Nouveautés Québec français - Érudit
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Document généré le 15 oct. 2022 17:40 Québec français Nouveautés Numéro 47, octobre 1982 URI : https://id.erudit.org/iderudit/56935ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (imprimé) 1923-5119 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article (1982). Nouveautés. Québec français, (47), 6–14. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 1982 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
ROMANS l'Insurgée Louise FRECHETTE devient enceinte de Stie et s'en va vivre à Sept-lles, tandis que son frère rencontre Leméac, Montréal, 1982, 134 p. Clarisse, une copine du secondaire, devenue la mort d'alexandre chanteuse dans un groupe rock. Cette Yvon PARÉ L'Insurgée de Louise Frechette est le récit dernière aidera Klaus à franchir la frontière du VLB, Montréal, 1982, 212 p. (12,95$) d'une naissance difficile, celle de la femme sexe puis, ensemble, ils partiront pour la morte-née qui cherche à se libérer de sa Floride. Zella, la mère, se suicide alors qu'elle Le dernier roman d'Yvon Paré n'est pas si seconde matrice: l'univers masculin. Trop tentait de revoir sa fille, tandis que le père, différent ni de moindre qualité que le Violo- longtemps figé dans le silence, le désir de Maurice, poursuit une course folle aux quatre neux, même si d'aucuns le condamneront naître et de vivre émerge avec fracas du coins du monde, sans s'intéresser à rien. C'est sous prétexte qu'il est trop réaliste et que la refoulé au rythme des pulsions/convulsions. sur cette trame que s'écrit le roman de langue qu'il véhicule est vulgaire, abâtardie, Le ton est celui de la violence de ce désir qui Monique La Rue, que se manifeste une joualisante. poursuit son accomplissement en dépit des écriture à double niveau: le premier, plus doutes, des peurs, de la Loi qui condamnent classique, aux phrases souples et amples, Dans la Mort d'Alexandre, Paré continue à la parole-femme au mimétisme plutôt qu'à la décrit lieux, événements et personnes; le interroger ce que l'histoire littéraire du création. Non nourrie de modèles virils, second, plus moderne, associant corps et Québec a appelé la thématique du pays, un l'écriture de l'Insurgée est la continuation du texte, tout en pièces détachées, au rythme pays à inventer et à habiter, à la mesure des syncopé, traduit en quelque sorte le remous discours passionné des femmes qui se intrépides Chapdelaine, dans lequel le passé événementiel qui agite chacun des person- nomment. et le présent se répondent comme pour mieux Ce récit-journal relate la recherche d'un nages. Tout le roman oscille entre ces modes s'expliquer l'un l'autre. espace féminin autre que le mutisme où la d'écriture mais s'enclenche véritablement à C'est le héros, Émile Parent, qui assure le femme a trop longtemps été confinée. Dans partir du moment où Klaus et Élodie lien entre le passé et le présent car ce l'Insurgée, Louise Frechette effectue le entreprennent leur fugue. bûcheron de métier fait partie de cette longue périple du corps à travers le langage qu'est la Les Faux Fuyants de Monique La Rue lignée d'hommes téméraires et audacieux qui venue à l'écriture : « Écrire, pulsionnelle, avec offrent la vision d'une jeunesse désabusée qui ont opté pour la vie aventureuse dans les le sang, la chair. Écrire comme un battement s'en remet à des expédients temporaires forêts du Nord plutôt que de se résigner à de cœur. Rougeoyance. Écrire avec cadence. (bière, drogue et musique) pour résoudre mener une existence terne sur un lot de Induire le va-et-vient du langage comme une leurs conflits, pour faire s'écouler la vie en qui colonisation. Ce Parent est un aventurier, délicieuse inconnue à palper.» Et c'est dans elle n'a plus confiance. Un «voyage au bout comme le François Paradis de Hémon, c'est toute son exubérance que nous sont rendus de la nuit», sans fin. un être ivre de liberté, doué d'une force ce désir et cette aptitude à se nommer enfin [Roger CHAMBERLAND] physique étonnante, grand amateur d'alcool hors de l'image institutionnalisée que renvoie et de rixes, coureur de jupons imbattable. Son invariablement à la femme une culture qui ne bonheur quotidien, il le trouve dans la forêt, permet pas le dire féminin, qui le dénigre ou visions d'anna au milieu des gens qui lui ressemblent corn me des frères, qui parlent le même langage et qui qui l'ignore. Marie-Claire BLAIS sont prêts aux mêmes excès pour épater, [Sylvie TROTTIER] Stanké, Montréal, 1982, 174 p. (9,95$) souvent au péril de leur vie. Malgré ses fanfaronnades, il est resté fidèle à ses Le dernier roman de Marie-Claire Biais, origines. Le voyage qui, à la mort de son père, les faux fuyants Visions d'Anna, justement sous-titré «ou le le conduit à La Dorée, son village natal qu'il a Monique LA RUE vertige », nous entraîne dans les méandres et quitté depuis quinze ans, est pour lui retour à Québec/Amérique, Montréal, 1982, tourbillons de la pensée d'une adolescente la civilisation et retour aux sources. Incapable 201 p. (12,95$) qui jette un regard presque maladif sur la d'injustice, il se révolte contre la mort, surtout société qui l'entoure; son jugement est celle de son père. Son plaidoyer contre la Dans la même lignée que Marie-Claire Biais et particulièrement sévère. A la fois désabusée mort est troublant car le bûcheron parle avec et angoissée, elle observe cette fin de siècle ses Visions d'Anna, Monique La Rue aborde son cœur. Et ce héros sait l'art de raconter. À cette quête du sens chez deux adolescents, le qui est également une fin du monde: tel point que le lecteur se demande constam- frère et la sœur, jumeaux de surcroît, qui ont dégénérescence de l'espèce. Tout son univers ment s'il dit la vérité ou s'il ment... décidé de devenir des «faux fuyants» parce tient dans la blessure qu'elle porte à la La Mort d'Alexandre est une œuvre d'une que la famille, déjà disloquée avant qu'ils ne conscience, déchirure provoquée par un grande intensité, d'une grande authenticité, naissent, et la société ne leur offrent plus milieu socio-familial aliénant et répressif. un document sociologique véritable, écrit aucun point d'attache. Partir. Klaus et Élodie- Anna, c'est encore cette adolescente dont dans une langue à toute épreuve où Mélodie partent « sur le pouce » vers le nord et on a court-circuité les relais de communication s'entremêlent poésie et blasphèmes. aboutissent à Saint-Cliboire, où ils vont vivre et qui s'isole afin de manifester son refus de avec Stie, conducteur de «van» qui les a toute forme de compromission, d'hypocrisie, [Aurélien BOIVIN] recueillis sur le bord de la route. Élodie de mensonges. Une telle manifestation prend Tvon-Paré Monique LaRue ont ,d' Alexandre." LES FAUX FUYANTS QUEBEC A M t R U U e 6 Québec français
appui sur un long discours intérieur, parfois l'homme du plre-vire rendez-vous avec mon fils ponctué d'interventions externes qui viennent Henriette GRÉGOIRE Janine BOISSARD relancer et réorienter le sens de la démarche. Libre Expression, Montréal, 1982, Fayard, Paris, 1981, Des phrases interminables épousant la dérive 140 p. (9,95$) 218 p. (12,95$) de la pensée ; tout un monde passé à la loupe, le cercle des arènes scruté puis décrié et rejeté en bloc. Jamais, Avec l'Homme du Pire-Vire, Henriette Grégoire Roger FOURNIER l'écriture de Marie-Claire Biais ne s'est faite si succède à Florentine Morvan-Maher (Florentine Albin Michel, Paris, 1982, directe. Jamais son regard n'a été d'une si vive se raconte) et à Éva Bélisle (la Petite Maison 273 p. (13,95$) acuité. du bord-de-l'eau) comme lauréate du [Roger CHAMBERLAND] troisième concours littéraire du mensuel le Troisième Age. Un même thème unit ces deux romans L'Homme du Pire-Vire raconte, dans un d'ailleurs présentés ensemble à Québec par le style vivant et pittoresque, une histoire distributeur québécois dans le cadre du Salon l'homme aux passions tristes international du livre de Québec au printemps Dominique LÉVY-CHÉDEVILLE touchante qui se déroule au début du siècle dans la Vallée du Richelieu. Le héros, dernier: la (redécouverte d'un fils, l'un, le CLF Pierre Tisseyre, Montréal, Jean-Daniel de Janine Boissard que Nadine, 1981, 163 p. Phylidor Rocheleau, « un colosse fort comme trois hommes », « un fier-à-bras », « le meilleur sa mère, croyait pourtant bien connaître, et calleur et le plus beau danseur de la région », l'autre, le Sébastien de Roger Fournier, cet Troisième roman de Dominique Lévy- enfant bâtard et Québécois vivant à Paris Chédeville, l'Homme aux passions tristes est habite le rang du Pire-Vire, qui doit son nom au fait que la route le desservant est souvent depuis trois ans que le père regrette d'avoir un livre grave et poignant, qui raconte, sur un lâchement abandonné à la suite d'une visite ton volontairement neutre, les pires injustices impraticable. Regina Labrosse, sa compagne depuis six ans, est une femme « dépareillée », surprise dans la Ville lumière. et les mutilations atroces dont est affligé un homme du nom de Dav Lévy. Considéré «aussi modeste, effacée et tranquille qu'il Le premier roman, Rendez-vous avec mon comme Juif à cause de son nom, il commet pouvait être bruyant et spectaculaire ». Elle ne fils, est tout empreint de délicatesse et l'imprudence impardonnable de tuer un caïd lui a cependant pas donné d'enfant. Or, un d'amour. Un simple appel téléphonique de la du monde interlope qui passait de la drogue. jour, une voisine, la grand-mère de la police suffit à déclencher le drame, à susciter On lui en fera voir de toutes les couleurs... narratrice, meurt en couches, laissant deux l'intérêt et à anéantir les espoirs et rêves de Est-il possible de lire des pages aussi jumelles. Le couple du Pire-Vire n'allait pas Nadine. Cette dernière, mère de famille insoutenables? Est-il possible qu'on les ait laisser passer si belle occasion. C'est ainsi heureuse et comblée, a peine à croire que son écrites avec une sobriété aussi remarquable, qu'Emilie et Rosalie se retrouvent sous le toit fils de vingt ans, qu'elle croyait à un examen avec un talent aussi étonnant? Le morcel- des Rocheleau où elles grandissent sous les de droit, vient d'être hospitalisé, victime d'une lement, j'allais dire la fragmentation, l'atomi- yeux graves d'une belle-mère autoritaire et piqûre d'héroïne mal faite. Il n'en faut pas plus sation du texte et de la phrase, accentue l'acte puritaine et d'un beau-père d'une jalousie pour elle et son mari de remettre leur rôle en d'accusation que le narrateur dresse contre la maladive à l'endroit d'Emilie, sa préférée. Le question. Quels parents ont-ils été pour être société. « Hors de la logique, point de salut », drame survient à l'adolescence des jumelles ainsi aveugles et si peu attentifs au désespoir scande-t-il tout au long de son récit, récupéré quand Phylidor, devenu sourd, à la suite d'un fils ? Où, quand, comment, pourquoi ce par l'auteur, qui lui sert de support physique d'une longue maladie, réussit à éliminer un à fils affectueux que l'on croyait sans problème et moral dans sa réadaptation sociale. un les prétendants des jumelles pour mieux a-t-il choisi la voie des paradis artificiels? Comment l'Homme peut-il se livrer «logi- exploiter Emilie avec qui il entretient secrè- Nadine veut rattraper le temps perdu et quement» à tant d'injustices contre ses tement une relation incestueuse. Rosalie, reprendre son fils qui lui échappe. D'abord, semblables, démontrer tant de jalousie, de toutefois, a percé le mystère. Mais la morale elle tente de démasquer les coupables en mesquinerie et d'arbitraire? «Ma vérité c'est est sauve: Emilie meurt bientôt et sa sœur effectuant sa propre enquête, puis elle ma douleur. Ma vérité c'est ma tristesse. » entre au couvent, sans trahir le secret. s'efforce, par ses gestes et propos, à redonner C'est ce que clame cet homme triste, à la face Voilà certes une histoire bien menée, le goût de vivre à celui qu'elle a mis au monde. d'une Amérique indifférente. Dav Lévy veut narrée avec une économie de moyens, dans Mais elle aura besoin de tout son amour montrer que la passion triste n'est pas une langue simple et juste, sans prétention. maternel et de l'aide d'un officier de police toujours de l'impuissance, il essaie d'expliquer L'auteur, rédactrice à la revue la Ferme compréhensif et humain, lui-même éprouvé à son ami juif Dom Lévy « l'Holocauste-non- pendant une trentaine d'années, possède une par la mort d'une fille, à la suite d'un lent sens du monde », en se réclamant de Spinoza. maîtrise de l'écriture et un bon sens du cancer. Réfugiée dans une maison de Mais, toujours, dans sa profonde détresse dialogue. Jeunes et moins jeunes sauront y campagne, en compagnie de son fils, sur la physique et morale, il garde le sens de sa (re)découvrir, dans le Québec rural d'alors, voie de la réhabilitation, après un séjour en dignité. Voilà la leçon que ce roman les us et les coutumes d'une petite société où institution où il a découvert des raisons de bouleversant propose au lecteur, qui n'y la r e l i g i o n est souvent s y n o n y m e de s'enthousiasmer et a appris l'utilité du travail restera pas indifférent. puritanisme. manuel, elle amorcera le dialogue avec Jean- [Aurélien BOIVIN] Daniel, désormais sauvé. [Gilles DORION] RENDEZ-vous AVEC MON FILS Kivatil Québec français 7
Mais, hélas I, il n'en est pas toujours ainsi. (bestiaux) de son père au vu et au su d'une personne. Dicky-le-fou accomplira sa ven- C'est que Janine Boissard a voulu laisser un mère dominée, elle rate, pendant son geance comme il l'avait prévu, en descendant message d'espoir et d'amour à ceux qui sont adolescence, son suicide et va jusqu'au ses anciens copains dans l'armoire du aux prises avec le problème de la drogue, à la meurtre pour se délivrer, s'affranchir, Pantagruel. fois aux parents souvent dépourvus devant reconquérir sa dignité de femme bafouée, Le style haché du roman s'accorde une telle situation, et aux adolescents, renaître à la vie. Après avoir rencontré une parfaitement au rythme des « exécutions ». Si victimes d'une société où l'on détruit les rêves femme dont elle tombe amoureuse, elle l'on regrette certaines impropriétés de mots, des jeunes à mesure qu'ils naissent. accepte de suivre une thérapie et de fonder, on remarque que le langage convient au Quant au roman de Roger Fournier, écrit avec des compagnes, victimes comme elle monde de truands dans lequel se déroule le dans une langue moins soutenue, plus d'inceste, une association pour venir en aide récit, surtout dans les dialogues, où triomphe populaire, il analyse les rapports étroits aux femmes attaquées sexuellement. Le la langue verte. Voilà donc un bon roman de unissant un père débauché, qui a fuit ses témoignage accablant qu'elle livre à la Jasmin, qui manifeste son sens incontestable responsabilités, et son fils, qui voudrait télévision lui vaut la visite de son père, qui la du dramatique. remonter dans le temps pour connaître, lui brutalise et la viole. Elle tue son agresseur et [Gilles DORION] aussi, l'émerveillement de l'enfant en présence le mutile dans son corps. Ainsi libérée, elle de son père. Ces retrouvailles deviennent une peut enfin envisager de refaire sa vie — mais véritable fête comme seuls les Québécois est-ce vraiment possible? — en compagnie peuvent en inventer, le vin et la bouffe aidant, d'un mari et d'une maîtresse. le vieil homme et l'espace une fête où la langue abâtardie et le sexe sont Témoignage émouvant que celui de Lise Daniel SERNINE au rendez-vous. Mais, une jeune fille, Sylvie, Bourdeau, qui a su s'affranchir de tous les Le Préambule, Longueuil, 1981, 246 p. devient le trouble-fête quand le père accepte tabous et qui dit la lutte de certaines femmes son invitation de se rendre à Nîmes, la ville violentées et bafouées pour atteindre leur Depuis 1975, grâce à ses contes et à ses aux arènes, où le trio assiste à une formidable plénitude. nouvelles, Daniel Sernine est connu des corrida. C'est là qu'à lieu l'affrontement entre [Aurélien BOIVIN] lecteurs de science-fiction québécoise. Depuis le père et le fils au cours duquel le père est 1979, ma fille me dit le plus grand bien de terrassé; enfin il pourra retrouver son fils et ses romans pour jeunes, surtout de l'Épée aspirer à une renaissance. Arhapal. Apres la lecture des six nouvelles de A lire par tous ceux qui croient (encore) l'armoire de pantagruel le Vieil Homme et l'espace, je dois donner possible le dialogue entre un père et son fils, Claude JASMIN raison aux amateurs et à ma fille: c'est l'un, dénaturé, et l'autre, désabusé. Leméac, Montréal, 1982, 138 p. excellent. [Aurélien BOIVIN] Sernine sait raconter et mêler avec art On serait peut-être tenté, en ouvrant le fantastique et science-fiction. La nouvelle- dernier roman — son quinzième ouvrage — titre présente un montage alterné dont de Claude Jasmin, l'Armoire de Pantagruel, dépend le suspense du texte. Mais qu'advient-il Josée récit d'un inceste d'établir un rapprochement avec Rabelais et de l'histoire de Claude? «Exode 5» et Lise BOURDEAU ses folâtreries. Mais, à la lecture, on se rend «Exode4» ne sont pas sans rappeler les Éditions Mille Roches, St-Jean-sur-Richelieu, compte que « le Pantagruel » ici est le nom techniques d'écriture de Vonarburg, et l'im- 1982,214 p. (10,75$) d'une boîte de nuit louche. pression de mystère, «2001». «La Planète Il importe de s'attacher au symbole de malade d'humanité» souffre un peu de Où commence le roman, où finit la fiction? l'armoire, lieu privilégié d'enfermement de didactisme dans la première partie mais C'est la question que l'on se pose en Richard Mars, quand il commettait des quelle tendresse ensuite! et quelle finale! refermant le livre, le premier, de Lise fredaines dans sa jeunesse. Cela, Richard ne L'art du conteur. Bourdeau. Son récit aborde, sans cachette l'a jamais pardonné à sa mère, ni non plus à la Dans l'avant-propos, l'auteur dit que ses aucune, le drame des femmes d'ici et société qui se protège contre ce bagarreur, ce nouvelles ont comme point commun le d'ailleurs, «violées dans leur corps, leur menteur, cet irrécupérable «agressif et monde d'Érymède. Sans doute. Mais j'ai cerveau, leur cœur» par un père dégoûtant et dangereux », en l'enfermant dans ses prisons. surtout été frappé par la présence du destin, abject, tout imbu de pouvoir et d'autorité. Trois heures de permission spéciale gras- la conscience sinon la prémonition qu'en ont Si, de l'aveu même de l'auteur, la vie de sement payées a un policier véreux lui les héros de toutes les nouvelles. Le Josée est ici romancée, elle n'en demeure pas suffiront à liquider son passé, à exécuter ceux pessimisme écologique parcourt également moins vraisemblable. Elle ressemble à celle qui l'ont maltraité et trahi. Le voici donc tout le recueil. d'une multitude de femmes exploitées qui engagé dans une course contre la montre, Il faut savoir gré à Norbert Spehner de nous acceptent presque tacitement d'être ainsi dans un compte à rebours haletant, qui tient offrir une collection de science-fiction de attaquées sexuellement de peur des repré- en alerte le lecteur le plus exigeant et cette qualité. April, Vonarburg, Beaulieu, sailles. Josée en sait quelque chose. Forcée p r o l o n g e le suspense jusqu'à une fin Sernine: belle brochette! dès son jeune âge à satisfaire les besoins froidement calculée. Il ne fait de «fleur» à [Vital GADBOIS] L ARMOIRE OSEE DE PANTAGRUEL Claude iasmin m.. "' Û _:H:.IJ 8 Québec français
le silence de la cité finalement trouver, après de dures épreuves, priétaires et les grandes chaînes, la déshu- Elisabeth VONARBURG la sienne propre. manisation... Denoël, Paris, 1981, 288 p. Si le fond du roman n'a guère changé, la Cette matière, l'auteur la traite le plus sou- forme, elle, a beaucoup évolué. Le texte a été vent sur le mode réaliste. Toutefois, une L'Œil de la nuit nous avait dévoilé une retravaillé en profondeur, de sorte que certaine recherche, au niveau des symboles écrivaine de science-fiction de talent. Le maintenant les images, bien qu'aussi et de l'expression, comme le dédoublement Silence de la cité place Vonarburg au rang poétiques, n'entravent plus la compréhension de Jean G. et la grossesse de Léon Noël, des grands de la science-fiction d'aujourd'hui. de l'ouvrage. De même, à maintes reprises, débouche sur la production de hors-d oeuvre Ce n'est pas faire injure à l'auteur que de la des précisions ou des corrections ont été qui s'intègrent difficilement à l'ensemble. comparer à Ursula Le Guin : il y a une qualité apportées, notamment dans la description «Un roman social», écrit le narrateur. d'émotion dans ce roman qui rappelle la Main des personnages. Ainsi, par exemple, Marie- Social, certes. Un roman, c'est moins évident, gauche de la nuit. Andrée ne monte plus les escaliers avec « des si l'on considère que le roman, c'est le per- Élisa, l'héroïne, est inoubliable dans sa ailes» aux talons mais à grand bruit, se sonnage. Or, les Jean G., Piton Paradis, Léon recherche de la vérité de demain, «la vérité révélant en cela beaucoup plus ferme et Noël, Jos Cantin, Octave Orton, Marie- qui parle sans cesse à travers les mensonges, décidée dans la quête d'amour qu'elle Andrée, Angémée Cantin, ressemblent plus à et peut-être grâce à eux » (p. 280). Elle se croit poursuit. Par ailleurs, c'est avec son seul des fantômes qu'à des êtres vivants. responsable du destin de l'humanité, dernière corps qu'elle séduit Damien, les vêtements Cet ouvrage n'est pas dénué d'intérêt mais civilisée au milieu des mutants barbares. devenant dans la troisième édition des il lui manque ce je ne sais quoi, qui est peut- Doit-elle être fidèle au plan de Paul et accessoires inutiles. être le poids de personnages en chair et en contrôler dans l'ombre le développement des Suzanne Paradis nous prouve ainsi qu'il est os, et l'unité de ton. mutants ? Doit-elle épouser le rêve de Judith, possible, après plus de vingt ans, de réécrire [Maurice ARGUIN] quia entrepris de renverser le pouvoir mâle et un ouvrage sans pour autant en trahir choisi même l'affrontement armé ? A-t-elle le l'originalité. Une analyse des images toutes droit de dicter à ses enfants leur conduite à foisonnantes d'eau, d'air et de feu nous venir? Devraient-ils choisir librement leur montre bien du reste que l'auteur a su sexe? Avec qui devraient-ils se reproduire? la sang-mêlé d'arrière-pays retrouver le fil de sa rêverie première. « Je ne sais pas ». Et elle ferme les portes de la Réal-Gabriel BUJOLD [Jeanne TURCOTTE] Cité pour cinq cents ans. Ils feront leurs Leméac, Montréal, 1981, 316 p. (16,95$) choix, libres. 1969. A la fin de cette décennie de la Un univers cohérent, des personnages «Révolution tranquille», le petit village de attachants, une intrigue bien menée et une un moulin, un village, un pays Saint-Antoine-de-Ramelet en Gaspésie est fine analyse des grands sentiments humains Gilles RAYMOND menacé de disparition. Les «penseurs-à- (?) : l'amour, la douleur... Le Silence de la cité VLB éditeur, Montréal, 1981, 204 p. lunettes» du gouvernement en ont ainsi s'est mérité avec raison le grand prix de la décidé : ces « colonies » sont devenues inutiles science-fiction française 1982. La chronique d'un petit village et de son et trop coûteuses pour l'État, les habitants [Vital GADBOIS] évolution provoquée par l'industrialisation, doivent être expropriés et le village détruit. qui recoupe celle du Québec global, tel est le Ceci, bien sûr, pour « le bien de la collectivité ». sujet de Un moulin, un village, un pays. L'opération est cependant retardée : quelques les hauts cris Jean G., originaire de Donnacona, revient tenaces résistent courageusement au har- Suzanne PARADIS dans son village comme ingénieur de la cèlement gouvernemental. Parmi eux, Epi- Leméac, Montréal, 1981, 195 p. (9,95$) toute-puissante Domtar. A travers ses sou- phanie Innis («la sang-mêlé») et sa fille venirs d'enfance, on redécouvre le village Bernadette Baumier qui, de par sa fonction En 1981 paraissait la troisième édition des d'hier, illustré par le maire, Piton Paradis, d'institutrice, exerce une forte influence Hauts cris. Revu et corrigé en entier, le catholique, conservateur et besogneux. Puis, auprès des villageois. La lutte acharnée premier roman de Suzanne Paradis conserve on assiste à l'arrivée du «progrès», qui coïn- contre l'expropriation s'amorce donc, entre- néanmoins sa trame initiale. Avec des mots cide avec l'ascension de Léon Noël, gérant coupée d'événements insolites qui viennent nouveaux et des images plus nettes, réapparaît de la municipalité, dont le «sens des affaires distraire les Ramelois: Bernadette s'éprend le môme dilemme, celui d'un jeune sculpteur grossissait comme une boule de neige même d'un correspondant fantôme, l'église est de talent qui se voit forcé de choisir entre dans les chaleurs de juillet» et qui voulait ravagée et l'enquête menée n'aura qu'une l'amour et l'art: l'amour que lui inspire sa «déménager le centre-ville, transférer le incidence, l'amour de Bernadette et Antonio, jeune et étrange épouse, amoureuse née, et cœur du village sur le haut de la colline » ! un des «naturels naturistes naturalisés». l'art auquel l'initie sa mère adoptive, peintre Sur cette trame de fond se superposent Coïncidences qui seront élucidées au terme intransigeant. A la recherche des vraies plusieurs phénomènes liés à l'industrialisa- de l'intrigue, c'est-à-dire après l'extinction de valeurs, Damien accepte de suivre tour à tour tion : la femme et le travail, l'importance des ce petit village « pourtant déjà consacré aux les voies qu'incarnent ces deux femmes, pour médias, la concurrence entre les petits pro- plus belles aspirations». JleiHautl (?tii la sang-mêlé d'arrière-pays ,.-.ii gdWM bujold S a vmne /-iztadt) vi,- • Québec français 9
Écrit dans une langue gaspésienne imagée, récits sportifs tant du point de vue documentaire qu'au plan sonore et, pourrait-on dire, palpable, ce de Louis HÉMON de la mystique du sport qui s'en dégage. roman parvient à concilier le tragique et le Édition préparée et présentée par [Roger CHAMBERLAND] comique qui se dégagent à la fois des per- Aurélien Boivin et Jean-Marc Bourgeois sonnages et du récit lui-même. L'écriture les Éditions du Royaume, Aima, alerte et pittoresque de Bujold est aussi 1982,252 p. (11,95$) empreinte d'une poésie qui donne au mot l'intensité nécessaire pour susciter l'émotion. l'enfant du cinquième nord [Hélène DORION] L'année 1980, qui marquait le centenaire de Pierre BILLON naissance de Louis Hémon, vit la publication Québec/Amérique, Montréal, 1982, 323 p. de plusieurs éditions de Maria Chapdelaine ainsi que la parution de quelques études portant sur l'homme et l'œuvre. En mai 1982, Après l'Ogre de Barbarie (1972) et la dans le ventre de la bête Chausse-trape (1980), Pierre Billon publie était lancé à Montréal et à Aima, un recueil de Jack Henry ABBOTT textes, jusque-là épars dans les journaux et simultanément au Seuil et aux éditions Éditions Lacombe, Paris, 1982, 225 p. revues du début du siècle, écrit par Louis Québec/Amérique, son troisième roman. Hémon : Récits sportils. Colligés par Jean- Mais l'Enfant du cinquième nord dépasse le Jack Henry A b b o t t est un enfant de Marc Bourgeois et Aurélien Boivin, à qui nous cadre d'une écriture romanesque classi- l'Assistance publique. Dès sa naissance, il a devons également une judicieuse présen- que. Pour cet écrivain d'origine suisse, éta- été ballotté d'un foyer d'accueil à un autre tation, ces articles nous en disent long sur la bli au Canada depuis vingt ans, il s'agit pour échouer, à douze ans, dans une école de philosophie du célèbre écrivain. Commen- d'un «mélange des genres». Il emprunte redressement. tateur de la vie sportive en Angleterre et en des éléments au roman psychologique, à la A douze ou treize ans (il ne le sait plus très France, pour le journal le Vélo devenu l'Auto, science-fiction, à la satire politique et sociale bien), il a connu sa première expérience Louis Hémon, en fin observateur, suit et décrit et, surtout, au roman policier, qu'il exploite d'isolement cellulaire. Il avait essayé de les divers exploits des champions de avec la verve de Conan Doyle ou d'Agatha s'enfuir. De douze ans à trente-sept ans, «football», de course à pied, de natation, de Christie. Abbott n'a été libre que pendant neuf mois et régates, de boxe, de rugby. Mais, au-delà de Le narrateur, Daniel Lecoultre, père d'une demi dont six mois qu'il a passés en cavale. toutes ces descriptions de performances fillette atteinte de cancer, découvre qu'au Norman Mailer travaillait depuis quelque sportives, Hémon se fait le défenseur de toute cinquième Nord de l'hôpital Memorial, un temps sur le Chant du bourreau lorsqu'il reçut forme d'activité de plein air, qui favorise le garçon de dix ans, Max Sieber, souffre d'une une lettre d'un prisonnier désirant «l'instruire» plein épanouissement corporel. Il fustige maladie mystérieuse qui suscite la destruction sur la violence dans les prisons. Mailer a l'esprit de compétition qui anime trop souvent d'objets matériels et la régénération des entretenu avec lui une correspondance l'athlète, et développe une pensée naturiste organismes vivants qui l'entourent. Ne assidue. C'est le montage de ces lettres qui où le corps, libéré de ses contraintes comprenant pas « l'effet Sieber », les autorités compose ce volume. On y découvre un vestimentaires, peut, grâceà un entraînement décident de soustraire le garçon à son milieu homme curieux et attachant. routinier, ressentir un immense bien-être hospitalier pour l'enfermer dans le centre de Avec des mots qu'il n'a jamais entendu physique. recherches d'une base militaire située dans le prononcer, Abbott livre sa vision du monde nord de l'Ontario. Le narrateur, lui-même un extérieur, son expérience carcérale et sa Également, lors de sa venue au Québec, il haut fonctionnaire du gouvernement fédéral, perception du système judiciaire américain. poursuit quelque temps sa collaboration au découvre que cette opération clandestine C'est à travers une grille marxiste qu'il périodique français en écrivant des articles aboutira à la «vente» du jeune Sieber aux transmet son analyse. On devinera qu'il n'est qui portent sur la vie et les activités des Américains. Mais l'enfant aura le dernier pas tendre. Québécois, tels la raquette, la marche, le mot... On ne peut lire ce volume et rester «driving» (course avec chevaux attelés), et le Billon noue habilement l'intrigue policière indifférent. On ne peut être d'accord avec tout travail en forêt. Pour terminer ces chroniques en la rendant presque convaincante par de ce qu'il dit : il y a parfois de l'incohérence dans de la vie sportive, A. Boivin et J.-M. Bourgeois fréquents appels à des explications médicales ses propos. Mais peut-on seulement com- publient quatre textes parus dans la Presse de ou scientifiques de phénomènes tels le prendre un Jack Abbott si on n'adhère pas à 1911 signés du pseudonyme «Ambulator», cancer, les aurores boréales ou les vents son code moral ? mais redevables à Louis Hémon. Dans ces solaires. Ce faisant, il crée un climat de Dans le ventre de la bête, c'est un long cri de derniers écrits, Hémon se fait le défenseur de crédulité chez le lecteur et il donne au livre souffrance, un cri strident et modulé, un cri la marche à pied et prédit même, devant une allure quasi documentaire. L'attitude du qui émeut et qui dérange. l'immensité des étendues à parcourir au «qui-peut-on-croire» maintenue tout au long Qui est responsable de Jack Abbott, le Québec, que ce pays produira un jour les du roman dénote le savoir-faire de l'auteur criminel ? Qui a fait Jack Abbott ? Que peut- meilleurs marcheurs du monde. dans l'utilisation d'une technique narrative à on faire pour lui et tous les autres comme lui ? Bellement présenté, Récits sportifs de la première personne. [Michelle LANGLOIS] Louis Hémon est doublement intéressant, [Kenneth LANDRY] LOUIS HÉMON PIERRE BILLON L'ENFANT Récits DU CINQUIEME sportifs édition préparée ef p'f-«nt*e po>; 10 Québec français
ma maudite main gauche moins connu. Il s'agit, en effet, d'un auteur THÉÂTRE veut pus suivre «d'histoires condamnées à l'avance», d'une Louis-Marie DANSEREAU auteure dont l'œuvre fut même renvoyée au bonne fête maman Leméac, Montréal, 1982, 95 p. pilon parce qu'elle était faite de mots « qui en Elizabeth BOURGET disaient trop long». VLB éditeur, Montréal, 1982, 168 p. Gaétane Pelletier, mère de la Trousse, l'hé- Pas à pas, à travers les faits réels, la drama- roïne de la première pièce de Dansereau, turge retrace l'itinéraire de Violette Leduc: prend la vedette dans le deuxième volet de la du premier manuscrit refusé jusqu'à la folie Bonne Fête maman constitue une pièce tout à trilogie. Cette femme, déçue par la vie, joue de récriture ; « du petit mari castrant » jusqu'à fait actuelle, et dans le ton, et dans la théma- du piano sur la table de sa cuisine pour ne la passion pour une femme nommée Her- tique. On y retrouve les mêmes mises en pas perdre son doigté. Elle a étudié le piano mine; de la rencontre de marginaux, tels situation réalistes, les mêmes préoccupations durant douze ans. Après son mariage, il ne Jean Genet et Maurice Sachs, à celle de sa quotidiennes que dans Bernadette et Juliette. lui reste que le souvenir de ce qui aurait dû la propre mère ; du rejet par la censure officielle Avec Elizabeth Bourget, point de grandes distinguer. Elle n'a que le temps de s'occuper jusqu'au soutien entêté de Clara Malraux, de questions métaphysiques ou de subtiles ana- de sa brute de mari et de ses neuf enfants, Nathalie Sarraute et, surtout, de Simone de lyses psychologiques. Point de grands dra- nés du viol conjugal. Beauvoir. mes, non plus, ni de passions intenses. Des A quarante-cinq ans, elle rêve d'acheter un Si la Terre est trop courte, Violette Leduc petits faits concrets et souvent désarmants vrai piano et, vingt-cinq ans plus tard, elle constitue en quelque sorte un texte à deux de banalité, des désirs et des espoirs qui caresse toujours l'espoir de rejouer la sonate voix, le ton n'en conserve pas moins une pourraient presque se réaliser entre la soupe « Clair de lune » de Beethoven. Il est trop tard, extraordinaire unité. Les mots de l'auteur- et le dessert ; des conflits qui ne dépassent sa main gauche ne répond plus. Seuls de- dramaturge et ceux de l'auteur-personnage jamais la mesure du quotidien. Mais des meurent les souvenirs de ce qui a été son se cherchent, se répondent, se complètent personnages tellement humains, tellement échec. d'une manière étonnante, comme s'ils avaient familiers que, à travers chaque réplique, c'est Trois personnages, trois solitudes qui ne surgi d'un viscère commun. On reconnaît, à la « vraie vie » qu'on entend circuler. se rejoindront jamais car, s'ils s'adressent les travers les fragments de textes qui s'entre- Un couple dans la cinquantaine se retrouve uns aux autres, ils ne se rencontrent pas. La croisent, le même «style noir du vautour». seul, après trente ans de mariage. Les trois mère refuse de voir la Trousse, qui est pros- Dans cette tentative de créer une œuvre à enfants sont partis, la maison est payée, tituée, et appelle en vain son fils dont toutes même celle des autres, Jovette Marchessault chacun est en santé. Maurice et Estelle sem- les répliques sont chantées. Celui-ci est mort serait-elle en train de briser l'isolement des blent donc avoir tout pour être heureux. Ou bien avant le début de la pièce. La mère est femmes et particulièrement leur isolement presque. Pourtant, cela n'empêche pas seule face à sa vie qui, à l'image de sa main, dans la création ? Estelle d'avoir le goût de partir et de «tout demeure incontrôlable. [Esther MERCIER-CROFT] sacrer là». Elle était satisfaite, avant, de son [Louis-Michel NOËL] poste de gérante de département chez Eaton. Elle acceptait sereinement de faire cuire le steak de son mari ou de préparer son propre POÉSIE repas de fête. Pourquoi cette envie soudaine la terre est trop courte, d'accéder au poste de directrice des achats ? violette leduc femme fragmentée Pourquoi cette fantaisie de bouder la Floride Jovette MARCHESSAULT Célyne FORTIN pour visiter la Californie? Et cet empres- les Éditions de la pleine lune, Éditions du Noroît, Saint-Lambert, 1982, sement à accepter les invitations d'un jeune Montréal, 1982, 157 p. [n.p.j directeur alors qu'elle avait toujours accepté inconditionnellement son chauffeur de taxi ? Avec la Saga des poules mouillées, Jovette Composé de trois parties, augmenté de C'est à travers un dialogue particuliè- Marchessault avait fait un premier pas impor- vingt-quatre dessins de l'auteur, Femme rement vivace et percutant que ce conflit tant dans l'exploration de l'imaginaire fémi- fragmentée de Célyne Fortin est un recueil entre Estelle et Maurice évolue. La brièveté et nin. La rencontre «mythique» entre Laure de poèmes d'une grande densité d'émotion. le ton familier des répliques, la rapidité des Conan, Germaine Guèvremont, Gabrielle Dans la première partie, «Femme», se suc- scènes, l'efficacité des rebondissements Roy et Anne Hébert marquait bien l'étroite cèdent des instantanés d'une vie larvaire qui donnent au déroulement de l'action un relation qui existe, par-delà le temps et l'es- débouche peu à peu sur la prise de pos- rythme qui s'accorde parfaitement à l'atmo- pace, entre celles qui ont fait et qui font session du corps, du désir. «Heure», la sphère de quotidien que l'auteur voulait re- encore la culture des femmes. Dans la Terre deuxième section, compte vingt-quatre très créer. Malheureusement, la fin un peu facile est trop courte, Violette Leduc, Jovette Mar- courts textes qui relèvent de la formule ponc- allège peut-être rapidement la force du désir chessault joint encore sa voix à celle d'une tuelle, métaphorique. Finalement, «Frag- d'Estelle. autre femme-écrivain. Mais cette fois, le per- ments», livre, peut-être, les meilleurs [Esther MERCIER-CROFT] sonnage qu'elle met en scène est beaucoup moments du recueil puisque l'intensité du Ma maudite main gauche /eut pus suivre -ouis Marie Dansereau Québec français 11
quotidien devient celle de l'amour. Le dessin, territoire d'abord, de lacs et de rivières; ses Pourtant l'ouvrage n'est pas sans intérêt. à peine ébauché, à larges traits, accentue le habitants ensuite, sa minorité francophone Même si le français parlé décrit ici est celui caractère concis des poèmes. longtemps écrasée sous le joug oppresseur de Paris; surtout celui de la publicité, de la [Roger CHAMBERLAND] et qui veut s'extirper de ses complexes. télé. Les exemples sont nombreux, qui nous Cette anthologie est destinée aux étudiants rappellent les différences entre l'écriture et la du cycle supérieur du secondaire et a été parole: besoin d'alléger la façon de pro- au coeur de la lettre conçue pour permettre l'apprentissage du noncer, de faire la phrase simple, de nier les Madeleine GAGNON commentaire littéraire tout en favorisant l'in- choses, d'accorder le verbe; besoin de ren- VLB éditeur, Montréal, 1981, 99 p. (9,95$) tégration culturelle des Franco-Ontariens. forcer l'intention par le pronom, l'interroga- L'auteur s'est appliqué à choisir des textes tion, les prépositions ; besoin, bien sûr, d'ex- En quelques mots, en quelques pages, avec variés dans leur forme et dans leur thème de pressivité. Suivent des considérations diver- quelques images, Madeleine Gagnon nous manière à éviter les dangers de la monotonie ses sur des réalités très précises : le vocabu- introduit «au cœur de la lettre» ou, comme qui guettent toute anthologie. laire et les expressions à la mode, les préfixes elle le laisse entendre par le sous-titre du Pour se faire un nom répond à un besoin et les suffixes, le franglais (en France, il est liminaire, elle présente «l'amante en fuite». pressant d'identification des Franco-Onta- présenté comme une importation culturelle I), Collage de textes publiés dans des pério- riens et il marque un pas important dans la la publicité et le vocabulaire militaire (proba- diques et de citations d'auteurs privilégiés, le définition d'outils pédagogiques culturels en blement une exportation culturelle), les recueil s'amorce sur des fragments d'intimité Ontario. sigles, etc. C'est le genre d'ouvrage qui peut puis s'ouvre sur des lieux où la présence [Pierre BOISSONNAULT] nous rappeler le caractère vivant du langage, humaine est vitale. La troisième partie, «la mais aussi sa solidité et sa permanence à Crise du cœur», est celle de l'abandon, du l'ère des communications de masse. corps meurtri par l'amour tandis que les deux [Pierre BOISSONNAULT] dernières sections nous font déboucher sur LINGUISTIQUE une nouvelle circulation de sens et d'amour. Au cœur de la lettre, c'est encore cet espace du corps que les mots tentent de circons- le français moderne tel qu'on le parle Chantal BURDIN DIDACTIQUE crire. De très belles encres de Chine, réalisées Éditions de Vecchi, Paris, 1981,165 p. initiation à l'analyse textuelle par Madeleine Gagnon, ornent le recueil. René JUÉRY [Roger CHAMBERLAND] Dans l'introduction de son ouvrage, Chantal Éd. Asticou, Coll. Université du Québec Burdin nous rappelle le mot de Colette sur la à Hull, 1981,217 p. (12,95$) langue: «C'est une langue bien difficile que le français. A peine écrit-on depuis quarante- L'intérêt premier de cet ouvrage, comme on ANTHOLOGIE cinq ans qu'on commence à s'en apercevoir. » l'avait souligné pour les Approches structu- Et Colette se prononce sur la langue écrite, rales des textes paru dans la même collection pour se faire un nom celle qui, théoriquement du moins, doit être en 1980, est certainement de publier une Yolande GRISÉ la plus facile à découvrir parce que plus série d'analyses d'œuvres littéraires québé- Fides, Montréal, 1982, 313 p. solidement ancrée dans ses règles et ses coises. Sont ainsi étudiées les Belles-Sœurs conventions. Que dire alors de la langue de M. Tremblay, Originaux et Détraqués de Yolande Grisé vient de publier une antho- parlée ? L. Frechette, Un mobile de G. Roy, le Libraire logie de textes qui ont en commun le terri- Mais celle-là, pas de problème. Pas besoin de G. Bessette, Bousille et les Justes de toire de l'Ontario. C'est un recueil de textes de l'apprendre pour le savoir. Pourtant, il y G. Gélinas et Kamouraska d'A. Hébert. En littéraires, depuis les écrits de Samuel de en a qui, comme Chantal Burdin, se sont mis utilisant «un large éventail d'approches Champlain jusqu'aux chansons de Garolou, à observer et à rendre compte de leurs trou- d'inspirations diverses» (page couverture) et en passant par les textes des découvreurs, vailles. Non pas sous forme de gros traités en voulant regrouper dans un même ouvrage des missionnaires, des visiteurs européens, définitifs mais dans de petites choses à peine des études d'horizons divers, l'auteur s'ex- des conteurs populaires puis, avec le XXe plus volumineuses que des plaquettes. Dans pose par ailleurs à une critique qui pourrait siècle, des Ontarois qui ont fait souche, de ces livres-là, on trouve souvent que la table être assez vive concernant l'éclectisme, voire plus en plus nombreux à mesure que les des matières essaie un peu vainement de l'hétérogénéité de ses instruments d'analyse. années passent. La moitié des auteurs sont transformer en plan «structuré» une série Considérées ponctuellement ou isolément, des contemporains. d'observations qui ont toutes les misères du plusieurs parties de l'ouvrage seront cepen- L'ouvrage se lit avec intérêt. Non seule- monde à se juxtaposer. L'auteur fait des dant fort utiles aux enseignants qui utili- ment pour celui qui s'intéresse aux manifes- efforts louables pour donner une crédibilité seront l'une ou l'autre des œuvres étudiées tations de la vie culturelle française au es linguistique à des propos qui s'adressent dans leurs cours de français au secondaire Canada mais aussi pour celui qui veut se au grand public, de sorte que personne n'y ou au collégial. faire une certaine image de l'Ontario, son trouve vraiment son compte. [Jean-Claude GAGNON] Madeleine Gagnon Au coeur de l a l e t t r e poésie SÊFAJ René Juéry Initiation à l'analyse textuelle 1 rv^m • rJl m Mit vlb é d i t e u r (Mes 12 Québec français
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