Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch

La page est créée Maxime Arnaud
 
CONTINUER À LIRE
Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
� �����
  �������������� �� �������� �� �����������

                                              www.romandieaddiction.ch

Neurosciences
de l’addiction
Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
CERVEAU
TABLE DES MATIÈRES

Préface                                          p. 3

Avant-propos                                     p. 4

                                                                    CONSOMMATION
1. Introduction                                  p. 5

2. Le cerveau
  2.1. Organisation                              p. 5
  2.2. Les neurones                              p. 5
  2.3. Le système limbique                       p. 6
  2.4. Le système de récompense                  p. 8
  2.5. La dopamine                               p. 9

3. La consommation de substances

                                                                   DÉPENDANCE
  3.1. L’alcool                                  p. 10
  3.2. La nicotine                               p. 11
  3.3. Le cannabis                               p. 12
  3.4. La cocaïne                                p. 12
  3.5. L’héroïne                                 p. 13

4. La dépendance
  4.1. Adaptation du système de récompense       p. 14
  4.2. Mécanismes moléculaires                   p. 14
  4.3. Sevrage                                   p. 15

                                                                   ADDICTION
5. L’addiction
  5.1. Indices et mémoire                        p. 16
  5.2. Addiction sans substance                  p. 17
  5.3. Le cortex préfrontal                      p. 17

6. Les facteurs individuels influençant la sensibilité addictive
  6.1. Les facteurs génétiques                   p. 18
  6.2. Stress et addiction                       p. 18
  6.3. Les risques liés à l’adolescence          p. 19
                                                                  FACTEURS

  6.4. L’histoire personnelle                    p. 19

7. Les formes de traitement
  7.1. Les thérapies psychologiques              p. 20
  7.2. Les traitements pharmacologiques          p. 20

8. Conclusion                                    p. 22

Glossaire
                                                                  TRAITEMENT

                                                 p. 23

Bibliographie                                    p. 24

                                             2
Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
CERVEAU
PRÉFACE

Le discours des neuroscientifiques a pris une place toujours plus importante dans le débat sur les
addictions. Rien d’étonnant à cette évolution, puisque les neurosciences de l’addiction ont connu
un développement remarquable au cours de ces dix dernières années.
Les phénomènes de l’addiction et de la dépendance ont de tout temps engendré des débats
empreints de passion où il n’est pas toujours aisé de différencier les connaissances validées des
idées préconçues. On a pu constater lors du dernier débat sur la révision de la loi fédérale sur les

                                                                                                          CONSOMMATION
stupéfiants que des lieux communs dépourvus de toute réalité scientifique refaisaient surface et
rendaient difficile une réflexion sereine.
L’Office fédéral de la santé publique s’est toujours efforcé de fournir au débat public et profession-
nel des connaissances fondées sur des faits. Tel est l’objectif premier de cette brochure, qui se
veut un document de vulgarisation scientifique. La compréhension des mécanismes du cerveau
est d’une grande complexité. Elle fait appel à des connaissances pointues maîtrisées par les seuls
spécialistes. Il était nécessaire de faire le point de la situation et de le communiquer dans un lan-
gage accessible à un large public de professionnels et de décideurs.
Les disciplines scientifiques et la technologie qui soutiennent le développement des neuroscien-
ces de l’addiction étant en pleine évolution, le document a été publié sous forme électronique afin
de pouvoir l’adapter aux dernières avancées de la recherche. Il est destiné avant tout aux pro-
fessionnels qui veulent actualiser leurs connaissances et peut servir d’outil didactique. Une large

                                                                                                         DÉPENDANCE
bibliographie permet aux étudiants d’approfondir le sujet. Une version abrégée est destinée aux
décideurs politiques et au grand public.
Je remercie les collaborateurs d’aXess qui ont rédigé la brochure, le Collège romand de médecine
de l’addiction, qui a piloté le projet, et les membres de son réseau qui ont livré de précieux com-
mentaires, ainsi que le conseil scientifique de la Société suisse de médecine de l’addiction, qui a
garanti la validité scientifique du document.

Berne, septembre 2009                                René Stamm, responsable de projet à l’OFSP

                                                                                                         ADDICTION
                                                                                                        FACTEURS
                                                                                                        TRAITEMENT

                                                 3
Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
CERVEAU
AVANT-PROPOS

Le Collège romand de médecine de l’addiction (COROMA), le Groupe d’experts Formation Dé-
pendances (GFD) soutenu par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la Société suisse
de médecine de l’addiction (SSAM) ont le plaisir de présenter au public intéressé une brochure
d’information sur les neurosciences de l’addiction. Ce travail de vulgarisation scientifique dans un
domaine d’actualité en plein essor répond à un véritable besoin de tous les professionnels con-
cernés et même du grand public. En effet, la thématique de l’addiction est sujette à des a priori et

                                                                                                         CONSOMMATION
à des débats conflictuels fondés avant tout sur des opinions qui méritent un échange scientifique
actualisé. Le concept d’addictologie érige une nouvelle science interdisciplinaire fondée sur les
savoirs (logos). Dans cette interdisciplinarité, de nombreuses professions et spécialités jouent un
rôle important. La médecine de l’addiction, quant à elle, compte beaucoup sur la neurobiologie
pour faire avancer diagnostics et traitements, mais n’oublie pas que l’approche des personnes
souffrant de pathologies complexes doit toujours se faire de manière holistique et multidimension-
nelle. Par exemple, pour les troubles mentaux, des vulnérabilités biologiques, psychologiques et
sociales s’expriment en fonction du contexte et de l’environnement.

Le concept de neurosciences est lui-même kaléidoscopique, relevant de nombreuses disciplines
allant de la biologie moléculaire (génétique) aux sciences humaines (neurosciences sociales) en
passant par la psychopharmacologie ou la neuropsychologie. Les neurosciences vivent un essor

                                                                                                        DÉPENDANCE
impressionnant, accéléré notamment par les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale, et des
milliers de chercheurs s’attaquent maintenant à la dernière aventure humaine, l’exploration de la
conscience. Comme toutes les sciences jeunes, les neurosciences pêchent parfois par enthou-
siasme et sont au risque d’un triomphalisme potentiellement réducteur. Mais les neuroscientifi-
ques avertis savent bien que la complexité de l’objet à étudier doit les incliner à la plus grande
modestie.

Cependant les addictions se prêtent particulièrement bien à l’approche neuroscientifique car les
substances psychoactives ont un impact observable et objectivable sur le cerveau. Ceci est vrai
chez l’animal, chez qui des modélisations sont utiles pour comprendre le comportement humain,
notamment dans le paradigme de l’auto-administration de substances psychoactives.

                                                                                                        ADDICTION
C’est pourquoi le lecteur de cette brochure comprendra qu’elle apporte un point de vue intéressant
et important dans le concert des approches interdisciplinaires déjà existantes. Les neurosciences
de l’addiction sont une pièce complémentaire de l’addictologie pour aider le public à passer du
jugement moral au jugement clinique et scientifique, contribuant ainsi à déstigmatiser les patients
souffrant de pathologies addictives.

Lausanne, juillet 2009                                                       Prof. Jacques Besson
                                                                                                       FACTEURS
                                                                                                       TRAITEMENT

                                                4
Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
CERVEAU
1. Introduction                                       une succession de structures. Il est néan-
                                                      moins possible de dessiner une cartogra-
                                                      phie en grandes aires cérébrales selon leurs
Dans la quête de la compréhension des                 implications dans différentes fonctions phy-
mécanismes de l’addiction*, les neuroscien-           siologiques et psychologiques.
tifiques poursuivent leurs recherches au ni-
veau moléculaire et cellulaire, mais égale-
ment au niveau cognitif et comportemental.            2.2. Les neurones
Les progrès des méthodes de recherche

                                                                                                           CONSOMMATION
ont permis de visualiser les modifications             Le cerveau est composé de cellules excita-
du fonctionnement cérébral lors de l’usage            bles, les neurones. Lorsqu’un neurone est
ponctuel ou chronique de psychotropes*                excité, il envoie une séquence de signaux
et de différencier les mécanismes de dé-              électriques (potentiels d’action) dans un pro-
pendance* et d’addiction. Les données de              longement appelé axone. Selon les connais-
la neuropsychologie, de la neurobiologie              sances neuroscientifiques actuelles, c’est
et de l’imagerie cérébrale ont pu ainsi dé-           la fréquence de ces potentiels d’action qui
montrer que la dépendance vis-à-vis des               constitue le principal moyen de transmission
substances psychoactives est le produit de            des informations. Les prolongements neuro-
mécanismes adaptatifs du cerveau face à               naux ne se touchent pas entre eux, ils sont
l’action des psychotropes et que l’addiction          connectés pas des structures ultra spéciali-
n’est pas due à une absence de volonté                sées appelées synapses. Pour que le mes-

                                                                                                           DÉPENDANCE
mais à une altération des mécanismes                  sage électrique passe de la terminaison de
d’apprentissage cérébraux qui vont influen-            l’axone à la cellule nerveuse suivante, il faut
cer les processus de motivation et de prise           qu’il franchisse un espace d’environ 10 à 40
de décision et qui explique la difficulté que          nanomètres : la fente synaptique. On estime
les personnes concernées ont à contrôler              que la surface d’un neurone peut être recou-
ou à interrompre leurs comportements de               verte jusqu’à 40 % par des synapses. A ce
consommation.                                         niveau, l’information change de nature, le
La diffusion des connaissances des neuros-            signal électrique est converti en la libération
ciences de l’addiction dans la société est            d’un messager chimique (un neurotrans-
l’occasion de corriger certains stéréotypes           metteur*). La fréquence des potentiels d’ac-
préjudiciables qui conduisent à la stigmati-          tion module ainsi la concentration de neu-
                                                      rotransmetteurs dans la synapse qui vont

                                                                                                           ADDICTION
sation de la toxicomanie et à des décisions
thérapeutiques et administratives erronées.           atteindre la membrane du neurone récep-
Pour autant, si cette brochure est consa-             teur. La liaison entre le neurotransmetteur et
crée aux relations entre psychotropes et              son récepteur spécifique, à la manière d’une
cerveau, nous n’oublions pas que d’autres             clé et sa serrure, déclenche une réponse
éléments essentiels entrent en jeu dans               physiologique nommée potentiel postsynap-
l’usage des substances psychoactives* et              tique. La sommation à la fois temporelle et
l’arrêt de leur consommation : entre autres,          spatiale de ces potentiels postsynaptiques
le contexte familial, social, culturel et éco-        "décide" selon un critère de seuil, du déclen-
nomique.                                              chement ou non d’un potentiel d’action dans
                                                      le neurone postsynaptique.
                                                      Le cerveau produit des dizaines de types de
                                                                                                           FACTEURS

                                                      neurotransmetteurs différents ; parmi ceux
                                                      qui sont impliqués dans les mécanismes de
                                                      la consommation de substances psychoac-
2. Le cerveau                                         tives nous pouvons citer la dopamine, la
                                                      noradrénaline, la sérotonine, les opiacés
                                                      endogènes, les cannabinoïdes, le GABA ou
2.1. Organisation                                     encore le glutamate.
                                                      Les synapses constituent le lieu privilégié
Le cerveau présente une organisation struc-           de modification du signal neuronal. A leur
turale et fonctionnelle. Certaines parties            niveau, celui-ci peut être renforcé, si la sy-
gèrent ainsi plus spécifiquement certains              napse est potentialisée (via une augmenta-
                                                                                                           TRAITEMENT

aspects du comportement ou de la pensée.              tion de la concentration de neurotransmet-
Mais cette division n’est pas stricte, l’infor-       teur, ou une augmentation du nombre de
mation est de manière générale traitée par            récepteurs), ou diminué si la synapse est

                                                  5
Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
CERVEAU
déprimée. L’ensemble de ces mécanismes            difier dans le temps l’efficacité de la com-
est résumé sous le terme générique de             munication entre les neurones, seraient à
plasticité synaptique. Les mécanismes de          la base des processus d’apprentissage et
plasticité synaptique, en permettant de mo-       de mémoire.

                                                                                                   CONSOMMATION
                                 terminaison
                                 du neurone
                                 pré-synaptique

                                                                                                   DÉPENDANCE
                                                         neurotransmetteur

                                                         neurone
                                                         post-synaptique

                                                                                                   ADDICTION
                                                         récepteur

                                                                                                   FACTEURS

                                          La synapse

2.3. Le système limbique                          taines structures situées en profondeur
                                                  dans les lobes temporaux, telles que l’hip-
                                                                                                   TRAITEMENT

Le système limbique n’est pas une struc-          pocampe, une structure cérébrale qui in-
ture cérébrale en tant que telle, mais un         tervient dans la mémorisation de souvenirs
réseau de voies nerveuses intégrant cer-          liés à une expérience, ou l’amygdale, une

                                              6
CERVEAU
autre structure cérébrale qui aide à évaluer          intérieur (homéostasie). Il s’agit d’une des
la valeur émotionnelle d’un événement. Le             structures les plus anciennes du cerveau
système limbique est très fortement asso-             sur le plan de l’évolution ; il existe même
cié à l’hypothalamus qui joue un rôle fon-            chez les poissons et les reptiles.
damental dans la régulation des fonctions             Une des fonctions primordiales du systè-
corporelles (régulation de la température,            me limbique est de renforcer les compor-
cycle circadien, rythme alimentaire, etc.),           tements essentiels à la survie de l’espèce
ainsi qu’au cortex frontal qui est impliqué           tels que la procréation, la prise alimentaire
dans les fonctions cognitives, la planifica-           ou les mécanismes de défense contre les

                                                                                                         CONSOMMATION
tion, la motivation et la prise de décision. Il       prédateurs. Il constitue en quelque sorte
influe sur le système endocrinien (sécrétion           un carrefour où se gèrent des informations
d’hormones) et le système nerveux auto-               en provenance de plusieurs autres structu-
nome responsable des fonctions automa-                res cérébrales avec le but de conduire à la
tiques (respiration, digestion, rythme car-           mise en œuvre d’un comportement adapté
diaque, etc.) et du maintien de l’équilibre           à chaque situation rencontrée.

                                                                                                         DÉPENDANCE
              cortex préfrontal
                                                                               aire
                                                                               tegmentale
                                                                               ventrale

                                                                                                         ADDICTION
             noyau
             accumbens
                                                                                                         FACTEURS

             amygdale

             hippocampe
                                                                                                         TRAITEMENT

                                        Le système limbique

                                                  7
CERVEAU
2.4. Le système de récompense                       damentaux (respiration, alimentation, élimi-
                                                    nation, maintien de la température, repos
Toutes les substances addictives ont en             et sommeil, activité musculaire et neurolo-
commun d’agir sur une partie spécifique du           gique, intégrité corporelle, contact social,
                                                    sexualité) et la transmet ensuite à une autre
système limbique, le système de récompen-
                                                    structure cérébrale située plus en avant du
se. En particulier, elles activent une région
                                                    cerveau, le noyau accumbens. Grâce à ce
appelée “aire tegmentale ventrale“, située          circuit, les actions intéressantes pour l’in-
en plein centre du cerveau. Cette structure         dividu sont repérées et renforcées dans le
reçoit de l’information de plusieurs autres

                                                                                                       CONSOMMATION
                                                    but de les voir, à l’avenir, reproduites dans
régions du système limbique qui l’informent         le même contexte. Le neurotransmetteur
du niveau de satisfaction des besoins fon-          utilisé par ces neurones est la dopamine.

                                                                                                       DÉPENDANCE
                                                                 Le circuit de la récompense
                      NA
                                                                    est composé de l’aire
                                                                  tegmentale ventrale (ATV)
                                ATV                             et du noyau accumbens (NA)

                                                                                                       ADDICTION
Le système de récompense
repère la conséquence inatten-
                                                                              neurone de l'aire
due et positive d’un comporte-                                                tegmentale ventrale
ment dans un contexte et gé-
nère un signal d’apprentissage
pour inciter l’individu à répéter
à l’avenir ce comportement.
                                                                                                       FACTEURS

Par exemple : un homme va
manger dans un nouveau res-
taurant. Etant particulièrement
séduit par la nourriture, par                                   neurone
                                                                du noyau
l’ambiance, ou encore par les                                   accumbens

charmes de la serveuse, son
système de récompense est
stimulé et va émettre un signal
d’apprentissage lui permettant
d’inscrire en mémoire que la
conséquence du comporte-
                                                                                                       TRAITEMENT

                                                                dopamine
ment est très positive, ce qui
l’incitera à revenir dans un bref
délai.

                                                8
CERVEAU
2.5. La dopamine                                    produise pas de pic de libération de dopa-
                                                    mine permet probablement de prévenir le
La dopamine est le neurotransmetteur impli-         sur-apprentissage des comportements afin
qué dans le fonctionnement du système de            qu’ils puissent être désappris ou modifiés si
récompense. Les expériences pionnières              leurs conséquences venaient à changer.
de Schultz (1998, 2000a,b) à l’Université           Contrairement à ce que l’on a longtemps
de Cambridge, menées sur des singes, ont            pensé, la dopamine n’est donc pas
montré que l’activité des neurones du sys-          responsable des états hédoniques, mais
tème de récompense qui produisent la do-            serait plutôt un signal d’apprentissage

                                                                                                       CONSOMMATION
pamine est fortement augmentée lorsqu’un            associé à l’obtention d’une récompense
singe reçoit une récompense inattendue.
                                                    dans un contexte précis. Autrement dit,
Lorsque l’animal reçoit une récompense qu’il
                                                    la dopamine signalerait la “saillance” ou
attendait, les neurones dopaminergiques
                                                    l’importance d’un événement ou d’un
s’activent normalement. Lorsque le singe at-
tend une récompense qui n’est pas délivrée,         comportement.
l’activité de ses neurones dopaminergiques
fortement réduite et la concentration de do-        Des études de neuroimagerie ont montré
pamine passe en dessous de la normale. La           que les mêmes principes de renforcements
dopamine informe donc le système nerveux            sont pertinents chez l’Homme, bien que
de la différence entre ce qui est attendu et        d’autres systèmes cognitifs viennent com-
ce qui est effectivement reçu. Le fait que          pléter, moduler ou s’opposer à ce système

                                                                                                       DÉPENDANCE
l’obtention d’une récompense attendue ne            primitif (McClure et al., 2003, 2003b, 2004).

         En résumé, la dopamine libérée par le cerveau lorsqu’un comportement par-
         ticulier aboutit à une conséquence positive et inattendue dans un contexte
         précis correspond à un véritable signal d’apprentissage. De cette manière, le
         cerveau fait en sorte que la probabilité de voir se renouveler ce comportement
         soit augmentée.

                                                                                                       ADDICTION
                                                                                                       FACTEURS
                                                                                                       TRAITEMENT

                                               9
CERVEAU
3. La consommation                                    que dans la moelle épinière. Ce système est
                                                      impliqué dans les processus de régulation
   de substances                                      de la température, du sommeil, de l’humeur,
                                                      de l’appétit et de la douleur. La cocaïne, les
                                                      amphétamines, le LSD et l’alcool interfèrent
Chaque substance produit des effets qui lui           avec ce système en produisant des modi-
sont spécifiques et qui vont conduire, selon           fications des concentrations de sérotonine
son appartenance à l’une des trois grandes            dans différentes zones du système ner-

                                                                                                       CONSOMMATION
familles de substances psychoactives, à               veux.
l’excitation, au ralentissement ou à l’hallu-         Les principaux effets physiologiques et
cination.                                             comportementaux des cinq substances

                          Effet       Excitation        Ralentissement           Hallucination
Substance
Alcool                                                          X

Nicotine                                   X

Cannabis                                                                               X

                                                                                                             DÉPENDANCE
Cocaïne                                    X

Héroïne                                                         X

Le comportement, la vitesse d’apparition de           psychoactives les plus étudiées sont décrits
la tolérance*, les symptômes de sevrage* et           ci-dessous : l’alcool, la nicotine, le canna-
les effets à court et à long termes seront af-        bis, la cocaïne et l’héroïne. Ces substances
fectés de manières diverses selon les subs-           miment l’action de molécules endogènes
tances consommées.                                    et, en se fixant sur certains récepteurs pré-
                                                      sents sur les neurones, peuvent les activer
En plus de leurs actions spécifiques sur le            ou les désactiver en générant des réactions

                                                                                                           ADDICTION
cerveau, toutes les substances addictives             biochimiques dans les synapses.
ont une action commune : elles produisent
toutes une augmentation de la libération de
dopamine dans le système de récompense.
Cela signifie qu’il se produit, lors de leur           3.1. L’alcool
consommation, un puissant signal d’ap-
prentissage qui va favoriser une prochaine            L’éthanol, la substance psychoactive conte-
consommation. Alors qu’habituellement la              nue dans l’alcool, est transmis par le sang
concentration de dopamine n’augmente que              directement du système digestif au cerveau
lorsque le comportement aboutit à une con-            où il interfère avec le système dopaminer-
séquence positive et, surtout, inattendue,            gique, sérotoninergique et endorphinergique
                                                                                                           FACTEURS

chaque prise de substance entraîne infailli-          (système anti-douleur). A l’heure actuelle,
blement une augmentation de la libération             le récepteur sur lequel se fixe l’éthanol n’a
de dopamine. Le cerveau va donc chercher              pas encore été découvert, mais on sait que
un nouvel équilibre pour pouvoir fonctionner          cette substance active, un peu partout dans
normalement en présence de substances                 le cerveau, les neurones inhibiteurs et inhibe
psychoactives. Cet effort de régulation est           les neurones excitateurs ! Les neurones inhi-
décrit au chapitre 4.1.                               biteurs agissent comme des freins alors que
                                                      les neurones excitateurs agissent comme
En plus des neurones à dopamine, de nom-              des stimulateurs du processus de transmis-
breux autres neurones subissent les effets            sion des informations neuronales. Ces deux
des psychotropes. Par exemple, le système             actions simultanées de l’éthanol produisent
                                                                                                           TRAITEMENT

sérotoninergique dont les ramifications par-           donc un effet de ralentissement général du
tent du noyau du raphé pour s’étendre jus-            fonctionnement du système nerveux central,
que dans la quasi-totalité du cerveau ainsi           provoquant calme, relaxation, somnolence,

                                                 10
CERVEAU
diminution de la motricité, ralentissement de          protectrice dans les maladies neurodégéné-
la fréquence respiratoire, nausées et même             ratives, telles qu’Alzheimer ou Parkinson, au
coma selon la dose consommée. Le fonc-                 niveau moléculaire mais également pour ses
tionnement de l’hippocampe est perturbé, ce            vertus de stimulation des fonctions cognitives
qui explique les phénomènes d’amnésie bien             d’attention, de concentration et de mémoire
connus de l’abus* d’alcool. Les capacités de           (Picciotto et Zoli, 2008).
jugement sont également affectées par ce ra-           Dans la consommation tabagique, la nicotine
lentissement.                                          passe par les muqueuses buccales, nasa-

                                                                                                            CONSOMMATION
Au niveau du système de récompense, con-               les et pulmonaires, et se répand dans tout le
trairement à l’effet de l’éthanol dans le reste        corps. Dans le cerveau, elle mime l’action de
du cerveau, ce sont les neurones inhibiteurs           l’acétylcholine et se fixe sur l’un de ses deux
des neurones dopaminergiques qui sont ren-             récepteurs. L’acétylcholine est un neurotrans-
dus inactifs. L’absorption d’alcool est donc           metteur principalement connu pour assurer la
suivie d’une augmentation de la libération de          communication entre les neurones et les mus-
dopamine dans le système de récompense.                cles qu’ils soient à fonction motrice, cardiaque,
Ce signal d’apprentissage renforce le com-             respiratoire ou encore digestive ; mais il joue
portement et augmente la probabilité d’une             également des rôles fondamentaux dans le cy-
future consommation.                                   cle veille-sommeil. Une fois libérée dans la sy-
L’usage prolongé d’alcool force le foie à dé-          napse, l’acétylcholine fixée sur ses récepteurs
grader plus rapidement l’éthanol, ce qui pro-          est rapidement dégradée par des enzymes.
duit une diminution de la sensation d’ivresse.         La nicotine assure les mêmes fonctions mais

                                                                                                                  DÉPENDANCE
Le cerveau, quant à lui, s’adapte pour deve-           les enzymes ne parviennent pas à la dégrader.
nir moins sensible et retrouver un fonction-           Elle stationne donc plus longtemps que l’acé-
nement "normal" malgré la consommation                 tylcholine dans la fente synaptique et agit par
d’alcool. Ces adaptations ont tendance à in-           conséquent de façon plus marquée en restant
citer le consommateur à augmenter les doses            fixée sur les récepteurs. La plus forte action
consommées pour continuer d’en ressentir               de la nicotine par rapport à l’acétylcholine pro-
les effets. S’il interrompt sa consommation,           duit donc une augmentation des capacités de
les adaptations cérébrales ayant diminué               concentration, de la sensation de détente, de
l’effet de l’alcool en réduisant la performance        la qualité de l’humeur, d’éveil et de plaisir. Les
des neurones inhibiteurs et augmentant celle           temps de réaction, l’anxiété et l’appétit dimi-
des neurones excitateurs, le cerveau devient           nuent (voir Rose, 2007 ; Benowitz, 2008, pour
sur-stimulé. La personne se retrouve en état           des revues de littératures sur les phénomènes

                                                                                                                ADDICTION
d’agitation, d’insomnie et risque même des             de tolérance à la nicotine).
crises d’épilepsie. Le taux de mort neuronale
augmente en présence régulière d’alcool et             Parmi ses autres fonctions, l’acétylcholine est
on assiste à une diminution du volume cé-              connue pour stimuler les neurones dopami-
rébral, en particulier du cortex préfrontal,           nergiques du système de récompense. Lors
causant des déficits cognitifs allant jusqu’au          d’apport massif de nicotine, les neurones
syndrome de Korsakoff qui se caractérise par           excitateurs qui stimulent les neurones pro-
des troubles de la mémoire, du raisonnement,           duisant la dopamine sont activés et les neu-
du comportement et de l’humeur. (Pour des              rones inhibiteurs qui freinent les neurones
revues de la littérature, voir Nevo et Hamon,          produisant la dopamine sont désactivés. De
1995 ; Fadda et Rossetti, 1998 ; Oscar-Ber-            plus, comme les enzymes qui dégradent nor-
                                                                                                                FACTEURS

man et Marinkovic, 2007).                              malement l’acétylcholine, ne dégradent pas
                                                       la nicotine, une concentration élevée de do-
                                                       pamine perdure dans le système de récom-
3.2. La nicotine                                       pense et produit un signal d’apprentissage
                                                       puissant qui favorisera le renouvellement du
Des milliers de substances chimiques ont               comportement tabagique.
été identifiées dans la composition de la ci-           Lorsque la consommation de tabac se pro-
garette. Les études scientifiques se sont               longe, les neurones augmentent le nombre
rapidement focalisées sur la nicotine mais il          de récepteurs nicotiniques afin de mieux pou-
semble que d’autres alcaloïdes entrent éga-            voir réguler le flux irrégulier d’arrivée de nico-
lement en jeu dans les phénomènes d’addic-             tine. Cette modification se fait par une activité
                                                                                                                TRAITEMENT

tion tabagique. Il faut relever également que          génétique nouvelle. Lorsque la personne ar-
la nicotine, en tant que substance isolée, a           rête de fumer, elle ressent donc les effets du
fait l’objet d’études pour son action neuro-           manque.

                                                  11
CERVEAU
3.3. Le cannabis                                      2005 ; Ben Amar et Potvin, 2007 ; DeLisi,
                                                      2008 ; Cooper et Haney, 2008 ; Fattore et
La recherche sur les effets du cannabis a             al., 2008).
permis de découvrir que des cannabinoï-
des naturels (endogènes) existaient dans le
cerveau. Une étude montre qu’ils sont im-             3.4. La cocaïne
pliqués dans les sensations procurées par
l’effort prolongé. On avait longtemps pensé           La cocaïne produit un effet stimulant,

                                                                                                        CONSOMMATION
que la sensation d’anesthésie des douleurs            euphorisant, d’exaltation, d’intelligence vi-
et d’ivresse à l’effort physique était due aux        vifiée, d’invincibilité et d’agitation motrice.
endorphines (opiacés endogènes). Il sem-              De l’agressivité peut parfois même se ma-
ble plutôt que ce soit les cannabinoïdes qui          nifester. Les effets de la cocaïne sont à la
jouent ce rôle. Ces cannabinoïdes ont, sans           fois rapides et de courte durée. Lorsqu’elle
doute, d’autres effets physiologiques et psy-         est fumée, la cocaïne produit en quelques
chologiques (Sparling et al., 2003) dont les          secondes une sensation d’euphorie qui ne
mécanismes restent encore à découvrir.                dure qu’entre 5 et 10 minutes. Injectée, elle
Les récepteurs aux cannabinoïdes inter-               produit en quelques minutes une montée
viennent dans la modulation de la libération          d’euphorie qui peut durer entre 20 et 60
de différents neurotransmetteurs. Ils ont             minutes. Reniflée, elle produit en quelques
une influence sur les processus d’apprentis-           minutes un effet qui peut durer entre 60 et
sage et de mémoire, ils jouent un rôle dans           90 minutes. Ces effets de courte durée sont

                                                                                                              DÉPENDANCE
le contrôle moteur, dans la perception de la          suivis d’une phase de dépression, d’anxié-
douleur, dans les perceptions sensorielles            té, de tensions musculaires très désagréa-
et ont également une influence sur le sys-             bles, appelée communément "descente".
tème immunitaire.                                     Ce phénomène incite le consommateur à
Le THC (la molécule psychoactive du can-              reprendre rapidement une nouvelle dose
nabis) se fixerait aux mêmes récepteurs                ou à user d’une autre substance telle que
que les cannabinoïdes endogènes mais                  le cannabis ou l’héroïne pour atténuer les
aurait des effets supérieurs.                         effets de la descente.
Au niveau du système de récompense, le                Au niveau physiologique, la cocaïne em-
THC, en se fixant sur ses récepteurs, blo-             pêche la recapture* de la dopamine, de
que les neurones qui inhibent les neurones            la sérotonine et de la noradrénaline. Ces
dopaminergiques. L’effet sur la libération            neurotransmetteurs "stationnent" donc plus

                                                                                                            ADDICTION
de la dopamine est donc comparable pour               longtemps dans la fente synaptique, ce qui
l’alcool et le THC bien que les récepteurs            a pour effet de décupler leur activité. Lors-
soient probablement différents. De ce blo-            que la cocaïne entre en interaction avec
cage découle une augmentation de la con-              des neurones impliqués dans le contrôle
centration de dopamine, ce qui a pour ef-             des mouvements, elle produit une augmen-
fet de renforcer les comportements liés à la          tation de l’activité motrice. Lorsqu’elle inte-
consommation de cannabis.                             ragit avec les neurones sérotoninergiques,
L’action prolongée du THC produit une                 elle produit des troubles du sommeil et une
adaptation des récepteurs aux cannabi-                diminution de l’appétit.
noïdes. Leur nombre et leur sensibilité di-           Au niveau du système de récompense, com-
minuent. Il faut donc que le consommateur             me la dopamine ne peut pas être récupérée
                                                                                                            FACTEURS

augmente les doses pour obtenir le même               après avoir été libérée dans la fente synap-
effet. Ces modifications des récepteurs ren-           tique, son effet est anormalement prolongé.
dent le consommateur également moins                  Le comportement lié à la consommation de
sensible aux cannabinoïdes endogènes.                 cocaïne est ainsi renforcé.
Les études épidémiologiques évaluent à                L’usage prolongé de cocaïne entraîne un
10 % la part de personnes "addictes" parmi            accroissement d’environ 20 % du nombre
les consommateurs réguliers. Le syndrome              de récepteurs sur les neurones inhibiteurs
amotivationnel a souvent été décrit comme             (Unterwald et al., 1994 ; Chevalley, 2002).
caractéristique de la consommation exces-             Le cerveau s’adapte donc en intervenant
sive de cannabis, cependant, tout comme le            "en amont" de la synapse en développant
risque d’éclosion de troubles psychotiques            les possibilités de stopper les neurones pro-
                                                                                                            TRAITEMENT

et de comportements paranoïdes, la relation           ducteurs de dopamine (pour des revues de
directe avec la consommation de cannabis              la littérature, voir Nestler, 2005 ; Thomas et
est aujourd’hui controversée (Laqueille,              al., 2008).

                                                 12
CERVEAU
3.5. L’héroïne                                                          sont libérées et l’organisme se détend,
                                                                        parfois jusqu’à l’euphorie et diminue ses
L’héroïne se fixe sur les récepteurs aux                                 douleurs. L’héroïne est plus puissante que
opiacés des neurones qui reçoivent ha-                                  les endorphines naturelles et produit par
bituellement les endorphines (des subs-                                 conséquent un effet supérieur.
tances produites naturellement par le                                   L’héroïne produit une diminution de l’activité
cerveau). Selon les systèmes neuronaux                                  des neurones inhibiteurs (les neurones qui
auxquels ils appartiennent, ces récepteurs                              freinent les neurones produisant la dopa-

                                                                                                                                      CONSOMMATION
sont impliqués dans la diminution de la                                 mine) du système de récompense. Ainsi, la
douleur, dans le contrôle de la respiration,                            levée des freins qui s’opposent à la surac-
du transit intestinal, de la contraction pupil-                         tivation des neurones dopaminergique pro-
laire, dans la modulation hormonale, dans                               duit une augmentation de la concentration
l’initiation du sommeil, dans les sensations                            de dopamine, ce qui constitue un puissant
de plaisir et d’euphorie et dans la diminu-                             signal d’apprentissage et par conséquent
tion du stress.                                                         provoque une augmentation de la probabi-
Les endorphines, une fois libérées dans                                 lité d’une future consommation.
la synapse, inhibent généralement les                                   L’usage prolongé d’héroïne provoque des
neurones, créant ainsi un état analgésique. A                           adaptations du cerveau qui diminuent la
un niveau moindre, les endorphines peuvent                              sensibilité des récepteurs. Pour des revues
également exciter certains neurones.                                    de la littérature sur les mécanismes céré-

                                                                                                                                            DÉPENDANCE
Lorsqu’un individu s’active physiquement,                               braux liés à la consommation d’héroïne, voir
travaille dur ou vit un stress, les endorphines                         Büttner et al., 2000 ; Christie, 2008).

                                                    Action sur le système                                              Potentiel
 Substance          Action générale                                                     Usage prolongé
                                                       de récompense                                                   addictif

             Action sur les systèmes dopa-                                        Sensation d’ivresse diminuée
                                                 Neurones à dopamine désin-
             mine, sérotonine, endorphine                                         Adaptation du cerveau
                                                 hibés
  Alcool     Neurones inhibiteurs activés                                         Sur-stimulation lors du sevrage   Modéré/élevé
                                                 Concentration de dopamine
             Neurones activateurs inhibés                                         Volume cérébral diminué
                                                 augmentée
             Ralentissement du SNC                                                Déficits cognitifs

                                                                                                                                          ADDICTION
                                                 Neurones à dopamine simulés
             Action sur un type de récep-        directement
             teur cholinergique                  Neurones activateurs des neu-
             Lente dégradation synaptique        rones à dopamine stimulés        Régulation de la nicotine par
 Nicotine    Détente, humeur, éveil, plaisir     Neurones à dopamine désinhibés   l’augmentation du nombre de       Elevé
             augmentés                           Libération de dopamine pro-      récepteurs
             Temps de réaction, anxiété,         longée
             appétit diminués                    Concentration de dopamine
                                                 augmentée
             Libération modulée de plu-
             sieurs neurotransmetteurs
             Apprentissage et mémoire péjorés
                                                 Neurones à dopamine désin-
             Contrôle moteur diminué
                                                                                                                                          FACTEURS

                                                 hibés                            Nombre et sensibilité des ré-
 Cannabis    Perception de la douleur per-                                                                          Modéré / faible
                                                 Concentration de dopamine        cepteurs diminués
             turbée
                                                 augmentée
             Perceptions sensorielles mo-
             difiées
             Système immunitaire perturbé

             Effet stimulant suivi d’une                                          Accroissement du nombre de
             phase de descente                   Recapture de la dopamine         récepteurs sur neurones inhi-
             Inhibition de la recapture de       inhibée                          biteurs
 Cocaïne                                                                                                            Elevé
             neurotransmetteurs                  Concentration dopamine aug-      Plus grandes possibilités de
             Activité des neurotransmet-         mentée                           stopper les neurones à dopa-
             teurs décuplée                                                       mine
                                                                                                                                          TRAITEMENT

             Fixation sur les récepteurs         Neurones à dopamine désin-
             aux opiacés endogènes               hibés                            Adaptation des récepteurs
  Héroïne                                                                                                           Elevé
             Inhibition créant un état analgé-   Concentration de dopamine        aux opiacés
             sique.                              augmentée

                                                                13
CERVEAU
4. La dépendance                                       déplaçant les récepteurs à dopamine à l’in-
                                                       térieur des neurones, un mécanisme qui a
                                                       pour conséquence de les rendre indisponi-
Les psychotropes mimant l’action de mo-                bles à la dopamine et qui engendre par con-
lécules produites naturellement par le cer-            séquent une diminution des signaux d’ap-
veau, leur présence dans l’organisme en                prentissage. Cette diminution s’applique
perturbe l’équilibre interne. Lorsque la con-          malheureusement aussi aux situations sans
sommation de substances psychotropes                   consommation de la vie quotidienne de l’in-
devient répétitive, le cerveau s’adapte pour           dividu. Son cerveau perd donc la capacité

                                                                                                           CONSOMMATION
tenter de recréer son équilibre. Il est capa-          à signaler un apprentissage d’un comporte-
ble de mobiliser de multiples mécanismes               ment intéressant pour sa survie, et par con-
pour parvenir à cet objectif : la diminution du        séquent, sa motivation à le reproduire. Des
nombre de récepteurs à la surface des neu-             chercheurs ont nommé ce mécanisme de
rones, la modification de la sensibilité de ces         régulation du système nerveux "processus
récepteurs, la diminution des quantités de             d’opposition aux drogues" (Koob et Le Moal,
neurotransmetteurs libérés, et même l’ac-              2008 ; Solomon et Corbit, 1974).
tivation de gènes jusque-là inactifs. Toutes
ces modifications qui peuvent se mettent en
place à long terme sous-tendent les méca-               Les substances psychoactives pertur-

                                                                                                       DÉPENDANCE
nismes de tolérance qui s’installent lors de            bent le fonctionnement normal des cir-
la consommation régulière de psychotrope.               cuits neuronaux, tel que le système de
L’individu doit alors augmenter les doses               récompense, mais également de nom-
pour ressentir le même effet. Ainsi, si la              breux autres circuits cérébraux. Des
prise occasionnelle de psychotropes produit             expositions répétées conduiraient alors
une sensation plaisante, d’intensité décu-              à la mise en place de compensations
plée par rapport au fonctionnement naturel,             durables s’opposant aux perturbations
lorsque la consommation devient répétitive              qu’elles causent. Il s’agirait d’une sorte
et chronique, le cerveau s’adapte pour dimi-            de "garde-fou" servant à conserver une
nuer les effets de la substance et l’individu           certaine intégrité du fonctionnement du
ressent un sentiment de tristesse, d’anxiété            cerveau. Cette recherche dynamique
et d’irritabilité mêlées (dysphorie). Cet état          d’un nouvel équilibre, couplée avec les
négatif le conduit à consommer à nouveau,               consommations suivantes, diminuerait

                                                                                                           ADDICTION
non plus pour ressentir les effets positifs             progressivement le métabolisme dopa-
du produit, mais plutôt pour réduire les ef-            minergique. Chaque nouvelle consom-
fets négatifs qu’il ressent lorsqu’il arrête de         mation destinée à retrouver le niveau de
consommer. Il vit donc une frustration qui le           base entraînerait alors, au contraire, la
pousse à de nouvelles consommations et à                poursuite de la diminution. Cette dyna-
l’augmentation des doses, voire à ajouter ou            mique pourrait inciter le consommateur
                                                        à répéter les expériences de consom-
à changer de substance. L’individu ne con-
                                                        mation et à augmenter les doses.
somme alors non pas pour "améliorer" son
état normal, mais pour le retrouver. Le pro-
blème est que cet état devient entre-temps
inatteignable. Seule la consommation de la
                                                       4.2. Mécanismes moléculaires
                                                                                                           FACTEURS

substance psychoactive permet d’effacer,
en partie et de manière temporaire, le mal-
                                                       Les neuroscientifiques cherchent à com-
être psychologique qui résulte de cet écart.
                                                       prendre comment l’usage chronique de
                                                       psychotropes usurpe et modifie le fonc-
                                                       tionnement du cerveau. Les études sur les
4.1. Adaptation du système                             modèles animaux ont ainsi pu mettre en
     de récompense                                     évidence deux types de mécanismes au ni-
                                                       veau moléculaire.
La consommation répétée provoque une                   Le premier s’exerce à court terme : il s’agit
modification progressive du fonctionne-                 de la suractivation, dans le système de ré-
ment des neurones du système de récom-                 compense, d’une protéine appelée CREB.
                                                                                                           TRAITEMENT

pense. Au niveau cellulaire, devant la sur-            Elle agit en stimulant l’expression de cer-
stimulation des neurones dopaminergiques,              tains gènes, dont un en particulier provoque
le cerveau peut s’adapter, par exemple, en             une inhibition des neurones à dopamine (via

                                                  14
CERVEAU
une molécule appelée dynorphine). Elle dé-            veau ne s’adapte pas immédiatement à ce
sactive par conséquent partiellement le sys-          nouveau changement. Il continue durable-
tème de récompense.                                   ment de produire des "casseurs d’effet" des
Le second mécanisme semble être impliqué              substances. Les symptômes de manque*
dans un effet à plus long terme. Il s’agit de         ne sont en fait que l’expression de ce nou-
la surexpression, de la protéine delta FosB.          veau déséquilibre. Au niveau clinique, ces
Cette protéine est très stable, elle reste ac-        symptômes permettent de définir la dépen-
tive dans les neurones très longtemps (des            dance, phénomène qui touche ainsi 100%
semaines, voire des mois) après une prise             des personnes exposées de façon répétée

                                                                                                            CONSOMMATION
chronique de psychotropes. Son action en-             à un psychotrope. Le retour vers un équi-
gendre l’activation de gènes qui vont en-             libre se fait en quelques semaines voire
traîner des modifications structurales des             quelques mois, en fonction du produit et
neurones (Nestler et al., 2005 ; Kalivas et           des facteurs personnels. La diminution pro-
O’Brien, 2008).                                       gressive des doses est souvent préconisée
A l’échelle cellulaire, les substances psy-           pour réduire le syndrome du sevrage. Tou-
choactives provoquent une cascade d’évé-              jours est-il qu’à la fin de cette "aventure", le
nements allant jusqu’à des modifications               cerveau demeure marqué par les différents
morphologiques surprenantes !                         bouleversements qu’il a vécu et, de ce fait,
                                                      l’individu reste très "vulnérable" face aux

                                                                                                        DÉPENDANCE
                                                      psychotropes, c’est pourquoi le risque de
4.3. Sevrage                                          rechute reste élevé. De nombreuses ques-
                                                      tions persistent néanmoins. Après combien
La réponse si violente de l’organisme à               de temps d’abstinence le nombre de récep-
un sevrage est causée par un déséquili-               teurs redevient-il conforme ? Ce retour à la
bre très marqué dans le fonctionnement                normale est-il possible ou la modification
des neurones fortement adaptés à la pré-              est-elle irréversible ? Des études scientifi-
sence de psychotropes. En effet, lorsque              ques doivent encore être effectuées pour
la personne cesse de consommer, le cer-               répondre à ces questions.

                                                                                                            ADDICTION
                                                                                                            FACTEURS
                                                                                                            TRAITEMENT

                                                 15
CERVEAU
5. L’addiction                                        nergique), ou bien encore certains broncho-
                                                      dilatateurs (dont le mécanisme d’action est
                                                      adrénergique) font fréquemment l’objet de
La confusion existe souvent entre dépen-              dépendance, mais ils ne sont pas addictifs.
dance et addiction.                                   Par ailleurs, la similitude d’action "in
                                                      fine" de toutes les substances addictives
La dépendance, telle que décrite au chapitre          pourrait expliquer pourquoi de nombreux
4, est le mécanisme par lequel la consom-             patients addicts présentent en fait une multi-
mation régulière a engendré un déséquilibre           addiction, par exemple nicotine et cannabis,

                                                                                                              CONSOMMATION
du fonctionnement neurobiologique de l’in-            ou nicotine et alcool.
dividu. Ce déséquilibre génère un malaise
physique et psychique qui pousse l’individu
à continuer la consommation, non plus pour              L’effet addictif repose sur le fait que, non
éprouver les sensations plaisantes du psy-              seulement l’intensité de l’augmentation
chotrope, mais pour éviter de ressentir les             du taux de dopamine est beaucoup plus
sensations désagréables engendrées par                  élevée, mais qu’à la différence des ré-
l’arrêt de la consommation.                             compenses naturelles, les substances
                                                        addictives ont pour effet d’augmenter
L’addiction ne touche, contrairement à la               infailliblement, à chaque exposition,
dépendance, qu’une fraction des consom-                 le taux de dopamine libérée générant
mateurs chronique de substances psycho-                 à chaque fois un signal puissant d’ap-

                                                                                                             DÉPENDANCE
tropes. Elle se caractérise par un besoin               prentissage. La valeur de la consomma-
irrépressible de consommer la substance                 tion de substance addictive est ainsi su-
en dépit des conséquences négatives sur la              révaluée par rapport à une récompense
santé mais aussi la vie sociale de l’individu.          naturelle, ce qui influence la balance
Les travaux de ces dernières années en                  décisionnelle de l’individu en faveur de
neurosciences démontrent que l’addiction                la consommation de substance et le
est une maladie liée à la mise en place de              pousse à effectuer des choix biaisés.
processus d’apprentissage pathologiques.
Ainsi, l’addiction se développe avec le glis-
sement de comportements sous le contrôle
                                                      5.1. Indices et mémoire

                                                                                                        ADDICTION
de décisions conscientes vers des compor-
tements automatisés et compulsifs. En cela,
elle ne découle donc pas exclusivement de             L’état addictif se traduit non seulement par
la consommation de substances. Elle peut              l’importance accordée à la substance, mais
en effet apparaître pour des comportements            également par l’ancrage en mémoire des
tels que la prise alimentaire, le jeu, le surf        "indices" qui lui sont associés. Le parc dans
sur internet, etc. Selon ces explications, il         lequel s’effectuait l’achat de la substance, le
peut donc exister des consommateurs dé-               visage d’une personne rappelant la consom-
pendants mais non addicts ainsi que des               mation, une seringue entrevue chez le mé-
personnes addicts à des comportements                 decin, etc. Ces indices s’ancrent tellement
mais non-dépendantes à une substance.                 profondément en mémoire qu’ils pourront à
                                                      eux seuls déclencher la recherche de subs-
Une découverte fondamentale des neuros-               tance et la consommation. Chez les individus
                                                                                                           FACTEURS

ciences pour l’addictologie a été de démon-           "addicts", le comportement n’est plus moti-
trer que, bien que chacune des familles de            vé par le but (obtenir l’effet), mais dépend
substances addictives possède ses propres             d’une automatisation et est influencé par les
mécanismes d’action pharmacologique, leur             indices qui ont été associés par le passé à
point commun est qu’elles entraînent toutes           la consommation de psychotropes. Dans
une augmentation de la dopamine libérée               ces conditions, la personne enchaîne des
dans le système de récompense (pour une               associations automatiques de type stimulus-
revue de la littérature, voir Lüscher et Un-          réponse dans lesquelles elle n’a plus accès
gless, 2006). Suivant ce principe, il est pos-        aux conséquences de son comportement
sible d’établir une différence entre une subs-        (Waelti et al., 2001).
tance susceptible de créer une dépendance
                                                                                                           TRAITEMENT

et une substance addictive. Par exemple,              Le renforcement de cet apprentissage "sti-
la fluoxétine utilisée comme antidépresseur            mulus-réponse" expliquerait le taux élevé
(dont le mécanisme d’action est sérotoni-             de rechute de patients qui rencontrent des

                                                 16
CERVEAU
indices associés à la prise de substances.            d’autres personnes en train de jouer ou sim-
L’addiction serait donc une conséquence de            plement de parler du jeu, des changements
l’usurpation, par les psychotropes, des mé-           de l’activité cérébrale se produisent dans les
canismes neuronaux d’apprentissage et de              mêmes régions que celles des personnes
mémoire (Hyman et al., 2005).                         accros à la cocaïne exposées à des indices
                                                      liés à la cocaïne (Goldstein et al., 2007).
Du point de vue moléculaire et cellulaire,            D’une façon générale, l’avancée des con-
l’exposition aux psychotropes entraîne                naissances sur l’addiction permet d’envisa-
d’importantes modifications dès les pre-               ger plus globalement la maladie et plaide en

                                                                                                              CONSOMMATION
mières prises. Certaines sont rapidement              faveur d’un décloisonnement des stratégies
réversibles, mais d’autres persistent bien            thérapeutiques apportées aux patients.
après l’élimination de la substance. Avec
la répétition des prises, ces modifications à
moyen et long terme se cumulent et peu-               5.3. Le cortex préfrontal
vent persister des années, voire devenir
irréversibles. Dans ce contexte de persis-            Au niveau psychologique, la "perte de con-
tance, deux cibles sont particulièrement              trôle", qui est au cœur même de la définition
pertinentes: la synapse, qui est à la base            du syndrome addictif, prend depuis quel-
des réseaux neuronaux et l’expression des             ques années une importance croissante
gènes qui joue un rôle important dans le              dans les recherches en neurosciences de
stockage mnésique.                                    l’addiction. Le cortex préfrontal, au centre

                                                                                                             DÉPENDANCE
                                                      des mécanismes cérébraux impliqués dans
                                                      la prise de décision, est affecté chez les per-
5.2. Addiction sans substance                         sonnes souffrant d’addiction. Des études de
                                                      neuroimagerie ont montré une baisse du
Il est également intéressant de constater             métabolisme de base du cortex préfrontal
que le concept d’addiction évolue. De plus            chez des personnes ayant développé une
en plus d’articles scientifiques soulignent les        addiction à différentes substances psy-
"addictions sans substance" pouvant être              choactives (Volkow et Fowler, 2000). Par
développées, par exemple, par le jeu, le tra-         contre, si l’on présente à ces mêmes per-
vail, la sexualité ou encore internet, condui-        sonnes des "indices" liés à leur substance

                                                                                                        ADDICTION
sent aux mêmes modifications cérébrales                d’addiction, le métabolisme de leur cortex
que les addictions liées aux psychotropes             préfrontal augmente de manière bien plus
(Grant et al., 2006 ; Potenza, 2006). Clini-          significative que si des "indices" liés à une
quement, le jeu pathologique, par exem-               récompense plus ordinaire leurs sont pré-
ple, induit une euphorie, un craving* (désir          sentés (Childress et al., 1999). Le cortex
compulsif de reproduire le comportement               préfrontal de ces personnes semble devenu
d’addiction), une tolérance et des signes de          incapable de déclencher la recherche de
sevrage à l’arrêt. Potenza et ses collabora-          récompenses naturelles et incapable d’em-
teurs (2001) ont par exemple montré que,              pêcher les comportements de recherche de
quand des joueurs pathologiques regardent             substances psychoactives.
                                                                                                           FACTEURS
                                                                                                           TRAITEMENT

                                                 17
Vous pouvez aussi lire