RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne

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RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
REVUE DE PRESSE

 RIMINI PROTOKOLL
(STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER)
       Nachlass

    Du 14.09 au 24.09 2016
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
PRESSE ÉCRITE

« Nachlass » réinvente notre dernier acte
Le Monde, Olivia Barron| 21.04.2016

« À Vidy, en ouverture de la saison, Nachlass - Pièces sans personnes repoussera
encore une fois les limites du théâtre.»
Rimini Protokoll scrute la société dans son intimité
24heures, Gérald Cordonnier | 02.08.2016

Pour voir Genève autrement
Le Courrier, Corinne Jaquiéry | 02.09.2016

Stefan Kaegi, maître du jeu de piste théâtral
Le Temps, Alexandre Demidoff | 04.09.2016

L’incroyable faiseur de théâtre qui passe de la ville à la mort
Le Matin Dimanche, Jean-Jacques Roth | 04.09.2016

Dramatiser l’absence
La Liberté, Elisabeth Haas | 10.09.2016

« À Vidy, parler de la mort est très vivant. »
Au Théâtre de Vidy, on rêve sa mort à plusieurs
Le Temps, Marie-Pierre Genecand | 15.09.2016

« C’est d’un pas mélancolique mais léger que nous quittons le parcours. »
La vie suivante sera-t-elle meilleure ?
Neue Bürcher Zeitung, Andreas Klaüi | 16.09.2016

« Ce travail est pertinent, réalisé avec beaucoup d’intelligence, un théâtre du réel
qui nous plonge dans l’universel. »
Nachlass - éternelle humanité
Carnet d’art, Kristina D’Agostin | 16.09.2016

« C’est émouvant, très troublant, mais pas triste. Plutôt revigorant, et parfois
même presque joyeux. »
L’héritage magnifique de Stefan Kaegi à vidy
L’Hebdo, Mireille Descombes | 20.09.2016
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
« Encore une fois, le théâtre documentaire et interactif développé par Rimini
Protokoll vise juste. »
Les mausolées de Rimini Protokoll émeuvent à Vidy
24heures, Gérald Cordonier | 23.09.2016

« Nachlass propose un cosmos élargi où les deux faces de la même médaille
continuent de communiquer. »
Nachlass, Stefan Kaegi & Dominique Huber / Rimini Protokoll
Ma Culture, Nicolas Garnier | 24.09.2016

Nachlass
Le Gazette des Festivals, Marie Sorbier | 26.09.2016

L’année 2016 en spectacles: nos coups de coeur
Le Temps, M.-P. Genecand & A. Demidoff | 29.12.2016

RADIO

Le collectif Rimini Protokoll propose une pièce de théâtre sans acteurs
RTS - InterCités | 13.09.2016

Rimini Prtokoll: Nachlass Organisierte Botschaft an die Nachwelt
Deutschlandradio, Anke Schaefer | 14.09.2016

Stefan Kaegi boulverse les codes au Festival de la Bâtie
RTS 19:30 | 17.09.2016

Nachlass - Pièces sans personnes
RadioEins | 19.07.2017

TÉLÉVISION

Stefan Kaegi bouleverse les codes au Festival de la Bâtie
RTS - le 19:30 | 17.09.2016

FESTIVAL PROGRAMME COMMUN 2017
PRESSE ÉCRITE

Nachlass, de la vie dans la mort
Sceneweb, Christophe Candoni | 01.04 .2017

Nachlass - Pièces sans personnes : ce qui survivra
Théâtoile, Sonia Bos-Jucquin | 02.04.2017
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
EN TOURNÉE
« C’est à un récit sans vie mais non sans âme que se livrent Stefan Kaegi et
Dominic Huber dans nachlass. »
Nachlass, un spectacle autour de la mort choisie
Les Inrocks, Hervé Pons | 18.10.2016

« Le théâtre peut être voyage vers l’au-delà. »
La chronique de Fabienne Pascaud
Télérama, Halka | 19.10.2016

« Cette magnifique installation est une œuvre de philosophie sensible, si
philosopher c’est apprendre à mourir. »
«Bientôt, je ne serai plus là» : apprendre à mourir avec Rimini Protokoll
Le Nouvel Observateur, Claire Richard | 24.10.2016

Vivre sa mort
Mouvement.net, Alice Ramond | 26.10.2016

Was vom leben bleibt
Züritipp, Eva Hediger | 03.11.2016

Rimini Protokoll stösst uns an die Schwelle des Todes
Tages-Anzeiger, Alexandra Kedves | 09.11.2016

«L’envie était de travailler sur la trace laissée après la mort»
Libération, Eve Beauvallet | 13.01.2017

Naast de dood staat het leven
Theaterkrant, Moos van den Broek | 08.02.2017

Nachlass - Pièces sans personnes
Les Inrocks, Hervé Pons et Patrick Sourd | 18.05.2017

Eintauchen in die Vergangenheit
Rimini-Protokoll zeigt „Nachlass“ im Gropius-Bau
Berliner Zeitung, Doris Meierhenrich | 3.07.2017

Realtime Clipping
Ana Tacuh | 23.09.2018

Realtime Clipping
Dragana Boskovic | 23.09.2018

Kultura
Rekvijem za L. | 24.09.2018
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
L’Agendart : une photographe américaine, du théâtre allemand et un artiste tchèque
MAZE.FR, Chloe Braz-Vieira, Caroline Fauvel et Phane Montet | 28.10.2018

La Chronique de Fabienne Pascaud
Télérama, Fabienne Pascaud | 21.10.2018

La Chronique de Fabienne Pascaud
Télérama, Fabienne Pascaud | 31.10.2018

Terrible et magnifique, le théâtre métaphysique de Stefan Kaegi et Dominic Huber
TELERAMA.FR, Fabienne Pascaud | 4.11.2018

Nachlass, de la vie dans la mort
Sceneweb.fr, Christophe Candoni | 6.11.2018

Nachlass, de la vie dans la mort
Sceneweb.fr, Christophe Candoni | 6.11.2018

Nachlass,
Télérama sortir, F.P. | 7.11.2018

Nachlass, pièces sans personnes, de Stefan Kaegi et Dominic Huber - Rimini Protokoll
Les Inrocks.com, Hervé Pons | 7.11.2018

Nachlass, pièces sans personnes, de Stefan Kaegi et Dominic Huber - Rimini Protokoll
Les Inrocks.com, Hervé Pons | 7.11.2018

Nachlass : la vie derrière soi
Les échos weekend, Vincent Nouquet | 8.11.2018

Nachlass : la vie derrière soi
Les échos weekend, Vincent Nouquet | 8.11.2018

Nachlass
Mouvement, Alice Ramond | 8.11.2018

Immersion port-mortem-à propos de Nachlass de Rimini Protokoll
AOC.MEDIA, Cécile Dutheil de la Rochère | 9.11.2018

Nachlass, pièce sans personnes, au MC93
La Galerie du spectacle.fr, Ervina Kotolloshi | 10.11.2018

Nachlass, pièce sans personnes, au MC93
La Galerie du spectacle.fr, Ervina Kotolloshi | 10.11.2018
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
Nachlass, Pièce Sans Personnes
L’Artichaut Magazine, Bertrand Brie | 12.11.2018

«Nachlass, Pièce Sans Personnes», Rimini Protokoll questionne l’héritage à la MC93
Sortir à Paris | 13.11.2018

Théâtre-installation. Les chambres de la mémoire, à Bobigny
Le Monde.FR, Fabienne Darge | 16.11.2018

Une absence très présente
Revue AS, Mahtab Maziouman | février 2019
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
21 avril 2016

     « Nachlass » réinvente notre dernier acte
21 avril 2016, par Olivia Barron

Le théâtre peut-il se jouer de la mort et du temps ? C'est la question dont s'est saisi le
collectif berlinois Rimini Protokoll qui construit actuellement à Lausanne une
performance avec huit personnes mourantes. Nachlass* donne la parole à un groupe
de français et de suisses, jeunes ou moins jeunes, qui n’assisteront peut-être pas au
soir de la première. Loin de tout attrait morbide, Rimini Protokoll interroge cette
disparition, jouant avec les traces laissées par ces êtres, memento mori bien vivant.
Photographies, vidéos, enregistrements et objets chers aux protagonistes viendront
donner corps à cette sonate des spectres, jetant le trouble chez les vivants. Un
bâtiment, huit chambres, aucune présence humaine, tel est le mémorial intime conçu
par le scénographe Dominic Huber. Une pièce sans acteurs en somme, proche de
l’installation d’art contemporain. Ce n'est évidemment pas un hasard si cette création
voit le jour en Suisse, pays pionnier en terme de recherche et de gestion médicale de
la mort, autorisant l’assistance au suicide, encore interdite en France. Juste avant sa
création au Théâtre de Vidy-Lausanne, à la rentrée prochaine, puis sa venue en
France, nous avons rencontré le metteur en scène Stefan Kaegi autour de ce projet,
fruit d’un long travail débuté il y a deux ans.

Photographie de Walter Schels. Inspirations pour Nachlass

Deadline, l’un de vos précédents spectacles, abordait déjà la question de la mort par
le biais de son industrie. Qu’est-ce qui a suscité un regain d’intérêt pour cette
thématique si sensible ?
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
Stefan Kaegi, D.R

                           Stefan Kaegi : Aujourd’hui, il faut planifier jusqu’à sa mort.
                           Les centres funéraires sont submergés de demandes pour
                           des rituels laïques toujours plus inventifs. Tout est
                           scénarisé, anticipé, que ce soit pour la dispersion des
                           cendres ou le choix des cercueils, rappelant l’univers de la
                           série télévisée « Six Feet Under ». Malgré cette volonté de
                           maitrise absolue, le scandale de la mort demeure,
                           incontrôlable. Plus que la mort en soi, c’est cette tendance
                           à la rationalisation qui nous a interpellé. A la différence de
                           Deadline, où nous donnions la parole à des experts,
médecins légistes ou directeurs de crématorium, Nachlass s’est construit avec des
personnes directement confrontées à leur mort prochaine. Ce qui nous intéressait,
c’était d’investir l’ensemble des lettres, œuvres, documents, qui dessinent le corpus
de leur existence, bien loin des questions d’héritage. Capter des fragments de vie,
explorer leurs désirs pour les offrir plus tard au public, quand ces êtres auront peut-
être disparu. L’une des protagonistes, une française venue en Suisse pour bénéficier
de l’assistance au suicide, aurait aimé devenir chanteuse. Toute sa vie secrétaire dans
une entreprise automobile, elle n’a pu réaliser ce voeu. Pour ce spectacle posthume,
elle a enregistré une chanson qui sera diffusée au cours de la performance, et nous a
confié avoir ainsi réalisé son rêve ! Elle est décédée juste une semaine après
l’enregistrement.

Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll

Pourquoi avoir choisi la Suisse comme terrain d'observation?

Stefan Kaegi : Observer la mort en Suisse, c’est un peu comme faire un voyage vers le
futur, les avancées technologiques sont stupéfiantes. Plus qu’ailleurs, on s’applique à
avoir raison de la mort, on accélère ou on retarde sa venue. Peu de pays permette une
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
telle approche, et c’est pour cela que nous en avons fait le point de départ de
Nachlass. A Genève, les instituts de recherche visent au prolongement de l’espérance

de vie au-delà de 130 ans, alors qu’elle est déjà de 82 ans en Suisse, bien plus
qu’ailleurs. Le Human Brain Project s’emploie à l’analyse détaillée du cerveau
humain, explorant les lacunes de notre mémoire, défaillante au long cours alors que
nous vivons toujours plus vieux. En parallèle, il est désormais possible de décider de
sa propre mort grâce aux organismes d’assistance au suicide telles Exit ou Dignitas.
Dans Nachlass, deux de nos protagonistes y ont eu recours, dont une française. Elle
nous a longuement parlé du sentiment d’injustice qu’elle avait ressentie dans son
pays, celui de ne pouvoir partir dignement, mais aussi légalement. La Suisse
expérimente des projets avant-gardistes dont on discute actuellement dans toute l'
Europe. Je crois que l’économie de nos nations n’est pas faite pour forcer les gens à
vivre plus longtemps qu’ils ne le désirent.

Le thème de Nachlass est particulièrement éprouvant, voire dérangeant. Comment
êtes-vous parvenu à trouver la bonne distance ?

Stefan Kaegi : La mort n’est pas forcement triste. C’est un phénomène tragique mais
naturel, que la société refoule. Nous avons parfois beaucoup ri, comme avec Mme B.,
qui nous a confié être de toute façon trop vieille pour pleurer ! Elle n’a d’ailleurs plus
de larmes ! Les personnes en fin de vie ont un vif désir de témoigner, contrairement à
leur entourage, souvent très peiné. Nous avons partagé de très jolis moments avec
cette suissesse de 94 ans, longtemps ouvrière dans une usine de réveils, elle
travaillait dans le temps donc. Logiquement, nous avons discuté de l’éphémère, de la
photographie, qu’elle a pratiquée toute sa vie, de l’image qui perd son signifiant une
fois l’artiste disparu. Ses clichés forment un saisissant portrait de la classe ouvrière
suisse, dont on ignore à quel point elle était très pauvre. Nous avons également
travaillé avec un genevois de 40 ans, qui sait qu’il ne verra probablement pas grandir
sa fille de 14 ans. Pour Nachlass, nous avons réalisé une série d’enregistrements qui
le montre bien vivant, à la pêche ou ailleurs. C’est l’image qu’il veut que l’on garde de
lui, loin des ravages de la maladie. Enfin, il y a aussi cette avocate suisse, très âgée,
qui a décidé de se suicider dans trois ans. D’ici-là, elle souhaite dépenser tout son
argent en le distribuant à des personnes de son choix car elle n’a aucune confiance en
l’Etat !
RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll

L’espace est un acteur central de vos performances. Quel dispositif avez-vous
imaginé ici ?

Stefan Kaegi : Avec Nachlass, qui est une pièce sans acteurs, nous souhaitons créer
une expérience immersive. Le public se déplacera en petits groupes à travers les huit
chambres, toutes donnant sur une salle d’attente. Dans chacune, il découvrira des
objets, traces, meubles ou odeurs appartenant aux protagonistes, chargés de
souvenirs heureux ou douloureux. Il y aura des documents, témoignages audio et
autres messages directement adressés au public. La voix du mort décidera d’ailleurs
de la position adoptée par ce dernier, créant un jeu de connivence. La non-présence
se laissera-t-elle représenter ? C’est ce que nous découvrirons ! Au-delà des
témoignages personnels, Nachlass interroge des thèmes comme la médecine du futur,
la mémoire, l’héritage immatériel. Je pense que le public s’interrogera aussi sur sa
propre mort, sur la manière dont il souhaite organiser son départ, en miroir.
Aujourd’hui, les cimetières témoignent souvent moins de la vie d’un défunt qu’un
simple site web ou qu'un compte Facebook. L'espace de la mort est devenu étrange.
Premières esquisses pour la scénographie de Nachlass

Première en Septembre 2016 au Théâtre de Vidy-Lausanne, Suisse- Tournée prévue
en France à Annecy, Dijon et Strasbourg.

Nachlass : Mot allemand se composant de « nach » ( après) et du verbe « lassen »
(laisser). « Nachlass » correspond à l’ensemble des biens matériels et immatériels
laissés par un défunt. Dans un sens plus spécifique, notamment dans la recherche ,
« Nachlass » désigne la totalité des archives ( lettres, œuvres, documents…) qui
étaient en possession d’une personne ou le corpus qu’elle a construit.
A propos du spectacle:

                                                                    Nachlass
                                                                    R IMINI PR O TO KO LL
                                                                    (STEFAN KAE GI /DOMIN IC HU BER )
Mardi 2 août 2016

   Rimini Protokoll scrute la société dans son
                    intimité
Perform ance: A Nyon, le collectif germ ano-suisse qui a révolutionné le théâtre
docum entaire invite l’Europe dans les salons d’habitants de La Côte. A Vidy, il
im m ergera le public dans 8 cham bres m ortuaires.

                                                           La performance participative «Europe:
                                                           visite à domicile» invite le public dans le
                                                           salon d’un spectateur. Autour de la
                                                           même table, les participants sont
                                                           encouragés à parler de leur rapport au
                                                           Vieux-Continent.
                                                           Image: DR

En quelques années, Rimini Protokoll est devenu un label. Gage de qualité mais, surtout, promesse
de performances qui réinventent le rapport du spectateur au spectacle, qui émancipent le théâtre de
ses carcans fictionnels, qui transforment l’agora en installation ludique ou en jeu de piste
participatif. Au travers de créations qui n’hésitent pas à mélanger bidouillages technologiques,
dispositifs scénographiques ingénieux et jeux de rôle immersifs sans comédiens, le collectif
berlinois – qui compte dans ses rangs le Soleurois Stefan Kaegi, Grand Prix suisse de théâtre et
Anneau Hans-Reinhart 2015 – a réussi à réinventer le théâtre documentaire et son lien à la réalité.
Mais aussi à renouveler sa fonction politique en questionnant sa dimension sociale et artistique.

Rimini Protokoll fait du monde son terrain de jeu. On l’a vu, en 2015, avec Situation Rooms. Dans
cette création coproduite par le Théâtre de Vidy, les artistes germano-suisses invitaient le public à
une déambulation (physique et virtuelle) dans l’univers des armes aux quatre coins du monde.
Guidé par des tablettes tactiles et baladé dans une reconstitution minutieusement réaliste, le
spectateur épousait les points de vue successifs de protagonistes plus ou moins liés au commerce de
la guerre, du médecin du front au narco-trafiquant, de l’industriel en armement au soldat en
embuscade. Avec Airport Kids, quelques années auparavant, Stefan Kaegi faisait monter sur scène
des enfants d’employés de multinationales pour questionner une génération de «nomades
globalisés». Avec Remote X, visite guidée adaptée à chaque ville où la performance se joue, le
collectif télécommande un groupe de marcheurs, casques audio sur les oreilles, à travers un espace
urbain réinventé qui brouille le vrai et le faux. Cette balade sera reprise dans le quartier genevois des
Libellules, lors du prochain Fesitval de la Bâtie.
Rimini Protokoll montre les multiples facettes du réel et fait de l’humain sa matière première. En
transformant le spectateur en «expert du quotidien», en recomposant ses projets à partir de
problématiques sociétales et systémiques ou en faisant du théâtre un outil de communication. Au
Festival des arts vivants (far°), à Nyon dès le 11 août, Europe: visite à domicile invitera, par exemple,
une quinzaine de personnes à se rencontrer chez un habitant de La Côte. Autour de la table et au gré
des interactions régies par un animateur et un boîtier électronique. Ce dernier nourrit les échanges
de questions, les participants racontent leurs rapports au Vieux-Continent ou à leur communauté,
professionnels, personnels, familiaux… Un échange d’expériences qui finit par tisser un réseau
citoyen «européen», par-delà les frontières géographiques.

«L’Europe apparaît, souvent, comme une grosse machine bureaucratique. On ne voit d’elle que ce
que les politiciens veulent bien nous montrer et, au final, les débats ou les négociations qui se
nouent à Bruxelles restent totalement abstraits pour la majorité de la population. Ceux-ci
concernent, pourtant, notre quotidien», explique Stefan Kaegi. Avec cette performance, le discours
sur l’Europe s’immisce dans l’intimité des foyers. «A chaque fois que nous avons ouvert de telles
tables de discussion (ndlr: plus de 400 fois depuis la création de la performance, en mai 2015 à
Berlin), nous découvrons à quel point les personnes sont, en fait, beaucoup plus connectées à
l’Europe que ce que certains nationalistes veulent bien nous laisser croire. Cette prise de conscience
ne laisse jamais le public indifférent.» Comme souvent chez Rimini Protokoll, chaque
représentation vient, ensuite, alimenter une base de données statistiques qui dessine les contours
d’une «sculpture sociale», prolongation sociologique d’une proposition avant tout artistique.

Confidences sur la mort
A Vidy, en ouverture de la saison, Nach-lass - Pièces sans personnes repoussera encore une fois les
limites du théâtre. Et invitera le public à un autre genre d’expérience sensible. Avec son
scénographe Dominic Huber, Stefan Kaegi a imaginé un dispositif composé de huit chambres
funéraires. Huit mausolées, témoignages qui documentent et spatialisent, avec une manie poussée
du détail et des moyens multimédias, les confidences de huit personnes plus ou moins jeunes,
concernées par la mort ou la question de l’héritage laissé aux vivants. Celles d’un amateur de
wingsuit, celles d’un médecin spécialiste de la démence, celles d’une malade incurable, etc.
«Nachlass est une tentative de témoigner non pas de la mort mais du chemin que chaque être devra
tôt ou tard emprunter.» (24 heures)

Par Gérald Cordonier
Le vendredi 2 septembre 2016

CULTURE : SCÈNE
Festival de la Bâtie

               Pour voir Genève autrement
Corinne Jaquiéry

Dans les projets Remote, le public est invité à «jouer» avec les villes.
MIKE VONOTKOV

Avec Remote Libellules, un projet phare initié par Stefan Kaegi et Rimini Protokoll,
les spectateurs du Festival de la Bâtie déambulent et redécouvrent la ville sous
l’injonction d’une voix artificielle.

Grand prix suisse du théâtre en 2015, le Soleurois Stefan Kaegi travaille le plus
souvent en trio, avec Rimini Protokoll, qui interroge ludiquement les systèmes et la
démocratie. Pour la Bâtie, il propose dès samedi une balade en banlieue, à l’invitation
de la Biennale des Libellules. Interview.

Pourquoi Rimini Protokoll?

Le protocole ou les règles du jeu du réel nous interrogent. Le protocole documentaire,
la transcription du réel, est aussi quelque chose qui nous intéresse. Quant à Rimini,
c’est une ville qui ne me fait pas rêver, mais le fait que Fellini y soit né et qu’il ait
réinventé sa réalité dans ses films nous a plu.

Vous avez exploré une trentaine de villes en Europe et dans le monde avec Remote.
Quelle est la spécificité de Genève?

Ce n’est pas Remote Genève, mais Remote Libellules. Il s’agissait de porter un autre
regard sur ce quartier récemment rénové, mais qui conserve une mauvaise réputation
et semble être un endroit problématique pour Genève. Avec Remote Libellules –
«remote» signifiant télécommande, téléguidage – le trajet emprunté par les
spectateurs, «la horde» montre que c’est un quartier très vivant, rustique par certains
endroits et très vert. Ce qui est également spécifique à Genève, c’est que la voix
artificielle qui donne les indications aux spectateurs et la même que celle indiquant
les arrêts dans les bus genevois. Une manière d’entremêler encore plus fiction et
réalité. Apparemment, Genève a déjà commencé à se «remoter».

Quel impact désireriez-vous avoir sur le public?

Nous aimerions qu’ils jouent avec la ville et qu’ils en découvrent les différentes
scénographies. Mais ce qui est au cœur du projet, c’est de questionner la prévisibilité
des comportements humains et notre manière d’accepter les aides artificielles qui
nous facilitent la vie, tout en la guidant et la contraignant également. Au temps du
Pokémon Go, il y a de plus en plus de logiciels qui mettent en scène notre réel. Une
réalité augmentée à interroger.

Que dit la voix?

Simplement de danser comme dans une flash mob, de s’arrêter, de bouger les bras,
peut-être même de conduire. Avant tout, elle incite à observer, à s’asseoir à certains
endroits et à regarder la ville comme une mise en scène. Une prise de conscience que
nos vies sont de plus en plus mises en scène en suivant des protocoles de
comportements, des pictogrammes, des processus de communication. C’est la vie...

Vous impliquez beaucoup les spectateurs dans vos projets. Pourquoi?

Nous proposons, mais ils disposent. En comparaison avec le théâtre classique où ils
sont coincés dans un espace fermé, nos spectacles sont très ouverts et offrent des
espaces de liberté. Les gens dansent ou pas, c’est à eux de suivre ou non les
instructions. Ce n’est pas la réalité totalitaire qu’avait décrite Georges Orwell. En
revanche, certaines personnes sont séduites par ces protocoles de comportements et
y évoluent sans se poser de questions. C’est leur choix.

Nachlass est votre prochaine création à découvrir au Théâtre de Vidy, à Lausanne. A
travers des installations, elle évoque la mort et l’héritage qu’on laisse ou que l’on veut
laisser selon certains protocoles ou rituels. Pourquoi cet intérêt prononcé pour la
mort qui apparaît dans plusieurs de vos créations?

C’est particulier d’être en Suisse romande avec deux créations qui se suivent. Mais
c’est vrai qu’il y a une certaine continuité entre les deux projets. Ainsi, on partira du
cimetière de Châtelaine à Genève. Dans la forme, en revanche, les deux projets sont
très différents. Remote Libellules est de l’ordre de la science-fiction alors que
Nachlass est un projet très documentaire et documenté. Avec de vraies personnes,
pas des personnes artificielles, qui nous ont confié des objets et se sont exprimées
sur leur vie et leurs désirs à travers des vidéos notamment. Dans les deux cas, on
parle de l’absence. A une ou plusieurs voix. Dans Nachlass, huit protagonistes
donnent des instructions au public. En Suisse, la mort est anticipée, mise en scène et
analysée avec une précision presque sans pareil, mais elle reste toujours aussi
difficile à appréhender.

Vous avez reçu le Grand Prix Suisse du Théâtre en 2015, qu’est-ce que cela signifie
pour vous?

J’étais très content, mais j’aurais aimé le recevoir avec mon groupe, car notre travail
collectif n’est pas le fait de génies singuliers. Néanmoins, c’est important pour la
scène suisse qu’il y ait eu cette reconnaissance d’une forme de travail non
conventionnel. Pas seulement pour nous, mais pour tous ceux qui sont à la recherche
de nouveaux formats et de nouveaux échanges avec la société, dans une forme d’art
conceptuel et contemporain. Ce qui serait bien aussi, c’est que ce genre de prix soit
donné à des artistes plus jeunes, n’ayant pas autant de possibilités de créations que
j’en ai moi actuellement.

Genève, Cimetière de la Châtelaine, Remote Libellules, deux heures de balade, du 3
au 17 septembre, www.batie.ch.

Nachlass au Théâtre de Vidy du 14 au 24 septembre, www.vidy.ch
A propos du spectacle:

                                                                       Nachlass
                                                                       R IMINI PR O TO KO LL
                                                                       (STEFAN KAE GI /DOMIN IC HU BER )
Dimanche 4 septembre 2016

  Stefan Kaegi, maître du jeu de piste théâtral
                                                                       A l’affiche de La Bâtie,
                                                                       l’artiste suisse invite à une
                                                                       déam bulation fascinante à
                                                                       travers Genève. Il signe
                                                                       aussi «Nachlass – pièces
                                                                       sans personnes», à Vidy
                                                                       dès le 14 septem bre.
                                                                       Filature

Un spectacle dont vous êtes le fantôme, mais oui. C’est ce que l’artiste d’origine soleuroise Stefan
Kaegi propose depuis ce week-end au festival de La Bâtie. Comme à Lausanne, à Moscou, à Santiago
du Chili ou à Zurich, ce quadragénaire au visage racé invite à une traversée urbaine, deux heures de
transport, à pied et en bus.

Signe distinctif ? On porte un casque audio et on obéit à une voix féminine, tout ce qu’il y a de plus
artificielle, tout ce qu’il y a de plus bienveillante. Cette promenade en groupe s’intitule Remote
Libellule – du nom du quartier d’où elle part. Elle fait de vous un corps flottant dans la ville. L’enjeu?
Confronter le spectateur à l’omnipotence de la machine, ce logiciel qui décide pour vous d’un
itinéraire par exemple ou encore ces algorithmes qui devancent vos désirs.

Le parfum de Giselle à Châtelaine

Le ciel est à l’orage et il brûle. On est au cimetière de Châtelaine, à un quart d’heure à vélo du
centre-ville. C’est là que Stefan Kaegi fixe rendez-vous au public – pas plus de cinquante personnes.
Cet après-midi, il accompagne le groupe, chemise florale trendy, un crayon à la main. Cette
déambulation vaut comme test – avant de l’ouvrir aux festivaliers. Dans l’oreille, votre hôtesse se
présente: elle officiera comme ange gardien.

«Cherchez une tombe juste pour vous.» On choisit une croix sans pierre où batifolent des roses
pâles. Quelque part au cœur de ce dédale repose la danseuse étoile Carlotta Grisi, qui fut la première
Giselle, enflamma l’écrivain Théophile Gautier et s’éteignit à Genève en 1899. Mais foin de
romantisme. La petite troupe que vous formez est une horde. C’est votre escorte vocale qui l’affirme.
Elle invite à présent à tourner le dos aux morts et à fondre sur les Libellules.

Une agence de voyage sensoriel

Le théâtre de Stefan Kaegi est à sa façon perçante une agence de voyage. Il y a huit ans, il
magnétisait le Théâtre de Vidy: sur les planches, des retraités amoureux des chemins de fer faisaient
circuler des trains miniatures au milieu d’une Helvétie de carte postale. Le spectacle s’appelait
Mnemopark, il était sophistiqué et enfantin: vaches, rivières, montagnes, une certaine Suisse
déferlait en clichés. Plus tard, à Vidy encore, il mettait en scène des adolescents, fils d’expatriés
étudiant à Lausanne. Leurs rêves mêlés formaient la trame d’Airport kids.

Que cherche-t-il? Tout tient peut-être, comme il le suggère après Remote Libellule, dans la
polysémie du nom de son collectif, Rimini Protokoll, qu’il cofonde en Allemagne dans les années
1990, avec deux copains, Helgard Haug et Daniel Wetzel. D’un côté, il interroge nos conduites –
ainsi Remote. De l’autre, il documente des usages intimes. C’est ce qu’il s’apprête à faire à Vidy, dès
le 14 septembre, avec Nachlass – pièces sans personne. On y découvre huit chambres, autant de
sanctuaires personnels conçus par des personnalités que la mort menace, qu’elles soient gravement
malades ou âgées. «Ce qui m’intéresse dans ce cas, c’est comment on laisse des traces, comment on
organise un futur dont on sera absent, comment on transmet une vision de soi.»

Mais voilà que vous sortez d’un tunnel graffé de partout, toujours en horde. La voix ordonne de se
rassembler dans une allée bitumée étroite et de faire la course. «Attendez mon signal! Go.»
L’humeur est soudain olympique. Deux ados jaugent votre foulée. Plus tard, sur une place, votre
visiteuse, toujours exquise, demandera de regarder défiler les badauds: «Admirez ces acteurs.
Applaudissez-les à présent.» Dans la foule, des têtes pivotent et un aveugle s’arrête, déboussolé.

«Provoquer le hasard fait partie de mon métier»

De son métier, Stefan Kaegi dit qu’il consiste à provoquer le hasard. «Le théâtre que je fais implique
la représentation et l’entertainment, mais pas la répétition. J’y suis allergique. J’aime l’aléatoire,
l’accident qui modifie l’ordonnance prévue. J’aime aussi stimuler les cerveaux.»

Stefan Kaegi observe le monde de biais, scientifique et joueur à la fois. Il faut le voir suivre sa horde,
le front alpestre, la taille élancée: l’esprit est assorti à l’élégance souple qui le distingue. Adolescent
à Soleure, il s’imaginait se consacrer à la physique des particules. Puis le journalisme l’a pris à
16 ans. Le plaisir d’écrire sur tout, un trafic de drogues, un spectacle. «Mais j’étais mécontent du
résultat, j’avais envie de découvrir des choses dans l’espace urbain, d’organiser ces explorations. J’ai
été boy-scout, ça marque.»

L’art est alors une clé, la possibilité d’un trouble, d’une révélation dans le meilleur des cas. Il étudie
à la F&F Schule für Kunst und Design à Zurich. «Mais on ne débattait pas assez à mon goût. Alors je
suis parti à Giessen en Allemagne me former à la scène.» Puis il y aura Berlin, les premiers pas
remarqués de Rimini Protokoll, un plaisir d’inventer des systèmes qui désaxent le spectateur,
l’obligent à reconsidérer ses usages.

«Et bien, dansez maintenant!»

La horde débouche à présent sur une petite place. Non, on ne vous dira pas où c’est. La voix exige
que vous dansiez, oui là, en face d’un glacier et de sa poignée de clients attablés. Alors vous vous
exécutez, vous valsez et vous vous sentez comme un revenant: tout paraît familier et nouveau à la
fois. Stefan Kaegi nage dans les rivières dès qu’il peut. «C’est très suisse, je crois.» Il rêve aussi
souvent qu’il vole, non pas comme un oiseau, mais en pelote. Ses spectacles sont des courants. Ils
troublent l’ordre intérieur et vous transportent vers des rivages inattendus. Remote Libellule agit
ainsi: il ne fait pas de vous un voyeur mais un voyant.

Remote Libellules, Cimetière de Châtelaine (départ du parcours), jusqu’au 17 sept.; rens.
www.batie.ch;
Nachlass-pièces sans personnes, Théâtre de Vidy, du 14 au 24 sept.; rens. www.vidy.ch

Alexandre Demidoff
A propos du spectacle:

                                                         Nachlass
                                                         R IMINI PR O TO KO LL
                                                         (ST EFAN KAEGI/DO MIN IC HU BER )

Dimanche 4 septembre 2016

L’incroyable faiseur de théâtre qui passe de la
                 ville à la mort
Rimini Protokoll Aujourd’hui adulé, le Suisse Stefan Kaegi multiplie les
spectacles «expérientiels». A Genève, il fait parcourir le bitume. A Vidy, il
confronte le public à des personnes proches de la mort.

Dans la fabuleuse moisson de metteurs en scène alémaniques, à côté de Christoph
Marthaler ou du jeune Milo Rau, Stefan Kaegi est le troisième homme. On ne compte plus
les «spectacles» de ce Soleurois de 44 ans et des complices qui travaillent avec lui sous
l’étiquette du collectif «Rimini Protokoll», fondé en 2002. Le magazine l’a désigné parmi les
dix personnalités théâtrales les plus importantes de sa génération. Une pluie de distinctions
a confirmé ce statut.

Pendant une première période, Kaegi a surtout mis en scène des «experts du quotidien»:
des vraies gens, pas comédiens pour un sou, partageant leur expérience professionnelle ou
leur savoir-faire. Ce furent par exemple deux routiers bulgares transportant des spectateurs
à l’arrière de leur camion. Ou, plus célèbres, quatre retraités bâlois passionnés de
maquettes de train électrique faisant tourner un extraordinaire circuit qui reconstituait la
Suisse miniature à l’échelle 1: 87 dans «Mnemopark», en 2005.

Ce spectacle a fait la renommée de «Rimini Protokoll», avant que Stefan Kaegi, avec le
scénographe Nicolas Huber, oblique vers un théâtre plus immersif. Le spectateur est
désormais invité à vivre une expérience plutôt qu’à contempler un produit fini. Il y a deux
ans, le public romand pouvait ainsi participer à «Situation Rooms», fabuleux jeu de piste à
l’intérieur d’un décor sophistiqué, où chaque participant endosse les rôles des différents
protagonistes de la guerre. Du marchand d’armes à l’infirmière, du soldat blessé au
diplomate.

Maître de ce théâtre documentaire qui joint une grande précision des faits à un exceptionnel
pouvoir de le mettre en scène, Stefan Kaegi a reçu l’a dernier le Grand prix suisse du théâtre.
La chance est double, donc, d’entrer dans son univers puisqu’il est présent deux fois en
Suisse romande en cette rentrée. A Genève, le Festival de la Bâtie reprend «Remote», un
parcours à travers la ville qui a déjà été monté dans une trentaine de métropoles. Et à
Lausanne, le Théâtre de Vidy crée «Nachlass», qu’on peut traduire par «Héritage», ou
«Legs», dans lequel le public est placé face à la vie de huit personnes qui, pour une raison
ou une autre, ont choisi de préparer leur départ. Deux sont décédées depuis la préparation
du spectacle. Rencontre.
Dans «Nachlass», votre nouvelle création, vous faites parler des gens proches
de la mort. Comment les avez-vous trouvés?

On a commencé il y a deux ans et demi. On a d’abord cherché des gens intéressés à parler
de ce qu’il va rester d’eux. Ces personnes sont soit malades, soit très âgées, soit elles vivent
de manière risquée, comme cet homme adepte du wingsuit. Nous avons notamment
entendu beaucoup de femmes âgées qui ont survécu à un cancer, et qui ont manifestement
un grand besoin d’en parler. J’ai vu d’abord beaucoup d’aumôniers, d’infirmières. La
démarche n’avait rien de macabre. Les gens ont souvent de la peine à parler de la mort avec
leur famille ou leurs proches. Beaucoup m’ont dit: «Mourir, c'est facile. C’est pour les
autres que c’est difficile.» Donc on répugne à organiser les choses. C’était très beau de
travailler avec ces gens. Emouvant aussi, bien sûr. Mais après tout, la mort est quelque
chose de naturel. Il ne s’agit pas des victimes d’une guerre civile. C’est la vie. On parle
beaucoup de la naissance aujourd’hui, mais très peu de la mort. On a aussi beaucoup ri. La
mort, ce n’est pas triste pour tout le monde.

Vous avez été confronté à des manières très différentes d’envisager le départ?

Oui. Il y a des gens très impatients. Dans deux cas, j’ai choisi des personnes qui vivent à
l’étranger et ont planifié leur mort en Suisse. Il y a aussi un Turc de Suisse, nous avons
voyagé à Istanbul ensemble, il était plein d’humour. Il a presque essayé le cercueil dans
lequel son corps sera transporté en Turquie, il a visité l’endroit où il sera lavé. Il m’a dit
qu’un musulman peut être content de mourir s’il a bien vécu. Il n’était absolument pas
mélancolique. Pour un autre, le père d’une fille de 13 ans atteint d’une maladie très grave,
c’est autre chose. Il aime la vie et n’a aucune envie de mourir.

Avez-vous été surpris par ce que les gens voulaient montrer de leur vie?

Une femme savait exactement ce qu’elle voulait, elle vend tous ses biens pour une
fondation en faveur de l’Afrique. Nous avons rencontré un neurologue, dont le legs est de
transmettre son savoir à la génération future. Ce ne sont pas des histoires de vie, mais des
manières de préparer son départ. Certaines personnes sont venues à nous, d’autres ont été
sollicitées. Des gens ont renoncé, je pense à une avocate de la région, une misanthrope
comme je n’en ai jamais connu. On voulait vraiment avoir son histoire. Mais elle était trop
misanthrope même pour participer à ce projet! Il était important qu’il y ait la religion, ainsi
qu’une personne qui ne soit pas chrétienne. Nous n’avons pas cherché la représentativité,
mais nous voulions une certaine diversité.

Le théâtre d’immersion que vous pratiquez, c’est pour émouvoir, pour
provoquer une prise de conscience?

Autrefois j’étais journaliste, et ce qui me manquait, c’était de communiquer autre chose que
les chiffres et les faits. Le théâtre, l’expérience du temps et de l’espace peuvent créer une
expérience qui va plus directement aux émotions. J’aime trouver des formes de
communication immédiate.
«Remote», que vous présentez à Genève, c’est le projet que vous avez le plus
montré?

Oui, avec «100% ville», qui réunit chaque fois cent habitants représentatifs de la
composition sociologique et démographique de la ville. L’un et l’autre ont été joués dans
environ 30 villes, mais c’est chaque fois un nouveau projet. Pour «Remote Libellules» à
Genève, j’ai fait les repérages, trouvé les espaces. J’adore faire ce travail.

Qu’est-ce qui vous a amené vers cette forme de théâtre «expérientiel »?

Cela a beaucoup à voir avec ce qui se passe dans les arts numériques ou dans les médias qui
deviennent de plus en plus interactifs. Quand je vais au théâtre, après 15 ou 20 minutes je
commence à somnoler car la position assise signifie, pour mon corps, que je veux dormir.
Alors je dors cinq minutes, après quoi je peux revenir dans la pièce. C’est vraiment parce
que j’ai l’habitude d’être interactif – pas avec l’ordinateur, mais de manière naturelle!

Comment choisissez-vous les thèmes que vous transformez en théâtre?

Je montre des choses que je trouve intéressantes moi-même, issues de la réalité que nous
vivons. Cela peut être des gens, comme dans «Nachlass». Cela peut être la Conférence sur
le climat, comme je l’ai fait à Hambourg. Et je m’intéresse beaucoup à construire des
espaces, comme avec «Remote» (le spectacle présenté à Genève, ndlr), où je définis un trajet
par lequel je conduis des gens dans une ville. Le théâtre, ce n’est pas l’art pour l’art. C’est
un moyen de communication. Je n’aime pas les espaces fermés où on se retire pour créer.

Vous travaillez sur plusieurs projets à la fois?

Oui, certains projets s’élaborent sur le long terme. Je suis en train de préparer un projet sur
les services secrets, pour lequel on travaille avec des montres connectées. Et je songe à un
projet sur les grands chantiers, sur les gens qui y travaillent. Vous savez, c’est un privilège,
dans le monde actuel, d’avoir des gens qui nous donnent 90 minutes d’attention, qui
éteignent leur téléphone portable. C’est une bonne occasion pour se concentrer sur des
choses complexes. Bien sûr, on n’explique pas le monde en 90!minutes, mais grâce à cette
expérience, les gens peuvent gagner en confiance et avoir envie d’aborder des choses un peu
compliquées, ou qui font peur.

Le projet «Nachlass» a-t-il modifié votre propre relation à la mort?

Ce que je laisse, c’est mon théâtre. C’est fait! En revanche, je n’ai pas encore rempli les
directives anticipées. Je vais m’y mettre.

Jean-Jacques Roth
34                                                                                                                                                                                      SAMEDI 10 SEPTEMBRE 2016

                                        L’homme de théâtre Stefan Kaegi crée Nachlass,
                                        spectacle déambulatoire sur ce qui reste après la mort

                                        DRAMATISER
                                        L’ABSENCE
K ELISABETH HAAS

Vidy-Lausanne L Stefan Kaegi
continue de dérouter les habi-
tudes du spectateurs. Sa nouvelle
création, à voir au Théâtre de
Vidy, se définit par l’absence d’ac-
teurs. Pour le lauréat 2015 du
Grand Prix suisse du théâtre,
l’Anneau Hans-Reinhart, évo-
quer la mort implique une dispa-
rition de facto des témoins. Lui qui,
avec le collectif Rimini Protokoll,
s’est illustré dans des formes de
théâtre documentaire, a invité
des passionnés de modèles réduits
de train sur scène (Mnemopark),
pousse la logique jusqu’au bout:
une fois que les gens ont disparu,
que reste-t-il d’eux? Une fois
morts, qu’aimerions-nous laisser
de notre passage?
  C’est le propos de Nachlass de
s’interroger sur cette survivance,
dans les objets, les souvenirs et la
mémoire. Il fallait que les témoins
sortent de la mise en scène pour
prendre la mesure de leur dispa-
rition et de leur héritage. Le dis-                                                                                                                                                Les seules
positif mis en place sera ouvert                                                                                                                                                   personnes
dès mercredi. En attendant, la                                                                                                                                                     actives dans
visite se fait avec Stefan Kaegi lui-                                                                                                                                              les «pièces»
même, entre les techniciens et le                                                                                                                                                  de Nachlass,
scénographe Dominic Huber, qui                                                                                                                                                     ce sont les
peaufinent les derniers détails,                                                                                                                                                   spectateurs.
règlent l’ouverture et la fermeture                                                                                                                                                Les témoins,
automatiques des portes, le lan-                                                                                                                                                   eux, ne sont
cement synchronisé des bandes-                                                                                                                                                     plus là, mais
son, des images et des lumières:                                                                                                                                                   des mises en
à les voir concentrés sur des tables                                                                                                                                               scène de ce
de mixage et des logiciels sophis-                                                                                                                                                 qu’ils ont envie
tiqués, on devine que l’absence de                                                                                                                                                 de laisser
comédiens ne rend pas la pièce                                                                                                                                                     d’eux-mêmes
plus simple à monter.                                                                                                                                                              après leur
                                                                                                                                                                                   mort.
                                                                                                                                                                                   Dominic Huber

«Que signifient
les photos si on
n’est plus là pour
les regarder?»
                        Stefan Kaegi

  C’est dans une sorte de salle
d’attente que huit spectateurs
tous les quarts d’heure sont invi-
tés à entrer. Sanctuaire? Mauso-
lée? Morgue? Des horloges numé-         tance au suicide en Suisse. Elle        souscrit une assurance pour sa        fouler le tapis: un émigré musul-          Reste que la notion d’héritage
riques au-dessus des huit portes        aurait aimé être actrice mais était     femme et sa fille. Dans cette autre   man évoque sa dépouille qui sera         pose des questions vastes.
déroulent le temps qui passe: «La       devenue secrétaire. On l’entendra       chambre à coucher, Stefan Kaegi       rapatriée à Istanbul. Et enfin, là,      Ethiques notamment: Stefan
matière de mon travail, c’est le        chanter une chanson.» Voilà une         raconte le souci d’un papa, qui       dans la blancheur d’un labora-           Kaegi dit être frappé par l’argent
temps», rappelle Stefan Kaegi.          façon de réaliser un rêve au-delà       s’apprête à voir son corps, son       toire, des écouteurs attendent,          qu’un pays comme la Suisse inves-
Derrière chacune des huit portes:       de la Grande Faucheuse.                 visage déformés, et son envie de      comme si le spectateur allait par-       tit dans la médecine et la prolon-
une mise en scène qui a été ré-           Ailleurs, des photos sur une table    laisser à sa fille adolescente une    ticiper à une recherche scienti-         gation de la vie: «A-t-on le droit de
fléchie avec les huit témoins en        ronde, une nappe et une tapisserie      image positive, qui ne soit pas       fique. Encore une nouvelle facette       vivre longtemps? Y a-t-il un devoir
fin de vie ou confrontés à la mort      défraîchies, des objets désuets sur     marquée par la maladie: il est        du legs: celui du chercheur en           de rester en vie?» Politiques aussi:
que Stefan Kaegi a rencontrés ces       une étagère décatie: «Qu’est-ce         pêcheur, il y a des hameçons dans     neurologie dont les travaux se-          «Comment justifier qu’une mino-
deux dernières années. C’est            que les photos signifient quand on      sa table de nuit.                     ront poursuivis. Et qui doit lui-        rité de personnes qui détiennent
ainsi qu’il faut comprendre le          n’est plus là pour les regarder?»,        Même pour un ancien banquier,       même se confronter à la démence          quasiment toutes les richesses du
sous-titre du spectacle déambu-         pose Stefan Kaegi. En aparté, il        dont on peut voir le bureau de        qu’il n’a cessé d’étudier.               monde les laissent à leurs héri-
latoire, Pièces sans personnes: il      explique avoir rencontré des té-        conseiller, l’héritage ne se résume                                            tiers? La question de l’héritage est
s’agit de pièces au sens de lieu        moins qui regardent la mort en          pas à la fortune, n’est pas que       Une question scandaleuse                 potentiellement propice au scan-
comme au sens théâtral.                 face, plutôt ravis de se raconter au    matériel. Comme pour cette an-        Le théâtre de Stefan Kaegi promet        dale, à des conf lits sociaux»,
                                        soir de leur vie: «Je crois qu’il y a   cienne diplomate, qui n’a cessé de    donc de bousculer. Mais même s’il        avance l’homme de théâtre.
Elle voulait être actrice               un vrai besoin de parler de ce qui      vivre dans les cartons (ils s’amon-   dramatise l’absence, il n’en fait          Au plan personnel, il reconnaît
On peut s’asseoir sur deux ran-         reste de soi après la mort.»            cellent, remplis de son vécu, dans    pas des «pièces» tristes. Aucun          sa responsabilité vis-à-vis des
gées de sièges devant un rideau                                                 une pièce impersonnelle): ce qui      pathos, pas de souffrance dans           personnes qui se sont confiées à
de scène, qui placent le décor dans     Prière de se déchausser                 ne l’empêche pas de tout faire        Nachlass. Les manipulations que          lui. Mais c’est le spectateur qu’il
un minuscule théâtre privé, «un         Troisième «pièce», l’homme est          pour que son argent aille à une       le public est invité à faire, la forme   invite à faire son cheminement
théâtre post mortem», corrige           encore jeune, mais il prend des         association de soutien à des ar-      du spectacle déambulatoire, la           dans les «pièces» et à réfléchir à
Stefan Kaegi: «C’était une Fran-        risques en pratiquant le wingsuit.      tistes africains plutôt qu’au fisc.   liberté de quitter chaque «pièce»        son propre legs. L
çaise qui voulait mourir avec           Il a vu des gens mourir autour de         Dans cette autre salle, prière      quand bon lui semble ont même            F Du 14 au 24 septembre, Théâtre
l’aide d’une organisation d’assis-      lui, a côtoyé la mort de près, il a     d’enlever ses chaussures pour         un aspect ludique.                       de Vidy, Lausanne. www.vidy.ch
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