NO312 - JUIN/JUILLET 2021 - Inter-Environnement ...
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Bimestriel, Paraît 6 fois par an Bureau de dépôt : Bruxelles X P 302402 PÉR IODIQUE ÉDITÉ PAR INTER-ENVIRONNEMENT-BRUXELLES, FÉDÉRATION DE COMITÉS DE QUARTIER ET GROUPES D’HABITANTS N O 312 – JUIN/JUILLET 2021
2 / DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 INTRODUCTION DÉLÉGUÉ, SOUS- TRAITÉ… CONCÉDÉ ! L’action publique s’exerce sous diverses formes. Ce journal s’intéressera particulièrement au phé- Mais il ne faudrait pas cantonner ces par- nomène de délégation, procédé par lequel l’État tenariats à des appels d’offre. Parfois, le recours au privé est aussi un aveu d’échec. C’est ce cas attribue une de ses compétences à un tiers et lui précis qu’illustrent les Agences Immobilières en concède la gestion. Sociales. Au travers de cet outil, les politiques bruxellois ont progressivement délégué la ques- tion du logement abordable au secteur privé. Les Olivier Fourneau, Inter-environnement Bruxelles AIS prennent en charge des logements auprès du ➪ propriétaire pour ensuite les louer en dessous du Loin des discours sur la nécessité DES FORMES DIVERSES prix du marché. En contrepartie, la rénovation de la croissance économique, une Préalablement, il faut souligner qu’il ne s’agit du bien et la perception des loyers sont assurées partie de notre rapport à la ville est pas d’un phénomène nouveau. Dès l’époque par ces structures. Ce dispositif est une réponse façonné à la fois par des espaces communs et la moderne, l’État a eu recours à des concessions imparfaite à la crise du logement. S’il permet production non marchande. En effet, les voiries, pour entretenir ses voiries ou développer des de diversifier et d’augmenter le nombre de biens les transports publics ou les infrastructures de lignes de transport collectif. Si la pratique disponibles, il crée aussi une nouvelle catégo- santé sont des ressources collectives gérées par peut paraître archaïque, elle subsiste encore rie de logement, moins chère que le privé mais la communauté, dont l’administration est délé- aujourd’hui. Le premier article ouvrant ce dos- plus chère que le social. En outre, pour attirer guée à l’État. Pourtant il s’agit d’un phénomène sier raconte l’emprise des sociétés publicitaires les investisseurs, le gouvernement subsidie le récent. Originellement, les compétences de l’au- sur l’espace public. Le procédé est simple : en secteur et octroie des avantages fiscaux aux torité étaient essentiellement régaliennes. Elles échange de l’installation et de l’entretien de bailleurs. L’ensemble des éléments contribue à se sont progressivement étoffées pour aboutir à mobilier urbain, le pouvoir public concède le transformer les appartements gérés par les AIS une forme d’État social complexe. Faut-il encore droit à une société d’utiliser les voiries à son en investissement rentable… et à un transfert rappeler que cette évolution est le fruit d’un long profit en monétisant l’audience. Si cette pra- durable des fonds publics vers le privé. processus entre les deux guerres où des élections tique existe depuis maintenant cinquante ans, politiques et des rapports de forces entre le patro- elle n’est pas sans poser des questions démo- DES CONTRAINTES nat et les syndicats, ont abouti à notre système cratiques. La durée des concessions peut par Au-delà des délégations et des concessions, le d’État providence ? Cette période va permettre exemple atteindre quatorze années, soit bien partenariat public-privé semble l’incarnation de des avancées notables. Ainsi, les premières plus que le temps d’une législature. De plus, le cette nouvelle manière pour l’État d’exercer ses sociétés de logements sociaux sont créées en 1919 champ d’activité des publicitaires s’est récem- compétences. Mais comment expliquer le succès et le pacte social rendant l’assurance chômage et ment étendu. Aujourd’hui, la société JCDecaux de ce type de dispositif dans notre société ? Ces l’assurance maladie obligatoire est promulgué est l’opérateur responsable d’un service public : quinze dernières années par exemple, le tram en 1944. Au-delà des grandes avancées sociales, les vélos en libre-service. La somme de ces élé- de Liège, la ligne de chemin de fer Diabolo et c’est le rôle de l’État dans l’économie qui va être ments en fait un acteur de Bruxelles, dévelop- même le projet de stade au Heysel ont tous été reconfiguré. Son action est conçue alors comme pant sa vision et modelant l’espace. Les conces- portés conjointement par les pouvoirs publics et une condition préalable à la prospérité de tous sions accordées aux publicitaires racontent des consortiums d’entreprises. C’est l’argument et c’est dans ce cadre que les transports collec- l’histoire d’une ville où la gestion de l’espace économique qui dans la plupart des cas justifie tifs vont progressivement sortir de la sphère du public dépend aussi de contrats. ces montages. Les finances publiques ne permet- privé pour intégrer le giron public. Aujourd’hui, traient plus de concevoir et de gérer des projets la diversification des activités de la puissance d’une telle ampleur. Cet argument témoigne publique n’est remise en cause par personne. Les concessions accor- indéniablement d’une évolution paradigma- Pourtant, elle prend des formes diverses. Car, si tique. Les époques précédentes n’ont-elles pas l’État dispose de nombreuses prérogatives rien dées aux publicitaires permis de se doter d’autoroutes, de chemins de ne lui empêche de les déléguer à des acteurs pri- vés. C’est ce phénomène que le journal entend racontent l’histoire fer, d’infrastructures sportives infiniment plus dispendieuses ? Mais derrière la rhétorique se explorer : comment l’État accomplit ses missions d’une ville où la gestion dissimulent de nouvelles contraintes réglemen- en ayant recours à des tiers ? Il s’agit ici d’étu- taires. En effet, si l’État n’a plus les moyens de dier un interstice, un espace se situant entre le de l’espace public dépend faire face à ces dépenses, c’est parce qu’elles sont service public et la privatisation. Il peut prendre diverses formes, mais il permet à la fois de com- aussi de contrats. cadrées par des règlements européens. Depuis l’avènement de l’Union monétaire, les déficits bler un besoin (partiellement) tout en servant excessifs peuvent être poursuivis à la Cour de des intérêts privés. justice de l’Union européenne…
DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER / 3 Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 Si le cadre peut apparaître comme un peu LA TRANSFORMATION lointain, il a pourtant une influence réelle sur Au fond, le sujet de ce dossier n’est pas tant la la Région bruxelloise. La STIB, par exemple, a délégation que la métamorphose de sa nature ! été directement affectée par les normes budgé- Depuis des décennies l’État délègue des compé- taires européennes. Alors qu’elle est censée être tences qui lui sont attribuées à des structures l’outil privilégié de la Région pour garantir le droit au transport de tous, une révision comp- extérieures. L’assurance chômage n’est-elle pas en partie administrée par les syndicats ? Dans la Des agents réalisent table en 2005 va mettre à l’épreuve le service même idée, une multitude d’ASBL se sont vues aujourd’hui des mis- public. La décision contraint le gouvernement le droit d’exercer dans le champ de l’alphabéti- à considérer la société de transport comme une sation, de la formation ou de l’accompagnement sions de service public administration publique et dès lors de fusion- ner les budgets des deux entités. L’article pré- social. Leur travail a logiquement été reconnu par l’État et financé par ce dernier. Toujours est- afin de réaliser une sent dans ce dossier relate les différentes stra- il que le service donné par ces structures s’exer- plus-value et cette idée tégies mises en place par la Région pour essayer çait sans idée de lucre. Actuellement, on assiste de faire de l’intercommunale une entité juri- à un basculement de la sphère non-marchande apparaît comme légi- dique à part entière. Il s’agit presque d’une saga, l’objectif étant de préserver la capacité en vers l’univers marchand. Des agents réalisent aujourd’hui des mis- time pour une frange investissement de la structure et, pour y parve- sions de service public afin de réaliser une plus- de la société. nir, de nombreuses voies ont été adoptées : par- value et cette idée apparaît comme légitime pour tenariat public-privé, augmentation tarifaires, une frange de la société. De ce fait, elle se traduit et même, tout récemment, la déconsolidation dans un nombre croissant de législations. La d’une partie du budget de la Région. dernière en date, la réforme du code des sociétés, Ce développement doit être mis en parallèle supprime l’interdiction pour les ASBL de mener avec la politique flamande qui, face aux mêmes des activités lucratives. Indirectement, elle assi- contraintes, a pris une direction radicalement mile donc le secteur associatif à des entreprises. différente. Pour préserver ses capacités d’inves- Mais les conséquences pour le secteur seront tissement, la Flandre a créé une société de droit importantes, il devra entre autres se soumettre de droit public : De Werkvennootschap. Depuis au droit de la concurrence. Pourrions-nous ima- son existence, la société a piloté un nombre giner un jour une école de devoir concourir pour important de projets, mais elle est surtout à la obtenir un marché ? C’est à ces différents élé- manœuvre dans le projet d’élargissement du ring ments que le dernier article de ce dossier essaye bruxellois. En fait, il s’agit d’une entreprise à de répondre. qui le gouvernement flamand délègue la compé- Bonne lecture ! ▼ tence de construire des infrastructures… qu’elle délègue elle-même au travers de partenariats public-privé. Cependant, l’opacité du montage ne peut dissimuler des questions légitimes sur la « gouvernance » et les compétences qui lui sont attribuées. Son personnel par exemple peut se voir attribuer la qualité d’officier de police judi- ciaire. Le droit du regard du parlement flamand, quant à lui, est inexistant et seuls deux commis- saires du gouvernement assurent un contrôle limité au sein du conseil d’administration.
4 / DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 PUBLICRATIE À Bruxelles, de nombreux mobiliers urbains portent leurs griffes et jalonnent l’espace public. JCDecaux et Clear Channel sont les deux multinationales qui DES LIENS FORTS se partagent à elles seules le marché de la publicité Répondre à cette question n’est pas aisé. Surtout, dans la ville. Quelles sont les pratiques de ces publici- il ne faudrait pas se retrancher derrière l’idée d’un accord où tous les partis sont gagnants et taires ? Et surtout, quelles relations entretiennent-ils l’intérêt général préservé. Certes, les conven- avec le pouvoir public ? tions avec les publicitaires mettent à disposi- tions du mobilier urbain à destination du collec- Olivier Fourneau, Inter-Environnement Bruxelles tif. Évidemment, si un tiers assume la majorité des coûts et dispense la municipalité d’augmen- ter les impôts, ces conventions impliquent des obligations strictes… Les concessions sont en effet des accords commerciaux contraignants, se déroulant sur un temps long et ne pouvant pas ➪ être révoqués sans compensation. En outre, par C’est en 1966 que le premier mobilier Villo ! a ajouté 250 dispositifs publicitaires et plus sa nature, l’activité des publicitaires est large- urbain financé par la publicité voit de 1400 m² d’espace réservé aux annonceurs à ment bénéficiaire. Afin d’assurer leurs bonis, le jour à Bruxelles. Le modèle écono- Bruxelles 2. Ce mouvement s’est poursuivi en 2018 ils obtiennent parfois des exemptions sur les mique est simple : une société propose d’instal- puisqu’en échange d’une électrification partielle redevances régionale et communale. Pour la ler et d’entretenir divers services du quotidien en de la flotte Villo !, un tiers des panneaux tradition- convention Villo !, ce régime fiscal favorable ville. Pour rétribution, elle reçoit une concession nels prévus initialement ont été transformés en serait un manque à gagner de l’ordre de 4 à 15 pouvant aller jusque quinze années, lui permet- panneaux numériques 3… L’avenir ne nous pré- millions d’euros pour les pouvoirs publics 5. De tant d’exploiter des dis- servera vraisemblablement plus, il faut ajouter que le régime de concession positifs publicitaires et Depuis plus de cin- pas d’extension similaire rend très difficile toute transformation du ser- de monétiser l’audience puisque la STIB a lancé vice. Résultat, si les Villo ! électriques sont dotés passant sur les axes de quante ans, des opéra- des appels d’offres afin de de batteries portatives peu pratiques, il ne s’agit circulation. L’opération est alors nulle pour les teurs privés remplissent reprendre aux communes la gestion des abribus. pas d’une limitation technique. C’est plutôt le fruit d’une négociation compliquée entre le gou- finances publiques, mais un nombre grandissant L’idée était d’augmenter le vernement et le concessionnaire pour amender en contrepartie les voiries nombre d’arrêts de trans- une convention vieille de dix ans. de missions d’intérêt † se voient ponctuées par port public munis d’abris, de nombreux panneaux à caractère promotionnel. collectif… et de faire passer la cou- verture totale de 70 à 80 %, Évidemment, l’opération s’avère rentable, soit 10 % de panneaux publicitaires supplémen- et si l’activité des publicitaires était initialement taires 4. Si depuis, le marché a été annulé par le cantonnée aux abribus, l’offre va rapidement Conseil d’État, le projet reste dans l’escarcelle de s’étendre et proposer des objets très variés : signa- l’intercommunale. Si les Villo ! électriques lisation de voirie, cabine téléphonique, plaque de rue, éclairage public, poubelle, vélo en libre-ser- Paradoxalement, la croissance du nombre de panneaux publicitaires se fait dans un sont dotés de batte- vice voire même des journaux communaux 1. La contexte législatif de plus en plus sévère. Le ries portatives peu demande, quant à elle, croît de manière compa- Règlement Régional d’Urbanisme instaure dès rable à la gamme de services offerts. Il est difficile les années 2000 une réglementation assez stricte pratiques, il ne s’agit de faire un portrait exhaustif des acteurs publics dédiés au secteur en région bruxelloise, ce qu’on sur les zones où les publicités sont permises. Malgré ces restrictions, le constat est là, le mar- pas d’une limitation peut cependant dire est qu’il en existe aujourd’hui ché se porte bien à Bruxelles. Depuis plus de cin- technique. une multiplicité : une régie publicitaire par com- quante ans, des opérateurs privés remplissent mune, une régie publicitaire propre à la STIB un nombre grandissant de missions d’intérêt et une régie régionale. La surface dédiée aux collectif dans ce qui constitue un cas d’école pour espaces promotionnels, elle aussi, a augmenté le partenariat public-privé. Comment expliquer en cinquante ans. Ainsi, dès 2008, la convention le succès du secteur ?
DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER / 5 Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 L’exécutif a donc mis en place une procédure dérogeant à sa propre législation… au nom de l’accomplissement de missions de service public !
6 / DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 EN PRATIQUE La convention Villo !, justement, a engendré cer- taines dérives qui auraient pu être évitées. À l’époque, la Région voulait mettre en place un service public de vélos partagés pour répondre à divers enjeux majeurs. Il s’agissait d’encourager la pratique du deux roues, mais il fallait aussi La Commission affirmer la prééminence de la Région et éviter européenne a que les communes se trouvent pourvues de sys- tèmes concurrents et incompatibles entre eux. condamné la Ville Tous ces éléments poussent le gouvernement a lancer un dialogue compétitif et, dans la fou- à une amende lée, accorde le marché à JCDecaux. Pour garantir de 3,5 millions une implantation rapide du système, le pouvoir public prend un engagement particulièrement d’euros pour une controversé : il s’engage en vertu de l’article 14 de Cependant, quatre années plus tard, la convention « d’obtenir les permis d’urbanisme requis Bruxelles décide de remplacer les mobiliers aide d’État… à une pour les stations de location de vélos et des dispositifs de urbains par un nouveau modèle Art Nouveau. Le publicité correspondants ». Cette clause a pour impli- but est de se démarquer, d’affirmer son image de société publicitaire. cation que c’est le ministre de la mobilité qui marque, et d’attirer touristes et investisseurs. introduit la demande du permis des stations et Comme à son habitude, la multinationale s’exé- des panneaux promotionnels au fonctionnaire cute prestement et un autre mobilier flambant L’apport financier aux caisses publiques délégué relevant de l’autorité du gouvernement. neuf jalonne la commune. Tout va bien dans le ne suffit donc pas à justifier le succès du mobi- Ce faisant le pouvoir public utilise une procédure meilleur des mondes jusqu’en mai 2008, date lier publicitaire. Une autre explication réside d’exception introduite par le COBAT et considère où une conseillère communale de l’opposition dans la capacité des entreprises à proposer des que ces travaux sont directement liés à l’exer- se rend compte qu’une série de dispositifs auto- solutions clef en main aux autorités. Ces mul- cice de ses missions. En conséquence, nombre risés en 1984 ne sont toujours pas démontés. tinationales disposent, de fait, de capitaux et de dispositifs publicitaires ont été implantés en La réaction de la ville est alors ubuesque, elle de moyens industriels conséquents 6. Elles maî- zone interdite. L’exécutif a donc mis en place une lance un audit : certains contrats étaient alors trisent l’intégralité de la chaîne de production procédure dérogeant à sa propre législation… au introuvables 7 ! et sont capables de concevoir, de produire et de nom de l’accomplissement de missions de ser- Heureusement, après dix ans de procédure gérer rapidement un système. Il va sans dire que vice public ! en justice, du Conseil d’État à la Commission de tels outils sont hors de portée de la puissance On retrouve également ce type de procédé européenne, le dossier s’est éclairci. Jusqu’en publique. Les publicitaires, par l’entremise de à la ville de Bruxelles. En 1999, JCDecaux rem- 2011, quatre-vingts abribus et panneaux d’in- ces contrats, lui offrent une solution toute faite porte l’appel d’offres pour la maintenance, le formation ont été exploités indûment par la et pouvant être exécutée très rapidement. En placement et la gestion d’abribus et de supports société. Il s’agissait d’une compensation pour la fait, les concessions publicitaires officialisent d’affichages sur le territoire de la commune. En transformation du mobilier Art Nouveau, mais une relation d’interdépendance entre les deux contrepartie, le nouveau mobilier installé par la il n’existe aucune preuve écrite, aucun contrat, parties. La société privée, d’une part, ne peut multinationale devient la propriété de la Ville régissant leur utilisation. De plus, durant la exercer son métier sans avoir accès à l’espace et JCDecaux lui paie un loyer mensuel pour son décennie où le publicitaire a été dans l’illégalité, public. L’autorité de tutelle, d’autre part, y trouve utilisation. Ce contrat d’une durée de quinze il n’a payé aucun loyer ni aucune taxe au pou- des ressources afin de mener diverses politiques. ans doit remplacer la convention, préalable- voir public 8. L’affaire est tellement énorme que L’exécutif peut aussi affirmer sa prééminence au ment signée en 1984, et le publicitaire s’engage la Commission européenne a condamné la Ville sein de rapports de force locaux, développer son à démonter progressivement les dispositifs auto- à une amende de 3,5 millions d’euros pour une image de marque ou marquer des points dans risés par le contrat précédent. Bref, un contrat aide d’État… à une société publicitaire. la compétition électorale. Bref, si les vélos en publicitaire classique ! libre service à la ville de Bruxelles, à la Région, à Paris et même à Barcelone, ont été mis en place quelques mois avant le suffrage populaire, il ne s’agit pas d’un hasard.
DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER / Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 7 SERVICES PUBLICS COMMERCIAUX Au-delà des problèmes légaux ou éthiques, le principe même de la délégation d’un ser- vice public à un opérateur privé pose question. Comme l’objectif de ce type d’activité est de concourir à l’intérêt général, introduire une Il est impératif logique marchande au sein du dispositif ne per- de repolitiser met plus d’opérer une distinction claire entre ce qui relève du privé ou du public. Le système la question de vélos partagés bruxellois illustre clairement cette tendance. Le choix de l’implantation des de la publicité stations devait être fait en concertation avec en ville. l’administration et le publicitaire et la négocia- tion aurait dû garantir l’intérêt de chacun, mais ce processus ne pouvait pas aboutir à l’intérêt de tous… En effet, l’article 36 de la convention sti- pulait qu’« à défaut d’un accord sur une implantation pré- cise, le gestionnaire de voirie acceptera la proposition d’im- LA PUBLICITÉ EST UN ENJEU POLITIQUE plantation du concessionnaire ». Or, le seul intérêt de À travers les exemples que nous avons évoqués, 1. M. HURÉ, « Portrait d’entreprise – Le mobilier urbain et la publicité : JCDecaux et Clear JCDecaux, c’est l’audience possible que la publi- on constate systématiquement que le pouvoir Channel Outdoor » cité peut avoir et le prix qu’il peut en obtenir. Il exécutif s’autonomise et fait fi du contrôle légis- 2. 354 dispositifs de 2m², 45 dispositifs de de est donc fort possible que l’implantation des sta- latif. La modification de contrat entre JCDecaux 8m² doubles face in commission mobilité du tions soit totalement décorrélée de la demande. et la ville de Bruxelles a été conclue oralement, 28 janvier 2020,C.R.I. COM (2019-2020) N° 59 Parlement bruxellois Le pire, c’est qu’il est difficile pour nous de sans passer par le conseil communal. La conven- 3. Op. Cit. l’affirmer. Il existe bien des témoignages qui tion Villo ! a été signée deux ans avant qu’une 4. X. LUST, « Stib : plus de 100 millions euros vont en ce sens 9, mais les dizaines d’années ordonnance ne régisse le service. Enfin, les pour les abribus »,ladh.be, 7 juin 2019 5. Commission Mobilité, Ibid. d’utilisation de la cité par les groupes publici- appels d’offres de la STIB ont été entérinés deux 6. M. HURÉ, Op cit. taires en ont fait des acteurs de la ville au sens jours avant les élections régionales, afin de ne 7. F. VOOGT, « El Ktibi épluche les contrats propre du terme. Ils gèrent les flux d’utilisateurs, pas être contrecarrés par une nouvelle majorité Decaux », Le soir, 17juin 2008, p.9 8. Commission Européenne, « Décision de la mesurent les audiences, ont accès aux données hostile à la publicité 12. Or, ces contrats engagent commission du 24 juin 2019 concernant l’aide de déplacement de leurs clients. La somme de la collectivité sur un temps long, dispensent d’État SA.33078 (2015/C) (ex 2015/NN) mise ces pratiques implique que JCDecaux a une réelle parfois les sociétés commerciales de taxes, et à l’exécution par la Belgique en faveur de JCDecaux Belgium Publicité (« JCD ») expertise de Bruxelles… que l’entreprise garde peuvent donner lieu à des aides publiques au sec- 9. Un agent de la Région bruxelloise à propos jalousement ! teur publicitaire 13. de l’implantation des stations Villo ! : « Ils [les Non seulement, on lui concède l’utilisa- Pourtant, ces vingt dernières années le agents JCDecaux] mettent vraiment en avant l’intérêt publicitaire. Ils nous disent « nous on tion d’un l’espace public, mais on ne connaît pas règlement régional d’urbanisme concernant veut que ce soit à cet endroit-là, car c’est là exactement le coût du service qu’on lui délègue. la publicité n’a jamais été aussi sévère. La der- qu’on a le meilleur contact ». Ils ont chaque Si la puissance publique veut obtenir plus de nière mouture du RRU instaure notamment des année un routage qui détermine le prix au transparence, elle doit précéder à des audits surfaces maximales sur les murs pignons, des m² des endroits. C’est ce qu’on appelle le contact SIM et ils regardent ça pour chaque budgétaires 10. Et si elle désire avoir des données interdictions d’affichage près des écoles ou une implantation, à chaque croisement et voirie. Le sur les utilisations non prévues par contrat, elle interdiction d’exposer la circulation routière à prix de location équivaut à une chaîne de valeur. doit alors recourir à des études extérieures. Elles l’affichage vidéo. Il y a donc un décalage entre la Par exemple s’il passe 10.000 automobilistes devant une publicité, le prix est de tant. Les sont pourtant nombreuses, la ministre de la règle et la pratique. contrats de vente ne sont faits qu’à partir des mobilité admettait récemment en commission Face à ce constat, il est impératif de repoliti- contacts SIM. Évidemment, ils choisissent ne pas disposer du taux de rotation des vélos, ser la question de la publicité en ville. Les conces- [l’implantation] en fonction du nombre de passages de voiture » in M. Huré, « Une les kilomètres parcourus et même le nombre sions relèvent aujourd’hui du droit des contrats, privatisation des savoirs urbains – les grands d’abonnements au service 11. Est-ce que la cou- documents utilisés pour déroger à la législation groupes privés dans la production d’études verture totale du territoire et un prix abordable existante et engageant la collectivité sur le long des projets de vélos en libre-service à Lyon et Bruxelles », Géocarrefour, Vol 85/4, 2010, pour l’utilisateur justifient une telle somme de terme. Dans une époque où l’on cherche par tous p.313-321 compromissions ? La concession du service Villo ! les moyens à attirer notre attention, il est temps 10. Commission mobilité du 28 janvier 2020, arrivera à échéance en 2026, il est primordial de de réfléchir à la notion de pollution visuelle en Op. cit. faire un état des lieux du service d’ici là. ce qui concerne la publicité, le parlement doit 11. Ibid. 12. X. LUST, Op. cit. se saisir du sujet afin d’encadrer la pratique et 13. Commission Européenne, Op. cit. d’en supprimer les nuisances. Enfin, il faut se demander si des matières aussi importantes que l’utilisation de l’espace public ou la gestion des utilisateurs d’un service peuvent être déléguées à une société commerciale. De la réponse à cette question dépend le futur de la ville et la qualité Non seulement, on de son environnement… ▼ lui concède l’utili- sation d’un l’espace public, mais on ne connaît pas exac- tement le coût du service qu’on lui délègue.
8 / DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 LE LOGEMENT ABORDABLE MÉRITE MIEUX QUE DES «SOLUTIONS» Précisions-le d’emblée, ce texte n’a pas comme objectif de dénigrer ces institutions (et encore moins les personnes qui y travaillent), il vise le système dans lequel ces agences s’in- sèrent, à leur dépens et parfois malgré elles. Les objectifs sont louables : augmenter le parc de logements abordables, diversifier le type de biens et leur localisation. Les garanties sont importantes, et les avantages aux bail- leurs n’ont fait que croître : outre le fait que le risque locatif est assumé par le public, les déductions fiscales sont importantes (exonéra- tion du précompte immobilier, aides à la réno- Le manque criant de logements sociaux à Bruxelles n’est vation et, depuis peu, réduction de la TVA sur les constructions neuves). pas un fait récent, les listes d’attente en font désormais Il existe 25 AIS en Région de Bruxelles- une question politique cruciale. « Trouver des solu- Capitale et elles ont chacune leur méthode de travail et leur philosophie. Mais elles par- tions », le nouveau leitmotiv qui laisse sur le banc les ticipent à un système de délégation de pré- rogative publique à des acteurs privés, et de questions démocratiques. transfert net de fonds publics vers des comptes bancaires privés. Avec, au passage, une dimi- Sarah De Laet, Inter-Environnement Bruxelles nution des possibilités d’action et de décisions collectives sur les biens concernés. Reprenons en trois points. DES GARANTIES DÉSORMAIS ALLÉCHANTES POUR DES INVESTISSEURS ET DES PROMOTEURS ➪ Septembre 2020, le gouvernement publie « un plan d’urgence loge- ment », resucée de leur déclaration de politique générale de début de législature. Le grand enjeu : trouver des solutions à 15 000 1re « SOLUTION » : LES AGENCES IMMOBILIÈRES… « SOCIALES » Le dispositif des AIS est ancien, il se crée en 1998. Il institutionnalise notamment les démarches de certaines Unions de Locataires qui prenaient L’étude du RBDH 1, parue en 2019, expliquait très clairement les nouveaux enjeux du secteur. En somme, l’attrait pour des investissements « sûrs », et pour la « brique » en général, a suscité l’intérêt de promoteurs et de fonds d’investis- ménages en attente d’un logement social, sur les en charge la signature du bail de ménages issus sement. La certitude de dégager un rendement 44 000 de la liste. de l’immigration qui ne trouvaient pas à se loger. compris entre 2,6 et 3,5 %, en plaçant auprès Mars 2021, le moratoire sur les expulsions Déjà à l’époque, le marché locatif exclut et discri- d’une AIS des bâtiments neufs, a considérable- domiciliaires décrété en début de confinement mine ceux et celles que les bailleurs considèrent ment dopé le nombre de nouveaux appartements prendra bientôt fin. Dans le secteur logement, indésirables: les personnes racisées et/ou pauvres. construits pour être mis en gestion auprès d’une ça se sait, d’ailleurs certains acteurs du milieu Depuis 2002, le principe des AIS peut être AIS. À l’époque, le RBDH s’inquiétait de voir réclament eux aussi la fin du moratoire : les résumé comme tel: les AIS prennent en charge qu’un nombre restreint d’acteurs s’apprêtait à Agences Immobilières Sociales. Elles ont elles des logements auprès de propriétaires qui concentrer une part importante du parc immobi- aussi besoin de pouvoir expulser des locataires, acceptent de les louer un peu en dessous du prix lier en AIS entre leurs mains, augmentant sans pour ne pas sombrer financièrement. du marché. La valeur du loyer maximal pour un nul doute leur pouvoir de négociation auprès Des AIS qui réclament la fin d’un mora- bien dépend de ses caractéristiques et est fixé des pouvoirs publics. Déjà en 2017, les pouvoirs toire, et une politique de « solutions », deux par une grille (qui a déjà évolué à la hausse). publics offraient aux acheteurs (et donc aux pro- facettes d’une même pièce : celle de la délégation Cette prise en charge est contractualisée, pour moteurs) une réduction de la TVA de 21 à 12 % progressive au secteur privé de la question du une durée minimale de 9 ans, mais le plus sou- sur les logements neufs mis en gestion auprès logement abordable, aux dépens d’une politique vent de 15 ou de 27 ans. Les AIS gèrent pour le d’une AIS pour 15 ans. Un manque à gagner publique (et donc collective) du logement. propriétaire la mise en location, les rénova- substantiel. tions éventuelles et la perception du loyer. Elles De surcroît, pour le promoteur privé qui garantissent aussi que ce loyer sera payé chaque construit un bâtiment sur lequel des charges mois, indépendamment de sa perception réelle d’urbanismes s’imposent 2, il est désormais et de ce que paie le locataire : celui-ci peut payer possible de les « verser » en « logement enca- moins que ce que perçoit le propriétaire… le dif- drés » : 15 % des logements doivent ainsi être férentiel étant comblé par la Région. Le fonc- confiés en AIS. Un beau geste, puisque la pro- tionnement des AIS est subsidié par la Région priété ne change pas de main et que la rentabi- également. lité, même moindre, est au rendez-vous.
DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER / Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 9 Après que les loyers Comme nous l’indiquions en 2019 3, il y a En fin de contrat, après que les loyers aient aient été subsidiés quelque chose de cynique à voir de grands capi- taux s’enorgueillir d’investir une partie de leur été subsidiés par des fonds publics pendant 27 ans, le bâtiment et le sol seront toujours la pendant 27 ans, le fortune de façon « sociale », tout en engran- propriété d’acteurs privés. Ils auront gagné de bâtiment et le sol geant des bénéfices sur cet investissement et l’argent, et ils pourront en faire absolument tout en poursuivant le reste de leurs activités ce qu’ils veulent, c’est-à-dire ce qui rapporte le seront toujours la comme si de rien n’était (rappelons notamment plus en prenant le moins de risques. Selon les que les grandes fortunes éludent l’impôt de quartiers, les décisions pourraient être très dif- propriété d’acteurs façon très importante 4). Les loyers des logements en AIS sont donc férentes et rendre la ville moins abordable. En effet, la localisation de ces nouveaux privés. garantis, la valeur de ce loyer devient donc l’un bâtiments construits expressément pour être des enjeux majeurs quant aux bénéfices espé- donnés en gestion à une AIS est très restreinte: rés. En concentrant entre leurs mains une part il s’agit essentiellement d’anciens terrains DES LOCATAIRES PRESQUE SAUVÉS grandissante des logements confiés en AIS, des industriels, situés à proximité ou dans des Pour les locataires, le logement en AIS, quoique acteurs privés organisés (comme c’est le cas quartiers populaires. Des terrains achetés à bon potentiellement plus cher que le logement de promoteurs et de fonds d’investissements) marché, pour lesquels un profit à la revente est social, peut être une réelle solution. Un moment auront un poids important dans des négocia- attendu, quand il ne s’agit pas plus simplement de répit dans une trajectoire résidentielle dif- tions sur les loyers maxima que peuvent accep- d’un choix stratégique : le quartier n’est pas ficile. Cependant, contrairement au logement ter et payer les AIS. encore assez attractif pour les classes moyennes social, le logement en AIS n’est pas pérenne : en et les classes supérieures ? Qu’à cela ne tienne, fin de prise en gestion, le propriétaire peut déci- cédons-les en AIS pour 27 ans, d’ici là, peut-être der d’en rester là, et le locataire peut se voir tout qu’il sera « monté ». simplement contraint de partir. Un autre élément plus pernicieux tient aux intérêts défendus de fait par les représen- tants des AIS dans les instances d’avis et les associations de soutien aux locataires. À de multiples reprises j’ai pu constater que ces asso- ciations se retrouvaient à défendre les intérêts des bailleurs, contre les intérêts des locataires en général. Ceci n’a rien d’étonnant en soi : les AIS garantissent les revenus aux bailleurs, et se trouvent mises en difficulté si leurs locataires ne paient pas le loyer en temps et en heure. Le fait de ne pas différencier les bailleurs selon la taille de leur portefeuille immobi- lier pose problème : en défendant les intérêts des bailleurs indépendamment du nombre de logements qu’ils possèdent et de leur situation financière, on se retrouve de fait à protéger en moyenne les intérêts de personnes fortunées et d’organisations nanties aux dépens de per- sonnes pauvres. Cela ne se passe pas sans gêne du côté des AIS, parce que leur objet social est bien d’aug- menter le parc de logements abordables et in fine d’aider des personnes en difficulté financière… Mais également – pour leur survie – d’obtenir des loyers et donc de pouvoir expulser certaines personnes. †
10 / DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 LA DÉMOCRATIE, L’ANGLE MORT DU PROJET AIS Notre dernière considération est d’ordre Dernier élément, mais non des moindres, le pou- urbanistique. Le gouvernement a fait de nom- voir de décision collective sur les logements mis breux appels du pied aux promoteurs immobi- en gestion auprès d’une AIS n’existe pas : le deve- liers, notamment en leur garantissant une accé- nir du bâtiment et du sol sur lequel il se trouve lération des procédures de permis et d’enquête échappe à la délibération collective. publique, cela s’appelle la FastLane. Ce principe Contrairement au logement social 5, les AIS de priorité et d’accélération du processus exis- ne rapporteront jamais d’argent à la collectivité, tait pour les écoles et sera désormais offerte aux elles ne font que coûter. promoteurs qui entendent vendre tout ou partie En somme, le propriétaire reste le seul du bâtiment à la SLRB. Une bonne nouvelle pour Le logement social maître à bord et la collectivité le paie pour un ser- ces acteurs, dont l’un des enjeux principaux est vice : celui de loger des pauvres. Pour plus de 30 de réduire le temps d’immobilisation du capital est certainement millions d’euros d’aides publiques chaque année. (foncier inclus). Dans un cas, le promoteur contacte les pou- imparfait, mais POUR AUTANT… voirs publics avant la demande de permis, les il demeure l’objet Pour autant, la mise en gestion en AIS de plus procédures sont accélérées et on peut imaginer de 5500 logements offre actuellement une réelle que des négociations autours des dérogations foncier le plus puis- solution à des personnes qui n’en avaient aucune : urbanistiques seront compliquées pour les pou- ménages pauvres, familles monoparentales ou voirs publics. samment démocra- encore personnes sans-abri. Il est évident qu’on ne peut balayer cela d’un revers de la main… tout Dans l’autre cas, le bâtiment n’arrive pas à se vendre, le promoteur a vu trop grand, trop loin, tique et égalitaire. comme il est évident qu’une socialisation plus la demande n’est pas là… qu’à cela ne tienne ! Le importante et pérenne du logement serait préfé- public est là pour assurer les rendements et ache- rable, surtout sur le long terme. ter le bâtiment. 2e «SOLUTION» : L’ACHAT CLEF SUR PORTE TENIR LE BIEN PUBLIC EN PLUS HAUTE Contrairement aux AIS, il s’agit bien dans ce cas ESTIME ET PENSER LE LOGEMENT d’acquérir un sol et un bâtiment pour en faire du COMME UN DROIT, COLLECTIF logement 100 % public, et dans le meilleur des Penser les questions de logement abordable en 1. Le présent article n’aurait pu être écrit sans cas du logement social. termes de « solutions » élude à la fois la question de ce support d’une immense qualité, la plupart des informations factuelles et une partie de Le principe : vous êtes un promoteur, vous l’individu et du collectif. De l’individu parce qu’il l’argumentaire ayant été écrit dans ce travail. avez acheté un terrain, vous avez un projet de s’agit de considérer que « n’importe quelle solution « Le privé à l’Assaut du Social, RBDH 2019 ». logements dessus et pour une raison X ou Y vous suffira », indépendamment des envies ou de l’an- 2. Charges d’urbanismes : pas d’amélioration en vue…, 2020. ARAU. https://www.arau. voulez le vendre à la SLRB ? Pas de soucis, on crage local des personnes : allez donc vivre là-bas, org/content/uploads/2020/06/ARAU-analyse- vous l’achète. Super ! Vraiment ? et ne vous plaignez pas avec ça, c’est public ! charges-durbanisme-06-05-2020.pdf Depuis 2020, c’est le tournant du cabi- Du collectif parce qu’en recourant au sec- 3. A. FARES, C. SCOHIER, S. DE LAET, Les enjeux de la financiarisation du logement à net de Nawal Benhamou : favoriser l’achat clef teur privé on acte que le public ne peut pas faire Bruxelles, IEB, 2019. https://www.ieb.be/Les- sur porte, puisque le logement social peine à les choses, faute de ressources, et que l’on se enjeux-de-la-financiarisation-du-logement-a- se construire dans le giron public. Constater défait au passage de notre pouvoir collectif à pen- Bruxelles 4. Inégalités et pauvreté : le coût caché de l’échec des Plans logement successifs est en effet ser les fins et les moyens. Le logement social est l’évasion fiscale [https://www.oxfam.org/ essentiel, augmenter le nombre de logements certainement imparfait, mais il demeure l’objet fr/inegalites-et-pauvrete-le-cout-cache-de- sociaux également. Mais faire appel aux acteurs foncier le plus puissamment démocratique et levasion-fiscale]. privés pour pallier à celui-ci pose question. égalitaire: c’est un bien public, construit par 5. A. ROMAINVILLE, S. DE LAET, « Pour le logement social », in Bruxelles en mouvements Premièrement, au niveau des conditions de le public et les règles qu’il se donne, il est attri- no 299, mars 2019 [https://www.ieb.be/ travail dans le bâtiment. Les scandales récents bué selon les besoins et non selon une concur- Pour-le-logement-social-40820]. et moins récents ne cessent de le démontrer 6 : la rence entre les personnes, il échappe à la spé- 6. L. VAN GINNEKEN, PH. ENGELS, « Une claque historique pour un géant de la construction : variable d’ajustement finale dans la construc- culation immobilière, etc. Les efforts devraient CFE condamné pour dumping », in Médor, 2020 tion est le travailleur du bâtiment. Travail au être consacrés à l’amélioration de sa gestion : [https://medor.coop/nos-series/mon-travail- noir, manque de sécurité sur les chantiers, la rendre plus humaine, plus proche des per- mon-enfer/une-claque-historique-pour-un- g%C3%A9ant-de-la-construction/]. chantage aux papiers, sous-traitance en chaîne, sonnes, plus efficace dans la construction. 7. Trois exemples : lorsqu’un bien est déclaré la liste est encore longue. Certes, la gestion par Annoncer qu’on mettra en œuvre 15 000 insalubre, le locataire ne peut pas cesser de le public de la construction ne garantit pas en solutions, alors que 44 000 ménages au payer son loyer et le quitter. Il doit passer en justice de paix et faire « casser le bail » ; elle-même que les conditions de travail soient moins attendent un logement social en étant lorsqu’un bien est frappé d’interdiction respectées. Mais passer par les acteurs privés aujourd’hui logés sur le parc privé, c’est s’enga- de location, les contrôles ne sont pas correspond pratiquement à s’assurer que cela ne ger à faire du chiffre. C’est certainement mieux nécessairement réalisés sur le temps long… sera pas le cas. que rien, aucun doute là-dessus, mais ce n’est ni c’est illégal mais, après une interruption, un bailleur peut reprendre les locations sans Un nombre important de Bruxellois et de suffisant ni durable. travaux, comme si de rien n’était. La moitié Bruxelloises est sans emploi. Pourquoi se doter La régulation des loyers sur le parc privé des locataires ne se présentent pas en justice d’une institution publique de construction offrirait une solution immédiate aux locataires de paix, certains ne sont jamais informés des procédures, et sont simplement expulsés. et de rénovation du logement social devrait pauvres, penser le logement comme un droit et demeurer tabou ? non comme du « capital qui rapporte » engage- Deuxièmement, le privé doit engranger des rait des changements drastiques en matière de bénéfices. C’est une nécessité absolue en système lois, de justice de paix ou encore de police 7. capitaliste, cela ne se discute même pas. Que ces En revanche, tant qu’il manquera la bénéfices soient directement engrangés sur les volonté politique de contraindre le marché, fonds publics est une réalité à laquelle nous refu- d’une manière ou d’une autre, les locataires (sur- sons de souscrire. tout les plus pauvres) seront condamné·es à galé- rer sur un marché dans lequel la concurrence est féroce. Encore et encore… ▼
DÉLÉGUER, SOUS-TRAITER, PRIVATISER / 11 Bruxelles en mouvements 312 – juin/juillet 2021 LA STIB À L’HEURE DE L’UNION MONÉTAIRE Parallèlement à cette dynamique, l’Europe va actualiser ses normes régissant les statis- tiques européennes. Le SEC95 2 devient le nouvel outil comptable à l’échelle continentale et tous les pays membres sont contraints de présenter Les enjeux de financement de la STIB ont toujours été leurs comptes de manière similaire. Cet outil présents à Bruxelles, mais les normes européennes, permet une meilleure lisibilité de l’informa- tion et opère une distinction stricte entre ce qui comptables et budgétaires, ont considérablement com- relève de l’État et de la sphère marchande. Toutes les unités relevant de l’administration publique pliqué la création d’infrastructures de transport. doivent ainsi être intégrées dans le calcul des déficits nationaux ou régionaux. Eurostat, l’or- Olivier Fourneau, Inter-Environnement Bruxelles gane chargé des statistiques au sein de l’Union, veille jalousement à la stricte application de la ➪ règle et peut inciter les États membres à revoir La présentation du budget de la UNE MONNAIE ET DES CONTRAINTES leurs comptes. Région bruxelloise est devenue COMMUNES Il faut attendre 2008 et la crise de la dette récemment un exercice étonnant. En 1992 est signé le traité de Maastricht. Il ins- grecque pour voir ces différentes règles actuali- On nous promet des comptes en équilibre tout taure une Union économique entre les pays et sées. En effet, la Grèce avait falsifié ses comptes en nous indiquant qu’une somme conséquente prévoit notamment la création d’une monnaie nationaux et dissimulé un déficit public de de ce dernier n’est pas incluse dans les relevés unique. L’objectif est de mettre en place un cadre près de 13 %. Cette situation a été suivie d’une régionaux. En 2020, ce sont cinq cents millions stable favorisant les échanges commerciaux, longue période de spéculation sur les dettes euro- d’euros, réservés aux investissements straté- où les agents ne seraient pas soumis aux fluc- péennes. Certains États membres, pris en étau giques, qui ont été « déconsolidés ». Ces sommes tuations des différentes monnaies. Mais pour par les marchés, avaient dû accepter de rembour- ont été intégralement consacrées à la rénovation parvenir à l’Euro, il faut créer des normes que ser leur dette publique à des taux élevés. L’Union des tunnels et à la construction de la nouvelle les pays doivent respecter. C’est ainsi que les dif- européenne a dès lors resserré le cadre régle- ligne de métro. Pour comprendre les enjeux et les férents États membres de l’union monétaire se mentaire. C’est pourquoi le Pacte budgétaire est rapports de pouvoir qui se cachent derrière ces sont engagés à respecter des « critères de conver- adopté en 2012. Il diminue fortement les déficits écritures comptables, il est nécessaire de dres- gences ». Concrètement, il s’agit de seuils de défi- annuels autorisés, puisque le seuil passe de 3 à ser une histoire croisée de la STIB et de l’union cit, d’endettement et d’inflation qui ne peuvent 0,5 % du PIB. Le SEC 2010 est lui aussi adopté. Il monétaire européenne. Derrière celle-ci se cache être dépassés. Jusqu’en 1997, instaure de nouveaux critères des contraintes qui s’appliquent aux États et des stratégies diverses pour les esquiver… ce n’étaient que des recom- mandations, mais à par- En 2020, ce sont pour distinguer une admi- nistration d’une entreprise tir de cette date, le Pacte de cinq cents millions publique. L’enjeu est impor- Stabilité et de Croissance tant puisque seules les entre- va être signé. Les recom- d’euros, réservés aux prises peuvent être déconso- mandations deviennent des contraintes et toute infrac- investissements stra- lidées des comptes et, ainsi, ne pas intégrer les déficits tion peut mener à des sanc- tégiques, qui ont été nationaux. † tions. Ce traité inaugure donc une nouvelle politique « déconsolidés ». économique européenne : la rigueur budgétaire 1.
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