QUEL AGIR INTER-ORGANISATIONNEL ? UNE ANALYSE PAR LES OUTILS DE GESTION LE CAS DE LA DIFFUSION D'UN REFERENTIEL COMMUNAUTAIRE D'EVALUATION ...
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ONZIEME RENCONTRE INTERNATIONALE DU GERPISA ELEVENTH GERPISA INTERNATIONAL COLLOQUIUM Les acteurs de l’entreprise à la recherche de nouveaux compromis ? Construire le schéma d’analyse du GERPISA Company Actors on the Look Out for New Compromises Developing GERPISA’s New Analytical Schema 11-13 Juin 2003 (Ministère de la Recherche, Paris, France) QUEL AGIR INTER-ORGANISATIONNEL ? UNE ANALYSE PAR LES OUTILS DE GESTION LE CAS DE LA DIFFUSION D'UN REFERENTIEL COMMUNAUTAIRE D'EVALUATION LOGISTIQUE DANS L'INDUSTRIE AUTOMOBILE FRANCAISE Aurélien ROUQUET Comme le souligne J-J. Chanaron (2002, p6), l'un des débats majeurs au sein du GERPISA est celui des rapports de forces propres au système automobile, débat qui plus largement s'inscrit dans la recherche d'une compréhension théorique et pratique des liens inter-organisationnels unissant les acteurs d'un système industriel. Plus précisément, qu'est-ce qui fait agir une organisation dans ses relations avec ses partenaires ? Est-ce la conséquence d'un simple rapport de force ? D'une logique d'intérêt telle que décrite par la théorie économique ? De l'instauration de partenariats autour d'une confiance entre partenaires ? Parmi les diverses possibilités théoriques et méthodologiques disponibles pour envisager cette problématique (par exemple : théorie des coûts de transaction, théorie de l'agence, approche en terme de réseau, etc…), il nous semble qu'une approche, construite autour du concept d'outil de gestion, a été jusqu'à présent sous exploitée, alors qu'elle s'avère - et ce sera là le point de départ de cette communication-, tout à fait intéressante pour le faire. En première approximation, un outil de gestion peut se définir comme "toute formalisation de l'activité organisée, de ce qu'elle est ou de ce qu'elle sera, ou encore de ce qu'elle devrait être" (Moisdon, 1997, p7), définition qui englobe ainsi tant les normes ISO qualité que par exemple un indicateur de performance. Longtemps ces dispositifs ont été des "impensés" des sciences de gestion (Berry, 1983), et ont été envisagés dans une optique dite instrumentale, qui consistait uniquement (Oiry, 2002) : d'une part à voir ces dispositifs comme des courroies de transmission de finalités et d'objectifs venant du haut de la hiérarchie, en abandonnant toute la phase de construction de ces outils vue comme non problématique ; d'autre part, à laisser de côté implicitement la question de leur diffusion ou mise en oeuvre, en véhiculant un modèle que la sociologie de la traduction a pour les innovations qualifié de modèle linéaire (Latour, 1992). Si cette approche s'est révélée tout à fait pertinente dans certains cas, tout un ensemble de travaux ont depuis une vingtaine d'années montré que pour certaines problématiques, elle était insuffisante et qu'il était nécessaire d'ouvrir la boîte noire formée par ces outils. De nombreuses recherches se sont ainsi attelées à cette tâche, dans diverses optiques, soit en -1-
proposant une approche globale de la notion (Gilbert, 1998), soit en illustrant les parallèles entre technique et outil (Moisdon, 1997), ou en décrivant leur dynamique et la manière dont ils se contextualisaient au sein d'une organisation, voire éventuellement les différents processus de changement possibles à la suite de leur introduction dans une organisation (David, 1996 ; 1998). Ces réflexions autour des outils ne sont d'ailleurs pas seulement propres à la gestion, on trouve notamment en sociologie des recherches proches des problématiques gestionnaires, avec par exemple les études visant à montrer comment les outils de gestion peuvent aussi servir à légitimer et cristalliser des rapports de force et de domination au sein des organisations (Boussard et Maugeri, 2002). Mais, si ces dernières recherches ont produit de nombreux résultats intéressants, elles se sont jusqu'à présent peu intéressées aux outils de gestion inter-organisationnels, se limitant dans un premier temps au cadre interne, alors que les travaux qui abordaient de près ou de loin ces derniers, continuaient de relever de l'approche instrumentale. Pourtant, l'étude des processus de construction et de diffusion de ce type d'outils de gestion semble potentiellement d'un grand intérêt. Managérial d'abord, puisque les acteurs des organisations affrontent de plus en plus souvent ces situations de gestion, l'industrie automobile voyant par exemple proliférer divers outils au sein des relations entre constructeurs et équipementiers, de l'Echange de Données Informatisées (EDI) et des normes ISO qualité, jusque plus récemment au plateau virtuel pour l'ingénierie collaborative et aux places de marché. Théorique ensuite, d'une part pour envisager la généralisation aux problématiques inter-organisationnelles des résultats des recherches menées en interne, d'autre part, et c'est l'optique sur laquelle nous insisterons ici comme indiqué plus haut, en tant que moyen pour explorer les relations, rapports et connaissances reliant les acteurs dans ce contexte inter-organisationnel. En un mot, l'objectif général de cette recherche est donc de produire une description et une compréhension du processus de construction et de diffusion des outils de gestion inter- organisationnels, dans le cadre spécifique d'une élaboration communautaire. Pour cela, ce champ étant évidemment trop vaste pour être entièrement traité, la recherche s'intéresse aux outils logistiques dans le cadre des relations verticales d'une même chaîne de valeur, pour le cas de l'industrie automobile, le principal résultat attendu de la recherche étant sur la base de ces différents cas, la construction d'un modèle de ce processus. Ainsi, l'investigation des relations inter-organisationnelles se fera donc sous cet angle logistique, ce qui permettra notamment de revenir sur les différentes théories de l'agir inter-organisationnel développées au sein de cette littérature, dans une optique potentiellement critique. Plus généralement, cette analyse et description du fonctionnement inter-organisationnel réel, rendra possible l'établissement en retour de prescriptions d'action pour les acteurs impliqués dans le contexte inter-organisationnel et plus particulièrement dans la construction et la diffusion des outils de gestion inter-organisationnels, afin in fine, d'améliorer l'efficacité de ce processus. Dans cette communication, nous nous concentrerons spécifiquement sur l'un des cas de la thèse : celui d'un référentiel d'évaluation logistique des fournisseurs répondant au nom d'EVALOG, développé par les associations GALIA et ODETTE (associations communautaires sur lesquelles nous reviendrons plus loin). Outre une attente managériale que nous détaillerons plus loin, cet outil a été choisi comme cas d'étude de par son ampleur, rendant nécessaire pour qu'il soit mis en œuvre l'implication de l'organisation dans son ensemble, et permettant ainsi de ne pas nous limiter aux seules relations logistiques. Si nous évoquerons brièvement la phase de construction de l'outil, nous nous focaliserons ici sur la description et la compréhension de son processus de diffusion, phase qui on le verra nous permettra d'analyser les théories de l'agir inter-organisationnel, objet de cet article. -2-
Pour cela, après avoir défini plus précisément ce que nous entendons par outil de gestion, nous commencerons par expliquer en quoi l'approche par les outils peut permettre d'analyser le contexte dans lequel ils visent à s'insérer, à travers notamment les résultats de la littérature quant à la structure des outils et à leur inévitable incomplétude (§1.). Dans une deuxième partie, et puisque la recherche s'intéresse aux outils logistiques, nous reviendrons sur cette approche, l'intérêt de se focaliser sur ce type spécifique d'outils, et identifierons sur la base de la littérature un débat quant au modèle d'efficacité qui devrait sous-tendre l'agir logistique dans les relations inter-organisationnelles. Dans une troisième partie, après avoir brièvement précisé le contexte de la recherche, ainsi que le dispositif méthodologique utilisé, nous proposerons les résultats provisoires actuels que l'on peut tirer du cas EVALOG, et avancerons notamment une thèse permettant d'expliquer selon nous l'échec actuel de l'outil, thèse en phase avec les derniers événements ayant marqué la diffusion de l'outil (§3). Au final, cela nous permettra de conclure par quelques perspectives et propositions intéressantes pour envisager l'approche logistique au sein des relations inter-organisationnelles, ainsi que plus généralement les théories de l'agir dans un tel contexte (§4). L'APPROCHE PAR LES OUTILS DE GESTION OU COMMENT INVESTIGUER UN CONTEXTE Dans cette première partie, nous revenons sur les principaux résultats de l'approche par les outils de gestion, fruits rappelons-le de recherches intra-organisationnelles, et dont la généralisation au contexte inter-organisationnel est une des problématiques posées par la thèse. Pour montrer que l'analyse d'un contexte par les outils de gestion visant à s'y insérer et/ou à le modifier présente un intérêt, nous commencerons tout d'abord par définir brièvement ce que recouvre le concept d'outil de gestion (§1.1.), avant ensuite de revenir sur les résultats de la littérature quant à leur structure (§1.2.). Sur cette base, nous mettrons alors en lumière leur inévitable incomplétude, à travers ce que l'on peut qualifier de distance outil/organisation (§1.3.). Puis, nous verrons que les deux résultats précédents peuvent parfaitement être appliqués pour analyser les techniques de pilotage du changement visant à mettre en œuvre ou diffuser les outils (§1.4.) Au final, ces points nous permettront d'expliciter en quoi l'approche par les outils de gestion s'avère pertinente en tant que moyen pour investiguer un contexte organisationnel (§1.5.). Qu'est-ce qu'un outil de gestion ? Comme tout concept, le terme d'outil de gestion est porteur d'un certain flou sur la réalité qu'il recouvre, d'autant que de très nombreux termes sont utilisés pour décrire une réalité équivalente ou peu différente au sein des recherches gestionnaires : certains parlent ainsi plutôt d'appareil gestionnaire (Hatchuel et Weil, 1992), d'autres d'instruments (Gilbert, 1998), d'autres encore de dispositifs de gestion (Moisdon, 1997), et le terme d'innovation managériale apparaît lui aussi très proche (David, 1996). Pour autant, comme le remarque Saubesty (2002), c'est incontestablement ce concept d'outil qui est le plus utilisé, à travers deux définitions qui font référence, celle de Moisdon (1997, p7) pour qui un outil de gestion désigne "un certain ensemble de raisonnements et de connaissances reliant de façon formelle un certain nombre de variables issues de l'organisation, qu'il s'agisse de quantité, de prix, de niveaux de qualité ou de tout autre paramètre, et destiné à instruire les divers actes classiques de la gestion, que l'on peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prévoir, décider, contrôler", et celle de -3-
David (1996), qui, dans une définition relativement large, avance que l'on peut parler d'outil dès lors que l'on est en présence d'un "dispositif formalisé permettant l'action organisée". De ces deux définitions, il est possible de faire ressortir deux caractéristiques essentielles des outils de gestion. En premier lieu, un outil est au service d'une action, il vise fondamentalement à améliorer l'action collective, il en est un support, et une de ses justifications est son aide pour repousser les limites de rationalité des acteurs, pour leur permettre de mieux agir (Simon, 1983). En second lieu, l'outil de gestion est un artefact, un construit technique et social qui se pense comme tel, et est donc orienté vers un but, finalisé. D'où la notion importante de formalisation : un outil de gestion ne saurait englober les dispositifs organisationnels non pensés sciemment, ce qui exclut de ce champ d'analyse par exemple toutes les règles informelles (Moisdon, 1997). Si de nombreux débats sur le terme adéquat à utiliser traversent la littérature, Oiry (2002) soulignant par exemple que le terme de dispositif de gestion semblerait plus pertinent dans la mesure ou la notion d'outil porte en elle une dimension très instrumentale, nous n'entrerons bien évidemment pas ici dans ces discussions : parce que comme on l'a déjà souligné, la littérature parle plus facilement d'outils, c'est ce terme que nous utiliserons et il sera vu ici comme synonyme d'instruments ou de dispositifs de gestion. La définition sur laquelle nous nous baserons sera celle de David (1996). De la structure ternaire de tout outil de gestion Au-delà de ces problèmes de définition, la littérature ayant ouvert la boîte noire formée par les outils de gestion s'est notamment attachée par le biais de différentes recherches à comprendre et décrire leur structure. Par exemple Gilbert (1998, p47) propose de l'analyser à travers une grille de lecture décrivant les quatre niveaux sur lesquels tout outil se fonde, d'un pôle dit "spéculatif" à un pôle dit "pratique" (autrement dit de l'abstrait au concret) : un niveau argumentatif (croyances, normes de comportement, hypothèses implicites…) ; un niveau conceptuel (les notions générales et abstraites auxquelles il est fait appel) ; un niveau procédural (le schéma de raisonnement qu'il suit) ; un niveau opérant (caractéristiques visibles et concrètes destinées à produire un effet). Si cette analyse apparaît pertinente, nous retiendrons ici pour envisager la structure des outils la description que proposent Hatchuel et Weil (1992). Parce qu'elle est incontestablement la plus citée dans la littérature (David, 1996 ; Moisdon, 1997 ; Gilbert, 1998), mais surtout en tant que tout à fait pertinente pour notre propos, car, comme on va le voir, elle se fonde sur la notion de modèle, concept éclairant pour comprendre l'inévitable incomplétude de tout outil de gestion et l'intérêt d'approcher un contexte par les outils (voir ci- après). Pour Hatchuel et Weil (1992), une fois construit, tout outil procède de trois éléments en interaction, respectivement un substrat technique, une philosophie gestionnaire et une représentation idéale de l'organisation qui peuvent être définis comme suit : -4-
Un substrat technique : il s'agit de l'abstraction, de la composition de symboles rendant sa représentation possible, ainsi que des éléments concrets permettant son fonctionnement. Une philosophie gestionnaire : l'outil exprime une philosophie de l'action. "Philosophie gestionnaire et modèle d'efficacité constituent un modèle d'action" (David, 1998, p54). Une représentation idéale de l'organisation : "l'outil véhicule implicitement une organisation idéale, c'est-à-dire celle qui devrait exister pour que l'outil fonctionne parfaitement" (David, 1998, p54). A partir de cette description structurelle, David va plus loin dans l'analyse, d'abord en proposant sur cette base une classification des outils de gestion en trois catégories, suivant qu'ils se focalisent d'abord sur les connaissances (les outils pour produire de nouvelles connaissances), ou plutôt sur les relations (les outils instaurant de nouvelles relations ou changeant celles-ci), ou qu'ils soient d'entrée mixtes, traitant à la fois des connaissances et des relations engageant les acteurs (David, 1996). Ensuite, en revenant sur la structure définie plus haut, et en avançant qu'il faudrait mieux parler de celle-ci en terme de triple modèle : le substrat technique pouvant être assimilé à un modèle formel, la philosophie gestionnaire a un modèle d'efficacité, et la représentation idéale de l'organisation à un modèle organisationnel (David, 2003). Pour donner un exemple concret avec un outil bien connu, en suivant ces résultats, un cercle qualité apparaît être un outil de gestion mixte, dont la structure peut s'analyser comme suit (David, 1996) : Modèle formel : la composition du cercle (liste des personnes en faisant partie), les réunions proprement dites et leurs règles de fonctionnement, les dispositifs permettant de consigner et de synthétiser les résultats des réunions. Modèle d'efficacité : encourager et canaliser de manière efficace l'expression des salariés dans un but de mobilisation et d'amélioration de la qualité. Modèle organisationnel : dans une version naïve des cercles de qualité, on imagine des ouvriers et des techniciens assis en cercle dans l'atelier et élaborant des plans d'amélioration de la qualité sous l'œil attentif et respectueux des responsables et animateurs du cercle. De l'inévitable incomplétude de tout outil de gestion Si cette analyse en terme de structure présente de nombreux intérêts, par exemple pour analyser les changements des modèles sur lesquels se basent les outils au fil de l'histoire des entreprises (les outils correspondant à l'âge de la production de masse n'étant pas les mêmes que ceux élaborés dans une économie dite de variété ou dans ce qu'on qualifie aujourd'hui de capitalisme à innovation intensive, Cohendet, Krasa et Llerena, 1988), elle permet notamment, et c'est là ou elle nous sera utile dans notre recherche, de poser l'inévitable incomplétude de tout outil, rendant à chaque fois problématique la rencontre d'un outil avec une organisation. En effet, cette structure décrit tout outil comme l'interaction de trois modèles, modèles qui sont par nature incomplets dans leur représentation de la réalité (Hatchuel et Weil, 1992). Plus précisément, David (1996), illustre cette incomplétude au moyen de deux concepts : en posant que l'introduction d'un outil au sein d'une organisation se fait par un processus de -5-
contextualisation, il définit un "degré de contextualisation" qu'il faut comprendre comme "un état ou un processus particulier de transformation réciproque de l'outil par les acteurs et des acteurs par l'outil" (1996, p17) ; ce degré de contextualisation interne peut par ailleurs être compris comme une mesure de la "distance" qui existe, à un moment donné de l'histoire d'un outil au sein d'une organisation, entre cet outil et cette organisation" (1996, p17). Suivant cette optique, il est alors possible, en définissant un dernier critère pour classer les outils, à savoir leur degré de formalisation (l'outil pouvant être soit complètement formalisé, normalement prêt à l'usage, ou au contraire relativement vague, juste une idée à concrétiser parles acteurs), de proposer un modèle permettant d'identifier le point de départ de l'introduction d'un outil au sein d'une organisation (David, 1996, p19)1 : 4. Mot d'ordre 1. L'innovation n'est 100% superflu pas une innovation Points de départ opérationnels Degré de possibles contextualisation interne 0% 3. Mot d'ordre incompréhensible 2. Innovation "clés en main" Degré de 0% formalisation 100% Figure 1 : Quatre états initiaux extrêmes pour un outil de gestion (tiré de David, 1996, p18) A partir de ce point de départ identifié, il faut comprendre qu'on peut théoriquement suivre au cours du temps l'évolution conjointe de l'outil et de l'organisation. Si le processus est bien géré, idéalement, la distance outil/organisation devrait alors converger vers zéro, vers une "parfaite" contextualisation (outils et organisation évoluant respectivement de manière croisée pour cela). Des résultats applicables au pilotage du changement Mais, comme le souligne David (1996), l'introduction d'un outil au sein d'une organisation nécessite une démarche intentionnelle, au moins de la part de certains acteurs de l'organisation. Pour cela, ces derniers, une fois l'outil construit vont nécessairement piloter le changement, au moyen de dispositifs, techniques et d'outils. Logiquement, ces outils de gestion du changement ont donc les mêmes propriétés structurelles que les outils de gestion et 1 Dans son article, David parle d'innovations managériales, mais on peut très bien parler à la place d'outils de gestion, comme on l'a dit en introduction. C'est d'ailleurs ce seul terme qui est désormais utilisé par David (2003) -6-
vont donc renvoyer à une même structure ternaire, à dire qu'ils reposent eux aussi sur un triple modèle. Il y a là aussi une même incomplétude, et une même distance outil/organisation. Plus précisément, dans ce cadre, les trois éléments de la structure deviennent les suivants : Modèle formel : ensemble des outils et procédures utilisés pour piloter le changement ; Modèle d'efficacité : il correspond ici à la théorie de l'efficacité du dispositif de pilotage ; Modèle organisationnel : il renvoie non plus à une représentation simplifiée de l'organisation, mais à une représentation idéale des processus de changements. C'est par exemple dans cette optique que David (1998) identifie cinq modèles idéaux- types de pilotage du changement, en fonction de trois critères : leur orientation plutôt sur les relations, plutôt sur les connaissances ou mixtes ; leur degré de formalisation ; leur degré de contextualisation. Il nous faut cependant souligner avant de conclure cette partie, que cette présentation en deux étapes - des outils, et ensuite un pilotage du changement - ne signifie pas la linéarité des liens entre outils puis le changement. Ne serait-ce par exemple que parce qu'un outil de gestion peut être dès son origine un outil de gestion et d'accompagnement du changement, ou parce que ces deux phases peuvent être concomitantes, dans le cas par exemple où l'outil va servir à l'organisation à mieux se représenter un environnement changeant… L'échec de la contextualisation d'un outil ou la crise d'un ou plusieurs modèles sous-jacents aux outil et/ou au pilotage du changement Dès lors, en suivant ce cadre théorique, l'étude de la contextualisation et/ou diffusion d'un outil de gestion peut donc être faite en identifiant les différents modèles sous-jacents à la structure de l'outil et au pilotage du changement dans un contexte déterminé. Et, en cas d'échec de sa contextualisation ou de sa diffusion au sein d'une population d'organisation, il est logiquement possible de poser comme explication l'existence parmi un ou plusieurs des modèles sous-jacents à la structure et au pilotage du changement, d'une dissonance voire éventuellement d'une crise dans leur représentation de la réalité organisationnelle. On comprend dès lors tout l'intérêt de l'analyse d'un contexte par les outils de gestion. En effet, on peut dire avec Moisdon, qu'un outil est "toujours une version simplifiée, même imparfaite, de la situation à laquelle sont confrontés les acteurs qui sont censés l'utiliser ou le subir" (1997, p43). Et, par rapport à cette vision simplifiée, par rapport à ces triples modèles qu'il est possible d'identifier aussi bien pour la structure que pour le pilotage de son introduction, on va pouvoir en analysant la rencontre outil/organisation, voir si ces modèles étaient pertinents, et en cas de réponse par la négative apprendre du fonctionnement organisationnel réel, autrement dit le révéler. Mais ces analyses internes sont-elles valables dans un contexte inter-organisationnel, pour des outils impliquant plusieurs organisations ? Quelle est la place de l'échange, du rapport marchand dans un tel contexte ? A ces questions que pose la recherche, nous donnerons les premiers éléments de réponse dont nous disposons en conclusion de cette communication. -7-
QUEL AGIR LOGISTIQUE INTER-ORGANISATIONNEL ? Si, comme on vient de l'expliquer, en analysant des outils de gestion inter- organisationnels, la recherche vise à investiguer les relations inter-organisationnelles et notamment l'agir organisationnel dans ce contexte, il faut cependant voir qu'elle le fait de manière spécifique, sous un angle qui est celui de la logistique. D'abord du fait de l'impossibilité d'étudier tous les outils inter-organisationnels imaginables et pour se concentrer sur une sous-classe particulière d'outils. Mais la recherche le fait surtout parce qu'en retour, faire ce choix, c'est pouvoir étudier cette approche gestionnaire, et notamment identifier à travers les outils le modèle d'efficacité soutenant l'approche logistique, autrement dit les raisons justifiant l'agir sein des relations inter-organisationnelles selon elle, et évidemment les éventuelles crises de ce modèle. Avant de préciser plus loin les premiers résultats de cette investigation à travers le cas EVALOG, il est évidemment nécessaire et indispensable de revenir sur la littérature logistique, pour identifier a priori les différents modèles d'efficacité prônés par cette dernière au sein des relations inter-organisationnelles, afin de pouvoir ensuite les comparer aux modèles d'efficacités inscrits par les acteurs dans les outils, et in fine revenir sur leur plus ou moins grande pertinence. Pour cela, nous commencerons par rappeler qu'historiquement, l'approche logistique fonde et construit son modèle d'efficacité sur un constat interne de dysfonctionnement des départements d'une même organisation, et sur la nécessité d'une coopération inter-fonctionnelle servant une meilleure intégration interne (§2.1.). Dans un deuxième temps, nous constaterons que très rapidement et même simultanément, la logistique a étendu son spectre de l'interne à l'externe, en s'intéressant à l'ensemble des flux circulant sur une même chaîne de valeur, sur la base du même modèle. Ce courant dominant de la littérature logistique prônant une intégration de la chaîne de valeur peut être regroupé sous l'appellation "d'approche lean" (§2.2.). Enfin, nous verrons que certains auteurs sont très critiques sur le bien-fondé de cette théorie de l'agir pour ce qui est des relations inter- organisationnelles, à travers ce que l'on peut qualifier d'approche en terme de "pouvoir relationnel", prônant on le verra un agir très proche du modèle d'action économique (§2.3.). L'agir logistique en interne ou de la nécessaire intégration des flux En première approximation, la logistique peut être envisagée "comme une philosophie de management transversale aux différentes fonctions de l'entreprise" (Aurifeille et al, 1997, p171). Bien que le concept de logistique date du milieu du 19e siècle et ait une riche histoire dans la sphère militaire, la logistique en tant qu'approche globale de la circulation physique des flux apparaît comme relativement récente dans le paysage des sciences de gestion, puisqu'elle ne naît réellement que vers la fin des années soixante-dix (Ballou, 1992). Auparavant en effet, personne n'avait encore soutenu comme le fit Heskett (1977, p85) que la logistique puisse "représenter la différence entre le succès et l'échec en affaires", et les opérations physiques permettant la circulation des flux n'étaient envisagées majoritairement que sous un angle strictement opérationnel (Ballou, 1992). S'il est toujours difficile d'expliquer les raisons et conditions ayant conduits à sa reconnaissance à ce moment précis, il semble toutefois selon les différents travaux (Ballou, 1992 ; Tixier, Mathé et Colin, 1996 ; Paché & Colin, 2000), que deux facteurs puissent l'expliquer. -8-
D'abord, son émergence est la conséquence, pour les pays industrialisés, du passage progressif au cours des années 70, d'une économie de pénurie où domine la demande par rapport à l'offre, à une économie où cette hiérarchie est inversée, passage entraînant de la part des entreprises une attention accrue aux problématiques de gestion des flux envoyés sur le marché. Dans une telle économie en effet, le risque que ces produits ne trouvent pas preneur en arrivant devant les acheteurs devient élevé, et il apparaît nécessaire de les piloter désormais par l'aval (Heskett, 1977), et de développer des techniques, méthodes et théories pour ce faire. Ensuite, cette nécessité de pilotage par l'aval créant en quelque sorte un objet nouveau d'attention qui est celui de la logistique, à savoir le flux ou processus, cette dernière va en essayant de le gérer identifier aux interfaces des différents départements et fonctions de l'entreprise des dysfonctionnements empêchant leur bonne continuité. Elle va alors prôner pour améliorer la circulation des flux une meilleure transversalité, un décloisonnement des différents sous-systèmes de l'entreprise vers une approche globale, systémique, des interactions entre les départements d'une même chaîne de valeur pour une meilleure intégration. Généalogiquement, l'approche logistique se fonde donc sur cette nécessité d'intégration interne des flux, avec à la base un principe simple, d'origine systémique : deux optimisations partielles internes à deux départements ne font pas nécessairement une optimisation globale, et il y a un besoin d'intervenir aux interfaces de ces départements, pour faire en interne ce que la littérature anglo-saxonne qualifie de "trade-off", concept que l'on peut traduire en français par celui "d'arbitrage" (un exemple archétypique étant celui des relations entre production et marketing, entre un besoin de standardisation des produits et celui de leur customisation, se traduisant par exemple par le concept de "postponement" ou différenciation retardée). Finalement, dans ce cadre interne, le modèle d'action à suivre par les acteurs de l'organisation apparaît schématiquement être le suivant : par rapport aux flux et processus de l'organisation, qui mettent en jeu en les traversant différents départements aux cultures et objectifs différents, la logistique met en lumière la nécessité pour les acteurs de favoriser leur continuité et leur fluidité, en instaurant une gestion des interfaces inter-fonctionnelles qui permettra une meilleure coordination des ces départements, dans le but d'éliminer les dysfonctionnements (d'ou la notion de "lean"), et in fine d'améliorer la valeur crée par une organisation (voir figure 2 ci-dessous). Achat Production Distribution Figure 2 : Interfaces interfonctionnelles (tiré de Paché et Colin, 2000) -9-
La généralisation à l'ensemble de la chaîne de partenaires : l'approche "lean" en terme de "Supply Chain Management" Très vite, presque simultanément d'ailleurs2, l'approche logistique va étendre son spectre, et penser l'intégration des flux non plus en se limitant à ceux circulant en interne, mais en visant à étendre son champ de compétence à ceux impliquant l'ensemble des partenaires d'une même chaîne de valeur, avec notamment le développement du concept de "Supply chain Management" (SCM). Pourquoi en effet le constat interne ne s'appliquerait-il pas aussi à l'ensemble de la chaîne de partenaires ? Pourquoi ne pas essayer de mettre fin également aux inefficiences dans la circulation des flux de façon globale ? C'est ainsi que de nombreuses recherches logistiques, en s'appuyant notamment sur ce concept de "SCM" vont définir une nouvelle approche des relations inter-organisationnelles servant ce but. De manière schématique, si l'on fait une synthèse de la littérature, et même si l'on trouve en son sein de nombreux débats, par exemple quant à l'identité du tout qualifiant une "Supply chain", on voit ainsi nettement un courant se dégager, que l'on peut qualifier de "lean". Selon ces travaux, il y a une nécessité d'aller au-delà des conflits caractéristiques des relations inter-organisationnelles, conflits qui sont improductifs pour tout le monde (Munson & Rosenblatt, 1999), Ainsi, dans leurs définitions du "SCM" tous les auteurs insistent sur la nécessité d’intégrer/coordonner/gérer ces processus. Là aussi, il faut remettre en cause les frontières, comme cela a été le cas en interne, mais désormais entre organisations, dans le but ultime de considérer l'optimisation de la chaîne de partenaires dans son ensemble. Ainsi, selon Lummus et Vokurka (1999, p12), "le point essentiel [de l'approche] est que le processus dans sa totalité soit envisagé comme un seul système". Fondamentalement, ce qui justifie cette nécessaire intégration inter-organisationnelle, c'est ce que certains auteurs appellent le changement de paradigme dans l'appréhension de la compétition entre organisations. Si, traditionnellement, l'unité d'analyse de la stratégie était l'entreprise dans son environnement, pour Christopher (1998, p28) : "nous entrons dans l'ère de la compétition supply chain contre supply chain", point de vue partagé par de nombreux autres chercheurs, comme par exemple Fawcett & Cooper (2001, p409). Dès lors, les différents travaux avancent qu’il est indispensable pour les entreprises d’établir des relations de coopération où la confiance a un plus grand rôle. Par exemple, Christopher reprend le célèbre dilemme du prisonnier et écrit qu’il est primordial pour les entreprises de passer à des relations de type gagnants-gagnants, soutenant d'ailleurs "qu'il y a une reconnaissance de plus en plus forte par les entreprises que le partenariat et la coopération sont plus intéressantes pour elles que le conflit et la défense de leur propre intérêt" (1998, p240). Le modèle d'action sous-jacent à cette approche apparaît être, avec un plus haut degré de complexité certes, peu ou prou le même que celui construit pour l'interne : il faut travailler à réduire les différents dysfonctionnements inter-organisationnels le long de la chaîne de valeur, pour que le fonctionnement de toute la chaîne puisse être amélioré, ce qui pourra permettre in fine au système de générer plus de valeur et par là d'éviter et/ou réduire les inefficiences. Si l'on fait bénéficier de ces gains l'ensemble de ces partenaires, tout le monde 2 Cette vision du développement de la logistique, d'abord s'intéressant à l'interne, puis à l'externe est évidemment idéal-typique. Dans les faits, l'interne et l'externe ont été pensés dans un même mouvement. En présentant le développement de cette manière schématique, on vise surtout à illustrer le fait que ce passage, qui pouvait apparaître problématique (notamment car en externe, on se trouve directement en présence d'un rapport économique) est resté pour une large part inconscient. - 10 -
aura logiquement intérêt à suivre et appliquer ce modèle d'action, et les différentes organisations impliquées seront toutes gagnantes. C'est ce qu'illustre la figure 3 qui suit : Fournisseur Industriel Distributeur Figure 3 : interfaces externes, le système de chaînes de valeur logistique (tiré de Paché et Colin, 2000) L'approche en terme de "pouvoir relationnel" ou une crise possible du modèle d'efficacité logistique traditionnel ? Si la majorité de la littérature logistique s'inscrit incontestablement dans ce courant, il existe cependant tout un ensemble de recherches critiques envers les thèses de l'approche "lean". D'une part, comme on l'a évoqué plus haut, des travaux questionnent le sens du tout formé par une "supply chain" : partant du constat que des organisations participent bien souvent à plusieurs chaînes, ils se demandent ainsi quel est alors le sens de ce tout à optimiser, et si cette multi-appartenance n'est pas potentiellement génératrice de conflits. D'autre part, autour notamment des travaux développés par Cox, tout un champ de recherche critique le modèle d'action prôné par l'approche "lean". Pour en faire la critique, ce dernier (1999, p168) part d'un constat relativement simple : ces propos quant à l'action logistique à suivre au sein des relations inter-organisationnelles restent très normatifs, et s'appuient sur un postulat majeur : "la compétitivité proviendra de la capacité des entreprises à améliorer la performance de l'ensemble de la "supply chain", de manière à pouvoir délivrer aux clients plus de valeur". Or selon ce dernier (1999, p171), "essentiellement, le but d'une entreprise est de s'approprier de la valeur pour elle ; ce n'est absolument pas d'en délivrer aux clients, à moins que les circonstances décrètent que c'est la seule (et c'est en général la moins désirable) option disponible pour qu'une entreprise assure sa survie". Dans ce cadre, l’intégration inter-organisationnelle et la coordination prônées par l'approche "lean" ne doivent plus être considérées selon lui comme des fins en elles-mêmes, mais plutôt comme des moyens possibles pour une entreprise de s’approprier plus de valeur. Ainsi, il faudrait plutôt chercher des facteurs de contingence quand à la coopération et à l'intégration nécessaire entre les organisations, suivant les structures des supply chains, contingence notamment en terme de pouvoir. Pour lui, le modèle d'action que doivent suivre les entreprises est clairement le suivant : "les entreprises doivent faire ce qui est approprié suivant la structure du pouvoir relationnel dans laquelle elles se situent" (1999, p171). Tout cela car, "il doit y avoir des conflits d'intérêts objectifs entre les participants d'une "supply chain" (…) car chacun des partenaires va essayer de s'approprier de la valeur pour sa participation, et, si l'on suit la théorie de l'action économique rationnelle, le fera bien évidemment si elle est en position de le faire" (p172). Cox, avec d'autres auteurs comme Paché & Bacus-Montfort (2002) ou Fabbe-Costes (2002), souligne finalement l'existence, au-delà de la nécessité d'intégration de la chaîne justifiée par des constats de dysfonctionnements opérationnels, de problématiques de pouvoir et de stratégies entres les membres de la chaîne de valeur. Pour le mettre plus précisément en lumière, il différencie la "supply chain", qui concerne les différentes étapes transformant des matières premières en produits finis, de la "chaîne de valeur" qui va concerner la proportion - 11 -
de valeur consommée par chaque partenaire dans ses opérations. A partir de cette distinction, il pose le problème de la relation entre ces deux chaînes à travers le concept de relation d'échange, qui va définir le partage des revenus entre les acteurs en fonction des différentes étapes de transformation des biens (voir figure 4). Ce que soulignent Cox et Al. (2001), c'est que cette relation d'échange va toujours, si l'on suit le modèle d'action économique, apparaître comme problématique et génératrice de conflits d'intérêts. Il oppose finalement au modèle d'efficacité logistique un modèle d'action qu'on peut qualifier d'économique : une entreprise doit agir en fonction de son intérêt propre, et cet intérêt est directement relié au pouvoir relationnel dont elle dispose. Dès lors, le modèle d'action prôné par l'approche "lean" ne peut connaître qu'une crise, chacun essayant nécessairement de s'approprier le plus de valeur possible au détriment des autres partenaires, en fonction de rapports LA CHAINE DE VALEUR Les fournisseurs consomment une proportion du revenu que le client final fournit en échange des produits finis et services Client final fournissant LA RELATION D'ECHANGE 100% de la Le partage du revenu qui est fournit par Matières les acheteurs aux fournisseurs dans premières non valeur pour l'échange de ce qu'ils fournissent à les produits et chaque étape de la supply chain extraites ou services non offerts par une développées supply chain LA SUPPLY CHAIN Les étapes productives nécessaires pour transformer les matières premières en produits finis ou services Figure 4 : Supply Chain et Chaîne de valeur, tiré de Cox et Al., 2001, p5 Evidemment, cette présentation des deux courants est schématique, presque idéal- typique au sens de Weber (1992) et les auteurs ne sont évidemment pas aussi catégoriques dans leurs analyses qui se situent sur un continuum entre ces deux idéaux-types. Cependant, il apparaît que la littérature en logistique et en "SCM" propose a priori deux modèles d'action antithétiques au sein des relations inter-organisationnelles, les uns prônant une coopération permettant d'intégrer les flux et processus circulant sur la chaîne de valeur, dans l'optique d'un partage entre tous des gains opérés, les autres avançant que les stratégies des organisations dans ce contexte ne sauraient être guidées par autre chose que des rapports de force, la poursuite de leur propre intérêt. On a ici affaire à ce que l'on peut qualifier de deux métaphysiques de l'action (Hatchuel, 2001), dont on va pouvoir, à travers l'étude d'un outil logistique, notamment en identifiant le modèle d'efficacité qu'il véhicule, voir laquelle est plus inscrite dans l'outil que l'autre, si elles ne sont pas toutes deux présentes à la fois, et en quoi - 12 -
finalement elles sont pertinentes ou non dans leur modélisation du fonctionnement organisationnel réel. RESULTATS PROVISOIRES DE LA RECHERCHE : DE LA NECESSAIRE COEXISTENCE DE DEUX MODELES D'ACTION ? Pour présenter les résultats provisoires de la recherche, nous commencerons par revenir brièvement sur le contexte de la recherche, l'association GALIA dans laquelle se déroule cette thèse, ainsi que sur le dispositif méthodologique utilisé pour étudier l'outil EVALOG (§3.1.). Puis, nous décrirons les différentes étapes du processus de construction et de diffusion du référentiel EVALOG telles qu'elles peuvent être comprises à l'heure actuelle, en identifiant notamment les modèles sous-jacents à la structure de l'outil et au dispositif de pilotage du changement soutenant sa diffusion (§3.2.). Cela nous permettra alors, après avoir constaté l'échec partiel actuel, de conclure par une proposition permettant de le comprendre, sur la base des derniers développements actuels ayant marqué la vie de l'outil (§3.3.) Contexte et méthodologie de la recherche : une recherche intervention au sein de GALIA, le Groupement pour l'Amélioration des Liaisons dans l'Industrie Automobile GALIA est une association fondée en 1984 à l'initiative des deux constructeurs français, PSA Peugeot Citroën et Renault, avec comme mission fondatrice l'élaboration des standards de l'industrie automobile française pour l'Echange de Données Informatisées (EDI). Dès sa création, l'association a regroupé au sein de sa structure les constructeurs et principaux équipementiers et fournisseurs français (une cinquantaine au départ, dont les plus importants, comme Michelin, Valéo, Bertrand Faure…), afin que les travaux produits soient co-construits par l'ensemble des acteurs du secteur concernés par les échanges, et soient donc reconnus comme légitimes. Au même moment, et car l'élaboration des normes EDI ne pouvaient se faire qu'à un niveau européen, a été crée ODETTE (Organisation pour les Données d'Echange Télé-Transmises en Europe), association regroupant à l'origine GALIA et les organisations jumelles de cette dernière dans 7 autres pays européens. Depuis 1984, et en lien avec ODETTE, l'association a évidemment évolué avec le temps, et ses buts se sont progressivement déplacés vers un champ d'action beaucoup plus vaste qu'à l'époque de sa création. D'une optique principalement technique et normalisatrice (définition du langage ODETTE de l'EDI et des différents messages employés), l'association se focalise aujourd'hui sur la construction de standards et d'outils concernant les échanges pour les relations amont de l'industrie automobile, sans se limiter à la perspective de départ. Ainsi, GALIA définit aujourd'hui ses domaines de compétence autour des trois métiers que sont la logistique, l'ingénierie, et le B2B, et sa mission englobe d'autres phases que la construction des standards proprement dite : la formation, la communication aux membres et aux prestataires de service informatiques des attentes du secteur, l'aide à la mise en œuvre de leurs outils et recommandations, tout en essayant de défendre les intérêts de la communauté française dans les organismes régionaux ou mondiaux élaborant des standards et outils dans son domaine de compétence. Pour élaborer ces standards, recommandations et outils, GALIA fait appel aux cadres de l'industrie automobile, en réunissant dans des groupes de travail des représentant des acteurs de l'industrie, des constructeurs aux équipementiers de rang 1 et 2 (même si la présence de ces fournisseurs de second rang est relativement faible). Ces réunions sont - 13 -
animées par un chef de projet travaillant au jour le jour au sein de l'association, et spécialiste d'un des domaines fonctionnel cité plus haut. Une fois ces travaux terminés, ce qui prend en général une année au minimum, les résultats sont présentés à un Comité fonctionnel composé de représentants plus hauts placés dans la hiérarchie des entreprises, comité qui peut valider le travail produit, ou demander au groupe de travail des modifications. C'est au cours de l'année 2001 que s'est finalisé un contrat entre le chercheur, le CRET-LOG et l'association, sur la base d'un questionnement de l'association : pourquoi le référentiel EVALOG développé avec ODETTE ne s'impose-t-il pas dans l'industrie automobile, questionnement qui plus largement renvoie à une interrogation sur l'efficacité des travaux produits (pourquoi certains outils élaborés par l'association se diffusent-ils dans l'industrie et d'autres non ?). Pour répondre à ces objectifs, la recherche se déroule en insertion au sein de l'association, dans le cadre de ce que l'on peut qualifier de recherche intervention (Moisdon, 1984), l'objectif étant de produire un outil de gestion permettant à l'association de mieux construire ses outils. Ce choix d'une méthodologie qualitative se justifie notamment par le caractère relativement exploratoire de notre recherche, et par la multiplicité des cadres théoriques auxquels il est possible ici de faire référence, rendant difficile de proposer a priori des hypothèses. Pour cela, plusieurs outils logistiques sont analysés, dont EVALOG, sur la base d'une méthodologie qualitative visant à permettre une analyse processuelle (Van de Ven et Poole, 1995). Les données sont récoltées par l'intermédiaire d'observations au sein de GALIA, d'entretiens semi-directifs des concepteurs des outils ainsi que par plusieurs études de cas d'entreprises, et évidemment par une analyse de documents. A l'heure actuelle, après un an et demi de recherche, si de nombreuses données ont déjà été récoltées, elles n'ont pas encore été traitées et analysées, et la description qui suit n'est donc à prendre que comme un état d'avancement provisoire, restant à valider par une méthodologie ad hoc. Le processus de construction et de diffusion d'EVALOG ou la crise des modèles inscrits par les concepteurs dans l'outil Genèse et construction d'EVALOG Aux dires des acteurs, on peut faire remonter la genèse d'EVALOG en France au début des années quatre-vingt dix. C'est en effet au cours de la tentative de fusion entre Renault et Volvo, que le management du constructeur français découvre que l'entreprise suédoise utilise un outil pour animer et améliorer la logistique de ses fournisseurs, outil que Renault décide de s'approprier. Le constructeur traduit le référentiel en français, l'adapte quelque peu à ses besoins, et lui donne le nom d'EAQL (Evaluation Aptitude Qualité Logistique), nom qui fait pendant à l'EAQF (Evaluation Aptitude Qualité Fournisseur), l'outil qui est déjà utilisé pour assurer la qualité des pièces livrées par les fournisseurs. Renault en fait alors son outil de référence pour réaliser des audits logistiques de ses différents fournisseurs. Au cours de la première moitié des années quatre-vingt-dix, le constructeur va former un grand nombre de cadres au référentiel, et leur faire réaliser de nombreux audits. Pourtant, après quelques années, force est pour Renault de constater l'échec de cette politique. D'une part, si de nombreuses personnes ont été formées, cette tâche est constamment à réengager, les auditeurs étant ou mutés en interne et ne pouvant plus dans leur nouvelle mission conduire ces évaluations, ou tout simplement "achetés" par les fournisseurs pour conduire en interne les progrès logistiques. D'autre part, en près de deux ans, seulement 250 fournisseurs ont pu être audités, alors que le constructeur en compte alors près de 1000, et Renault ne voit absolument pas cette démarche finir un jour, à un coût raisonnable. C'est logiquement que - 14 -
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