Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit

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Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit
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Nuit blanche

Nouvelles d’un genre dit mineur
Hans-Jürgen Greif

Number 71, Summer 1998

URI: https://id.erudit.org/iderudit/23183ac

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Publisher(s)
Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN
0823-2490 (print)
1923-3191 (digital)

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Greif, H.-J. (1998). Nouvelles d’un genre dit mineur. Nuit blanche, (71), 38–43.

Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1998                    This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit
Nouvelles d'un genre dit
                                               La nouvelle n'est plus ce qu'elle était, on le sait.
                                               Mais qu'attendre de la nouvelle, aujourd'hui ?
                Par
        Hans J ù r g e n G r e i f             Qu'elle soit le véhicule idéal des mécanismes freudiens
                                               de « condensation, déplacement, dramatisation,
                                               symbolisation », comme l'a soutenu Roland Bourneuf
                                               dans son article « La nouvelle et le rêve »1 ?

F
            aut-il plutôt voir, dans la        avantageusement indécise entre les gen-          discutable, pour aboutir, à la publication
            fragmentation propre au genre,     res. Le lecteur referme ces livres déçu :        de son troisième texte littéraire, à des
            l'incapacité du nouvelliste        d'abord méfiant devant leur minceur,             nouvelles avouées. La démarche est habi-
            de « comprendre le monde           il avait été rassuré par l'appellation           tuellement inverse et le nouvelliste se fait
            globalement », comme le            « roman » sur la couverture, mais il n'est       fréquemment demander si son prochain
soutient Jean-Pierre Boucher2 ? Devant la      pas rassasié, veut plus, et surtout plus de      livre sera « enfin un roman » ! Écrire des
multiplication des formes, peut-on sous-       texte ! Des « romans » d'Emmanuèle               nouvelles est (hélas !) perçu comme un
crire encore à une classification comme        Bernheim, il sort habité d'une émotion           signe de faiblesse, un manque de courage
celle que propose René Godenne, un des         violente. Cette écriture, d'une concision        face au « genre majeur » - et rarement
plus éminents chercheurs dans le do-           rare, serait donc celle d'une nouvelliste,       encouragé par l'éditeur qui sait que le
maine : « nouvelle-histoire », l'anecdote,     alors que la longueur des textes leur            genre mineur ne se vend guère...
« nouvelle-instant », tranche de vie,          interdirait d'appartenir au genre !                  Autre paradoxe : malgré la diversité
« nouvelle-nouvelle », description /                                                            des univers d'une histoire à l'autre, sauf
réflexion où l'écriture prime3 ? Le lecteur    Un monde                                         dans les deux dernières, Quittes et doubles
rejette-t-il tout ce qui ne se mesure pas      dur et méchant                                   se distingue des textes précédents par une
à l'aune des chefs-d'œuvre d'Anton                                                              cohérence marquée dans la thématique,
Tchékhov, Somerset Maugham, Patricia           Comme on le voit, les apparences peuvent         balayant du même coup un autre préjugé
Highsmith, Thomas Mann, Guy de                 être trompeuses. Aujourd'hui, les formes         voulant que des recueils de nouvelles ne
Maupassant, Gustave Flaubert ? Quel effet      que prennent romans et nouvelles varient         soient guère plus qu'une collection
entraîne la diversité actuelle des formes ?    à un degré tel que les auteurs et, de plus       de textes écrits au gré de la fantaisie ou
    Nous sommes habitués à des défini-         en plus, les éditeurs abandonnent les            selon la disponibilité de l'auteur, colligés
tions voulant que le roman soit un texte       étiquettes ; des appellations plus neutres,      ensuite, laissant aux exégètes le loisir de
long, aux péripéties multiples, avec (sou-     « récits », « scènes », etc., coiffent les       déterminer des « phases d'évolution » de
vent) de nombreux personnages dont             recueils auxquels un ou quelques thèmes          la pensée de l'auteur. Ici, le côté noir de
l'interaction amènerait le lecteur à mieux     donnent le ton. Le Quittes et doubles,           l'âme prend résolument le dessus ; l'hu-
comprendre leur situation et, partant, le      Scènes de réciprocité de Lise Bissonnette5       mour, le plaisir, l'amour n'apparaissent
monde qui est le sien. Tandis que la nou-      en constitue un bon exemple. Déjà les            que pour être aussitôt raillés. Les exis-
velle serait (presque) toujours un texte       textes Marie suivait l'été (1992) et Choses      tences peuplant ces récits courts ne sont
court, avec quelques personnages               crues (1995) avaient délaissé la linéarité       que rarement insignifiantes. Par contre,
seulement, dont l'intrigue, à dévelop-         du récit pour refléter un univers frac-          les personnages sont toujours méchants,
pement linéaire, amènerait le lecteur          tionné, composite, où le narrateur n'as-         illustrant de façon inquiétante la colère,
rapidement au dénouement d'une situa-          sume plus de fonction pédagogique, mais          l'envie, le sexe, la soif du pouvoir. Pour
tion d'exception. Mais alors, comment          abandonne - faussement - le lecteur à son        Lise Bissonnette, presque tout semble en
classer les romans d'Emmanuèle                 sort. Ces textes ne donnent que des bribes       rapport avec une question de chair : c'est
Bernheim (Le cran d'arrêt, Un couple, Sa       d'informations ; au lecteur de s'arranger        ce qui confère au recueil sa cohérence,
femme 4) qui, sur une centaine de pages        pour se représenter le monde qui en est le       mais provoque également un effet de
environ, présentent pratiquement toutes        réfèrent. Cependant, chaque chapitre             lassitude, de « déjà vu » d'une nouvelle à
les caractéristiques de la nouvelle définies   répond aux exigences de la nouvelle tout         l'autre. Ici, mépris et cruauté mènent un
par René Godenne : mise en situation           en les redéfinissant. Autrement dit, Lise        monde malade, brûlant de fièvre, aux
rapide, récit portant sur une tranche          Bissonnette a pratiqué la nouvelle avant la      propos (apparemment) incohérents.
importante de la vie d'un personnage,          lettre. Curieux phénomène d'un auteur            Revient sans cesse une profonde aversion
souci de la qualité de l'écriture ? Dans ses   qui fait son chemin à rebours en quelque         contre les prêtres d'un temps passé, les
textes, tous d'une qualité exceptionnelle,     sorte : Lise Bissonnette s'est fait la main      injustices de Dieu (l'auteure va jusqu'à lui
Emmanuèle Bernheim garde une position          avec des textes dits romans, appellation         nier la majuscule), les bégueules et bigots,

                                                    7 1   . N U I T   B L A N C H E   .   3 8
Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit
densent pas l'existence du protagoniste,

mineur                                                                                           ne nous font pas entrer dans le lieu de
                                                                                                 l'action, ne nous laissent pas participer au
                                                                                                 drame des êtres évoqués qui placent entre
                                                                                                 eux et nous un voile les soutirant à notre
                                                                                                 regard, ou une glace rendant leurs gestes
                                                                                                 visibles, mais à peine compréhensibles. Ils
                                                                                                 aspirent à s'élever au rang de symboles
                                                                                                 dont le sens perce trop rapidement, pro-
                                                                                                 voquant l'attente de quelque événement
                                                                                                 qui puisse en déjouer la fatalité. Mais les
                                                                                                 surprises se font rares dans ce livre trop
                                                                                                 sage, malgré l'élément onirique qui
                                                                                                 appelle pourtant l'incongru, l'inattendu.

                                                                                                 Des nouvelles
                                                                                                 « classiques » ?
 les bondieuseries. Chez elle, les appa-        d'autres, indique la volonté du narrateur        Quelqu'un de ce temps-là 7 nous vient
 rences sont toujours trompeuses et même        de faire valoir le côté « naïf » de ses          d'un vieil habitué du genre, trop peu
 la musique se fait méchante ou idiote.         propos, l'aspect « conte de fées ». Mais         connu au Québec. Roger Grenier en est à
    Ce qui fait souvent défaut dans ces         voilà : une nouvelle, ce n'est pas un conte,     son huitième recueil de nouvelles (il a
 nouvelles, c'est moins l'effet (voulu ?) de    et encore moins un conte de fées, où les         également onze romans à son actif, et
 répétition d'êtres méchants, voire             personnages n'ont pas de nom, sont typés         presque autant d'essais, sans oublier
 vulgaires, qui n'ont aucune envie de            (« le père, la mère, lafille,l'amant ») et se   des « récits », genre inclassable). Les huit
 combattre ou de camoufler leur côté nuit,      meuvent dans un espace atemporel.                textes du recueil reprennent également le
 mais la structure narrative. Placés souvent    Consultez René Godenne pour le reste             thème du passé, comme Pierre Chatillon
 sous le signe du rêve, les textes suivent       (ou Jean Bellemin-Noël, Tzvetan                 mais de façon bien différente. Ici, le quo-
 trop de pistes à la fois. Quelques excep-      Todorov, Agnès Whitfield, Jacques                tidien subit invariablement une fissure.
 tions, cependant, comme « La calliope »,       Cotnam, Gaétan Brulotte, Maurice                 S'installe alors le souvenir qui se fait
 « Le columbarium » et « Le témoin », où        Émond, Adrien Thério...). Sans s'en tenir        inconfortable, ou mordant, brisant l'élan
 la mécanique du texte sert la narration au     aux définitions trop formalistes du genre        des protagonistes, dont aucun ne peut
 lieu de la submerger. Ailleurs, ce qui         (dont on n'a pas tenu compte volon-              réclamer le statut de héros : leurs batailles
 semblait une économie de l'écriture se         tairement, ou par indécision ?), l'impor-        ne sont ni gagnées ni perdues d'avance
 révèle une « poésie » dont les buts restent    tant réside encore, dans L'enfance est une       puisqu'ils sont confrontés à eux-mêmes.
 aussi flous que les « résumés poétiques »       île comme dans Quittes et doubles, dans le      Dans la nouvelle-titre, une actrice sur le
 précédant les textes.                          thème prépondérant : le narrateur fait           déclin rencontre (voilà la faille nécessaire
                                                toujours un retour en arrière, souvent           à ce genre de nouvelle) un ami d'enfance
 Sous le s i g n e                              dans l'enfance, qu'il baigne dans une            dont elle se souvient vaguement. Pendant
 de l'indécision                                lumière aux accents nostalgiques, comme          le temps qu'ils passent ensemble, elle doit
                                                en témoignent les ouvertures des                 faire face à l'image de jeunefillecomme il
 Le rêve, ou la transgression de la frontière   textes : « Le dimanche est le jour de            faut qu'elle avait projetée dans son
 entre réalité et imaginaire, se retrouve       l'ennui et cela depuis le tout début du          adolescence. Entre cette image et la
 dans un autre recueil de nouvelles paru        monde », « Chaque hiver, au plus blanc           réalité, son interlocuteur a forgé un
 récemment au Québec. Dans L'enfance            de janvier, je suis envahi par une insou-        mythe qu'elle s'applique à détruire,
 est une île 6 de Pierre Chatillon, le          tenable nostalgie du Sud », « Jean-              tranche par tranche. Pendant une nuit,
 narrateur annonce ses intentions dès la        François Papillon était un familier du           elle est ainsi confrontée à sa mémoire,
 première nouvelle, « L'impression-             rêve ». Ainsi, dans la nouvelle-titre, le        terrifiante, avant de reprendre le
 nisme » : le protagoniste, originaire de       narrateur raconte comment il a passé une         quotidien d'une femme qui joue les autres
 Nicolet (bien des personnages du recueil       partie de son enfance sur une île en             pour ne pas devoir se jouer elle-même.
 sont de la région de Trois-Rivières, de        Floride, en compagnie de son père et des             La quête identitaire se poursuit dans
 Nicolet) découvre lors d'un voyage - le        maîtresses de ce dernier. Forcé de rentrer       presque tous les textes du recueil.
 déplacement n'est jamais innocent - la         au Québec, il développe un désir d'éva-          Ainsi, « Exister ? » relate l'histoire d'une
 Baigneuse blonde, une toile de Renoir.         sion qui ne l'abandonnera jamais plus. Ce        femme qui écrit la vie de personnages
 Comme s'il allait faire une illustration des   même désir marque les autres prota-              célèbres (une « négresse » ?). Un éditeur
 postulats de Freud quant au rêve, Pierre       gonistes, qui fuient tous la réalité pour se     lui demande de se mettre sur la piste de
 Chatillon écrit une nouvelle version de la     réfugier dans un monde qu'ils peuplent           Johanna Jankovska, actrice tchèque,
 Gradiva de Jensen, si merveilleusement         de rêves, day dreamers roulant (trop)            morte depuis longtemps, transformée en
 commentée par le psychanalyste. Chez           facilement d'une existence à l'autre, sans       mythe. Mais en suivant ces traces, la
 Pierre Chatillon, la baigneuse sort du         parvenir à transmettre au lecteur l'émo-         journaliste-écrivaine joue son propre sort.
 tableau, elle vit avec le protagoniste, elle   tion qui les force à entrer dans l'irréel. Si    Roger Grenier relève patiemment les
 rentre dans la peinture après avoir aban-      les êtres de Lise Bissonnette sont décapés,      traces du destin, chez Nadine comme
 donné son existence terrestre en se            des cailloux durs qui s'entrechoquent,           chez Annamaria, la protagoniste d'une
 noyant, en compagnie de son amant qui          ceux de Pierre Chatillon ont un goût             autre nouvelle (« Perdonami »), rongée -
 se retrouvera dans l'œuvre impres-             uniforme et inoffensif. Leurs difficultés -      en apparence - par le remords. Une des
 sionniste, caché derrière un rocher. La fin    maladie, âge, amour manqué, etc. - ne            plus belles idées du nouvelliste est sans
 du texte, comme la teneur et la fin de bien    nous émeuvent guère : elles ne con-              doute contenue dans un petit bijou, « La

                                                            N U I T   B L A N C H E
Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit
bille de glace », nouvelle dans laquelle une
passionnée de la congélation fige ses
larmes : c'est moins l'effet de surprise - le                                                                     LA NOUVELLE QUÉBÉCOISE
                                                                                                                       AU XX'SIÈCLE
lecteur de nouvelles en a vu d'autres - que
                                                                Thomas Gunzig        1                            DE U TRADITION À L'INNOVATION
la logique du récit qui séduit. Dans
                                                                H v avait           /
l'univers de Roger Grenier, tout le monde                       quelque chose       '
garde la mémoire du passé, même les                             dans le noir         i
bêtes, comme la vache Mariette, frappée                         qifon n'avait       J
                                                                pas vu              1
de stupeur après avoir été attaquée par un
énorme boa dans son pré. Mariette se                            immOM
souviendra, elle ne reviendra jamais                            Jullmr.l

brouter l'herbe de ce pré-là.
    L'écriture de Roger Grenier, d'une
élégance qui ne se dément jamais, révèle
non seulement la maîtrise incontestable
de l'écrivain solide, mais trahit un métier
immense qui constitue un garde-fou
extrêmement solide contre les dangers
menaçant tout nouvelliste : les dérapages,                                                           dans leur refus, renversant du coup la
le souci exagéré du détail, la lourdeur                                                              structure du monde connu. Le lecteur
dans la description, les débordements,                                                               réclame plus de nuances, des peintures
l'absence de relief des personnages, pour        toire gigogne », à la structure extrême-            plus complètes. La brièveté de la nouvelle
ne nommer que ceux-là. Ces textes, d'une         ment rigide (une armure, plutôt, qui                ne signifie pas un réductionnisme à
trempe différente de ceux d'une Annie            empêche la respiration du texte). Ici, ce           outrance frôlant la caricature. Comment
Saumont ou d'un Jean-Loup Trassard,              n'est pas l'inspiration qui fait défaut, mais       sortir de ce dilemme ?
par exemple, se situent, par la teneur, la       le travail entre auteur et éditeur.                     Une nouvelle voie se dessine avec un
structure narrative, l'impulsion de l'ima-                                                           très jeune auteur, Thomas Gunzig qui, en
ginaire, assez proches de la grande nou-         Histoires dérangées,                                1993, tout juste âgé de 23 ans, publiait
velle anglophone (Katherine Mansfield,           dérangeantes                                        un premier recueil, Situation instable
Patricia Highsmith) : ils racontent des                                                              penchant vers le mois d'août. Dans son
histoires, exceptionnelles, passionnantes,       Les éditions Julliard ont fait paraître deux        dernier, Thomas Gunzig étonne de
brillamment. Redevables aux grands               recueils de nouvelles récemment :                   nouveau par une langue qui réinvente le
maîtres de la nouvelle du XIXe siècle, et se     Histoires dérangées 9 de Pascale Roze,              monde à tout moment. Ce qui semble
rapprochant du modèle « classique », ces         réédition d'un recueil paru en 1994                 d'abord un jeu se révèle rapidement le
nouvelles présentent une structure solide        (Goncourt oblige) et II y avait quelque             moteur même des textes : des images
et sans faille, permettent différents            chose dans le noir qu'on n'avait pas vu 10          d'une force inouïe, des situations cocasses
niveaux de lecture et sont écrites dans une      de Thomas Gunzig. Les histoires de                  qui ont peu à voir avec les rêves, et qui ne
langue polie et travaillée à souhait. Avec       Pascale Roze - à juste titre, l'auteure             prétendent plus à la « vraisemblance ».
Roger Grenier, le plaisir de lire est assuré.    appelle ces textes « histoires », et l'éditeur,     C'est le monde à l'envers, perverti, drôle
    Plus difficile se révèle la lecture du       faute de mieux, « nouvelles » -                     et méchant à la fois, rempli de fantasmes,
recueil Le dévoiement8 de Pierre Lexert.         présentent, à quelques exceptions près,             comme dans le deuxième texte, magni-
Ici, c'est d'abord la langue qui fait défaut :   des femmes, souvent vindicatives ou                 fique, « Sélection naturelle », où le prota-
on se dirait en compagnie de petits              revanchardes. Une vieille s'évade du lieu           goniste échoue sur une île avec la plus
marquis, pratiquant une langue pleine de         qu'elle habite, une jeune frustrée se               jolie fille du monde. Mais au lieu de vivre
préciosités, utilisant un style alambiqué,       bourre de chocolat, une autre, qui court            les moments les plus exaltants possibles,
des phrases et tournures forcées, voire          l'amour impossible, apprend, après une              le jeune homme, handicapé par
tordues, et un vocabulaire vieillot qui se       nuit merveilleuse, que son amant se fera            l'explosion d'une mine qui lui a enlevé
veut recherché, tant dans le récit que dans      prêtre le lendemain. Une autre encore se            toute possibilité de « bricoler » avec le
les dialogues (personne aujourd'hui ne           transforme en arbre, tellement son mari             sexe opposé, assiste à la lente décompo-
parle comme le font ces protagonistes).          la scie. Elles sont toutes sœurs dans le            sition de son rêve.
Puis, au lieu de verser dans le genre de la      malheur, comme cette jeune femme qui                    Mais cette nouvelle, est-ce encore une
nouvelle classique, l'auteur, qui n'est pas      met en marche une moissonneuse-                     nouvelle, avec ses quatre parties
un mauvais conteur, raconte plutôt des           batteuse pour aplatir l'amoureux qui l'a            distinctes, divisées en brèves scènes
histoires, ou des historiettes, gentilles, peu   trahie. L'amour ne visite ces femmes que            numérotées, ou s'agit-il d'un roman
compromettantes, des petites peintures           rarement, mais quand il le fait, il irradie, il     réduit à l'os ? Ici, le texte rend non
aux contours flous, à l'allure poétique (?).     illumine, ainsi Katia que l'amour rend              pertinente la question du genre. Par des
Le lecteur attend en vain le dérapage            lumineuse dans le noir. Malgré une                  touches superposées, d'une extraordinaire
caractéristique de la nouvelle classique,        thématique qui devrait leur conférer une            rapidité, le narrateur (toujours à la
annoncé d'ailleurs dans le titre. Au lieu de     cohérence certaine, ces histoires (bien             première personne du singulier) fait
cela, des petites surprises qui tombent          écrites, bien agencées) ne laissent guère           exploser toute forme de questionnement
presque toujours à plat. La meilleure            plus qu'un arrière-goût amer. Ces                   quant au temps et à l'espace. Il ne s'agit
partie du recueil se cache encore dans les       cruautés sont lassantes parce que                   plus de croire ou de ne pas croire à ce
quatre derniers textes, « Incidents de           répétitives ; dans ces textes dominent le           qu'il nous raconte, mais de nous laisser
parcours », très brefs, beaucoup plus            blanc et le noir ; les hommes restent               séduire par la vitesse avec laquelle il fait
incisifs que les histoires précédentes. Mais     invariablement bouche bée devant des                défiler sa famille, son lieu de travail, la
ils n'arrivent pas à faire oublier des textes    femmes qui se transforment en furies ou             croisière, le naufrage, la vie sur l'île, l'image
comme « La nuit d'Alençon » ou « His-            en démentes si elles ne se pétrifient pas           de lafilledésirée. Ici, comme ailleurs dans

                                                              N U I T      B L A N C H E   .   4 0
Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit
le recueil, le lecteur est aspiré vers               Mais les descriptions de ces scènes,        ne se sentent pas observés. Des textes
la mort qui n'est plus un trou noir mena-        saisissantes et révoltantes, ne sont pas        tristes et pleins d'espoir à la fois, inquiets
çant et apeurant, mais une peau de               pour autant de la littérature. Si elles sont    et inquiétants, loin de la certitude de ceux
banane comme la vie nous en réserve, un          d'un intérêt certain, elles restent avant       qui n'ont jamais senti le poids du regard
accident de parcours, ni plus ni moins           tout des reportages manques, et il aurait       de l'autre que surprend un accent ou une
drôle que d'autres. Ce recueil peint une         fallu en retravailler sérieusement les          façon d'écouter.
danse macabre ; le cliquetis des squelettes      textes. Il ne suffit pas d'une accumulation
ajoute une note joyeuse et un tantinet           d'horreurs, d'imbécillités, d'injustices        Quelques              recueils
inquiétante au concert que jouent des            criantes pour qu'un livre fasse sa marque.
musiciens déchaînés, comme dans « La             Avec Le doigt dans l'engrenage, le lecteur      Deux éditeurs ont réuni dix nouvellistes,
dernière intraveineuse de Jean-Pierre X. »       n'arrive pas à dépasser le stade d'une          avec un bonheur inégal. Dans Dix 13,
Plus de récits linéaires, mais un frac-          lecture au premier degré, et la distance        Grasset présente des textes d'auteurs aussi
tionnement du texte ; plus de marche pe-         entre le sujet et le narrateur reste minime.    connus que Marie NDiaye, Caroline
sante décrivant le sort d'un protagoniste,       Dommage : ce livre aurait pu être une           Lamarche, Lydie Salvayre, Marie
mais une course folle vers l'inconnu :           révélation.                                     Darrieussecq (rappelons Truismes, qui
rarement la nouvelle nous aura-t-elle                Inge Israël s'est établie au Canada         avait remporté un succès éclatant). « C'est
donné des moments de lecture aussi               (Colombie-Britannique) en 1958, après           dehors, c'est la nuit » (Virginie Des-
rafraîchissants.                                 un long périple sur le continent européen.      pentes) donne le ton à ce recueil :
                                                 Poétesse, nouvelliste, elle écrit, à l'occa-    d'emblée, le lecteur est frappé non
Des nouvelles                                    sion, pour le théâtre. Ce qui frappe dans       seulement par la qualité exceptionnelle
d'ailleurs                                       le recueil Le tableau rouge, c'est la variété   des textes, mais par leur audace, la variété
                                                 des lieux (Canada, Japon, Irlande,              des formes, le côté « noir » des prota-
La récolte dans le champ de la nouvelle          Danemark, France, etc.) et la provenance        gonistes (« Je suis le gardien du phare »
d'expression française est, on le voit bien,     des protagonistes : il s'agit pour la plupart   d'Éric Faye, « Famille » de Lydie
de qualité inégale. Qu'en est-il de la           de déracinés qui tentent de s'intégrer à        Salvayre, « L'Équarrissage » de Lorette
nouvelle dite « allophone » ? Deux petites       leur nouvel environnement, traduisant           Nobécourt). Explorant bon nombre
maisons d'édition nous proposent des             ainsi l'expérience personnelle de l'auteur.     d'écritures possibles, du mélange prose-
auteurs venus d'ailleurs : Les Intouchables      Les personnages sont presque toujours           poésie à l'écriture linéaire, ces nouvelles
publient Le doigt dans l'engrenage u , de        jeunes ; ils apprennent la langue du nou-       surprennent, dérangent, démentent
Rachid Tridi, d'origine algérienne, et le        veau pays, observent les autres, évaluent       l'adage voulant que la littérature française
Vermillon présente Le tableau rouge 12,          ce qui les en sépare et leur propre situa-      contemporaine tourne à vide. Certains
d'Inge Israël, polyglotte d'ascendance           tion. Parfois, quand l'écart entre pays         auteurs réinventent carrément le genre en
russo-polonaise, née en Allemagne.               d'origine et pays d'adoption est trop           brisant le récit pour le rassembler sous
    La couverture du recueil de Rachid           violent, ils n'arrivent pas à harmoniser les    une forme différente. N'étant plus
Tridi nous met déjà sur une piste : dans         deux pôles de leur existence (« Pépita »).      redevables aux modèles classiques ils
un geste de défi, une jeune femme aux            La tension dans les textes est amenée           peuvent être considérés comme des
bras nus jette son voile devant une mos-         simplement, logiquement : écart entre           affranchis du genre, pavant des voies
quée. L'auteur raconte en effet une série        l'enfance et l'adolescence, entre le passé et   nouvelles. Dans « Deux éléments »,
d'incidents qu'il situe à Alger, illustrant la   le présent, soif de comprendre l'autre.         Caroline Lamarche dit justement : « [...]
vie dans un pays à la dérive. Ce sont des        Dans « Le Parc de la Paix », par exemple,       j'ai toujours eu pour pratique de me
scènes de la vie privée, d'une violence qui      une Japonaise accoste des étrangers pour        débarrasser de tout de qui pouvait
nous accable et nous fait demander, nous,        leur parler ; sa vie tourne à vide, pour son    entraver ma progression, ce qui explique
Occidentaux, comment on peut vivre               mari et son fils adolescent elle n'est guère    que vous me voyez nue, sans ces petits
dans un système où, sous le couvert              plus qu'une bonne ; elle tente donc de          objets hérités du passé, photos écornées,
du socialisme, un socialisme dénaturé,           saisir un morceau de la vie d'autrui, de        grimoires ouvragés, lettres d'amour ou de
mal compris et mal assimilé, l'individu          personnes qu'elle ne connaît pas, et dont       créance, que chaque humain normale-
est humilié, bafoué dans ses droits les plus     elle peut capter les témoignages au hasard.     ment constitué transporte avec soi, et
élémentaires, laissé pour compte, exploité                                                       dont se nourrit le feu. » Rejet radical,
                                                     Ces textes constituent de beaux exem-
et raillé. Où tout est réglé par une machine                                                     donc, de ce qui fait souvent l'habit du
                                                 ples de l'écriture migrante. Empreints
étatique corrompue et incompétente,                                                              texte, la mémoire. Ces nouvellistes tra-
                                                 d'une profonde nostalgie pour le pays
où la force brute règne, omniprésente,                                                           vaillent massivement à partir de ce rejet ;
                                                 perdu, ils ont des accents d'inquiétude
aveugle et stupide. Personne n'est                                                               de là vient la cohérence du recueil.
                                                 face à un présent précaire et un avenir
épargné, tout le monde est pris dans             incertain (« La visite du roi »). Ce sont des       Que d'autres ne choisissent pas cette
l'engrenage de la violence. Un des textes        tranches de vie où perce un passé dou-          option, ou dans une moindre mesure, ne
les plus forts présente cependant une            loureux, marqué par la guerre, la fuite,        signifie pas pour autant que les textes ne
tranche de vie à Paris (« Harki junior et        une vie difficile et dure où les soucis du      devraient pas trouver une voie qui leur est
la fièvre du samedi soir ») : un jeune           quotidien relèguent au fond de la mé-           propre. De lune à l'autre, Les dissem-
harki, très typé (teint basané, cheveux          moire le souvenir de l'origine. Les enfants     blables u , paru chez Arion, réunit dix
noirs), citoyen français, fait tout pour         de ce recueil sont arrivés à maturité avant     textes, de portée et de valeur inégales, et
se fondre dans la foule des Français.            l'âge, et rarement ils se révoltent contre      dont plusieurs sont résolument tournés
Peine perdue : il se fait invariablement         leur sort (« La main », une des meilleures      vers la mémoire du protagoniste. Sans
repérer comme bicot et bougnoule,                nouvelles du livre). Ils n'ont qu'un but :      doute, les meilleurs sont encore de
dans une ville où tout le monde semble           vivre et survivre, enfermant - c'est là le      Françoise Dumoulin (qui est professeure
vouloir voter Le Pen. Dans une alter-            thème principal du recueil, toujours en         de littérature ; elle connaît le genre,
cation, il perd la tête, vomit sa haine du       sourdine, jamais éclatant - leur angoisse       l'esthétique, les notions de réel et de
racisme et crie combien il est fier d'être       dans des tiroirs dont ils ont caché la clé et   fiction, et le souci de surveiller son
Algérien.                                        qu'ils n'ouvrent qu'en cachette quand ils       discours se fait sentir à tout moment).

                                                      71   .     IIT B L A N C H E     .   4 1
Nouvelles d'un genre dit mineur - Hans-Jürgen Greif - Érudit
Malheureusement, la plupart des autres          aisément que les ampoules électriques...          la résolution de l'ensemble ; la morale ou
auteurs ne semblent pas vouloir entre-          Ce qui n'est pas le cas, comme en témoi-          état final (ouvert ou fermé). Ce modèle
prendre, et de manière conséquente, une         gnent certains des textes présentés, à la         formel varie aujourd'hui à l'infini, bien
recherche approfondie, ni de la forme, ni       note forcée, et manifestement écrits trop         sûr, mais Michel Lord indique ce qui
de la langue, ni de la relation prota-          rapidement. D'autres, par contre, pour-           semble caractériser la nouvelle contem-
goniste-mémoire. Là encore, le travail de       raient passer pour des exemples du genre,         poraine : « la contamination de la fonction
l'éditeur fait sérieusement défaut. La          comme « Contamination » de Michèle                complicative à l'univers entier du dis-
majorité des textes réunis ici auraient dû      Audet, où la relation personnage-narra-           cours ; la prolifération de la fonction
être retravaillés à fond ; dans leur forme      trice reste dans les voies du possible,           evaluative ; la disparition ou le voilement
actuelle, ils présentent trop souvent des       et « Enfants de la nuit » de Stanley Péan,        des deux ou trois autres fonctions du
métaphores éculées, une imagerie sans           texte tout en nuances, délicatement tissé         récit ; la décomposition formelle et sa
vigueur, dans une structure lâche ou            autour d'une femme noire en fugue qui             recomposition, sous forme lacunaire. »
bancale. Il se dégage de l'ensemble de ces      tente de rentrer chez sa maîtresse après          L'auteur donne, comme les autres colla-
nouvelles (qui sont, pour la plupart, des       une aventure dans un motel sordide près           borateurs, d'excellentes pistes de lecture,
historiettes et non pas des nouvelles) un       de Schenectady. Dommage que d'autres              tant théoriques que pratiques.
fond de dilettantisme traduisant un             textes du recueil, prometteurs (comme                 Malheureusement, le cadre de cet
manque d'exigence de la part de l'éditeur.      « Le départ » de Corinne Ouzilleau)               ouvrage collectif ne permettait pas une
    Deux autres recueils, Quartiers divers 15   n'aient pas profité du savoir-faire de            intervention sur la pratique de la nou-
(Vents d'Ouest) et le 150e numéro de la         Stanley Péan.                                     velle. C'est ce qu'entreprend Gilles
revue Stop 16 proposent une autre appro-                                                          Pellerin dans son essai NOMS aurions un
che : écrire sur un lieu donné. Le premier      Écrire des             nouvelles                  petit genre 18. L'auteur est non seulement
joue dans et autour d'un immeuble, rue                                                            nouvelliste lui-même, mais directeur
Marquette à Montréal, tandis que le deu-        Une nouvelle peut s'écrire rapidement,            artistique d'une maison d'édition spé-
xième invite à un voyage à Schenectady,         mais le genre ne pardonne pas les erreurs,        cialisée dans le genre. L'on se rend rapi-
New York. Dans Quartiers divers, les cinq       comme le roman, par exemple, où des               dement compte que ce livre est incon-
auteurs tentent, tant bien que mal, de          passages particulièrement réussis peuvent         tournable, non seulement pour les
tisser une toile où sont emprisonnés les        masquer les faiblesses flagrantes de cer-         amateurs de nouvelles (lecteurs et auteurs
destins des personnages ayant quelque           tains autres. Une bonne nouvelle, surtout         en herbe), mais également pour tout
lien avec l'immeuble en question. Mais          en pleine postmodernité, avec l'éclate-           enseignant en littérature : il situe le genre
l'entreprise échoue : là encore, ce sont des    ment des formes et des structures, trahit         face au roman (« roment », dirait Régine
histoires ou des historiettes au lieu de        rarement le long travail de réécriture, de        Robin, en prenant ses distances), le
nouvelles. (De toute évidence, « Olga,          polissage, de réduction dont elle est le          « grand frère » dont l'ombre reste trop
princesse russe » se veut une nouvelle à la     résultat. Annie Saumont passe et repasse          dense. En même temps, Gilles Pellerin
structure classique, avec une lente ascen-      ses textes jusqu'à ce qu'elle soit « à l'os » :   parle des caractéristiques changeantes, des
sion et une chute brusque, mais le lecteur      impossible d'en retirer un mot sous peine         avenues possibles de la nouvelle, tout au
sait bien que le meurtre est inévitable, et     de voir s'écrouler tout l'édifice. Bien sûr,      long de son livre, instrument hautement
la fin ne le surprend pas. De toute ma-         le nouvelliste peut choisir de ne pas suivre      pédagogique s'il est utilisé à bon escient.
nière, il ne faut pas confondre la chute        cette voie. Alors, quels conseils donner          Le succès mitigé de la nouvelle suscite des
d'une nouvelle - élément assez discutable       aux nouvellistes en herbe ? Sans tomber           questions de politique éditoriale, comme
par ailleurs et utilisé dans la nouvelle        dans le paternalisme, on peut leur sug-           celles du sens de la littérature quand le
contemporaine plutôt comme ornement             gérer de beaucoup lire avant d'écrire, et         cercle des lecteurs rétrécit, non pas de fa-
et non plus comme un élément de                 des lectures aussi variées que possible.          çon inquiétante, mais résolument, dan-
première importance - avec l'élément de         L'important serait de cerner le genre en          gereusement. Qui lit encore ? Et qui lit
surprise d'un roman policier à la manière       tout premier lieu. Une excellente intro-          des nouvelles, en particulier ? Les
d'Agatha Christie.) Là encore, le travail       duction serait La nouvelle québécoise au          statistiques sont éloquentes, tant celles du
editorial fait défaut : réduire l'ensemble      XXe siècle 17, de Michel Lord et André            marché québécois que français, car en
des textes d'au moins un tiers aurait gran-     Carpentier, un recueil d'essais (qui              France, proportionnellement, ce n'est
dement profité à leur portée, ils auraient      auraient pu être plus nombreux) qui               guère mieux... Malgré tout, certains
pu devenir plus percutants. L'impression        couvrent le passage de la nouvelle                éditeurs - pas beaucoup - croient encore,
de « broderie », les détails trop explicites,   terroiriste à la nouvelle postmoderne.            et heureusement, au genre. Il faut dire
les longueurs dérangent particulièrement        André Carpentier, lui-même nouvelliste            aussi qu'il y aura toujours le cercle des
dans des textes dont la minceur du              et co-fondateur de la revue XYZ, La revue         mordus.
propos et du thème percent à tout               de la nouvelle, y ouvre une série de six              L'essai de Gilles Pellerin est passion-
moment, provoquant un effet d'ennui             contributions traitant de quelques aspects        nant, réaliste et par conséquent décou-
mêlé d'irritation.                              essentiels de la production québécoise            rageant par endroits ; l'optimisme n'y fait
    Par contre, plusieurs textes écrits         dans le domaine du genre bref. À                  pourtant pas défaut. Les amateurs de
autour de la ville de Schenectady sont          retenir : l'article de Jean-Pierre Boucher        nouvelles y trouveront une mine de
d'une facture très honorable. Comme le          portant sur l'œuvre d'un des meilleurs            renseignements, dans le domaine de la
mentionne Stanley Péan dans son                 nouvellistes du Québec, Albert Laberge            théorie, et des recommandations de
introduction, le point de départ quant au       (qu'il faudrait rééditer), et des pages           lecture. L'auteur ne donne pas de recette,
choix de cette ville est une anecdote plutôt    lumineuses écrites par Agnès Whitfield,           elle n'existe pas. Mais il recommande des
cocasse : à l'éternelle question posée aux      sur le thème de la traduction. L'article de       façons d'aborder le genre : « Il y a un
écrivains « Mais d'où vous viennent vos         Michel Lord, d'une remarquable clarté, se         imaginaire propre à la nouvelle qui ne
idées ? », Harlan Ellison aurait répondu        base sur les travaux de Jean-Michel Adam,         ressemble qu'à lui-même. C'est de cela
qu'à Schenectady, siège de la General           et présente le « modèle quinaire » de la          qu'il faut parler, de ce système de
Electric, il y a un service d'idées. En d'au-   nouvelle : l'état premier ; sa complica-          signification qui se construit peu à peu
tres termes : les idées sont fournies aussi     tion ; l'évaluation de cette complication ;       chez chaque lecteur, système complexe

                                                            N U I T    B L A N C H E
fait de stratégies narratives, de carac-
térisation de personnages, de sonorités, de
rythme, d'allusions, de perversion de la
réalité et de réfèrent ultimement absent
[...]. Je m'invente en lisant. Parce que je
est un autre, tous les autres, je peux enfin
exister. » _*___.

     1. « La nouvelle et le rêve », par Roland
Bourneuf, dans Le genre de la nouvelle dans le
monde francophone au tournant du XX' siècle, Actes
du colloque de L'Année nouvelle à Louvain-la-
Neuve, 26-28 avril 1994, sous la dir. de Vincent
Engel, Phi, Luxembourg / Canevas, Frasne, /
L'instant même, Québec, 1995, p. 167 ; cité
dans : Nous aurions un petit genre, Publier des
nouvelles, essai, par Gilles Pellerin, L'instant même,
Québec, 1997, p. 148.
     2. Le recueil de nouvelles, Études sur un genre
littéraire dit mineur, par Jean-Pierre Boucher, Fides,
Montréal, 1992 ; cité par Gilles Pellerin, op. cit.,
p. 145.
     3. Bibliographie critique de la nouvelle de langue
française (1940-1985), par René Godenne, Droz,
Genève, 1989 ; cité par Gilles Pellerin, op. cit., p. 145.
     4. Sa femme, par Emmanuèle Bernheim,
Gallimard, Paris, 1993, Le cran d'arrêt, par
Emmanuèle Bernheim, Folio, 1994 (1985) et Un
couple, par Emmanuèle Bernheim, Gallimard, Paris,
 1987.
     5. Quittes et doubles, Scènes de réciprocité, par
Lise Bissonnette, nouvelles, Boréal, Montréal, 1997.
     6. L'enfance est une île, par Pierre Chatillon,
nouvelles, Triptyque, Montréal, 1997.
     7. Quelqu'un de ce temps-là, par Roger Grenier,
nouvelles, Gallimard, Paris, 1997.
     8. Le dévoiement et autres nouvelles (par
endroits inconvenantes), par Pierre Lexert, Stanké,
Montréal, 1997.
     9. Histoires dérangées, par Pascale Roze,
nouvelles, Julliard, Paris, 1997.
     10. // y avait quelque chose dans le noir qu'on
n'avait pas vu, par Thomas Gunzig, nouvelles,
Julliard, Paris, 1997.
     11. Le doigt dans l'engrenage, par Rachid Tridi,
nouvelles, Les Intouchables, Montréal, 1995.
     12. Le tableau rouge, par Inge Israël, nouvelles,
Vermillon, Ottawa, 1997.
     13. Dix, collectif: par Virginie Despentes,
Lorette Nobécourt, Michel Houellebecq, Caroline
Lamarche, Éric Faye, Marie NDiaye, Lydie Salvayre,
Stéphane Zagdanski, Dominique Meens, Marie
Darrieussecq, nouvelles, Grasset / Les Inrockup-
tibles, Paris, 1997.
     14. De lune à l'autre, Les dissemblables,
collectif: Denys Bergeron, Raymonde Dionne,
Françoise Dumoulin, Denis Gervais, Jean Grignon,
Ghislaine Lavoie, Céline Lebel, Marc Lebel, Jean-
Marc Ouellet, J. -R.-René Ouellet, nouvelles, Arion,
Québec, 1997
     15. Quartiers divers, collectif: Françoise Belle,
Daniel Giguère, Andrée Laurier, Anne-Michèle
Lévesque, Claude Mercier, nouvelles, « Rafales »,
Vents d'Ouest, Hull, 1997.
     16. Stop, n° 150, collectif : André Lemelin, Linda
Gorgues, Corinne Ouzilleau, Dominique François
Durand, Jean Désy, Normand Forgues-Roy, Michèle
Audet, Corinne Larochelle, Nathalie Olivier, Tony
Tremblay, Stanley Péan, avril-mai-juin 1997,
Montréal.
     17. La nouvelle québécoise au XX' siècle, De la
tradition à l'innovation, sous la dir. de Michel Lord
et André Carpentier, Nuit blanche éditeur, Québec,
1997.
     18. (Voir note 1.)

                                                             N U I T   B L A N C H E
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