L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine
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Armony ALTINIER L’utilisation stratégique des droits de l’Homme par la République populaire de Chine Mémoire de maîtrise de science politique Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean KLEIN Université Paris 1 PANTHEON-SORBONNE Année 2003-2004 Septembre 2004
Sommaire Avantpropos et conditions d'utilisation..............................................................1 Licence du document..........................................................................................2 Introduction............................................................................................................3 Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme...........................................................................................6 Chapitre 1 Ouverture de la Chine aux étrangers et implication dans les organisations internationales................................................................7 Section 1 Le changement d’attitude de la RPC depuis 1978 : une image travaillée.......................................................................................8 § 1. La part active du régime chinois dans son ouverture au monde........8 § 2. L’utilisation stratégique d’une ouverture contrôlée..............................9 § 3. Une méthode bien rodée..................................................................10 Section 2 L’utilisation des failles du système onusien au profit de la Chine : l’exemple de la CNUDH.............................................12 § 1. Les défaillances dues à l’organisation même...................................12 § 2. L’activisme chinois dans la redéfinition des priorités de la commission ................................................................................................................13 § 3. La complaisance de circonstance des Occidentaux.........................14 Chapitre 2 Le décalage de la politique déclaratoire chinoise et des engagements pris par la R.P.C. avec la réalité de ses actions.............................................................................17 Section 1 Un discours conforme aux attentes de la communauté internationale des droits de l’homme..................................................................................18 § 1. L’adoption de textes en guise de sésame.........................................18 § 2. L’élaboration d’un discours sur les droits de l’homme.......................19 § 3. La constitution d’une société civile et les limites de la libéralisation. 20 Section 2 La sombre réalité de la violation délibérée des droits de l’homme en Chine..................................................................23 § 1. Les laogai 劳改.................................................................................23 § 2. Un usage abusif de la peine de mort................................................24 § 3. Le contrôle de l’expression par le Parti............................................25 Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime posttotalitaire ................................................................................27 Chapitre 1 La démocratie occidentale dans la Chine d’aujourd’hui : Une greffe impossible ?......................................................................................................28 I
Section 1 L’argument de l’incompatibilité des valeurs asiatiques avec la notion occidentale de droits de l’homme..........................................29 § 1. L’humanisme confucéen à la source de la vision chinoise du monde ................................................................................................................29 § 2. Universel contre relativisme culturel.................................................30 § 3. La qualification du régime politique chinois......................................31 Section 2 La participation des élites au maintien du pouvoir........................................33 § 1. L’impossible distinction privé/public .................................................33 § 2. Une élite en mutation.......................................................................33 § 3. Le rôle de l’élite selon les intellectuels chinois.................................35 Chapitre 2 Les effets pervers de la modernité occidentale.................................................38 Section 1 Puissance économique et gouvernance : le duo « démocraticide ».............39 § 1. La liberté par l’expertise...................................................................39 § 2. Une approche dépolitisée de la gestion des affaires publiques........40 § 3. Le succès économique, critère exclusif du bon fonctionnement politique...................................................................................................40 Section 2 La mauvaise image du politique dans la jeunesse chinoise.........................43 § 1. La montée de l’individualisme..........................................................43 § 2. L’engagement associatif plutôt que la politique qui corrompt...........44 § 3. La démocratie, pour quoi faire ?.......................................................45 Conclusion............................................................................................................47 Annexes................................................................................................................49 Annexe 1 Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme Statut des instruments internationaux relatifs aux Droits de l'Homme ..........................................................................50 Annexe 2 Réserve de la Chine au PIDESC......................................................................52 Annexe 2 bis Extrait du PIDESC :...................................................................53 Annexe 3 Chine : Taux bruts de natalité, de mortalité et d'accroissement naturel, pour mille, 19541990. ..............................................................................................54 Table des sigles....................................................................................................55 Bibliographie........................................................................................................56 Sociologie générale..........................................................................................56 Sociologie politique et des relations internationales..........................................56 Organisations internationales............................................................................56 La participation des élites au pouvoir................................................................57 Ouvrages généraux sur la Chine.......................................................................57 Droits de l’homme.............................................................................................57 Chine et droits de l’Homme...............................................................................58 Internet..............................................................................................................58 Presse...............................................................................................................59 Quotidiens....................................................................................................59 Autres...........................................................................................................59 II
Avantpropos et conditions d'utilisation Avant-propos et conditions d'utilisation B en 2004. eaucoup de chemin a été fait depuis la rédaction de ce mémoire, réalisé alors dans le cadre d'une maîtrise de science politique spécialisée en relations internationales à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne M. le professeur Jean KLEIN, que je n'ai rencontré qu'à l'occasion de ma soutenance, enseignait alors la stratégie politique. Ayant été, au cours de cette année universitaire, alitée quasiment toute l'année, il a gentiment accepté, et bien qu'il ne me connaissait pas, d'être mon directeur de recherches, ce qui m'a permis de passer ma soutenance en septembre, ainsi que l'ensemble des examens, et ainsi de valider ma maîtrise. Qu'il en soit ici remercier. Beaucoup de chemin parcouru disais-je donc, tant d'un point de vue personnel que du côté de ce pays-continent : la Chine. Et en même temps, sur le fond, peu de choses ont évolué concernant le sujet traité : l'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. Ayant ajouté à mes spécialités le Web et en particulier l'accessibilité du Web et les logiciels libres, je souhaite aujourd'hui mettre ce travail à disposition sur le Net, sans modification ni mise à jour. Il s'agit donc de la version rédigée et remise lors de ma soutenance en septembre 2004. Bonne lecture ! Fait à Ermont, le 3 novembre 2009, Armony ALTINIER-DIDON. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 1
Avantpropos et conditions d'utilisation Licence du document Je place la totalité de ce document sous licence Creative Commons by-sa : Paternité-Partage des Conditions Initiales à l'Identique, dans sa version 2.0 France. Vous êtes libres de : • de reproduire, distribuer et communiquer cette création au public ; • de modifier cette création (notamment pour la mettre à jour). Selon les conditions suivantes : • Paternité. Vous devez citer le nom de l'auteur original, Armony ALTINIER, mais pas d'une manière qui suggérerait qu'il vous soutient ou approuve votre utilisation de l'œuvre. • Partage des Conditions Initiales à l'Identique. Si vous modifiez, transformez ou adaptez cette création, vous n'avez le droit de distribuer la création qui en résulte que sous un contrat identique à celui-ci. À chaque réutilisation ou distribution de cette création, vous devez faire apparaître clairement au public les conditions contractuelles de sa mise à disposition. La meilleure manière de les indiquer est de publier cette page sur les conditions d'utilisation. Chacune de ces conditions peut être levée si vous obtenez l'autorisation du titulaire des droits sur cette œuvre. Rien dans ce contrat ne diminue ou ne restreint le droit moral de l'auteur ou des auteurs. Pour plus d'informations sur la licence Creative Commons by-sa 2.0 France, vous pouvez consulter sur le Web : http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/fr/ [dernière consultation le 03/11/2009]. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 2
Introduction Introduction Tout ce qui sépare la Chine de l’Occident a depuis longtemps constitué une source de curiosité pour les chercheurs et les aventuriers en tous genres. La barrière de la langue et la difficulté de se procurer des archives ou des documents officiels dans un régime peu enclin à laisser transparaître certaines informations en ont toutefois découragé plus d’un. A tel point qu’aujourd’hui, il y a bien peu d’études sur la Chine en sciences humaines en langue française, la maîtrise de l’anglais s’imposant aux sinophiles pour approfondir leurs connaissances. Cependant, depuis quelques années, la Chine tend à s’imposer dans tous les domaines et l’organisation d’évènements visant à mieux faire connaître la culture chinoise a fait de cette puissance montante un vrai phénomène de mode, suscitant des vocations. Les années croisées France-Chine1 en sont un exemple parmi d’autres. Mais alors qu’à l’occasion justement de l’année de la Chine en France, le Salon du Livre mettait ce pays à l’honneur, le prix Nobel de littérature, GAO Xingjian, était prié de rester chez lui, en région parisienne. La raison de cette mise à l’écart ? L’engagement de cet écrivain de renom en faveur des droits de l’homme pourrait embarrasser les autorités chinoises. Évidemment, ce n’est pas la raison officiellement donnée. Mais il est difficile de croire que le simple fait que GAO ait acquis la nationalité française soit un motif suffisant pour l’exclure d’une manifestation de cette importance. D’autant que le Salon du Livre avait également prévu d’accueillir des écrivains de la diaspora. Cet épisode est révélateur de deux choses. Malgré la volonté de Pékin de s’ouvrir au monde et de s’insérer dans le jeu international aux côtés des puissances mondiales, il est des sujets sur lesquels les autorités chinoises ne transigent pas. Quant à l’attitude de la France à cette occasion, le fait qu’elle se soit pliée aux desiderata de Pékin au détriment des principes de respect des droits de l’homme et plus simplement de reconnaissance littéraire, exprime toute l’ambiguïté de ces puissances étrangères qui, pour investir le marché chinois, cultivent des amitiés avec un régime qui va à l’encontre des plus hautes valeurs défendues par les pays en question. Ainsi, au delà du phénomène de mode, la Chine mérite une attention plus ciblée sur les pratiques politiques de son régime. Le taux de croissance économique envié par tous les pays développés, les progrès enregistrés au niveau des libertés individuelles et même la constitution d’une société civile sont autant de dérivatifs utilisés par le Parti communiste chinois (PCC) pour mieux préserver le régime en place et détourner l’attention de la communauté internationale de la situation politique dans le pays. Il ne s’agit pas pour nous de nier les réelles avancées que la Chine a connu depuis vingt ans dans la modernisation globale du pays. En cela, la page du maoïsme a bien été tournée. Toutefois, si la réforme de l’économie engagée dans les années 1980 a permis à la Chine d’entrer dans l’ère capitaliste – son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001 tenant lieu d’aboutissement de son projet d’investissement sur la scène internationale – la réforme politique quant à elle ne semble pas être inscrite sur l’agenda de Pékin. Alors que la Chine évoque de plus en plus facilement la question des droits de l’homme, la rhétorique employée dénote cependant une réticence toujours très importante quand il s’agit de faire des rapports indépendants sur l’état réel de la situation dans le pays. Et dès que des mises en cause directes sont faites à son égard, les grands discours font place à une diplomatie plus menaçante, recourant à tous les moyens disponibles pour faire cesser les débats, quand elle ne peut tout simplement les éviter. C’est cette façon déconcertante avec laquelle Pékin manipule le débat qui nous fait penser qu’il existe bien une stratégie chinoise utilisant la notion de droits de l’homme pour servir les intérêts du Parti, au premier 1 Ces « années croisées » commencent par l’année de la Chine en France en 2003-2004 et se poursuivent par l’année de la France en Chine en 2004-2005. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 3
Introduction rang desquels le maintien du monopole qu’il exerce sur la vie politique chinoise. Quand on parle de droits de l’homme, il ne faut pas perdre de vue la portée idéologique et politique de ces termes. Née en Europe et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, la notion a fini par s’imposer sur la scène internationale comme incontournable et universelle. Aucun des États membres de l’ONU ne se risquerait aujourd’hui à dénoncer leur existence, quand bien même ils ne les respectent pas. Le fait que cette notion d’origine occidentale se soit répandue à travers le monde a parfois été dénoncé comme de l’hégémonisme culturel. Pour autant, la reconnaissance officielle de la légitimité des droits de l’homme par l’ensemble des États membres de l’ONU semble avoir réglé le problème de l’existence de tels droits. La critique s’est alors tournée vers le modèle démocratique de gouvernement. Mais peut-on envisager un État garantissant le respect de l’ensemble des droits de l’homme et ne fonctionnant pas sur un modèle démocratique ? En réalité, la démocratie est une composante essentielle des droits de l’homme. C’est elle qui permet de répondre au volet politique de ces droits, celui qui offre la possibilité aux individus citoyens d’un État de choisir librement leurs représentants. Il est vrai que cette conception des droits de l’homme correspond à un modèle particulier et historiquement daté, mais l’universalité de ces valeurs n’empêche pas la portée politique dont elles sont dotées. Alors que la fin de la Guerre froide devait proclamer la victoire du camp démocratique, le fait que de nombreux régimes continuent à bafouer les droits de l’homme prouve que la bataille idéologique est loin d’être terminée. Et la Chine entend bien s’investir dans ce combat afin d’écarter les risques d’un changement politique. Ne pouvant échapper à un débat sur les droits de l’homme, le Parti communiste chinois a donc décidé de l’adapter à ses propres intérêts. En inventant un discours chinois sur les droits de l’homme, Pékin rompt avec son ancienne politique de dénégation pour se constituer une nouvelle respectabilité internationale, condition essentielle à sa reconnaissance en tant que grande puissance. Aussi a-t-elle élaboré toute une stratégie dont le but politique est la conservation du pouvoir au bénéfice exclusif du Parti. C’est donc pour préserver le monopole du pouvoir que le PCC a cherché à répondre à un double objectif. Sur le plan international, la Chine avait surtout besoin de sortir de son isolement. Avec la mondialisation des échanges, l’enfermement politique et économique revient à terme à une implosion du régime, et cela les autorités chinoises l’ont bien compris. En observant le retard accumulé par la RPC dans tous les domaines par rapport aux pays occidentaux, le PCC aimerait trouver le moyen de changer le rapport des forces à son avantage. Mais pour cela, encore faut-il « revenir dans le monde ». L’objectif est donc de s’investir totalement sur la scène internationale en tant que puissance mondiale devant rivaliser à terme avec les États-Unis. Ce besoin de reconnaissance et de légitimité internationales dans un monde de plus en plus globalisé passe notamment par l’adhésion aux grands principes du droit international, au premier rang desquels figurent les droits de l’homme. Cet objectif requiert de la part de la RPC une démarche active, se plaçant alors dans une posture offensive. Le deuxième aspect de son objectif stratégique tend à assurer un minimum de liberté aux citoyens chinois pour éviter une explosion sociale, tout en maintenant un contrôle strict sur le plan politique afin de préserver la stabilité du régime. La distribution sélective et contrôlée des libertés civiles à la société sert dans ce cas à prévenir contre toute action de masse susceptible de renverser le pouvoir. Le discours sur les droits de l’homme, autrefois dénoncé par le pouvoir de Pékin, est donc aujourd’hui utilisé par la Chine, tant sur le plan interne qu’au niveau international, pour conforter un régime qui n’a rien de démocratique. Alors que la Chine se targue d’être entrée dans l’ère de la modernité, ne serait-ce pas justement cette prétendue modernité occidentale, dont le symbole serait le succès économique, qui donnerait les clés au PCC pour assurer la stabilité d’un pouvoir post-totalitaire ? Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 4
Introduction Cette problématique n’est peut-être pas très répandue, mais elle soulève des questions qui nous semblent essentielles pour comprendre la Chine d’aujourd’hui et sortir d’une espèce de béatitude ambiante face aux « progrès » permis par le PCC et aux efforts qui seraient le symbole de sa prétendue « bonne foi » pour jouer le jeu politique selon les règles internationales en vigueur. Évidemment, le constat peut sembler pessimiste, puisque tout au long de ce mémoire nous avons essayé de trouver les arguments devant convaincre du bien-fondé de notre hypothèse. Peu d’espace a ainsi été consacré aux militants des droits de l’homme et aux démocrates chinois qui se battent pour dénoncer les abus du régime commis contre les droits de l’homme. Leur combat est certes important dans la définition d’un contre-pouvoir devant permettre la création d’une société civile. Mais notre parti a été de nous placer du point de vue des autorités chinoises afin de démontrer la subtilité avec laquelle elles parviennent à manipuler leurs partenaires et la population. Ainsi, l’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’Homme n’est pas anodin et l’observation de son attitude dans les débats les concernant démontre une volonté persistante des autorités chinoises de garder le contrôle (1ère partie). C’est alors que les droits de l’homme, concept devant en principe être le moteur d’une émancipation de la société, se voient utilisés pour servir la stabilité du régime de Pékin (2ème partie). Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 5
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme PREMIÈRE PARTIE L’INVESTISSEMENT DE LA CHINE DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME Alors que les débats se multiplient pour savoir si la Chine est entrée ou non dans le monde2, la réponse semble s’imposer tant les efforts fournis par Pékin pour promouvoir son ouverture sont importants (Chap. 1). Mais à ces effets d’annonce véhiculant souvent une image publicitaire de ce pays, il convient de s’interroger sur la signification réelle de cette entrée dans le monde, si tant est que l’on puisse vraiment parler d’ouverture (Chap. 2). 2 À l’occasion de la 24e édition du Salon du livre de Paris pour laquelle la Chine était à l’honneur, l’un des débats était intitulé « La Chine dans le monde, la Chine et le monde ». Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 6
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Chapitre 1 Ouverture de la Chine aux étrangers et implication dans les organisations internationales Loin du portrait d’une Chine sclérosée, fermée sur elle-même, le pouvoir chinois s’est efforcé de créer depuis le début des années 1980 une image reflétant son ouverture sur le monde (Section 1). Mais, alors que de réels changements ont eu lieu après la mort de Mao, cette ouverture est restée sous le contrôle politique de Pékin qui a su s’adapter aux règles du jeu international, comme « l’eau [qui] n’a de forme fixe »3 (Section 2). 3 Cette image renvoie au chapitre VI, « Vide et Plein », du traité sur l’art de la guerre de maître Sun. Il recommande la souplesse dans l’organisation des forces armées en préconisant l’adaptation des formations selon les principes taoïstes des cinq éléments et des quatre saisons. Voir SUN Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachettes Littératures, 2000, p. 68. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 7
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Section 1 Le changement d’attitude de la RPC depuis 1978 : une image travaillée § 1. La part active du régime chinois dans son ouverture au monde Si la mort de Mao Zedong en 1976 constitue une rupture significative dans la vie politique chinoise, il faut attendre l’année 1978 pour que la faction réformatrice du Parti communiste chinois (PCC), les « rénovateurs », arrive au pouvoir. A la tête des rénovateurs, Deng Xiaoping jouera un rôle prépondérant dans la démaoïsation du pays. Cette « rénovation » passera notamment, en juin 1979, par la promulgation d’un code pénal et d’un code de procédure pénal, et par le lancement d’un programme de compilation de divers autres codes, dont le code civil en 1986 4. Par ailleurs, c’est également en 1979 que la Chine commence à mettre en place des mesures pour ouvrir progressivement son économie aux entreprises étrangères. Mais, à la différence de ce qui se passa dans les années 1920-1930, Marie-Claire BERGERE souligne que « cette participation [étrangère au développement de la Chine] n’est plus subie : elle est voulue par le gouvernement chinois qui en fixe les modalités, autant que par les investisseurs étrangers, toujours fascinés par le mythe du marché chinois et désireux de pratiquer des délocalisations propres à réduire leurs coûts de fabrication. »5. En effet, jusqu’à la prise de pouvoir du PCC en 1949 qui correspondit à un retrait du monde, toutes les initiatives prises par l’Occident pour pénétrer le marché chinois se firent par la force et furent très mal vécues par la population elle-même qui développa dès lors un nationalisme farouchement anti-occidental. Si l’on doit plutôt parler d’agression de type impérialiste que de choc des cultures, cette approche n’aida pas à surmonter les antagonismes existants entre deux civilisations riches d’une histoire et de coutumes différentes. CHU Xiaoquan précise en ce sens que « l’antagonisme entre la culture chinoise et la culture occidentale est en fait né d’une conjoncture historique particulière »6. Ainsi, à cette ouverture forcée, qui s’étendit pendant près d’un siècle et que d’aucuns qualifient de « siècle de la honte »7, a suivi un long repli de trois décennies auquel Deng et ses acolytes ont mis fin, mais de manière volontaire cette fois. Les mesures qu’ils prennent permettent d’abord, sur le plan intérieur, de tripler le revenu des agriculteurs entre 1979 et 1985, en commençant par autoriser la création de petites entreprises privées et en rétablissant le lien entre rémunération et production. Mais c’est surtout au cours de l’année 1984 qu’une accélération décisive des réformes va voir le jour. Parmi les mesures adoptées, la libéralisation de près de la moitié des prix, la création de zones économiques spéciales au Guangdong, au Fujian et dans le bas Yangzi, ainsi que l’ouverture de quatorze villes côtières aux investissements étrangers. Cependant, toutes ces réformes n’entament en rien la structure du régime chinois qui continue à réserver la direction des affaires publiques au bénéfice exclusif du PCC. Ainsi va se poursuivre le train des réformes, alternant des mesures de libéralisation de l’économie et un retour à des mesures de contrainte.8 Toutefois, même si la structure du régime chinois reste inchangée, l’ouverture d’une partie de son économie va avoir pour effet immédiat de changer l’image de la Chine 4 VANDERMEERSCH Léon, « Droits et rites en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 122. 5 BERGERE Marie-Claire, « Les tribulations du capitalisme en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 6 CHU Xiaoquan, « Aspects de la vie intellectuelle et culturelle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 167. 7 Le siècle de la honte commencerait à la moitié du XIXe siècle, avec les guerres de l’opium et notamment le traité de Nankin du 29 août 1842. Il s’achève avec l’accession des communistes au pouvoir le 1er octobre 1949. Voir l’article : « Les guerres de l’opium, le début du « siècle de la honte » », in : Diplomatie Magazine, n°9, juin-juillet 2004, p. 34. 8 GERNET Jacques, Le Monde chinois, Paris, Armand Colin, 1999, p.580-581. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 8
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme sur la scène internationale. Ainsi, alors que dès 1971 la RPC entrait au Conseil de sécurité de l’ONU au détriment de Taiwan, et malgré la visite de Nixon dans la capitale chinoise le 21 février 1972, ce n’est qu’en 1979 que les États-Unis reconnaissent officiellement la RPC en rétablissant des relations diplomatiques avec Pékin. § 2. L’utilisation stratégique d’une ouverture contrôlée Les mesures prises par Pékin ne relèvent pas d’un changement d’idéal, mais plutôt du constat pragmatique de la nécessité de s’ouvrir au monde pour mieux en tirer parti. Ce constat s’accompagne d’une réalité d’autant plus difficile que la situation de la Chine au sortir de trente années de fermeture maoïste rend les réformes économiques tant indispensables que délicates. En effet, comme le remarque Rosemary FOOT, « La composition démographique de la Chine, son impact aussi bien réel que potentiel dans les domaines de l’environnement, de la stratégie et de l’économie[…] augmentent les effets de son attitude envers les normes centrales[…], mettant ainsi en lumière les faiblesses de la Chine si elle choisissait de se tenir à l’écart du système et sa force si elle décide d’y adhérer. »9 Ayant compris le danger que courrait la Chine à rester en dehors d’un monde caractérisé par la circulation accélérée de flux en tous genres, Deng et les rénovateurs réalisèrent une « ouverture contrôlée »10 en négociant habilement un retour dans le monde qui lui a épargné des modifications majeures de son système d’organisation intérieur. Ce qui fait, comme l’écrit Jean-Luc DOMENACH, « la grande originalité de la situation chinoise »11. La part résolument active que prend le pouvoir chinois dans son ouverture au monde révèle donc tout à la fois une volonté de jouer un rôle dans le monde, mais aussi, et peut-être surtout, l’espoir de maintenir le régime en place en dynamisant l’économie par l’apport de capitaux étrangers, condition de survie du régime dans une Chine économique dévastée par les trente années de fermeture passées. Ainsi, c’est paradoxalement son entrée dans la mondialisation qui aura permis au Parti communiste chinois (PCC) de survivre et de placer la Chine sur le devant de la scène internationale. La question que l’on peut se poser alors, c’est en quoi l’entrée de la Chine sur la scène internationale lui permet-elle de renforcer son pouvoir ? En effet, l’ensemble du corpus juridique international s’appuie sur une contribution directe des pays occidentaux qui se sont inspirés de leur histoire particulière pour l’élaborer. Le droit international recèle donc toute une série de contraintes pour les pays qui y adhèrent, notamment en matière de respect des droits de l’homme, notion a priori étrangère au système de pensée traditionnel chinois12. Ainsi, il est plutôt difficile pour les régimes autoritaires de se soumettre à ces normes sans risquer de perdre leur identité. C’est pourquoi nombre d’auteurs ont tendance à confondre l’adhésion progressive de la Chine au système de normes internationales avec une victoire de « l’impérialisme démocratique » auquel nul pays ne pourrait échapper à terme. Une autre approche privilégie l’apparition de nouveaux acteurs, en particulier les Organisations non gouvernementales (ONG), et l’autonomisation des organisations internationales (OI) pour expliquer que cette participation de la RPC au régime international des droits de l’homme est une preuve de l’universalisation inéluctable d’une nouvelle diplomatie extra-étatique. Ce qui fait écrire à Bertrand BADIE que les droits de l’homme auraient cessé « d’être un habillage rhétorique pour devenir un instrument d’action du plus fort chez le plus 9 FOOT Rosemary, Rights Beyond Borders : The Global Community and the Struggle over Human Rights in China, New York, Oxford University Press, 2000, p.62 [traduction personnelle] 10 DOMENACH Jean-Luc, « La Chine est-elle entrée dans le monde ? », in : MICHAUD Yves (dir.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.258. 11 Ibid., p.258. 12 Nous verrons dans la deuxième partie que si les droits de l’homme sont une invention européenne, les penseurs chinois ont développé très tôt de leur côté les outils permettant de penser les droits fondamentaux. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 9
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme faible »13. Si l’on ne peut nier que « la référence aux droits de l’homme se fait irrémédiablement présente, tel un paramètre qui doit se compter au nombre de ceux qui pèsent sur l’action internationale »14, il semble que la Chine, qui ne figure pas parmi les puissances les plus fortes, surtout face aux États-Unis, contredise cette approche victimisante du régime de Pékin. Car, comme le fait justement remarquer Jean-Luc DOMENACH : « l‘accumulation des contrôles a fait de l’ouverture chinoise au monde une ouverture profondément stratégique, dont les cibles, l’ampleur et les effets sur la scène politique sont en permanence demeurés sous le contrôle des autorités […] »15. § 3. Une méthode bien rodée La réforme du système politique chinois n’est pas une invention contemporaine. Les réflexions sur une nécessaire refonte des institutions avaient déjà été entamées à la fin de l’Empire, avant même les invasions occidentales16. Pierre-Étienne WILL écrit d’ailleurs à ce sujet que « les solutions constitutionnelles « modernes » [chinoises] ne sont jamais que les réponses les plus récentes à de vieilles questions tout à fait « chinoises » »17. Les réformes commencées en 1978 ont donc bénéficié du résultat des travaux précédents. Mais ce qui a été accompli au niveau de la libéralisation économique était loin d’être envisagé au niveau de la société. Malgré cela, la mort de Mao Zedong et la prise de pouvoir par les réformateurs a fait courir sur le pays un vent d’espoir quant à l’avènement possible d’une ère de libertés . Profitant des luttes opposant factions réformatrice et conservatrice au sommet du Parti, tout un mouvement d’opposition va éclater au grand jour.18 Les démocrates expriment à cette occasion leurs griefs et leurs espoirs sur les murs des grandes villes chinoises, et ce à travers tout le pays. Réunissant victimes de l’ère maoïste, poètes et écrivains mais aussi des groupes politiques, ce mouvement dit du « Mur pour la démocratie » ne durera que quelques mois entre novembre 1978 et décembre 1979, ce qui pose d’emblée les limites de l’ouverture amorcée par le régime. La méthode employée par le pouvoir pour éviter que de tels mouvements de contestation ne s’autonomisent, d’une redoutable efficacité, sera réutilisée pendant la terrible répression des mouvements étudiants du Printemps de Pékin le 4 juin 1989, ainsi que lors de l’ensemble des révoltes paysannes ou ouvrières qui auront lieu plus tard dans le pays. Dans un premier temps, les autorités bloquent l’information, réduisant à néant l’éventualité d’une structuration d’un mouvement d’une plus grande ampleur. Le contrôle de l’information et le monopole de l’écriture de l’histoire exercé par le Parti constituent une arme fondamentale pour le pouvoir, empêchant par ce contrôle la structuration d’une mémoire qui permettrait aux différents mouvements d’opposition de s’enraciner et de se construire en tant que force alternative. Après avoir isolé le mouvement, les autorités s’emploient à punir les organisateurs, tuant dans l’œuf toute possibilité de récidive.19 Ces méthodes, combinées à une propagande active entretenant le nationalisme ambiant, sont directement issues de l’ère maoïste, dont le grand mouvement anti-droitier de juin 1957 fournit un bon exemple. C’est à cette occasion que Mao réprima les personnes qui, ayant obéi à son appel, avaient critiqué le pouvoir 13 BADIE Bertrand, La diplomatie des droits de l’homme : Entre éthique et volonté de puissance, Paris, Fayard, 2002, p.88. 14 Ibid., p.112. 15 DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p.251. 16 Sur la continuité du processus d’étatisation et sur l’évolution des réformes chinoises, voir : KHUN Philip A., Les origines de l’État chinois moderne, Paris, Ed. de l’EHESS, 1999. 17 Ibid., p. 71. 18 BEJA Philippe, A la recherche d’une ombre chinoise : Le mouvement pour la démocratie en Chine [1919-2004], Paris Seuil, 2004, p.34 + p.64-70. 19 Ibid., p.48 + BONNIN Michel, « Comment définir le régime politique chinois ? », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.233-234. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 10
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme du Parti. La dictature du Parti en était sortie renforcée20. S’il est vrai qu’aujourd’hui, avec justement l’ouverture du pays, le travail des ONG de défense des droits de l’homme a été facilité et leur a permis de mener des campagnes parfois de grande envergure, le pessimisme de Samy COHEN lorsqu’il écrit que « les campagnes pour la défense des dissidents chinois n’ont eu d’autre effet que de conduire le gouvernement chinois à un meilleur savoir-faire dans sa politique de communication avec les gouvernements occidentaux […] »21 semble malheureusement se vérifier. Car si Pékin a appris à relâcher son contrôle de la vie privée des individus ainsi que de la vie économique, Michel BONNIN nous rappelle que « ce retrait n’est que partiel, et, surtout, il s’agit d’une auto-limitation qui ne modifie pas fondamentalement le rapport existant entre État et Individu. »22. L’ouverture de la Chine est passée notamment par l’adoption progressive des normes internationales autrefois honnies. Mais l’adoption des règles du jeu existantes permet à la Chine de profiter des failles du système pour en changer les règles, ce qui est d’autant plus prégnant lorsque l’on prend l’exemple de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme (CNUDH). 20 BEJA, Op. cit., p.39. 21 COHEN Samy, La résistance des États : Les démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris, Seuil, 2003, p.97. 22 BONNIN Michel, Op. Cit., p.238. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 11
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Section 2 L’utilisation des failles du système onusien au profit de la Chine : l’exemple de la CNUDH § 1. Les défaillances dues à l’organisation même L’ONU, instrument ô combien imparfait de médiation entre les peuples pour le maintien de la paix, est souvent pointée du doigt pour les dysfonctionnements dont elle est l’objet23. Mais c’est pourtant le seul outil aujourd’hui en place susceptible de prendre des dispositions au nom d’un intérêt proclamé universel. C’est bien cette universalité supposée qui la rend incontournable, et c’est la raison pour laquelle il n’est d’autre enceinte plus légitime que la CNUDH24 pour traiter du thème des droits de l’homme dont l’universalité, si elle est loin d’être établie dans les faits, est du moins aujourd’hui unanimement reconnue. Or, la CNUDH souffre aujourd’hui de son statut même d’organisation internationale. Certains auteurs25 tendent à présenter les organisations internationales, telle que la commission, comme une enceinte réunissant des États libres et pleinement conscients de leurs choix. Ce serait ignorer l’autonomie, certes relative, mais agissante, de ces organisations. Contrairement à la vision réaliste, Marie-Claude SMOUTS souligne même qu’ « une fois créées, les structures peuvent acquérir une dynamique personnelle et s’interposer de manière significative dans le jeu des acteurs »26. Si nous pensons qu’en dernier ressort, surtout pour des matières aussi sensibles que les droits de l’homme, les États conservent une marge d’action supérieure à celle des organisations, plusieurs effets découlant de cette autonomisation de la structure ont contribué à dénaturer la mission première de la commission. Un de ces effets est la dilution des objectifs initiaux de défense des droits de l’homme au profit d’une culture organisationnelle du compromis. Les négociations à l’œuvre dans toutes les organisations internationales rendent improbable, ou en tous cas peu souhaitable, toute décision aboutissant à un jeu à somme nulle. Ainsi, à vouloir épargner à tout prix la sensibilité de chacun, ce sont bien souvent les intérêts des victimes qui sont sacrifiés sur l’autel des marchandages diplomatiques. Et la CNUDH, malgré la noblesse de son objectif affiché, n’échappe pas à ce travers. En ajoutant à cela le principe démocratique à l’œuvre dans la commission, principe selon lequel les membres sont élus et les résolutions adoptées par l’ensemble des membres, en fonction du critère majoritaire, la brèche est suffisamment importante pour permettre aux pays autoritaires de s’y engouffrer afin de modifier le cours du jeu. Étant donné l’universalité de l’enjeu dont elle est porteuse, la logique visait conséquemment à permettre l’entrée du plus grand nombre de pays possible en son sein. On pourrait penser que les pays peu soucieux des droits de l’homme se tiendraient à l’écart d’une telle organisation dont la vocation première est de dénoncer les pays en infraction. La réticence fut en effet, dans un premier temps, la réaction naturelle de ces pays. Dans le contexte d’après-guerre où la construction de nations nouvelles allait de pair avec le développement d’une lutte idéologique sans précédent, les États en marge du système international préféraient se tenir à l’écart en faisant prévaloir leur droit à l’indépendance en vertu du principe de souveraineté, garanti par la Charte des Nations unies27. Mais cette stratégie de dénonciation trouva vite ses limites dans une société 23 Cf. la revue Pouvoir, n° 109, mars 2004. 24 Fondée en 1946 par le Conseil économique et social des Nations Unies dont elle dépend, elle compte aujourd’hui 53 membres élus pour 3 ans selon des critères géographiques et a pour mission de veiller au respect des droits définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ainsi que par les autres pactes signés sur le sujet. 25 Les tenants notamment de l’analyse du choix rationnel. 26 SMOUTS Marie-Claude, Les Organisations internationales, Paris, Armand Colin, 1995, p. 53. 27 L’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies dispose que : « Aucune disposition de la présente Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 12
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme mondialisée où la communication et l’homogénéisation des aspirations des populations rendent la critique des droits de l’homme peu tenable. En cela, on peut dire qu’il s’agit d’une victoire idéologique du camp occidental qui a su imposer à tous un discours sur l’existence et le respect de ces droits. L’utilisation d’un discours sur les droits de l’homme visant à discréditer politiquement et économiquement un adversaire non- démocratique devint plus aisé pour les Occidentaux et donc plus redouté par les pays visés. On assista dès lors à un revirement de situation. Plutôt que de se tenir à l’écart, les pays violateurs des droits de l’homme comprirent que le meilleur moyen de se prémunir contre tout examen de leurs pratiques par la CNUDH était d’en faire partie. Ainsi, le paradoxe fut atteint en 2002 quand 55 % des pays membres de la commission ne respectaient pas les droits de l’homme28. Au premier rang de ces pays qui tirèrent leur épingle du jeu en se faisant élire à la CNUDH, la Chine peut être considérée à bien des égards comme un chef de file. § 2. L’activisme chinois dans la redéfinition des priorités de la commission Une des pratiques les plus utilisées et les plus efficaces pour se prémunir contre une motion condamnant la situation des droits de l’homme dans un pays est l’utilisation de l’article dit de la motion de non action. Si cette pratique est aujourd’hui utilisée par d’autres pays comme le Nigeria29, elle était par le passé l’apanage de la Chine qui a ainsi ouvert la voie à de nouvelles pratiques de manipulation institutionnelle. Jouant de sa double identité de grande puissance en devenir et de pays du Tiers-Monde 30, la Chine se présente ainsi comme le précurseur d’une nouvelle diplomatie alliant discours policés et manœuvres procédurales pour détourner les institutions de leur vocation initiale. En décidant de se saisir de l’article 65.-2 du règlement intérieur des commissions techniques du Conseil économique et social31, la Chine joue pleinement le jeu de la commission et entre ainsi parfaitement dans le cadre institutionnel de la CNUDH. Cet article précise : « Toute motion tendant à ce que la commission ne se prononce pas sur une proposition a la priorité sur cette proposition »32. Rédigé à l’origine pour éviter que toute décision hâtive n’entrave le bon déroulement des sessions de la commission, cet article était conçu comme une mesure de prudence. Mais, entre les mains de Pékin, il devint un redoutable instrument de blocage, empêchant toute discussion sur un thème embarrassant les autorités chinoises. On voit dès lors l’habileté de la Chine qui, tout en respectant le cadre procédural mis en place avant son arrivée – et qu’elle n’a donc pas choisi33 – parvient à faire valoir ses vues parce qu’elle en est membre. Cette astuce procédurale, outre les avantages qu’elle offre à des pays en quête de légitimité internationale, marque surtout le rôle résolument actif de la Chine pour se faire une place dans les instances internationales, y compris dans celles s’intéressant aux droits de l’homme qu’elle ne respecte pas, mais sans renoncer à l’essentiel de la structure interne de son régime. Ainsi, après avoir usé et abusé de la clause de souveraineté protégé par l’article 2-§7 de la Charte des Nations unies, elle a su s’adapter à la prédominance d’un discours universaliste des droits de l’homme en utilisant les failles du système. Mais cela ne saurait être possible sans l’appui d’un grand nombre de pays. Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État […] » 28 BUHRER Jean-Claude, LEVENSON Claude, L’ONU contre les droits de l’homme ?, Paris, Mille et une nuits, 2003, p.190. 29 Ibid., p.183 30 FOOT Rosemary, Op. Cit., p.62. 31 Se reporter au site : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/2/rules4_fr.htm#65 32 Cité in : BUHRER…, op. cit. p. 176. 33 DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p. 263. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. 13
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