O. K. SUBRAMANIAM Inde du Sud

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O. K. SUBRAMANIAM Inde du Sud
Couverture corrigée (1 & 4)                             27/06/06               11:11           Page 1

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                                                                                                                                                     O. K. SUBRAMANIAM
                                                                                                                                                     Le nâgaswaram dans la tradition carnatique

                                                                                                                                                                                    South India
                                                                                                                                                                      O. K. SUBRAMANIAM
                                                                                                                                                            Nâgaswaram in the Carnatic tradition

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O. K. SUBRAMANIAM Inde du Sud
1. Varnam : Ninnu kôri (composition : Poochi Shrînivâsa Ayyangâr) ............................. 6’39”
   Râga Môhana - Tâla Âdi
2. Kriti : Râma nannu brôvarâ (composition : Tyâgarâja) .......................................... 17’25”
   Râga Harikâmbhôjî - Tâla Rûpaka
3. Râgam-Tânam-Pallavi (traditionnel / traditional) .................................................... 35’18”
   Râga Pantuvarâlî - Tâla Âdi
4. Bhajan : Alarshara paritâpam (composition : Swâti Tirunâl Mahârâjâ) .................... 5’27”
   Râga Surutti - Tâla Mishra châpu
5. Tillâna (composition : Swâti Tirunâl Mahârâjâ) ........................................................... 4’45”
   Râga Dhanashrî - Tâla Âdi
6. Tiruppugal : Niraimati (composition : Arunagirinâthar) ........................................... 3’53”
   Râga Hamsânandi - Tâla Âdi

O. K. Subramaniam, nâgaswaram (hautbois / oboe)
N. V. Sankara Narayanan, violon / violin
A. Balakrishnan Kamath, mridangam (tambour / drum)
D. Vinodkumar, kanjîra (tambour sur cadre / frame drum)
R. Pai Sreekanth, tambûrâ (bourdon / drone)

Collection fondée par Françoise Gründ
et dirigée par Pierre Bois
Enregistrements réalisés le 9 mai 2003 à Kochi, Kerala.
Enregistrements, mixage et notice, Fabrice Contri. Traduction
anglaise, Frank Kane. Illustration de couverture, Françoise
Gründ. Photographies, X. Réalisation, Pierre Bois.
© et O
     P 2004 Maison des Cultures du Monde.

INEDIT est une marque déposée
de la Maison des Cultures du Monde (direction, Chérif Khaznadar).
Inde du Sud
                                O. K. SUBRAMANIAM
           Le hautbois nâgaswaram dans la tradition carnatique

         O    h Râma ! Protecteur du monde ! Toi, Bienfaiteur de toute la Création, depuis la
              minuscule fourmi jusqu’à la Trimûrti 1, pourquoi ne viens-tu pas vers moi pour
         me protéger ? (...) Ne m’as-tu jamais surpris assoiffé d’argent pour mener une vie oisi-
         ve et artificielle, de pompe et de luxe ? Ne me suis-je jamais complu dans l’orgueil et
         adonné à de viles actions. Oh ! Sitarâma, adoré de Tyâgarâja !

Ainsi Tyâgarâja adresse-t-il cette supplique à            vénérons-nous nos grands compositeurs non
son dieu dans la composition Râma Nannu                   seulement pour leurs œuvres mais aussi parce
Brôvarâ (plage 2). Tyâgarâja qui ne cessa                 qu’ils sont de grands saints” 2. La musique se
durant toute son existence de chanter le nom              présente donc comme une forme particuliè-
de son Aimé, Râma, dieu-roi de la célèbre                 rement efficace de yoga, c’est à dire une
épopée hindoue, le Râmâyana. “Nâdabrahmâ,                 recherche sur soi à travers le son, pour
Dieu manifesté dans le son primordial, s’incarna          dépasser l’état matériel du quotidien afin de
dans Shrî Râma”, dit Tyâgarâja.                           se fondre dans l’amour divin.
Tyâgarâja, appartient à cette tradition de                Un courant de pensée mystique, la bhakti, a
compositeurs de l’Inde du Sud reconnus                    joué un rôle déterminant dans l’orientation
tout autant pour leur valeur artistique que               de la vie artistique de l’Inde du Sud et
pour l’ardeur de leur foi. “En Inde, il ne s’agit         notamment durant “l’âge d’or” (1650-1850)
pas simplement de créer des mélodies, aussi               de la musique carnatique (musique classique
extraordinaires soient-elles, ou des rythmes              de l’Inde du Sud). La bhakti élabore un lien
complexes pour être considéré comme un grand              amoureux très intense entre l’homme et la
compositeur : il faut aller au-delà des simples           divinité. Il ne s’agit pas d’une pensée poly-
dimensions techniques et esthétiques. Aussi               théiste mais d’un monothéisme qui se

1. Dans l’hindouisme, triple manifestation divine : Brahmâ, Shiva, Vishnu.
2. Propos recueillis auprès de Mavelikkara Prabhakaravarma, professeur au Sri Swathi Thirunal College of Music
de Trivandrum, Kerala.

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manifeste à travers une pluralité de formes                  statut social, le degré de connaissance de
(l’expression “monothéisme protéiforme”                      l’auditeur. Cette merveilleuse alchimie
serait sans doute la plus juste). Dans la                    sonore saisit et transforme le corps et l’âme
bhakti, le dévot (bhakta) adore en effet Dieu,               par l’exacerbation des sentiments c’est-à-
l’unique Absolu, mais il en choisit, suivant                 dire par ce qu’il y a de plus spontané chez
ses propres aspirations, un aspect particulier               l’homme, de plus simple.
qui va représenter sa divinité d’élection                    Les trois grands compositeurs Arunagiri-
(ishta-deva).                                                nâthar, Tyâgarâja, et Swâti Tirunâl furent
Cette relation, véritable ascèse (Tyâgarâja                  d’ardents dévots (bhakta) de Murugan, Râma
signifie d’ailleurs roi, râja, et ascèse, tyâga), ne         et Padmanâba, trois divinités relatives à
saurait se complaire dans les plaisirs sensuels              Shiva et Vishnu mais personnifications d’un
mais elle reconnaît cependant en ces derniers                même Absolu. Les poèmes écrits par ces
leur extraordinaire force de captation : capta-              saints, par ailleurs musiciens prolixes (dont
tion de l’auditoire, captation des sentiments du             ce disque propose quelques joyaux) revêtent
dévot afin de les diriger vers l’objet de sa foi.            toutes les formes possibles du dialogue
Ainsi, la musique de l’Inde du Sud, bien que                 amoureux : celle de deux amants, celle d’un
toute entière méditation sur le divin,                       enfant avec ses parents, celles de deux frères,
demeure aussi jubilatoire et même extraver-                  mêlant la joie de l’union au doute et à la
tie. L’excellence de la musique (il faut cultu-              souffrance de la séparation. La bhakti à tra-
rellement y rattacher poésie et théâtre)                     vers cette perpétuelle introspection du senti-
réside aussi dans cette ouverture du cœur et                 ment amoureux, offre un champ infini d’ex-
de l’esprit à l’égard de tous, quel que soit le              pressions poétiques et musicales.

                                   Composition et improvisation

Les musiciens indiens ne cessent de fasciner                 créations possèdent cette perfection qui les
le monde entier pour leur extraordinaire                     rend infiniment respectables. Il faut alors
génie de l’improvisation. Aussi peut-on                      en préserver la trace poétique (prière) et
s’étonner que la tradition carnatique                        musicale. Le terme composition et avec lui
accorde une telle importance à la composi-                   ceux de compositeur et d’interprète revêtent
tion. Mais cela surprend moins si l’on prend                 donc ici un sens beaucoup plus large qu’en
précisément en compte le caractère sacré de                  Occident.
l’œuvre léguée : puisque les compositeurs                    “Les œuvres de nos saints-compositeurs consti-
ont existé et agi comme des saints, leurs                    tuent autant de modèles pour les générations et
                                                       –4–
les générations de musiciens passées et à venir.             de l’intention qui a présidé à sa création. La
Leur perfection mélodique quant à l’art du râga              quintessence de cet art réside par consé-
et du tâla en fait des joyaux insurpassables, on             quent dans la spontanéité de l’expression. Si
peut ainsi se contenter de les jouer telles quelles.         certaines formes, notamment celles desti-
Cependant un véritable musicien – entendons                  nées à l’apprentissage, sont réalisées “littéra-
ici l’interprète – saura aussi maîtriser la vie              lement”, un concert réussi ne peut en
propre de la musique c’est-à-dire l’improvisa-               revanche se passer de l’improvisation. Le
tion. L’improvisation ne signifie donc pas le                véritable interprète ne se limite donc pas à
contraire de la composition mais son utile com-              reproduire avec exactitude l’œuvre compo-
pagne, celle par laquelle l’œuvre du passé accède            sée, il possède aussi ces qualités créatrices
à nouveau, pleinement, à la vie” [Mavelikkara                qui en font rejaillir l’élan initial. En ce sens,
Prabhakaravarma].                                            l’œuvre est un modèle légué par les grands
La tradition carnatique mêle avec une                        maîtres pour guider le musicien sincère. Et
grande subtilité improvisation et composi-                   cette sincérité s’exprime par un dépasse-
tion. Dans ce contexte dévotionnel, l’inter-                 ment de soi et un amour du divin dont l’ar-
prétation de l’œuvre musicale se doit d’ap-                  deur conduit – tout comme le sama’ de la
procher au plus près la sincérité et la ferveur              tradition soufie – à l’extase à travers le son.

                         Primauté de la voix, de la parole et du chant

Parmi tous les instruments, la voix demeure                  reconnaît en ses compositeurs non seule-
souveraine car elle émane de l’être humain                   ment de grands saints mais d’authentiques
et représente chez lui (chronologiquement                    poètes. La musique instrumentale emprunte
mais aussi qualitativement) la forme pre-                    donc presque tout son répertoire à celui de
mière de l’expression sonore. Ses immenses                   son modèle vocal et tout instrumentiste
possibilités réunissent toutes les qualités des              devrait idéalement connaître les textes des
autres instruments qui tentent tous d’at-                    chants qu’il interprète. Même s’ils ne sont
teindre la même finesse.                                     pas prononcés, les mots et leur sens imprè-
La voix jaillit aussi comme la manifestation                 gnent chaque contour, chaque inflexion du
poétique et musicale du souffle et le chant                  souffle et de la musique. Ecrits en sanskrit
représente la forme suprême de la pratique                   ou dans des langues dérivées de celui-ci, ils
du bhakta. L’appel du divin, la répétition de                jouent un rôle important dans l’élaboration
ses noms, acquièrent alors une efficacité                    structurelle de la mélodie. Les successions
sans équivalent. La tradition carnatique                     des syllabes longues et brèves des langues
                                                       –5–
indiennes influent sur les rythmes musi-                 vient à révéler les multiples facettes. Car
caux ; les règles de la prosodie condition-              loin de constituer un objet rigide et sta-
nent le phrasé mélodique, les articulations              tique, le râga, tel un dieu hindou, jaillit
et les respirations instrumentales. Le soliste           sous de multiples formes, témoins de la
de ce CD, qui a aussi reçu une formation                 diversité de la création et des sentiments
complète en chant, en flûte et en percus-                humains.
sion, connaît parfaitement les poèmes des                La vie des râga dépend également d’un para-
compositions qu’il interprète. Cette réfé-               mètre fort important dans la musique
rence permanente aux mots (chantés inté-                 indienne et plus particulièrement dans celle
rieurement) confère à son style une dimen-               du Sud : le gamaka. Il n’existe pas de terme
sion très proche de la voix.                             français totalement juste pour traduire ce
La musique carnatique use, comme sa sœur                 mot. Celui d’ornement en donne une vision
hindoustanie (d’Inde du Nord), de l’infinie              quelque peu trompeuse puisqu’il s’agit en
diversité des râga et des cycles rythmiques              vérité d’une inflexion, d’une modulation
(tâla). D’un point de vue strictement tech-              inhérente à la note – un chant en filigrane –
nique le râga est tout d’abord une échelle               et non point d’un mouvement ajouté à cette
(gamme), un mode. Il se manifeste égale-                 dernière. S’ils réclament rigueur et précision
ment comme une mélodie, un ensemble de                   technique, les gamaka doivent aussi être
contours mélodiques caractéristiques (san-               portés par une intention expressive, jeu de
châra), propres à générer certaines émo-                 la sensibilité et de l’imagination de l’inter-
tions, à susciter, selon le génie créatif de son         prète, à même de mettre en valeur et de
interprète, un état d’empathie chez l’audi-              nuancer la saveur subtile du râga (bhâva). Ils
teur. Mais il demeure avant tout un art très             apparaissent également, pour cette raison,
subtil du chant qui réside au plus profond               comme le lieu essentiel et quasi exclusif de
de l’être et dont le musicien inspiré par-               l’emploi des micros intervalles.

                             L’interprétation et les instruments

Le nâgaswaram : Instrument essentiel de la               d’utilisation de cet instrument puisqu’il ne
musique de temple, le hautbois nâgaswaram                fait pas entendre la formation habituelle de
allie à la puissance de l’émission sonore,               temple mais celle caractéristique de la
manifestation du souffle, la finesse mélo-               musique classique de concert. Ce genre d’in-
dique propre au jeu des oscillations ou                  novation ne contredit cependant nullement
gamaka. Ce CD illustre un cas exceptionnel               la tradition puisque l’histoire de la musique
                                                   –6–
indienne, comme celle des autres cultures               à l’expressivité musicale, apportent au
du monde dites “traditionnelles”, doit aussi            contraire des couleurs et une profondeur
sa vigueur à de telles initiatives person-              nouvelles par la tension toute particulière
nelles. Le soliste, O. K. Subramaniam, reste            qu’ils engendrent.
cependant avant tout un musicien de
temple, dont il connaît et exerce parfaite-             Le violon : en Inde du Sud, le violon est le
ment le métier (ville de Kochi et régions               principal instrument d’accompagnement
alentours), et ce n’est que ponctuellement              mélodique. Sans doute introduit dans le
qu’il donne des concerts comme celui qui                pays par les Portugais au cours du XVIIe
est enregistré ici.                                     siècle – bien que certains musicologues
La formation instrumentale classique impli-             indiens revendiquent une origine autoch-
que un usage particulier du nâgasvaram. Son             tone beaucoup plus ancienne – sa facture
association avec des instruments moins                  originale n’a pas été modifiée. Cependant,
sonores, le violon et la tambûrâ (luth à                la manière de le tenir, l’accord particulier de
quatre cordes jouant le bourdon), nécessite             ses quatre cordes (tonique-dominante-
en effet un contrôle extrêmement nuancé                 tonique-dominante ou parfois dominante-
de la puissance et du timbre. Formé à la                tonique-dominante-tonique) ainsi que son
grande école de Tanjâvûr (Tamil Nadu),                  diapason lui donnent une couleur “typique-
O. K. Subramaniam connaît fort bien par                 ment” indienne. Le rôle de soliste est bien
ailleurs, grâce à son propre frère, le hautbois         entendu aussi souvent dévolu à cet instru-
d’Inde du Nord (le shehnai), naturellement              ment, davantage dans le Sud que dans le
plus doux et donc mieux adapté à ce genre               Nord néanmoins.
de performance. Aussi le jeu du nâgaswa-
ram, par la finesse de ses dynamiques, rap-             Percussions : le mridangam et le kanjîra,
pelle ici à maintes reprises le shehnai. Plus           qui remplacent ici le traditionnel tavil, com-
qu’un simple tour de force, cette manière               plètent l’effectif instrumental. Le mridangam
d’utiliser l’instrument conduit le musicien à           est un tambour en tonneau à deux peaux
défier, peut-être davantage encore que dans             (accordées par tension), tenu horizontale-
le cadre rituel, des contingences techniques            ment. Le kanjîra est un petit tambour sur
et organologiques particulièrement contrai-             cadre muni de sistres, dont la peau est accor-
gnantes. Le nâgaswaram est en effet réputé              dée par humidification. La variété des tech-
pour être extrêmement difficile, notam-                 niques de frappes sur ces deux tambours per-
ment sur le plan du contrôle du débit d’air             met d’étonnantes variations de fréquence,
et des doigtés. Ces impératifs, loin de nuire           de timbre et de dynamique.
                                                  –7–
Les pièces

Cet enregistrement propose un éventail assez              tères littéraires (formes poétiques, langues
large des différentes catégories de composi-              employées, prosodie) et contextuels (chant
tion et d’improvisation de la tradition carna-            de prière individuel, collectif ; musique de
tique. La structure actuelle des concerts en              concert, de danse, de théâtre ; études et
Inde du Sud tend hélas de plus en plus à                  pièces de concert, etc.). Dans ce cadre, l’in-
limiter le répertoire au seul kriti (plage 2).            vention musicale joue donc un rôle détermi-
Aussi les six œuvres présentées ici ont-elles             nant, l’interprétation pouvant être définie
été choisies, outre leurs qualités artistiques,           comme une dialectique entre la forme prédé-
pour témoigner de cette diversité.                        terminée et la forme à construire.
La majorité des pièces qui composent le                   Les échelles des râga, ci-dessous, sont don-
répertoire carnatique (excepté le râgam-                  nées sous leur forme ascendante et descen-
tânam-pallavi en plage 3) obéit au même                   dante, hormis de possibles altérations passa-
schéma structurel :                                       gères, à partir du mi bémol, tonique du
• pallavi (idée mélodique de base ou refrain) ;           nâgaswaram dans cet enregistrement.
• anupallavi (seconde idée mélodique), pallavi ;
• charanam (conclusion), pallavi.                         1. Varnam : Ninnu kôri
Le parcours mélodique évolue pour chacune                 Compositeur : Poochi Shrînivâsa Ayyangâr
de ces trois parties vers le registre aigu, sorte         (1867-1919)
de figuralisme correspondant à l’accroisse-               Râga Môhana :
ment de l’intensité poético-musicale et de la
ferveur religieuse. De courtes phrases, lais-
sées aux seules percussions et constituées
par le triple énoncé d’un même motif ryth-                Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2
mique, délimitent clairement ces différentes              Certaines compositions destinées à l’appren-
sections.                                                 tissage constituent des œuvres à part
Les structures de base changent peu d’une                 entière. Elles sont donc souvent conservées
pièce à l’autre et c’est principalement dans la           par l’écrit et interprétées en concert. Tel est
manière de les manipuler – de les mettre jus-             le cas du varnam, l’une des formes musicales
tement en forme et en chant – que se distin-              consacrées de l’Inde du Sud, par laquelle
guent les différentes formes. Les systèmes de             débutent généralement les récitals.
classification des formes dans la musicologie             Le varnam vise à présenter les différentes
carnatique tiennent surtout compte des cri-               facettes du râga dans lequel il est composé.
                                                    –8–
C’est en soi une gageure puisqu’il aspire, en          féré s’exprimer de manière spontanée, fai-
un laps de temps réduit, à l’exhaustivité. Par         sant jaillir l’œuvre musicale – voire le texte
là même, le varnam apparaît comme un                   et la musique – en l’improvisant. Tel était le
moyen d’exception, une référence pour l’im-            cas de certains grands bhakta et plus particu-
provisation. À la manière du prélude des               lièrement du plus célèbre compositeur de
suites baroques européennes, il permet à               l’Inde du Sud : Tyâgarâja. Ses œuvres ont
l’interprète de prendre contact avec la scène          été préservées par ses disciples, oralement
et le public ainsi que de se délier la voix ou         ou par l’écrit, et transmises de génération en
les doigts. Il engendre une ambiance, un cli-          génération.
mat sonore et émotionnel particuliers. L’in-           Le kriti tient depuis le XVIIIe siècle une place
terprète rend également hommage aux                    de choix dans le répertoire carnatique. Cette
grands maîtres de la tradition en ouvrant              affection des interprètes et du public pour
son récital par l’un de leurs chefs-d’œuvre.           cette forme, particulièrement propice à
Une courte introduction ou âlâpana intro-              l’exubérance du sentiment religieux, s’est
duit ici le varnam Ninnu kôri. Le terme âlâ-           développée à l’excès durant le XXe siècle, à
pana peut être défini comme un prélude                 tel point qu’elle représente aujourd’hui
d’improvisation libre, non-mesuré, dans le             environ 75% des programmes des concerts
râga de la composition qui le suit. Il s’agit          et des disques.
plus largement d’une exploration des diffé-            Le kriti, à travers un jeu subtil d’alternances
rentes possibilités du râga.                           entre épisodes composés et improvisés, peut
                                                       être considéré comme un exemple particuliè-
2. Kriti : Râma nannu brôvarâ                          rement ingénieux d’œuvre ouverte. L’inter-
Compositeur : Tyâgarâja (1767-1847)                    prète possède en effet ici un vaste champ de
Râga Harikâmbhôjî :                                    liberté car il peut improviser à la fois avant
                                                       (âlâpana) et après (swara) la composition,
                                                       mais également au sein de cette dernière
                                                       (niraval). Ainsi les phrases importantes du
Tâla Rûpaka : 6 temps divisés en 2 + 4                 discours mélodique génèrent-elles l’improvi-
La seconde catégorie de compositions que               sation notamment dans des séries de varia-
distingue la théorie indienne comprend les             tions ou sangati. On attribue à Tyâgarâja lui-
œuvres destinées au concert. Elle peut égale-          même cette manière de développer un
ment comporter des partitions, notées par              élément thématique dans le kriti. Mais l’ori-
leur créateur ou encore par ses disciples. En          gine de ce procédé musical, thème et varia-
effet, les grands musiciens ont souvent pré-           tion, réside aussi dans la prière (la répétition
                                                 –9–
du nom divin à la manière des perles du cha-         violon) soutenus chacun par une des deux
pelet) et dans l’exacerbation graduelle du           percussions (ici respectivement mridangam /
sentiment de ferveur qu’elle induit (montée          kanjîra). Le début du charanam se situe à
dans l’aigu et rétrécissement des valeurs            8’34” et le niraval à 8’50”.
rythmiques).
Le kriti apparaît en cela moins systématique         3. Râgam-Tânam-Pallavi
que le varnam et, s’il figure aussi comme un         Traditionnel
modèle, il n’acquiert son idéale dimension           Râga Pantuvarâlî :
– celle par laquelle il devient “une structure
d’extase” – que par le biais de l’imagination, de
la personnalité vivante de l’exécutant. De nos
jours, beaucoup d’interprètes confondant le          Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2
kriti avec le varnam, se limitent hélas trop sou-    Forme noble, reine de la musique classique
vent à l’exécution stricte de l’œuvre composée.      de l’Inde du Sud – au même titre que la
Cette tendance, qui semble liée à l’influence de     sonate en Occident – le râgam-tânam-pallavi
la composition occidentale – principalement la       a, au cours du XXe siècle, progressivement
pop music bon marché – mais aussi à une cer-         perdu sa place d’honneur au sein des
taine “paresse”, tend à amputer la musique car-      concerts au profit du kriti. Ce phénomène
natique de sa vitalité essentielle et de ce qui      s’explique sans doute, comme nous l’avons
permet justement d’en distinguer les formes.         souligné, par la régression de l’improvisa-
Maîtriser l’improvisation reste pourtant l’un        tion. En effet, dans le râgam-tânam-pallavi
des principaux impératifs de l’apprentissage du      l’élément composé est réduit à sa portion la
nâgaswaram car elle permet aux musiciens             plus congrue : une ou deux phrases mélo-
d’adapter la durée de leur jeu à celle des céré-     diques qui forment la cellule thématique du
monies de temples et des nombreuses proces-          pallavi. Il s’agit donc d’une structure, d’une
sions qu’ils accompagnent.                           ossature, d’un parcours que l’interprète doit
Dans le niraval, l’interprète choisit au sein        “remplir” en faisant appel à sa créativité et à
de la composition une brève cellule théma-           sa science de l’improvisation.
tique qui souligne souvent un passage cru-           Râgam (âlâpana) : les râga ne permettent pas
cial du texte poétique (ici le mot “argent”, la      tous de longs développements. Pantuvarâlî,
cellule thématique étant empruntée au cha-           par la variété de ses intervalles et de ses ten-
ranam). L’improvisation se développe selon           sions internes, offre un riche éventail
un dialogue de plus en plus resserré entre les       expressif. O. K. Subrâmaniam improvise
deux instruments mélodiques (nâgaswaram /            ainsi un ample âlâpana (râgam) dont le par-
                                                – 10 –
cours mélodique, tout comme les sangati du          moins une fois, les percussions s’exprimer
kriti, évolue vers un climax situé dans le          seules. Cet épisode nommé tâni âvartanam
registre aigu, très tendu, de l’instrument.         consiste en un dialogue, un jeu d’imitations,
Tânam (à 11’12”) : lorsque le râgam-tânam-          des différents instruments de percussion. Il
pallavi est chanté, la voix se fixe sur les syl-    procède d’abord à un rétrécissement des
labes ta et nam, les répète et les associe selon    phrases (dénommé par analogie formelle
toutes les combinaisons possibles tout en           “en queue de vache”) puis se reconstruit en
explorant les différentes potentialités du râga.    sens inverse (s’élargissant cette fois comme
À la différence de l’âlâpana cependant, c’est       “une rivière”) avant de préparer le retour du
l’aspect rythmique, la pulsation interne d’un       soliste qui conclura la pièce par une dernière
mot, qui sont ici explorés et mis en valeur. Le     exposition du thème. Lorsqu’un concert
terme tânam provient sans doute de la défor-        comprend un râgam-tânam-pallavi, le tâni
mation par réitération du mot ananta, serpent       âvartanam s’y insère tout naturellement : ce
sacré sur lequel s’endort le dieu Vishnu après      passage, dégagé de toute mélodie, représente
la résorption du précédent univers et dans          la conclusion logique de la progression ryth-
l’attente de celui à naître. Espace entre deux      mique de cette forme.
mondes, le tânam est une sorte d’épisode tran-
sitoire entre la souple mélodie de l’âlâpana et     4. Bhajan : Alarshara paritâpam
les mathématiques rythmiques du pallavi.            Compositeur : Swâti Tirunâl Mahârâjâ
Pallavi (à 15’03”) : le thème employé ici est       (1813-1847)
emprunté à une pièce destinée à mettre en           Râga Surutti :
valeur les percussions et possède un carac-
tère rythmique très affirmé. Il appelle ainsi
un jeu particulièrement virtuose sur la
dimension temporelle du discours musical :          Tâla Mishra châpu : 7 temps divisés en 3 + 2 + 2
divisions et multiplications (paires et             Les échelles des râga apparaissent parfois
impaires) de la phrase thématique et du             comme de véritables mélodies en miniature.
cycle de base, syncopes et contre-temps,            Ainsi le mouvement “en dents de scie” de
accents et contre-accents dévoilent et mas-         Surutti implique-t-il certaines tournures que
quent tour à tour l’omniprésente régularité         l’interprète doit jouer et qui donnent une
de la pulsation et, plus généralement, de           couleur, une énergie particulières au dis-
l’écoulement du temps.                              cours musical.
Tâni âvartanam (à 27’37”) : il est de tradition     Les artistes, tous natifs du Kerala, ont choisi de
durant un concert que le soliste laisse, au         rendre hommage au compositeur le plus
                                               – 11 –
célèbre de cet État : Swâti Tirunâl qui fut, outre    son irrésistible curiosité, de son émerveille-
un artiste incomparable, mahârâjâ de Travan-          ment vis-à-vis de tous les modes d’expres-
core (ancien royaume de l’actuel Kerala).             sion du génie humain mais aussi – tout
Le bhajan, terme dérivé de la racine sanskrite        comme les qawwâl soufis du Nord de l’Inde
bhâj (qui a en partage, entre autres sens) est,       et du Pakistan – de sa générosité universelle.
comme la grande majorité des compositions             Le tillâna appartient au répertoire de la
du répertoire d’Inde du Sud, un chant dévo-           musique de danse et se caractérise par son
tionnel. Il se distingue cependant du varnam          dynamisme rythmique qui met en valeur le
et du kriti par une plus grande simplicité.           jeu des percussions. Pièce brillante, il conclut
Prière humble, intime, le bhajan s’adresse à          souvent les concerts classiques. Malgré ce
tout un chacun. Sa mélodie, porte avec                caractère plus léger, le tillâna ne s’écarte
lyrisme, et même souvent un certain roman-            pourtant pas du domaine religieux puisque
tisme, l’amour du poète bhakta pour les               la danse, et avec elle l’expression gestuelle
autres hommes et son dieu. L’intelligibilité          mais aussi sonore du corps, demeure en Inde
du texte demeure un paramètre essentiel. Si           un art sacré. Le geste dansé prolonge la jubi-
la voix sert au mieux le bhajan il arrive cepen-      lation intérieure de la foi, condition préa-
dant, comme dans ce disque, qu’il soit inter-         lable à l’expression véritable de l’art.
prété instrumentalement. Le nâgaswaram,
support des rituels religieux, paraît particuliè-     6. Tiruppugal : Niraimati
rement approprié à ce genre de substitution.          Compositeur : Arunagirinâthar (xve siècle)
                                                      Râga Hamsânandi :
5. Tillâna
Compositeur : Swâti Tirunâl Mahârâjâ
(1813-1847)
Râga Dhanashrî :                                      Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2
                                                      Cette dernière catégorie de composition, au
                                                      tempo et au caractère allègres, met en valeur
                                                      de manière encore plus savante que le
Tâla Âdi : 8 temps divisés en 4 + 2 + 2               tillâna, la dimension rythmique du langage
Souverain mais aussi humaniste éclairé,               musical. Arunagirinâthar s’y est particulière-
Swâti Tirunâl a écrit et composé dans tous            ment illustré et certains musicologues
les genres, toutes les formes et dans de mul-         indiens lui attribuent près de seize mille
tiples langues (de l’Inde, du Moyen-Orient            tiruppugal. Au-delà d’une vérité historique
et même en anglais). Ainsi témoigna-t-il de           que la tradition indienne considère de toute
                                                 – 12 –
façon comme moins signifiante que celle         l’une des ascèses les plus plaisantes et les
des émotions, il faut voir dans ce nombre la    plus efficaces.
marque de l’exacerbation créatrice et reli-     L’interprétation de O. K. Subrâmaniam
gieuse de ce saint-poète et musicien tamil.     délaisse ici l’accompagnement du violon
Les Indiens prêtent d’ailleurs, en cette        afin de se rapprocher davantage du style tra-
manière d’appréhender le monde événe-           ditionnel du nâgaswaram : hommage à la
mentiel, maints miracles à leurs composi-       musique de temple, à ses divinités et aux
teurs. Le tiruppugal manifeste clairement le    saints-poètes qu’elles ont au cours des
versant extraverti de la bhakti et nous rap-    siècles inspirés.
pelle aussi que la musique figure comme                                    FABRICE CONTRI

                                           – 13 –
O. K. Subramaniam, nâgaswaram
N. V. Sankara Narayanan, violon / violin
A. Balakrishnan Kamath, mridangam
D. Vinodkumar, kanjîra
South India
                               O. K. SUBRAMANIAM
               The oboe nâgaswaram in the Carnatic tradition

         O     h Râma! Protector of the World! You, Benefactor of all Creation, from the
               most miniscule ant to the Trimûrti 1, why don’t you come to me to protect me?
         (...) Haven’t you ever surprised me thirsting for money to lead an idle and artificial
         life of pomp and luxury? Haven’t I ever taken pleasure in pride and committed vile
         actions? Oh! Sitarâma, adored of Tyâgarâja!

Tyâgarâja thus addresses this supplication to         because they are great saints” 2. Music is seen as
his god in the composition Râma Nannu                 a particularly effective form of yoga, i.e. a
Brôvarâ (track #2). Throughout his existence,         search for self-knowledge through sound,
Tyâgarâja constantly sang the name of his             going beyond the materialism of daily life in
Beloved, Râma, god-king of the famous                 order to become one with the divine love.
Hindu epic, the Râmâyana. “Nâdabrahmâ,                A current of mystical thought, bhakti, played
God manifested in the primordial sound, was           a decisive role in the artistic life of South
incarnated in Shrî Râma”, says Tyâgarâja.             India, especially during the “golden age”
Tyâgarâja belongs to this tradition of com-           (1650-1850) of Carnatic music (classical
posers of South India who are recognised as           music of South India). Bhakti develops a very
much for their artistic talent as for the ardour      intense amorous link between man and the
of their faith. “In India, you must do more than      divine. This is not a form of polytheistic
just invent melodies – however extraordinary they     thought but rather a monotheism that
may be – or complex rhythms to be considered a        involves a plurality of forms (the expression
great composer: you must go beyond the mere tech-     “proteiform monotheism” would probably
nical and aesthetic dimensions. We venerate our       be the most accurate description). In bhakti,
great composers not just for their works, but also    the follower (bhakta) adores God, the sole

1. In Hinduism, the triple manifestation of the divine: Brahmâ, Shiva, Vishnu.
2. Comments from Mavelikkara Prabhakaravarma, Professor at the Sri Swathi Thirunal College of Music of
Trivandrum, Kerala.

                                                 – 18 –
Absolute, but he chooses a particular aspect       grips and transforms the body and soul by
that will represent his chosen divinity (ishta-    the exacerbation of feelings, i.e. through
deva) according to his own aspirations.            people’s most spontaneous and natural side.
This spiritual relationship (‘Tyâgarâja’ com-      The three great composers Arunagirinâthar,
bines râja: king, and tyâga: spiritual path)       Tyâgarâja, and Swâti Tirunâl were ardent fol-
does not revel in sensual pleasures although       lowers (bhakta) of Murugan, Râma and Pad-
it does recognise their extraordinary power:       manâba, three divinities related to Shiva and
to win over listeners, to seize the feelings of    Vishnu but personifications of the same Abso-
the follower to direct them towards the            lute. The poems written by these saints, who
object of his faith.                               were also prolific musicians (this CD offers
The music of South India – while remaining         some of their gems) take on all of the possible
fully a meditation on the divine – is thus         forms of amorous dialogue: between two lo-
also jubilant and even extroverted. The            vers, between a child and his parents, between
excellence of the music (including also            two brothers, blending the joy of coming toge-
poetry and theatre) lies also in this opening      ther with the doubt and suffering of separa-
of the heart and spirit to all, regardless of      tion. Bhakti, through this perpetual introspec-
social status or the degree of knowledge of        tion of amorous feelings, offers an infinite
the listener. This marvellous sound alchemy        field of poetic and musical expression.

                              Composition and improvisation

Indian musicians continue to fascinate the         meaning here than in the West.
entire world with their extraordinary genius       “The works of our saints-composers serve as
for improvisation. It may therefore seem           models for generations of musicians, past and
surprising that the Carnatic tradition con-        future. Their melodic perfection in the art of the
siders composition so important. This is less      râga and the tâla makes them such unsurpassed
puzzling however when we consider the              treasures that one could simply play them as
sacred nature of the works bequeathed: as          they are. However, a real musician – meaning
the composers lived and acted like saints,         performer – must also have a mastery of the
their creations have a perfection that makes       living nature of the music, i.e. improvisation.
them infinitely respected. Both the poetic         Improvisation is not the opposite of composi-
(prayer) and musical traces must be pre-           tion, but rather its useful companion, by which
served. The term composition and with it           a work from the past comes fully to life again”
composer and performer have a much broader         [Mavelikkara Prabhakaravarma].
                                              – 19 –
The Carnatic tradition blends improvisation         out improvisation. A real performer does not
and composition with great subtlety. In this        just reproduce the composed work; he also
devotional context, the interpretation of a         has the creative talent that brings out the
musical work must come as close as possible         initial spirit of the piece. In this sense then,
to the sincerity and fervour of the intention       the work is a model bequeathed by the great
that governed its creation. The quintessence        masters to guide sincere musicians. And this
of this art thus lies in the spontaneity of the     sincerity is expressed by surpassing oneself
expression. While certain forms, particularly       and through divine love, the ardour of
those used for learning, are performed “liter-      which leads – as with the sama’ of the Sufi
ally”, a successful concert cannot occur with-      tradition – to ecstasy through sound.

                Primacy of the voice, of the spoken word and of singing

Of all instruments, the voice remains the           inflexion of the breath and the music. The
greatest because it comes from human beings         texts are written in Sanskrit or the languages
and represents (chronologically but also            derived from it and play an important role
qualitatively) their first form of sound expres-    in the structural development of the
sion. Its immense possibilities include all of      melody. The successions of long and short
the qualities of other instruments, which all       syllables of the Indian languages influence
try to reach the same degree of subtlety.           the musical rhythms; the rules of the
The voice springs forth as a poetic and musi-       prosody condition the melodic phrasing,
cal manifestation of the breath and singing         the articulations and instrumental respira-
represents the supreme form of the bhakta’s         tions. The soloist of this CD, who also
devotion. With it, the call to the divine and       received comprehensive training in singing,
the repetition of his names have unparal-           flute and percussion, has a perfect knowl-
leled efficacy. The Carnatic tradition recog-       edge of the poems of the compositions that
nises its composers not just as great saints        he plays. This constant reference to the
but also as authentic poets. The instrumen-         words (sung inwardly) gives his style a
tal music borrows almost its entire reper-          dimension very close to that of the voice.
toire from that of its vocal model and all          Carnatic music, like its Hindustani counter-
instrumentalists should ideally know the            part (of Northern India), uses the infinite
texts of the songs that they play. Even if          diversity of the râga and the rhythmic cycles
they are not pronounced, the words and              (tâla). From a strictly technical standpoint,
their meaning fill every contour, every             the râga is firstly a scale, a mode. It also
                                               – 20 –
appears as a melody, a set of characteristic         cially that of the South: the gamaka. There is
melodic contours (sanchâra), able to generate        no English word that fully translates this
certain emotions or a state of empathy               word. Ornamentation is not quite the right
within the listener, depending on the cre-           word because it is in fact an inflexion, a mod-
ative genius of the performer. But it remains        ulation inherent to the note – a song beneath
above all a very subtle art of singing that lives    the surface – and not a movement that is
deep within a being and which the inspired           merely added on. While it requires rigour and
musician manages to reveal in its multiple           technical precision, the gamaka must also be
facets. Far from being a rigid and static form,      borne by an expressive intention, by the per-
the râga, like a Hindu god, springs forth in         former’s sensitivity and imagination, high-
multiple forms, bearing witness to the diver-        lighting and nuancing the subtle flavour of
sity of creation and of human feelings.              the râga (bhâva). For this reason the gamaka
The life of the râga also depends on an impor-       provide the essential and almost exclusive
tant parameter of Indian music and espe-             situation for the use of micro-intervals.

                                Interpretation and instruments

The Nâgaswaram: the oboe nâgaswaram is               the environment he knows perfectly and
the essential instrument for temple music,           where he works (city of Kochi and the sur-
combining the strength of its sound emis-            rounding regions), and he only occasionally
sion, a manifestation of the breath, and             gives concerts such as the one recorded here.
melodic subtlety appropriate for the playing         A classical instrumental configuration implies
of oscillations or gamaka.                           a particular use of the nâgasvaram. Its associa-
This CD illustrates an exceptional use of this       tion with less sonorous instruments, the violin
instrument because it does not present the           and the tambûrâ (four-stringed lute that plays
usual temple configuration, but rather that          the drone), requires extremely nuanced con-
which is characteristic of classical concert         trol of strength and timbre. O.K. Subrama-
music. This type of innovation does not in           niam was trained in the great school of Tan-
any way contradict the tradition because the         jâvûr (Tamil Nadu), and is also well acquainted
history of Indian music, like that of other          – thanks to his own brother – with the oboe of
world cultures referred to as “traditional”,         Northern India (the shehnai), which is natu-
owes its vitality to just such personal initia-      rally softer and thus better suited to this type
tives. The soloist, O.K. Subramaniam,                of performance. The playing of the nâgaswa-
remains above all a musician of the temple,          ram, with its subtlety and dynamics, is here
                                                – 21 –
often reminiscent of the shehnai. More than a       was not changed. However, the way of hold-
simple exploit, this manner of using the            ing it and the tuning of its four strings
instrument leads the musician to brave – per-       (tonic-dominant-tonic-dominant or some-
haps still more than in the ritual framework –      times dominant-tonic-dominant-tonic) as
the particularly constraining techniques and        well as its range give it a “typically Indian”
organological contingencies. The nâgaswaram         colour. The role of the soloist is of course
is considered to be extremely difficult to play,    often assigned to this instrument, more so
especially in terms of air flow control and the     in the South than in the North, however.
fingering technique. Far from penalising the
musical expression, these factors bring new         Percussion instruments: the mridangam
colours and depth through the special tension       and the kanjîra, which replace here the tra-
that they generate.                                 ditional tavil, complete the set of instru-
                                                    ments. The mridangam is a barrel drum with
The violin: in South India, the violin is the       two skins (tuned by tension), held horizon-
main instrument for melodic accompani-              tally. The kanjîra is a small frame drum with
ment. It was probably introduced by the             sistra, the skin of which is tuned by moist-
Portuguese in the 17th century – although           ening. The variety of techniques for striking
some Indian musicologists claim a much              these two drums allows for stunning varia-
older native origin – and its original form         tions of frequency, timbre and dynamics.

                                            The pieces

This recording offers a rather wide range of        • pallavi (basic melodic idea or refrain);
the various categories of composition and           • anupallavi (second melodic idea), pallavi;
improvisation of the Carnatic tradition. The        • charanam (conclusion), pallavi.
repertoire for concerts in South India is unfor-    The melodic path evolves for each of these
tunately becoming more and more exclu-              three parts towards the higher register, a sort
sively limited to the kriti (track #2). The six     of figuralism corresponding to the increase in
works of this CD were chosen – beyond their         poetic-musical intensity and religious fer-
artistic qualities – to reflect this diversity.     vour. Short phrases, played solely by the per-
Most of the pieces that make up the Carnatic        cussion and composed of a triple expression
repertoire and on this CD (except for the           of the same rhythmic motif, clearly mark out
râgam tanam pallavi of track #3) follow the         these various sections. The basic structures
same structural framework:                          change little from one piece to another and it
                                               – 22 –
is mainly in the manner of using them –            of the râga in which it is composed. It is an
shaping them and using them in singing –           attempt at the impossible, seeking to be
that the various forms are distinguished. The      exhaustive over a short period of time. In
systems for classification of forms in Carnatic    this way the varnam is a sort of exceptional
musicology take into account literary (poetic      means, a reference for improvisation. Like
forms, languages used, prosody) and contex-        the prelude of European baroque suites, it
tual criteria (individual, group prayer sing-      lets the performer get in touch with the
ing; concert, dance, and theatre music;            stage and the audience and loosen up his
études and concert pieces, etc.). Within this      voice or fingers. It creates an ambiance, a
framework, musical invention thus plays a          special emotional and sonorous climate.
determining role, and the interpretation can       The performer also pays tribute to the great
be defined as a dialectic between the prede-       masters of the tradition by starting his
termined form and the form to be built.            recital with one of their masterpieces.
The scales of the râga below are given in          A short introduction or âlâpana introduces
their ascending and descending forms,              here the varnam Ninnu kôri. The term âlâ-
except for the possible passing alterations,       pana may be defined as a freely improvised,
starting from the E flat, the tonic of the         non-metric prelude in the râga of the com-
nâgaswaram on this recording.                      position that follows it. More broadly, it is
                                                   an exploration of the various possibilities of
1. Varnam: Ninnu kôri                              the râga.
Composer: Poochi Shrînivâsa Ayyangâr
(1867-1919)                                        2. Kriti : Râma nannu brôvarâ
Râga Môhana:                                       Composer: Tyâgarâja (1767-1847)
                                                   Râga Harikâmbhôjî :

Tâla Âdi: 8 beats divided in 4 + 2 + 2
Some compositions for learning purposes            Tâla Rûpaka: 6 beats divided in 2 + 4
are works in and of themselves. They are           The second category of compositions that
often kept in written form and played in           Indian theory distinguishes includes works to
concert. This is the case for the varnam, one      be played in concert. This category also
of the traditional musical forms of South          includes scores written by their creators or by
India, with which recitals usually begin.          their disciples. Great musicians often pre-
The varnam aims to present different facets        ferred spontaneous expression, with the
                                              – 23 –
musical work – or the text and the music –         The kriti appears here to be less systematic
springing forth through improvising. This          than the varnam and, while it is also a
was the case for certain great bhakta and espe-    model, it only acquires its ideal dimension
cially the most famous composer of South           – that by which it becomes “an ecstatic
India: Tyâgarâja. His works were preserved by      structure” – through the imagination,
his disciples, orally or in writing, and trans-    through the living personality of the per-
mitted from generation to generation.              former. Nowadays, as many performers
Since the 18th century, the kriti has had a        confuse the kriti with the varnam, they too
privileged place in the Carnatic repertoire.       often limit themselves to the strict perfor-
The affection of performers and audiences          mance of the composed work. This trend,
for this form, particularly favourable for the     which seems to be linked to the influence
exuberance of religious feeling, developed         of Western composition – mainly cheap
inordinately during the 20th century, to such      pop music – but also to a certain “lazi-
an extent that it now represents about 75%         ness”, tends to rob Carnatic music of its
of concert and CD programmes.                      essential vitality and that which allows us
The kriti, with a subtle alternation of com-       to distinguish its forms. Mastery of impro-
posed and improvised episodes, can be con-         visation remains one of the main require-
sidered as a particularly ingenious example        ments for learning the nâgaswaram because
of an opening work. The performer has great        it allows musicians to adapt the duration
freedom here because he can improvise              of their playing to that of the temple cere-
before (âlâpana) and after (swara) the com-        monies and the many processions that
position, as well as within it (niraval). The      they accompany.
important phrases of the melodic discourse         In the niraval, the performer chooses from
thus generate improvisation, particularly in       within the composition a brief thematic
the series of variations or sangati. This man-     unit that often highlights a crucial passage
ner of developing a thematic element in the        of the poetic text (here the word “money”,
kriti is attributed to Tyâgarâja himself. But      the thematic unit is borrowed from the cha-
the origin of this musical process, theme          ranam). The improvisation develops in a
and variation, is also to be found in prayer       closer and closer dialogue between the two
(repetition of the divine name like the            melodic instruments (nâgaswaram / violin),
rosary) and in the gradual exacerbation of         each supported by one of the two percussion
the feeling of fervour that it induces (rising     instruments (here, respectively mridangam /
into the high register and contraction of the      kanjîra). The beginning of the charanam is at
rhythmic values).                                  8’34” and the niraval at 8’50”
                                              – 24 –
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