Mémoire de DES de médecine générale - Que signifie l'approche par compétence en médecine générale Tanguy Veret septembre 2013

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Mémoire de DES de
   médecine générale

Que signifie l'approche par
 compétence en médecine
         générale
           Tanguy Veret
          septembre 2013

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Table des matières :
Introduction.......................................................................................................................................p.3

I. D'où vient l'approche par compétence ?........................................................................................p.5

1) Pourquoi questionner l'approche par compétence ?.....................................................................p.5

2) La notion de compétence et l'approche par compétence..............................................................p.8

a) La compétence : inné ou acquis ?.................................................................................................p.8
b) Savoir agir via des ressources....................................................................................................p.11
c) Ressource, action située ou processus d'apprentissage..............................................................p.12
d) Animer des processus cognitifs ?...............................................................................................p.16
e) Compétence et qualité................................................................................................................p.18

3)l'approche par compétence : une conception située dans un contexte historique social et politique
….....................................................................................................................................................p.21
a) De l'OCDE au Socle...................................................................................................................p.21
b) Polyvalence et adaptabilité dans l'agir........................................................................................p.24
c) Autonomie et prescription..........................................................................................................p.25

4) Contexte historique et économique du développement de l'approche par compétences...........p.30

a) Entre innovation et surproduction ….........................................................................................p.30
b) Retour sur la notion de compétence rapportée au domaine de son utilisation...........................p.33

5) De la normalisation à la réification............................................................................................p.36

II. Que signifie l'approche par compétence dans l'enseignement et l'apprentissage de la médecine
1) Utilitarisme médical ou éthique médicale..................................................................................p.40

2) Normalisation, réification et désubjectivation...........................................................................p.46

3) Autoritarisme ou création collective..........................................................................................p.50

Conclusion.......................................................................................................................................p.57

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Introduction

        La pédagogie par compétence semble se développer activement dans le domaine de la
médecine générale. Parmi les raisons de ce développement, est souvent évoquée l'idée que les
étudiants devraient être plus acteurs de leur formation qu'ils ne l'étaient jusque là. Je pense que cette
dynamique implique pour un étudiant de travailler le contenu de sa formation mais également sa
forme, ces deux composantes s'influençant réciproquement. Je vais essayer ici de travailler la forme
choisie pour ma formation et donc mener un début de réflexion sur le sens de l'approche par
compétence appliquée au champ de la médecine générale. Qu'implique une pédagogie et une
approche de la médecine basée sur les compétences? Quel impact cela peut-il avoir sur
l'apprentissage puis la pratique du métier de médecin généraliste, de médecin traitant ou de médecin
de famille? Quelles implications cela peut-il avoir sur le rôle que les médecins jouent dans notre
société?

        Je ne vise pas dans ce travail à prôner une vérité sur la pédagogie ou la médecine générale
(le croire serait prétentieux et illusoire) mais simplement à ouvrir une réflexion depuis ma place sur
la pédagogie par compétence appliquée à la médecine générale et sur les questions que cela permet
peut-être de soulever.

        La compétence d'un médecin semble évidemment indispensable à une pratique clinique
quotidienne afin d'améliorer au mieux l'état de santé de ses patients. Mais un médecin compétent
est-il un médecin ayant des compétences? De quelles compétences parle-t-on? Pour faire quoi? Pour
qui? Et avec qui? La résolution urgente des problèmes de santé de nos patients dans un temps réduit
semble nous imposer le pragmatisme de l'apprentissage des techniques (qu'elles soient
relationnelles, instrumentales, organisationnelles, médicamenteuses) permettant de gérer au plus
vite et au mieux ces problèmes de santé. Mais l'émotion que provoque chez nous l'évocation de nos
patients qui souffrent ne nous empêche-t-elle pas de prendre du recul? Et de penser notre métier de
façon systémique, comme un rouage d'une organisation socio-politique donnée et imprégnée d'une
culture ?

       Une réflexion sur l'approche pédagogique d'un métier me semble devoir intégrer les
dimensions historique et socio-politique pour la contextualiser, savoir d'où on part et une dimension
éthique pour situer le cheminement, se positionner. Il serait illusoire de prétendre faire un travail
exhaustif sur la compétence. Je vais donc tenter d'ouvrir la discussion.

        Pour commencer, je vais essayer de contextualiser historiquement l'approche par
compétence dans le mouvement pédagogique qu'elle anime et les réformes pédagogiques qu'elle
suscite depuis principalement 25 ans. A partir de la lecture d'articles et d'ouvrages sur la question,
j'essaierai d'établir quelques repères pour comprendre pourquoi l'approche par compétence a investi
tous les domaines de l'éducation de façon presque mondialisée en l'espace de 40 ans avec une nette
accélération ces 20 dernières années.

        J'essaierai ensuite de comprendre comment l'approche par compétence s'applique dans
l'enseignement de la médecine et les potentielles implications de ce mouvement assez nouveau.
J'essaierai de défricher ces questions à partir d'une bibliographie, de mon expérience d'étudiant, de
jeune soignant, de citoyen usager du système de soins et de santé. La question de la pédagogie en
médecine générale semble interroger d'abord les rapports entre responsables pédagogique-médecins
et étudiants-médecins mais étant donné la place qu'occupe la médecine dans le système de soins et
de santé de notre société, ne devrait-elle pas interroger également les rapports entre médecins et
usagers du système de soin, d'autant plus que l'éducation thérapeutique et la pédagogie intègrent de
plus en plus la pratique médicale ? Une volonté générale semblant actuellement affichée de
promouvoir une démocratie sanitaire, quel rôle la pédagogie en médecine générale peut-elle jouer
dans le développement d'une telle démocratie sanitaire? Que peut signifier le terme de démocratie
                                                   3
sanitaire? Quelle place pour les experts, quelle place pour les patients, quelle place pour les
laboratoires pharmaceutiques, quelle place pour les usagers du système de soin, quelle place pour
les médecins généralistes? Comment appréhender les interactions entre ces groupes? Quelle
pédagogie pour quels échanges, quelles relations, quelle organisation ?
        Comme je l'ai déjà dit, je ne risque pas d'avoir fait le tour de ces questions à la fin de ce
mémoire, mais j'essaierai malgré tout de construire quelques pistes de discussion.

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I. D'où vient l'approche par compétence ?

« Tout ce que je demande est que nous pensions à ce que nous faisons. »
    H. Arendt1

1) Pourquoi questionner l'approche par compétence ?

        L'approche par compétence en tant que pédagogie se développe dans une dynamique
internationale et dans tous les domaines de l'éducation. En médecine générale, la WONCA (World
Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General
Practitioners/Family Physicians) Europe a établi en 2002 un référentiel de compétence pour la
médecine générale, dont il y a eu différentes déclinaisons. D'autres spécialités ont développé leurs
référentiels de compétences dans les années 2000. Le centralisme de l'approche par compétence en
éducation a été formalisée dès 1995 dans le cadre d'une réforme de l'école primaire puis en 2005
avec l'adoption du Socle commun de connaissances et de compétences destiné à cadrer les
programmes du primaire et du collège. Ce dernier s'appuyait sur les « Recommandations du
Parlement européen et du Conseil de l'Europe du 18 décembre 2006 ». Progressivement et en
quelques années, tous les domaines éducatifs et de formation ont du établir des référentiels de
compétences pour mieux définir et mieux évaluer les pratiques professionnelles, pour les améliorer
et les adapter au contexte et à ses évolutions. L'approche par compétence s'étend à la fois dans tous
les domaines et tous les pays, « de la competency-based education and training américaine des
années 1970 (éducation et formation fondées sur la compétence) au Socle commun de
connaissances et de compétences français de 2005, en passant par la méthode DACUM
(Developping A CurriculuM) en Nouvelle-Ecosse, Le Renouveau pédagogique du collégial, du
primaire et du secondaire au Québec à la fin des années 1990, la réforme du primaire en Belgique
(1993-1994) et en Australie (1995), sans oublier les pays du Sud comme le Mexique, la Colombie,
le Chili, l'Argentine, l'Algérie, leTogo...2 »

       Un tel mouvement international dans le domaine de l'éducation et de la formation interroge.
Comment se fait-il que cette approche semble si évidente. Un modèle éducatif peut-il être déduit
logiquement ou s'agit-il toujours de choix reposant sur des valeurs et à orientation politique ?

        Comme le rapporte Normand Baillargeon, professeur en sciences de l'éducation à
l'université du Québec à Montréal, « il existe aussi des concepts qui ne peuvent être clarifiés — et
encore moins univoquement clarifiés — par de seules considérations logiques et empiriques. À
l'évidence, des concepts comme démocratie, liberté, beauté, justice sont de cet ordre. On aura
compris que ces concepts sont les concepts «essentiellement contestés» et que celui d'éducation
appartient à cette catégorie.3 »
        Bien qu'il n'y ait rien d'absolument logique au développement d'un système éducatif, ce
dernier s'intègre néanmoins à une certaine logique en fonction des buts que l'on donne à l'éducation,
du système de valeurs sur lequel il repose. Un système éducatif est donc inscrit dans une culture et
une politique et induit des effets sur l'organisation sociale. Normand Baillargeon poursuit ainsi : « Il
faut surtout éviter de succomber ici à l'illusion relativiste en tirant de ce qui précède la conclusion,
erronée, que toutes les conceptions de l'éducation sont également valables. Ce n'est absolument
pas le cas et toute conception digne de ce nom doit être claire, informée , cohérente à la fois en
1citéedans Normand Baillargeon, La réforme quebécoise de l’éducation : une faillite pédagogique,
2006
2Angélique del Rey, A l'école des compétences, de l'éducation à la fabrique de l'élève performant,

La découverte, Paris, 2010, p.23
3Normand Baillargeon, La réforme quebécoise de l’éducation : une faillite pédagogique, 2006, p.12

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elle-même et avec ce que nous savons par ailleurs, en plus d'être politiquement et humainement
plausible et désirable dans ses fondements, visées et implications.4 »
        La conception de l'éducation que l'on choisit se devrait donc d'être « désirable ». Ce serait ce
caractère désirable du système présenté qui nous pousserait à l'accepter. Nous le trouverions
désirable si nous pensons qu'il va dans le sens que nous donnons ou souhaitons donner à l'éducation.
Ce sens renvoie à la fois à l'orientation politique (au sens organisation de la cité, de la société)
induite par l'éducation et à sa signification dans notre culture, les deux s'influençant respectivement.

        L'éducation, en tant qu'institution ou en tant que pratique, repose sur des valeurs qui sous-
tendent une culture et une politique de l'éducation. Il peut y avoir des conceptions et des pratiques
différentes de l'éducation. Aucune ne va de soi, chacune se discute, mais elles ne sont pas
équivalentes. Elles produisent ou induisent des effets différents et ont des implications culturelles et
politiques différentes.

        Par exemple, faire des écoles de filles et de garçon et apprendre aux filles à coudre n'a pas
les mêmes effets que de faire des écoles mixtes avec des enseignements non déterminés par le
genre. De la même façon, enseigner les sciences humaines ou non en faculté de médecine aura des
implications différentes, à la fois sur la culture médicale des futurs médecins et sur la place qu'ils
vont prendre dans leur pratique dans la société. Enseigner les sciences humaines dans le cadre d'une
année de concours au moyen de cours magistraux en amphithéâtre ou d'un DVD, ou par petits
groupes de travail sur plusieurs années n'induit pas les mêmes choses non plus. Organiser un
enseignement dans le cadre d'une préparation de concours n'inculque pas les mêmes attitudes que
d'autres modalités de validation. Cela détermine également la possibilité de développer plus ou
moins de connaissances, d'habiletés, de capacités, de qualités.

       La finalité et les objectifs que l'on fixe à l'éducation ou à une formation, ainsi que les
supports choisis, la pédagogie utilisée, la docimologie employée sont toujours des choix politiques
influencés par la culture et les intérêts de ceux qui la mettent en place.
       Concernant l'influence culturelle de l'éducation, il me semble important de souligner «que le
concept d'éducation est laudatif, en ce sens qu'il a des « implications normatives » et suppose «
que quelque chose de valable est ou a été intentionnellement transmis ». »5

        Construire un modèle éducatif avec sa pédagogie s'apparenterait donc à construire un
modèle désirable, considéré comme bon et qui influence la culture par l'essence normative de
l'éducation. Si tel est effectivement le cas, il me semble important de réfléchir à ce modèle et à ses
implications pour s'assurer que nous continuons à être d'accord avec ce que nous faisons et ce qui se
met en œuvre dans la société dans laquelle nous sommes partie prenante. Bien que nous devions
nous positionner pour mettre en place la pédagogie choisie, cela n'empêche pas de continuer à
examiner ce qui est fait et à le discuter. Je pense que ces allers-retours entre action et réflexion
doivent se faire de façon critique, en dialogue entre les personnes concernées (quelles que soient
leurs places, étudiants, éducateurs, citoyens), en intégrant les multiples champs de savoir concernés
et les implications sociétales/politiques qui en découlent.

        Noam Chomsky, linguiste et philosophe américain, énonçait une idée similaire à propos de
la responsabilité politique des universités américaines en général, en 1969 : « Une des tâches
primordiales des universités est l'étude de la prise de décisions dans la société américaine et l'étude
du rôle international des Etats-Unis. Bien sûr, on ne peut s'attendre à un grand consensus sur ces
sujets. Mais nous ne devrions pas contribuer à l'illusion que le gouvernement ne fait qu'exprimer la
volonté nationale, formulée de façon indépendante, et qu'il utilise simplement les meilleurs conseils
techniques pour réaliser des objectifs déterminés par des citoyens éclairés. Il s'agit là d'une
dangereuse caricature. Nous devons insister sur le fait que les jugements d'ordre politique et
4Normand        Baillargeon, opus cité, p.13
5Ibid.   p.14
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historique sont vitaux même lorsqu'ils concernent ce qui apparaît comme des questions techniques,
qu'il n'y a pas d'experts qualifiés pour traiter de ces questions générales, et que la politique
publique reflète, dans une très grande mesure, un pouvoir économique qui se trouve entièrement à
l'écart du processus démocratique. Les universités ne doivent pas devenir complices d'une
perversion des idéaux démocratiques ou de la perpétuation de mythes sociaux. Leur fonction, dans
une société libre, est d'agir, autant qu'elles le peuvent, en toute indépendance des puissantes
institutions sociales et de l'idéologie que celles-ci cherchent à imposer. Une fois encore, il s'agit
d'un idéal qui pourrait ne pas être entièrement réalisable, mais nous devons lutter sans répit pour
l'atteindre.6 »

        Ici, Noam Chomsky souligne le rôle politique de l'université en tant qu'institution motrice
dans le développement des savoirs et des savoir-faire rendant possible l'application de telle ou telle
politique. Il met également en lumière les divergences d'intérêt qui existent dans la mise en place de
telle ou telle politique et le danger (dans une visée démocratique) à la monopolisation de différents
leviers de puissance politique. L'université, en tant que levier politique important, devrait selon lui
éviter de répondre directement à un programme politique ou à des intérêts économiques. Elle
devrait donc déterminer sa politique de manière la plus indépendante possible.

        Concernant la faculté de médecine, elle joue un rôle un important dans l'élaboration de
savoirs et de pratiques influençant la politique de santé. Le travail autour de ce qu'est la santé, la
maladie, ses déterminants et les leviers d'action possible devrait se faire de manière la plus
indépendante possible vis à vis des intérêts économiques en lien avec le soin et la santé ainsi que
des politiques de santé. La place des acteurs privés (comme les laboratoires pharmaceutiques) dans
l'enseignement et la recherche médicale pose problème en ce sens qu'elle oriente dans le sens des
intérêts privés à la fois la transmission et l'élaboration de savoirs et pratiques en médecine.

        Il me semble que cette exigence démocratique (si on souhaite une organisation ou un régime
démocratique) s'impose autant pour les orientations des politiques éducatives que sanitaires. Je vais
donc dans la suite de ce travail, essayer de travailler cette question d'éducation et de formation en
discutant ce qu'est et signifie l'approche par compétence et en particulier dans le domaine de la
médecine générale. Ce mouvement pédagogique tend à s'étendre dans tous les pays et tous les
champs d'activité sans que cette orientation n'ait été travaillée de manière démocratique, me semble-
t-il. Ainsi, quand on me demande le sujet de mon mémoire et que je réponds « la pédagogie par
compétence en médecine générale », on me répond à chaque fois : « c'est quoi la pédagogie par
compétence ». Cela donne l'impression d'un courant à tendance hégémonique discrète, qui s'installe
comme si ça allait de soi. Et comme, nous venons de l'évoquer, aucun courant pédagogique ne va
soi, de même que tous ne sont pas équivalents, il convient de comprendre et discuter la pédagogie
par compétence, en abordant la notion de compétence à travers ses différentes acceptions et
contextes d'émergence puis en analysant ce que signifie et peut induire ce courant pédagogique dans
la société et la pratique médicale en particulier.

6Noam   Chomsky, Réflexions sur l'université, raisons d'agir, 2010, p.87
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2) La notion de compétence et l'approche par compétences

       a) La compétence : Inné ou acquis ?

      La notion de compétence a une histoire et n'est pas univoque. Comme l'éducation, la
compétence me semble être un terme essentiellement positif et déterminé par le contexte et le
système de valeur qui le met au jour ou le développe. En effet, comment prétendre être contre la
compétence sans paraître immédiatement suspect ?

        Bien que la pédagogie par compétences soit le vecteur par lequel la notion de compétence a
pris une grande ampleur, et que le sens qui y est relié soit devenu quasiment le seul visible, on peut
retracer différentes émergences et développements de la notion de compétence.

        Il semble que la notion de compétence émergea en linguistique avec les deux auteurs que
son Noam Chomsky et Dell Hathaway Hymes. Pour Chomsky, la compétence linguistique serait
une caractéristique innée permettant l'apprentissage des langues. Hymes, a développé en réaction à
l'idée de Chomsky la notion de compétence de communication qui correspond à ce qu'on apprend
pour pouvoir communiquer et qui intègre l'aspect grammatical et lexical (concerné par la
compétence de Chomsky) ainsi qu'un aspect sociolinguistique, de dialogue et de stratégie pour
maintenir la communication malgré les interférences. Cette compétence serait adaptative et
contextualisée, ses caractéristiques étant socialement déterminées. Voici comment Jean-Paul
Bronckart, professeur en psychologie et sciences de l'éducation à Genève, retranscrit l'opposition :
« Chomsky a introduit la notion de compétence linguistique au début des années 60, dans le cadre
de son opposition célèbre entre compétence et performance. Pour cet auteur, l’extrême rapidité de
l’acquisition par l’enfant des principales structures linguistiques ne peut s’expliquer en termes
d’apprentissage et de renforcement ; cette rapidité témoigne, selon lui, de ce que tout humain
dispose d’une capacité innée lui permettant d’acquérir n’importe quelle langue, et de produire des
phrases correctes ou grammaticales dans toute langue ; et c’est cette disposition innée qu’il a
qualifiée de compétence.7 »
« Hymes a ainsi fait subir au concept chomskyen une importante distorsion : telle qu’il la définit, la
compétence n’est plus innée ; c’est une capacité adaptative et contextualisée, dont le
développement requiert un apprentissage, et donc des interventions formatives.8 »

        Bien qu'il ne soit pas question du débat linguistique ici, les deux conceptions de
l'apprentissage du langage ne me semblent pas incompatibles. D'après Chomsky, il existerait une
capacité humaine inné d'apprendre la grammaire et le vocabulaire d'une langue. Cette capacité
permettrait d'apprendre les bases structurelles d'une langue. Avec les bases grammaticales (qui sont
propres à la langue apprise et donc à ses racines culturelles et sociales), se poursuit l'apprentissage
des règles de communication (sociolinguistiques), de la possibilité de dialoguer et de maintenir la
communication. La compétence de Chomsky serait ce qui permet d'acquérir les outils pour ensuite
apprendre les autres compétences/savoir-faire situés culturellement. Autant, les deux processus dans
l'apprentissage seraient peut-être compatibles, autant, l'utilisation du mot compétence pour parler
d'une capacité innée ou d'une capacité acquise par l'imprégnation et l'apprentissage culturel est
source de confusion. Du moins, ce n'est pas de la même compétence que l'on parle. La divergence
me semble résider au niveau de la conception de l'apprentissage et la place des « interventions
7Jean-Paul Bronckart, La notion de compétence est-elle pertinente en éducation ?, l'école
démocratique, 17 novembre 2009
8Ibid.

                                          8
formatives ». S'agit-il de la transmission, qui peut être plus ou moins formalisée, d'interactions
spontanées à une éducation formalisée ? Et qu'est-ce qui permet chez l'individu supposé vierge ou
naïf d'intégrer ce qui est transmis ? Est-ce cela que voulait évoquer Chomsky ?

        Après la compétence issue de travaux scientifiques en linguistique, Jean-Paul Bronckart
présente une autre approche de la compétence venant de travaux menés dans le cadre de la
formation professionnelle. Que ce soit pour avoir une meilleure idée du « travail réel » par rapport
au « travail prescrit9 », dans une optique d'évaluation des compétences pour déterminer
l'employabilité ou pour la formation de compétences professionnelles, la compétence reçoit plutôt
« une définition opérationnelle (...), en la considérant comme un rapport du sujet aux situations de
travail, et en évitant en particulier de la réduire à une simple caractéristique innée de la
personne. Dans cette perspective, la compétence peut être définie comme ce qui explique la
performance observée en décrivant l’organisation des connaissances construites dans et pour le
travail. »10

         La compétence n'est alors plus une caractéristique de la personne, qu'elle soit innée ou
acquise mais une caractéristique émergeant dans et par le travail dans un cadre collectif et situé. Il
s'agit ici d'un construit social par la pratique d'un travail.
Jean-Paul Bronckart différencie ensuite ces différentes approches :
« Remarquons d’abord que notre examen des deux origines (linguistique et milieu de travail) de la
notion de compétence a mis en évidence deux mouvements d’orientation contraire ; l’un allant des
propriétés du sujet vers l’adaptation au milieu, l’autre allant des exigences du milieu aux capacités
requises des sujets. Dans les approches scientifiques, les compétences sont d’abord définies comme
des propriétés innées, absolues ou indépendantes de tout contexte concret (cf. Chomsky) ; puis elles
s’étendent aux capacités requises pour acquérir la maîtrise de pratiques sociales ; capacités qui
doivent s’ajuster à la réalité des formes de communication ou d’activité en usage dans un groupe et
dont le développement requiert dès lors la médiation sociale et l’apprentissage. Dans les approches
issues des milieux du travail, on part de l’analyse des tâches, on évalue l’efficacité et l’adéquation
des performances d’individus confrontés à ces tâches, puis on en déduit les compétences qui
seraient requises d’eux pour que les performances soient plus satisfaisantes, sans trop se
préoccuper du caractère inné ou acquis des dites compétences.11 »

         De la façon dont Jean-Paul Bronckart expose les différentes conceptions de la compétence,
leur point commun reste l'adaptation au milieu (de travail, social, intégration plus facile à la société
telle qu'elle s'organise). Et dans toutes les conceptions sauf celle de Chomsky, elle a une finalité, la
performance, l'efficacité. La caractéristique de la compétence vers laquelle convergeraient ces
définitions serait la capacité à s'adapter au cadre dans lequel on se trouve pour résoudre des
problèmes et des tâches (imposées par le cadre, quel qu'il soit).

        J'aimerais revenir sur l'opposition faite entre caractéristique innée ou acquise et la façon dont
sont qualifiées les compétences comme « propriétés innées, absolues ou indépendantes de tout
contexte concret (cf. Chomsky) »12 Cela ne me semble pas tout à fait vrai. Cela pose la question de
l'inné. L'inné serait indépendant de tout contexte concret. Si on prend le terme dans son sens
étymologique, cela voudrait dire que ce qui est inné est ce qui est là (in : à l'intérieur, chez l'individu
en question, ou l'espèce s'il s'agit d'une caractéristique partagée par toute l'espèce) au moment de la
9Ibid.
10Samurçay    & Pastré, 1995, p. 15, cité par Jean-Paul Bronckart, opus cité
11Jean-Paul   Bronckart, opus cité
12Ibid.

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naissance. Si on prend ce point de départ (la naissance) pour l'inné, ce qui se passe pendant la
grossesse pour l'être humain en formation participe à ce qui sera considéré comme inné, incluant
tous les facteurs extérieurs (alimentation, environnement sonore, vibrations, toxiques...). Si on
décide de partir de la fécondation pour dire que l'être vivant se développe ensuite avec ses
caractéristiques innées et ce qu'il puise dans son environnement, incluant le milieu maternel (bien
que le fonctionnement se fasse en symbiose pendant la grossesse et la séparation de l'embryon puis
fœtus se fait progressivement avec la constitution de la « barrière placentaire »), ce sont alors les
caractéristiques qu'a l’œuf qui constituent l'inné. Cela correspondrait donc principalement à la
génétique des gamètes impliquées, bien qu'il puisse y avoir des signaux extérieurs pendant la
fécondation qui pourraient l'influencer. Et la génétique des gamètes n'est-elle pas influencée par un
contexte concret ? L'impact du temps (l'âge), les irradiations, autres expositions physiques ou
expositions chimiques (circonstances concrètes) peuvent impacter l'inné d'un individu futur.

        Indépendamment de ces facteurs extérieurs concrets pouvant influencer l'inné d'un individu,
qu'en est-il de l'inné partagé par les individus d'une espèce ? En comparant l'ontogenèse (« stricto
sensu le développement d'un individu13 ») et la phylogenèse (le développement et l'évolution des
espèces), on remarque des similitudes frappante. Le développement embryologique d'un être
humain semble retracer (schématiquement et de manière propre à l'espèce humaine ainsi qu'à
l'individu en question) des étapes de l'évolution des espèces qui ont précédé l'émergence de l'espèce
humaine. Selon E. Haeckel, biologiste et philosophe allemand, « L'ontogenèse est une
récapitulation courte et rapide de la phylogenèse ou développement du phylum auquel il
[l'individu] appartient. »14

       Les caractéristiques innées d'une espèce seraient donc très probablement liées à l'histoire des
espèces. Et pour reprendre l'exemple de la compétence linguistique innée de Chomsky, peut-être
dépend-elle de l'évolution des espèces et de l'espèce humaine, de son histoire et de l'apparition du
langage et sa perpétuation en lien avec le développement du cerveau et l'histoire des sociétés
humaines. Ces dispositions innées semblant a priori abstraites, « absolues et indépendantes de tout
contexte concret » seraient en fait le fruit d'une histoire très concrète des espèces, de l'espèce
humaine, des sociétés humaines.

        Essayons de conjuguer les différentes approches vues jusque là de la notion de compétence
et de celle de l'apprentissage sous-jacente. Un individu pourrait apprendre par la conjonction de
différents éléments. D'abord une capacité innée (fruit de l'histoire de l'évolution) lui permettrait
d'apprendre les codes de base opérant dans l'environnement culturel où il se développe. Ensuite, être
dans un contexte donné avec d'autres et agir dans ce contexte (culturel et collectif, au travail ou
dans un autre milieu) lui permettrait d'acquérir des capacités d'action. Mais peut-être aussi des
connaissances et des attitudes, diverses qualités émergeant des actions et interactions, de
transmission formelle ou par imprégnation.

        Dans la perspective d'une action éducative, la dimension de l'apprentissage qui nous
intéresserait pragmatiquement serait celle sur laquelle nous pourrions intervenir. Ce n'est donc pas
la transmission génétique via l'histoire de l'évolution des espèces, mais plutôt la transmission
sociale et culturelle qui se fait notamment via l'action éducative/formative. Comme vu
précédemment, l'action éducative, par ce qu'elle transmet ou permet de se transmettre, a un impact
sur l'organisation sociale et cette dernière a un impact sur les apprentissages qui sont fait en son
sein. L'éducation comme institution culturelle essentielle serait au cœur d'une boucle de rétro-
influences réciproques entre les apprentissages des individus et des groupes et l'organisation
socioculturelle dans une société.
13Frédéric   Bargy, Sylvie Baudoin, individus et espèces, de l'ontogenèse à la phylogenèse, ellipses,
2005
14E.Haeckel, 1866, d'après F. Müller, 1864, Loi biogénétique fondamentale, cité par Frédéric Bargy,

Sylvie Baudoin, opus cité
                                                 10
Toutes ces approches semblent apporter une meilleure compréhension du phénomène
d'apprentissage mais ne permettent pas de s'accorder sur une place consensuelle de la compétence
dans ce processus. Essayons d'explorer plus avant d'autres conceptions de la compétence, ce qu'elles
apportent à la notion et à son utilisation potentielle.

       b) Savoir-agir via des ressources

        Pour Claude Levy-Leboyer, docteur de psychologie, de lettres et sciences humaines, ainsi
que consultant ces dernières années dans le domaine de la formation professionnelle et des
compétences, ces dernières sont « la mise en œuvre intégrée d'aptitudes, de traits de personnalité et
aussi de connaissances acquises, pour mener à bien une mission complexe dans le cadre de
l'entreprise qui en a chargé l'individu, et dans l'esprit de ses stratégies et de sa culture.15 »

        On voit que cette définition de la compétence se situe dans le cadre de l'entreprise, ce qui
rejoint l'idée vue plus haut d'une compétence située dans le rapport du sujet aux situations de
travail. L'entreprise est ici la prescriptrice de missions qui nécessitent des compétences pour être
remplies. Les missions devant être réalisées nécessitant des compétences, il faut prescrire ces
compétences au travailleur de l'entreprise. En l’occurrence, il faut qu'il acquière et sache combiner
de façon appropriée des connaissances, des aptitudes, et des traits de personnalité. D'autres auteurs
évoquent des savoir, des savoir-faire et des savoir-être. La compétence est ainsi présentée comme la
capacité à combiner de façon complexe connaissances, aptitudes et traits de personnalité adaptés et
de façon adaptée aux missions à remplir. Ce qui m'interpelle est que l'on prescrive par le biais des
compétences des traits de personnalité. Il me semblait que les traits de la personnalité d'une
personne étaient des éléments intimes, constitutifs de la personne voire participant à la définir
comme personne (bien que ce ne soit pas suffisant). Si tant est que l'on puisse définir une personne.
Je devrais peut-être plutôt dire la décrire car définir une personne me semble contribuer à figer
ladite personne. Et c'est ce qui apparaît dans cette définition de la compétence. Pour remplir une
mission définie par une entreprise (ou un cadre professionnel, comme en médecine par exemple), il
faudrait avoir certains traits de personnalité. Il s'agirait de prescrire sa personnalité à une personne.
Mais, nous le verrons plus loin, dans d'autres définitions et dans l'utilisation de l'approche par
compétence, on acquiert différentes compétences en fonction de l'évolution de l'environnement
professionnel. On pourrait ainsi être amené à devoir combiner certains traits de personnalité pour un
travail dans un contexte puis d'autres dans un autre, ce qui reviendrait à ne pas avoir de traits de
personnalité propres. A ce stade, il me semble qu'il s'agisse plutôt de traits de personnalité prescrits
par ses missions et son cadre de travail, donc normalisés par professions. Peut-être est-ce que je
comprends mal le concept mais il me semble que c'est ce qui est signifié dans cette définition.

        Revenons à l'idée de mise en œuvre d'une combinatoire de savoir, savoir-faire, savoir-être
qui semble être l'élément central constituant la compétence. Nico Hirtt, enseignant en physiques et
mathématiques et auteurs de divers ouvrage sur l'école, analyse ainsi cette caractéristique spécifique
de la compétence : « La «capacité de mobiliser des ressources en vue de la réalisation d’une
tâche» y est en effet entendue comme une capacité indépendante des savoirs, des savoir-faire et
des attitudes qui constituent ces ressources. Ainsi, pour Guy Le Boterf16, « la compétence ne réside
pas dans les ressources (connaissances, capacités,…) à mobiliser, mais dans la mobilisation même
de ces ressources. La compétence est de l’ordre du “savoir mobiliser” » [Le Boterf 1994]. Si nous
15Claude Levy-Leboyer cité par Jean-Paul Bronckart, opus cité
16«longue expérience en ingénierie des ressources humaines, en formation et en management dans
de très nombreuses entreprises et organisation », docteur en lettres et sciences humaines, en
sociologie, licencié en sciences économiques et en psychologie et détenteur d'un DES en
philosophie, d'après son blog http://www.guyleboterf-conseil.com/itinprof.htm
                                                11
comprenons bien — et pour autant qu’il y ait quelque chose à comprendre dans cette idée
saugrenue —, selon les penseurs de l’APC [Approche Par Compétences], il existerait dans le
cerveau humain une espèce de potentiel de résolution de problèmes mathématiques qui serait
indépendant de la nature et de la maîtrise des outils mathématiques à mettre en œuvre; il existerait
une sorte de capacité d’analyser un document historique qui ne dépendrait pas de notre
connaissance de l’histoire; il existerait des capacités de communication verbale et écrite, mais
néanmoins indépendantes du langage... Il s’agit clairement d’une vision purement idéaliste de la
compétence. »17

        Dire que « la compétence ne réside pas dans le ressources » veut-il dire qu'elle en est
« indépendante » ? Cette distinction serait-elle similaire à celle faite entre la compétence de
Chomsky et Hymes ? Il ne me semble pas. Entre Chomsky et Hymes, on pouvait comprendre la
compétence de Chomsky comme ce qui permet d'acquérir le code de base (lui-même situé et
dépendant d'une culture) qui permet d'acquérir les autres éléments qui constituent la compétence de
communication de Hymes (dont le code). Ici, la capacité à mobiliser des ressources ne « réside »
pas dans ces dernières. Est-ce que ce seraient les ressources qui résideraient dans la compétence ? A
priori non, sinon cela voudrait dire qu'elles dépendraient strictement de la compétence dans laquelle
elle serait située, or elles peuvent être mobilisées de différentes façons. Que serait « savoir
mobiliser » ? Dans cette conception de la compétence, j'aurais tendance à penser que pour être
compétent, il faut être capable de mobiliser des « ressources » en les associant de manière
appropriée à la « tâche » à remplir. Il s'agirait donc d'une capacité à mobiliser et mettre en lien des
« ressources » (connaissances, attitudes, aptitudes, dont on a du malgré tout prendre possession ou
qu'on a du acquérir pour pouvoir les mobiliser, sinon elles resteraient hors de portée) en fonction
d'une tâche. Cela m'amène à deux principales réflexions. D'abord, ce « savoir mobiliser » me
semble être une capacité comme une autre, ou plutôt une capacité particulière, comme d'autres
capacités particulières, sauf que dans l'approche par compétence, on l'érige comme la capacité, celle
qui a plus de valeur que les autres, ou est censée les dominer, les assujettir. Ce qui m'amène à ma
deuxième réflexion. La compétence telle que définie par Le Boterf ne serait-elle pas la capacité à
subordonner son action à une tâche (prescrite par un autre) ? Ou pour le dire autrement la capacité
d'adaptation à un contexte particulier pour réaliser une tâche donnée de la façon la plus performante
en utilisant des connaissances, aptitudes et attitudes à cette fin. Et que signifierait ériger cette
capacité par le terme mélioratif de compétence à la place de celle devant déterminer l'acquisition
des autres capacités, ainsi que des connaissances et des attitudes ?

         c) Ressource, action située ou processus d'apprentissage

         Jean-Paul Bronckart distingue, après avoir examiné un certain nombre de définitions de la
compétence, deux types d'approche : celle dans laquelle « l’accent est porté sur ce qui est requis
pour réaliser une activité donnée, c’est-à-dire sur les ressources dont disposeraient les travailleurs
ou les apprenants : ressources identifiables en synchronie et consistant en un répertoire pré-
structuré de comportements, de connaissances, de savoir-faire, de schèmes, etc. » et celle dans
laquelle « l’existence des ressources personnelles n’est pas niée, mais la compétence est située
dans le processus même de leur mise en œuvre, c’est-à-dire dans l’actualisation des ressources
en situation. Dans cette optique, la compétence se manifeste dans l’activité située et consiste elle-
même en un acte : elle désigne le processus par lequel les ressources, en même temps qu’elles sont
sollicitées, sont réorganisées en fonction des caractéristiques et des exigences particulières d’une
situation d’action. Ainsi définie, la compétence est une dimension de l’action, ou ne se manifeste

17Nico Hirtt, L'approche par compétence, une mystification pédagogique, l'école démocratique n°
39, septembre 2009, p.18
                                              12
que comme processus au cours de l’action.18 »
        Il adhère au deuxième type de définition car de nombreuses recherches ainsi que celles qu'il
mène « dans trois situations de travail (une usine, un hôpital et un institut de formation
d’enseignants), montrent clairement que les techniques, les habiletés et les ressources que mettent
en œuvre les travailleurs différent nettement en fonction de la nature des tâches à accomplir, ainsi
que des conditions générales de travail dans leur entreprise. Ces recherches montrent en d’autres
termes que les compétences sont toujours situées, liées à une techné socio-historique déterminée et
au cadre global de sa mise en œuvre, et en conséquence qu’elles ne présentent nullement un
caractère « méta » ou transversal.19 » Il constate dans ses recherche que le travail est toujours situé
et décide d'adhérer à l'idée que la réalisation de ce travail situé correspond à la compétence.

        La compétence n'est donc pour lui pas un « savoir mobiliser » (plutôt de l'ordre de la
ressource) mais l'action située dans laquelle se mettent en œuvre les ressources et leur adaptation à
la situation. On apprend également ici que Guy Le Boterf soutient cette même approche de la
compétence : « La compétence n’est pas un état ou une connaissance possédée. Elle ne se réduit ni
à un savoir ni à un savoir-faire […] L’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier
[…] est révélateur du “passage“ à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action. Elle ne lui
préexiste pas […] Il n’y a de compétence que de compétence en acte […] La compétence ne réside
pas dans les ressources (connaissances, capacités…) à mobiliser mais dans la mobilisation même
de ces ressources […] Le concept de compétence désigne une réalité dynamique, un processus,
davantage qu’un état. »20 Dans la citation que j'avais analysée précédemment (issue du même
texte), Guy Le Boterf disait dans deux phrases juxtaposées que « la compétence (…) réside (…)
dans la mobilisation même [des] ressources » et qu'elle « est de l’ordre du “savoir mobiliser” ».
Elle serait donc à la fois ressource et « processus » de mise en action de l'ensemble des ressources
nécessaires à la réalisation d'une action située. Pourquoi attribuer au même mot la qualité de
ressource et de processus d'utilisation des ressources ?

      Voyons comment Jean-Paul Bronckart se réapproprie et développe à son tour l'idée de
compétence :
« Dans cette perspective, le domaine des compétences concerne les régulations par lesquelles les
ressources des acteurs sont ajustées aux propriétés du contenu et des conditions de leur action,
ou encore, le processus de compétence réside dans la mise en interface dynamique entre ces deux
ordres de propriétés. Ce processus implique certes la mobilisation des ressources propres, mais
cette mobilisation n’est qu’un aspect secondaire d’un mécanisme plus global consistant à
réorganiser en permanence trois types de rapports : - le rapport de l’acteur à sa situation d’action,
qui évolue en fonction des contraintes se manifestant dans la réalisation même de sa tâche ; - le
rapport de l’acteur aux « autres », en tant que sources d’évaluation de l’activité en cours ; - le
rapport de l’acteur à lui-même, qui évolue en fonction des évaluations sociales dont il est l’objet.
Dans cette perspective, dès lors qu’il est admis que les connaissances, savoir-faire, schèmes, etc.,
se construisent dans l’action (comme le montre l’œuvre de Piaget), ces ressources devraient
conserver des traces des situations d’action dans le cadre desquelles elles ont été construites. Et le
processus de compétence aurait trait alors à la capacité, dans une nouvelle situation d’action, de
retrouver et d’exploiter ces traces praxéologiques que les ressources conservent des situations
antérieures qui les ont engendrées.21 »

18Jean-Paul  Bronckart, La notion de compétence est-elle pertinente en éducation ?, l'école
démocratique, 17 novembre 2009
19Jean-Paul Bronckart, opus cité
20Le Boterf, 1994, pp. 16-18, cité par Jean-Paul Bronckart, opus cité
21Jean-Paul Bronckart, opus cité

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