Nostalgie du Soleil levant : le goût pour l'art japonais
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Présentation aux enseignants mercredi 6 juin 2012, 16h Nostalgie du Soleil levant : le goût pour l'art japonais Shunkosai Hokuei (nom de pinceau plus tardif d’Hokuei, actif entre 1824 et 1837) Hachimantaro et Abe Sadato autour de 1830 Exposition présentée du 6 juin au 26 août 2012 tous les jours de 10h à 12h et de 14h à 18h (sauf lundis et jours fériés) ouverture en continu le mardi musée des beaux-arts de Rennes 1 www.mbar.org
Informations pratiques Musée des Beaux-Arts 20 quai Emile Zola 35000 Rennes 02 23 62 17 45 www.mbar.org Tous les jours (sauf lundis et jours fériés), de 10h à 12h et de 14h à 18h ouverture en continu le mardi La gratuité est accordée aux groupes scolaires accompagnés et aux enseignants préparant une visite dont la date a été préalablement fixée. Seuls les groupes ayant réservé seront admis dans l'enceinte du musée. Afin de faciliter l'enregistrement des groupes, merci de présenter le carton de confirmation à l'accueil du musée. Pour tous les groupes, réservation obligatoire au 02 23 62 17 41 lundi, mercredi, jeudi et vendredi : 8h45 - 11h45 / 13h30 - 16h30 Permanence des conseillers-relais : Andrée Chapalain : mercredi 14h30 - 17h30 Yannick Louis : mercredi 14h30 - 17h30 Téléphone : 02 23 62 17 54 Nous rappelons que : > Les élèves sont sous la responsabilité des enseignants et des accompagnateurs. Aucun élève ne doit être laissé seul, en particulier pour les groupes sans animation qui circulent librement dans l'ensemble du musée. En cas d'incident, l'établissement scolaire sera tenu pour responsable. > Il est demandé aux établissements scolaires de prévoir un nombre suffisant d'adultes pour encadrer les élèves. > L'effectif du groupe ne doit en aucun cas être supérieur à 30 élèves. > Il est interdit de manger et de boire dans les salles. > Seul l'usage de crayons papier est autorisé : les stylos à bille ou à encre, les feutres, les compas et les paires de ciseaux sont prohibés. > Il est interdit de crier. > Il est interdit de courir. > Il est interdit de s'approcher à moins de 1 mètre des œuvres, et à plus forte raison de les toucher. > Les photos sont autorisées, mais sans flash. En cas de non-respect de ces règles élémentaires de conduite, le personnel du musée est autorisé à demander le départ immédiat du groupe. Merci de votre compréhension musée des beaux-arts de Rennes 2 www.mbar.org
L’influence japonaise ou le japonisme dans les collections du musée des beaux-arts de Rennes. Soleil levant, impression… japonaise ! En 1874, le peintre Monet exposa chez le photographe Nadar une toile qui avait pour titre « Impression ». Les critiques, alors moqueurs désignèrent par « Impressionnistes » ces nouveaux peintres de paysages. « Impression Soleil Levant » est le tableau le plus célèbre de Monet : le port du Havre au petit matin ne ressemblait en rien aux rives du pays du Soleil Levant et pourtant, ce sont les images de ces contrées lointaines qui décoraient la salle à manger de la maison de Monet à Giverny : l’œil de Monet sut-il très tôt y voir un monde familier ? Les estampes japonaises ont-elles révolutionné le regard occidental ? L’introduction en Europe d’estampes japonaises dans la deuxième moitié du XIXe siècle est-elle à l’origine d’une révolution du regard ou bien a-t-elle seulement confirmé les partis-pris audacieux d’artistes, déjà engagés dans la voie du renouvellement, leur proposant du même coup un extraordinaire éventail d’ « opportunités plastiques » ? Les estampes : un engouement unanime. Mais comment expliquer que des courants picturaux aussi contraires que l’impressionnisme et le symbolisme se soient tournés avec la même ferveur vers l’estampe japonaise au point que Monet en collectionna plus de deux cents, dont la célèbre vague d’Hokusai qui faisait partie des Trente six vues du Mont Fuji ? Au premier abord la peinture de Monet, fondée sur des vibrations de la lumière et des formes diluées semble étrangère au style graphique des estampes ; plus évidente parait être la « parenté » de ces gravures avec le synthétisme et le symbolisme dont la simplicité expressive et le goût pour l’arabesque se rapprochent des images plates, colorées et largement décoratives de cet art. Au XIXe siècle, en Europe, l’art académique brille encore de tous ses feux, les derniers cependant… Dès 1860, alors que les estampes japonaises commencent à circuler et se présentent comme une rupture radicale avec la tradition occidentale, l’art qui s’expose dans les Salons officiels programme encore des sujets chargés d’histoire et de mythologie, se sclérosant autant sur le fond que sur la forme : c’est un art coupé du monde qui remâche des savoir-faire techniques fondés sur des recettes d’atelier, étrangères à l’innovation : compositions hiérarchisées, constructions perspectives savantes, modelé délicat offrant une surface lisse et diaphane. Au cours du XIXe siècle, les romantiques puis les naturalistes tentent pourtant d’imposer une modernité de sujets et une liberté de touche que reprennent à leur compte les impressionnistes bien décidés à se libérer du carcan académique. Ainsi Monet devient-il l’œil d’un monde qui change au gré des heures et des saisons. Son art suggère une poésie du quotidien puisée dans les jardins, sur les berges des rivières d’Ile de France et dans le spectacle qu’offrent les loisirs de ses contemporains. Comment cette peinture fondée sur la vision directe, sur la fugacité, sur le tremblement de la matière, propres à évoquer l’instant, s’est-elle reconnue dans un art qui s’exprime par le trait et l’aplat, caractéristiques des exercices de mémoire ou d’imagination ? musée des beaux-arts de Rennes 3 www.mbar.org
Les estampes : la vie qui passe et qui se perpétue. Les estampes ne sont pas issues de l’observation directe, toutefois elles savent magistralement rendre compte du mouvement des corps, des gestes quotidiens (femmes à leur toilette), des situations ordinaires et des phénomènes atmosphériques (pluie, brume, neige), de quoi ravir l’œil impressionniste prompt à saisir les moments de la vie qui passe, pareille à un spectacle incessant. Hiroshige (1797- 1858), plus encore qu’Hokusai fut sensible aux changements atmosphériques qui modifient la perception des sites, aux saisons qui voient passer les oies sauvages, aux lumières qui baignent les rizières et sut avec subtilité et raffinement rendre les péripéties de la vie, moments fragiles d’éternité. Car c’est bien cette double inspiration qui caractérise l’estampe japonaise : le réalisme de l’anecdote et le lyrisme de la vie. C’est Hokusai (1760-1849) qui, le premier ouvre la voie à l’art du paysage dans l’estampe, faisant de ce thème jusque là secondaire, un véritable sujet de méditation. Il aura fallu toute la puissance de son génie pour transfigurer les éléments naturels et rendre dynamiques rivières et montagnes de même que la nature toute entière. Nature aux accents épiques, nature monumentale, superbement agrandie et où les hommes semblent parfois perdus ! Pour des raisons liées à leurs recherches, ce rapport inversé entre la nature et l’homme ne manqua pas d’échapper aux impressionnistes chez qui l’élément humain se dissolvait dans la lumière, au point de n’être plus qu’un signe plastique parmi d’autres. Ukiyo-e : le « monde flottant » et ses thèmes favoris. L’ukiyo-e (le terme issu du langage bouddhique, signifie « le monde flottant », c'est-à-dire celui éphémère des activités humaines) remonte à l’origine à la fin du XVIe siècle et l’un des premiers artistes à signer de son nom est Moronobu, peintre et illustrateur de livres de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les sujets traitent des mœurs de la vie contemporaine et peuvent être comparés à ce que nous nommons en Occident « la peinture de genre ». Très populaires, ces estampes faites selon la technique de la gravure sur bois avec des couleurs à l’eau étaient d’un coût modeste et d’une utilisation immédiate puisque les formats verticaux (kakemono) ou horizontaux (e-makimono) s’adaptaient bien aux intérieurs des habitations ; elles devinrent en fait aussi appréciées et répandues qu’un média de masse. Ceci explique sans doute pourquoi on les trouvait en si grand nombre chez les marchands occidentaux qui importaient des produits japonais. Au XIXe siècle, de nombreuses écoles émaillent le territoire, déclinant chacune un répertoire de sujets empruntés au monde délicat des femmes (on voit ainsi des beautés féminines à leur toilette), à celui du théâtre kabuki (où les visages en gros plans des acteurs s’expriment avec un réalisme caricatural) mais également aux scènes de la vie quotidienne des villes et des campagnes. C’est l’école de Utagawa à Edo qui donne le ton en matière de ukiyo-e dans le premier tiers du XIXe siècle. Les nombreux artistes qui en sont issus diffusent leur savoir-faire aux autres foyers artistiques, notamment dans les régions du centre et de l'ouest. Utagawa Toyoharu qui est le fondateur de cette brillante et féconde école, perfectionne le style traditionnel mais s’initie aussi avec virtuosité aux « paysages à l’occidentale » dans lesquels l’utilisation de la perspective (centrale avec point de fuite pour les paysages urbains) est tout à fait maîtrisée. Uki-e est le nom donné à ces images en perspective. C’est une tradition que retiennent Hokusai et Hiroshige, capables tous deux de transcender les multiples influences reçues et dont les paysages ne cesseront de susciter l’admiration des Occidentaux. L’estampe: sollicitation fidèle ou méprise ? L’estampe la plus souvent citée d’Hiroshige Averse soudaine à Ataké (elle appartient à la série des Cent vues d’Edo, réalisée entre 1856 et 1858) retient pour des raisons différentes l’attention de Monet et de Van Gogh : le premier est séduit par la soudaineté de l’averse et la traduction picturale brouillée d’un paysage où s’inscrivent les silhouettes pressées de personnages surpris par la pluie ; quant à Van musée des beaux-arts de Rennes 4 www.mbar.org
Gogh qui en fait même une copie, il retient plutôt le cadrage vertical traversé par l’oblique audacieuse du pont vu en plongée (et dont il accentue d’ailleurs le dynamisme dans l’opposition avec la rivière). Cependant, ni l’un ni l’autre n’épuisent ni ne résument le sens ou le contenu de l’estampe japonaise ; peut-être même est-ce sur un malentendu que s’est fondé ce rapprochement. La tradition occidentale qui privilégie la vue comme moyen unique de restitution des apparences (d’où la mise au point du système perspectif à partir d’un point de vue unique) est très éloignée de la conception orientale qui privilégie la globalité des choses, sa capacité à contenir l’ensemble des phénomènes lesquels se manifestent par leur périodicité et leur renouvellement. D’où les perspectives à vol d’oiseau ou encore les ruptures d’échelle, les espaces vides qu’il faut malgré tout interpréter comme un continuum, les cadrages arbitraires ou décentrés ; en fait rien de contraignant ni de figé mais les effets furent ressentis par les occidentaux comme extrêmement novateurs au moment même où ils découvraient les techniques de la photographie (exemple de Degas). Le théâtre kabuki : un des thèmes de l’ukiyo-e L’exposition du musée des beaux-arts de Rennes révèle un étrange théâtre d’acteurs figés dans des poses spectaculaires. Un arrêt sur image qui est tout autant une galerie de portraits qu’une féérie de costumes chorégraphiés par des pinceaux talentueux. Ici l’acteur, personnage central de l’estampe est un héros ; celui- là même qu’entourait de vénération le public du théâtre kabuki, friand de mélodrame. Les estampes présentent parfois un dispositif en diptyque comme dans Les Acteurs Iwai Shijaku I et Bando Jutaro (1832) du peintre Hokuei (célèbre suiveur d’Hokusai) : deux personnages se font face à distance ; Dame Osuma sort de la grotte où elle s’était cachée pour surprendre dans le faisceau de sa lampe, Hanbei le meurtrier de son beau frère. Ici, nul besoin de texte pour comprendre ; les gestes sont démonstratifs, les expressions éloquentes, l’utilisation de la lumière, dramatique. Dans chacune des estampes, l’artiste utilise l’espace de la feuille comme un espace scénique, faisant jouer l’équilibre et le dialogue des pleins et des vides. Les figures silhouettées en aplats colorés, se parent de graphismes chatoyants : ce qui ressemble à un assemblage étudié de pièces concourt à souligner et à amplifier les contorsions de l’acteur en l’absence de volume et de modelé. C’est là une des solutions plastiques de l’estampe japonaise destinée à inscrire spatialement une figure dans l’espace sans avoir recours à la perspective telle que nous la connaissons en occident : cet effet « carte à jouer » sans épaisseur mais qui combine simultanément une série de torsions dut impressionner le peintre Bonnard, dont on connaît les touches vibratiles et chez qui on retiendra surtout la singularité ornementale des figures que l’on dirait calligraphiées. Celui que l’on appelait le Nabi Japonard dut méditer l’art de l’estampe et peut-être s’en inspirer dans sa conception si particulière d’un espace privé de profondeur illusionniste traditionnelle. La mise en tension des protagonistes s’exerce non seulement par le positionnement des corps emboîtés ou distants (selon le principe : forme/contre forme) mais également par l’échange de regards ; la gestuelle des mains et même des doigts ! Au 1er étage du musée des beaux-arts de Rennes : sur la route du Soleil Levant ou comment des artistes se tournèrent vers un Orient tout à fait nouveau. Si le tableau de Gustave Caillebotte Les Périssoires (peint en 1878, il faisait partie d’un triptyque comprenant Pêche à la ligne et Baigneurs) nous entraîne dans une course de canotiers, c’est parce que le redressement du plan d’eau nous oblige à lever les yeux presqu’à la verticale : ainsi « embarqué » depuis le coin gauche du tableau, nous fendons le flot au rythme cadencé des avirons. Cadrage inhabituel suggérant un hors champ et format vertical rappellent les compositions en kakemono ; voilà peut-être une influence de l’estampe japonaise qui n’est pas étrangère au dynamisme de cette composition ! musée des beaux-arts de Rennes 5 www.mbar.org
Comme fatigués de côtoyer le réel et l’accélération d’un monde où l’homme disparaissait derrière la machine et où la détresse sociale engendrait la détresse spirituelle, les artistes de la génération postimpressionniste se tournèrent vers des terrains étrangers et des cultures primitives. A quelques heures de train de la capitale, la Bretagne et ses traditions représentaient une solution de repli pour tous ceux qui voulaient fuir les centres urbains et industriels jugés funestes et corrompus. Avec leur éloignement, c’est toute la culture savante qui devait s’effacer, autrement dit la peinture héritée du quattrocento italien mais aussi ses derniers développements, dont l’impressionnisme, art extrême de la vision pure. L’herméneutique primitive se trouva alors dotée de vertus que la couleur pure, la frontalité, le contour appuyé des formes allaient magistralement illustrer, faisant ainsi contrepoids à « l’art civilisé ». Tandis que Gauguin foulait le sol de Pont Aven, Maurice Denis rejoignait Paul Ranson dans son atelier du boulevard Montparnasse pour fonder le groupe des Nabis, qui signifie les élus (les prophètes, les inspirés). Tous ces peintres avaient en commun de penser le tableau comme une entité autonome, différente de la nature qui l’avait inspirée : « Je crois que l’art doit sacrifier la nature » dit M. Denis ; « Ne peignez pas trop d’après la nature, l’art est une abstraction, tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qui en résultera » écrit Gauguin. Les Grecs avaient produit la Renaissance ; c’est donc vers des cultures exotiques ou d’autres jugées archaïques que se tournèrent ces peintres : parmi celles-ci la Bretagne fournit le style hiératique de ses calvaires, le Moyen-âge sa technique du vitrail et ses couleurs cloisonnées, le Japon ses vues plongeantes et ses arabesques… Oscillant entre la sensibilité impressionniste et les tentations du synthétisme élaboré à Pont Aven, des peintres de plein air fréquentèrent assidûment les côtes bretonnes : les falaises d’Henri Moret, de Gustave Loiseau et de Maxime Maufra avec leurs découpes profondes et leur mobilité, la liberté de leur cadrage et leurs points de vue plongeants, nous amènent à penser que tous ces artistes furent perméables aux influences de l’estampe comme aux théories les plus radicales. L’Averse sur la mer d’Henri Rivière (1890. Xylographie en couleur sur papier japon) est une gravure sur bois japonisante avec un horizon placé haut et un graphisme strié de valeurs claires et sombres qui évoquent l’écume et le clapot des vagues. Quant au carton peint de Maxime Maufra Pont-Aven, ciel rouge (1892. Huile et pastel sur carton) on est tenté d’y voir autant d’influence japonisante par le simple jeu d’une arabesque décrivant le bord d’une falaise que l’application des théories du synthétisme poussées à la limite de l’abstraction. On sait comment Gauguin et le jeune Emile Bernard, stimulés par des expérimentations picturales à Pont Aven en 1888 allaient marquer l’histoire de la peinture d’un point de non retour en produisant cet été là, l’un La Vision du Sermon (Edimbourg, National Gallery of Scotland) et l’autre Bretonnes dans La Prairie Verte (Coll. Particulière) Nul ne peut dire quels modèles inspirèrent ces œuvres audacieuses : les violentes distorsions spatiales qui privent les tableaux d’horizon en dilatant les premiers plans sont à rapprocher de l’art des estampes qui cultivent les perspectives plongeantes. Nous savons que les deux artistes avaient une bonne connaissance de l’art nippon mais sans doute faut-il voir ici autre chose qu’un emprunt exotique. Gauguin comme Bernard voulaient échapper à la réalité trop prégnante ; les influences convoquées ont servi à préparer un nouveau langage : peindre de mémoire, simplifier, recomposer. Le Synthétisme devient l’art d’élaborer la nature par la pensée ; c'est-à-dire de la produire et non de la reproduire « le seul moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre Divin Maître, créer ». Avec L’Arbre Jaune d’Emile Bernard (vers 1892. Huile sur toile), on retrouve le parti-pris simplificateur de Pont Aven dans l’agencement des masses qui composent le tableau : un cadrage serré dans un format vertical et qui contient des formes douces cernées d’un trait. L’œil s’arrête un temps sur l’arbre jaune saturé de couleur puis cherche à entrer dans le paysage : il lui faudra pour cela se faufiler entre les troncs plantés sur des tapis d’ombres mais l’effet paroi du tableau et l’étonnant petit arbre jaune du premier plan, retiennent l’attention en surface. Une touche verticale rythme la plupart des formes, on la croirait parfois monochrome ; en réalité elle est subtile et contrastée, allant même jusqu’à juxtaposer musée des beaux-arts de Rennes 6 www.mbar.org
deux couleurs complémentaires pour certaines ombres (rouge et vert) ; tout ceci témoigne d’une grande audace et d’une liberté revendiquée. Marine Bleue. Effet de vagues de Georges Lacombe (vers 1893. Peinture à l’œuf sur toile) est certainement une des œuvres les plus japonisantes qui soit : récemment restauré, le tableau exalte la couleur bleue de la tempéra. A cause de son caractère ancien et artisanal, la tempéra eut la faveur des nabis partisans d’un retour aux sources. Rebelles à l’observation pure, les nabis cherchaient en toute chose une révélation, ainsi la vague de Lacombe fait référence au mouvement primordial des origines. Comme parée d’écailles ou de plumes de paon, la vague peinte à Camaret vient s’écraser et se répandre sur l’estran, offrant une vue en contre plongée avec un horizon placé haut, auquel s’accrochent quelques nuages roses bouillonnants. Onirique, spectaculaire, saisie dans sa démonstration de grâce et de puissance, la vague de Lacombe adopte le parti-pris décoratif, rappelant de manière évidente les vagues d’Hokusai et les tourbillons d’Hiroshige. Andrée Chapalain, conseillère-relais Arts plastiques musée des beaux-arts de Rennes 7 www.mbar.org
Exposition Nostalgie du soleil levant : le goût pour l'art japonais L'estampe appartient au Japon de la période Edo ; c'est notamment (mais pas uniquement) à partir de ce support que l'Occident s'initie à la culture et à l'esthétique de ce monde qui s'ouvre au XIXème siècle, alors même que les costumes traditionnels y sont abandonnés au bénéfice du costume occidental. Bref historique de l'estampe L'estampe apparaît durant l'époque Edo ; ses fonctions propres en déterminent les qualités qui vont s'améliorant avec les exigences du public que des innovations techniques permettent de satisfaire. L'estampe et le kabuki, complémentaires, sont les deux principales formes d'expression de l'ukiyo-e, l'art du monde flottant. ("image du monde flottant" ; terme employé pour la première fois en 1661 ; impermanence du monde visible et mélancolie poétique ; d'où l'envie de représenter les choses les plus simples et auxquelles on peut être attaché). Extrait de l'exposition Shunkosai Hokuei (nom de pinceau plus tardif d’Hokuei, actif entre 1824 et 1837) Hachimantaro et Abe Sadato autour de 1830 Estampe de brocart (nikishi-e), 0saka 25,2x 37,6 cm Inv. 1959.37.485 Fonds Ohya, Rennes, musée des beaux-arts Le kabuki nourrit son répertoire de récits historiques et légendaires. Dans l’histoire des samuraï, Minimato Yoshiie affronte le rebelle Abe Sadato. Yoshiie a gagné son surnom de "hachimantaro", « premier fils du seigneur de la guerre » lors de la bataille de Kawasaki en 1057 qui se déroule lors d’une tempête de neige. La mode de l’époque favorise la mise en scène des héros dans des compositions rapprochées. musée des beaux-arts de Rennes 8 www.mbar.org
Avant la période d'Edo, l'art de cour, tourné vers l'art décoratif luxueux et influencé par la religion, correspond aux attentes de commanditaires souhaitant afficher leur rang par la richesse et le raffinement réservés à l'élite. C'est alors que naît le théâtre nô - noble et sacré - représentatif de cette période. 1. La période Edo : caractéristiques Au début du XVIIème siècle s'ouvre la période d'Edo ; les shogun (se taish gun «grand général pacificateur des barbares») du clan Tokugawa installent leur capitale à Edo. Ils détiennent le pouvoir politique, administratif puis économique, l'empereur étant le symbole du "génie national". L'émergence d'une nouvelle classe sociale Une nouvelle catégorie sociale enrichie par le commerce avec les Portugais, devenue banquiers des nobles et des samouraï, mais sans droits politiques et écartée de la vie officielle des cités, agit en mécènes et entrainent l'émergence d'un art nouveau en prise avec la vie quotidienne de ces quartiers en effervescence (tels que le Yoshiwara d'Edo où sont concentrés les courtisanes, les artistes et l'élite cultivée). On assiste à l'affirmation d'un genre nouveau tourné vers la représentation des plaisirs, des scènes de rues, de fêtes données dans des jardins pour un public d'esthètes. Les scènes de genre précèdent l'éclosion de l'art de l'estampe ; elles annoncent cette forme artistique. 2. L'estampe naît du kabuki (chant, danse, habileté technique) a) Le théâtre kabuki... Cette catégorie sociale (où se mêlent artisans, commerçants, écrivains, acteurs...) trouve dans la vie culturelle un dérivatif, et de cette rencontre naît une culture particulière où le théâtre kabuki occupe une place majeure. Les représentations du kabuki Il s'agit d'une nouvelle forme théâtrale issue des spectacles de danse et de marionnettes ; les sujets épiques, historiques ou légendaires dominent. En 1629, il est décidé que les femmes seront écartées de la scène (pour limiter la prostitution) : les rôles féminins sont d'abord tenus par des jeunes garçons puis des hommes : ainsi naît la profession d'onna gata. Un programme se déroule sur une journée, et, pour maintenir l'attention du public, l'intrigue est développée progressivement ; ce public ne reste pas passif : les spectateurs sont invités à se manifester lorsque l'artiste prend une pose appuyée pour signifier un moment décisif. De grandes familles d'acteurs se distinguent et sont identifiables grâce à leur blason et leur maquillage de scène très stylisé destiné à amplifier les traits de caractère des personnages (les acteurs de kabuki sont maquillés et non masqués). Des auteurs d'estampes s'attachent aux pas des acteurs comme Toyokuni (1769 – 1825) et surtout Shunsho (1726 – 1792), car ce sont de véritables stars dont on s'arrache les représentations sous forme d'estampes. musée des beaux-arts de Rennes 9 www.mbar.org
b) ... détermine les caractéristiques de l'estampe... L'estampe doit être immédiatement lisible pour l'œil japonais de l'époque, donc très expressive, et les personnages représentés, quand il s'agit d'acteurs (véritables "stars" d'alors), doivent être identifiés aisément. Pour se développer, pour communiquer les programmes et séduire les éventuels spectateurs et acquéreurs, l'estampe doit améliorer ses qualités. La lisibilité s'appuie sur des couleurs vives et une impression parfaite sans bavures ; une bonne qualité de conservation est naturellement attendue des collectionneurs. c) ... dont les techniques évoluent pour répondre aux attentes (le kento et le baren). L'estampe est le résultat d'un travail "collectif" comprenant le dessinateur, le graveur (sur bois), l'imprimeur (procède au tirage) et l'éditeur (vend en librairie ou par colportage). Á l'origine, les estampes sont austères, en noir et blanc ; le premier artiste dont le nom est attaché à l'art de l'estampe est Moronobu (deuxième moitié du XVIIème siècle). Très attendue, la polychromie fait son apparition au milieu du XVIIIème siècle : d'abord en rose et vert, puis jaune, brun, ocre... mais la véritable innovation permettant la polychromie est l'utilisation du kento (butoir à l'angle de la planche, innovation introduite par l'éditeur Uemura Kichiemeon) pour que toutes les couleurs puissent être imprimées sur une même estampe. Et en même temps, l'estampe se tourne vers la représentation des scènes érotiques, des scènes de la vie quotidienne et, durant cette même période, Kiomasu (fondateur de la lignée des Torii) se spécialise dans la figuration des scènes de kabuki et d'acteurs dans leurs rôles les plus connus. Les éditeurs s'attachent à produire des estampes de très bonne qualité, ce qu'ils obtiennent au milieu du XVIIIème siècle avec des dégradés de teintes, le travail du baren* donnant plus de vie aux images, des effets d'or ou d'argent... (des cercles de poètes financèrent l'édition de surimono – œuvres luxueuses parfaitement abouties). *(Baren : tampon formé d'un disque plat et d'une spirale de cordelettes recouverte de feuilles de bambou qui se rejoignent pour former une lanière. Le baren est utilisé pour le tirage des épreuves d'après les planches gravées. L'impression se fait à la main. Par pressions plus ou moins fortes selon les valeurs désirées, l'artiste fait glisser le baren sur le verso de la feuille, appliquée sur le bois chargé de la couleur à imprimer). L'introduction du bleu de Prusse vers 1830 peut apparaître comme la dernière innovation. Il est important de préciser que la censure était très active : Hokusai comme Hiroshige attiraient les soupçons en limitant leurs sujets à la nature et en méprisant les thèmes "nobles" ; Utamaro fut menotté pendant plusieurs semaines et ainsi empêché de produire. 3. L'estampe d'Edo et d'Osaka : deux écoles Les estampes d'Osaka (ville commerciale) se distinguent de celles d'Edo notamment par les sujets traités (moins divers, plus centrés sur les représentations d'acteurs) mais aussi par l'interprétation (moins "rude" que le style pratiqué à Edo, ville du pouvoir) et surtout par la quantité produite (rapport de 1 à 20 !). L'estampe perd de ses attraits au XIXème siècle au Japon Cet art semble perdre de son attrait aux yeux des Japonais qui le considèrent comme un art mineur non-représentatif de l'Empire ; l'estampe semble nettement inférieure aux laques et aux céramiques... musée des beaux-arts de Rennes 10 www.mbar.org
Rencontres – confrontations – échanges 1. De l'ouverture contrainte à l'ouverture acceptée De 1543 à 1639, les Européens commercent difficilement avec le Japon qui ne souhaite pas s'ouvrir à l'Occident et, de 1639 à 1854, seule la présence hollandaise est tolérée dans des périmètres limités au comptoir de Deshima face à Nagasaki. Le 8 juillet 1853, puis le 13 février 1854, le commodore Matthew Perry à la tête de ses "bateaux noirs", demande à l'empereur du Japon l'ouverture de ses ports aux navires américains et la garantie du rapatriement des éventuels naufragés. Un traité signé en 1854 donne satisfaction aux États-Unis (pour les ports de Shimoda et Hakodate) et le premier consul américain est accueilli en 1856. Les autres pays européens obtiennent assez rapidement les mêmes avantages. Charles de Chassiron participe en 1858 à la première ambassade de la France au Japon conduite par le Baron Gros ; il en ramène de nombreuses estampes. Ces changements ne sont pas sans conséquences intérieures : conservateurs et réformateurs s'opposent ; c'est finalement en 1867 que le shogun est renvoyé par le jeune empereur Mutsuhito qui entraine le Japon dans une nouvelle ère de modernisation par l'ouverture : c'est Meiji. 2. Diffusion en Occident de la culture japonaise Lors de l'Exposition universelle de New York (1853), le Japon est représenté mais on ne présente que la cargaison d'une jonque japonaise secourue par un navire américain ; en 1855, c'est le pavillon de Hollande, lors de l'exposition universelle de Paris, qui présente 18 dessins avec figures. Cependant, dans les années 1860, on peut déjà acquérir des articles japonais rue Vivienne, à Paris : "A la porte Chinoise" ou encore aux "Curiosités du Japon" de Madame Desoye. Cinq années après l'Exposition universelle de Londres de 1862 (où des laques, céramiques et bronzes choisis par l'ambassadeur du Royaume-Uni au Japon sont exposés), Paris accueille la délégation conduite par le frère du shogun : le pavillon japonais propose surtout architecture et mobilier, mais aussi quelques textiles qui font l'admiration du public. C'est aussi en 1867 que le faïencier Eugène Rousseau (sollicitant le peintre-graveur Félix Bracquemond) participe au renouveau de la faïence fine et connaît un immense succès en présentant un service inspiré de Hokusai, Hiroshige et Taito. (Il présente un second service en 1874 puis à nouveau en 1884). C'est peut-être ce qui fait écrire aux frères Goncourt dans leur Journal le 29 octobre 1868, qu'après 1867, le goût pour le Japon "descend aux bourgeois". Le gouvernement japonais, comprenant bien que le commerce des objets d'art pouvait être source de revenus, crée la Kiritsu Kôsho Kaisha en 1874 pour diffuser les objets, mais pas d'estampes car il s'agit d'un art mineur non représentatif de l'Empire. Mais c'est davantage à l'initiative privée qu'aux institutions que l'on doit la vogue grandissante des estampes ; si le magasin de Samuel Bing à Paris peut vendre des livres et des estampes, c'est parce qu'il sait pouvoir compter sur son beau-frère Michael Martin Bear, consul à la légation d'Allemagne au Japon de 1870 à 1874 puis de 1877 à 1881. L'intérêt porté par les artistes, les intellectuels (Claude Monet, Edmond de Goncourt, Louis Gonse...) correspond au "japonisme" (nom donné par Philippe Burty, collectionneur, en 1872 dans ses articles écrits dans la revue Renaissance littéraire et artistique) qui influence considérablement et durablement musée des beaux-arts de Rennes 11 www.mbar.org
la production artistique française. C'est en 1878, lors de l'exposition universelle de Paris (quinze millions de visiteurs) que se confirme auprès du public le succès de l'esthétique japonaise. Les prix atteints lors de la vente de la collection Burty en 1891 signifient bien l'engouement du public pour cet art, ce qui amplifie la demande mais pas toujours la qualité, ni l'authenticité ! D'ailleurs lors de la vente Hayashi Tadamasa en 1902, Samuel Bing écrit : "Les réserves que le Japon recelait sont aujourd'hui épuisées". musée des beaux-arts de Rennes 12 www.mbar.org
Le costume traditionnel Le textile, un art majeur Extrait de l'exposition Furisode années 1970 Soie brochée Japon, Sendaï 177 x 67 cm Inv. 1985.3.3 Don de la ville de Sendai, 1984 Rennes, musée des beaux-arts Le furisode est une sorte de kosode, reconnaissable par ses "manches flottantes", à peine attachées en haut de l'épaule. Ces manches frôlant presque le sol indiquent que ce kimono de fête est destiné aux jeunes filles non mariées. Entre les motifs d’arcs de cercle imprimés de vagues ou de collines stylisées, on peut aussi voir des motifs de pins en forme de parapluie. Un autre motif, celui de la grue à tête rouge en vol est un signe de longévité et de bonne fortune. Les particularités (essentielles) du kimono (pièce d'habillement) se situent dans sa forme en T, expression d'une extrême simplicité et en même temps d'un fort attachement au matériau (comme en témoigne la conservation de tissus anciens datant des VIIème-VIIIème siècles dans des temples). Le costume accompagne naturellement toutes les cérémonies auxquelles chaque Japonais participe tout au long de sa vie, et notamment le mariage comme en témoignent les exemplaires exposés. Évolution du vêtement Le kimono descend du kosode qui se portait comme un sous-vêtement sur lequel on portait l'osode (le sur-vêtement). Progressivement, le kosode devient le vêtement usuel de toute la population. (Précision : on pose le côté gauche sur le côté droit, les morts étant revêtus le droit sur le gauche). La ceinture appelée obi est nouée dans le dos ; elle doit être assez rigide pour maintenir le kimono en place. La découverte du Japon, c'est aussi la découverte des étoffes japonaises notamment lors de l'exposition de 1867. Si la soie est associée au Japon (plus largement à l'Asie), il faut aussi savoir que musée des beaux-arts de Rennes 13 www.mbar.org
les Japonais utilisaient également le coton, le chanvre, les fibres de bananier, ou encore la ramie (sorte d'ortie qui fournit un textile très résistant), matériaux très humbles pour la vie de tous les jours. Évolution des techniques Les métiers à la tire (qui ne nous sont connus que par des descriptions) sont remplacés par les métiers Jacquard durant la seconde moitié XIXème siècle. En effet, les tisserands du quartier de Nishijin à Kyôto - quartier qui a donné son nom aux soieries tissées d'or et d'argent célèbres à travers tout le Japon, mais aussi quartier menacé par l'incendie de 1730, par le transfert de la capitale à Tokyo en 1869 et le développement d'ateliers concurrents...- se décident à se rendre en France en 1872 pour y étudier le fonctionnement du métier Jacquard qui est adopté pour sa rapidité. On peut peindre ou teindre selon un procédé inventé au XVIIème siècle ; ce sont alors des paysages qui font une large place a deux thèmes : la mer et la montagne, la philosophie accordant une dimension spirituelle à la nature. Quelques clés de lecture "Le gardien du dos" – décor brodé au milieu du dos devait protéger l'enfant des mauvais génies ; la carpe, symbole de persévérance et de ténacité, semble accompagner l'enfant. L'animal : La tortue, symbole de longévité et incarnation du principe terrestre - une des quatre créatures surnaturelles avec le dragon, le phénix et le tigre dans la mythologie taoïste, comme la grue incarnation du principe céleste. Le végétal : − le pin, toujours vert, symbole de moralité, de vigueur, d'éternité et de fidélité ; − le bambou, par sa longévité et sa résistance, symbolise l'endurance et la constance ; − le prunus, premier à fleurir symbolise le bonheur retrouvé, emblème de vigueur et de courage. Mais pourtant, si en un siècle l'européanisation du costume est acquise, la création dans les années 1950 de l'appellation "trésor national vivant" a permis de préserver des techniques artistiques menacées par l'oubli. --------------------------------------------------------------------------- Bibliographie // sitographie Catalogue "Bretagne Japon 2012 Un archipel d'expositions", p. 46 à 55 pour la partie concernant l'exposition rennaise par Laurence Imbernon, janvier 2012, Éditions Palantines "Le Japon éternel", Nelly Delay, Découvertes Gallimard, mars 2012 (Ce livre contient une bibliographie) "Le Japon de la période Edo", Christine Guth, Novembre 1998, Collection Tout l'art, Flammarion "Les Costumes du Japon - Étoffes précieuses, costumes du quotidien et kimonos traditionnels" par Aurélie Samuel, Chargée d’études documentaires, en charge des collections textiles, Musée Guimet "Collectionner les estampes Japonaises ?" par Tamio Ikeda, Article publié dans le Bulletin de l'Association Franco - Japonaise, hiver 2009 - 2010 Sites de la BN, de la fondation Pierre Bergé et Yves Saint Laurent (notamment pour l'exposition "Kabuki, costume du théâtre japonais", 07 mars – 15 juillet 2012). Yannick Louis, conseiller-relais Histoire- Géographie musée des beaux-arts de Rennes 14 www.mbar.org
musée des beaux-arts de Rennes Dossier : Andrée Chapalain et Yannick Louis, conseillers-relais, MBAR, juin 2012 15 Maquettewww.mbar.org : Carole Marsac - Mise en ligne : Nadège Mingot, MBAR
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