O. K. SUBRAMANIAM Inde du Sud
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Couverture corrigée (1 & 4) 27/06/06 11:11 Page 1 Inde du Sud O. K. SUBRAMANIAM Le nâgaswaram dans la tradition carnatique South India O. K. SUBRAMANIAM Nâgaswaram in the Carnatic tradition W 260119 INEDIT/Maison des Cultures du Monde • 101, Bd Raspail 75006 Paris France • tél. 01 45 44 72 30 • fax 01 45 44 76 60 • www.mcm.asso.fr
1. Varnam : Ninnu kôri (composition : Poochi Shrînivâsa Ayyangâr) ............................. 6’39” Râga Môhana - Tâla Âdi 2. Kriti : Râma nannu brôvarâ (composition : Tyâgarâja) .......................................... 17’25” Râga Harikâmbhôjî - Tâla Rûpaka 3. Râgam-Tânam-Pallavi (traditionnel / traditional) .................................................... 35’18” Râga Pantuvarâlî - Tâla Âdi 4. Bhajan : Alarshara paritâpam (composition : Swâti Tirunâl Mahârâjâ) .................... 5’27” Râga Surutti - Tâla Mishra châpu 5. Tillâna (composition : Swâti Tirunâl Mahârâjâ) ........................................................... 4’45” Râga Dhanashrî - Tâla Âdi 6. Tiruppugal : Niraimati (composition : Arunagirinâthar) ........................................... 3’53” Râga Hamsânandi - Tâla Âdi O. K. Subramaniam, nâgaswaram (hautbois / oboe) N. V. Sankara Narayanan, violon / violin A. Balakrishnan Kamath, mridangam (tambour / drum) D. Vinodkumar, kanjîra (tambour sur cadre / frame drum) R. Pai Sreekanth, tambûrâ (bourdon / drone) Collection fondée par Françoise Gründ et dirigée par Pierre Bois Enregistrements réalisés le 9 mai 2003 à Kochi, Kerala. Enregistrements, mixage et notice, Fabrice Contri. Traduction anglaise, Frank Kane. Illustration de couverture, Françoise Gründ. Photographies, X. Réalisation, Pierre Bois. © et O P 2004 Maison des Cultures du Monde. INEDIT est une marque déposée de la Maison des Cultures du Monde (direction, Chérif Khaznadar).
Inde du Sud O. K. SUBRAMANIAM Le hautbois nâgaswaram dans la tradition carnatique O h Râma ! Protecteur du monde ! Toi, Bienfaiteur de toute la Création, depuis la minuscule fourmi jusqu’à la Trimûrti 1, pourquoi ne viens-tu pas vers moi pour me protéger ? (...) Ne m’as-tu jamais surpris assoiffé d’argent pour mener une vie oisi- ve et artificielle, de pompe et de luxe ? Ne me suis-je jamais complu dans l’orgueil et adonné à de viles actions. Oh ! Sitarâma, adoré de Tyâgarâja ! Ainsi Tyâgarâja adresse-t-il cette supplique à vénérons-nous nos grands compositeurs non son dieu dans la composition Râma Nannu seulement pour leurs œuvres mais aussi parce Brôvarâ (plage 2). Tyâgarâja qui ne cessa qu’ils sont de grands saints” 2. La musique se durant toute son existence de chanter le nom présente donc comme une forme particuliè- de son Aimé, Râma, dieu-roi de la célèbre rement efficace de yoga, c’est à dire une épopée hindoue, le Râmâyana. “Nâdabrahmâ, recherche sur soi à travers le son, pour Dieu manifesté dans le son primordial, s’incarna dépasser l’état matériel du quotidien afin de dans Shrî Râma”, dit Tyâgarâja. se fondre dans l’amour divin. Tyâgarâja, appartient à cette tradition de Un courant de pensée mystique, la bhakti, a compositeurs de l’Inde du Sud reconnus joué un rôle déterminant dans l’orientation tout autant pour leur valeur artistique que de la vie artistique de l’Inde du Sud et pour l’ardeur de leur foi. “En Inde, il ne s’agit notamment durant “l’âge d’or” (1650-1850) pas simplement de créer des mélodies, aussi de la musique carnatique (musique classique extraordinaires soient-elles, ou des rythmes de l’Inde du Sud). La bhakti élabore un lien complexes pour être considéré comme un grand amoureux très intense entre l’homme et la compositeur : il faut aller au-delà des simples divinité. Il ne s’agit pas d’une pensée poly- dimensions techniques et esthétiques. Aussi théiste mais d’un monothéisme qui se 1. Dans l’hindouisme, triple manifestation divine : Brahmâ, Shiva, Vishnu. 2. Propos recueillis auprès de Mavelikkara Prabhakaravarma, professeur au Sri Swathi Thirunal College of Music de Trivandrum, Kerala. –3–
manifeste à travers une pluralité de formes statut social, le degré de connaissance de (l’expression “monothéisme protéiforme” l’auditeur. Cette merveilleuse alchimie serait sans doute la plus juste). Dans la sonore saisit et transforme le corps et l’âme bhakti, le dévot (bhakta) adore en effet Dieu, par l’exacerbation des sentiments c’est-à- l’unique Absolu, mais il en choisit, suivant dire par ce qu’il y a de plus spontané chez ses propres aspirations, un aspect particulier l’homme, de plus simple. qui va représenter sa divinité d’élection Les trois grands compositeurs Arunagiri- (ishta-deva). nâthar, Tyâgarâja, et Swâti Tirunâl furent Cette relation, véritable ascèse (Tyâgarâja d’ardents dévots (bhakta) de Murugan, Râma signifie d’ailleurs roi, râja, et ascèse, tyâga), ne et Padmanâba, trois divinités relatives à saurait se complaire dans les plaisirs sensuels Shiva et Vishnu mais personnifications d’un mais elle reconnaît cependant en ces derniers même Absolu. Les poèmes écrits par ces leur extraordinaire force de captation : capta- saints, par ailleurs musiciens prolixes (dont tion de l’auditoire, captation des sentiments du ce disque propose quelques joyaux) revêtent dévot afin de les diriger vers l’objet de sa foi. toutes les formes possibles du dialogue Ainsi, la musique de l’Inde du Sud, bien que amoureux : celle de deux amants, celle d’un toute entière méditation sur le divin, enfant avec ses parents, celles de deux frères, demeure aussi jubilatoire et même extraver- mêlant la joie de l’union au doute et à la tie. L’excellence de la musique (il faut cultu- souffrance de la séparation. La bhakti à tra- rellement y rattacher poésie et théâtre) vers cette perpétuelle introspection du senti- réside aussi dans cette ouverture du cœur et ment amoureux, offre un champ infini d’ex- de l’esprit à l’égard de tous, quel que soit le pressions poétiques et musicales. Composition et improvisation Les musiciens indiens ne cessent de fasciner créations possèdent cette perfection qui les le monde entier pour leur extraordinaire rend infiniment respectables. Il faut alors génie de l’improvisation. Aussi peut-on en préserver la trace poétique (prière) et s’étonner que la tradition carnatique musicale. Le terme composition et avec lui accorde une telle importance à la composi- ceux de compositeur et d’interprète revêtent tion. Mais cela surprend moins si l’on prend donc ici un sens beaucoup plus large qu’en précisément en compte le caractère sacré de Occident. l’œuvre léguée : puisque les compositeurs “Les œuvres de nos saints-compositeurs consti- ont existé et agi comme des saints, leurs tuent autant de modèles pour les générations et –4–
les générations de musiciens passées et à venir. de l’intention qui a présidé à sa création. La Leur perfection mélodique quant à l’art du râga quintessence de cet art réside par consé- et du tâla en fait des joyaux insurpassables, on quent dans la spontanéité de l’expression. Si peut ainsi se contenter de les jouer telles quelles. certaines formes, notamment celles desti- Cependant un véritable musicien – entendons nées à l’apprentissage, sont réalisées “littéra- ici l’interprète – saura aussi maîtriser la vie lement”, un concert réussi ne peut en propre de la musique c’est-à-dire l’improvisa- revanche se passer de l’improvisation. Le tion. L’improvisation ne signifie donc pas le véritable interprète ne se limite donc pas à contraire de la composition mais son utile com- reproduire avec exactitude l’œuvre compo- pagne, celle par laquelle l’œuvre du passé accède sée, il possède aussi ces qualités créatrices à nouveau, pleinement, à la vie” [Mavelikkara qui en font rejaillir l’élan initial. En ce sens, Prabhakaravarma]. l’œuvre est un modèle légué par les grands La tradition carnatique mêle avec une maîtres pour guider le musicien sincère. Et grande subtilité improvisation et composi- cette sincérité s’exprime par un dépasse- tion. Dans ce contexte dévotionnel, l’inter- ment de soi et un amour du divin dont l’ar- prétation de l’œuvre musicale se doit d’ap- deur conduit – tout comme le sama’ de la procher au plus près la sincérité et la ferveur tradition soufie – à l’extase à travers le son. Primauté de la voix, de la parole et du chant Parmi tous les instruments, la voix demeure reconnaît en ses compositeurs non seule- souveraine car elle émane de l’être humain ment de grands saints mais d’authentiques et représente chez lui (chronologiquement poètes. La musique instrumentale emprunte mais aussi qualitativement) la forme pre- donc presque tout son répertoire à celui de mière de l’expression sonore. Ses immenses son modèle vocal et tout instrumentiste possibilités réunissent toutes les qualités des devrait idéalement connaître les textes des autres instruments qui tentent tous d’at- chants qu’il interprète. Même s’ils ne sont teindre la même finesse. pas prononcés, les mots et leur sens imprè- La voix jaillit aussi comme la manifestation gnent chaque contour, chaque inflexion du poétique et musicale du souffle et le chant souffle et de la musique. Ecrits en sanskrit représente la forme suprême de la pratique ou dans des langues dérivées de celui-ci, ils du bhakta. L’appel du divin, la répétition de jouent un rôle important dans l’élaboration ses noms, acquièrent alors une efficacité structurelle de la mélodie. Les successions sans équivalent. La tradition carnatique des syllabes longues et brèves des langues –5–
indiennes influent sur les rythmes musi- vient à révéler les multiples facettes. Car caux ; les règles de la prosodie condition- loin de constituer un objet rigide et sta- nent le phrasé mélodique, les articulations tique, le râga, tel un dieu hindou, jaillit et les respirations instrumentales. Le soliste sous de multiples formes, témoins de la de ce CD, qui a aussi reçu une formation diversité de la création et des sentiments complète en chant, en flûte et en percus- humains. sion, connaît parfaitement les poèmes des La vie des râga dépend également d’un para- compositions qu’il interprète. Cette réfé- mètre fort important dans la musique rence permanente aux mots (chantés inté- indienne et plus particulièrement dans celle rieurement) confère à son style une dimen- du Sud : le gamaka. Il n’existe pas de terme sion très proche de la voix. français totalement juste pour traduire ce La musique carnatique use, comme sa sœur mot. Celui d’ornement en donne une vision hindoustanie (d’Inde du Nord), de l’infinie quelque peu trompeuse puisqu’il s’agit en diversité des râga et des cycles rythmiques vérité d’une inflexion, d’une modulation (tâla). D’un point de vue strictement tech- inhérente à la note – un chant en filigrane – nique le râga est tout d’abord une échelle et non point d’un mouvement ajouté à cette (gamme), un mode. Il se manifeste égale- dernière. S’ils réclament rigueur et précision ment comme une mélodie, un ensemble de technique, les gamaka doivent aussi être contours mélodiques caractéristiques (san- portés par une intention expressive, jeu de châra), propres à générer certaines émo- la sensibilité et de l’imagination de l’inter- tions, à susciter, selon le génie créatif de son prète, à même de mettre en valeur et de interprète, un état d’empathie chez l’audi- nuancer la saveur subtile du râga (bhâva). Ils teur. Mais il demeure avant tout un art très apparaissent également, pour cette raison, subtil du chant qui réside au plus profond comme le lieu essentiel et quasi exclusif de de l’être et dont le musicien inspiré par- l’emploi des micros intervalles. L’interprétation et les instruments Le nâgaswaram : Instrument essentiel de la d’utilisation de cet instrument puisqu’il ne musique de temple, le hautbois nâgaswaram fait pas entendre la formation habituelle de allie à la puissance de l’émission sonore, temple mais celle caractéristique de la manifestation du souffle, la finesse mélo- musique classique de concert. Ce genre d’in- dique propre au jeu des oscillations ou novation ne contredit cependant nullement gamaka. Ce CD illustre un cas exceptionnel la tradition puisque l’histoire de la musique –6–
indienne, comme celle des autres cultures à l’expressivité musicale, apportent au du monde dites “traditionnelles”, doit aussi contraire des couleurs et une profondeur sa vigueur à de telles initiatives person- nouvelles par la tension toute particulière nelles. Le soliste, O. K. Subramaniam, reste qu’ils engendrent. cependant avant tout un musicien de temple, dont il connaît et exerce parfaite- Le violon : en Inde du Sud, le violon est le ment le métier (ville de Kochi et régions principal instrument d’accompagnement alentours), et ce n’est que ponctuellement mélodique. Sans doute introduit dans le qu’il donne des concerts comme celui qui pays par les Portugais au cours du XVIIe est enregistré ici. siècle – bien que certains musicologues La formation instrumentale classique impli- indiens revendiquent une origine autoch- que un usage particulier du nâgasvaram. Son tone beaucoup plus ancienne – sa facture association avec des instruments moins originale n’a pas été modifiée. Cependant, sonores, le violon et la tambûrâ (luth à la manière de le tenir, l’accord particulier de quatre cordes jouant le bourdon), nécessite ses quatre cordes (tonique-dominante- en effet un contrôle extrêmement nuancé tonique-dominante ou parfois dominante- de la puissance et du timbre. Formé à la tonique-dominante-tonique) ainsi que son grande école de Tanjâvûr (Tamil Nadu), diapason lui donnent une couleur “typique- O. K. Subramaniam connaît fort bien par ment” indienne. Le rôle de soliste est bien ailleurs, grâce à son propre frère, le hautbois entendu aussi souvent dévolu à cet instru- d’Inde du Nord (le shehnai), naturellement ment, davantage dans le Sud que dans le plus doux et donc mieux adapté à ce genre Nord néanmoins. de performance. Aussi le jeu du nâgaswa- ram, par la finesse de ses dynamiques, rap- Percussions : le mridangam et le kanjîra, pelle ici à maintes reprises le shehnai. Plus qui remplacent ici le traditionnel tavil, com- qu’un simple tour de force, cette manière plètent l’effectif instrumental. Le mridangam d’utiliser l’instrument conduit le musicien à est un tambour en tonneau à deux peaux défier, peut-être davantage encore que dans (accordées par tension), tenu horizontale- le cadre rituel, des contingences techniques ment. Le kanjîra est un petit tambour sur et organologiques particulièrement contrai- cadre muni de sistres, dont la peau est accor- gnantes. Le nâgaswaram est en effet réputé dée par humidification. La variété des tech- pour être extrêmement difficile, notam- niques de frappes sur ces deux tambours per- ment sur le plan du contrôle du débit d’air met d’étonnantes variations de fréquence, et des doigtés. Ces impératifs, loin de nuire de timbre et de dynamique. –7–
Les pièces Cet enregistrement propose un éventail assez tères littéraires (formes poétiques, langues large des différentes catégories de composi- employées, prosodie) et contextuels (chant tion et d’improvisation de la tradition carna- de prière individuel, collectif ; musique de tique. La structure actuelle des concerts en concert, de danse, de théâtre ; études et Inde du Sud tend hélas de plus en plus à pièces de concert, etc.). Dans ce cadre, l’in- limiter le répertoire au seul kriti (plage 2). vention musicale joue donc un rôle détermi- Aussi les six œuvres présentées ici ont-elles nant, l’interprétation pouvant être définie été choisies, outre leurs qualités artistiques, comme une dialectique entre la forme prédé- pour témoigner de cette diversité. terminée et la forme à construire. La majorité des pièces qui composent le Les échelles des râga, ci-dessous, sont don- répertoire carnatique (excepté le râgam- nées sous leur forme ascendante et descen- tânam-pallavi en plage 3) obéit au même dante, hormis de possibles altérations passa- schéma structurel : gères, à partir du mi bémol, tonique du • pallavi (idée mélodique de base ou refrain) ; nâgaswaram dans cet enregistrement. • anupallavi (seconde idée mélodique), pallavi ; • charanam (conclusion), pallavi. 1. Varnam : Ninnu kôri Le parcours mélodique évolue pour chacune Compositeur : Poochi Shrînivâsa Ayyangâr de ces trois parties vers le registre aigu, sorte (1867-1919) de figuralisme correspondant à l’accroisse- Râga Môhana : ment de l’intensité poético-musicale et de la ferveur religieuse. De courtes phrases, lais- sées aux seules percussions et constituées par le triple énoncé d’un même motif ryth- Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2 mique, délimitent clairement ces différentes Certaines compositions destinées à l’appren- sections. tissage constituent des œuvres à part Les structures de base changent peu d’une entière. Elles sont donc souvent conservées pièce à l’autre et c’est principalement dans la par l’écrit et interprétées en concert. Tel est manière de les manipuler – de les mettre jus- le cas du varnam, l’une des formes musicales tement en forme et en chant – que se distin- consacrées de l’Inde du Sud, par laquelle guent les différentes formes. Les systèmes de débutent généralement les récitals. classification des formes dans la musicologie Le varnam vise à présenter les différentes carnatique tiennent surtout compte des cri- facettes du râga dans lequel il est composé. –8–
C’est en soi une gageure puisqu’il aspire, en féré s’exprimer de manière spontanée, fai- un laps de temps réduit, à l’exhaustivité. Par sant jaillir l’œuvre musicale – voire le texte là même, le varnam apparaît comme un et la musique – en l’improvisant. Tel était le moyen d’exception, une référence pour l’im- cas de certains grands bhakta et plus particu- provisation. À la manière du prélude des lièrement du plus célèbre compositeur de suites baroques européennes, il permet à l’Inde du Sud : Tyâgarâja. Ses œuvres ont l’interprète de prendre contact avec la scène été préservées par ses disciples, oralement et le public ainsi que de se délier la voix ou ou par l’écrit, et transmises de génération en les doigts. Il engendre une ambiance, un cli- génération. mat sonore et émotionnel particuliers. L’in- Le kriti tient depuis le XVIIIe siècle une place terprète rend également hommage aux de choix dans le répertoire carnatique. Cette grands maîtres de la tradition en ouvrant affection des interprètes et du public pour son récital par l’un de leurs chefs-d’œuvre. cette forme, particulièrement propice à Une courte introduction ou âlâpana intro- l’exubérance du sentiment religieux, s’est duit ici le varnam Ninnu kôri. Le terme âlâ- développée à l’excès durant le XXe siècle, à pana peut être défini comme un prélude tel point qu’elle représente aujourd’hui d’improvisation libre, non-mesuré, dans le environ 75% des programmes des concerts râga de la composition qui le suit. Il s’agit et des disques. plus largement d’une exploration des diffé- Le kriti, à travers un jeu subtil d’alternances rentes possibilités du râga. entre épisodes composés et improvisés, peut être considéré comme un exemple particuliè- 2. Kriti : Râma nannu brôvarâ rement ingénieux d’œuvre ouverte. L’inter- Compositeur : Tyâgarâja (1767-1847) prète possède en effet ici un vaste champ de Râga Harikâmbhôjî : liberté car il peut improviser à la fois avant (âlâpana) et après (swara) la composition, mais également au sein de cette dernière (niraval). Ainsi les phrases importantes du Tâla Rûpaka : 6 temps divisés en 2 + 4 discours mélodique génèrent-elles l’improvi- La seconde catégorie de compositions que sation notamment dans des séries de varia- distingue la théorie indienne comprend les tions ou sangati. On attribue à Tyâgarâja lui- œuvres destinées au concert. Elle peut égale- même cette manière de développer un ment comporter des partitions, notées par élément thématique dans le kriti. Mais l’ori- leur créateur ou encore par ses disciples. En gine de ce procédé musical, thème et varia- effet, les grands musiciens ont souvent pré- tion, réside aussi dans la prière (la répétition –9–
du nom divin à la manière des perles du cha- violon) soutenus chacun par une des deux pelet) et dans l’exacerbation graduelle du percussions (ici respectivement mridangam / sentiment de ferveur qu’elle induit (montée kanjîra). Le début du charanam se situe à dans l’aigu et rétrécissement des valeurs 8’34” et le niraval à 8’50”. rythmiques). Le kriti apparaît en cela moins systématique 3. Râgam-Tânam-Pallavi que le varnam et, s’il figure aussi comme un Traditionnel modèle, il n’acquiert son idéale dimension Râga Pantuvarâlî : – celle par laquelle il devient “une structure d’extase” – que par le biais de l’imagination, de la personnalité vivante de l’exécutant. De nos jours, beaucoup d’interprètes confondant le Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2 kriti avec le varnam, se limitent hélas trop sou- Forme noble, reine de la musique classique vent à l’exécution stricte de l’œuvre composée. de l’Inde du Sud – au même titre que la Cette tendance, qui semble liée à l’influence de sonate en Occident – le râgam-tânam-pallavi la composition occidentale – principalement la a, au cours du XXe siècle, progressivement pop music bon marché – mais aussi à une cer- perdu sa place d’honneur au sein des taine “paresse”, tend à amputer la musique car- concerts au profit du kriti. Ce phénomène natique de sa vitalité essentielle et de ce qui s’explique sans doute, comme nous l’avons permet justement d’en distinguer les formes. souligné, par la régression de l’improvisa- Maîtriser l’improvisation reste pourtant l’un tion. En effet, dans le râgam-tânam-pallavi des principaux impératifs de l’apprentissage du l’élément composé est réduit à sa portion la nâgaswaram car elle permet aux musiciens plus congrue : une ou deux phrases mélo- d’adapter la durée de leur jeu à celle des céré- diques qui forment la cellule thématique du monies de temples et des nombreuses proces- pallavi. Il s’agit donc d’une structure, d’une sions qu’ils accompagnent. ossature, d’un parcours que l’interprète doit Dans le niraval, l’interprète choisit au sein “remplir” en faisant appel à sa créativité et à de la composition une brève cellule théma- sa science de l’improvisation. tique qui souligne souvent un passage cru- Râgam (âlâpana) : les râga ne permettent pas cial du texte poétique (ici le mot “argent”, la tous de longs développements. Pantuvarâlî, cellule thématique étant empruntée au cha- par la variété de ses intervalles et de ses ten- ranam). L’improvisation se développe selon sions internes, offre un riche éventail un dialogue de plus en plus resserré entre les expressif. O. K. Subrâmaniam improvise deux instruments mélodiques (nâgaswaram / ainsi un ample âlâpana (râgam) dont le par- – 10 –
cours mélodique, tout comme les sangati du moins une fois, les percussions s’exprimer kriti, évolue vers un climax situé dans le seules. Cet épisode nommé tâni âvartanam registre aigu, très tendu, de l’instrument. consiste en un dialogue, un jeu d’imitations, Tânam (à 11’12”) : lorsque le râgam-tânam- des différents instruments de percussion. Il pallavi est chanté, la voix se fixe sur les syl- procède d’abord à un rétrécissement des labes ta et nam, les répète et les associe selon phrases (dénommé par analogie formelle toutes les combinaisons possibles tout en “en queue de vache”) puis se reconstruit en explorant les différentes potentialités du râga. sens inverse (s’élargissant cette fois comme À la différence de l’âlâpana cependant, c’est “une rivière”) avant de préparer le retour du l’aspect rythmique, la pulsation interne d’un soliste qui conclura la pièce par une dernière mot, qui sont ici explorés et mis en valeur. Le exposition du thème. Lorsqu’un concert terme tânam provient sans doute de la défor- comprend un râgam-tânam-pallavi, le tâni mation par réitération du mot ananta, serpent âvartanam s’y insère tout naturellement : ce sacré sur lequel s’endort le dieu Vishnu après passage, dégagé de toute mélodie, représente la résorption du précédent univers et dans la conclusion logique de la progression ryth- l’attente de celui à naître. Espace entre deux mique de cette forme. mondes, le tânam est une sorte d’épisode tran- sitoire entre la souple mélodie de l’âlâpana et 4. Bhajan : Alarshara paritâpam les mathématiques rythmiques du pallavi. Compositeur : Swâti Tirunâl Mahârâjâ Pallavi (à 15’03”) : le thème employé ici est (1813-1847) emprunté à une pièce destinée à mettre en Râga Surutti : valeur les percussions et possède un carac- tère rythmique très affirmé. Il appelle ainsi un jeu particulièrement virtuose sur la dimension temporelle du discours musical : Tâla Mishra châpu : 7 temps divisés en 3 + 2 + 2 divisions et multiplications (paires et Les échelles des râga apparaissent parfois impaires) de la phrase thématique et du comme de véritables mélodies en miniature. cycle de base, syncopes et contre-temps, Ainsi le mouvement “en dents de scie” de accents et contre-accents dévoilent et mas- Surutti implique-t-il certaines tournures que quent tour à tour l’omniprésente régularité l’interprète doit jouer et qui donnent une de la pulsation et, plus généralement, de couleur, une énergie particulières au dis- l’écoulement du temps. cours musical. Tâni âvartanam (à 27’37”) : il est de tradition Les artistes, tous natifs du Kerala, ont choisi de durant un concert que le soliste laisse, au rendre hommage au compositeur le plus – 11 –
célèbre de cet État : Swâti Tirunâl qui fut, outre son irrésistible curiosité, de son émerveille- un artiste incomparable, mahârâjâ de Travan- ment vis-à-vis de tous les modes d’expres- core (ancien royaume de l’actuel Kerala). sion du génie humain mais aussi – tout Le bhajan, terme dérivé de la racine sanskrite comme les qawwâl soufis du Nord de l’Inde bhâj (qui a en partage, entre autres sens) est, et du Pakistan – de sa générosité universelle. comme la grande majorité des compositions Le tillâna appartient au répertoire de la du répertoire d’Inde du Sud, un chant dévo- musique de danse et se caractérise par son tionnel. Il se distingue cependant du varnam dynamisme rythmique qui met en valeur le et du kriti par une plus grande simplicité. jeu des percussions. Pièce brillante, il conclut Prière humble, intime, le bhajan s’adresse à souvent les concerts classiques. Malgré ce tout un chacun. Sa mélodie, porte avec caractère plus léger, le tillâna ne s’écarte lyrisme, et même souvent un certain roman- pourtant pas du domaine religieux puisque tisme, l’amour du poète bhakta pour les la danse, et avec elle l’expression gestuelle autres hommes et son dieu. L’intelligibilité mais aussi sonore du corps, demeure en Inde du texte demeure un paramètre essentiel. Si un art sacré. Le geste dansé prolonge la jubi- la voix sert au mieux le bhajan il arrive cepen- lation intérieure de la foi, condition préa- dant, comme dans ce disque, qu’il soit inter- lable à l’expression véritable de l’art. prété instrumentalement. Le nâgaswaram, support des rituels religieux, paraît particuliè- 6. Tiruppugal : Niraimati rement approprié à ce genre de substitution. Compositeur : Arunagirinâthar (xve siècle) Râga Hamsânandi : 5. Tillâna Compositeur : Swâti Tirunâl Mahârâjâ (1813-1847) Râga Dhanashrî : Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2 Cette dernière catégorie de composition, au tempo et au caractère allègres, met en valeur de manière encore plus savante que le Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2 tillâna, la dimension rythmique du langage Souverain mais aussi humaniste éclairé, musical. Arunagirinâthar s’y est particulière- Swâti Tirunâl a écrit et composé dans tous ment illustré et certains musicologues les genres, toutes les formes et dans de mul- indiens lui attribuent près de seize mille tiples langues (de l’Inde, du Moyen-Orient tiruppugal. Au-delà d’une vérité historique et même en anglais). Ainsi témoigna-t-il de que la tradition indienne considère de toute – 12 –
façon comme moins signifiante que celle l’une des ascèses les plus plaisantes et les des émotions, il faut voir dans ce nombre la plus efficaces. marque de l’exacerbation créatrice et reli- L’interprétation de O. K. Subrâmaniam gieuse de ce saint-poète et musicien tamil. délaisse ici l’accompagnement du violon Les Indiens prêtent d’ailleurs, en cette afin de se rapprocher davantage du style tra- manière d’appréhender le monde événe- ditionnel du nâgaswaram : hommage à la mentiel, maints miracles à leurs composi- musique de temple, à ses divinités et aux teurs. Le tiruppugal manifeste clairement le saints-poètes qu’elles ont au cours des versant extraverti de la bhakti et nous rap- siècles inspirés. pelle aussi que la musique figure comme FABRICE CONTRI – 13 –
O. K. Subramaniam, nâgaswaram
N. V. Sankara Narayanan, violon / violin
A. Balakrishnan Kamath, mridangam
D. Vinodkumar, kanjîra
South India O. K. SUBRAMANIAM The oboe nâgaswaram in the Carnatic tradition O h Râma! Protector of the World! You, Benefactor of all Creation, from the most miniscule ant to the Trimûrti 1, why don’t you come to me to protect me? (...) Haven’t you ever surprised me thirsting for money to lead an idle and artificial life of pomp and luxury? Haven’t I ever taken pleasure in pride and committed vile actions? Oh! Sitarâma, adored of Tyâgarâja! Tyâgarâja thus addresses this supplication to because they are great saints” 2. Music is seen as his god in the composition Râma Nannu a particularly effective form of yoga, i.e. a Brôvarâ (track #2). Throughout his existence, search for self-knowledge through sound, Tyâgarâja constantly sang the name of his going beyond the materialism of daily life in Beloved, Râma, god-king of the famous order to become one with the divine love. Hindu epic, the Râmâyana. “Nâdabrahmâ, A current of mystical thought, bhakti, played God manifested in the primordial sound, was a decisive role in the artistic life of South incarnated in Shrî Râma”, says Tyâgarâja. India, especially during the “golden age” Tyâgarâja belongs to this tradition of com- (1650-1850) of Carnatic music (classical posers of South India who are recognised as music of South India). Bhakti develops a very much for their artistic talent as for the ardour intense amorous link between man and the of their faith. “In India, you must do more than divine. This is not a form of polytheistic just invent melodies – however extraordinary they thought but rather a monotheism that may be – or complex rhythms to be considered a involves a plurality of forms (the expression great composer: you must go beyond the mere tech- “proteiform monotheism” would probably nical and aesthetic dimensions. We venerate our be the most accurate description). In bhakti, great composers not just for their works, but also the follower (bhakta) adores God, the sole 1. In Hinduism, the triple manifestation of the divine: Brahmâ, Shiva, Vishnu. 2. Comments from Mavelikkara Prabhakaravarma, Professor at the Sri Swathi Thirunal College of Music of Trivandrum, Kerala. – 18 –
Absolute, but he chooses a particular aspect grips and transforms the body and soul by that will represent his chosen divinity (ishta- the exacerbation of feelings, i.e. through deva) according to his own aspirations. people’s most spontaneous and natural side. This spiritual relationship (‘Tyâgarâja’ com- The three great composers Arunagirinâthar, bines râja: king, and tyâga: spiritual path) Tyâgarâja, and Swâti Tirunâl were ardent fol- does not revel in sensual pleasures although lowers (bhakta) of Murugan, Râma and Pad- it does recognise their extraordinary power: manâba, three divinities related to Shiva and to win over listeners, to seize the feelings of Vishnu but personifications of the same Abso- the follower to direct them towards the lute. The poems written by these saints, who object of his faith. were also prolific musicians (this CD offers The music of South India – while remaining some of their gems) take on all of the possible fully a meditation on the divine – is thus forms of amorous dialogue: between two lo- also jubilant and even extroverted. The vers, between a child and his parents, between excellence of the music (including also two brothers, blending the joy of coming toge- poetry and theatre) lies also in this opening ther with the doubt and suffering of separa- of the heart and spirit to all, regardless of tion. Bhakti, through this perpetual introspec- social status or the degree of knowledge of tion of amorous feelings, offers an infinite the listener. This marvellous sound alchemy field of poetic and musical expression. Composition and improvisation Indian musicians continue to fascinate the meaning here than in the West. entire world with their extraordinary genius “The works of our saints-composers serve as for improvisation. It may therefore seem models for generations of musicians, past and surprising that the Carnatic tradition con- future. Their melodic perfection in the art of the siders composition so important. This is less râga and the tâla makes them such unsurpassed puzzling however when we consider the treasures that one could simply play them as sacred nature of the works bequeathed: as they are. However, a real musician – meaning the composers lived and acted like saints, performer – must also have a mastery of the their creations have a perfection that makes living nature of the music, i.e. improvisation. them infinitely respected. Both the poetic Improvisation is not the opposite of composi- (prayer) and musical traces must be pre- tion, but rather its useful companion, by which served. The term composition and with it a work from the past comes fully to life again” composer and performer have a much broader [Mavelikkara Prabhakaravarma]. – 19 –
The Carnatic tradition blends improvisation out improvisation. A real performer does not and composition with great subtlety. In this just reproduce the composed work; he also devotional context, the interpretation of a has the creative talent that brings out the musical work must come as close as possible initial spirit of the piece. In this sense then, to the sincerity and fervour of the intention the work is a model bequeathed by the great that governed its creation. The quintessence masters to guide sincere musicians. And this of this art thus lies in the spontaneity of the sincerity is expressed by surpassing oneself expression. While certain forms, particularly and through divine love, the ardour of those used for learning, are performed “liter- which leads – as with the sama’ of the Sufi ally”, a successful concert cannot occur with- tradition – to ecstasy through sound. Primacy of the voice, of the spoken word and of singing Of all instruments, the voice remains the inflexion of the breath and the music. The greatest because it comes from human beings texts are written in Sanskrit or the languages and represents (chronologically but also derived from it and play an important role qualitatively) their first form of sound expres- in the structural development of the sion. Its immense possibilities include all of melody. The successions of long and short the qualities of other instruments, which all syllables of the Indian languages influence try to reach the same degree of subtlety. the musical rhythms; the rules of the The voice springs forth as a poetic and musi- prosody condition the melodic phrasing, cal manifestation of the breath and singing the articulations and instrumental respira- represents the supreme form of the bhakta’s tions. The soloist of this CD, who also devotion. With it, the call to the divine and received comprehensive training in singing, the repetition of his names have unparal- flute and percussion, has a perfect knowl- leled efficacy. The Carnatic tradition recog- edge of the poems of the compositions that nises its composers not just as great saints he plays. This constant reference to the but also as authentic poets. The instrumen- words (sung inwardly) gives his style a tal music borrows almost its entire reper- dimension very close to that of the voice. toire from that of its vocal model and all Carnatic music, like its Hindustani counter- instrumentalists should ideally know the part (of Northern India), uses the infinite texts of the songs that they play. Even if diversity of the râga and the rhythmic cycles they are not pronounced, the words and (tâla). From a strictly technical standpoint, their meaning fill every contour, every the râga is firstly a scale, a mode. It also – 20 –
appears as a melody, a set of characteristic cially that of the South: the gamaka. There is melodic contours (sanchâra), able to generate no English word that fully translates this certain emotions or a state of empathy word. Ornamentation is not quite the right within the listener, depending on the cre- word because it is in fact an inflexion, a mod- ative genius of the performer. But it remains ulation inherent to the note – a song beneath above all a very subtle art of singing that lives the surface – and not a movement that is deep within a being and which the inspired merely added on. While it requires rigour and musician manages to reveal in its multiple technical precision, the gamaka must also be facets. Far from being a rigid and static form, borne by an expressive intention, by the per- the râga, like a Hindu god, springs forth in former’s sensitivity and imagination, high- multiple forms, bearing witness to the diver- lighting and nuancing the subtle flavour of sity of creation and of human feelings. the râga (bhâva). For this reason the gamaka The life of the râga also depends on an impor- provide the essential and almost exclusive tant parameter of Indian music and espe- situation for the use of micro-intervals. Interpretation and instruments The Nâgaswaram: the oboe nâgaswaram is the environment he knows perfectly and the essential instrument for temple music, where he works (city of Kochi and the sur- combining the strength of its sound emis- rounding regions), and he only occasionally sion, a manifestation of the breath, and gives concerts such as the one recorded here. melodic subtlety appropriate for the playing A classical instrumental configuration implies of oscillations or gamaka. a particular use of the nâgasvaram. Its associa- This CD illustrates an exceptional use of this tion with less sonorous instruments, the violin instrument because it does not present the and the tambûrâ (four-stringed lute that plays usual temple configuration, but rather that the drone), requires extremely nuanced con- which is characteristic of classical concert trol of strength and timbre. O.K. Subrama- music. This type of innovation does not in niam was trained in the great school of Tan- any way contradict the tradition because the jâvûr (Tamil Nadu), and is also well acquainted history of Indian music, like that of other – thanks to his own brother – with the oboe of world cultures referred to as “traditional”, Northern India (the shehnai), which is natu- owes its vitality to just such personal initia- rally softer and thus better suited to this type tives. The soloist, O.K. Subramaniam, of performance. The playing of the nâgaswa- remains above all a musician of the temple, ram, with its subtlety and dynamics, is here – 21 –
often reminiscent of the shehnai. More than a was not changed. However, the way of hold- simple exploit, this manner of using the ing it and the tuning of its four strings instrument leads the musician to brave – per- (tonic-dominant-tonic-dominant or some- haps still more than in the ritual framework – times dominant-tonic-dominant-tonic) as the particularly constraining techniques and well as its range give it a “typically Indian” organological contingencies. The nâgaswaram colour. The role of the soloist is of course is considered to be extremely difficult to play, often assigned to this instrument, more so especially in terms of air flow control and the in the South than in the North, however. fingering technique. Far from penalising the musical expression, these factors bring new Percussion instruments: the mridangam colours and depth through the special tension and the kanjîra, which replace here the tra- that they generate. ditional tavil, complete the set of instru- ments. The mridangam is a barrel drum with The violin: in South India, the violin is the two skins (tuned by tension), held horizon- main instrument for melodic accompani- tally. The kanjîra is a small frame drum with ment. It was probably introduced by the sistra, the skin of which is tuned by moist- Portuguese in the 17th century – although ening. The variety of techniques for striking some Indian musicologists claim a much these two drums allows for stunning varia- older native origin – and its original form tions of frequency, timbre and dynamics. The pieces This recording offers a rather wide range of • pallavi (basic melodic idea or refrain); the various categories of composition and • anupallavi (second melodic idea), pallavi; improvisation of the Carnatic tradition. The • charanam (conclusion), pallavi. repertoire for concerts in South India is unfor- The melodic path evolves for each of these tunately becoming more and more exclu- three parts towards the higher register, a sort sively limited to the kriti (track #2). The six of figuralism corresponding to the increase in works of this CD were chosen – beyond their poetic-musical intensity and religious fer- artistic qualities – to reflect this diversity. vour. Short phrases, played solely by the per- Most of the pieces that make up the Carnatic cussion and composed of a triple expression repertoire and on this CD (except for the of the same rhythmic motif, clearly mark out râgam tanam pallavi of track #3) follow the these various sections. The basic structures same structural framework: change little from one piece to another and it – 22 –
is mainly in the manner of using them – of the râga in which it is composed. It is an shaping them and using them in singing – attempt at the impossible, seeking to be that the various forms are distinguished. The exhaustive over a short period of time. In systems for classification of forms in Carnatic this way the varnam is a sort of exceptional musicology take into account literary (poetic means, a reference for improvisation. Like forms, languages used, prosody) and contex- the prelude of European baroque suites, it tual criteria (individual, group prayer sing- lets the performer get in touch with the ing; concert, dance, and theatre music; stage and the audience and loosen up his études and concert pieces, etc.). Within this voice or fingers. It creates an ambiance, a framework, musical invention thus plays a special emotional and sonorous climate. determining role, and the interpretation can The performer also pays tribute to the great be defined as a dialectic between the prede- masters of the tradition by starting his termined form and the form to be built. recital with one of their masterpieces. The scales of the râga below are given in A short introduction or âlâpana introduces their ascending and descending forms, here the varnam Ninnu kôri. The term âlâ- except for the possible passing alterations, pana may be defined as a freely improvised, starting from the E flat, the tonic of the non-metric prelude in the râga of the com- nâgaswaram on this recording. position that follows it. More broadly, it is an exploration of the various possibilities of 1. Varnam: Ninnu kôri the râga. Composer: Poochi Shrînivâsa Ayyangâr (1867-1919) 2. Kriti : Râma nannu brôvarâ Râga Môhana: Composer: Tyâgarâja (1767-1847) Râga Harikâmbhôjî : Tâla Âdi: 8 beats divided in 4 + 2 + 2 Some compositions for learning purposes Tâla Rûpaka: 6 beats divided in 2 + 4 are works in and of themselves. They are The second category of compositions that often kept in written form and played in Indian theory distinguishes includes works to concert. This is the case for the varnam, one be played in concert. This category also of the traditional musical forms of South includes scores written by their creators or by India, with which recitals usually begin. their disciples. Great musicians often pre- The varnam aims to present different facets ferred spontaneous expression, with the – 23 –
musical work – or the text and the music – The kriti appears here to be less systematic springing forth through improvising. This than the varnam and, while it is also a was the case for certain great bhakta and espe- model, it only acquires its ideal dimension cially the most famous composer of South – that by which it becomes “an ecstatic India: Tyâgarâja. His works were preserved by structure” – through the imagination, his disciples, orally or in writing, and trans- through the living personality of the per- mitted from generation to generation. former. Nowadays, as many performers Since the 18th century, the kriti has had a confuse the kriti with the varnam, they too privileged place in the Carnatic repertoire. often limit themselves to the strict perfor- The affection of performers and audiences mance of the composed work. This trend, for this form, particularly favourable for the which seems to be linked to the influence exuberance of religious feeling, developed of Western composition – mainly cheap inordinately during the 20th century, to such pop music – but also to a certain “lazi- an extent that it now represents about 75% ness”, tends to rob Carnatic music of its of concert and CD programmes. essential vitality and that which allows us The kriti, with a subtle alternation of com- to distinguish its forms. Mastery of impro- posed and improvised episodes, can be con- visation remains one of the main require- sidered as a particularly ingenious example ments for learning the nâgaswaram because of an opening work. The performer has great it allows musicians to adapt the duration freedom here because he can improvise of their playing to that of the temple cere- before (âlâpana) and after (swara) the com- monies and the many processions that position, as well as within it (niraval). The they accompany. important phrases of the melodic discourse In the niraval, the performer chooses from thus generate improvisation, particularly in within the composition a brief thematic the series of variations or sangati. This man- unit that often highlights a crucial passage ner of developing a thematic element in the of the poetic text (here the word “money”, kriti is attributed to Tyâgarâja himself. But the thematic unit is borrowed from the cha- the origin of this musical process, theme ranam). The improvisation develops in a and variation, is also to be found in prayer closer and closer dialogue between the two (repetition of the divine name like the melodic instruments (nâgaswaram / violin), rosary) and in the gradual exacerbation of each supported by one of the two percussion the feeling of fervour that it induces (rising instruments (here, respectively mridangam / into the high register and contraction of the kanjîra). The beginning of the charanam is at rhythmic values). 8’34” and the niraval at 8’50” – 24 –
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