Marathon : une reproduction d'espace public urbain

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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
Marathon : une reproduction d’espace public urbain

                                                                   LEI Yan

         « Alors que l’espace public semble se « normaliser », s’émietter,
         raréfiant les circonstances de sociabilité et d’échange qui
         permettent à l’individu de prendre part et d’agir sur son
         environnement, apparaissent dans le tissu urbain spatial et mental
         pour des durées plus ou moins longues, des vides, des espaces en
         transition, en attente. » --- Clara Guillaud

                      « C’est beau qu’une ville qui court. » --- un bloggeur

                                                        Penser l’espace public
                                                           Véronique Mauron
                                                                 Chôros-EPFL
                                                                    Printemps
                                                                         2013

	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
Introduction
La « société urbaine » se développe dans ses dimensions culturelles, politiques et
sociales. Comme manifestation sportive et comme événement public, le marathon
joue un rôle inséparable de la ville, parce que le citoyen en tant qu’« homme urbain »
se réapproprie l’espace public en renouvelant le sens de la « vie urbaine ». La
connaissance de la ville (planification et réappropriation), l’augmentation de
l’accessibilité, l’intensité des interactions, l’extimité ou encore la réappropriation sont
tous réalisés lors d’un marathon. Le choix du sujet m’apporte d’abord quelques
réflexions sur le rapport entre l’événement sportif (marathon) et l’espace public
urbain : Comment des évènements sportifs comme le marathon produisent l’espace
public urbain ? Comment le marathon reproduit également l’espace public urbain à
travers des signes tels que les gestes, le vocabulaire, la distance, la valeur, la
relation?

I. Histoire du marathon
L’espace public s’inscrit dans le « capital urbain » 1 , matériel et immatériel. Le
marathon est sans doute une particularité de la « pratique spatiale »2 de la ville, car il
reproduit durablement les dynamiques, la densité, l’appropriation dans la vie urbaine
et reconfigure l’organisation spatiale et sociale. Si on relit l’histoire du marathon
depuis 1896 (les premiers Jeux Olympiques), on remarque que son évolution
progresse au même rythme que l’évolution de la ville, on peut ainsi le considérer
comme un symbole de la « société urbaine » (Henri Lefebvre). Sur les trois photos ci-
dessous, l’urbanisation3 se représente différemment à la ville à travers des trajets
spécifiques des marathoniens dans le cadre des temporalités : la première photo est
prise à Londres en 1908 et c’est la première fois que la distance de 42,195 km fut
mise en place. Le trajet depuis la terrasse du Château de Windsor jusqu’au stade de
White City vise à faire plaisir la famille royale du roi Edouard VII et de la reine
Alexandra ; la deuxième concerne le marathon de Boston de 1965, les marathoniens
franchissent une partie de la ville de Boston ; la dernière photographie a été prise
pendant le marathon de Genève de 2012 et les coureurs sont en train de traverser un
pont du centre-ville. Ce faisant, l’espace public se transforme de part la densité de
l’architecture, l’afflux des personnes et des véhicules, et la diversité des pratiques
urbaines (ex. le marathon).
En comparant les photos, je constate ainsi non seulement les pratiques sportives des
marathoniens, mais aussi une reconfiguration spatialisée et contextualisée de l’histoire
du développement urbain. Les « évidences urbaines » de la course, les trajets (20km
et 42.2km), les participants, l’organisation sécuritaire, l’environnement témoignent de
l’évolution de l’espace public dans son ensemble. Par exemple, on identifie la

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
1	
  L’ensemble	
   des	
   biens	
   matériels	
   et	
   immatériels	
   produits	
   et	
   échangés	
   qui	
   résultent	
   du	
   jeu	
   d’un	
  

état	
  urbain	
  particulier,	
  doté	
  d’une	
  urbanité	
  spécifique,	
  en	
  un	
  temps	
  de	
  son	
  histoire.	
  	
  
2	
  «	
  Ensemble	
  de	
  comportements	
  d’un	
  opérateur	
  en	
  relation	
  avec	
  un	
  espace	
  qui	
  constitue	
  pour	
  lui	
  

un	
  contexte.	
  »	
  (Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, P740)	
  
3	
  «	
  Processus	
  
                      de	
   concentration	
   de	
   la	
   population	
   et	
   des	
   activités	
   dans	
   des	
   agglomérations	
   de	
  
caractère	
  urbain.	
  »	
  (Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, P961)	
  
	
  
	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
1. Début du London Marathon Olympique, 1908   2
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                                                                                                                                      3                                                                    2. Coureurs du Boston Marathon, 1965
                                                                                                                                                                                                           3. Le Genève Marathon, 2012

coprésence d‘une architecture plus moderne et d’une infrastructure urbaine plus dense
sur la dernière photo que sur les deux autres.

II. Marathon : (re)production de l’espace public
A partir de l’organisation du système sociétal, la « production »4 profite de la liberté
de produire des sociétés « pluralistes » (Michel Walzer). Parallèlement, l’espace
urbain se produit différemment, au sens visible et invisible, par les individus, les
collectifs, les hommes, les femmes, les riches, les pauvres. Il semble que l’essentiel de
l’espace urbain soit la relation « produit-producteur », c’est-à-dire que la ville est
construite matériellement et réajustée en fonction des rapports sociaux. La
« production de l’espace » telle que définie par Henri Lefebvre est une formation
procédurale des rapports sociaux, « ne désignant pas un produit quelconque, chose ou
objet, mais un ensemble de relations, ce concept exigeait un approfondissement des
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
4	
  «	
  Dimension	
   d’une	
   société	
   qui	
   correspond	
   à	
   la	
   création	
   au	
   sein	
   de	
   cette	
   société	
   de	
   nouvelles	
  

réalités	
  socialement	
  valorisées	
  »	
  (Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, P745)	
  

	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
notions de production, de produit, de leurs rapports… A sa manière productive et
producteur, l’espace entre dans les rapports de production et dans les forces
productives (mal ou bien organisé). » En cela, l’espace urbain produit non seulement
toute la matérialité mais aussi l’ensemble de la « réalité sociale » (Emile Durkheim).
Par ailleurs, la reproduction symbolise une dynamique structurale et philosophique de
la société en renouvelant négativement et positivement l’ancien objet et esprit
« démodé » et « inertiel ». D’après Jacques Lévy, la reproduction est le « processus de
reconstitution durable des logiques fondamentales et des structures d’une société, en
dépit de la succession des générations et des dynamiques du changement. »5 Si on
applique ce terme à l’urbanisation, comment cela peut-il se traduire ? Par exemple,
l’urbanisation de l’histoire de Paris est (re)produite par l’industrialisation, d’où la
transformation de la valeur d’usage à la valeur d’échange, d’habiter la ville à
l’habitat des logements. En se fondant sur l’héritage historique et les actions réelles,
l’urbanisation se planifie, prolifère et se contredit. En outre, la force de reproduction
est d’abord évoquée par Karl Max (1867) pour signifier la potentialité de
révolutionner le système capitaliste. Aujourd’hui, son sens a évolué et son application
dans le domaine du développement urbain signifie une capacité à déployer des
« lieux » (Jacques Lévy) et de produire des relations intenses entre les citadins. Ce
faisant, les rapports sociaux convergent vers une vie urbaine et sont renouvelés par les
pratiques culturelles, artistiques et sportives au sens créatif et démocratique.

1. Espace public planifié
La mise en place de dispositifs comme la signalétique, les grilles le long du parcours,
la présence de contrôleurs traduit une instrumentalité institutionnelle qui reconfigure
l’espace public, afin de reproduire la normalité des normes et de l’ordre public.
Comme le signale Henri Lefebvre, « La spatialité se cristallise dans des situations
pratiques productrices de dispositifs spatiaux agencés par les acteurs dans, par et
pour leurs actions. »6 Concernant les trois photos suivantes, la première représente les
trajets planifiés du marathon de Genève (20km et 42km) qui desservent la périphérie
et le centre-ville de Genève ; la deuxième représente deux espaces publics distincts :
celui des marathoniens, et celui consacré à la circulation des véhicules et des
personnes ; la dernière concerne un contrôleur qui est en train de maintenir l’ordre.
Les formes de l’espace public sont réajustées et ordonnées par les planificateurs en
reproduisant un nouveau système normatif.

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
5	
  Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,
Paris : Edition BELIN, P793
6	
  Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,
Paris : Edition BELIN, P337	
  

	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
3                                                      1. Trajet du Genève Marathon, 2013
                                                                                                                                      1                                                      2. l’espace séparé, le Genève Marathon, 2013         2
                                                                                                                                                                                             3. maintien de la circulation, le Genève Marathon, 2013

2. Pratiques de l’espace public
Evidemment, la « pratique spatiale » se déroule au sein de l’environnement
préexistant du point de vue de l’espace conçu, perçu et vécu, à savoir la relation
dialectique entre les représentations de l’espace et les espaces de représentation
(Henri Lefebvre). La première formule signifie l’élaboration intellectuelle du système
de signes par les urbanistes, les planificateurs, les architectes. Comme il énonce, « Les
représentations de l’espace, c’est-à-dire l’espace conçu, celui des savants, des
planificateurs, des urbanistes, des technocrates « découpeurs » et « agenceurs », de
certains artistes proches de la scientificité, identifiant le vécu et le perçu au
conçu ».7 Par exemple, le marathon est organisé en tant qu’événement sportif urbain,
ce qui reflète la volonté des acteurs de dynamiser la vie urbaine et d’augmenter la
réputation de la ville. Le dernier consiste en l’espace des usagers et leurs symboles
corporels, verbaux et non-verbaux, mentaux et sociaux. De ce fait, il s’agit de la
spatialité humaine, « la dimension spatiale de ce que fait un opérateur humain »
(Jacques Lévy, 2003, P742) qui applique nos savoir-faire à l’espace urbain. Par
exemple, la relation concurrentielle des marathoniens, les interactions entre les
habitants et la ville, l’indifférence des passants, la transgression de l’ordre des piétons.

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
7	
  Henri	
  Lefebvre,	
  2000,	
  La	
  production	
  de	
  l’espace,	
  Paris	
  :	
  Edition	
  Anthropos,	
  P48	
  

	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
1. Le champion finlandais Antti Viskari au1Boston Marathon, 1956                                                                                                                                                                                                2
2. Le Genève Marathon, 2013

                     En conséquence, l’espace public est produit par l’ensemble des pratiques urbaines, car
                     il se fonde non seulement sur les savoirs et les conceptions des professionnels de
                     l’urbanisme, mais aussi sur l’ensemble du public qui construit les rapports sociaux
                     (des rencontres, des discours, des activités). En outre, l’espace public est caractérisé
                     par les lieux partagés : des trottoirs, rues, jardins, bars dans lesquels la coprésence des
                     corps, l’intensité des déplacements, la diversité des objets sont mis en pratique. Les
                     deux photos suivantes révèlent que des relations vivantes s’installent dans l’espace
                     partagé par les citoyens grâce à la déplacement des marathoniens, la participation des
                     accompagnateurs, l’intensité des signes (des gestes, des positions, du langage verbal).
                     L’appropriation de l’espace public aujourd’hui demeure aussi accentuée
                     qu’auparavant.

                     III. Marathon : paramètres de l’espace public
                     Les registres spécifiques de l’espace public tels que les normes, les valeurs et les
                     règles normalisent les pratiques des individus. Néanmoins, il semble que ces dernières
                     requalifient l’espace public de la manière active. Le marathon redéfinit les paramètres
                     de l’espace public avec des variations quant à l’accessibilité, l’expression publique,
                     l’altérité de la coprésence et des désordres produits.

                     1. Accessibilité
                     « L’espace public »8 est censé être un espace partagé par tous les citoyens, du fait
                     qu’ils se côtoient les uns les autres, sans contrainte. Cette équité d’accès pour tous,
                     l’accessibilité, diminue la distance de soi par rapport à la circonstance et désigne un
                     droit commun et ouvert à la ville. A ce titre, les expériences individuelles concrétisent
                     et construisent socialement l’espace public, d’où une société « utopique » et non pas
                     « utopiste ». C’est-à-dire que la « société urbaine » est réalisable pour que les
                     individus parviennent au « droit à la ville » (Henri Lefebvre). Par exemple, la

                     	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
                     8
                      Espace accessible à tous. De taille limitée par rapport à l’espace de référence, l’espace public a la
                     capacité de résumer la diversité des populations et des fonctions d’une société urbaine dans son
                     ensemble. (Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, P336)

                     	
                                                                                                                                                                                                                                 7	
  
Marathon : une reproduction d'espace public urbain
1                                                                    1. La2 liberté de l’usage de l’espace public par les
                                                                                                                                                                  accompagnants debout sur le trottoir.
                                                                                                                                                                  2. L’espace public divisé pour les coureurs, les
                                                                                                                                                                  accompagnants et les passants

participation des marathoniens symbolise un droit essentiel d’être dans l’espace
urbain. Pour y accéder, il n’y a pas de condition préalable, que ce soit au niveau du
genre, de la catégorie sociale ou de l’âge. Elle reproduit des nouvelles spécificités,
puisque les personnes (les coureurs, les accompagnants, les contrôleurs) s’intègrent à
la dynamique de la ville et maintiennent un « consensus spatial ». Chacun s’approprie
son propre espace.
En revanche, cette accessibilité n’a pas lieu dans la liberté absolue. Par exemple,
l’espace public du marathon de Genève est divisé par les autorités en deux
dimensions, afin d’ajuster la circulation de la ville : l’un est réservé exclusivement
aux marathoniens et les signes de planification sont visibles, comme les barrières, les
indications, la présence des contrôleurs ; l’autre regroupe les accompagnants qui se
rassemblent derrière les barrières en augmentant l’intensité de la coprésence.

2. Expression publique
L’intime et l’extime possèdent une relation dialectique : l’un désigne l’intériorité de
soi qui renvoie aux représentations de la réalité ; l’autre réside dans la relation
étendue de l’ego à l’alter-ego. L’intimité se manifeste via les gestes, les signes, les
attitudes, les mots en appliquant « l’intimisation » à l’espace public, avec l’idée qu’
« un lieu public [est] appréhendé comme essentiellement intime par les individus. »9
Ce processus consiste à bâtir ouvertement un espace privé afin de satisfaire des
besoins sociaux. La ville appartient aux lieux d’intimité. D’après Georg Simmel,
Richard Senett (1995), « La ville devrait être le lieu où il est possible de s’unir aux
autres sans tomber dans la compulsion de l’intimité ». De plus, l’anonymat de
l’espace public favorise l’expression individuelle, puisque l’identité individuelle
dissimulée est censée réfuter la standardisation de la convention sociale et diminuer
l’écart entre soi et l’environnement. La première photo montre un jeune homme qui
exprime crânement sa relation amoureuse avec une fille nommée Lily lors du
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
9
 Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,
Paris : Edition BELIN, P335	
  

	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
2
1.	
  Un	
  marathonien	
  chinois	
  affichant	
  «	
  Lily,	
  je	
  t’aime	
  »,	
  Pékin	
  marathon	
  en	
  2012	
  
2.	
  Un	
  marathonien	
  chinois	
  	
  graffiti	
  «	
  à	
  la	
  cherche	
  d’une	
  fille	
  idéale	
  au	
  mariage	
  »	
  	
  
sur	
  son	
  corps,	
  Pékin	
  marathon	
  en	
  2012	
  
	
  
                         marathon de Pékin de 2012. La deuxième montre un marathonien qui affiche son vœu
                         et son contact au public, notamment aux filles célibataires, dans l’espoir de trouver
                         une fiancée idéale. La manière de s’approprier l’espace public grâce à l’ouverture de
                         l’extimité met en lumière la vie urbaine. De fait, la réversibilité du rôle de l’espace
                         privé à l’espace public et la créativité individuelle dans la réappropriation représentent
                         une évolution de la « société urbaine » (Henri Lefebvre).

                         Par ailleurs, l’espace public est métaphorisé comme « la sphère publique » (Jürgen
                         Habermas, 1962), à savoir l’ensemble de la structuration de la liberté d’expression.
                         Contraire aux stratégies abstraites des dirigeants, les actions des citoyens sont
                         « tactiques » (Michel de Certeau). Elles sont parcellaires, exploratoires et opposantes
                         au système en s’appuyant sur la sensitivité spontanée de la réalité. Ceci dit, portant un
                         sens critique, les individus tentent de mettre en cause les normes sociales, d’où la
                         possibilité des « transgressions reconnues ou contestables »10. Ainsi, les opinions
                         individuelles se manifestent de façon plus ou moins indépendantes de celles des
                         institutions et les citoyens sont capables de réagir, autrement dit, de produire « le
                         paradigme de l’activité tacticienne », au moment où l’expression publique n’est pas
                         canalisée. En outre, la conscience d’avoir des vocations de la société provoque des
                         pratiques sociales dans l’espace public, par exemple sur les deux photos ci-dessous.
                         La première concerne un rappel à la société chinoise visant à aider les enfants des
                         quartiers pauvres en apportant une paire de chaussures sportives ; l’autre est de
                         sensibiliser le public à la protection des rhinocéros de notre planète lors du marathon
                         de Londres en 2012.

                         	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
                         10
                           Les transgressions autorisées par le gouvernement en ne pas dépassant la marge des normes sociales,
                         ou le contraire.

                         	
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Marathon : une reproduction d'espace public urbain
1. Deux marathoniens appellent la société chinoise de sensibiliser le problème
des enfants pauvres, Pékin	
  marathon	
  en	
  2012
                                                           2
2. Un « rhinocéros » est en train de courir lors du London Marathon en 2012

                    Aussi se présentent des signes de conceptualisation de l’espace public. Le corps, les
                    gestes, les vocabulaires, les décorations, les contacts se composent d’une diversité de
                    formes, qui sont « entièrement visuelles (pensée, concertée et maniée par la vue) »
                    (Roland Barthes). Grâce aux interactions, les signes réduisent la distance entre le soi
                    et l’environnement. « Codes will be seen as part of a practical relationship, as part of
                    an interaction between “subjects” and their space and surroundings. » (Henri
                    Lefebvre, 2000, P18) Par exemple, notre corps se développe dans sa spatialité en
                    exprimant notre rapport à l’environnement, in situ et in vitro, parce que le soi est
                    incrusté dans et pour l’espace. « C’est à partir du corps que se perçoit et que se vit
                    l’espace, et qu’il se produit » (Henri Lefebvre, P190). La spatialité du corps des
                    marathoniens se traduit non seulement par le déplacement, la distance, le rythme, la
                    répétition, mais aussi par l’objet et le concept utilisé par le corps comme le dessin, le
                    mot, l’habillement. En définitive, par les signes s’instituent la « sphère publique ».

                    3. Altérité de la coprésence et désordre
                    « L’altérité » 11 se caractérise par l’hétérogénéité de « l’individu-sujet » inscrit
                    géographiquement en lieux, c’est-à-dire que les acteurs sociaux agissent dans l’espace
                    en se réappropriant différemment leur propre lieu. En même temps, leurs actions
                    variées peuvent s’inscrire simultanément dans le même espace, d’où la coprésence.
                    De fait, la coprésence se caractérise par « le rassemblement et l’agrégation en un
                    même lieu de réalités sociales distinctes » (Jacques Lévy, 2003, P211). Ainsi, la
                    coprésence dans l’espace public produit l’altérité et la distance, puisque la diversité
                    d’objets distants (matériels, corps, signes) se confronte fortement en « temps réel ».
                    Les interactions sont faibles entre les acteurs coprésents. Par exemple, sur les photos
                    suivantes, au delà de l’espace des marathoniens, d’autres activités spatiales continuent
                    à exister et à se développer en même temps : soit des travailleurs sont en train de faire
                    le déménagement devant le bâtiment ; soit un passant franchit la rue hors du trottoir ;
                    	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
                    11
                      Caractéristique de ce qui est autre, de ce qui est extérieur à un « soi », à une réalité de référence :
                    individu et par extension, groupe, société, chose, lieu. (Jacques Lévy, Michel Lussault, 2003, P58)

                    	
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3
                  12      1. Tommy Leonard se précipite dans la rue
                          lors qu’un équipe de déménagement travaille,
                          le Boston Marathon, 1956
                          2. Un nettoyeur passe par les coureurs lors du
                          London Marathon, 1981
soit un nettoyeur marche3.tout    seul près
                             Un passant       deslamarathoniens.
                                        traverse                      Lors
                                                                    d’un marathon, la
                                                    rue lors du Genève
diversité dans la coprésence  renvoie
                          Marathon     à la spatialité en « pluralisme
                                    en 2012                        » avec des espaces
coexistants. Sans tenir compte de l’imposition du pouvoir des organisateurs, cette
coprésence consiste à reproduire une « micro-liberté », informelle et réelle cependant,
en appartenant ou non à l’espace évènementiel.

Contraire à l’ordre, le désordre ou le chaos est causé soit par des éléments hétéroclites
internes, soit par une perturbation externe de l’ordre existant. Les désordres urbains
dans l’espace public comme la violence, la visibilité de la pauvreté ou la
surpopulation sont foisonnants et compliqués. Aussi le marathon risque de créer du
désordre par sa spatialité. Par exemple, l’épuisement physique des marathoniens en
abandonnant la course, la transgression de l’ordre en traversant la piste des coureurs,
l’environnement saturé par les déchets à l’issue du marathon. Sans pour autant que
les planificateurs produisent l’idéologie urbaine, les individus procèdent au contraire
les pratiques sociales négatives.

	
                                            11	
  
4. L’anecdote antique du nom « marathon » : Phidippidès, un
                                                                                                           46                                                                                                                                   5
                                                                                                                                                                                             messager grec qui aurait couru de Marathon à Athènes pour
                                                                                                                                                                                             annoncer la victoire contre les Perses à l’issue de la bataille
                                                                                                                                                                                             de Marathon lors de la première guerre Médique en -490.
                                                                                                                                                                                             Arrivé à bout de souffle sur l’Aréopage, il y serait mort après
                                                                                                                                                                                             avoir délivré son message.
                                                                                                                                                                                             5. Un marathonien plus âgé abandonne la course lors du
                                                                                                                                                                                             Paris Marathon en 2009
                                                                                                                                                                                             6. Le désordre des déchets lors du Paris Marathon en 2009

                                                                                                                                                                                                                                               12

Conclusion
L’espace public est instrumentalisé par les acteurs afin de produire un système de
« valeur d’échange » : la norme capitaliste, l’ordre spatial, la réputation de la ville,
production marchande. En même temps, du point de vue des individus, les pratiques
sociales dynamisent fondamentalement l’espace public urbain, car ils sont les
protagonistes réels de la scène urbaine. L’exemple du marathon articule les deux
aspects, institutionnels et civils, qui renvoient à un nouveau mode de la production de
l’espace : l’espace humain de la ville. Aujourd’hui, les marathons se déroulent dans
des villes mondiales comme New-York, Boston, Londres, Tokyo, Pékin, etc. Ils
s’intègrent non seulement dans la « vie urbaine » locale, mais mobilisent également
un même esprit urbain et universel : le marathon appartient au Monde ; la ville
appartient aux citoyens. Cependant, dans la société individualisée, l’implication de
l’action politique étatique se renforce. A ce titre, on perçoit que la dialectique entre
l’œuvre et le produit persiste et que la liberté et la créativité semblent se dégrader
dans l’espace public urbain. Pour cela, Henri Lefebvre annonce la révolution urbaine
dans la vie quotidienne : sportive, culturelle, artistique et politique.

	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
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            http://fr.wikipedia.org/wiki/Marathon_(sport)

	
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