Neurosciences de l'addiction - www.romandieaddiction.ch
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CERVEAU TABLE DES MATIÈRES Préface p. 3 Avant-propos p. 4 CONSOMMATION 1. Introduction p. 5 2. Le cerveau 2.1. Organisation p. 5 2.2. Les neurones p. 5 2.3. Le système limbique p. 6 2.4. Le système de récompense p. 8 2.5. La dopamine p. 9 3. La consommation de substances DÉPENDANCE 3.1. L’alcool p. 10 3.2. La nicotine p. 11 3.3. Le cannabis p. 12 3.4. La cocaïne p. 12 3.5. L’héroïne p. 13 4. La dépendance 4.1. Adaptation du système de récompense p. 14 4.2. Mécanismes moléculaires p. 14 4.3. Sevrage p. 15 ADDICTION 5. L’addiction 5.1. Indices et mémoire p. 16 5.2. Addiction sans substance p. 17 5.3. Le cortex préfrontal p. 17 6. Les facteurs individuels influençant la sensibilité addictive 6.1. Les facteurs génétiques p. 18 6.2. Stress et addiction p. 18 6.3. Les risques liés à l’adolescence p. 19 FACTEURS 6.4. L’histoire personnelle p. 19 7. Les formes de traitement 7.1. Les thérapies psychologiques p. 20 7.2. Les traitements pharmacologiques p. 20 8. Conclusion p. 22 Glossaire TRAITEMENT p. 23 Bibliographie p. 24 2
CERVEAU PRÉFACE Le discours des neuroscientifiques a pris une place toujours plus importante dans le débat sur les addictions. Rien d’étonnant à cette évolution, puisque les neurosciences de l’addiction ont connu un développement remarquable au cours de ces dix dernières années. Les phénomènes de l’addiction et de la dépendance ont de tout temps engendré des débats empreints de passion où il n’est pas toujours aisé de différencier les connaissances validées des idées préconçues. On a pu constater lors du dernier débat sur la révision de la loi fédérale sur les CONSOMMATION stupéfiants que des lieux communs dépourvus de toute réalité scientifique refaisaient surface et rendaient difficile une réflexion sereine. L’Office fédéral de la santé publique s’est toujours efforcé de fournir au débat public et profession- nel des connaissances fondées sur des faits. Tel est l’objectif premier de cette brochure, qui se veut un document de vulgarisation scientifique. La compréhension des mécanismes du cerveau est d’une grande complexité. Elle fait appel à des connaissances pointues maîtrisées par les seuls spécialistes. Il était nécessaire de faire le point de la situation et de le communiquer dans un lan- gage accessible à un large public de professionnels et de décideurs. Les disciplines scientifiques et la technologie qui soutiennent le développement des neuroscien- ces de l’addiction étant en pleine évolution, le document a été publié sous forme électronique afin de pouvoir l’adapter aux dernières avancées de la recherche. Il est destiné avant tout aux pro- fessionnels qui veulent actualiser leurs connaissances et peut servir d’outil didactique. Une large DÉPENDANCE bibliographie permet aux étudiants d’approfondir le sujet. Une version abrégée est destinée aux décideurs politiques et au grand public. Je remercie les collaborateurs d’aXess qui ont rédigé la brochure, le Collège romand de médecine de l’addiction, qui a piloté le projet, et les membres de son réseau qui ont livré de précieux com- mentaires, ainsi que le conseil scientifique de la Société suisse de médecine de l’addiction, qui a garanti la validité scientifique du document. Berne, septembre 2009 René Stamm, responsable de projet à l’OFSP ADDICTION FACTEURS TRAITEMENT 3
CERVEAU AVANT-PROPOS Le Collège romand de médecine de l’addiction (COROMA), le Groupe d’experts Formation Dé- pendances (GFD) soutenu par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la Société suisse de médecine de l’addiction (SSAM) ont le plaisir de présenter au public intéressé une brochure d’information sur les neurosciences de l’addiction. Ce travail de vulgarisation scientifique dans un domaine d’actualité en plein essor répond à un véritable besoin de tous les professionnels con- cernés et même du grand public. En effet, la thématique de l’addiction est sujette à des a priori et CONSOMMATION à des débats conflictuels fondés avant tout sur des opinions qui méritent un échange scientifique actualisé. Le concept d’addictologie érige une nouvelle science interdisciplinaire fondée sur les savoirs (logos). Dans cette interdisciplinarité, de nombreuses professions et spécialités jouent un rôle important. La médecine de l’addiction, quant à elle, compte beaucoup sur la neurobiologie pour faire avancer diagnostics et traitements, mais n’oublie pas que l’approche des personnes souffrant de pathologies complexes doit toujours se faire de manière holistique et multidimension- nelle. Par exemple, pour les troubles mentaux, des vulnérabilités biologiques, psychologiques et sociales s’expriment en fonction du contexte et de l’environnement. Le concept de neurosciences est lui-même kaléidoscopique, relevant de nombreuses disciplines allant de la biologie moléculaire (génétique) aux sciences humaines (neurosciences sociales) en passant par la psychopharmacologie ou la neuropsychologie. Les neurosciences vivent un essor DÉPENDANCE impressionnant, accéléré notamment par les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale, et des milliers de chercheurs s’attaquent maintenant à la dernière aventure humaine, l’exploration de la conscience. Comme toutes les sciences jeunes, les neurosciences pêchent parfois par enthou- siasme et sont au risque d’un triomphalisme potentiellement réducteur. Mais les neuroscientifi- ques avertis savent bien que la complexité de l’objet à étudier doit les incliner à la plus grande modestie. Cependant les addictions se prêtent particulièrement bien à l’approche neuroscientifique car les substances psychoactives ont un impact observable et objectivable sur le cerveau. Ceci est vrai chez l’animal, chez qui des modélisations sont utiles pour comprendre le comportement humain, notamment dans le paradigme de l’auto-administration de substances psychoactives. ADDICTION C’est pourquoi le lecteur de cette brochure comprendra qu’elle apporte un point de vue intéressant et important dans le concert des approches interdisciplinaires déjà existantes. Les neurosciences de l’addiction sont une pièce complémentaire de l’addictologie pour aider le public à passer du jugement moral au jugement clinique et scientifique, contribuant ainsi à déstigmatiser les patients souffrant de pathologies addictives. Lausanne, juillet 2009 Prof. Jacques Besson FACTEURS TRAITEMENT 4
CERVEAU 1. Introduction une succession de structures. Il est néan- moins possible de dessiner une cartogra- phie en grandes aires cérébrales selon leurs Dans la quête de la compréhension des implications dans différentes fonctions phy- mécanismes de l’addiction*, les neuroscien- siologiques et psychologiques. tifiques poursuivent leurs recherches au ni- veau moléculaire et cellulaire, mais égale- ment au niveau cognitif et comportemental. 2.2. Les neurones Les progrès des méthodes de recherche CONSOMMATION ont permis de visualiser les modifications Le cerveau est composé de cellules excita- du fonctionnement cérébral lors de l’usage bles, les neurones. Lorsqu’un neurone est ponctuel ou chronique de psychotropes* excité, il envoie une séquence de signaux et de différencier les mécanismes de dé- électriques (potentiels d’action) dans un pro- pendance* et d’addiction. Les données de longement appelé axone. Selon les connais- la neuropsychologie, de la neurobiologie sances neuroscientifiques actuelles, c’est et de l’imagerie cérébrale ont pu ainsi dé- la fréquence de ces potentiels d’action qui montrer que la dépendance vis-à-vis des constitue le principal moyen de transmission substances psychoactives est le produit de des informations. Les prolongements neuro- mécanismes adaptatifs du cerveau face à naux ne se touchent pas entre eux, ils sont l’action des psychotropes et que l’addiction connectés pas des structures ultra spéciali- n’est pas due à une absence de volonté sées appelées synapses. Pour que le mes- DÉPENDANCE mais à une altération des mécanismes sage électrique passe de la terminaison de d’apprentissage cérébraux qui vont influen- l’axone à la cellule nerveuse suivante, il faut cer les processus de motivation et de prise qu’il franchisse un espace d’environ 10 à 40 de décision et qui explique la difficulté que nanomètres : la fente synaptique. On estime les personnes concernées ont à contrôler que la surface d’un neurone peut être recou- ou à interrompre leurs comportements de verte jusqu’à 40 % par des synapses. A ce consommation. niveau, l’information change de nature, le La diffusion des connaissances des neuros- signal électrique est converti en la libération ciences de l’addiction dans la société est d’un messager chimique (un neurotrans- l’occasion de corriger certains stéréotypes metteur*). La fréquence des potentiels d’ac- préjudiciables qui conduisent à la stigmati- tion module ainsi la concentration de neu- rotransmetteurs dans la synapse qui vont ADDICTION sation de la toxicomanie et à des décisions thérapeutiques et administratives erronées. atteindre la membrane du neurone récep- Pour autant, si cette brochure est consa- teur. La liaison entre le neurotransmetteur et crée aux relations entre psychotropes et son récepteur spécifique, à la manière d’une cerveau, nous n’oublions pas que d’autres clé et sa serrure, déclenche une réponse éléments essentiels entrent en jeu dans physiologique nommée potentiel postsynap- l’usage des substances psychoactives* et tique. La sommation à la fois temporelle et l’arrêt de leur consommation : entre autres, spatiale de ces potentiels postsynaptiques le contexte familial, social, culturel et éco- "décide" selon un critère de seuil, du déclen- nomique. chement ou non d’un potentiel d’action dans le neurone postsynaptique. Le cerveau produit des dizaines de types de FACTEURS neurotransmetteurs différents ; parmi ceux qui sont impliqués dans les mécanismes de la consommation de substances psychoac- 2. Le cerveau tives nous pouvons citer la dopamine, la noradrénaline, la sérotonine, les opiacés endogènes, les cannabinoïdes, le GABA ou 2.1. Organisation encore le glutamate. Les synapses constituent le lieu privilégié Le cerveau présente une organisation struc- de modification du signal neuronal. A leur turale et fonctionnelle. Certaines parties niveau, celui-ci peut être renforcé, si la sy- gèrent ainsi plus spécifiquement certains napse est potentialisée (via une augmenta- TRAITEMENT aspects du comportement ou de la pensée. tion de la concentration de neurotransmet- Mais cette division n’est pas stricte, l’infor- teur, ou une augmentation du nombre de mation est de manière générale traitée par récepteurs), ou diminué si la synapse est 5
CERVEAU déprimée. L’ensemble de ces mécanismes difier dans le temps l’efficacité de la com- est résumé sous le terme générique de munication entre les neurones, seraient à plasticité synaptique. Les mécanismes de la base des processus d’apprentissage et plasticité synaptique, en permettant de mo- de mémoire. CONSOMMATION terminaison du neurone pré-synaptique DÉPENDANCE neurotransmetteur neurone post-synaptique ADDICTION récepteur FACTEURS La synapse 2.3. Le système limbique taines structures situées en profondeur dans les lobes temporaux, telles que l’hip- TRAITEMENT Le système limbique n’est pas une struc- pocampe, une structure cérébrale qui in- ture cérébrale en tant que telle, mais un tervient dans la mémorisation de souvenirs réseau de voies nerveuses intégrant cer- liés à une expérience, ou l’amygdale, une 6
CERVEAU autre structure cérébrale qui aide à évaluer intérieur (homéostasie). Il s’agit d’une des la valeur émotionnelle d’un événement. Le structures les plus anciennes du cerveau système limbique est très fortement asso- sur le plan de l’évolution ; il existe même cié à l’hypothalamus qui joue un rôle fon- chez les poissons et les reptiles. damental dans la régulation des fonctions Une des fonctions primordiales du systè- corporelles (régulation de la température, me limbique est de renforcer les compor- cycle circadien, rythme alimentaire, etc.), tements essentiels à la survie de l’espèce ainsi qu’au cortex frontal qui est impliqué tels que la procréation, la prise alimentaire dans les fonctions cognitives, la planifica- ou les mécanismes de défense contre les CONSOMMATION tion, la motivation et la prise de décision. Il prédateurs. Il constitue en quelque sorte influe sur le système endocrinien (sécrétion un carrefour où se gèrent des informations d’hormones) et le système nerveux auto- en provenance de plusieurs autres structu- nome responsable des fonctions automa- res cérébrales avec le but de conduire à la tiques (respiration, digestion, rythme car- mise en œuvre d’un comportement adapté diaque, etc.) et du maintien de l’équilibre à chaque situation rencontrée. DÉPENDANCE cortex préfrontal aire tegmentale ventrale ADDICTION noyau accumbens FACTEURS amygdale hippocampe TRAITEMENT Le système limbique 7
CERVEAU 2.4. Le système de récompense damentaux (respiration, alimentation, élimi- nation, maintien de la température, repos Toutes les substances addictives ont en et sommeil, activité musculaire et neurolo- commun d’agir sur une partie spécifique du gique, intégrité corporelle, contact social, sexualité) et la transmet ensuite à une autre système limbique, le système de récompen- structure cérébrale située plus en avant du se. En particulier, elles activent une région cerveau, le noyau accumbens. Grâce à ce appelée “aire tegmentale ventrale“, située circuit, les actions intéressantes pour l’in- en plein centre du cerveau. Cette structure dividu sont repérées et renforcées dans le reçoit de l’information de plusieurs autres CONSOMMATION but de les voir, à l’avenir, reproduites dans régions du système limbique qui l’informent le même contexte. Le neurotransmetteur du niveau de satisfaction des besoins fon- utilisé par ces neurones est la dopamine. DÉPENDANCE Le circuit de la récompense NA est composé de l’aire tegmentale ventrale (ATV) ATV et du noyau accumbens (NA) ADDICTION Le système de récompense repère la conséquence inatten- neurone de l'aire due et positive d’un comporte- tegmentale ventrale ment dans un contexte et gé- nère un signal d’apprentissage pour inciter l’individu à répéter à l’avenir ce comportement. FACTEURS Par exemple : un homme va manger dans un nouveau res- taurant. Etant particulièrement séduit par la nourriture, par neurone du noyau l’ambiance, ou encore par les accumbens charmes de la serveuse, son système de récompense est stimulé et va émettre un signal d’apprentissage lui permettant d’inscrire en mémoire que la conséquence du comporte- TRAITEMENT dopamine ment est très positive, ce qui l’incitera à revenir dans un bref délai. 8
CERVEAU 2.5. La dopamine produise pas de pic de libération de dopa- mine permet probablement de prévenir le La dopamine est le neurotransmetteur impli- sur-apprentissage des comportements afin qué dans le fonctionnement du système de qu’ils puissent être désappris ou modifiés si récompense. Les expériences pionnières leurs conséquences venaient à changer. de Schultz (1998, 2000a,b) à l’Université Contrairement à ce que l’on a longtemps de Cambridge, menées sur des singes, ont pensé, la dopamine n’est donc pas montré que l’activité des neurones du sys- responsable des états hédoniques, mais tème de récompense qui produisent la do- serait plutôt un signal d’apprentissage CONSOMMATION pamine est fortement augmentée lorsqu’un associé à l’obtention d’une récompense singe reçoit une récompense inattendue. dans un contexte précis. Autrement dit, Lorsque l’animal reçoit une récompense qu’il la dopamine signalerait la “saillance” ou attendait, les neurones dopaminergiques l’importance d’un événement ou d’un s’activent normalement. Lorsque le singe at- tend une récompense qui n’est pas délivrée, comportement. l’activité de ses neurones dopaminergiques fortement réduite et la concentration de do- Des études de neuroimagerie ont montré pamine passe en dessous de la normale. La que les mêmes principes de renforcements dopamine informe donc le système nerveux sont pertinents chez l’Homme, bien que de la différence entre ce qui est attendu et d’autres systèmes cognitifs viennent com- ce qui est effectivement reçu. Le fait que pléter, moduler ou s’opposer à ce système DÉPENDANCE l’obtention d’une récompense attendue ne primitif (McClure et al., 2003, 2003b, 2004). En résumé, la dopamine libérée par le cerveau lorsqu’un comportement par- ticulier aboutit à une conséquence positive et inattendue dans un contexte précis correspond à un véritable signal d’apprentissage. De cette manière, le cerveau fait en sorte que la probabilité de voir se renouveler ce comportement soit augmentée. ADDICTION FACTEURS TRAITEMENT 9
CERVEAU 3. La consommation que dans la moelle épinière. Ce système est impliqué dans les processus de régulation de substances de la température, du sommeil, de l’humeur, de l’appétit et de la douleur. La cocaïne, les amphétamines, le LSD et l’alcool interfèrent Chaque substance produit des effets qui lui avec ce système en produisant des modi- sont spécifiques et qui vont conduire, selon fications des concentrations de sérotonine son appartenance à l’une des trois grandes dans différentes zones du système ner- CONSOMMATION familles de substances psychoactives, à veux. l’excitation, au ralentissement ou à l’hallu- Les principaux effets physiologiques et cination. comportementaux des cinq substances Effet Excitation Ralentissement Hallucination Substance Alcool X Nicotine X Cannabis X DÉPENDANCE Cocaïne X Héroïne X Le comportement, la vitesse d’apparition de psychoactives les plus étudiées sont décrits la tolérance*, les symptômes de sevrage* et ci-dessous : l’alcool, la nicotine, le canna- les effets à court et à long termes seront af- bis, la cocaïne et l’héroïne. Ces substances fectés de manières diverses selon les subs- miment l’action de molécules endogènes tances consommées. et, en se fixant sur certains récepteurs pré- sents sur les neurones, peuvent les activer En plus de leurs actions spécifiques sur le ou les désactiver en générant des réactions ADDICTION cerveau, toutes les substances addictives biochimiques dans les synapses. ont une action commune : elles produisent toutes une augmentation de la libération de dopamine dans le système de récompense. Cela signifie qu’il se produit, lors de leur 3.1. L’alcool consommation, un puissant signal d’ap- prentissage qui va favoriser une prochaine L’éthanol, la substance psychoactive conte- consommation. Alors qu’habituellement la nue dans l’alcool, est transmis par le sang concentration de dopamine n’augmente que directement du système digestif au cerveau lorsque le comportement aboutit à une con- où il interfère avec le système dopaminer- séquence positive et, surtout, inattendue, gique, sérotoninergique et endorphinergique FACTEURS chaque prise de substance entraîne infailli- (système anti-douleur). A l’heure actuelle, blement une augmentation de la libération le récepteur sur lequel se fixe l’éthanol n’a de dopamine. Le cerveau va donc chercher pas encore été découvert, mais on sait que un nouvel équilibre pour pouvoir fonctionner cette substance active, un peu partout dans normalement en présence de substances le cerveau, les neurones inhibiteurs et inhibe psychoactives. Cet effort de régulation est les neurones excitateurs ! Les neurones inhi- décrit au chapitre 4.1. biteurs agissent comme des freins alors que les neurones excitateurs agissent comme En plus des neurones à dopamine, de nom- des stimulateurs du processus de transmis- breux autres neurones subissent les effets sion des informations neuronales. Ces deux des psychotropes. Par exemple, le système actions simultanées de l’éthanol produisent TRAITEMENT sérotoninergique dont les ramifications par- donc un effet de ralentissement général du tent du noyau du raphé pour s’étendre jus- fonctionnement du système nerveux central, que dans la quasi-totalité du cerveau ainsi provoquant calme, relaxation, somnolence, 10
CERVEAU diminution de la motricité, ralentissement de protectrice dans les maladies neurodégéné- la fréquence respiratoire, nausées et même ratives, telles qu’Alzheimer ou Parkinson, au coma selon la dose consommée. Le fonc- niveau moléculaire mais également pour ses tionnement de l’hippocampe est perturbé, ce vertus de stimulation des fonctions cognitives qui explique les phénomènes d’amnésie bien d’attention, de concentration et de mémoire connus de l’abus* d’alcool. Les capacités de (Picciotto et Zoli, 2008). jugement sont également affectées par ce ra- Dans la consommation tabagique, la nicotine lentissement. passe par les muqueuses buccales, nasa- CONSOMMATION Au niveau du système de récompense, con- les et pulmonaires, et se répand dans tout le trairement à l’effet de l’éthanol dans le reste corps. Dans le cerveau, elle mime l’action de du cerveau, ce sont les neurones inhibiteurs l’acétylcholine et se fixe sur l’un de ses deux des neurones dopaminergiques qui sont ren- récepteurs. L’acétylcholine est un neurotrans- dus inactifs. L’absorption d’alcool est donc metteur principalement connu pour assurer la suivie d’une augmentation de la libération de communication entre les neurones et les mus- dopamine dans le système de récompense. cles qu’ils soient à fonction motrice, cardiaque, Ce signal d’apprentissage renforce le com- respiratoire ou encore digestive ; mais il joue portement et augmente la probabilité d’une également des rôles fondamentaux dans le cy- future consommation. cle veille-sommeil. Une fois libérée dans la sy- L’usage prolongé d’alcool force le foie à dé- napse, l’acétylcholine fixée sur ses récepteurs grader plus rapidement l’éthanol, ce qui pro- est rapidement dégradée par des enzymes. duit une diminution de la sensation d’ivresse. La nicotine assure les mêmes fonctions mais DÉPENDANCE Le cerveau, quant à lui, s’adapte pour deve- les enzymes ne parviennent pas à la dégrader. nir moins sensible et retrouver un fonction- Elle stationne donc plus longtemps que l’acé- nement "normal" malgré la consommation tylcholine dans la fente synaptique et agit par d’alcool. Ces adaptations ont tendance à in- conséquent de façon plus marquée en restant citer le consommateur à augmenter les doses fixée sur les récepteurs. La plus forte action consommées pour continuer d’en ressentir de la nicotine par rapport à l’acétylcholine pro- les effets. S’il interrompt sa consommation, duit donc une augmentation des capacités de les adaptations cérébrales ayant diminué concentration, de la sensation de détente, de l’effet de l’alcool en réduisant la performance la qualité de l’humeur, d’éveil et de plaisir. Les des neurones inhibiteurs et augmentant celle temps de réaction, l’anxiété et l’appétit dimi- des neurones excitateurs, le cerveau devient nuent (voir Rose, 2007 ; Benowitz, 2008, pour sur-stimulé. La personne se retrouve en état des revues de littératures sur les phénomènes ADDICTION d’agitation, d’insomnie et risque même des de tolérance à la nicotine). crises d’épilepsie. Le taux de mort neuronale augmente en présence régulière d’alcool et Parmi ses autres fonctions, l’acétylcholine est on assiste à une diminution du volume cé- connue pour stimuler les neurones dopami- rébral, en particulier du cortex préfrontal, nergiques du système de récompense. Lors causant des déficits cognitifs allant jusqu’au d’apport massif de nicotine, les neurones syndrome de Korsakoff qui se caractérise par excitateurs qui stimulent les neurones pro- des troubles de la mémoire, du raisonnement, duisant la dopamine sont activés et les neu- du comportement et de l’humeur. (Pour des rones inhibiteurs qui freinent les neurones revues de la littérature, voir Nevo et Hamon, produisant la dopamine sont désactivés. De 1995 ; Fadda et Rossetti, 1998 ; Oscar-Ber- plus, comme les enzymes qui dégradent nor- FACTEURS man et Marinkovic, 2007). malement l’acétylcholine, ne dégradent pas la nicotine, une concentration élevée de do- pamine perdure dans le système de récom- 3.2. La nicotine pense et produit un signal d’apprentissage puissant qui favorisera le renouvellement du Des milliers de substances chimiques ont comportement tabagique. été identifiées dans la composition de la ci- Lorsque la consommation de tabac se pro- garette. Les études scientifiques se sont longe, les neurones augmentent le nombre rapidement focalisées sur la nicotine mais il de récepteurs nicotiniques afin de mieux pou- semble que d’autres alcaloïdes entrent éga- voir réguler le flux irrégulier d’arrivée de nico- lement en jeu dans les phénomènes d’addic- tine. Cette modification se fait par une activité TRAITEMENT tion tabagique. Il faut relever également que génétique nouvelle. Lorsque la personne ar- la nicotine, en tant que substance isolée, a rête de fumer, elle ressent donc les effets du fait l’objet d’études pour son action neuro- manque. 11
CERVEAU 3.3. Le cannabis 2005 ; Ben Amar et Potvin, 2007 ; DeLisi, 2008 ; Cooper et Haney, 2008 ; Fattore et La recherche sur les effets du cannabis a al., 2008). permis de découvrir que des cannabinoï- des naturels (endogènes) existaient dans le cerveau. Une étude montre qu’ils sont im- 3.4. La cocaïne pliqués dans les sensations procurées par l’effort prolongé. On avait longtemps pensé La cocaïne produit un effet stimulant, CONSOMMATION que la sensation d’anesthésie des douleurs euphorisant, d’exaltation, d’intelligence vi- et d’ivresse à l’effort physique était due aux vifiée, d’invincibilité et d’agitation motrice. endorphines (opiacés endogènes). Il sem- De l’agressivité peut parfois même se ma- ble plutôt que ce soit les cannabinoïdes qui nifester. Les effets de la cocaïne sont à la jouent ce rôle. Ces cannabinoïdes ont, sans fois rapides et de courte durée. Lorsqu’elle doute, d’autres effets physiologiques et psy- est fumée, la cocaïne produit en quelques chologiques (Sparling et al., 2003) dont les secondes une sensation d’euphorie qui ne mécanismes restent encore à découvrir. dure qu’entre 5 et 10 minutes. Injectée, elle Les récepteurs aux cannabinoïdes inter- produit en quelques minutes une montée viennent dans la modulation de la libération d’euphorie qui peut durer entre 20 et 60 de différents neurotransmetteurs. Ils ont minutes. Reniflée, elle produit en quelques une influence sur les processus d’apprentis- minutes un effet qui peut durer entre 60 et sage et de mémoire, ils jouent un rôle dans 90 minutes. Ces effets de courte durée sont DÉPENDANCE le contrôle moteur, dans la perception de la suivis d’une phase de dépression, d’anxié- douleur, dans les perceptions sensorielles té, de tensions musculaires très désagréa- et ont également une influence sur le sys- bles, appelée communément "descente". tème immunitaire. Ce phénomène incite le consommateur à Le THC (la molécule psychoactive du can- reprendre rapidement une nouvelle dose nabis) se fixerait aux mêmes récepteurs ou à user d’une autre substance telle que que les cannabinoïdes endogènes mais le cannabis ou l’héroïne pour atténuer les aurait des effets supérieurs. effets de la descente. Au niveau du système de récompense, le Au niveau physiologique, la cocaïne em- THC, en se fixant sur ses récepteurs, blo- pêche la recapture* de la dopamine, de que les neurones qui inhibent les neurones la sérotonine et de la noradrénaline. Ces dopaminergiques. L’effet sur la libération neurotransmetteurs "stationnent" donc plus ADDICTION de la dopamine est donc comparable pour longtemps dans la fente synaptique, ce qui l’alcool et le THC bien que les récepteurs a pour effet de décupler leur activité. Lors- soient probablement différents. De ce blo- que la cocaïne entre en interaction avec cage découle une augmentation de la con- des neurones impliqués dans le contrôle centration de dopamine, ce qui a pour ef- des mouvements, elle produit une augmen- fet de renforcer les comportements liés à la tation de l’activité motrice. Lorsqu’elle inte- consommation de cannabis. ragit avec les neurones sérotoninergiques, L’action prolongée du THC produit une elle produit des troubles du sommeil et une adaptation des récepteurs aux cannabi- diminution de l’appétit. noïdes. Leur nombre et leur sensibilité di- Au niveau du système de récompense, com- minuent. Il faut donc que le consommateur me la dopamine ne peut pas être récupérée FACTEURS augmente les doses pour obtenir le même après avoir été libérée dans la fente synap- effet. Ces modifications des récepteurs ren- tique, son effet est anormalement prolongé. dent le consommateur également moins Le comportement lié à la consommation de sensible aux cannabinoïdes endogènes. cocaïne est ainsi renforcé. Les études épidémiologiques évaluent à L’usage prolongé de cocaïne entraîne un 10 % la part de personnes "addictes" parmi accroissement d’environ 20 % du nombre les consommateurs réguliers. Le syndrome de récepteurs sur les neurones inhibiteurs amotivationnel a souvent été décrit comme (Unterwald et al., 1994 ; Chevalley, 2002). caractéristique de la consommation exces- Le cerveau s’adapte donc en intervenant sive de cannabis, cependant, tout comme le "en amont" de la synapse en développant risque d’éclosion de troubles psychotiques les possibilités de stopper les neurones pro- TRAITEMENT et de comportements paranoïdes, la relation ducteurs de dopamine (pour des revues de directe avec la consommation de cannabis la littérature, voir Nestler, 2005 ; Thomas et est aujourd’hui controversée (Laqueille, al., 2008). 12
CERVEAU 3.5. L’héroïne sont libérées et l’organisme se détend, parfois jusqu’à l’euphorie et diminue ses L’héroïne se fixe sur les récepteurs aux douleurs. L’héroïne est plus puissante que opiacés des neurones qui reçoivent ha- les endorphines naturelles et produit par bituellement les endorphines (des subs- conséquent un effet supérieur. tances produites naturellement par le L’héroïne produit une diminution de l’activité cerveau). Selon les systèmes neuronaux des neurones inhibiteurs (les neurones qui auxquels ils appartiennent, ces récepteurs freinent les neurones produisant la dopa- CONSOMMATION sont impliqués dans la diminution de la mine) du système de récompense. Ainsi, la douleur, dans le contrôle de la respiration, levée des freins qui s’opposent à la surac- du transit intestinal, de la contraction pupil- tivation des neurones dopaminergique pro- laire, dans la modulation hormonale, dans duit une augmentation de la concentration l’initiation du sommeil, dans les sensations de dopamine, ce qui constitue un puissant de plaisir et d’euphorie et dans la diminu- signal d’apprentissage et par conséquent tion du stress. provoque une augmentation de la probabi- Les endorphines, une fois libérées dans lité d’une future consommation. la synapse, inhibent généralement les L’usage prolongé d’héroïne provoque des neurones, créant ainsi un état analgésique. A adaptations du cerveau qui diminuent la un niveau moindre, les endorphines peuvent sensibilité des récepteurs. Pour des revues également exciter certains neurones. de la littérature sur les mécanismes céré- DÉPENDANCE Lorsqu’un individu s’active physiquement, braux liés à la consommation d’héroïne, voir travaille dur ou vit un stress, les endorphines Büttner et al., 2000 ; Christie, 2008). Action sur le système Potentiel Substance Action générale Usage prolongé de récompense addictif Action sur les systèmes dopa- Sensation d’ivresse diminuée Neurones à dopamine désin- mine, sérotonine, endorphine Adaptation du cerveau hibés Alcool Neurones inhibiteurs activés Sur-stimulation lors du sevrage Modéré/élevé Concentration de dopamine Neurones activateurs inhibés Volume cérébral diminué augmentée Ralentissement du SNC Déficits cognitifs ADDICTION Neurones à dopamine simulés Action sur un type de récep- directement teur cholinergique Neurones activateurs des neu- Lente dégradation synaptique rones à dopamine stimulés Régulation de la nicotine par Nicotine Détente, humeur, éveil, plaisir Neurones à dopamine désinhibés l’augmentation du nombre de Elevé augmentés Libération de dopamine pro- récepteurs Temps de réaction, anxiété, longée appétit diminués Concentration de dopamine augmentée Libération modulée de plu- sieurs neurotransmetteurs Apprentissage et mémoire péjorés Neurones à dopamine désin- Contrôle moteur diminué FACTEURS hibés Nombre et sensibilité des ré- Cannabis Perception de la douleur per- Modéré / faible Concentration de dopamine cepteurs diminués turbée augmentée Perceptions sensorielles mo- difiées Système immunitaire perturbé Effet stimulant suivi d’une Accroissement du nombre de phase de descente Recapture de la dopamine récepteurs sur neurones inhi- Inhibition de la recapture de inhibée biteurs Cocaïne Elevé neurotransmetteurs Concentration dopamine aug- Plus grandes possibilités de Activité des neurotransmet- mentée stopper les neurones à dopa- teurs décuplée mine TRAITEMENT Fixation sur les récepteurs Neurones à dopamine désin- aux opiacés endogènes hibés Adaptation des récepteurs Héroïne Elevé Inhibition créant un état analgé- Concentration de dopamine aux opiacés sique. augmentée 13
CERVEAU 4. La dépendance déplaçant les récepteurs à dopamine à l’in- térieur des neurones, un mécanisme qui a pour conséquence de les rendre indisponi- Les psychotropes mimant l’action de mo- bles à la dopamine et qui engendre par con- lécules produites naturellement par le cer- séquent une diminution des signaux d’ap- veau, leur présence dans l’organisme en prentissage. Cette diminution s’applique perturbe l’équilibre interne. Lorsque la con- malheureusement aussi aux situations sans sommation de substances psychotropes consommation de la vie quotidienne de l’in- devient répétitive, le cerveau s’adapte pour dividu. Son cerveau perd donc la capacité CONSOMMATION tenter de recréer son équilibre. Il est capa- à signaler un apprentissage d’un comporte- ble de mobiliser de multiples mécanismes ment intéressant pour sa survie, et par con- pour parvenir à cet objectif : la diminution du séquent, sa motivation à le reproduire. Des nombre de récepteurs à la surface des neu- chercheurs ont nommé ce mécanisme de rones, la modification de la sensibilité de ces régulation du système nerveux "processus récepteurs, la diminution des quantités de d’opposition aux drogues" (Koob et Le Moal, neurotransmetteurs libérés, et même l’ac- 2008 ; Solomon et Corbit, 1974). tivation de gènes jusque-là inactifs. Toutes ces modifications qui peuvent se mettent en place à long terme sous-tendent les méca- Les substances psychoactives pertur- DÉPENDANCE nismes de tolérance qui s’installent lors de bent le fonctionnement normal des cir- la consommation régulière de psychotrope. cuits neuronaux, tel que le système de L’individu doit alors augmenter les doses récompense, mais également de nom- pour ressentir le même effet. Ainsi, si la breux autres circuits cérébraux. Des prise occasionnelle de psychotropes produit expositions répétées conduiraient alors une sensation plaisante, d’intensité décu- à la mise en place de compensations plée par rapport au fonctionnement naturel, durables s’opposant aux perturbations lorsque la consommation devient répétitive qu’elles causent. Il s’agirait d’une sorte et chronique, le cerveau s’adapte pour dimi- de "garde-fou" servant à conserver une nuer les effets de la substance et l’individu certaine intégrité du fonctionnement du ressent un sentiment de tristesse, d’anxiété cerveau. Cette recherche dynamique et d’irritabilité mêlées (dysphorie). Cet état d’un nouvel équilibre, couplée avec les négatif le conduit à consommer à nouveau, consommations suivantes, diminuerait ADDICTION non plus pour ressentir les effets positifs progressivement le métabolisme dopa- du produit, mais plutôt pour réduire les ef- minergique. Chaque nouvelle consom- fets négatifs qu’il ressent lorsqu’il arrête de mation destinée à retrouver le niveau de consommer. Il vit donc une frustration qui le base entraînerait alors, au contraire, la pousse à de nouvelles consommations et à poursuite de la diminution. Cette dyna- l’augmentation des doses, voire à ajouter ou mique pourrait inciter le consommateur à répéter les expériences de consom- à changer de substance. L’individu ne con- mation et à augmenter les doses. somme alors non pas pour "améliorer" son état normal, mais pour le retrouver. Le pro- blème est que cet état devient entre-temps inatteignable. Seule la consommation de la 4.2. Mécanismes moléculaires FACTEURS substance psychoactive permet d’effacer, en partie et de manière temporaire, le mal- Les neuroscientifiques cherchent à com- être psychologique qui résulte de cet écart. prendre comment l’usage chronique de psychotropes usurpe et modifie le fonc- tionnement du cerveau. Les études sur les 4.1. Adaptation du système modèles animaux ont ainsi pu mettre en de récompense évidence deux types de mécanismes au ni- veau moléculaire. La consommation répétée provoque une Le premier s’exerce à court terme : il s’agit modification progressive du fonctionne- de la suractivation, dans le système de ré- ment des neurones du système de récom- compense, d’une protéine appelée CREB. TRAITEMENT pense. Au niveau cellulaire, devant la sur- Elle agit en stimulant l’expression de cer- stimulation des neurones dopaminergiques, tains gènes, dont un en particulier provoque le cerveau peut s’adapter, par exemple, en une inhibition des neurones à dopamine (via 14
CERVEAU une molécule appelée dynorphine). Elle dé- veau ne s’adapte pas immédiatement à ce sactive par conséquent partiellement le sys- nouveau changement. Il continue durable- tème de récompense. ment de produire des "casseurs d’effet" des Le second mécanisme semble être impliqué substances. Les symptômes de manque* dans un effet à plus long terme. Il s’agit de ne sont en fait que l’expression de ce nou- la surexpression, de la protéine delta FosB. veau déséquilibre. Au niveau clinique, ces Cette protéine est très stable, elle reste ac- symptômes permettent de définir la dépen- tive dans les neurones très longtemps (des dance, phénomène qui touche ainsi 100% semaines, voire des mois) après une prise des personnes exposées de façon répétée CONSOMMATION chronique de psychotropes. Son action en- à un psychotrope. Le retour vers un équi- gendre l’activation de gènes qui vont en- libre se fait en quelques semaines voire traîner des modifications structurales des quelques mois, en fonction du produit et neurones (Nestler et al., 2005 ; Kalivas et des facteurs personnels. La diminution pro- O’Brien, 2008). gressive des doses est souvent préconisée A l’échelle cellulaire, les substances psy- pour réduire le syndrome du sevrage. Tou- choactives provoquent une cascade d’évé- jours est-il qu’à la fin de cette "aventure", le nements allant jusqu’à des modifications cerveau demeure marqué par les différents morphologiques surprenantes ! bouleversements qu’il a vécu et, de ce fait, l’individu reste très "vulnérable" face aux DÉPENDANCE psychotropes, c’est pourquoi le risque de 4.3. Sevrage rechute reste élevé. De nombreuses ques- tions persistent néanmoins. Après combien La réponse si violente de l’organisme à de temps d’abstinence le nombre de récep- un sevrage est causée par un déséquili- teurs redevient-il conforme ? Ce retour à la bre très marqué dans le fonctionnement normale est-il possible ou la modification des neurones fortement adaptés à la pré- est-elle irréversible ? Des études scientifi- sence de psychotropes. En effet, lorsque ques doivent encore être effectuées pour la personne cesse de consommer, le cer- répondre à ces questions. ADDICTION FACTEURS TRAITEMENT 15
CERVEAU 5. L’addiction nergique), ou bien encore certains broncho- dilatateurs (dont le mécanisme d’action est adrénergique) font fréquemment l’objet de La confusion existe souvent entre dépen- dépendance, mais ils ne sont pas addictifs. dance et addiction. Par ailleurs, la similitude d’action "in fine" de toutes les substances addictives La dépendance, telle que décrite au chapitre pourrait expliquer pourquoi de nombreux 4, est le mécanisme par lequel la consom- patients addicts présentent en fait une multi- mation régulière a engendré un déséquilibre addiction, par exemple nicotine et cannabis, CONSOMMATION du fonctionnement neurobiologique de l’in- ou nicotine et alcool. dividu. Ce déséquilibre génère un malaise physique et psychique qui pousse l’individu à continuer la consommation, non plus pour L’effet addictif repose sur le fait que, non éprouver les sensations plaisantes du psy- seulement l’intensité de l’augmentation chotrope, mais pour éviter de ressentir les du taux de dopamine est beaucoup plus sensations désagréables engendrées par élevée, mais qu’à la différence des ré- l’arrêt de la consommation. compenses naturelles, les substances addictives ont pour effet d’augmenter L’addiction ne touche, contrairement à la infailliblement, à chaque exposition, dépendance, qu’une fraction des consom- le taux de dopamine libérée générant mateurs chronique de substances psycho- à chaque fois un signal puissant d’ap- DÉPENDANCE tropes. Elle se caractérise par un besoin prentissage. La valeur de la consomma- irrépressible de consommer la substance tion de substance addictive est ainsi su- en dépit des conséquences négatives sur la révaluée par rapport à une récompense santé mais aussi la vie sociale de l’individu. naturelle, ce qui influence la balance Les travaux de ces dernières années en décisionnelle de l’individu en faveur de neurosciences démontrent que l’addiction la consommation de substance et le est une maladie liée à la mise en place de pousse à effectuer des choix biaisés. processus d’apprentissage pathologiques. Ainsi, l’addiction se développe avec le glis- sement de comportements sous le contrôle 5.1. Indices et mémoire ADDICTION de décisions conscientes vers des compor- tements automatisés et compulsifs. En cela, elle ne découle donc pas exclusivement de L’état addictif se traduit non seulement par la consommation de substances. Elle peut l’importance accordée à la substance, mais en effet apparaître pour des comportements également par l’ancrage en mémoire des tels que la prise alimentaire, le jeu, le surf "indices" qui lui sont associés. Le parc dans sur internet, etc. Selon ces explications, il lequel s’effectuait l’achat de la substance, le peut donc exister des consommateurs dé- visage d’une personne rappelant la consom- pendants mais non addicts ainsi que des mation, une seringue entrevue chez le mé- personnes addicts à des comportements decin, etc. Ces indices s’ancrent tellement mais non-dépendantes à une substance. profondément en mémoire qu’ils pourront à eux seuls déclencher la recherche de subs- Une découverte fondamentale des neuros- tance et la consommation. Chez les individus FACTEURS ciences pour l’addictologie a été de démon- "addicts", le comportement n’est plus moti- trer que, bien que chacune des familles de vé par le but (obtenir l’effet), mais dépend substances addictives possède ses propres d’une automatisation et est influencé par les mécanismes d’action pharmacologique, leur indices qui ont été associés par le passé à point commun est qu’elles entraînent toutes la consommation de psychotropes. Dans une augmentation de la dopamine libérée ces conditions, la personne enchaîne des dans le système de récompense (pour une associations automatiques de type stimulus- revue de la littérature, voir Lüscher et Un- réponse dans lesquelles elle n’a plus accès gless, 2006). Suivant ce principe, il est pos- aux conséquences de son comportement sible d’établir une différence entre une subs- (Waelti et al., 2001). tance susceptible de créer une dépendance TRAITEMENT et une substance addictive. Par exemple, Le renforcement de cet apprentissage "sti- la fluoxétine utilisée comme antidépresseur mulus-réponse" expliquerait le taux élevé (dont le mécanisme d’action est sérotoni- de rechute de patients qui rencontrent des 16
CERVEAU indices associés à la prise de substances. d’autres personnes en train de jouer ou sim- L’addiction serait donc une conséquence de plement de parler du jeu, des changements l’usurpation, par les psychotropes, des mé- de l’activité cérébrale se produisent dans les canismes neuronaux d’apprentissage et de mêmes régions que celles des personnes mémoire (Hyman et al., 2005). accros à la cocaïne exposées à des indices liés à la cocaïne (Goldstein et al., 2007). Du point de vue moléculaire et cellulaire, D’une façon générale, l’avancée des con- l’exposition aux psychotropes entraîne naissances sur l’addiction permet d’envisa- d’importantes modifications dès les pre- ger plus globalement la maladie et plaide en CONSOMMATION mières prises. Certaines sont rapidement faveur d’un décloisonnement des stratégies réversibles, mais d’autres persistent bien thérapeutiques apportées aux patients. après l’élimination de la substance. Avec la répétition des prises, ces modifications à moyen et long terme se cumulent et peu- 5.3. Le cortex préfrontal vent persister des années, voire devenir irréversibles. Dans ce contexte de persis- Au niveau psychologique, la "perte de con- tance, deux cibles sont particulièrement trôle", qui est au cœur même de la définition pertinentes: la synapse, qui est à la base du syndrome addictif, prend depuis quel- des réseaux neuronaux et l’expression des ques années une importance croissante gènes qui joue un rôle important dans le dans les recherches en neurosciences de stockage mnésique. l’addiction. Le cortex préfrontal, au centre DÉPENDANCE des mécanismes cérébraux impliqués dans la prise de décision, est affecté chez les per- 5.2. Addiction sans substance sonnes souffrant d’addiction. Des études de neuroimagerie ont montré une baisse du Il est également intéressant de constater métabolisme de base du cortex préfrontal que le concept d’addiction évolue. De plus chez des personnes ayant développé une en plus d’articles scientifiques soulignent les addiction à différentes substances psy- "addictions sans substance" pouvant être choactives (Volkow et Fowler, 2000). Par développées, par exemple, par le jeu, le tra- contre, si l’on présente à ces mêmes per- vail, la sexualité ou encore internet, condui- sonnes des "indices" liés à leur substance ADDICTION sent aux mêmes modifications cérébrales d’addiction, le métabolisme de leur cortex que les addictions liées aux psychotropes préfrontal augmente de manière bien plus (Grant et al., 2006 ; Potenza, 2006). Clini- significative que si des "indices" liés à une quement, le jeu pathologique, par exem- récompense plus ordinaire leurs sont pré- ple, induit une euphorie, un craving* (désir sentés (Childress et al., 1999). Le cortex compulsif de reproduire le comportement préfrontal de ces personnes semble devenu d’addiction), une tolérance et des signes de incapable de déclencher la recherche de sevrage à l’arrêt. Potenza et ses collabora- récompenses naturelles et incapable d’em- teurs (2001) ont par exemple montré que, pêcher les comportements de recherche de quand des joueurs pathologiques regardent substances psychoactives. FACTEURS TRAITEMENT 17
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