Nouveautés - La rentrée littéraire - Entre les lignes Le plaisir de lire au Québec - Érudit

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Entre les lignes
Le plaisir de lire au Québec

Nouveautés — La rentrée littéraire

La littérature canadienne-anglaise
Volume 7, Number 1, Fall 2010

URI: https://id.erudit.org/iderudit/62197ac

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Publisher(s)
Les éditions Entre les lignes

ISSN
1710-8004 (print)
1923-211X (digital)

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(2010). Review of [Nouveautés — La rentrée littéraire]. Entre les lignes, 7 (1),
30–43.

Tous droits réservés © Les éditions Entre les lignes, 2010                         This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Nouveautés - La rentrée littéraire - Entre les lignes Le plaisir de lire au Québec - Érudit
Nouveautés - La rentrée littéraire
Le temPs qui m’est donné
Jean-François beauchemin

« [l]e souvenir fait-il toujours bien son travail, qui est de répa-
rer ce que le réel avait abîmé? » ainsi s’interroge Jean-François                                       ractères, dans leurs faiblesses
beauchemin à travers un roman autobiographique, impression-                                             et leurs contradictions, avec hu-
niste, photographique.                                                                                  mour ou tendre sévérité, et les
« l’essentiel de mon enfance tient dans ces détails minuscules :                                        porte par une écriture savou-
le rosbif raté du dimanche, bach qui met le feu à la maison, mes                                        reuse, qui nous invite à relire
frères et ma sœur à table qui pissent de rire, ma mère contente                                         des passages dès la première
malgré tout, et surtout mon père enfin heureux, momentané-                                              lec ture. rompu à la beauté, à la
ment en paix avec lui-même. » dans un bungalow de banlieue,                                             profondeur, à une autre sensibi-
six gamins à lunettes turbulents et questionneurs. « [a]ffalés                                          lité, beauchemin nous réapprend
dans l’enfance » (!), forcés par leur myopie à « se tourner ré-                                         à voir.
solument vers l’intérieur », ils sont toutefois si unis les uns aux                                     ce qui ne se fera pas sans quel-
autres que leur acuité sur le monde s’en trouve renforcée. Face       que résistance. car une question tarabustera le lecteur : est-il
à eux, une mère aimante et affairée (préalablement magnifiée          possible que des enfants (ou même des adultes), à l’instant
par beauchemin dans son très émouvant Cette année s’envole            même où ils traversent un événement, puissent avoir une telle
ma jeunesse, 2009), mais surtout un père antihéros qui, jusqu’à       distance envers celui-ci, qui plus est de façon concertée? « rien
la fin de sa vie, restera une énigme : projectionniste de cinéma,     ne nous était révélé spontanément, répond-il finalement sur
patenteux insatiable qui larde la maison d’interrupteurs, de          l’autre versant du livre. [l]’intuition, la conscience, le savoir, leur
clignotants et de sirènes, c’est un « homme à la pensée flot-         intégration à nos cerveaux pourtant malléables n’étaient jamais
tante comme un vêtement […] peu ajusté à lui-même », qui ne           détachés de l’espèce de montée lente, patiente et changeante
s’apaise vraiment qu’en écoutant « le vieux bach ». Fascinés,         associée à l’apprentissage. » une métamorphose, donc, dont
les enfants décident « d’enquêter sur son âme », ce qui donne         seule l’écriture peut démonter la lenteur. et l’on serait même
lieu à une reconstitution mythique incroyablement dense.              tenté de dire : seule l’écriture de Jean-François beauchemin.
mais si la famille beauchemin est idéalisée par le souvenir, elle     Québec Amérique, 160 p.
n’en demeure pas moins crédible : l’auteur cerne bien ses ca-                                                                     marie-ève sévigny

   Anne Hébert,
   entre Paris
   et Montréal
                                                                                                        Photo : Martine Doyon

   En librairie le 30 septembre

                                                                                                                                        Michel
                                                                                                                                GOSSELIN
     : DoMMaGE                   : Mais EnCoRE?                 : sYMpa                        : VaLEuR sûRE                                     : biJou

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Nouveautés - La rentrée littéraire - Entre les lignes Le plaisir de lire au Québec - Érudit
romans, rÉcits, nouvelles
en cuisine
monica ali

                       le grand restaurant de l’hôtel impérial, à
                       londres, est un peu comme le Titanic. en
                       haut, le beau monde, les belles manières,
                       le luxe, l’aisance. en bas, dans les sous-
                       sols, les rats, la misère humaine, l’exploi-
                       tation, les illégaux qui lavent la vaisselle
                       et pèlent les pommes de terre pour une
                       bouchée de pain. gabriel, le chef des cui-
                       sines, un homme droit, méticuleux, routi-
                       nier, essaie de garder son paquebot à flot.
mais la compétition est rude et les relations de travail, hyper-
tendues. et quand on retrouve, dans la cave, le cadavre d’un de
ses plongeurs, l’ambiance, déjà chargée, s’alourdit de suspi-
cions. voilà le point de départ d’un roman étonnant, une fres-
que imposante où les personnages, nombreux, sont dépeints
dans toute leur humanité souffrante avec une précision chirur-
gicale.
monica ali, une écrivaine anglaise d’origine bangladaise, est
l’auteure d’un roman, Sept mers et treize rivières, qui a connu
un grand succès. tout en faisant le portrait d’une angleterre xé-
nophobe et réfractaire aux changements, elle réussit ici, avec
beaucoup de talent, à décrire la lente et assourdissante dé-
gringolade d’un homme que rien ne semblait pouvoir ébranler.
chapeau! Belfond, 627 p.
                                               marie-claude Fortin

ma vie avec ces animaux qui guérissent
victor-lévY beaulieu

                       dans le monde de vlb, will shakespeare
                       est un bouc aussi fidèle à son maître qu’un
                       chien, qui aura pour fils victor hugo. avec
                       le talent de conteur que nous lui connais-
                       sons, l’auteur de James Joyce, l’Irlande, le
                       Québec, les mots, livre de touchantes
                       pages autobiographiques, où les bêtes
                       suscitent intimité, simples moments de
bonheur. « nous étions du même bord des choses », écrit-il : par
les soins qu’elle exige et la constance qu’elle manifeste, la mé-
nagerie de victor-lévy est un outil quotidien de compréhension
du monde. « ce qui me passionne chez les bêtes, c’est qu’elles
vous forcent à rester curieux. » curieux, patient, à l’écoute –
autant de vertus par lesquelles les animaux iront jusqu’à le gué-
rir, tant spirituellement que physiquement. un agréable bes-
tiaire, porté par le lyrisme unique à vlb, où la saveur des vieilles
expressions populaires donne au lecteur « un grand plaisir de
commencement du monde ». seule ombre au tableau : la persis-
tance avec laquelle l’auteur se met en vedette – parfois jusqu’à ˘

                                                                  vlb_pub cliche 2010_entreleslignes_2.indd 1                   8/16/10 2:11:20 PM

                                                                                          automne 2010 —entre les lignes | 31
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nouveautés

             La consteLLation du Lynx
             louis hamelin

             il y a 40 ans, le 17 octobre 1970, le corps de pierre laporte,
             ministre du travail et de l’immigration du gouvernement libéral
             du Québec, était retrouvé dans le coffre d’une chevrolet aban-                                          dit, comme celle des étoiles
             donnée sur un terrain vague, à saint-hubert. la découverte de                                           mortes. et que nous nageons
             son cadavre a profondément marqué notre mémoire collective.                                             en plein arbitraire quand nous
             et certainement celle d’hamelin, âgé de 11 ans à l’époque, qui                                          essayons de relier les points
             a dû entendre gaétan montreuil lire le manifeste du Front de                                            pour obtenir une figure plausi-
             libération du Québec (FlQ) sur les ondes de radio-canada, et                                            ble… […] nous dessinons des
             voir l’armée débarquer, avec ses gros sabots, dans les rues de                                          chiens et des chaudrons, là où
             montréal. ça marque son écrivain en devenir.                                                            règne la glace éternelle des so-
             l’auteur du Joueur de flûte songeait à écrire un roman sur les                                          leils éteints. »
             événements d’octobre depuis au moins 10 ans. c’est qu’il en                                             avec ce roman à clés multiples,
             fallait du temps, pour transformer une matière première aussi         hamelin jette la chronologie par terre, reprend toutes les piè-
             riche. d’autant plus que les cordes sur lesquelles il voulait jouer   ces de l’histoire et refait le puzzle. entrevues avec les acteurs
             étaient fort sensibles. il lui fallait faire des circonstances de     et les témoins des événements, fouilles dans les archives des
             cette mort – jamais complètement élucidées – une œuvre per-           journaux, recoupements de faits, c’est à un travail de journaliste
             sonnelle qui, sans être un roman à thèse, prendrait position et       d’enquête que nihilo se livre. mais il le fait en écrivain. en « dé-
             qui, sans se soumettre aux dictats du genre, se lirait comme un       chiffrant » les textes. en enluminant ses descriptions. en élargis-
             véritable thriller.                                                   sant le cadre de son récit pour y inclure tout un monde, toute
             À la mort de son ancien prof de littérature, convaincu que le         une société. le résultat est une réussite. séduira-t-il les lecteurs
             FlQ avait été le jouet d’une conspiration politique, nihilo, alter    plus jeunes, qui n’ont qu’une vague idée de cette page noire de
             ego d’hamelin, entreprend de poursuivre les recherches là où          l’histoire du Québec? on le souhaite ardemment. Boréal, 594 p.
             ce dernier les avait laissées. « des fois, sam, j’ai l’impression                                                     marie-claude Fortin
             que la lumière des faits nous parvient de très loin, lui avait-il

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nouveautés

                                               lience des gens ordinaires, ainsi que des
                                                                                                  Rentrée littéraire
six photos en une seule page. adieu,
veau, vache, cochon : le sujet du livre se     nombreux personnages qui osent être                                 Automne 2010
déplace, ne devenant que prétexte à ex-        eux-mêmes, s’affirmant hors des sentiers
position. bref, on goûtera ce livre en fai-    battus. VLB, 464 p.
                                                                                                  Jean-François Beauchemin
sant abstraction du narcissisme – un                                          maria vieira
                                                                                                  Le temps qui m’est donné
exercice que l’auteur lui-même n’est pas
arrivé à faire. Trois-Pistoles, 246 p.         La montagne d’or
                         marie-ève sévigny     waYson choY

jours de tourmente                                                    la montagne d’or,
montréal au temps de                                                  c’est le joli surnom
la variole                                                            que les immigrants
marie-claude boilY                                                    chinois, pleins d’es-
                                                                      poir, avaient cou-
                        À 20 ans ou pres-                             tume de donner à                                 Pierre-Marc Drouin
                        que, amélia lavoie                            vancouver. Kiam-                  Si la tendance se maintient
                        rêve de réinventer                            Kim n’a que trois
                        sa vie et de se dis-                          ans quand il y dé-          Sonia Marmen
                        tinguer de sa fa-                             barque, en 1926,            La Fille du Pasteur Cullen
                        mille et de son en-    avec son père veuf et sa grand-mère, sa
                                                                                                  Tome 3 — Le Prix de la vérité
                        tourage. elle de-      poh-poh. on le verra grandir au fil des
                        vient amoureuse        ans, entre l’arrivée d’une belle-mère –
                        d’alexis thériault,    une « gai-mou » qui possède un statut
                        un jeune milicien      inférieur à celui d’une épouse officielle –,
plutôt réservé. enthousiaste, amélia           la naissance de frères et d’une sœur, son
n’entend pas les mises en garde de sa          amitié avec Jack, le petit voisin irlandais,
mère ni les conseils de sa famille. lors-      l’éveil de ses sentiments amoureux pour
qu’elle apprendra ce que révèle le mys-        une compatriote. cette chronique fami-
tère d’alexis, elle sera transformée à ja-     liale dépeint aussi les conditions de vie                                     Maryse Rouy
mais. seule, retranchée dans son silence,      difficiles du chinatown, la discrimination              Une jeune femme en guerre
elle n’aura de correspondance qu’avec          – on refusera par exemple aux ressortis-              Tome 4 — automne 1945 — été 1949
victor desmarais, milicien combattant les      sants chinois de s’enrôler lors de la
                                                                                                 Karine Glorieux
métis menés par louis riel. au retour de       deuxième guerre mondiale.
victor, l’amitié aura pris un tournant im-     malgré quelques longueurs, ce roman
                                                                                                 Mademoiselle Tic Tac
                                                                                                 Tome 2 — Les Montagnes russes
portant dans la vie d’amélia. mais s’agit-     récipiendaire du trillium book award en
il vraiment d’amitié au moment où l’épi-       2004 nous introduit de façon captivante
démie de variole fait rage?                    dans la dynamique singulière de cette
ce roman se situe dans les années 1884-        famille déracinée. surtout, le récit évo-
1885, dans une société où la vaccination       que l’écartèlement du narrateur, entre
aurait pu sauver plusieurs vies, n’eût été     la culture traditionnelle de la chine an-
des divergences sociales, culturelles et       cienne, forte de superstitions et d’histoi-
religieuses de l’époque. marie-claude          res légendaires, transmise par l’aïeule, et
boi ly fait preuve d’un certain talent de      l’adaptation à ce nouveau monde « mo-
conteuse. les références historiques et        derne et scientifique ». une réalité à la-                              Dominique Demers
sociales qui émaillent son récit démon-        quelle plusieurs néo-canadiens peuvent             La Grande Quête de Jacob Jobin
trent bien sa connaissance approfondie         sûrement s’identifier. traduit de l’anglais                      Tome 3 — La Pierre bleue
du sujet.                                      par hélène rioux, XYZ, 443 p.
si les rebondissements sont prévisibles,                                 marie labrecque ˘
                                                                                                              QUÉBEC AMÉRIQUE
l’intérêt réside dans le portrait que nous                                                                    www.quebec-amerique.com
dresse l’auteure du courage et de la rési-

                                                                                      automne 2010 —entre les lignes | 33
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nouveautés

                                                                 Le joLi mois de mai
                                                                 émilie de turcKheim

                                                                                       monsieur louis nous a quittés. dans son
                                                                                       sillage, il lègue une succession, à scinder
                                                                                       en cinq parts. et le gâteau est plutôt allé-
                                                                                       chant : un vaste domaine de chasse, mai-
                                                                                       son et animaux inclus. ni une ni deux, les
                                                                                       héritiers débarquent, la bave aux lèvres,
                                                                                       afin de régler les détails du legs. mais
                                                                                       aimé, valet de pied de son état, ne voit
                                                                                       pas d’un bon œil l’apparition de ces oi-
                                                                 seaux de mauvais augure. il devra cependant leur offrir le gîte
                                                                 et le couvert, à même la propriété de feu monsieur louis. les
                                                                 invités, dans l’attente de l’arrivée du notaire, y vont alors cha-
                                                                 cun de leurs confidences : peu à peu, le passé se recoud, les
                                                                 liens honteux ressurgissent.
                                                                 dès les premières lignes, aimé, narrateur de ce récit particulier,
                                                                 passe aux aveux : « vous allez voir, je sais pas raconter les his-
                                                                 toires. »
                                                                 l’ironie est remarquable, puisque la jeune auteure (30 ans) s’y
                                                                 prend d’une main de maître pour tirer les fils. derrière le lan-
                                                                 gage d’aimé, succulent de naïveté, se lève paresseusement une
                                                                 brume mystérieuse.
                                                                 serti d’une belle louche de suspense, ce récit se boit comme
                                                                 du petit-lait. et surtout, d’une seule traite. Héloïse d’Ormesson,
                                                                 128 p.
                                                                                                                   sylvain sarrazin

                                                                 suite(s) imPériaLe(s)
                                                                 brett easton ellis

                                                                                       avec Suite(s) im pé riale(s), brett ea ston
                                                                                       ellis redonne vie (et mort) aux personna-
                                                                                       ges de son tout premier ro man, Moins
                                                                                       que zéro, un quart de siècle plus tard. et
                                                                                       la clique ne s’est pas forcément assagie :
                                                                                       on retrouve la même atmosphère glau-
                                                                                       que, le même tableau décadent farci de
                                                                                       sexe, de drogue et d’orgies.
                                                                                       clay, scénariste, se retrouve subitement
                                                                                       mêlé à un imbroglio digne de ses propres
                                                                 films. dans l’œil du cyclone se tient rain turner, une jeune ac-
                                                                 trice prête à tout pour obtenir un petit rôle dans sa prochaine
                                                                 production. clay, tombé dans ses filets, découvre à ses dé-
                                                                 pens qu’un véritable (et obscur) réseau s’est tissé autour de
                                                                 lui. Qui en tire les ficelles? À qui faire confiance entre Julian,
                                                                 son ami de jeunesse, son ex, blair ou rip le maquereau?
                                                                 en dépit de la violence latente de ce roman, le suspens est bien
                                                                 au rendez-vous, soutenu à grand renfort de filatures et de mys-
                                                                 térieux sms. résultat : on tourne les pages de façon mécani-
                                                                 que, toujours curieux d’en savoir davantage sur l’engrenage.

             34 | entr e l es l ig n es — a u to m n e 2 0 1 0
Nouveautés - La rentrée littéraire - Entre les lignes Le plaisir de lire au Québec - Érudit
nouveautés

la lecture de Moins que zéro n’est pas          nouveau roman rappelle surtout Faulkner,         mes aLLiances : Histoires
obligatoire, mais conseillée si l’on désire     par l’emploi de différents narrateurs dont       d’amour et de mariages
obtenir la juste mesure de cette suite.         les histoires, qui sont autant de romans         elizabeth gilbert
Robert Laffont, 250 p.                          dans le roman, éclairent peu à peu la saga
                             sylvain sarrazin   de pluto, ville maudite condamnée au dé-                                après l’immense
                                                clin. par la force des images aussi : le livre                          succès de Mange,
La maLédiction                                  débute par un fusil pointé sur un berceau                               prie, aime, ravivé
des coLomBes                                    et se poursuit par l’évocation saisissante                              par le battage pu-
louise erdrich                                  d’une invasion de colombes. l’oiseau de                                 bli citaire entourant
                                                paix devenu fléau symbolise l’innocence                                 le film qu’en a tiré
                         grande prêtresse       qui sera bafouée à plusieurs reprises dans                              ryan murphy, on
                         du « renouveau         la ville, par le massacre de toute une fa-                              avait bien hâte de
                         amérindien »,          mille, puis par le lynchage de quatre mal-                              voir où nous amè-
                         l’auteure a elle-      heureux indiens, sans que les habitants,                                nerait elizabeth gil-
                         même des origines      plutôt taiseux, déterrent le secret qui les      bert avec son prochain opus. si son titre,
                         ojibwées et campe      empoisonne. sauf mooshum, le grand-père          Mes alliances, laisse craindre le pire – va-
                         ses romans dans le     indien de la jeune evelina, formidable           t-elle nous parler en long et en large de
                         dakota du nord, où     conteur qui transmet aux plus jeunes ce          son union avec Felipe? –, le sous-titre
                         elle a grandi. cou-    qu’il sait de l’affaire. l’ensemble constitue    remet les pendules à l’heure. il s’agit
ronnée par des prix prestigieux, elle bâtit     une remarquable tapisserie, une vaste ga-        d’Histoires d’amour et de mariages, avec
une œuvre hantée par la violence et l’injus-    lerie de personnages colorés. on s’y perd        des « s ». et non juste de la sienne.
tice dont amérindiens et métis ont été les      un peu parfois, mais le récit conserve sa        Felipe, son amant rencontré à bali, l’ap-
premières victimes. les liens foisonnants       cohérence et le talent de conteuse de            prendra brutalement : il n’est pas le bien-
qui dans ses livres unissent vivants et         l’auteure compense le dédale des chemins         venu aux états-unis. pas question de
morts, visible et invisible évoquent le réa-    de traverse. Albin Michel, 482 p.                venir vivre avec son amoureuse à moins
lisme magique sud-américain. mais son                                       annick duchatel      de devenir son époux légitime, ce qui est ˘

                  En septembre chez
                    Groupe Librex

                                                                                        automne 2010 —entre les lignes | 35
Nouveautés - La rentrée littéraire - Entre les lignes Le plaisir de lire au Québec - Érudit
nouveautés

             loin d’être aussi simple qu’on pourrait le           etc. (phénomène normal du vieillisse-           ridicules d’une époque minée par la re-
             croire. pour eux, qui s’étaient juré de ne           ment).                                          cherche du fric. pour les amateurs de se-
             pas s’encombrer des liens du mariage,                Journaliste et critique littéraire au journal   cond degré, c’est un festin. et surtout, il
             c’est tout un revirement.                            Libération, harang mène une plume alerte,       contient une réflexion bouleversante de
             pendant un an, le temps de passer à tra-             souvent drôle. dommage que son propos,          lucidité sur la noblesse du travail, sur la
             vers les innombrables exigences de l’im-             qui aurait pu tracer le portrait de la gé-      vie, l’amitié et l’amour qui passent si vite.
             migration, le couple va voler de pays en             nération d’avant mai 68, de meure centré        il serait difficile d’accoler à houellebecq
             pays, incapable de se poser nulle part               sur sa propre personne qui, avouons-le,         le mot compassion, mais on sent néan-
             pour faire son nid. elizabeth gilbert ne             n’a que peu d’intérêt. un livre sur un moi      moins poindre dans son livre un début
             chômera pas pour autant. elle entamera               adolescent, diffus à cause de la multiplica-    d’indulgence (sinon de tendresse) vis-à-
             une recherche en profondeur sur cette                tion des anecdotes qui dessinent à peine        vis des humains aux prises avec le rou-
             drôle de coutume qu’est le mariage, et               le passage de l’enfance à l’adolescence.        leau compresseur d’une époque impi-
             sur l’amour sous toutes ses formes, sur              Grasset, 192 p.                                 toyable. et aussi (et malgré tout), il y a
             sa conception, à travers l’histoire et la                                      hans-Jürgen greif     une ébauche de sourire. la possibilité
             géographie. Journaliste consciencieuse,                                                              d’un rire. Flammarion, 450 p.
             elle enquête, questionne, compare, met               La carte et Le territoire                                                  annick duchatel
             en perspective.                                      michel houellebecQ
             avec le même bonheur d’écriture, l’au-                                                               une Princesse sur
             teure réussit à faire de sa petite histoire                                 dans notre époque        L’autoroute
             personnelle une histoire universelle. et le                                 déroutante, on est       Fannie langlois
             voyage est… passionnant! Calmann-Lévy,                                      à l’affût de tout
             331 p.                                                                      texte (roman ou es-                             tout l’art de l’au-
                                      marie-claude Fortin                                sai) qui témoigne                               teu re Fannie lan-
                                                                                         d’une vision d’en-                              glois réside dans
             nos cœurs vaiLLants                                                         semble porteuse de                              l’entrelacement du
             Jean-baptiste harang                                                        quelques repères.                               rêve et la réalité.
                                                                                         sur ce plan, La pos-                            Une princesse sur
                                     « nos cœurs sont                                    sibilité d’une île et                           l’autoroute, le se-
                                     vaillants, c’est la          Plateforme étaient décevants, mais cette                               cond ouvrage de
                                     mémoire qui flan-            fois, michel houellebecq retrouve sa pâte                              cet te trifluvienne,
                                     che. [...] J’écris           des magistrales Parti cules élémentaires.                              ne se conten te pas
                                     pour me souvenir. »          pourtant, il est difficile de résumer son       de manipuler le réel, mais il croise égale-
                                     sur recommanda-              nouveau roman (très astucieusement              ment les époques. ainsi, le lecteur voyage
                                     tion médicale, l’au-         construit), tant il comporte de mises en        entre le temps présent et le moyen Âge.
                                     teur, né en 1949,            abyme. en gros, l’histoire tourne autour        d’abord, une fille apparaît, pieds nus dans
                                     fait travailler « le         de Jed martin, un artiste qui fera fortune,     la neige, enveloppée dans un drap dé-
                                     muscle de la mé-             sans le vouloir, en représentant le monde       chiré. elle avance au bord de l’autoroute,
             moire » dans sa fiction autobiographique.            matériel à travers des photographies de         cherchant à s’enfuir d’un sinistre labora-
             il réussit au-delà de ses espérances en              cartes michelin, puis dans une série de         toire où elle a été séquestrée depuis sa
             retraçant les années des cœurs vaillants,            portraits d’hommes au travail dont l’hy-        tendre enfance. une vieille Ford s’arrête
             sorte de scouts français, en moins bien,             perréalisme frôle celui des tableaux            et lui porte secours. À bord de la voiture,
             cependant. chaque été, de la fin des an-             chinois de l’époque mao. il peint son           la fugueuse file vers montréal, où elle
             nées 1950 jusqu’à son entrée à la Fa-                père, architecte célèbre avec qui il a une      tente de colmater les brèches d’un passé
             culté, sa troupe s’établit dans un endroit           relation distante, et un certain écrivain       nébuleux qui, lentement, lui apparaît. son
             reculé du Jura, assez proche de genève               nommé michel houelle becq. lequel sera          enfance volée. la mère schizophrène qui
             pour s’y rendre à pied. tout y passe, de             assassiné de manière particulièrement           l’abandonne. la gueule béante de la clini-
             l’abbé t. (regard lubrique) à la description         sordide… et l’auteur de désamorcer à            que où elle a subi des charges électriques
             des précaires installations sanitaires et            l’avance les accusations de nombrilisme         expérimentales. alors qu’elle tente de ras-
             des dortoirs. souvenirs dont la précision            par de savoureux exercices d’ironie et          sembler ses souvenirs fragmentés, elle
             s’explique par le fait que l’au teur s’ap-           d’autodérision. car le roman est drôle,         continue d’être habitée par d’é tran ges
             puie sur la « mémoire longue », alors qu’il          très drôle, tout désenchanté que soit son       rêves. une femme lui apparaît. en occi-
             oublie, aujourd’hui, ses clés, ses lunettes,         propos par son étalage des vices et des         tanie médiévale, ce personnage est me-

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nouveautés

nacé par la chasse aux hérétiques. bien           un peu trop du lsd) de sauver son histoire                 Pages
que le temps les sépare, les deux femmes
se retrouveront grâce au pouvoir de l’in-
                                                  en la racontant. l’ennui, c’est qu’on per-
                                                  çoit un peu trop, et dès le début, les fils             d’automne
conscient. il en résulte un récit délicate-       du récit. et comme on ne peut qu’être du
ment tissé de poésie et d’éléments his-           côté de philomène et de sa belle folie, on          53;.?8:@,553@)?8;
toriques au dénouement surprenant.                est déçu quand la normalité l’emporte.                   4(;5A8B
Triptyque, 123 p.                                 Leméac, 167 p.
                                                                                                        5/60#
                                anne genest                                 annick duchatel
                                                                                                    732,5)8
                                                                                                         Le grand
Le grand Livre des Fous                           L’éternité en accéLéré                               roman sur
mathYas leFebure                                  catherine mavriKaKis                                   Octobre.
                                                                                                          Fresque
                        Festif, incisif, com-                            ces 53 essais (un            historique ?
                        batif, ce sont les ad-                          « e-carnet »)                      Polar ?
                                                                                                          Thriller
                        jectifs qu’inspirait le                         contiennent une
                                                                                                        politique ?
                        premier livre, auto-                            énorme variété de               Tout ça et
                        biographique, de                                sujets : des souve-           plus encore.    roman
                        mathyas le fe bure,                             nirs personnels (à                            600 pages · 32,95 $
                        D’où viens-tu ber-                              bay city) au divan
                        ger? il y racontait                             du psychanalyste,                             9355
                        avec autodérision                               en passant par l’in-            ./%01
                        son passage de la         dignation devant le mythe construit                2$3432
vie de cadre en publicité au Québec à             autour du néonazi Jörg haider, l’enthou-
celle de berger en provence, écorchant au         siasme des étudiants, les amitiés de fem-         L’apprentissage
passage le vide de nos sociétés et la sur-        mes remarquables (comme angela cozea                  douloureux
consommation. tout un saut… de mou-               et sa magnifique autofiction Interruptions        de la condition
ton! il vient d’en accomplir un autre, pas-       définitives), l’éloge du snobisme maîtrisé,
                                                                                                          humaine.
sant cette fois de la réalité à la fiction. il    la terrifiante ulrike meinhof à l’esprit dé-
ne perd en route ni sa verve ni sa poésie         capant, de petits incidents comme il nous
(« elle lui parlait de l’endroit où l’on en-      en arrive chaque jour – une phrase enten-
tend de la musique quand les gramopho-            due, le souvenir d’un parfum, la couleur
                                                                                                                      roman
nes sont fermés »), et fidèle à son carac-        d’un foulard.                                                       440 pages · 29,95 $
tère anarchique, c’est cette fois dans les        publiés dans la série « K » (pour kaléi-
notions de normalité et de folie qu’il fonce      doscope) de l’éditeur, n’importe lequel                 !3+,:;5,-
droit devant. l’histoire, c’est celle de phi-     des essais vous surprend : brillante de
lomène, délicieuse grand-mère indigne qui         couleurs, une image apparaît devant vos             !"#$"%&
décide à la fin de sa vie de faire un pied        yeux, composée par un esprit intelligent,        '()*)+,-
de nez aux conventions étouffantes de sa          provocateur, sensible, érudit sans pesan-
petite ville, d’héberger des fous désinstitu-     teur, rieur, moqueur, ironique, mélanco-
                                                                                                       Un thriller
tionnalisés et de trouver l’amour. et quand       lique jusqu’à la noire tristesse. chaque               poétique
l’aventure tourne mal, elle charge le plus        texte pourrait servir à de courts ou de              au charme
jeune de ses deux petits-fils (l’aîné abuse       longs métrages, sur les parents, certains ˘          envoûtant.

                                                                                                                      roman
                                                                                                                      264 pages · 25,95 $

                                                                                                          !"#$%&
                                                                                                    www.editionsboreal.qc.ca
                                                                                                               Retrouvez-nous sur
                                                                                                               twitter et facebook

                                                                                        automne 2010 —entre les lignes | 37
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nouveautés

             collègues, les imbécillités produites dans           peu à peu sombré dans une folie décon-       l’homme, connu comme le loup blanc,
             et par notre monde. ce n’est pas un livre            certante, sans que personne puisse faire     est équarrisseur de métier. c’est-à-dire
             de chevet. gardez-le simplement à portée             face à la musique.                           qu’il gagne son pain en ramassant les ca-
             de la main pour retrouver des phrases                incontestablement aussi bien écrit que       davres d’animaux laissés sur l’asphalte
             comme celle-ci : « l’art et le beau ne sau-          Train de nuit pour Lisbonne, ce roman        des routes et au creux des fossés. après
             vent pas de la mort ni de l’ignoble, mais            joue avec toute la gamme de nos émo-         une visite au centre d’emploi de bedford,
             ils permettent d’y échapper par moments,             tions. notre seul bémol, les trop nom-       le narrateur, étienne, accepte de devenir
             de se donner une liberté face à l’atrocité           breuses allusions annonçant la triste fin    son bras droit. son été comme assistant-
             qu’est la vie. ». Héliotrope, 283 p.                 de léa. en forçant ainsi la note, le récit   équarrisseur pigiste sera, pour le moins,
                                        hans-Jürgen greif         de van vliet finit par sonner faux… et       mouvementé. car c’est cet été-là qu’a
                                                                  puis qui, de nos jours, songe encore à       lieu le grand déluge qui marquera brome-
             Léa                                                  em ployer le passé simple pour traduire      missisquoi.
             pascal mercier                                       sa peine? Libella – Maren Sell, 243 p.       avec ce deuxième titre, william s. mes-
                                                                                               Karine vilder   sier en impose encore. dans la lignée des
                                     en plus d’être tous                                                       éric dupont et des sébastien chabot, il
                                     deux originaires de          éPique                                       avance bien loin des sentiers battus pour
                                     berne, adrian her-           william s. messier                           baliser cet univers joyeusement dépay-
                                     zog et martijn van                                                        sant qui est le sien. Marchand de feuilles,
                                     vliet ont le moral                                 un peu plus d’un an    273 p.
                                     en berne. aussi,                                   après la parution de                         marie-claude Fortin
                                     lorsque leurs routes                               Townships, un re-
                                     se croisent dans un                                cueil de nouvelles     Bisous
                                     café du sud de la                                  décalées, plantées     Jean o’neil
             France, décident-ils sans détour de rega-                                  dans le décor buco-
             gner ensemble la suisse.                                                   lique des cantons-                           réussir un livre pa-
             mais plus ils roulent, plus ils s’engagent                                 de-l’est, william s.                         reil. d’abord, ac-
             dans une voix à sens unique : van vliet                                    messier revient cet-                         quérir un bagage
             ayant entrepris de raconter à son com-                                     te fois avec un ro -                         de connaissances
             pagnon de voyage dans quelles circons-               man. une histoire un peu folle, un peu                             sur l’ornithologie,
             tances tragiques il a perdu sa fille, jamais         surréaliste, très drôle, racontée avec                             l’astronomie, la poé-
             il ne s’arrêtera en chemin. au fil des ki-           beaucoup de style, dans une langue colo-                           sie, le jazz, la géo-
             lomètres, on apprend donc comment sa                 rée mêlant les accents de la génération                            graphie, la petite et
             petite léa a pu surmonter la mort préma-             nintendo au folklore et à la légende. dans                         grande histoire, les
             turée de sa mère grâce au violon et com-             le comté de brome-missisquoi, Jacques                              beaux-arts, la musi-
             ment, après avoir été concertiste, elle a            prud’homme est un vrai héros populaire.      que classique, la mycologie, la flore, la

                      38 | entr e l es l ig n es — a u to m n e 2 0 1 0
nouveautés

faune, la météo, et quoi encore! subdiviser l’œuvre en mois et
y disséminer savoirs et souvenirs au moyen d’une langue belle,
empreinte d’ima ges fortes, sans l’expurger pour autant de ses
                                                                                      Merci de partager votre
savoureux québécismes. incorporer, avec une égale passion,
quelques mots sur marie-victorin, louis arm strong, la barge
                                                                                      plaisir de lire avec nous,
hudsonienne ou le mont saint-hilaire. au ras du sol, intégrer au                          depuis cinq ans!
discours fleurs et champignons avant de se lancer vers les étoi-
les pour parler d’uranus ou des Quadrantides. exhumer le sou-
venir de grands oubliés comme Jean dallaire, henry teuscher et
nikola tesla, ou comme la chute pas-de-Fond, le jour des rois
ou celui des morts. profiter du moment pour rendre hommage
aux disparus qui nous ont laissé les bases sur lesquelles pour-
suivre l’ouvrage de cette vie. émailler le tout d’anecdotes per-
sonnelles d’hier et d’aujourd’hui puisque la vie s’y trouve, tou-
jours. séparer habilement les récits par des transcriptions de
messages d’accueil sur son répondeur, ces derniers variant
selon les mois, les saisons, l’humeur, et rappelant l’importance
de garder contact. réunir entre deux couvertures et servir. un
délice. Libre Expression, 280 p.
                                                       louis émond

Le convoi des nuages
Jean perron                                                              www.sodec.gouv.qc.ca

                       un bien malheureux événement contraint
                       les la flam me à organiser une réunion fu-
                       néraire impromptue : à la surprise géné-
                       rale, david, l’un des fils de la famille, vient
                       de s’enlever la vie. dans sa tête se dessi-
                       naient pourtant de grands projets pour la
                       ferme et les champs dont il aurait hérité.
                       l’auteur nous invite à démêler les ficelles
                       de l’énigme en adoptant, tour à tour, le
                       regard des divers membres de la famille.
la situation et son évolution sont ainsi perçues à travers le
prisme de chaque personnage, de reggie, le délinquant repenti,
à gaspard, le « rasta blanc ». le récit se construit, petit à petit,
autour du passé et des relations des membres de la famille
laflamme, qu’elles soient chaotiques ou complices.
au-delà de ce choix narratif original, l’au tre attraction de ce
texte réside dans son habillage poétique savamment dosé.
l’éclectisme de Jean perron, également présenté comme poète,
artiste visuel et musicien, ressort subtilement au fil des lignes
– et parvient à nous surprendre, au détour d’un paragraphe, au
moyen d’une belle image ou d’une formule élégante.
une intrigue simple servie par une approche très personnelle.
un agréable moment de lecture. L’interligne,160 p.
                                                    sylvain sarrazin ˘

                                                                               automne 2010 —entre les lignes | 39
nouveautés

             La Pureté
                                                                  férences ciblées, de dessins rapides des      davantage encore qu’une histoire de mai-
             suivi de Le Promeneur
                                                                  lieux, des personnages, du sujet. réussir     son hantée – et il n’est pas sûr qu’avec
             vincent thibault
                                                                  une nouvelle est aussi difficile que de       son lent début et son dénouement sub-
                                                                  réaliser une aquarelle. pas de retouches      til, il satisfasse les stricts amateurs du
                                     avec La pureté, qui          possibles. ici, « le navet », « pour cent     genre –, L’indésirable est un roman sur
                                     relate un attentat           jours de neige » et « l’avenir » exigeaient   une classe sociale, la gentry, qui s’éteint
                                     au gaz sarin à to-           un autre pinceau. Septentrion, 152 p.         dans un monde en mutation. d’une écri-
                                     kyo, ces nouvelles                                   hans-Jürgen greif     ture élégante, l’auteure traque finement
                                     entre le Japon et le                                                       les relations complexes nouées entre le
                                     Québec débutent              L’indésiraBLe                                 narrateur issu du milieu ouvrier et ces
                                     par un coup de               sarah waters                                  aristocrates désargentés. le suspense est
                                     poing. le lecteur                                                          un bonus. traduit de l’anglais par alain
                                     est soufflé par les                                dans sa forme           defossé. Alto, 572 p.
             raisons de l’attaque, la violence du pro-                                  même, ce gros bou-                                 marie labrecque
             pos, la forme réinventée du genre, les                                     quin rigide semble
             phrases étincelantes comme des lames.                                      tout droit sorti du
             cette ouverture crée l’espoir d’une série                                  vieux manoir an-
                                                                                                                Polars, thrillers
             de perles. en effet, certains textes, même                                 glais qu’il met en      Les étranges taLents de
             s’ils sont moins percutants, demeurent                                     scène. brillant flash   FLavia de Luce
             bien ficelés : un professeur de gymnasti-                                  d’éditeur. il y a en    alan bradleY
             que chinoise disparaît mystérieusement,                                    effet quelque chose
             une plante maléfique envahit un apparte-                                   de délicieusement                               l’été n’est pas de
             ment en sortant des profondeurs d’un                 vieillot dans le cinquième roman de la                                tout repos au paisi-
             évier de cuisine – une des meilleures                britannique sarah waters.                                             ble manoir de buck-
             nouvelles du recueil. la seconde partie              le docteur Faraday a toujours été fasciné                             shaw. Flavia de luce
             (dans laquelle on rencontre un moine                 par hundreds hall, où sa mère a autrefois                             vient de trouver un
             bouddhiste et les parents d’un jeune sui-            été gouvernante. À la fin des années 40,                              cadavre au beau
             cidé québécois) est nettement plus faible            la somptueuse demeure tombe toutefois                                 milieu d’un plant de
             et aurait eu besoin d’un travail beaucoup            en ruines, et les châtelains se voient for-                           concombres, et son
             plus approfondi, à tout le moins d’un sé-            cés de vendre des parcelles de terrain                                père, le colonel de
             rieux coup de lime.                                  qu’envahissent des lotissements moder-                                luce, a été arrêté
             Qu’une nouvelle plaise ou non demeure                nes. vivant avec les fantômes d’un passé      par la police. c’est à Flavia qu’il revient
             une question de goût. bien que les règles            doré, la famille ayres – la mère, le fils     de découvrir la vérité et l’identité du cou-
             du genre aient été abolies depuis long-              handicapé par la guerre et la fille céliba-   pable. cette héroïne atypique est une ga-
             temps, la dynamique d’un texte bref doit             taire – est de plus confrontée à une suc-     mine de 11 ans, une adorable petite
             être maintenue à l’aide d’ellipses, de ré-           cession de manifestations étranges...         peste fouineuse, passionnée de chimie

                      40 | entr e l es l ig n es — a u to m n e 2 0 1 0
nouveautés

(sa spécialité : les poisons!), qui cite
shakespeare et les poètes romantiques.
                                              et le prix arthur-ellis. En plein cœur est
                                              très agréable à lire, mais n’a rien d’origi-
                                                                                                Copibec
aussi douée et débrouil larde que sher-       nal et l’on se demande pourquoi il a rem-         verse régulièrement
lock holmes, elle va fouiller dans le passé   porté quatre prestigieux trophées.
de son père et mettre à jour une étrange      Flammarion Québec, 334 p.                          des   redevances
affaire de timbres rares aux conséquen-
ces fatales. premier polar d’alan bradley,
                                                                         norbert spehner
                                                                                                       aux auteurs
écrivain canadien âgé de 70 ans, Les
étran ges talents de Flavia de Luce ra-
                                              essais, tÉmoignages
conte une histoire plutôt invraisemblable,    en route et Pas
certes, mais absolument charmante, ex-        de sentiment
centrique, originale, irrésistible, pleine    michel gosselin
d’humour, avec des dialogues savoureux
et des situations cocasses. un vrai bon-                             empruntant à la fic-
heur de lecture! le roman est disponible                             tion, au témoignage
en deux éditions (J.c. lattès et le mas-                             et à l’essai, ce sin-
que), dont la dernière, pour la jeunesse,                            gulier ouvrage est
qui reprend l’intégrale du texte original.                           dédié aux lecteurs
                                                                                                            ! Dramaturges,
                                                                                                              essayistes,
Le Masque, 372 p.                                                    d’anne hébert. co-
                                                                                                              poètes,
                          norbert spehner                            fondateur du cen-
                                                                                                              traducteurs…
                                                                     tre d’études anne-
en PLein cœur                                                        hébert de l’univer-                    ! Collaborateurs
louise pennY                                  sité de sherbrooke, michel gosselin y re-
                                                                                                              pigistes des
                                                                                                              journaux et
                                              trace les dernières années de l’auteure
                                                                                                              des revues
                      À three pines, un       regrettée de Kamouraska, avec laquelle il
                      village des cantons-    s’était lié d’une amitié admirative. c’est                    ! Créateurs
                      de-l’est, on a décou-   un livre à la construction complexe, où                         d’œuvres
                      vert le cadavre de      deux récits de « cérémonie des adieux »
                                                                                                              artistiques
                      Jane neal, une vieil-   se font écho. alors même qu’il lutte
                      le dame que tout le     contre le cancer et se prépare à la mort,
                      monde ai mait bien,     le narrateur, michel, s’empresse de ra-
                                                                                                 Vous êtes auteur ?
                      tuée d’une flèche       conter ses ultimes rencontres avec une
                                                                                                 Contactez-nous !
                      en plein cœur.          anne hébert diminuée physiquement,                 Vous pourriez recevoir
meurtre ou accident de chasse? il revient     qui, en 1998, met fin à contrecœur à son           des redevances
à l’inspecteur-chef armand gama che, de       séjour parisien. un départ qui l’incite à          pour l’utilisation de
la sûreté du Québec, de tirer cette affaire   replonger dans ses souvenirs.                      vos œuvres.
au clair. tel est l’argument de ce premier    les fans de l’écrivaine trouveront dans
d’une série de polars de louise penny,        En route et pas de sentiment (le motto
née à toronto en 1958, et qui réside dans     d’anne hébert, dans une scène frappante
un petit village au sud de montréal. En       où elle fait ses adieux à son voisinage) une
plein cœur est un roman policier très         ample matière : commentaires sur son
classique du style whodunit à l’anglaise :    œuvre, lettres de saint-denys garneau,
un meurtre commis de manière inhabi-          abondantes citations – parfois inutiles. le
                                                                                                 Société québécoise de
tuelle, un village bucolique, de nombreux     livre aurait supporté des coupures : les           gestion collective
suspects, quelques fausses pistes, et à la    préparatifs concrets du déménagement               des droits de reproduction
fin, la révélation de l’identité du coupa-    sont longuement décrits... mais il a le mé-
ble. depuis 2005, louise penny (surnom-       rite de faire entendre la voix d’une femme         514 288-1664 ou 1 800 717-2022
mée l’agatha christie du nord) a fait sa      secrète, qui restera néanmoins un mys-             comm@copibec.qc.ca
marque dans le polar canadien, en rem-        tère (la révélation promise par l’auteur est       Inscrivez-vous !
portant de nombreux prix prestigieux,         sibylline). Hurtubise, 386 p.                      www.copibec.qc.ca
dont le agatha award (trois ans de suite)                                marie labrecque ˘

                                                                                    automne 2010 —entre les lignes | 41
nouveautés

             PsYchologie,                                         nisationnel et coach en gestion. autant de      son postulat de base est simple, mais
             croissance Personnelle                               spécialités qui n’existaient pas il n’y a pas   fait mouche : nous avons, en chacun
             emPower                                              si longtemps, et qui aujourd’hui – signe        de nous, un bon et un mauvais loup.
             isabelle Fontaine                                    des temps? – font bien des petits. le livre     nourrissons le bon, soignons-le, choyons-
                                                                  qu’elle vient de faire paraître aux éditions    le, et laissons le mauvais mourir de faim
                                     chargée de cours             un monde différent s’intitule Empower. un       et d’ennui!
                                     au département de            terme english, contraction de « emotion »       Empower ne renouvelle pas le genre de la
                                     communication so-            et de « power ». et c’est précisément du        psycho pop, tant s’en faut. mais il plaira à
                                     ciale et publique à          pouvoir des émotions dont traite cet essai      tous ceux, nombreux, qui cherchent des
                                     l’uQam, « conféren-          qui trouvera son public parmi les lecteurs      clés pour mieux vivre. et des clés, il y en
                                     cière de motiva-             des daniel goleman (L’intelligence émo-         a tout un trousseau. Éditions Un monde
                                     tion », isabelle Fon-        tionnelle), david servan-schreiber (Guérir)     différent, 240 p.
                                     taine est aussi              et mihaly csikszentmihalyi (Vivre : La psy-                            marie-claude Fortin
                                     consul tante en dé-          chologie du bonheur), auteurs qu’elle cite
                                     veloppement orga-            d’ailleurs d’abondance.
                                                                                                                  PoÉsie
                                                                                                                  tomBeaux
                                                                                                                  paul chanel malenFant
             audiolivres
             cHoisir sa voix                                                                                                             malheureusement,
             deux livres audio produits par la collection coffragants illustrent l’alliage réussi                                        qui n’a pas déjà eu
             entre le texte bien écrit et solidement documenté, et une lecture aussi intelligente                                        un ami qui s’éteint
             qu’agréable à l’oreille. narrés par l’auteur lui-même ou par un narrateur profession-                                       dans ces mouroirs
             nel, La philosophie du bien-être et Vaincre la dépression proposent une modification                                        ou pavillons de can-
                               de nos habitudes de vie et une remise en question de nos valeurs                                          céreux ou d’alzhei-
                               afin de trouver ou de retrouver la sérénité.                                                              mer? Qui n’a pas
                               La philosophie du bien-être prouve qu’il peut être avantageux de                                          eu envie, par la sui-
                               confier à l’auteur la narration de son ouvrage. Fort d’une connais-                                       te, de serrer fort
                               sance approfondie de son livre, celui-ci choisira d’accentuer tel                                         cette « chemise de
                               passage en haussant le ton ou de ralentir son débit pour les phra-                                        coton qui s’ouvr[ait]
                               ses plus complexes. en revanche, Vaincre la dépression démontre                    dans [son] dos » et de vivre encore le
                               qu’une narration assurée par un lecteur professionnel présente                     « désordre des cellophanes, des choco-
                               l’avantage de donner à l’auditeur l’impression qu’on lui parle.                    lats, des masques de plastique, des
                               Le choix de vivre, publié dans la même col-                                        oiseaux du paradis »? « les objets quoti-
                               lection, est un autre cas de figure éloquent.                                      diens pèsent lourd dans le regard. »
                               la préface, l’introduction et les études de                                        paul chanel malenfant recrée les décors
             cas, lues par l’auteure elle-même, souffrent d’une intonation                                        des chambres d’hôpital comme de très
             un rien trop emphatique. mais lorsque la narratrice profession-                                      belles natures mortes porteuses de ce
             nelle prend la relève, l’exposé sur la manière de transformer                                        qu’il ou de ce qu’elle a été. il esquisse
             une épreuve terrible en une expérience ramenant à l’essentiel                                        « le blason des corps mourants » et des-
             de l’existence devient efficace et convaincant.                                                      sine joliment des souvenirs sépia d’en-
             enfin, Le Why Café également chez coffragants nous entraîne                                          fance et des paysages de voyage, tout en
             dans un conte initiatique, finement narré par Jean leclerc et                                        laissant les mots fredonner des musiques
             sophie stanké, au cours duquel un homme perdu au milieu de                                           de bach ou de satie ou des airs de jazz. il
             nulle part s’arrêtera à un café où différents personnages l’aide-                                    dévoile des « corps virils, les nuques fran-
             ront à retrouver le sens profond de sa vie et à déterminer de quelle manière il est                  chement nues, la poigne solide des mains
             possible de la voir s’épanouir.                                                  Louis Émond         sur des sexes vifs ». vie-désir-mort, c’est
                                                                                                                  ce que l’on tente de partager entre les
             la philosophie          vaincre la                  le choiX de vivre      le whY caFé               murs d’une chambre d’hôpital. les poè-
             du bien-être            dépression                  marie lise labonté     John p. strelecky         mes en prose de paul chanel malenfant
             dr gérard gervais       michael e. addis                                                             y parviennent.
                                     et christopher                                                               même si « [l]e jour des morts est le jour le
                                     r. martell                                                                   plus lent de la terre », il demeure aussi le

                      42 | entr e l es l ig n es — a u to m n e 2 0 1 0
nouveautés

plus universel et, heureusement, certains     des entités féminines se réincarnent avec       lui. tout va bien jusqu’au jour où apparaît
« objets, bouées de souvenirs, nous re-       brio dans sa voix altruiste. dans son ly-       dans sa vie ramona, et surtout ses ex-pe-
tiennent à la surface du réel. À l’orée de    risme particulier et ses images modernes.       tits copains…
l’origine. » ce recueil se lit en mémoire     le contenu de ce recueil est original, nour-    un album résolument moderne, à l’hu-
aux disparu-e-s. L’Hexagone, 108 p.           rissant et enrichissant. on entre dans son      mour omniprésent, qui tient tout à la fois
                           anne peyrouse      propre héritage, celui de voix féminines        de la bd d’auteur et du manga, dont il a
                                              et quelques-unes masculines, et on désire       hérité du format poche. Milady, 150 p.
manueL de Poétique à                          pousser la connivence avec telle ou telle                                François mayeux
L’intention des jeunes                        femme, pour « déposer [sa] langue sur un
FiLLes                                        crochet,/crier enfin : “Je suis rentrée à la    Lydie
carole david                                  mai son!” ». ainsi, on n’« ouvrir[a] pas le     zidrou et laFebre
                                              gaz de la cuisinière », on boira des martinis
                      en général, les créa-   avec les poètes. Les Herbes rouges, 84 p.                             dans les années 30,
                      teurs n’emploient                                   anne peyrouse                             au fin fond d‘une
                      pas le mot « ma-                                                                              impasse d’un fort
                      nuel » dans le titre
                                              bd                                                                    sympathique quar-
                      de leurs œuvres.        « scott PiLgrim’s »                                                   tier, vit camille,
                      serait-ce un terme      tome 1 Precious LittLe                                                une jeune orphe-
                      effrayant, rappelant    LiFe                                                                  line, simple d’es-
                      un ouvrage soumis       brian lee o’malleY                                                    prit. un jour, celle-
                      à la gérance d’une                                                                            ci se retrouve en-
institution ou à un apprentissage scolaire                           le phénomène de          ceinte d’un bébé qui ne survivra pas.
fade? pour carole david, le manuel de-                               l’heure en matière       après quelques semaines de déni, la jeu-
vient un partage d’« icônes qui crient der-                          de bd nous vient de      ne femme retrouve le sourire et annonce
rière [la] gorge » et sous les mains des                             toronto, avec la pa-     à tous que son bébé est revenu. la sur-
jeunes filles.                                                       rution en français       prise des habitants fait place à une cer-
ce recueil apparaît comme une filière                                du premier album         taine compassion et petit à petit, tout le
de femmes à rencontrer et à décou-                                   de « scott pil-          quartier embarque dans le jeu.
vrir ou à redécouvrir. par exemple, la                               grim’s ». la noto-       cette fable au sujet délicat se veut une
Jeanne d’arc, fille du feu et d’hochelaga.                           riété de ce person-      lecture délicieuse de cette communauté
certaines semblent plus connues que           nage tient au fait que c’est à la fois une      aux liens tissés serrés, touchante par sa
d’autres, mais pour toutes on ressent le      bd, un jeu vidéo et depuis peu, un film         solidarité et son humanisme.
désir de les côtoyer. carole david nous       prometteur. avec l’insouciance de ses 23        les deux auteurs ont su créer une œuvre
les dévoile là, presque à côté de nous,       ans, scott pilgrim est un jeune adulte          forte tant graphiquement que dans la
dans leur maîtrise de l’art et du quoti-      comme il y en a plein, musicien brillant,       justesse du récit. Dargaud, coll. Long
dien. de la tendresse à la violence aci-      travailleur dilettante, amoureux sans           Courrier, 56 p.
dulée, du silence aux chants de travail,      grande passion d’une fille plus jeune que                                François mayeux

                                                                                     automne 2010 —entre les lignes | 43
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