Pancréatite aiguë sévère : prise en charge médicale à la phase aiguë

 
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POST’U (2021)

Pancréatite aiguë sévère :
prise en charge médicale
à la phase aiguë
    Ève GELSI
    Service de soins intensifs d’Hépato-Gastroentérologie et de Nutrition Clinique, Hôpital Archet 2, CHU - 06000 Nice
    Gelsi.e@chu-nice.fr

                                                                                           Même si le terrain initial est impor­
                                             Introduction                                  tant comme l’âge, l’existence de com­
                                                                                           orbidités ou l’obésité, l’apparition et la
                                                                                           persistance de DO est déterminante.
                                             Bien que la pancréatite aiguë (PA) soit
                                                                                           En effet en cas de coexistence entre
                                             le plus souvent bénigne, les formes
                                                                                           DO et nécrose infectée, le risque de
                                             sévères représentent 10 à 20 % des
                                                                                           décès s’élève à 35 % alors qu’il n’est
                                             cas dont 40 % de formes nécrosantes.
                                                                                           que de l’ordre de 2 % sans DO. On
                                             Si la mortalité globale est de 5 à 15 %,
                                                                                           peut séparer les DO précoces qui s’in­
                                             elle peut atteindre 30 % des cas dans
                                                                                           tègrent dans le Syndrome de Réponse
                                             les formes graves. Le pronostic est
                                                                                           Inflammatoire Systémique (SRIS), des
                                             grevé par l’apparition d’une défail­
                                                                                           DO tardives le plus souvent secon­
                                             lance d’organe (DO) et par l’infection
                                                                                           daires aux infections, et dont le pro­
                                             des coulées de nécrose. Une cascade
                                                                                           nostic est meilleur (2).
                                             inflammatoire va se mettre en place
                                             dans les 24 premières heures de la            En ce qui concerne l’obésité, c’est
 OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES
                                             crise, tout traitement débuté après           principalement la graisse viscérale
—	Connaître la définition de la PA          son installation sera moins efficace          qui serait corrélée à la sévérité et au
   sévère                                    pour la désamorcer. Le premier enjeu          décès (3)(4).
—	Connaître les modalités de prise en       sera donc d’identifier le plus préco­
                                             cement possible les formes sévères            Facteurs pronostics
   charge à la phase aiguë
                                             ou mieux, de prédire l’évolution vers         La littérature foisonne de scores
—	Connaître les modalités de la prise
                                             des complications, afin d’orienter les        pronostiques, spécifiques ou géné­
   en charge nutritionnelle
                                             patients vers des services adaptés,           raux, cliniques, clinico-biologiques,
—	Connaître les modalités de surveil­       et de débuter un traitement optimal           plus ou moins simples à utiliser.
   lance et les critères de transfert en     ainsi qu’une surveillance rappro­             Certains pourront être utiles dans
   réanimation                               chée, leur offrant ainsi les meilleures       la recherche clinique, mais pour la
                                             chances de survie. Selon les critères         pratique quotidienne, ils devront
 LIEN D’INTÉRÊTS                             d’Atlanta, le diagnostic de PA néces­         être précoces (< 72 heures), faciles à
                                             sitera la présence d’au moins 2 des           utiliser et reproductibles. Les scores
L'auteur n'a pas déclaré de lien d'inté­     3 critères suivants : un taux de lipase       clinico-biologiques sont peut-être les
rêts en relation avec son article            sérique > 3N, une douleur typique épi­        plus représentatifs de l’évolution de
                                             gastrique, transfixiante dans le dos, et      la pathologie. Les scores APACHE II
                                             un examen radiologique évocateur (1).         (> 8) et SRIS (≥ 2), non spécifiques,
 MOTS CLÉS
                                                                                                                                        PANCRÉATOLOGIE

                                                                                           répondent à ces critères avec une
Repérage précoce ; Hyperhydratation ;                                                      VPN de sévérité de 80 à 90 % pour
Nutrition entérale                                                                         le premier et une sensibilité de plus
                                             Sévérité                                      de 90 % pour le second. Le score de
                                                                                           BISAP, moins utilisé car moins connu,
 ABRÉVIATIONS                                et facteurs pronostics                        est pourtant spécifique de la PA. Il
DO : défaillance d’organe                                                                  est un composite du SRIS et d’autres
PA : pancréatite aiguë                       Les critères d’Atlanta révisés en 2012        facteurs cliniques et biologiques
SRIS : syndrome de réponse inflamma­         ont permis de donner une définition           usuels, et a une bonne sensibilité
toire systémique                             consensuelle de la sévérité d’une             pour prédire la mortalité et la sévérité
PCT : procalcitonine                         pancréatite (Tableau 1).                      (Tableau 2) (2).

                                                                309
Tableau 1 : Définition de la gravité d’une pancréatite aiguë selon les critères d’Atlanta révisés (1)
 Bénigne                     Absence de DO, de complication locale ou générale et/ou de nécrose

 Modérément sévère           Présence de DO s’améliorant rapidement, et/ou de complications locales, et/ou de complications systémiques

 Sévère                      Persistance de DO (> 48 H)

                                     Tableau 2 : Les différents scores de gravité de pancréatite aiguë

 SRIS                                  •T
                                         empérature < 36° ou > 38°
                                       •F
                                         réquence cardiaque > 90 bat/mn
                                       •P
                                         aCo2 < 32 mmHg ou FR > 20 R/mn
                                       •G
                                         B > 12000 109/l ou < 4000 109/l ou >10 % cellules immatures

 Score APACHE                          • AaDO2 ou PaO2 (selon FiO2)                                              Ceux-ci sont mesurés au cours
 (appli. sur smartphone                • Température                                                             des 24 premières heures après
 MedCalc).                                                                                                        l’admission, et utilisés en plus
 Le score ponctuel est calculé         • Pression artérielle moyenne                                             des informations sur l’état de
 à partir de l’âge d’un                • pH artériel                                                             santé antérieur (chirurgie récente,
 patient et de 12 mesures              • Fréquence cardiaque                                                     antécédents d’insuffisance
 physiologiques                                                                                                   organique sévère, état
                                       • Fréquence respiratoire                                                  immunodéprimé) et les données
                                       • Sodium (sérum)                                                          démographiques de base telles que
                                       • Potassium (sérum)                                                       l’âge. Le score n’est pas recalculé
                                                                                                                  pendant le séjour, c’est par
                                       • Créatinine
                                                                                                                  définition un score d’admission.
                                       • Hématocrite                                                             Si un patient est sorti de l’unité
                                       • Nombre de globules blancs                                               de soins intensifs et réadmis,
                                                                                                                  un nouveau score APACHE II est
                                       • Échelle de Glasgow
                                                                                                                  calculé.

 Score de BISAP                        • Urée > 25 mg/dl
 risque de mortalité                   • Troubles de la conscience
 augmenté au-delà de
 3 critères                            • SRIS
                                       • Age > 60 ans
                                       • Épanchement pleural

                                                               Tableau 3 : CT Severity Index
        (Modified from: Balthazar El, Robinson DL, Megibow AJ, Ranson JH. Acute pancreatitis: value of CT in establishing prognosis.
                                                     Radiology. 1990; 174:331-6 [7])

           CT grade                        Grade score                                                 Definition

               A                                 0                  Normal pancreas

               B                                 1                  Pancreatic enlargement

               C                                 2                  Pancreatic inflammation and/or peripancreatic fat

               D                                 3                  Single peripancreatic fluid collection

               E                                 4                  2 fluid collections and/or retroperitoneal air

        % of necrosis                    Necrosis score                                                Definition

              None                               0                  Uniform pancreatic enhancement

             < 30%                               2                  Non-enhancement of region(s) of gland equivalent in size of pancreatic head

            30-50%                               4                  Non-enhancement of 30-50% of the gland

             > 50%                               6                  Non-enhancement of over 50% of the gland

      CT Severity Index                     Morbidity                                                  Mortality

               0-1                               0                                                           0

               2-3                              8%                                                           3%

               4-6                             35%                                                           6%

              7-10                             92%                                                       17%

CT severity Index = grade score (0-4) + necrosis score (0-6)

                                                                             310
Les marqueurs de la coagulation et          évolution rapidement péjorative. La        randomisée, portant sur 60 patients,
de la fibrinolyse sont aussi repré­         présence d’un SRIS, l’existence d’un       confirment que cette prise en charge
sentatifs de l’état inflammatoire           surpoids, l’âge élevé, des D-dimères       débutée dans les 4 heures suivant
local et général lié à la poussée.          et une hématocrite et/ou une urée          le diagnostic, chez des patients non
Dans une étude prospective portant          élevée dans les 48 heures, devront         sévères, entraine une amélioration
sur 71 malades, Gomercic et al. ont         nous alerter (Les critères clinicobio­     clinique dans les 36 heures (9). Par
montré qu’un taux de D-dimères              logiques permettant de décider d’une       contre une étude prospective, rando­
supérieur à 1 400 ng/ml à 36 heures         mutation en service de réanimation         misée publiée en 2020 ne retrouvait
était associé à un risque de compli­        sont détaillés plus bas).                  pas de différence sur les principaux
cations plus élevé (courbe ROC 0,75).                                                  paramètres évalués quand l’hype­
L’utilisation de cytokines comme l’IL-6                                                rhydratation était administrée après
est prometteuse, mais leur dosage en                                                   24 heures (10).
routine n’est pas toujours possible.        Traitements                                Le type de soluté utilisé est aussi
Même si l’utilisation de la CRP est
parfois critiquée pour son manque           non spécifiques                            important. L’utilisation de cristal­
de spécificité et parce que son pic                                                    loïdes semble être la plus adaptée,
est atteint à 48-72 heures, elle peut                                                  de par leur pouvoir hypervolémiant.
                                            L’hyperhydratation                         Une étude prospective, randomisée,
s’avérer utile et reste simple à obtenir.
Par exemple, l’élévation concomitante       Le rationnel est basé sur un défaut        et une méta-analyse suggèrent la
des D-Dimères (> 1 400 ng/ml) et de         de perfusion vasculaire pancréatique,      supériorité du Ringer Lactate sur le
la CRP (> 150 mg/l) à 48 H est prédic­      avec augmentation de la perméabi­          Sérum Physiologique avec une dimi­
tive de l’apparition de complications       lité capillaire et formation de micro­     nution significative du SIRS et de la
(courbe ROC 0,83) (5). En association       thrombi avec une fuite du secteur intra    CRP à 24 heures (11)(12).
avec le dosage de l’IL-6 (> 24 pg/ml),      vers le secteur extra cellulaire. Ces
                                            mécanismes favorisent la formation         En conclusion, un remplissage trop
elle élimine une PA sévère avec une
                                            de nécrose. Il faut donc lutter contre     important ou à l’inverse insuffisant
courbe ROC de 0,8.
                                            l’hypovolémie. L’hyperhydratation          peuvent être délétères. L’objectif est
Les marqueurs de l’hémoconcentra­           permettrait aussi de diminuer la           de corriger l’hypotension artérielle,
tion sont un outil clef dans la prédic­     concentration des médiateurs circu­        l’hémoconcentration et de maintenir
tion de la sévérité, mais surtout dans      lants de l’inflammation. Si cette théra­   la diurèse avec de façon pratique,
la surveillance de l’efficacité des         peutique semble être séduisante en         une perfusion de Ringer Lactate dans
mesures précoces mises en place. Ils        théorie, en pratique les résultats         les 24-48 premières heures, de 5 à
sont un reflet de la volémie intravascu­    des études disponibles peuvent être        10 ml/kg/h (>4l) puis à adapter, avec
laire et donc de la perfusion d’organe.     contradictoires. Certaines études          un objectif de diurèse de 0,5-1 ml/
Dans une étude rétrospective de 2015        retrouvant une persistance des DO          Kg/h. Le bénéfice semble être évident
portant sur plus de 1 500 patients,         et une augmentation des complica­          pour les PA modérées et modérément
Utroumpakis et al. ont montré qu’un         tions locales malgré la mise en place      sévères à l’admission, mais il faut être
taux d’hématocrite supérieur à 44 %         d’une hyperhydratation adaptée. Il         prudent pour les PA sévères d’emblée
à l’admission, et une urée élevée           semble exister 2 phases, une phase         avec comorbidités préexistantes, pour
(> 20 mg/dl) étaient associés à une         très précoce dans les 12 premières         lesquelles la cascade inflammatoire
DO persistante dans 54 % des cas, et        heures, période au cours de laquelle       s’est déjà emballée.
à un risque d’apparition de nécrose         l’hyperhydratation apporterait un réel
dans 60 % des cas (6).                                                                 Traitement de la douleur
                                            bénéfice. Et une phase retardée, au
                                            cours de laquelle il n’y aurait plus de    Un des premiers symptômes de la
La radiologie permet de rechercher et
                                            bénéfice car la cascade inflammatoire      poussée de pancréatite est la douleur.
d’évaluer les complications pancréa­
                                            est déjà installée. L’hyperhydratation     Celle-ci est le plus souvent majeure,
tiques et péri-pancréatiques, que ce
                                            n’entraînerait alors que des effets        très invalidante et parfois difficile à
soit les collections liquidiennes, la
                                            délétères sur des organes fragilisés       calmer. En dehors de la mise à jeun
nécrose ou les thromboses vasculaires.
                                            (insuffisance cardiaque…). Dans une        ou du régime alimentaire léger dans
Le scanner ou l’IRM sont les examens
                                            étude rétrospective mais portant sur       les premières heures, l’administration
de choix, ils doivent être injectés et
                                            400 patients, Warndorf et al. se sont      d’antalgiques de différents paliers
seront les plus performants à partir
                                            intéressés à cette phase précoce. Une      est primordiale. Il n’existe pas d’an­
de 72-96 heures. De façon générale,
                                            hyperhydratation dite agressive a été      talgique spécifique à la pancréatite.
on ne pourra donc pas s’appuyer sur
                                            administrée ; plus d’un tiers de l’hy­     En cas de douleurs importantes, le
l’imagerie pour prédire la gravité dans
                                            dratation apportée dans les 72 heures      recours aux morphiniques ou dérivés
                                                                                                                                  PANCRÉATOLOGIE

les premières heures suivant l’appari­
                                            était perfusée dans les 24 premières       morphiniques (tramadol) devra être
tion des douleurs (Score de Balthazar
                                            heures. On constatait une améliora­        rapide. La combinaison d’antal­
et CT s Score) (Tableau 3) (7). En cas
                                            tion significative dans le groupe hype­    giques de différents paliers et modes
de PA grave, on pourra réitérer l’ima­
                                            rhydratation, pour le SIRS, l’apparition   d’action, comme le paracétamol et le
gerie tous les 10 jours.
                                            et l’amélioration des DO, le nombre de     néfopam, pourra aussi être envisagée.
En pratique la sélection des formes         transferts en réanimation et la durée      Une alternative aux morphiniques,
sévères ou à risque de complications        d’hospitalisation. En revanche, il n’y     qui ont pour inconvénient de majorer
ne pourra se faire que sur un faisceau      avait pas de différence significative      l’iléus intestinal et les nausées, peut-
d’arguments, cliniques et paracli­          sur la mortalité et les infections de      être la lidocaïne, déjà utilisée en
niques. Des formes semblant bénignes        coulées de nécrose (8). Buxbaum            post opératoire. La prescription à la
à l’admission pourront avoir une            et al. dans une étude plus récente,        seringue auto-pousseuse (SAP) sur

                                                              311
24-48 heures en IV peut aider à passer      résistances, l’imipenem étant l’an­
un cap. Elle ne devra pas être renou­       tibiothérapie de choix en deuxième        Traitements spécifiques
velée au-delà, pour des problèmes           intention pour des tableaux sévères
d’épuisement de son efficacité.             (2).
                                                                                      Nutrition
Antibiothérapie                             Les mesures réanimatoires
                                            Les patients devront bénéficier d’une     L’atteinte pancréatique impose une
Bien que l’intérêt d’une antibiothé­
                                            surveillance rapprochée. Les para­        réduction des apports par voie orale,
rapie préventive pour éviter les sur­
                                            mètres classiques tels que le pouls,      voire une mise à jeun du fait de l’in­
infections de coulée de nécrose soit
                                            la TA, la fréquence respiratoire, la      tolérance digestive qui s’installe
débattue depuis de nombreuses
                                            conscience, la douleur devront être       (iléus réflexe, douleurs). Le jeûne,
années, celle-ci n’est plus recomman­
                                            contrôlés régulièrement, l’idéal étant    s’il se prolonge, nécessite le recours
dée car elle est notamment associée à
                                            de pouvoir le faire en continu avec un    à une nutrition artificielle. La nutri­
la survenue de résistances. Il n’est pas
                                            scope. Une attention toute particu­       tion devra être préférentiellement
non plus recommandé d’administrer
                                            lière devra être donnée à la diurèse,     entérale (NE), et la plus précoce pos­
un traitement prophylactique antifun­
                                            et au bilan entrée/sortie, surtout        sible (< 48 h). Ses buts seront alors
gique (13).
                                            dans les premières heures lors de         de maintenir un apport nutritionnel
De nombreuses études se sont intéres­       la période d’hyperhydratation. Une        suffisant et adapté en termes de calo­
sées à l’antibioprophylaxie, dont des       anticoagulation préventive devra          ries, d’empêcher une perte pondérale
méta analyses. On citera par exemple        être instaurée de manière systéma­        et musculaire importante, de ne pas
le travail de Jafri et al. portant sur      tique, ainsi qu’une oxygénothérapie       aggraver les douleurs et la poussée
500 patients avec un léger bénéfice         qui sera ensuite adaptée aux gaz du       initiale en stimulant le pancréas, et
de la prophylaxie pour les infections       sang. Les aérosols et la kinésithérapie   donc de diminuer le risque de com­
non pancréatiques, bénéfice non             respiratoire seront aussi utiles pour     plications. Plusieurs études dont une
retrouvé quand on sélectionnait les         améliorer les conséquences pulmo­         méta-analyse ont montré la supério­
5 études les plus rigoureuses (14).         naires de l’inflammation et de l’hy­      rité de cette voie comparativement à
Dans la méta-analyse de Wittau et al.       perhydratation. Enfin la pose d’une       la nutrition parentérale, en termes de
portant sur 800 patients, l’adminis­        sonde gastrique d’aspiration ne devra     diminution des infections de coulée
tration d’une antibioprophylaxie n’ap­      pas être systématique mais à poser        de nécrose, de durée d’hospitalisa­
portait pas de différence en termes de      uniquement en cas de vomissements         tion et de mortalité (16). En ce qui
mortalité, d’infection de nécrose et de     itératifs. La prescription d’IPP sera à   concerne l’infection de coulées de
recours à la chirurgie (15).                discuter en fonction de la tolérance      nécrose, le fait de continuer à stimuler
                                            de la nutrition entérale (NE) et de la    le tube digestif permet entre autres
L’antibiothérapie est débutée uni­                                                    de renforcer la barrière intestinale
quement en cas de forte suspicion ou        présence de défaillances multiviscé­
                                            rales.                                    et de diminuer le risque de translo­
de preuve d’infection.                                                                cation bactérienne (17). La sonde
En pratique, il faut différencier les       Les critères de transfert en réanima­     naso gastrique, plus facile à poser
infections extra-pancréatiques qui          tion seront l’existence de plusieurs      qu’une sonde naso jéjunale, a une
peuvent survenir précocement, des           DO, et surtout la persistance de ces      tolérance et une efficacité similaire
infections de la nécrose qui apparaî­       défaillances malgré une prise en          dans la majorité des cas, comme en
tront à partir du 10e jour. L’apparition    charge adaptée à 24-48 heures (1)         témoigne cette étude de non-infério­
d’une hyperthermie, de douleurs             (2) :                                     rité de Singh et al. publiée en 2012 et
abdominales après ce délai, la réas­                                                  portant sur 78 patients, qui ne retrou­
                                            -	
                                              l ’absence de correction de la
cencion de la CRP, des leucocytes ou                                                  vait aucune différence en termes de
                                              fonction rénale avec un taux de
surtout de la PCT, feront suspecter                                                   douleur, d’infection, de durée d’hospi­
                                              créatinine >170 μmol/l associée
le diagnostic. La présence de bulles                                                  talisation, et de mortalité (18). Il n’y a
                                              à des troubles ioniques majeurs
d’air dans la nécrose à l’imagerie sera                                               pas d’intérêt à administrer de produits
                                              (natrémie < 110 ou > 170 mmol/L,
fortement évocatrice. Une ponction                                                    de NE spéciaux, et un mélange nutri­
                                              kaliémie < 2 ou > 7 mmol/l, cal­
radiologique ou endoscopique per­                                                     tif polymérique classique est recom­
                                              cémie < 3,75 mmol/L, glycémie >
mettra de poser le plus souvent le                                                    mandé par l’ESPEN (European Society
                                              44,4 mmol/L),
diagnostic et éventuellement d’isoler                                                 for Clinical Nutrition and Metabolism)
des germes et d’adapter les antibio­        -	une anurie,                            en première intention. Une méta-­
tiques. Le spectre de ces antibiotiques                                               analyse incluant 1 376 patients n’a
                                            -	une défaillance cardio-vasculaire      pas retrouvé de différence en fonc­
devra être assez large, ciblant à la fois
                                               avec hypotension systolique            tion du mélange utilisé (19). L’ajout
les aéro et anaérobies, et les gram
                                               < 8 mm Hg et pouls < 40 ou             de probiotiques dont on espérait qu’il
positifs et négatifs. Si des germes
                                               > 150 bat/mn,                          apporterait un bénéfice sur le micro­
sont identifiés, il faudra bien évidem­
ment adapter dans un second temps           -	une défaillance respiratoire avec un   biote et sur le risque d’infection de
le traitement, en privilégiant des             rapport PaO2/FiO2 < 200 ou paO2        nécrose s’est révélé, au contraire,
antibiotiques traversant la barrière           < 50 mmHg et/ou une fréquence          délétère avec une surmortalité dans
pancréatique.                                  respiratoire > 35 cpm.                 le groupe traité dans une étude pros­
                                                                                      pective portant sur 296 patients. On a
On choisira en première intention           -	l’apparition d’une encéphalopathie     constaté plus de défaillances multivis­
des C3G, la ciprofloxacine traversant          pancréatique qui est un critère de     cérales et d’ischémies mésentériques
bien la barrière pancréatique mais             gravité et dont la physiopathologie    chez les patients recevant les probio­
étant connue pour son risque de                est mal connue.                        tiques, ceux-ci aggravant probable­

                                                             312
ment l’inflammation intestinale (20).       lors des premiers jours de la PA, et                5.	Gomercic C, Gelsi E, Van Gysel D,
L’objectif nutritionnel sera de 25 à        dépasse la définition du traitement                     et al. Assessment of D-Dimers for the
                                                                                                    Early Prediction of Complications in
35 kcal/kg/j. En pratique la nutrition      médical pur. Ils ne seront pas abordés                  Acute Pancreatitis. Pancreas. 2016
sera préférentiellement séquentielle        dans ce dossier.                                        Aug;45:980-5.
et diurne les premiers jours, afin de
                                            La seule indication précoce d’un trai­              6.	Koutroumpakis E, Wu BU, Bakker OJ, et
réduire les risques de syndrome d’in­
                                            tement endoscopique type ERCP est                       al. Admission Hematocrit and Rise in
halation chez des patients en iléus,                                                                Blood Urea Nitrogen at 24 h Outperform
                                            l’angiocholite, qui dans un cas de
parfois confus, avec des décompensa­                                                                other Laboratory Markers in Predicting
                                            PA sévère, doit être réalisée dans les                  Persistent Organ Failure and Pancreatic
tions respiratoires. On débutera par
                                            48 heures.                                              Necrosis in Acute Pancreatitis: A Post
une quantité moindre de 250 à 500 cc
                                                                                                    Hoc Analysis of Three Large Prospective
par jour, et on augmentera rapide­          Les pistes de recherche                                 Databases. Am J Gastroenterol. 2015
ment (pas de risque de syndrome de          Il n’y a actuellement pas de traitement                 Dec;110:1707-16.
renutrition) afin d’atteindre l’objectif    spécifique qui ait fait ses preuves dans            7.	Balthazar EJ, Robinson DL, Megibow AJ,
nutritionnel. On pourra y associer des      les PA sévères. Plusieurs thérapeu­                     et al. Acute pancreatitis: value of CT in
prokinétiques si la tolérance est mau­      tiques ont été ou sont testées (la perfu­               establishing prognosis. Radiology. 1990
vaise et si le patient est nauséeux. Si     sion péritonéale, la pentoxifylline…),                  Feb;174:331-6.
l’objectif nutritionnel ne peut être        avec comme objectif principal l’arrêt               8.	Warndorf MG, Kurtzman JT, Bartel MJ,
atteint uniquement par voie entérale,       ou la désescalade de l’emballement                      et al. Early fluid resuscitation reduces
une nutrition parentérale pourra com­       inflammatoire et les conséquences                       morbidity among patients with acute
pléter les apports, mais le maintien        qui en découlent. Il est nécessaire de
                                                                                                    pancreatitis. Clin Gastroenterol
d’une NE même partielle sera tou­                                                                   Hepatol. 2011 Aug;9:705-9.
                                            mener des études prospectives, rando­
jours profitable. En ce qui concerne        misées, multicentriques, avec une                   9.	Buxbaum JL, Quezada M, Da B, et al.
la reprise d’une alimentation orale         rigueur méthodologique qui permet­                      Early Aggressive Hydration Hastens
classique, elle se fera progressive­                                                                Clinical Improvement in Mild Acute
                                            trait d’améliorer encore le pronostic                   Pancreatitis. Am J Gastroenterol. 2017
ment dès que les douleurs auront            de cette pathologie.                                    May;112:797-803.
disparues sans antalgique, et que
les signes d’iléus se seront amendés                                                            10.	
                                                                                                   Cuéllar-Monterrubio JE, Monreal-
(reprises des gaz, selles), le cas de la                                                           Robles R, González-Moreno EI, et al.
                                                                                                   Nonaggressive Versus Aggressive Intra-
pancréatite aiguë biliaire étant à part.
                                            Conclusion                                             venous Fluid Therapy in AcutePancre-
                                                                                                   atitis With More Than 24 Hours From
PA et hypertriglycéridémie                                                                         Disease Onset: A Randomized Controlled
Les pancréatites liées à une hyper­         Les premières heures de la PA sont                     Trial. Pancreas. 2020 Apr;49:579-583.
triglycéridémie sont souvent sévères,       souvent décisives. De la surveillance               11.	Wu BU, Hwang JQ, Gardner TH, et al.
avec une toxicité directe des TG. Des       et prise en charge précoce va souvent                  Lactated Ringer’s solution reduces
traitements spécifiques sont possibles.     dépendre l’évolution et le pronostic                   systemic inflammation compared with
Les plasmaphérèses peuvent s’envi­                                                                 saline in patients with acute pancre-
                                            ultérieur, pouvant parfois entraîner
sager pour des taux très élevés de                                                                 atitis. Clin Gastroenterol Hepatol. 2011
                                            des hospitalisations de plusieurs                      Aug;9:710-717.
TG, mais c’est un traitement cher et        mois, des séquelles fonctionnelles
difficile à mettre en place qui n’est       définitives, voire une surmortalité.                12.	Iqbal U, Anwar H, Scribani M, et al.
pas dénué de risque de complication.                                                               Ringer’s lactate versus normal saline in
                                            Une prise en charge pluridisciplinaire                 acute pancreatitis: A systematic review
L’insuline est un traitement qui facilite   dans des services formés et adaptés,                   and meta-analysis. J Dig Dis. 2018
la synthèse de LPL qui hydrolysent les      et à proximité d’une réanimation et de                 Jun;19:335-341.
TG en acide gras et en glycérol. Elle       soins intensifs est préférable.
doit être administrée en intra veineux                                                          13.	Horibe M, Sanui M, Sasaki M, et al.
                                                                                                   Impact of Antimicrobial Prophylaxis for
en continu, même chez des patients                                                                 Severe Acute Pancreatitis on the Devel-
non diabétiques, avec comme objectif                                                               opment of Invasive Candidiasis: A Large
un taux de TG < 5g/L. Dans une méta                                                                Retrospective Multicenter Cohort Study.
                                            Bibliographie                                          Pancreas. 2019 Apr;48:537-543.
analyse récente, cette thérapeutique
améliorait le score APACHE II après                                                             14.	Jafri NS, Suhal S Mahid, Spencer R Idstein,
72 heures, et diminuait la durée d’hos­     1.	Banks PA, Bollen TL, Dervenis, et al. Classi-        et al. Antibiotic prophylaxis is not
                                                fication of acute pancreatitis- 2012:                protective in severe acute pancreatitis:
pitalisation (21). L’héparine peut aussi        revision of the Atlanta claissfication and           a systematic review and meta-analysis.
être utilisée seule, ou en association          definitions by international consensus.              Am J Surg. 2009 Jun;197:806-13.
avec l’insuline. Elle favorise la libéra­       Gut 2013; 62:102-11.
tion des LPL qui participent à la dimi­     2.	Leppäniemi A, Tolonen M, Tarasconi A,
                                                                                                15.	Wittau M, Mayer B, Scheele J, et al.
nution du taux de TG sériques en les                                                               Systematic review and meta-analysis of
                                                et al. 2019 WSES guidelines for the
                                                                                                                                                   PANCRÉATOLOGIE

                                                                                                   antibiotic prophylaxis in severe acute
transformant en acides gras libres.             management of severe acute pancre-
                                                                                                   pancreatitis. Scand J Gastroenterol. 2011
Mais cet effet est transitoire et peut          atitis. World J Emerg Surg. 2019 Jun
                                                                                                   Mar;46:261-70.
                                                13;14:27.
être accompagné d’un rebond du taux
de TG sériques, son intérêt pratique        3.	Martínez J, Sánchez-Payá J, Palazón JM,         16.	Marik PE, Zaloga GP. Meta-analysis
                                                et al. Is obesity a risk factor in acute           of parenteral nutrition versus enteral
reste encore à démontrer (22).                                                                     nutrition in patients with acute pancre-
                                                pancreatitis? A meta-analysis. Pancrea-
                                                tology 2004;4:42-8.                                atitis. BMJ. 2004 Jun 12;328:1407.
Traitement interventionnel
Le recours aux traitements endos­           4.	Xie J, Xu L, Pan Y, et al. Impact of visceral   17.	Fengming Yi, Liuqing Ge, Jie Zhao, et al.
                                                adiposity on severity of acute pancre-               Meta-analysis: total parenteral nutrition
copiques ou radiologiques interven­             atitis: a propensity score-matched                   versus total enteral nutrition in predicted
tionnels, et dans de plus rares cas à           analysis. BMC Gastroenterol. 2019 Jun                severe acute pancreatitis. Intern Med
la chirurgie, est rarement à discuter           13;19:88.                                            2012;51:523-30.

                                                                  313
18.	Singh N, Sharma B, Sharma M, et al.            20.	Besselink MG, van Santvoort HC, Buskens E,   22.	Yang AL, McNabb-Baltar J, et al. Hyper-
   Evaluation of early enteral feeding                  et al. Probiotic prophylaxis in predicted         triglyceridemia and acute pancreatitis.
   through nasogastric and nasojejunal                  severe acute pancreatitis: a randomised,          Pancreatology. 2020 Jul;20:795-800.
   tube in severe acute pancreatitis: a                 double-blind, placebo-controlled trial.
   noninferiority randomized controlled trial.          Lancet. 2008 Feb 23;371:651-659.
   Pancreas. 2012 Jan;41:153-9.
                                                    21.	Li J, Chen TR, Gong HL, et al. Intensive
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                                                 Les cinq points forts
                                                 ●	Le repérage précoce des formes sévères de PA est indispensable
                                                    et repose sur des scores clinico-biologiques comme le syndrome
                                                    de réponse inflammatoire systémique (SRIS).

                                                 ●	Un transfert dans un service spécialisé proposant une surveil-
                                                   lance rapprochée les premières 72 heures, et avec un plateau
                                                   technique pluridisciplinaire adapté, est un gain de chance pour
                                                   le patient.

                                                 ●	Les critères de transfert en réanimation sont l’existence de
                                                   plusieurs défaillances d’organes et surtout leur persistance à 24
                                                   - 48 h malgré une prise en charge spécialisée.

                                                 ●	L’hyperhydratation précoce dans les 24 premières heures par du
                                                    Ringer Lactate de 5 à 10 ml/kg/h (adaptée aux comorbidités) avec
                                                    une surveillance rapprochée de la diurèse, permet de diminuer le
                                                    risque d’évolution vers une forme sévère.

                                                 ●	Une nutrition entérale par SNG doit être débutée le plus
                                                   précocement possible en cas de forme sévère ou modérément
                                                   sévère, par une solution polymérique avec comme objectif, 25 à
                                                   35 kcal/kg/j.

                                                                         314
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