RIMINI PROTOKOLL (STEFAN KAEGI/DOMINIC HUBER) - Nachlass - Théâtre Vidy-Lausanne
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PRESSE ÉCRITE « Nachlass » réinvente notre dernier acte Le Monde, Olivia Barron| 21.04.2016 « À Vidy, en ouverture de la saison, Nachlass - Pièces sans personnes repoussera encore une fois les limites du théâtre.» Rimini Protokoll scrute la société dans son intimité 24heures, Gérald Cordonnier | 02.08.2016 Pour voir Genève autrement Le Courrier, Corinne Jaquiéry | 02.09.2016 Stefan Kaegi, maître du jeu de piste théâtral Le Temps, Alexandre Demidoff | 04.09.2016 L’incroyable faiseur de théâtre qui passe de la ville à la mort Le Matin Dimanche, Jean-Jacques Roth | 04.09.2016 Dramatiser l’absence La Liberté, Elisabeth Haas | 10.09.2016 « À Vidy, parler de la mort est très vivant. » Au Théâtre de Vidy, on rêve sa mort à plusieurs Le Temps, Marie-Pierre Genecand | 15.09.2016 « C’est d’un pas mélancolique mais léger que nous quittons le parcours. » La vie suivante sera-t-elle meilleure ? Neue Bürcher Zeitung, Andreas Klaüi | 16.09.2016 « Ce travail est pertinent, réalisé avec beaucoup d’intelligence, un théâtre du réel qui nous plonge dans l’universel. » Nachlass - éternelle humanité Carnet d’art, Kristina D’Agostin | 16.09.2016 « C’est émouvant, très troublant, mais pas triste. Plutôt revigorant, et parfois même presque joyeux. » L’héritage magnifique de Stefan Kaegi à vidy L’Hebdo, Mireille Descombes | 20.09.2016
« Encore une fois, le théâtre documentaire et interactif développé par Rimini Protokoll vise juste. » Les mausolées de Rimini Protokoll émeuvent à Vidy 24heures, Gérald Cordonier | 23.09.2016 « Nachlass propose un cosmos élargi où les deux faces de la même médaille continuent de communiquer. » Nachlass, Stefan Kaegi & Dominique Huber / Rimini Protokoll Ma Culture, Nicolas Garnier | 24.09.2016 Nachlass Le Gazette des Festivals, Marie Sorbier | 26.09.2016 L’année 2016 en spectacles: nos coups de coeur Le Temps, M.-P. Genecand & A. Demidoff | 29.12.2016 RADIO Le collectif Rimini Protokoll propose une pièce de théâtre sans acteurs RTS - InterCités | 13.09.2016 Rimini Prtokoll: Nachlass Organisierte Botschaft an die Nachwelt Deutschlandradio, Anke Schaefer | 14.09.2016 Stefan Kaegi boulverse les codes au Festival de la Bâtie RTS 19:30 | 17.09.2016 Nachlass - Pièces sans personnes RadioEins | 19.07.2017 TÉLÉVISION Stefan Kaegi bouleverse les codes au Festival de la Bâtie RTS - le 19:30 | 17.09.2016 FESTIVAL PROGRAMME COMMUN 2017 PRESSE ÉCRITE Nachlass, de la vie dans la mort Sceneweb, Christophe Candoni | 01.04 .2017 Nachlass - Pièces sans personnes : ce qui survivra Théâtoile, Sonia Bos-Jucquin | 02.04.2017
EN TOURNÉE « C’est à un récit sans vie mais non sans âme que se livrent Stefan Kaegi et Dominic Huber dans nachlass. » Nachlass, un spectacle autour de la mort choisie Les Inrocks, Hervé Pons | 18.10.2016 « Le théâtre peut être voyage vers l’au-delà. » La chronique de Fabienne Pascaud Télérama, Halka | 19.10.2016 « Cette magnifique installation est une œuvre de philosophie sensible, si philosopher c’est apprendre à mourir. » «Bientôt, je ne serai plus là» : apprendre à mourir avec Rimini Protokoll Le Nouvel Observateur, Claire Richard | 24.10.2016 Vivre sa mort Mouvement.net, Alice Ramond | 26.10.2016 Was vom leben bleibt Züritipp, Eva Hediger | 03.11.2016 Rimini Protokoll stösst uns an die Schwelle des Todes Tages-Anzeiger, Alexandra Kedves | 09.11.2016 «L’envie était de travailler sur la trace laissée après la mort» Libération, Eve Beauvallet | 13.01.2017 Naast de dood staat het leven Theaterkrant, Moos van den Broek | 08.02.2017 Nachlass - Pièces sans personnes Les Inrocks, Hervé Pons et Patrick Sourd | 18.05.2017 Eintauchen in die Vergangenheit Rimini-Protokoll zeigt „Nachlass“ im Gropius-Bau Berliner Zeitung, Doris Meierhenrich | 3.07.2017 Realtime Clipping Ana Tacuh | 23.09.2018 Realtime Clipping Dragana Boskovic | 23.09.2018 Kultura Rekvijem za L. | 24.09.2018
L’Agendart : une photographe américaine, du théâtre allemand et un artiste tchèque MAZE.FR, Chloe Braz-Vieira, Caroline Fauvel et Phane Montet | 28.10.2018 La Chronique de Fabienne Pascaud Télérama, Fabienne Pascaud | 21.10.2018 La Chronique de Fabienne Pascaud Télérama, Fabienne Pascaud | 31.10.2018 Terrible et magnifique, le théâtre métaphysique de Stefan Kaegi et Dominic Huber TELERAMA.FR, Fabienne Pascaud | 4.11.2018 Nachlass, de la vie dans la mort Sceneweb.fr, Christophe Candoni | 6.11.2018 Nachlass, de la vie dans la mort Sceneweb.fr, Christophe Candoni | 6.11.2018 Nachlass, Télérama sortir, F.P. | 7.11.2018 Nachlass, pièces sans personnes, de Stefan Kaegi et Dominic Huber - Rimini Protokoll Les Inrocks.com, Hervé Pons | 7.11.2018 Nachlass, pièces sans personnes, de Stefan Kaegi et Dominic Huber - Rimini Protokoll Les Inrocks.com, Hervé Pons | 7.11.2018 Nachlass : la vie derrière soi Les échos weekend, Vincent Nouquet | 8.11.2018 Nachlass : la vie derrière soi Les échos weekend, Vincent Nouquet | 8.11.2018 Nachlass Mouvement, Alice Ramond | 8.11.2018 Immersion port-mortem-à propos de Nachlass de Rimini Protokoll AOC.MEDIA, Cécile Dutheil de la Rochère | 9.11.2018 Nachlass, pièce sans personnes, au MC93 La Galerie du spectacle.fr, Ervina Kotolloshi | 10.11.2018 Nachlass, pièce sans personnes, au MC93 La Galerie du spectacle.fr, Ervina Kotolloshi | 10.11.2018
Nachlass, Pièce Sans Personnes L’Artichaut Magazine, Bertrand Brie | 12.11.2018 «Nachlass, Pièce Sans Personnes», Rimini Protokoll questionne l’héritage à la MC93 Sortir à Paris | 13.11.2018 Théâtre-installation. Les chambres de la mémoire, à Bobigny Le Monde.FR, Fabienne Darge | 16.11.2018 Une absence très présente Revue AS, Mahtab Maziouman | février 2019
21 avril 2016 « Nachlass » réinvente notre dernier acte 21 avril 2016, par Olivia Barron Le théâtre peut-il se jouer de la mort et du temps ? C'est la question dont s'est saisi le collectif berlinois Rimini Protokoll qui construit actuellement à Lausanne une performance avec huit personnes mourantes. Nachlass* donne la parole à un groupe de français et de suisses, jeunes ou moins jeunes, qui n’assisteront peut-être pas au soir de la première. Loin de tout attrait morbide, Rimini Protokoll interroge cette disparition, jouant avec les traces laissées par ces êtres, memento mori bien vivant. Photographies, vidéos, enregistrements et objets chers aux protagonistes viendront donner corps à cette sonate des spectres, jetant le trouble chez les vivants. Un bâtiment, huit chambres, aucune présence humaine, tel est le mémorial intime conçu par le scénographe Dominic Huber. Une pièce sans acteurs en somme, proche de l’installation d’art contemporain. Ce n'est évidemment pas un hasard si cette création voit le jour en Suisse, pays pionnier en terme de recherche et de gestion médicale de la mort, autorisant l’assistance au suicide, encore interdite en France. Juste avant sa création au Théâtre de Vidy-Lausanne, à la rentrée prochaine, puis sa venue en France, nous avons rencontré le metteur en scène Stefan Kaegi autour de ce projet, fruit d’un long travail débuté il y a deux ans. Photographie de Walter Schels. Inspirations pour Nachlass Deadline, l’un de vos précédents spectacles, abordait déjà la question de la mort par le biais de son industrie. Qu’est-ce qui a suscité un regain d’intérêt pour cette thématique si sensible ?
Stefan Kaegi, D.R Stefan Kaegi : Aujourd’hui, il faut planifier jusqu’à sa mort. Les centres funéraires sont submergés de demandes pour des rituels laïques toujours plus inventifs. Tout est scénarisé, anticipé, que ce soit pour la dispersion des cendres ou le choix des cercueils, rappelant l’univers de la série télévisée « Six Feet Under ». Malgré cette volonté de maitrise absolue, le scandale de la mort demeure, incontrôlable. Plus que la mort en soi, c’est cette tendance à la rationalisation qui nous a interpellé. A la différence de Deadline, où nous donnions la parole à des experts, médecins légistes ou directeurs de crématorium, Nachlass s’est construit avec des personnes directement confrontées à leur mort prochaine. Ce qui nous intéressait, c’était d’investir l’ensemble des lettres, œuvres, documents, qui dessinent le corpus de leur existence, bien loin des questions d’héritage. Capter des fragments de vie, explorer leurs désirs pour les offrir plus tard au public, quand ces êtres auront peut- être disparu. L’une des protagonistes, une française venue en Suisse pour bénéficier de l’assistance au suicide, aurait aimé devenir chanteuse. Toute sa vie secrétaire dans une entreprise automobile, elle n’a pu réaliser ce voeu. Pour ce spectacle posthume, elle a enregistré une chanson qui sera diffusée au cours de la performance, et nous a confié avoir ainsi réalisé son rêve ! Elle est décédée juste une semaine après l’enregistrement. Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll Pourquoi avoir choisi la Suisse comme terrain d'observation? Stefan Kaegi : Observer la mort en Suisse, c’est un peu comme faire un voyage vers le futur, les avancées technologiques sont stupéfiantes. Plus qu’ailleurs, on s’applique à avoir raison de la mort, on accélère ou on retarde sa venue. Peu de pays permette une
telle approche, et c’est pour cela que nous en avons fait le point de départ de Nachlass. A Genève, les instituts de recherche visent au prolongement de l’espérance de vie au-delà de 130 ans, alors qu’elle est déjà de 82 ans en Suisse, bien plus qu’ailleurs. Le Human Brain Project s’emploie à l’analyse détaillée du cerveau humain, explorant les lacunes de notre mémoire, défaillante au long cours alors que nous vivons toujours plus vieux. En parallèle, il est désormais possible de décider de sa propre mort grâce aux organismes d’assistance au suicide telles Exit ou Dignitas. Dans Nachlass, deux de nos protagonistes y ont eu recours, dont une française. Elle nous a longuement parlé du sentiment d’injustice qu’elle avait ressentie dans son pays, celui de ne pouvoir partir dignement, mais aussi légalement. La Suisse expérimente des projets avant-gardistes dont on discute actuellement dans toute l' Europe. Je crois que l’économie de nos nations n’est pas faite pour forcer les gens à vivre plus longtemps qu’ils ne le désirent. Le thème de Nachlass est particulièrement éprouvant, voire dérangeant. Comment êtes-vous parvenu à trouver la bonne distance ? Stefan Kaegi : La mort n’est pas forcement triste. C’est un phénomène tragique mais naturel, que la société refoule. Nous avons parfois beaucoup ri, comme avec Mme B., qui nous a confié être de toute façon trop vieille pour pleurer ! Elle n’a d’ailleurs plus de larmes ! Les personnes en fin de vie ont un vif désir de témoigner, contrairement à leur entourage, souvent très peiné. Nous avons partagé de très jolis moments avec cette suissesse de 94 ans, longtemps ouvrière dans une usine de réveils, elle travaillait dans le temps donc. Logiquement, nous avons discuté de l’éphémère, de la photographie, qu’elle a pratiquée toute sa vie, de l’image qui perd son signifiant une fois l’artiste disparu. Ses clichés forment un saisissant portrait de la classe ouvrière suisse, dont on ignore à quel point elle était très pauvre. Nous avons également travaillé avec un genevois de 40 ans, qui sait qu’il ne verra probablement pas grandir sa fille de 14 ans. Pour Nachlass, nous avons réalisé une série d’enregistrements qui le montre bien vivant, à la pêche ou ailleurs. C’est l’image qu’il veut que l’on garde de lui, loin des ravages de la maladie. Enfin, il y a aussi cette avocate suisse, très âgée, qui a décidé de se suicider dans trois ans. D’ici-là, elle souhaite dépenser tout son argent en le distribuant à des personnes de son choix car elle n’a aucune confiance en l’Etat !
Inspirations, Nachlass, Rimini Protokoll L’espace est un acteur central de vos performances. Quel dispositif avez-vous imaginé ici ? Stefan Kaegi : Avec Nachlass, qui est une pièce sans acteurs, nous souhaitons créer une expérience immersive. Le public se déplacera en petits groupes à travers les huit chambres, toutes donnant sur une salle d’attente. Dans chacune, il découvrira des objets, traces, meubles ou odeurs appartenant aux protagonistes, chargés de souvenirs heureux ou douloureux. Il y aura des documents, témoignages audio et autres messages directement adressés au public. La voix du mort décidera d’ailleurs de la position adoptée par ce dernier, créant un jeu de connivence. La non-présence se laissera-t-elle représenter ? C’est ce que nous découvrirons ! Au-delà des témoignages personnels, Nachlass interroge des thèmes comme la médecine du futur, la mémoire, l’héritage immatériel. Je pense que le public s’interrogera aussi sur sa propre mort, sur la manière dont il souhaite organiser son départ, en miroir. Aujourd’hui, les cimetières témoignent souvent moins de la vie d’un défunt qu’un simple site web ou qu'un compte Facebook. L'espace de la mort est devenu étrange.
Premières esquisses pour la scénographie de Nachlass Première en Septembre 2016 au Théâtre de Vidy-Lausanne, Suisse- Tournée prévue en France à Annecy, Dijon et Strasbourg. Nachlass : Mot allemand se composant de « nach » ( après) et du verbe « lassen » (laisser). « Nachlass » correspond à l’ensemble des biens matériels et immatériels laissés par un défunt. Dans un sens plus spécifique, notamment dans la recherche , « Nachlass » désigne la totalité des archives ( lettres, œuvres, documents…) qui étaient en possession d’une personne ou le corpus qu’elle a construit.
A propos du spectacle: Nachlass R IMINI PR O TO KO LL (STEFAN KAE GI /DOMIN IC HU BER ) Mardi 2 août 2016 Rimini Protokoll scrute la société dans son intimité Perform ance: A Nyon, le collectif germ ano-suisse qui a révolutionné le théâtre docum entaire invite l’Europe dans les salons d’habitants de La Côte. A Vidy, il im m ergera le public dans 8 cham bres m ortuaires. La performance participative «Europe: visite à domicile» invite le public dans le salon d’un spectateur. Autour de la même table, les participants sont encouragés à parler de leur rapport au Vieux-Continent. Image: DR En quelques années, Rimini Protokoll est devenu un label. Gage de qualité mais, surtout, promesse de performances qui réinventent le rapport du spectateur au spectacle, qui émancipent le théâtre de ses carcans fictionnels, qui transforment l’agora en installation ludique ou en jeu de piste participatif. Au travers de créations qui n’hésitent pas à mélanger bidouillages technologiques, dispositifs scénographiques ingénieux et jeux de rôle immersifs sans comédiens, le collectif berlinois – qui compte dans ses rangs le Soleurois Stefan Kaegi, Grand Prix suisse de théâtre et Anneau Hans-Reinhart 2015 – a réussi à réinventer le théâtre documentaire et son lien à la réalité. Mais aussi à renouveler sa fonction politique en questionnant sa dimension sociale et artistique. Rimini Protokoll fait du monde son terrain de jeu. On l’a vu, en 2015, avec Situation Rooms. Dans cette création coproduite par le Théâtre de Vidy, les artistes germano-suisses invitaient le public à une déambulation (physique et virtuelle) dans l’univers des armes aux quatre coins du monde. Guidé par des tablettes tactiles et baladé dans une reconstitution minutieusement réaliste, le spectateur épousait les points de vue successifs de protagonistes plus ou moins liés au commerce de la guerre, du médecin du front au narco-trafiquant, de l’industriel en armement au soldat en embuscade. Avec Airport Kids, quelques années auparavant, Stefan Kaegi faisait monter sur scène des enfants d’employés de multinationales pour questionner une génération de «nomades globalisés». Avec Remote X, visite guidée adaptée à chaque ville où la performance se joue, le
collectif télécommande un groupe de marcheurs, casques audio sur les oreilles, à travers un espace urbain réinventé qui brouille le vrai et le faux. Cette balade sera reprise dans le quartier genevois des Libellules, lors du prochain Fesitval de la Bâtie. Rimini Protokoll montre les multiples facettes du réel et fait de l’humain sa matière première. En transformant le spectateur en «expert du quotidien», en recomposant ses projets à partir de problématiques sociétales et systémiques ou en faisant du théâtre un outil de communication. Au Festival des arts vivants (far°), à Nyon dès le 11 août, Europe: visite à domicile invitera, par exemple, une quinzaine de personnes à se rencontrer chez un habitant de La Côte. Autour de la table et au gré des interactions régies par un animateur et un boîtier électronique. Ce dernier nourrit les échanges de questions, les participants racontent leurs rapports au Vieux-Continent ou à leur communauté, professionnels, personnels, familiaux… Un échange d’expériences qui finit par tisser un réseau citoyen «européen», par-delà les frontières géographiques. «L’Europe apparaît, souvent, comme une grosse machine bureaucratique. On ne voit d’elle que ce que les politiciens veulent bien nous montrer et, au final, les débats ou les négociations qui se nouent à Bruxelles restent totalement abstraits pour la majorité de la population. Ceux-ci concernent, pourtant, notre quotidien», explique Stefan Kaegi. Avec cette performance, le discours sur l’Europe s’immisce dans l’intimité des foyers. «A chaque fois que nous avons ouvert de telles tables de discussion (ndlr: plus de 400 fois depuis la création de la performance, en mai 2015 à Berlin), nous découvrons à quel point les personnes sont, en fait, beaucoup plus connectées à l’Europe que ce que certains nationalistes veulent bien nous laisser croire. Cette prise de conscience ne laisse jamais le public indifférent.» Comme souvent chez Rimini Protokoll, chaque représentation vient, ensuite, alimenter une base de données statistiques qui dessine les contours d’une «sculpture sociale», prolongation sociologique d’une proposition avant tout artistique. Confidences sur la mort A Vidy, en ouverture de la saison, Nach-lass - Pièces sans personnes repoussera encore une fois les limites du théâtre. Et invitera le public à un autre genre d’expérience sensible. Avec son scénographe Dominic Huber, Stefan Kaegi a imaginé un dispositif composé de huit chambres funéraires. Huit mausolées, témoignages qui documentent et spatialisent, avec une manie poussée du détail et des moyens multimédias, les confidences de huit personnes plus ou moins jeunes, concernées par la mort ou la question de l’héritage laissé aux vivants. Celles d’un amateur de wingsuit, celles d’un médecin spécialiste de la démence, celles d’une malade incurable, etc. «Nachlass est une tentative de témoigner non pas de la mort mais du chemin que chaque être devra tôt ou tard emprunter.» (24 heures) Par Gérald Cordonier
Le vendredi 2 septembre 2016 CULTURE : SCÈNE Festival de la Bâtie Pour voir Genève autrement Corinne Jaquiéry Dans les projets Remote, le public est invité à «jouer» avec les villes. MIKE VONOTKOV Avec Remote Libellules, un projet phare initié par Stefan Kaegi et Rimini Protokoll, les spectateurs du Festival de la Bâtie déambulent et redécouvrent la ville sous l’injonction d’une voix artificielle. Grand prix suisse du théâtre en 2015, le Soleurois Stefan Kaegi travaille le plus souvent en trio, avec Rimini Protokoll, qui interroge ludiquement les systèmes et la démocratie. Pour la Bâtie, il propose dès samedi une balade en banlieue, à l’invitation de la Biennale des Libellules. Interview. Pourquoi Rimini Protokoll? Le protocole ou les règles du jeu du réel nous interrogent. Le protocole documentaire, la transcription du réel, est aussi quelque chose qui nous intéresse. Quant à Rimini,
c’est une ville qui ne me fait pas rêver, mais le fait que Fellini y soit né et qu’il ait réinventé sa réalité dans ses films nous a plu. Vous avez exploré une trentaine de villes en Europe et dans le monde avec Remote. Quelle est la spécificité de Genève? Ce n’est pas Remote Genève, mais Remote Libellules. Il s’agissait de porter un autre regard sur ce quartier récemment rénové, mais qui conserve une mauvaise réputation et semble être un endroit problématique pour Genève. Avec Remote Libellules – «remote» signifiant télécommande, téléguidage – le trajet emprunté par les spectateurs, «la horde» montre que c’est un quartier très vivant, rustique par certains endroits et très vert. Ce qui est également spécifique à Genève, c’est que la voix artificielle qui donne les indications aux spectateurs et la même que celle indiquant les arrêts dans les bus genevois. Une manière d’entremêler encore plus fiction et réalité. Apparemment, Genève a déjà commencé à se «remoter». Quel impact désireriez-vous avoir sur le public? Nous aimerions qu’ils jouent avec la ville et qu’ils en découvrent les différentes scénographies. Mais ce qui est au cœur du projet, c’est de questionner la prévisibilité des comportements humains et notre manière d’accepter les aides artificielles qui nous facilitent la vie, tout en la guidant et la contraignant également. Au temps du Pokémon Go, il y a de plus en plus de logiciels qui mettent en scène notre réel. Une réalité augmentée à interroger. Que dit la voix? Simplement de danser comme dans une flash mob, de s’arrêter, de bouger les bras, peut-être même de conduire. Avant tout, elle incite à observer, à s’asseoir à certains endroits et à regarder la ville comme une mise en scène. Une prise de conscience que nos vies sont de plus en plus mises en scène en suivant des protocoles de comportements, des pictogrammes, des processus de communication. C’est la vie... Vous impliquez beaucoup les spectateurs dans vos projets. Pourquoi? Nous proposons, mais ils disposent. En comparaison avec le théâtre classique où ils sont coincés dans un espace fermé, nos spectacles sont très ouverts et offrent des espaces de liberté. Les gens dansent ou pas, c’est à eux de suivre ou non les instructions. Ce n’est pas la réalité totalitaire qu’avait décrite Georges Orwell. En revanche, certaines personnes sont séduites par ces protocoles de comportements et y évoluent sans se poser de questions. C’est leur choix. Nachlass est votre prochaine création à découvrir au Théâtre de Vidy, à Lausanne. A travers des installations, elle évoque la mort et l’héritage qu’on laisse ou que l’on veut laisser selon certains protocoles ou rituels. Pourquoi cet intérêt prononcé pour la mort qui apparaît dans plusieurs de vos créations? C’est particulier d’être en Suisse romande avec deux créations qui se suivent. Mais c’est vrai qu’il y a une certaine continuité entre les deux projets. Ainsi, on partira du
cimetière de Châtelaine à Genève. Dans la forme, en revanche, les deux projets sont très différents. Remote Libellules est de l’ordre de la science-fiction alors que Nachlass est un projet très documentaire et documenté. Avec de vraies personnes, pas des personnes artificielles, qui nous ont confié des objets et se sont exprimées sur leur vie et leurs désirs à travers des vidéos notamment. Dans les deux cas, on parle de l’absence. A une ou plusieurs voix. Dans Nachlass, huit protagonistes donnent des instructions au public. En Suisse, la mort est anticipée, mise en scène et analysée avec une précision presque sans pareil, mais elle reste toujours aussi difficile à appréhender. Vous avez reçu le Grand Prix Suisse du Théâtre en 2015, qu’est-ce que cela signifie pour vous? J’étais très content, mais j’aurais aimé le recevoir avec mon groupe, car notre travail collectif n’est pas le fait de génies singuliers. Néanmoins, c’est important pour la scène suisse qu’il y ait eu cette reconnaissance d’une forme de travail non conventionnel. Pas seulement pour nous, mais pour tous ceux qui sont à la recherche de nouveaux formats et de nouveaux échanges avec la société, dans une forme d’art conceptuel et contemporain. Ce qui serait bien aussi, c’est que ce genre de prix soit donné à des artistes plus jeunes, n’ayant pas autant de possibilités de créations que j’en ai moi actuellement. Genève, Cimetière de la Châtelaine, Remote Libellules, deux heures de balade, du 3 au 17 septembre, www.batie.ch. Nachlass au Théâtre de Vidy du 14 au 24 septembre, www.vidy.ch
A propos du spectacle: Nachlass R IMINI PR O TO KO LL (STEFAN KAE GI /DOMIN IC HU BER ) Dimanche 4 septembre 2016 Stefan Kaegi, maître du jeu de piste théâtral A l’affiche de La Bâtie, l’artiste suisse invite à une déam bulation fascinante à travers Genève. Il signe aussi «Nachlass – pièces sans personnes», à Vidy dès le 14 septem bre. Filature Un spectacle dont vous êtes le fantôme, mais oui. C’est ce que l’artiste d’origine soleuroise Stefan Kaegi propose depuis ce week-end au festival de La Bâtie. Comme à Lausanne, à Moscou, à Santiago du Chili ou à Zurich, ce quadragénaire au visage racé invite à une traversée urbaine, deux heures de transport, à pied et en bus. Signe distinctif ? On porte un casque audio et on obéit à une voix féminine, tout ce qu’il y a de plus artificielle, tout ce qu’il y a de plus bienveillante. Cette promenade en groupe s’intitule Remote Libellule – du nom du quartier d’où elle part. Elle fait de vous un corps flottant dans la ville. L’enjeu? Confronter le spectateur à l’omnipotence de la machine, ce logiciel qui décide pour vous d’un itinéraire par exemple ou encore ces algorithmes qui devancent vos désirs. Le parfum de Giselle à Châtelaine Le ciel est à l’orage et il brûle. On est au cimetière de Châtelaine, à un quart d’heure à vélo du centre-ville. C’est là que Stefan Kaegi fixe rendez-vous au public – pas plus de cinquante personnes. Cet après-midi, il accompagne le groupe, chemise florale trendy, un crayon à la main. Cette déambulation vaut comme test – avant de l’ouvrir aux festivaliers. Dans l’oreille, votre hôtesse se présente: elle officiera comme ange gardien. «Cherchez une tombe juste pour vous.» On choisit une croix sans pierre où batifolent des roses pâles. Quelque part au cœur de ce dédale repose la danseuse étoile Carlotta Grisi, qui fut la première Giselle, enflamma l’écrivain Théophile Gautier et s’éteignit à Genève en 1899. Mais foin de romantisme. La petite troupe que vous formez est une horde. C’est votre escorte vocale qui l’affirme. Elle invite à présent à tourner le dos aux morts et à fondre sur les Libellules. Une agence de voyage sensoriel Le théâtre de Stefan Kaegi est à sa façon perçante une agence de voyage. Il y a huit ans, il magnétisait le Théâtre de Vidy: sur les planches, des retraités amoureux des chemins de fer faisaient circuler des trains miniatures au milieu d’une Helvétie de carte postale. Le spectacle s’appelait
Mnemopark, il était sophistiqué et enfantin: vaches, rivières, montagnes, une certaine Suisse déferlait en clichés. Plus tard, à Vidy encore, il mettait en scène des adolescents, fils d’expatriés étudiant à Lausanne. Leurs rêves mêlés formaient la trame d’Airport kids. Que cherche-t-il? Tout tient peut-être, comme il le suggère après Remote Libellule, dans la polysémie du nom de son collectif, Rimini Protokoll, qu’il cofonde en Allemagne dans les années 1990, avec deux copains, Helgard Haug et Daniel Wetzel. D’un côté, il interroge nos conduites – ainsi Remote. De l’autre, il documente des usages intimes. C’est ce qu’il s’apprête à faire à Vidy, dès le 14 septembre, avec Nachlass – pièces sans personne. On y découvre huit chambres, autant de sanctuaires personnels conçus par des personnalités que la mort menace, qu’elles soient gravement malades ou âgées. «Ce qui m’intéresse dans ce cas, c’est comment on laisse des traces, comment on organise un futur dont on sera absent, comment on transmet une vision de soi.» Mais voilà que vous sortez d’un tunnel graffé de partout, toujours en horde. La voix ordonne de se rassembler dans une allée bitumée étroite et de faire la course. «Attendez mon signal! Go.» L’humeur est soudain olympique. Deux ados jaugent votre foulée. Plus tard, sur une place, votre visiteuse, toujours exquise, demandera de regarder défiler les badauds: «Admirez ces acteurs. Applaudissez-les à présent.» Dans la foule, des têtes pivotent et un aveugle s’arrête, déboussolé. «Provoquer le hasard fait partie de mon métier» De son métier, Stefan Kaegi dit qu’il consiste à provoquer le hasard. «Le théâtre que je fais implique la représentation et l’entertainment, mais pas la répétition. J’y suis allergique. J’aime l’aléatoire, l’accident qui modifie l’ordonnance prévue. J’aime aussi stimuler les cerveaux.» Stefan Kaegi observe le monde de biais, scientifique et joueur à la fois. Il faut le voir suivre sa horde, le front alpestre, la taille élancée: l’esprit est assorti à l’élégance souple qui le distingue. Adolescent à Soleure, il s’imaginait se consacrer à la physique des particules. Puis le journalisme l’a pris à 16 ans. Le plaisir d’écrire sur tout, un trafic de drogues, un spectacle. «Mais j’étais mécontent du résultat, j’avais envie de découvrir des choses dans l’espace urbain, d’organiser ces explorations. J’ai été boy-scout, ça marque.» L’art est alors une clé, la possibilité d’un trouble, d’une révélation dans le meilleur des cas. Il étudie à la F&F Schule für Kunst und Design à Zurich. «Mais on ne débattait pas assez à mon goût. Alors je suis parti à Giessen en Allemagne me former à la scène.» Puis il y aura Berlin, les premiers pas remarqués de Rimini Protokoll, un plaisir d’inventer des systèmes qui désaxent le spectateur, l’obligent à reconsidérer ses usages. «Et bien, dansez maintenant!» La horde débouche à présent sur une petite place. Non, on ne vous dira pas où c’est. La voix exige que vous dansiez, oui là, en face d’un glacier et de sa poignée de clients attablés. Alors vous vous exécutez, vous valsez et vous vous sentez comme un revenant: tout paraît familier et nouveau à la fois. Stefan Kaegi nage dans les rivières dès qu’il peut. «C’est très suisse, je crois.» Il rêve aussi souvent qu’il vole, non pas comme un oiseau, mais en pelote. Ses spectacles sont des courants. Ils troublent l’ordre intérieur et vous transportent vers des rivages inattendus. Remote Libellule agit ainsi: il ne fait pas de vous un voyeur mais un voyant. Remote Libellules, Cimetière de Châtelaine (départ du parcours), jusqu’au 17 sept.; rens. www.batie.ch; Nachlass-pièces sans personnes, Théâtre de Vidy, du 14 au 24 sept.; rens. www.vidy.ch Alexandre Demidoff
A propos du spectacle: Nachlass R IMINI PR O TO KO LL (ST EFAN KAEGI/DO MIN IC HU BER ) Dimanche 4 septembre 2016 L’incroyable faiseur de théâtre qui passe de la ville à la mort Rimini Protokoll Aujourd’hui adulé, le Suisse Stefan Kaegi multiplie les spectacles «expérientiels». A Genève, il fait parcourir le bitume. A Vidy, il confronte le public à des personnes proches de la mort. Dans la fabuleuse moisson de metteurs en scène alémaniques, à côté de Christoph Marthaler ou du jeune Milo Rau, Stefan Kaegi est le troisième homme. On ne compte plus les «spectacles» de ce Soleurois de 44 ans et des complices qui travaillent avec lui sous l’étiquette du collectif «Rimini Protokoll», fondé en 2002. Le magazine l’a désigné parmi les dix personnalités théâtrales les plus importantes de sa génération. Une pluie de distinctions a confirmé ce statut. Pendant une première période, Kaegi a surtout mis en scène des «experts du quotidien»: des vraies gens, pas comédiens pour un sou, partageant leur expérience professionnelle ou leur savoir-faire. Ce furent par exemple deux routiers bulgares transportant des spectateurs à l’arrière de leur camion. Ou, plus célèbres, quatre retraités bâlois passionnés de maquettes de train électrique faisant tourner un extraordinaire circuit qui reconstituait la Suisse miniature à l’échelle 1: 87 dans «Mnemopark», en 2005. Ce spectacle a fait la renommée de «Rimini Protokoll», avant que Stefan Kaegi, avec le scénographe Nicolas Huber, oblique vers un théâtre plus immersif. Le spectateur est désormais invité à vivre une expérience plutôt qu’à contempler un produit fini. Il y a deux ans, le public romand pouvait ainsi participer à «Situation Rooms», fabuleux jeu de piste à l’intérieur d’un décor sophistiqué, où chaque participant endosse les rôles des différents protagonistes de la guerre. Du marchand d’armes à l’infirmière, du soldat blessé au diplomate. Maître de ce théâtre documentaire qui joint une grande précision des faits à un exceptionnel pouvoir de le mettre en scène, Stefan Kaegi a reçu l’a dernier le Grand prix suisse du théâtre. La chance est double, donc, d’entrer dans son univers puisqu’il est présent deux fois en Suisse romande en cette rentrée. A Genève, le Festival de la Bâtie reprend «Remote», un parcours à travers la ville qui a déjà été monté dans une trentaine de métropoles. Et à Lausanne, le Théâtre de Vidy crée «Nachlass», qu’on peut traduire par «Héritage», ou «Legs», dans lequel le public est placé face à la vie de huit personnes qui, pour une raison ou une autre, ont choisi de préparer leur départ. Deux sont décédées depuis la préparation du spectacle. Rencontre.
Dans «Nachlass», votre nouvelle création, vous faites parler des gens proches de la mort. Comment les avez-vous trouvés? On a commencé il y a deux ans et demi. On a d’abord cherché des gens intéressés à parler de ce qu’il va rester d’eux. Ces personnes sont soit malades, soit très âgées, soit elles vivent de manière risquée, comme cet homme adepte du wingsuit. Nous avons notamment entendu beaucoup de femmes âgées qui ont survécu à un cancer, et qui ont manifestement un grand besoin d’en parler. J’ai vu d’abord beaucoup d’aumôniers, d’infirmières. La démarche n’avait rien de macabre. Les gens ont souvent de la peine à parler de la mort avec leur famille ou leurs proches. Beaucoup m’ont dit: «Mourir, c'est facile. C’est pour les autres que c’est difficile.» Donc on répugne à organiser les choses. C’était très beau de travailler avec ces gens. Emouvant aussi, bien sûr. Mais après tout, la mort est quelque chose de naturel. Il ne s’agit pas des victimes d’une guerre civile. C’est la vie. On parle beaucoup de la naissance aujourd’hui, mais très peu de la mort. On a aussi beaucoup ri. La mort, ce n’est pas triste pour tout le monde. Vous avez été confronté à des manières très différentes d’envisager le départ? Oui. Il y a des gens très impatients. Dans deux cas, j’ai choisi des personnes qui vivent à l’étranger et ont planifié leur mort en Suisse. Il y a aussi un Turc de Suisse, nous avons voyagé à Istanbul ensemble, il était plein d’humour. Il a presque essayé le cercueil dans lequel son corps sera transporté en Turquie, il a visité l’endroit où il sera lavé. Il m’a dit qu’un musulman peut être content de mourir s’il a bien vécu. Il n’était absolument pas mélancolique. Pour un autre, le père d’une fille de 13 ans atteint d’une maladie très grave, c’est autre chose. Il aime la vie et n’a aucune envie de mourir. Avez-vous été surpris par ce que les gens voulaient montrer de leur vie? Une femme savait exactement ce qu’elle voulait, elle vend tous ses biens pour une fondation en faveur de l’Afrique. Nous avons rencontré un neurologue, dont le legs est de transmettre son savoir à la génération future. Ce ne sont pas des histoires de vie, mais des manières de préparer son départ. Certaines personnes sont venues à nous, d’autres ont été sollicitées. Des gens ont renoncé, je pense à une avocate de la région, une misanthrope comme je n’en ai jamais connu. On voulait vraiment avoir son histoire. Mais elle était trop misanthrope même pour participer à ce projet! Il était important qu’il y ait la religion, ainsi qu’une personne qui ne soit pas chrétienne. Nous n’avons pas cherché la représentativité, mais nous voulions une certaine diversité. Le théâtre d’immersion que vous pratiquez, c’est pour émouvoir, pour provoquer une prise de conscience? Autrefois j’étais journaliste, et ce qui me manquait, c’était de communiquer autre chose que les chiffres et les faits. Le théâtre, l’expérience du temps et de l’espace peuvent créer une expérience qui va plus directement aux émotions. J’aime trouver des formes de communication immédiate.
«Remote», que vous présentez à Genève, c’est le projet que vous avez le plus montré? Oui, avec «100% ville», qui réunit chaque fois cent habitants représentatifs de la composition sociologique et démographique de la ville. L’un et l’autre ont été joués dans environ 30 villes, mais c’est chaque fois un nouveau projet. Pour «Remote Libellules» à Genève, j’ai fait les repérages, trouvé les espaces. J’adore faire ce travail. Qu’est-ce qui vous a amené vers cette forme de théâtre «expérientiel »? Cela a beaucoup à voir avec ce qui se passe dans les arts numériques ou dans les médias qui deviennent de plus en plus interactifs. Quand je vais au théâtre, après 15 ou 20 minutes je commence à somnoler car la position assise signifie, pour mon corps, que je veux dormir. Alors je dors cinq minutes, après quoi je peux revenir dans la pièce. C’est vraiment parce que j’ai l’habitude d’être interactif – pas avec l’ordinateur, mais de manière naturelle! Comment choisissez-vous les thèmes que vous transformez en théâtre? Je montre des choses que je trouve intéressantes moi-même, issues de la réalité que nous vivons. Cela peut être des gens, comme dans «Nachlass». Cela peut être la Conférence sur le climat, comme je l’ai fait à Hambourg. Et je m’intéresse beaucoup à construire des espaces, comme avec «Remote» (le spectacle présenté à Genève, ndlr), où je définis un trajet par lequel je conduis des gens dans une ville. Le théâtre, ce n’est pas l’art pour l’art. C’est un moyen de communication. Je n’aime pas les espaces fermés où on se retire pour créer. Vous travaillez sur plusieurs projets à la fois? Oui, certains projets s’élaborent sur le long terme. Je suis en train de préparer un projet sur les services secrets, pour lequel on travaille avec des montres connectées. Et je songe à un projet sur les grands chantiers, sur les gens qui y travaillent. Vous savez, c’est un privilège, dans le monde actuel, d’avoir des gens qui nous donnent 90 minutes d’attention, qui éteignent leur téléphone portable. C’est une bonne occasion pour se concentrer sur des choses complexes. Bien sûr, on n’explique pas le monde en 90!minutes, mais grâce à cette expérience, les gens peuvent gagner en confiance et avoir envie d’aborder des choses un peu compliquées, ou qui font peur. Le projet «Nachlass» a-t-il modifié votre propre relation à la mort? Ce que je laisse, c’est mon théâtre. C’est fait! En revanche, je n’ai pas encore rempli les directives anticipées. Je vais m’y mettre. Jean-Jacques Roth
34 SAMEDI 10 SEPTEMBRE 2016 L’homme de théâtre Stefan Kaegi crée Nachlass, spectacle déambulatoire sur ce qui reste après la mort DRAMATISER L’ABSENCE K ELISABETH HAAS Vidy-Lausanne L Stefan Kaegi continue de dérouter les habi- tudes du spectateurs. Sa nouvelle création, à voir au Théâtre de Vidy, se définit par l’absence d’ac- teurs. Pour le lauréat 2015 du Grand Prix suisse du théâtre, l’Anneau Hans-Reinhart, évo- quer la mort implique une dispa- rition de facto des témoins. Lui qui, avec le collectif Rimini Protokoll, s’est illustré dans des formes de théâtre documentaire, a invité des passionnés de modèles réduits de train sur scène (Mnemopark), pousse la logique jusqu’au bout: une fois que les gens ont disparu, que reste-t-il d’eux? Une fois morts, qu’aimerions-nous laisser de notre passage? C’est le propos de Nachlass de s’interroger sur cette survivance, dans les objets, les souvenirs et la mémoire. Il fallait que les témoins sortent de la mise en scène pour prendre la mesure de leur dispa- rition et de leur héritage. Le dis- Les seules positif mis en place sera ouvert personnes dès mercredi. En attendant, la actives dans visite se fait avec Stefan Kaegi lui- les «pièces» même, entre les techniciens et le de Nachlass, scénographe Dominic Huber, qui ce sont les peaufinent les derniers détails, spectateurs. règlent l’ouverture et la fermeture Les témoins, automatiques des portes, le lan- eux, ne sont cement synchronisé des bandes- plus là, mais son, des images et des lumières: des mises en à les voir concentrés sur des tables scène de ce de mixage et des logiciels sophis- qu’ils ont envie tiqués, on devine que l’absence de de laisser comédiens ne rend pas la pièce d’eux-mêmes plus simple à monter. après leur mort. Dominic Huber «Que signifient les photos si on n’est plus là pour les regarder?» Stefan Kaegi C’est dans une sorte de salle d’attente que huit spectateurs tous les quarts d’heure sont invi- tés à entrer. Sanctuaire? Mauso- lée? Morgue? Des horloges numé- tance au suicide en Suisse. Elle souscrit une assurance pour sa fouler le tapis: un émigré musul- Reste que la notion d’héritage riques au-dessus des huit portes aurait aimé être actrice mais était femme et sa fille. Dans cette autre man évoque sa dépouille qui sera pose des questions vastes. déroulent le temps qui passe: «La devenue secrétaire. On l’entendra chambre à coucher, Stefan Kaegi rapatriée à Istanbul. Et enfin, là, Ethiques notamment: Stefan matière de mon travail, c’est le chanter une chanson.» Voilà une raconte le souci d’un papa, qui dans la blancheur d’un labora- Kaegi dit être frappé par l’argent temps», rappelle Stefan Kaegi. façon de réaliser un rêve au-delà s’apprête à voir son corps, son toire, des écouteurs attendent, qu’un pays comme la Suisse inves- Derrière chacune des huit portes: de la Grande Faucheuse. visage déformés, et son envie de comme si le spectateur allait par- tit dans la médecine et la prolon- une mise en scène qui a été ré- Ailleurs, des photos sur une table laisser à sa fille adolescente une ticiper à une recherche scienti- gation de la vie: «A-t-on le droit de fléchie avec les huit témoins en ronde, une nappe et une tapisserie image positive, qui ne soit pas fique. Encore une nouvelle facette vivre longtemps? Y a-t-il un devoir fin de vie ou confrontés à la mort défraîchies, des objets désuets sur marquée par la maladie: il est du legs: celui du chercheur en de rester en vie?» Politiques aussi: que Stefan Kaegi a rencontrés ces une étagère décatie: «Qu’est-ce pêcheur, il y a des hameçons dans neurologie dont les travaux se- «Comment justifier qu’une mino- deux dernières années. C’est que les photos signifient quand on sa table de nuit. ront poursuivis. Et qui doit lui- rité de personnes qui détiennent ainsi qu’il faut comprendre le n’est plus là pour les regarder?», Même pour un ancien banquier, même se confronter à la démence quasiment toutes les richesses du sous-titre du spectacle déambu- pose Stefan Kaegi. En aparté, il dont on peut voir le bureau de qu’il n’a cessé d’étudier. monde les laissent à leurs héri- latoire, Pièces sans personnes: il explique avoir rencontré des té- conseiller, l’héritage ne se résume tiers? La question de l’héritage est s’agit de pièces au sens de lieu moins qui regardent la mort en pas à la fortune, n’est pas que Une question scandaleuse potentiellement propice au scan- comme au sens théâtral. face, plutôt ravis de se raconter au matériel. Comme pour cette an- Le théâtre de Stefan Kaegi promet dale, à des conf lits sociaux», soir de leur vie: «Je crois qu’il y a cienne diplomate, qui n’a cessé de donc de bousculer. Mais même s’il avance l’homme de théâtre. Elle voulait être actrice un vrai besoin de parler de ce qui vivre dans les cartons (ils s’amon- dramatise l’absence, il n’en fait Au plan personnel, il reconnaît On peut s’asseoir sur deux ran- reste de soi après la mort.» cellent, remplis de son vécu, dans pas des «pièces» tristes. Aucun sa responsabilité vis-à-vis des gées de sièges devant un rideau une pièce impersonnelle): ce qui pathos, pas de souffrance dans personnes qui se sont confiées à de scène, qui placent le décor dans Prière de se déchausser ne l’empêche pas de tout faire Nachlass. Les manipulations que lui. Mais c’est le spectateur qu’il un minuscule théâtre privé, «un Troisième «pièce», l’homme est pour que son argent aille à une le public est invité à faire, la forme invite à faire son cheminement théâtre post mortem», corrige encore jeune, mais il prend des association de soutien à des ar- du spectacle déambulatoire, la dans les «pièces» et à réfléchir à Stefan Kaegi: «C’était une Fran- risques en pratiquant le wingsuit. tistes africains plutôt qu’au fisc. liberté de quitter chaque «pièce» son propre legs. L çaise qui voulait mourir avec Il a vu des gens mourir autour de Dans cette autre salle, prière quand bon lui semble ont même F Du 14 au 24 septembre, Théâtre l’aide d’une organisation d’assis- lui, a côtoyé la mort de près, il a d’enlever ses chaussures pour un aspect ludique. de Vidy, Lausanne. www.vidy.ch
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