des messages de prévention aux échelles
            locales (à la fois dans leurs caractéristiques de fond et de forme), tant d’un point de vue cognitif
            (compréhension, mémorisation des infos) que comportemental (intention, déclaration de
            comportements).

    Ce type de recherche trouve un écho important auprès des acteurs locaux qui voient là un apport
    opérationnel pour leurs propres travaux. Les services de sécurité civile se penchent sur ces
    questions depuis quelques années (colloque MSGU, convention avec #VISOV), et pourtant ils ne
    perçoivent pas les citoyens comme une plus-value pour leurs actions, préférant ne pas les informer
    d'une crise en cours pour éviter tout comportement inadapté. En "laissant" de côté les RSN, un
    réseau "parallèle" (citoyens / citoyens) pourrait se développer sans les services de l'Etat, et ainsi
    accentuer l'isolement des victimes aux échelles locales.

    Objectifs de l’action 2 : EVALUER

    Constats
    Alors que l’action 1 a permis de souligner les avantages et les limites des médias sociaux dans la
    gestion des risques naturels en France, l’action 2 a pour but de mieux évaluer les pratiques et les
    attentes des acteurs intervenant dans la gestion des risques à l’échelle du Massif Alpin, afin de
    dépasser une lecture simplifiée des usages associés aux RSN. Ces médias sociaux (MS) sont
    encore le théâtre d’échecs imprévus et soudains (Coutant, 2013). Les MS ne sont pas socialement
    acceptés partout et par tous1 (indépendamment des catégories d’âge, des catégories socio-
    professionnelles ou des territoires) et les « bonnes » pratiques ne sont pas généralisées. L’un des
    prérequis à l’usage des MS dans ces territoires est aussi de disposer d’une couverture réseau
    constante et de bonne qualité. Or, si le Plan France Très Haut Débit lancé en 2013 vise un objectif
    de couverture à Très Haut Débit pour l’ensemble du territoire national en 2022, un rapport (De la
    Raudière et Bothorel, 2017) souligne l’urgence à parvenir déjà à une couverture 2G irréprochable
    partout en France. Le déploiement d’un réseau de qualité dans les territoires de montagne est non
    prioritaire car jugé peu rentable pour les opérateurs. De surcroit, le changement climatique, qui se
    traduit par des évolutions en termes d’enneigement ou de pluies par exemple (Ravanel, et al.,

1
    L’usage du masculin dans l’ensemble du document a pour but d’alléger la forme littéraire et n’a pas d’autre signification.

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 2018), oblige à reconsidérer les approches classiques, et à envisager aussi bien des réponses
 innovantes face à l’imprévisible qu’un profond changement de paradigme.

 Besoins / questions posées
 L’idée est de voir si les MS peuvent être l’occasion de gérer différemment les risques naturels, au
 titre d’un « processus d’appropriation » sous-tendu par les innovations sociales, et de savoir si les
 médias sociaux sont une menace ou une réelle opportunité dans ces espaces. L’usage des MS à
 l’échelle individuelle semble aussi varier en fonction des temporalités de l’événement en cours. Des
 personnes non touchées peuvent aussi relayer des messages inadéquats en temps réel, par
 manque d’informations. La viralité des vecteurs de diffusion renvoie à des niveaux d’informations
 différents et ils induisent inévitablement de la confusion. Les médias non spécialisés sur les risques
 naturels contribuent aussi à brouiller les messages pertinents. Le manque de prise en considération
 des biais cognitifs pourrait également conduire à négliger la réception de l’information par les publics
 concernés, notamment lorsque la peur ou le stress viennent amoindrir les capacités d’analyse des
 messages (Gisclard, 2017).

 Méthode et données produites
 Deux protocoles d’enquêtes ont été administrés pour :
        - récolter les avis des gestionnaires de risque oeuvrant à différentes échelles (partie 1)
        - obtenir les avis des populations rencontrées pour savoir si les analyses peuvent aboutir à
        faire de l’inférence statistique, autrement dit, légitimer nos questionnements (partie 3)
 Un colloque à mi-parcours (Cap’Alert, 19, 20 et 21 mars 2019) a également permis de questionner
 d’autres acteurs oeuvrant dans ce domaine, et de discuter de façon plus large des écueils à éviter
 et des solutions qui sont en cours actuellement. Etant donné que ce colloque a une part importante
 dans nos investigations, la synthèse qui en émane a été positionnée en partie 2.

 Livrables opérationnels (L) produits
 L-2.1 : réalisation d'un Guide blanc sur les résultats obtenus grâce aux deux enquêtes (ici)
 L-2.2 : synthèse écrite des entretiens conduits auprès des gestionnaires (42)
 L-2.2 additionnel : collecte des questionnaires auprès de la population (450)
 L-2.3 : mise en ligne des résultats obtenus via l’enquête en ligne
 L-2.4. : affiches réalisées pour la campagne de communication

Changements par rapport à la version déposée en 2016
Les livrables sont différents de ceux initialement prévus pour deux principales raisons : 1) l’abandon,
acté le 28 mai 2018, de l’application smartphone SAIP, a conduit à ne pas retenir cette solution pour
les territoires de montagne (aussi bien pour faire de l’alerte que de l’information sur les risques) ; 2)
le développement de l’application smartphone prévue (Al’IN) n’a pas été poursuivie (elle reste au
stade exploratoire) puisqu’elle ne correspond pas aux attentes des gestionnaires et de la population.

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Partie 1 - Des
gestionnaires
lucides, mais
démunis

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    Les Médias Sociaux2 (MS) offrent de nombreux avantages dans la gestion globale des risques. Ils
    permettent : 1) de capitaliser différentes informations (messages, vidéos ou photos) mises en ligne
    gratuitement et volontairement, grâce aux technologies mobiles ou via internet (Becker et Bendett,
    2015) ; 2) de renvoyer à une production participative qui fait appel à la créativité, au savoir-faire ou
    à l'intelligence d'un plus grand nombre de personnes (Bird et al., 2012) ; 3) de fédérer certaines
    communautés pendant ou après une crise qui, en se regroupant autour de centres d’intérêts
    communs, favorisent l’émergence de nouvelles structures sociales (Hung et al., 2016) ; 4) de
    récupérer des informations dans des zones peu médiatisées (Cavalière, 2016).

    Grâce à leurs avantages, les MS sont perçus de façon très positive par de nombreux acteurs : les
    médias les présentent comme « le miroir du quotidien » (Coutant, 2013), et ils sont vantés par les
    acteurs de la nouvelle économie comme un « support majeur de l’innovation de service » (Lindsay,
    2011). Au cours d’un évènement, les citoyens peuvent maintenir le contact avec une communauté
    ou rompre leur isolement et les services de gestion de crise y trouvent un appui intéressant pour
    mieux dimensionner leurs interventions. Les élus profitent quant à eux des effets médiatiques
    associés aux MS (Vieweg et al., 2010) et les scientifiques y voient l’occasion de développer des
    nouveaux protocoles (Bird et al., 2012). Les MS permettent par ailleurs à des communautés de
    s’auto-organiser et d’assurer des services collaboratifs (entraide, mise en relation de sinistrés avec
    les secours). Ils induisent de profondes mutations, tant sur le plan organisationnel (en considérant
    les multiples canaux de communication) que dans la manière dont interagissent les individus entre
    eux et avec les collectivités. En France, 83% des personnes se connectent à un MS au moins une
    fois par jour et 53% émettent des messages quotidiennement (Baromètre du Numérique, 2018). De
    plus, le taux d’équipement de smartphone de la population française est passé de 17% en 2011 à
    73% en 2017 (Baromètre du numérique, 2017).

    Mais dans les territoires de montagne, ces points positifs justifient-ils pour autant que l’on puisse
    s’intéresser aux MS, en tant qu’innovations sociales et facteur de résilience ?

1.1. Méthode et données utilisées

Etape 1 : Analyse des comptes RSN communaux

    Un recensement a tout d’abord été réalisé sur les médias sociaux existants sur les territoires investis
    entre janvier et juillet 2018. Les groupes d’acteurs les plus connectés sont les sapeurs-pompiers,
    qui ont tous un compte Facebook et un fil Twitter. Les taux d’abonnement sur Facebook sont compris
    entre 15 500 (SDIS-38) et 2 300 (SDIS-74) et le SDIS-05 compte environ 9 200 abonnés, soit un
    ratio de 6,7% par rapport à la population départementale (INSEE, 2015). Sur Twitter, c’est le SDIS-
    84 qui est le plus actif (6 000 abonnés). Les préfectures de l’Isère et de la Haute-Savoie n’ont pas
    de compte Facebook, mais elles disposent toutes d’un fil Twitter. A l’échelle communale, l’agilité sur
    les MS n’est pas non plus manifeste (tab. 1) et les pratiques sont

2
 L’expression « Médias Sociaux » (i.e. MS) est de plus en plus utilisée et elle vise à remplacer le terme Web 2.0. Elle recouvre différentes
activités qui intègrent à la fois la technologie, l’interaction sociale, et la création de contenu.

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    inégales : la commune de Claix (la plus importante en termes de population) anime un compte
    Facebook et un fil Twitter, mais ce dernier est très peu suivi (54 abonnés en 2018) ; alors que le site
    de l’office de tourisme des Contamines-Montjoie apparaît à la 3ème place sur Facebook (2017), selon
    le baromètre We Like Travel (2018), les communes de Brantes ou Beaumont-du-Ventoux, situées
    sur les versants sud-ouest du Mont Ventoux, n’ont toujours aucun compte et elles semblent
    n’accorder qu’un faible intérêt aux MS. Les territoires ont finalement des contextes singuliers,
    et il faut avoir une lecture indépendante de l’échelle locale, pour tendre vers une comparaison
    méthodologique et heuristique des résultats obtenus.

                                                NOMBRE                  Compte officiel       nb      autre compte        nb      Compte officiel       nb      nb de
       COMMUNE             DÉPARTEMENT                      SURFACE
                                              D'HABITANTS                 FACEBOOK        d'Abonnés    FACEBOOK       d'Abonnés     TWITTER         d'Abonnés   posts

         CLAIX                Isère (38)         8 018      24,12 km2         oui           1 054                                      oui             54        357

                                                                                                        Office du
LES CONTAMINES-MONTJOIE   Haute-Savoie (74)      1 196      81,61 km2        non                                       35 180          non
                                                                                                        Tourisme

        CEILLAC           Hautes-Alpes (O5)      294        96,05 km2        non                      Groupe public     837            non

        ABRIES            Hautes-Alpes (O5)      306         77 km2          non                      Groupe public     620            non

                                                                                                         Compte
       AIGUILLES          Hautes-Alpes (O5)      425        40,16 km2        non                                        193            non
                                                                                                        individuel

       BRANTES              Vaucluse (84)         81        28,18 km2        non                           non                         non

      MALAUCÈNE             Vaucluse (84)        2 849      45,33 km2        oui            217       Groupe public     1 300          oui             9         4

BEAUMONT-DU-VENTOUX         Vaucluse (84)        285        28,16 km2        non                           non                         non

                   Tableau 1. Caractéristiques des comptes rattachés aux institutions communales

  Etape 2 : Analyse des discours collectés auprès de différents acteurs
    Dans un second temps, des entretiens semi-directifs, menés sur le lieu de travail des personnes (ou
    à proximité), ont duré entre 45 minutes et 2h30, avec une moyenne d’1h15 environ. 42 acteurs (F=
    11 ; H= 31) impliqués dans la gestion des risques naturels ont été choisis puis interrogés, avec des
    échelles d’intervention variables (fig. 2). Cette démarche visait à obtenir des retours variables selon
    les échelles de prérogative (commune, syndicat de bassin, élus, services départementaux de
    secours par exemple) et selon les particularités locales (commune rurale vs. urbaine par exemple).
    Un guide harmonisé (annexe 1) a été prédéfini, testé et déployé de mars à juillet 2018.

    Les personnes interrogées ont été « cadrées » dans un format thématique donné et cette méthode
    permet une meilleure comparaison des discours collectés, tout en laissant une plus grande latitude
    dans l’expression des interviewés. Le guide d’entretien aborde 3 thématiques : la communication
    entre la population et les gestionnaires, les cadres organisationnels de la gestion des risques sur
    les territoires et les médias sociaux. Notre objectif était ensuite de réaliser un travail de sériation
    des ressemblances et des différences dans les discours, et nous avons opté pour un protocole
    spécifique pour le traitement des entretiens, à défaut d’utiliser des solutions logicielles de type
    NVivo© qui ne font pas consensus (Ayache et Dumez, 2011).

                                                         UNIVERSITÉ          11     D’AVIGNON
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INNOVATION EN TERRITOIRE DE MONTAGNE ?

Figure 1. Liste des acteurs interrogés selon leur échelle d’intervention

   Figure 2. Territoires d’expérimentation du projet POIA SMARS

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Après une phase de retranscription des interviews, l’analyse a été menée en trois étapes (fig. 3) :

Niveau 1 : des phrases ou des paragraphes se rapportant à un thème spécifique ont été isolées, puis
reportées dans un tableau pour créer une matrice. Les cellules se rapportant à un même sujet ont
alors permis de formaliser des colonnes (provisoires dans un premier temps).

Niveau 2 : par proximité de sens, des colonnes donnent naissance à des catégories. Pour des
questions de lisibilité, on appellera « Catégories » les thèmes les plus importants, qui émergent des
discours cumulés des personnes interviewées, et « Sous-catégorie », les thèmes abordés par au
moins 10% de l’échantillon. Compte tenu du nombre d’interviews, nous déterminons qu’une sous-
catégorie peut être créée à partir de 4 personnes. Cette méthode implique une segmentation et une
décontextualisation (Wanlin, 2007).

Niveau 3 : une fois les regroupements thématiques opérés, l’analyse porte ensuite sur la convergence
de signification. Ce dernier traitement n’est plus catégoriel (en colonne), mais transversal (entre les
lignes et les colonnes). Il est alors matérialisé par un mapping. L’importance des relations est
déterminée par les acteurs eux-mêmes à travers l’énonciation de verbatims, et des pistes non
explorées ou même des signaux faibles (i.e. des signes précurseurs d’une nouvelle idée ou d’un
enseignement non attendu au départ) peuvent apparaître. Cela permet de faire ressortir une
significativité plus qu’une représentativité.

                 1                               2                                    3
          Regroupement des                Détermination des                 Détermination des liens
             colonnes par                  sous-catégories                   de signification entre
        proximité thématique +                                               les catégories et les
        création des catégories                                                sous-catégories

     Figure 3. Protocole de traitement des discours collectés auprès des 42 acteurs interrogés

                                    UNIVERSITÉ       13   D’AVIGNON
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La matrice constituée par le découpage thématique des discours (fig.3) aboutit à la création d’un
tableau composé de 1 587 entrées. Ces cellules ont ensuite été regroupées en colonnes, relatives à
un objet récurrent (par exemple, la « mémoire du risque » ou le « rôle du maire »). Dans le cadre de
ce travail, notre attention s’est évidemment focalisée sur les MS, qui se rapportent à plusieurs sous-
catégories : les applications smartphone, les réseaux de télécommunication ou la question de la
responsabilité par exemple. Les 32 colonnes (issues de l’étape 2) n’avaient pas été prédéfinies, ce
qui rend l’interprétation plus intéressante que ce que l’on aurait obtenu avec les approches
quantitatives, qui nécessitent de définir en amont les variables d’analyse.

La convergence de signification (produite à l’étape 3) amène finalement à faire ressortir trois idées
clé qui synthétisent la vision qu’en ont les acteurs institutionnels sur les territoires concernés :

       -   Les MS constituent des réponses intéressantes face à des besoins opérationnels.
       -   Les freins à leur opérationnalisation sont d’ordre juridique, sociotechnique et organisationnel,
           bien plus que technique.
       -   Les MS soulignent avec acuité l’indétermination de la place et du rôle des populations dans la
           gestion des risques (hiérarchie de la communication, potentiel d’action, etc.).

1.2. Des innovations en quête d’opérationnalité !

Des outils répondant à des besoins opérationnels…

Pour la majorité des acteurs interrogés (30 sur 42), l’apport des MS est bien une réalité (fig. 4) : selon
un acteur du PGHM3, « l’ignorer serait même une erreur ». La pratique semble « inéluctable » et
« c’est l’avenir, tout simplement » (selon des membres de SDIS). Pour les plus optimistes, les MS
s’imposent comme une évidence car les informations qu’ils y trouvent pourraient leur permettre
d’adapter une réponse bien plus opérationnelle (pour les services de secours et de sécurité civile), et
de compléter la chaîne d’informations. En permettant un contact rapproché avec les victimes ou les
personnes touchées, les MS allouent une certaine « immédiateté [qui] favorise la facilité de
transmission ». Sans être nécessairement utilisateurs des MS à titre personnel, nombre d’acteurs
reconnaissent qu’ils correspondent à leurs attentes dans la gestion des risques naturels : « c’est une
évolution, alors je ne sais pas si elle est bonne ou pas bonne, mais elle montre que l’opération a
besoin de s’appuyer sur ce relais-là » (selon un sapeur-pompier).

De manière spécifique, 23 personnes affirment connaître les MSGU (Médias Sociaux en Gestion
d’Urgence), et ils sont unanimes pour souligner l’importance et l’intérêt de ce type d’association
fondée sur du bénévolat (Douvinet et al., 2017) : « aujourd’hui, on ne peut pas faire l’impasse de la
puissance de cet outil là et de la viralité qu’il propose » selon un gestionnaire du risque en Isère.
Utiliser les informations issues des MS permet alors d’adapter une réponse opérationnelle pour les
services de secours et de sécurité civile, et de compléter une « chaîne d’informations ».

3
    Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), unités présentes en Haute-Savoie et dans les Hautes-Alpes.

                                               UNIVERSITÉ       14   D’AVIGNON
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Les acteurs voient aussi dans les MS une « chaîne de partage » qui autorise une évolutivité quasiment
en temps réel, au contraire des modes actuels de fonctionnement en cas de gestion de crise. Comme
le note un élu, le « safety check » de Facebook apparu avec les attaques terroristes de novembre
2015 marche bien et son usage a été rapidement adopté. Dès lors, cette souplesse allouée par les
MS permet de s’adapter à des évènements à cinétique rapide tels que les laves torrentielles ou les
brusques changements météorologiques propres aux massifs à fort relief. « Ça permet de véhiculer
rapidement des images, des photos sur un état d’alerte par rapport à la neige, à l’eau ou au vent, ça
nous permet de toucher rapidement » rapporte une chargée de mission risques. Dans le cas du Pas
de l’Ours4, parce que la cinétique du phénomène est incertaine, « en cas de crise, effectivement, si
ça lâche, je pense que ça peut être intéressant comme dispositif » (selon une responsable de l’office
de tourisme du Queyras). Ainsi les MS présentent des avantages en fonction de l’ampleur de
l’évènement et du nombre de personnes potentiellement impactées : « là on est vraiment sur un
risque, voilà, le Pas de l’Ours si un jour il pète, là oui pour moi c’est ça ».

En revanche, pour des interventions situées à une échelle micro-locale et très circonscrite, ils
n’apportent pas de plus-value selon les acteurs : « le fait que c’est rare qu’il y ait énormément de gens
pris et ceux qui sont pris dans l’avalanche, ils ont autre chose à faire que de communiquer sur
Twitter ». Les acteurs reconnaissent que les personnes s’auto-organisent à travers les MS, créent
des communautés contextuelles en fonction d’un évènement et remontent une information que les
autorités n’ont pas nécessairement : « ils ont fait un travail remarquable de collecte des besoins, des
inquiétudes, des besoins au quotidien des habitants. Mais ça on ne peut pas le faire, ce n’est pas
notre rôle, donc ils l’ont bien fait et sans doute que les réseaux sociaux sont le meilleur moyen de le
faire ».

D’ailleurs, plusieurs acteurs (12 sur 42) ne manifestent pas d’enthousiasme particulier par rapport aux
applications smartphone dédiées aux risques « si chaque personne qui a une idée développe un outil,
(…) comment on va veiller tous ces applicatifs qui ne sont pas normés ? » s’interroge ce responsable
du SDIS-74. Dans l’ensemble, les interviewés n’ont pas beaucoup développé ce sujet, et ils se sont
focalisés sur les MS et sur les transformations apportées par le développement du numérique en
général. Précisons que le temps des enquêtes a correspondu au calendrier de fin de mise en service
(acté le 29 mai 2018) de l’application SAIP© (Système d’Alerte et d’Information de la Population). La
multiplication des applications, leur diversité (Bopp et al., 2019) ou le fait qu’elles nécessitent d’être
téléchargées au préalable, sont des verrous qui ne répondent pas encore aux attentes des acteurs
en termes d’usage. Seules les applications d’aide au secours (StayingAlive©) ou d’aide à la navigation
(Waze©) sont citées de façon positive, à défaut de critiquer la volatilité des « cycles de vie » des
applications (Qwidam© par exemple, fermée en 2018).

4
  Glissement du Pas de l’Ours (Hautes-Alpes) : glissement géologique de grande ampleur réactivé depuis 2014 et dont l’accélération en
mars 2018 a coupé la route départementale entre les communes d’Aiguilles et d’Abriès :
 http://www.hautes-alpes.gouv.fr/glissement-du-pas-de-l-ours-queyras-a6648.html

                                               UNIVERSITÉ       15   D’AVIGNON
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                                                                                                                                                                                               Difficultés
                                                                                                            Anticiper             Gradualité des            9                                communication
                                                                                                           gestion crise          phénomènes
                                                                                                                                                                         19
                                                                                                                                                                                    13
                                                                                                                                                                                                            Partage
                                                                                                                                                                                                                                18         CHANGEMENTS
                                                                                                                                                        COMMUNICATION                                      spreading

                                                                                                       RÔLE DU SDIS

                                                                                                                                      Remontées                                      Vitesse de                       NOUVELLES
                                                                                                                                        d'infos                                       diffusion                       MODALITÉS                18
                                                                                                                                                                                                                      COMMUNICATION
                                                                                                 Vigilance
                                                                                                individuelle                                       16                          8

 UNIVERSITÉ
                                                                                                                       Rassurer                           AVANTAGES                                    Interactions                         Changement
                                                                                                                       les gens          10                 DES MS                      13             populations                           paradigme

16
                                                                                                                                                                                   24
                                                                                                                                                   15
                                                                                                                                                                                                                                                           LES MÉDIAS SOCIAUX : UNE RELLE

                                                                                                                                                                    8
                                                                                                                                                                                              Typologie
                                                                                                                                      Communauté                                             des publics
                                                                                                                                        MSGU                      Avantages

D’AVIGNON
                                                                                                                                                                    divers
                                                                                                                                                                                                                                             Alerte des
                                                                                                                                                                                                                                            populations
                                                                                                                                                                                                                                                          INNOVATION EN TERRITOIRE DE MONTAGNE ?

                                                                                                                                                                                         Comportements
                                                                                                                                                                                                                      Rapports
                                                                                                a une influence sur                                     Citoyen acteur                                              citoyens/État

                                                                                                               interaction                                                                   21
                                                                                                                                                                              12                           18

              Figure 4. Les avantages des MS perçus par les acteurs interrogés.
                                                                                  nombre de mentions par les acteurs
                                                                                                                                          Dimensions                                     ACTIONS DES
                                                                                                         14                                                         17                                          6              Autonomie
                                                                                                                                          collectives                                     INDIVIDUS
LES MÉDIAS SOCIAUX : UNE RELLE
              INNOVATION EN TERRITOIRE DE MONTAGNE ?

… mais qui sont considérés comme inopérants, …

En l’absence de cadrage clair des autorités, la mobilisation des acteurs varie selon les territoires et
les instances concernées « c’est laissé à l’initiative départementale, donc pourquoi pas ». La
commune de Les-Contamines-Monjoie se repose sur le dynamisme de son office du tourisme qui
gère un compte Facebook suivi par 35 000 personnes parmi lesquelles se trouvent certainement des
résidents, mais qui n’est pas un compte officiel de mairie. Pour les communes rurales, les élus ne
perçoivent pas la plus-value des MS, arguant d’une mauvaise qualité du réseau, d’une population
vieillissante, d’un manque d’intérêt personnel ou de la vitalité du tissu social comme le résume cet
élu : « le fait que nous soyons une petite commune de montagne, tout le monde se connait bien donc
le bouche-à-oreille fonctionne à une vitesse extraordinaire ». Cette proximité sociale leur alloue une
forme d’autonomie vis-à-vis des institutions : « ça se passe comme ça, en famille un peu. Et c’est là
où on est le plus efficace (…) parce que si on attendait la réaction de la préfecture, on perdrait
beaucoup de temps, hein ! ».

La qualité de la couverture réseau est par contre une préoccupation constante pour la plupart des
interlocuteurs. Outre le fait qu’il faille séparer la data du téléphone, il y a de grandes variabilités entre
les territoires : « c’est sûr qu’il y a deux mondes et que ça renvoie quand même à la ruralité et au
citadin. Et il y a une chose qui est clair, les sites de pratique alpine ne sont pas des sites de résidence
pour les Hautes-Alpes, ce qui est très différent de Chamonix ». Ces iniquités entre les territoires sont
vécues comme des punitions pour les élus concernés « internet c’est nul ! nous on est la commune
où on a le plus de problèmes du Vaucluse pour internet, donc c’est nul et archi nul ! ». De surcroit,
même là où le réseau est de bonne qualité, l’affluence touristique peut conduire à la saturation comme
l’explique avec philosophie une personne du SDIS : « oui, ça tombe, c’est mathématique. Il y a de la
couverture réseau qui est faite pour une charge courante ou même un peu élevée mais dès qu’on
commence à monter en puissance, on peut mettre à plat le truc ». La radio(téléphonie) reste même
le canal privilégié par les secours, la sécurité civile ou par les guides de haute-montagne pour des
questions de fiabilité des échanges vocaux.

La dimension équivoque des vigilances météorologiques et les interprétations des comportements à
adopter ont régulièrement été relevées par la littérature (Vinet, 2007 ; Daupras, 2015). Cette étude
renforce ce constat tout en pointant la particularité des Bulletins d’Estimation du Risque d’Avalanche
(BERA) qui sont réalisés par les nivologues de Météo France, qui sont codés de 1 à 5 (risque très
fort) et qui sont établis quotidiennement à 7h30, 12h30 et 17h30 entre décembre et avril. La gradation
du danger reste difficile à appréhender par les individus : « lorsqu’on est à 5, les gens n’y vont pas, 4
non plus, mais dès que c’est à 3, on y va, ça ne craint rien (…) comme on est au milieu de l’échelle,
quelque part, on ne craint rien ». Comme toute mise en vigilance, elle intègre une part d’incertitude
qui varie dans le temps comme le souligne ce guide : « la temporalité ! une pente plein Est à 5h du
matin c’est du béton et à 15h c’est une avalanche humide qui part sur 3 m de profondeur quoi ! dans
la même journée ». Cette part d’incertitude évolue dans le temps et dans l’espace : « la difficulté c’est
que c’est pas la même géographie, il y en a un qui est à 200 m d’altitude et l’autre qui est à 1200,
donc c’est compliqué ». Cette variation du relief ou de l’exposition des pentes nécessite une
connaissance fine du terrain qui va à l’encontre des développements à

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venir chez Météo France5, dénoncés à plusieurs reprises par les acteurs locaux : « si dans un truc
d’avalanche tu as un mec qui est à Lyon qui n’a pas vu comment ça a évolué, je ne vois pas comment
c’est possible, c’est un non-sens total » ; « j’ai rien contre les ingénieurs mais ce décalage avec le
terrain, il est terrible ». Or pour les individus, les vigilances météorologiques se résument de façon
binaire, autrement dit savoir s’il faut : « y aller ou pas ».

… et qui sont considérés comme socialement peu appropriés
Les acteurs rencontrés pondèrent leur jugement quant à l’usage que les autorités peuvent en avoir
dans le contexte réglementaire actuel. La posture adoptée est une forme d’attentisme due en grande
partie à des blocages d’ordre juridique : « l’approche systémique, sur une vision plus globale de ces
questions pour mieux les prendre en compte se heurte aujourd’hui frontalement, mais alors
frontalement, au cadre juridique » (selon un responsable communal). La responsabilité renvoie aussi
à des questions politiques : « il y a un enjeu politique qu’il n’y a pas en préfecture puisqu’on ne vote
pas pour un préfet ! » (selon un responsable départemental des routes). C’est un frein partagé pour
les élus : « de toute façon ce sera au maire d’aller au casse-pipe, quoi qu’il se passe » (selon un
membre de syndicat de rivière). Si certains peuvent pointer des blocages internes « ça va avec la
résistance au changement, l’acculturation etc. qui sont chez nous des freins clairement identifiés »
(note ce gestionnaire isérois), un autre nuance cette résistance en constatant plus largement que
« les nouvelles technologies il y a un accompagnement des mentalités derrière et que ça ne se fait
pas en un claquement de doigts ».

La question de la responsabilité émerge aussi au sein des services de secours : « c’est délicat, on ne
peut pas foncer tête baissée dès qu’il y a un tweet qui remonte de quelqu’un qui serait en difficulté
dans tel secteur et en même temps, est-ce qu’on peut l’ignorer ? » (selon un membre du SDIS-74).
Les services de secours (SDIS et Peloton de Gendarmerie de Haute-Montagne- PGHM) s’accordent
sur le fait que les appels d’urgence doivent passer par les numéros d’appel officiels afin de permettre
un contact direct et une coordination efficace : « il faut un seul outil de gestion, qu’il y ait un point
d’entrée unique et pas une multiplication des applicatifs. Il faut le même traitement de l’appel quel que
soit le moyen et le mode qui nous est transmis » dit ce responsable de SDIS. « Il y a tellement de
points de précision à avoir qu’on ne peut pas se fier à un simple tweet de 140 caractères (…) chez
nous l’alerte est ultra dimensionnante et du coup, elle doit vraiment être gérée par des
professionnels » rajoute ce responsable du PGHM.

Par ailleurs, les acteurs de secours pointent la question de la veille permanente qu’implique la gestion
des urgences. Cela nécessite que des personnels soient formés et dédiés à cela avec des astreintes.
Pourtant, les moyens humains et financiers requis n’existent pas ou alors de manière informelle, sur
base d’un volontariat lié à l’intérêt personnel d’individus (comme dans le cas du SDIS 84 ou du SDIS
05).

5
  France 3 Région Auvergne-Rhône-Alpes (28/01/2018) : « Fermeture du centre de météo-France à Chamonix : colère et inquiétudes ». En ligne
(consulté le 28 septembre 2018) : https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/haute-savoie/chamonix/fermeture-du-centre-meteo-france-
chamonix-colere-inquietudes-1410007.html

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Les exemples de demandes de secours faites directement sur les MS deviennent nombreux (Martin
et Demontis, 2015 ; Douvinet et al., 2017) et les acteurs interrogés ont conscience de ce dilemme :
« on a eu des exemples, et c’est pas réglé aujourd’hui, de demandes de secours faites directement
sur les réseaux et qui ne sont pas rebouclées par un appel 18. Pour eux [les gens], la demande était
faite ». Faute de jurisprudence sur le sujet, le législateur n’a pas encore tranché cette question, ce qui
constitue, à terme, un risque évident et dont ont conscience (fig. 5) les acteurs de secours (Corack
et al., 2017).

La légitimité de l’émetteur d’un message sur les MS est un autre élément important dans les
problématiques communicationnelles auxquelles se heurtent les acteurs : tandis que les structures
territoriales de type préfecture apparaissent légitimes (car elles sont directement associées au plus
haut niveau de l’État, garant de la sécurité des populations), le corrolaire est la méfiance ou la défiance
qu’elles suscitent aussi chez les citoyens : « les organes de décision d’arbitrage ou de communication
(…) ne remplissent plus forcément leur rôle au niveau des populations ». Les citoyens se tournent
alors vers d’autres sources d’information : « les réseaux sociaux sont l’outil idéal pour qui veut
interpeler et fédérer à ce niveau-là » et les MS « schintent ce circuit d’information verrouillé » (selon
une chargée de mission).

Par ailleurs, des acteurs mettent en garde sur les moyens tant financiers qu’humains qu’implique
l’usage des MS et pour lesquels le retour sur investissement n’est pas immédiat : « cela mobilise
presque quelqu’un à regarder cela en permanence (…) et je vais être provocateur mais, pour 99%
des cas au quotidien, pour rien » (selon un directeur de SDIS). Les réticences s’expriment autour du
manque de maîtrise sur ces outils : « le risque des réseaux sociaux c’est qu’on va vers l’emballement
et qu’ils ne sont pas modérés » et leur pendant, le développement des rumeurs. Ils ont conscience
que le fonctionnement des MS vient à l’encontre d’une communication institutionnelle top-down et
« qu’on a tendance à confondre information et communication ». Or « les populations sont en attente
d’informations ».

Le pouvoir d’entraînement vers des dérives des images ou des vidéos sont dénoncées : 7 personnes
ont évoqué le cas du sportif professionnel Kilian Jornet dont les vidéos virales (plus de 240 000 vues
sur Youtube) de son ascension du Mont-Blanc en tenue légère viennent en contradiction avec les
messages de prévention et banalisent le risque encouru. Les MS sont ainsi perçus comme étant les
supports de la mise en scène d’exploits individuels qui incitent ceux qui les suivent à prendre des
risques dans un jeu de surenchère : « ils n’iraient peut-être pas jusqu’au sommet si ils n’avaient pas
la Go-pro, mais comme ils l’ont, ils vont quand même tenter le truc » analyse ce météorologiste. La
puissance de l’image est vue de façon paradoxale : elle peut être un atout « maintenant, on le voit,
les jeunes, les moins jeunes, tout marche avec une vidéo » mais aussi un inconvénient, parce que le
contexte est gommé « il faut que ce soit dit clairement, c’est valable tel jour sur tel massif (…) après
le risque c’est pas le même et parfois d’un jour sur l’autre ».

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Infobésité

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                                                                                                                                                                     19            COMMUNICATION
                                                                                                                                               politiques
                                                                                                                  Communication
                                                                                                                     de crise
                                                                                                                                                                                                    13
                                                                                                                                                                                                           Difficultés
                                                                                     Évolutions                                                                     Risques                              communication
                                                                                                                                  Contrôle du
                                                                                      météo                                                                         des MS
                                                                                                                                   politique

                                                                                                           Vérification
                                                                                                           de la donnée
                                                                                                                                              15                22                                                  RÔLE DU
                                                                                                                                                                                       Modération
                                                                                                                                                                                                                     MAIRE
                                                                                                                                                                                        maîtrise
                                                                                                                                  19                                                                                  (14)

 UNIVERSITÉ
                                                                                                                                                                          17
                                                                                 RÔLE DU
                                                                                                              Risques                                 LIMITES

20
                                                                                  SDIS                                             12
                                                                                                             juridiques                               DES MS
                                                                                   (15)                                                                                       21       Investissement
                                                                                                                                                                                        temps humain
                                                                                                                                                                                                                                                      LES MÉDIAS SOCIAUX : UNE RELLE

                                                                                                                                        17
                                                                                     Rapports

D’AVIGNON
                                                                                   citoyens/État                       Rumeurs                         6
                                                                                                                      fake news
                                                                                                                                                                              USAGES          20            Réticences
                                                                                                                                                                                                                                                     INNOVATION EN TERRITOIRE DE MONTAGNE ?

                                                                                           Perception du
                                                                                              risque                                            Pas si utiles
                                                                                                                                                                               11
                                                                                                           Facteurs                                                                                                           a une influence sur
                                                                                                           humains

              Figure 5. Les limites des MS perçues par les acteurs interrogés.
                                                                                                                                                                                Non
                                                                                                                          Problèmes                                            usage                                                   interaction
                                                                                                                           réseaux
                                                                                                                                             Non perception
                                                                                                                                             Méconnaissance                                                 nombre de mentions par les acteurs
                                                                                                                                                                                                                                    14
LES MÉDIAS SOCIAUX : UNE RELLE
              INNOVATION EN TERRITOIRE DE MONTAGNE ?

Sur les 42 personnes interrogées, seules 23 ont ainsi une pratique personnelle régulière des MS et
utilisent des applications smartphone. Les autres avouent ne pas avoir de compte Facebook ou
Twitter et les raisons évoquées sont l’âge, la posture « je suis désolé, je suis vieux jeu ! », ou encore
la proximité avec la nature « si j’avais été dans une agglo c’est sûr que je serais là-dedans. Là non,
pas trop, on a aussi envie de garder un lien avec la nature ».

Bien que nous n’ayons pas demandé l’âge des personnes interrogées, nous pouvons néanmoins
mettre en perspective les réponses obtenues avec les résultats de l’étude produite par le Baromètre
du numérique en France (2018, p.156). Leur usage est lié à l’âge des personnes et au niveau de
diplôme : plus les personnes sont âgées, moins elles les utilisent, les 18-25 ans correspondant au
taux d’usage le plus élevé. On note qu’au-delà du baccalauréat la courbe va en s’infléchissant, les
personnes les plus diplômées ne sont pas celles qui utilisent le plus les réseaux sociaux.

Les gestionnaires du risque et les maires ne sont pas nécessairement les personnes les plus
utilisatrices des réseaux sociaux numériques, et la faiblesse de leur usage chez les interviewés
relève de facteurs externes (aspects juridiques, politiques, organisationnels) mais également
de contraintes internes, propres à chaque individu (la défiance, l’âge, la méconnaissance).

1.3. Faut-il sublimer les médias sociaux, et si oui, comment ?

Mieux comprendre l’origine de la demande sociale

L’importance des MS, y compris dans la gestion des risques naturels, est largement partagée par les
acteurs : « qu’on soit pour, qu’on soit contre, le constat il est là : c’est devenu une pratique sociale ».
En termes de gestion, il importe néanmoins de distinguer ceux qui utilisent les MS durant la crise
(responsabilité vis-à-vis des populations) de ceux dont l’usage est tourné vers la prévention et qui les
considèrent essentiellement comme un outil de communication (évitant ainsi toute question liée à la
responsabilité juridique). Pour autant, est-on en mesure de considérer les MS comme une innovation
sociale dans la gestion des risques en territoires de montagne ? Les acteurs interrogés reconnaissent
que les personnes s’auto-organisent à travers les MS, en créant des communautés contextuelles en
fonction d’un événement, ou remontant une information que les autorités n’ont pas nécessairement :
« ils ont fait un travail remarquable de collecte des besoins, des inquiétudes, des besoins au quotidien
des habitants. Mais ça on ne peut pas le faire, ce n’est pas notre rôle, donc ils l’ont bien fait et sans
doute que les réseaux sociaux sont le meilleur moyen de le faire ». Les entretiens montrent pour
autant que le potentiel des MS en temps de crise présuppose l’existence de communautés
dynamiques et effectives : « il faut qu’il y ait une bonne communication avant, déjà entre le niveau
intercommunal et le niveau communal, pour que les infos passent ».

La demande croissante des individus à prendre part à l’action publique en général ne se traduit pas
non plus par l’émergence d’initiatives spontanées en termes de prise en charge des risques sur les
terrains. Ce changement en profondeur des rôles dévolus de longue date à chacune des parties
prenantes ne peut se décréter (Gisclard, 2017).

                                     UNIVERSITÉ    21   D’AVIGNON
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