Piqûre de rappel - vivre sans pesticides - Solutions pour une agriculture écologique - The Bees in Decline
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PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE Piqûre de rappel – vivre sans pesticides Solutions pour une agriculture écologique Résumé 3 1 : Introduction 9 2 : Facteurs à l’origine du déclin des abeilles et conséquences pour l’agriculture 15 3 : Agriculture écologique / agriculture industrielle : quels impacts pour les abeilles ? 21 4 : Abandonner les pesticides chimiques de synthèse grâce à la lutte 41 antiparasitaire écologique (biocontrôle) Références 56 Pour en savoir plus, contacter : Anaïs Fourest, chargée de campagne agriculture, Greenpeace France anais.fourest@greenpeace.org Tél. : +33 1 80 96 96 96 Rédaction : Michelle Allsopp, Reyes Tirado, Paul Johnston, David Santillo et Patricia Lemmens Produit par : Steve Erwood Traduit de l’anglais par : Delphine de la Encina Image couverture : © Axel Kirchhof / Greenpeace Graphiques abeilles : © Karunakar Rayker, RGBStock.com JN 466 Publié en mai 2014 par : Greenpeace International Ottho Heldingstraat 5 1066 AZ Amsterdam Pays-Bas Tél. : +31 20 7182000 greenpeace.org 2
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE RÉSUMÉ Le bourdon lapidaire ou bourdon des pierres (bombus lapidarius). © Prof. Felix Wäckers, université de Lancaster, Royaume-Uni Le déclin massif des abeilles sauvages et domestiques constaté ces dernières années en Europe et en Amérique du Nord est très préoccupant car nous sommes dépendants de ces pollinisateurs, que ce soit pour la biodiversité ou pour la sécurité alimentaire mondiale. En Europe, par exemple, les populations d’abeilles domestiques ont chuté de 25 % entre 1985 et 2005. Cet effondrement des colonies a entraîné une « crise de la pollinisation » à l’échelle mondiale. Les services de pollinisation rendus par les abeilles sont désormais limités, et les rendements et la qualité des récoltes pourraient en être affectés. La recherche scientifique montre qu’il est essentiel de préserver la diversité des espèces sauvages d’abeilles pour garantir la durabilité de la production agricole. Il est donc impossible de dépendre exclusivement des abeilles domestiques pour assurer la pollinisation. D’après de récentes études scientifiques, l’agriculture industrielle intensive contribue au déclin des abeilles et des services de pollinisation, qui sont pourtant indispensables pour nos cultures et pour les fleurs sauvages. L’utilisation de plus en plus répandue d’engrais, d’herbicides et d’insecticides, leurs effets synergétiques néfastes pour la santé des pollinisateurs (Johnston et al. 2014 ; Tirado et al. 2013) et la disparition des habitats naturels et semi-naturels au niveau des champs, des exploitations et du paysage constituent les principaux moteurs du syndrome de l’effondrement des colonies d’abeilles. L’agriculture industrielle moderne pose également d’autres problèmes : résistance accrue des nuisibles et des adventices, dégradation de la fertilité des sols et de leur capacité à retenir l’eau, contamination des nappes phréatiques, consommation importante d’énergie, émissions élevées de CO2, réduction des capacités de résilience et vulnérabilité accrue aux changements climatiques. Les agriculteurs sont en outre de plus en plus dépendants des produits chimiques et des semences commercialisés par les multinationales du secteur. Les pratiques agricoles industrielles qui prévalent aujourd’hui ont donc de nombreuses répercussions négatives. Un modèle alternatif, basé sur l’agriculture écologique moderne, pourrait garantir la production alimentaire et éviter ces effets négatifs. Les travaux scientifiques présentés dans le présent rapport montrent que la mise en place d’un modèle agricole écologique est possible, et qu’en réalité il s’agit de la seule solution face aux problèmes toujours plus nombreux posés par l’agriculture industrielle. L’agriculture écologique repose notamment sur des méthodes biologiques et favorise la biodiversité au sein des exploitations agricoles, ainsi que la restauration d’habitats semi-naturels en tant que zones de compensation écologique pour les abeilles et d’autres espèces. L’agriculture écologique exclut l’utilisation de pesticides et d’herbicides chimiques de synthèse, préservant ainsi les abeilles des effets toxiques de ces produits agrochimiques. 3
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE Présentation du contenu Le chapitre 1 revient sur le rôle crucial que jouent les abeilles pour la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale, tandis que le chapitre 2 décrit les facteurs responsables de leur déclin. Le chapitre 3 présente une analyse de l’impact des méthodes et des paysages agricoles sur les abeilles, ainsi que des recommandations pour la protection et la restauration des populations d’abeilles en Europe, formulées sur la base de données scientifiques. Le chapitre 4 passe en revue la littérature scientifique consacrée aux méthodes écologiques de lutte contre les parasites qui pourraient mettre fin à l’utilisation de pesticides chimiques de synthèse. La recherche et les pratiques agro-écologiques existantes confirment que nous n’avons pas besoin des pesticides pour lutter contre les ravageurs présents sur nos exploitations. Greenpeace a produit une série de vidéos qui illustrent à travers des exemples, des pratiques d’agriculture écologique. À travers le récit d’agriculteurs, de scientifiques, de représentants de recherche ou encore d’entreprises de différents pays européens, on constate qu’il est possible d’obtenir de bons résultats avec les techniques agricoles écologiques. Ces solutions sont présentées dans les encadrés intitulés « piqûre de rappel » tout au long du rapport : renforcement des prédateurs naturels des nuisibles dans les champs de coton en Espagne, dans les roseraies et les cultures de poivrons sous serre aux Pays-Bas, aménagement de cultures de couverture dans les vignes françaises et plantation de fleurs en bordure de champs de pommes de terre aux Pays‑Bas pour attirer les prédateurs naturels des aphides. Le présent rapport montre clairement que la solution pour garantir la survie des différentes espèces européennes d’abeilles et des abeilles domestiques est de passer à une agriculture écologique. L’agro-écologie vise à préserver les écosystèmes et leurs fonctions, et donc les populations d’abeilles indigènes et les services de pollinisation qu’elles fournissent. Cette méthode de production agricole garantit la disponibilité d’aliments sains aujourd’hui et demain en protégeant les sols, les eaux et le climat. Elle favorise la biodiversité et ne contamine pas l’environnement avec des produits chimiques ou des organismes génétiquement modifiés. Elle fait appel à des méthodes respectueuses de l’environnement pour lutter contre les parasites et fertiliser les sols. Enfin, elle repose sur la rotation des cultures, l’implantation de cultures de couverture et de cultures mixtes et le recours aux variétés résistantes à certaines maladies, et encourage l’évolution permanente des connaissances scientifiques. Abeilles et paysages agricoles : ce que nous apprend la science L’agriculture écologique a des effets positifs pour les abeilles : la recherche montre qu’elle renforce la diversité et l’abondance des abeilles. • La gestion écologique des cultures arables favorise la présence de plantes herbacées à fleurs dans les champs et en bordure, ce qui améliore la diversité et l’abondance des espèces d’abeilles endémiques. • La gestion écologique des pâturages augmente la couverture végétale et la diversité des plantes herbacées à fleurs, ce qui est bénéfique pour les abeilles. • Les prairies de fauche gérées de façon traditionnelle constituent un habitat très important pour les pollinisateurs sauvages car elles offrent d’abondantes ressources florales. Il a été établi que le déclin des populations de bourdons en Europe est lié à la disparition des prairies de fauche traditionnelles. 4
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE Les habitats naturels et semi-naturels sont essentiels pour les abeilles : la présence d’habitats naturels et semi-naturels de haute qualité au sein des exploitations En s’appuyant et des paysages agricoles (zones boisées, haies vives, herbacés en marge des champs, sur le travail etc.) est un élément crucial pour la survie des abeilles. Ces habitats sont indispensables approfondi mené à l’hivernage, à l’approvisionnement des nids et à l’alimentation (pollen et nectar ces dernières des fleurs sauvages). D’après certaines études scientifiques, le renforcement des zones années, d’habitat naturel et semi-naturel au cœur des exploitations et des paysages agricoles il est désormais améliore la diversité et l’abondance des espèces endémiques d’abeilles. En revanche, possible d’indiquer les exploitations agricoles gérées selon des méthodes industrielles intensives précisément (généralement de vastes monocultures comportant peu d’habitats semi-naturels) aux agriculteurs présentent une diversité et une abondance de pollinisateurs moindre. L’agriculture quels mélanges industrielle intensive ne favorise donc pas les abeilles sauvages ni les services de semences de pollinisation, ce qui est un facteur de grande inquiétude. utiliser et comment Une agriculture sans pesticides chimiques de synthèse est possible : gérer les parcelles des solutions écologiques de lutte contre les parasites existent. Par exemple, pour optimiser le renforcement des prédateurs naturels (coccinelles, chrysopes, araignées, parasitoïdes les résultats de et certains coléoptères) permet de lutter contre les parasites qui s’attaquent aux cultures. la lutte contre les Des études scientifiques ont montré que les ennemis naturels pouvaient éradiquer parasites et limiter les ravageurs et garantir une lutte antiparasitaire naturelle, sans recours aux produits au maximum chimiques de synthèse. les effets négatifs. Il a également été démontré que la diversité et l’abondance des prédateurs naturels des parasites étaient plus importantes sur les exploitations d’agriculture biologique. – Wäckers (2012) Les paysages agricoles plus hétérogènes et diversifiés, composés de petites parcelles arables et d’une mosaïque d’habitats semi-naturels, abritent davantage d’ennemis naturels et sont donc plus à même de favoriser la lutte antiparasitaire naturelle. À l’inverse, les paysages agricoles homogènes comportant peu d’habitats semi-naturels, caractéristiques de l’agriculture industrielle intensive, n’encouragent pas l’installation des ennemis naturels des parasites. De plus, l’utilisation de pesticides chimiques de synthèse peut être fatale pour ces prédateurs. L’agro-biodiversité fonctionnelle (FAB) consiste à favoriser la présence, dans et autour des parcelles cultivées, d’éléments de la biodiversité sauvage qui fournissent des services écosystémiques essentiels à une production agricole durable, et qui peuvent aussi être bénéfiques pour l’environnement régional et mondial et pour l’ensemble de la population (ELN-FAB 2012). La FAB est entièrement compatible avec l’agriculture écologique. Elle repose sur des stratégies scientifiques et peut être intégrée aux systèmes agricoles biologiques et durables. Cette méthode a déjà fait ses preuves. Par exemple, l’ensemencement de diverses variétés de fleurs sauvages sur ou à proximité des zones arables permet de fournir des ressources florales (pollen et nectar) aux abeilles. Des mélanges de semences ont également été conçus pour renforcer les ennemis naturels et sont plantés en bordure des terres cultivées. 5
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE Conclusion : solutions pour préserver les abeilles et favoriser l’agriculture écologique À partir des travaux scientifiques cités dans le présent rapport, et des études précédem ment publiées par Greenpeace sur les abeilles, nous avons formulé les recommandations suivantes qui visent à protéger et renforcer les populations d’abeilles dans les paysages agricoles et à garantir une pollinisation adéquate des cultures et des fleurs sauvages. 1. Il faut cesser progressivement d’utiliser les pesticides chimiques (herbicides, fongicides et insecticides) d’un bout à l’autre de l’Europe, au profit de pratiques agricoles écologiques. Les pesticides tuent ou fragilisent les abeilles, les ennemis naturels et d’autres espèces sauvages. Ils peuvent également présenter des dangers pour la santé humaine. L’utilisation d’herbicides dans l’agriculture industrielle diminue les ressources florales au sein et en bordure des terres arables, et la pulvérisation d’herbicides et d’engrais minéraux dans les prairies contribue à la raréfaction de ces ressources, ce qui est préjudiciable pour les abeilles. La solution est de s’orienter vers une agriculture écologique qui rendrait inutile le recours aux pesticides et herbicides de synthèse. 2. La priorité doit être donnée à la conservation de l’habitat. La conservation des habitats naturels et semi-naturels dans et autour des parcelles cultivées est essentielle à la préservation de la biodiversité sauvage, des espèces d’abeilles indigènes et des ennemis naturels des ravageurs. La dégradation continue de ces habitats compromet la survie de ces espèces qui sont pourtant bénéfiques à l’agriculture et à la diversité biologique dans son ensemble. 3. La restauration des habitats semi-naturels au sein des exploitations agricoles dans le cadre des mesures agro-environnementales (MAE) doit permettre de fournir aux abeilles des ressources florales et des sites de nidification. Les données scientifiques montrent qu’il est essentiel de renforcer les habitats semi-naturels au sein des exploitations agricoles pour soutenir le rétablissement des populations d’abeilles sauvages, et pour maintenir à leur niveau maximum les services de pollinisation des cultures et des plantes sauvages. On estime ainsi qu’une augmentation de 10 % du nombre d’habitats de haute qualité va de pair avec une progression de 37 % en moyenne de l’abondance et de la diversité des abeilles sauvages (Kennedy et al. 2013). Il est indispensable de veiller à la conservation et à la restauration des habitats semi‑naturels au sein et en bordure des paysages agricoles pour garantir la diversité des plantes à fleurs sauvages dont les abeilles ont besoin pour le butinage, la nidification et l’hivernage. Les plantes herbacées en lisière des champs, les jachères, les prairies semi-naturelles, les haies et les zones boisées sont des écosystèmes dont l’importance pour les abeilles domestiques et sauvages a été démontrée. La gestion traditionnelle des prairies de fauche présente des avantages pour les abeilles : la fauche tardive améliore les ressources florales disponibles pour les pollinisateurs, et la conservation de bandes non fauchées crée des zones de refuge. Les exploitations qui se caractérisent par une mosaïque de zones cultivées et d’habitats semi-naturels diversifiés sont idéales pour les abeilles. Pour garantir une efficacité sur l’ensemble des paysages agricoles et optimiser les bénéfices pour les abeilles et autres espèces, il est par ailleurs nécessaire de relier les habitats semi-naturels entre eux, à plus grande échelle. La mise en place de zones de conservation écologiques à cheval sur plusieurs exploitations nécessite la collaboration active des toutes les parties prenantes, notamment des agriculteurs et des autorités chargées de la réglementation. 4. I l faut renforcer les habitats grâce à la mise en place de bandes de fleurs sauvages dans le cadre des mesures agro-environnementales (MAE). Il faut encourager l’ensemencement de diverses plantes et légumineuses indigènes 6
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE pour favoriser la production de pollen et de nectar et la disponibilité des ressources florales pour les abeilles. Dans le cadre des MAE, il convient en outre de mettre à profit les connaissances scientifiques déjà disponibles pour privilégier l’application de l’agro-biodiversité fonctionnelle (FAB), et notamment l’adoption de mélanges de semences visant à renforcer la présence des prédateurs naturels des nuisibles, et le recours à des techniques naturelles de lutte antiparasitaire. Des crédits de recherche doivent être alloués au développement de la FAB et des méthodes naturelles de lutte contre les ravageurs. Recommandations politiques Greenpeace demande aux agriculteurs, aux industriels et aux responsables politiques de réagir face à la crise profonde que traverse l’agriculture et de relever les défis qu’elle pose à long terme. Si l’on veut sauver les abeilles et, partant, notre alimentation, nous devons prendre des initiatives concrètes pour renoncer aux pesticides tueurs d’abeilles et autres intrants chimiques de synthèse. Il est également nécessaire d’encourager le renforcement de la biodiversité au sein des espaces agricoles et l’adoption de modèles agricoles écologiques. Les recommandations politiques suivantes doivent être mises en œuvre sans délai : 1. I nterdire immédiatement et totalement tous les pesticides nocifs pour les abeilles et autres pollinisateurs. Parmi ces produits se trouvent le chlorpyrifos, la cyperméthrine et la deltaméthrine. De plus, l’interdiction partielle de l’imidaclopride, du thiaméthoxame, de la clothianidine et du fipronil (insecticides systémiques) doit être pérennisée et étendue (Johnston et al, 2014). 2. Adopter des plans d’action coordonnés pour les abeilles. Ces plans doivent viser non seulement à renforcer la réglementation et le contrôle des produits chimiques agricoles, mais aussi à faciliter la surveillance de la santé des abeilles et des autres pollinisateurs. Ils doivent en outre permettre d’améliorer la conservation des habitants naturels et semi-naturels aux abords des surfaces cultivées, et de renforcer la biodiversité sur les zones de culture. 3. Abandonner les pratiques agricoles destructrices, basées sur l’utilisation intensive de produits chimiques, au profit de modèles écologiques en injectant davantage de fonds publics et privés dans la recherche et le développement de pratiques agricoles écologiques. Les responsables politiques européens doivent veiller à ce que davantage de subventions soient accordées à la recherche sur des alternatives agricoles écologiques dans le cadre du programme de recherche européen Horizon 2020. 4. I nstaurer des services de conseil agricole. Les États membres de l’UE doivent mettre à profit les systèmes de conseil agricole prévus par la PAC pour favoriser le partage entre tous les agriculteurs européens des connaissances sur les pratiques agricoles respectueuses des abeilles et les alternatives non chimiques de lutte antiparasitaire. 5. Mettre en place des surfaces d’intérêt écologique. Les États membres de l’UE doivent garantir que la mise en place de surfaces d’intérêt écologique vise véritablement à protéger et à renforcer la biodiversité et les fonctions des systèmes agricoles, telles que la pollinisation et la régulation des populations de parasites. Outre ces recommandations qui intéressent directement l’Union européenne, il est essentiel de valoriser la durabilité de l’agriculture à l’échelle mondiale, notamment en appliquant les mesures préconisées dans le cadre de l’Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement (IAASTD). 7
Ces fruits et les légumes ont été pollinisés par les abeilles. Il est important que les populations d’abeilles soient en bonne santé, tant sur le plan écologique qu’économique. © Axel Kirchhof / Greenpeace 8
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE 1 : INTRODUCTION Abeille butinant des fleurs de colza, Allemagne. © Fred Dott / Greenpeace L’importance de la pollinisation : les abeilles, garantes de la sécurité alimentaire mondiale La pollinisation est un processus indispensable pour les graines et les fruits des plantes à fleurs. Certaines espèces animales, principalement des insectes, assurent la pollinisation de nombreuses plantes à fleurs. On estime ainsi que 87,5 % des espèces de plantes à fleurs dépendent de la pollinisation animale (zoogamie) (Ollerton et al. 2011). Parmi les agents pollinisateurs, les abeilles sauvages et domestiques sont les plus importantes (Breeze et al. 2011). Elles jouent un rôle crucial pour la pollinisation de nos cultures, garantissant la production et de bons rendements, mais aussi des plantes sauvages, préservant les écosystèmes naturels. D’après les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), sur les 100 espèces qui assurent 90 % de l’alimentation mondiale, 71 dépendent de la pollinisation des abeilles. Rien qu’en Europe, la pollinisation animale intervient dans la production de 84 % des 264 espèces cultivées et dans celle de plus de 4 000 variétés de légumes (PNUE, 2010). Ainsi, de nombreuses cultures dépendent de la pollinisation des abeilles (pommes, agrumes, tomates, melons, framboises, abricots, pêches, cerises, raisins, olives, carottes, oignons, citrouilles, haricots, concombres, tournesols, coton, luzerne, lavande ainsi que différentes noix et herbes). De plus, les abeilles assurent la pollinisation de plantes fourragères (trèfle ou luzerne) essentielles pour les industries de la viande et des produits laitiers (Abrol 2012). Les cultures céréalières comme le blé, le riz et le maïs, qui comptent parmi les denrées les plus consommées au niveau mondial, sont essentiellement pollinisées par le vent et ne dépendent pas des insectes pollinisateurs. Cependant, le rendement de nombreuses autres espèces végétales dépend de la pollinisation croisée par les abeilles ou en tirent profit. En réalité, la pollinisation animale entraîne une amélioration du rendement des fruits et des semences pour 75 % des principales cultures vivrières mondiales (Klein et al. 2007). Souvent, une fleur correctement pollinisée contiendra davantage de grains et bénéficiera de meilleures conditions de germination, et donnera donc des fruits plus charnus et mieux formés. Une bonne pollinisation peut aussi permettre de réduire les délais entre floraison et nouaison, et ainsi atténuer les risques d’exposition des fruits aux nuisibles, aux maladies, aux intempéries et aux produits agrochimies, et diminuer la consommation d’eau (PNUE 2010). 9
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE On peut donc affirmer que les abeilles domestiques et sauvages sont essentielles à la sécurité alimentaire mondiale car elles jouent un rôle primordial dans la pollinisation de nombreuses cultures et permettent d’améliorer les rendements. La diversité des abeilles sauvages, facteur essentiel de la production agricole Les abeilles mellifères sont les pollinisateurs domestiques les plus utilisés par les agriculteurs, et leur présence sur les zones cultivées est souvent plus importante que celle des autres communautés de pollinisateurs (Klein et al. 2007). Les abeilles domestiques sont des espèces capables de polliniser de nombreuses variétés de fleurs sauvages et de cultures. L’agriculture moderne est largement tributaire des ruches pour ses besoins de pollinisation (Abrol 2012). Les abeilles sauvages regroupent les abeilles solitaires et les abeilles sociales (qui construisent des nids), dont les abeilles mellifères sauvages, les bourdons et les mélipones (abeilles sans aiguillon). Il existe 20 000 espèces d’abeilles dans le monde, dont 750 en Europe centrale (Michener 2007, Westrich 1990). Si certaines espèces d’abeilles sauvages sont dites « généralistes » et peuvent polliniser une grande variété de fleurs, d’autres dépendent de certaines espèces végétales nécessaires à leur survie. Toutes les abeilles n’aiment donc pas les mêmes plantes. La nature est si diverse que chaque espèce végétale doit être « compatible » avec une espèce d’abeilles (Soil Association 2013). Par exemple, le travail de pollinisation des abeilles à langue longue est indispensable pour les haricots secs, tandis que le trèfle violet et les fleurs des champs dépendent en grande partie du bourdon (Blake et al. 2011). Par ailleurs, l’efficacité de la pollinisation influence le rendement des récoltes. Ainsi, la pollinisation des pommes par les abeilles maçonnes (osmias) est plus efficace que celle des abeilles à miel, et l’intervention d’abeilles domestiques et sauvages est nécessaire à l’obtention de framboises d’une qualité suffisante pour être commercialisées (Breeze et al. 2012). Les recherches menées sur ce sujet montrent clairement que la diversité des espèces d’abeilles sauvages est un facteur clé d’une production agricole durable. Si l’on sait de longue date que les abeilles domestiques contribuent de façon considérable à la pollinisation des cultures – et donc à la production agricole – un nombre croissant de données indiquent que les abeilles sauvages jouent un rôle plus important qu’on ne l’aurait soupçonné (Winfree et al. 2008). D’après une étude menée récemment sur 41 systèmes agricoles dans le monde entier, les abeilles domestiques transfèrent de grandes quantités de pollen – mais de façon très inefficace (Garibaldi et al. 2013). En revanche, lorsque la zoogamie des plantes à fleurs est assurée par des insectes pollinisateurs sauvages (principalement les abeilles), la nouaison est multipliée par deux. De plus, la nouaison des plantes fruitières est plus régulière lorsqu’elle est assurée par des pollinisateurs sauvages. Les auteurs de cette étude affirment : « On considère généralement que les abeilles domestiques peuvent se substituer aux pollinisateurs sauvages. Or nos résultats montrent qu’elles ne permettent pas d’optimiser la pollinisation, ni de totalement compenser le rôle joué par différents insectes sauvages dans la nouaison de nombreuses cultures et exploitations sur l’ensemble des continents. » Les résultats de cette étude suggèrent que les abeilles domestiques complètent mais ne remplacent pas le travail de pollinisation des abeilles sauvages et d’autres insectes pollinisateurs. La recherche a confirmé que la pollinisation des plantes sauvages est plus efficace lorsqu’elle est assurée par des communautés de pollinisateurs diversifiées (essentiellement des abeilles sauvages) (Breeze et al. 2012). Il a également été démontré que les rendements des cultures pollinisées par des insectes étaient plus instables lorsque la communauté de pollinisateurs (dans une région donnée) comporte peu 10
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE d’espèces différentes (Garibaldi et al. 2011). Pour garantir l’efficacité de la pollinisation et une production agricole optimale, il faut donc compter sur le travail de diverses Les pollinisateurs populations d’espèces d’abeilles sauvages. sauvages sont Depuis ces dernières années, les populations d’abeilles sauvages connaissent un déclin en déclin manifeste et alarmant. Les abeilles domestiques sont elles aussi gravement touchées. et les abeilles Le syndrome de l’effondrement des colonies a été identifié comme un problème majeur domestiques au début des années 1990. Depuis, on parle d’une véritable « crise de la pollinisation », ne peuvent due à l’extinction localisée de pollinisateurs, voire à un déclin du nombre et de la viabilité pas compenser des espèces pollinisatrices à l’échelle mondiale (Abrol 2012). leur disparition. Tour du monde du déclin des abeilles sauvages – Tylianakis (2013) et domestiques La science est désormais formelle : l’Europe et l’Amérique du Nord souffrent d’un déclin massif des abeilles sauvages et domestiques. Bien que les études soient limitées, Entre 25 % il est probable que ce phénomène se vérifie à l’échelle mondiale (Potts et al. 2010). et 68 % des Il semble que ce déclin concerne aussi bien la diversité que l’abondance des espèces espèces d’abeilles d’abeilles sauvages. sauvages Par exemple, d’après le rapport publié en 2013 par le Groupe de spécialistes des d’Europe centrale bourdons de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN BBSG 2013), sont en danger, sur les 68 espèces de bourdons recensées en Europe, 31 sont en recul (soit 46 %), les chiffres variant et leur situation est qualifiée de « grave ». Dans une grande partie de la Belgique d’un pays et d’une et du Royaume-Uni, ces insectes subissent un déclin continuel. Ainsi, au Royaume- région à l’autre. Uni, sur les 16 espèces de bourdons (non parasitaires) recensées, six ont enregistré un recul considérable (le Bombus subterraneus a notamment disparu) et quatre sont probablement en diminution (Potts et al. 2010). – Zurbuchen et Un déclin parallèle des plantes entomophiles, des abeilles sauvages et des syrphes Müller (2012) pollinisateurs a été identifié au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, en particulier chez les espèces dites « spécialistes » (Biesmeijer et al. 2006). D’après les auteurs de cette étude, la diversité des abeilles solitaires a diminué de 52 % en Angleterre. Si on considère que les espèces spécialistes sont les plus exposées, les espèces généralistes sont elles aussi vulnérables (Potts et al. 2010). En Europe centrale, entre 25 % et 68 % des espèces d’abeilles sauvages sont menacées, les chiffres variant d’un pays et d’une région à l’autre. Les populations d’abeilles domestiques ont chuté de 25 % en Europe entre 1985 et 2005. Nous savons que cette diminution est en partie due au varroa destructor, un acarien ectoparasite invasif venu d’Asie. Ce parasite est à l’origine des pertes de la plupart des colonies d’abeilles sauvages en Europe et aux États-Unis (Potts et al. 2010). D’autres insectes pollinisateurs ont également subi un déclin majeur. Par exemple, selon un indicateur scientifique de l’abondance des papillons, les populations de papillons ont diminué de près de 50 % entre 1990 et 2011 en Europe, principalement en raison de l’intensification agricole dans les régions du nord-ouest : les prairies naturelles, riches en biodiversité, sont converties en terres arables, ce qui les transforme en « zones stériles » n’abritant plus que quelques espèces florales essentielles aux papillons. Autre facteur de ce déclin : l’abandon des modes de gestion traditionnels des prairies dans les zones montagneuses et humides, en raison de la détérioration des conditions socio-économiques dans le sud et l’est de l’Europe. Les prairies sont ainsi devenues hautes et prédominantes, laissant place aux broussailles. 11
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE Solution pour inverser la tendance : l’agriculture écologique Plusieurs facteurs contribuant au déclin des abeilles sauvages ont été identifiés : perte de l’habitat, disponibilité insuffisante de fleurs sauvages sur les exploitations en raison de l’agriculture industrielle, utilisation de pesticides chimiques de synthèse qui tuent ou fragilisent les abeilles, maladies et parasites, impacts des changements climatiques (voir chapitre 2). Les deux premiers facteurs peuvent être contrés par la mise en place des solutions prouvées qu’offre l’agriculture écologique, notamment la conservation et la restauration de l’habitat semi-naturel sur les zones de cultures et les paysages agricoles. L’agriculture écologique (voir Encadré 1), repose sur des méthodes agricoles biologiques, telles que la lutte écologique contre les ravageurs, et tire parti des avancées scientifiques en matière de sélection des plantes (notamment la sélection assistée par marqueurs pour le développement des semences). Elle intègre l’agro-biodiversité fonctionnelle (FAB), par exemple l’élaboration de mélanges de semences de fleurs sauvages pour répondre aux besoins des abeilles et des espèces qui contribuent à lutter contre les nuisibles (ennemis naturels). Toutes ces solutions qu’offre l’agriculture écologique peuvent être intégrées aux pratiques agricoles européennes. L’essor récent des pratiques agricoles écologiques en Europe montre qu’une agriculture sans pesticides est possible, rentable et sans danger pour l’environnement. Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, la surface des cultures biologiques représentait 9,6 millions d’hectares en 2011, contre 5,7 millions d’hectares en 2002. L’agriculture biologique représente aujourd’hui 5,4 % de l’ensemble des terres agricoles en Europe (cultures arables, vergers et élevage). Encadré 1 : L’agriculture écologique L’agriculture écologique garantit la production d’aliments sains aujourd’hui et demain, en protégeant les sols, l’eau et le climat. Elle favorise la biodiversité et ne pollue pas l’environnement avec des intrants chimiques ou des organismes génétiquement modifiés (OGM). L’agriculture écologique offre de nombreux avantages : 1. Elle garantit aux communautés l’autosuffisance alimentaire et des aliments sains. 2. Elle protège les sols de l’érosion et de la dégradation et améliore leur fertilité, préserve les ressources en eau et les habitats naturels et réduit les émissions de gaz à effet de serre. 3. Elle constitue une stratégie d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à leurs effets. Elle peut fournir de vastes puits de carbone et offre de nombreuses autres options pour atténuer le dérèglement du climat. De plus, le respect de la biodiversité est le moyen le plus efficace d’adapter l’agriculture aux futures conditions climatiques. L’implantation de différentes cultures et espèces sur une même parcelle agricole est un moyen fiable et éprouvé d’améliorer la résistance des exploitations face à l’imprévisibilité des conditions météorologiques 4. L’agriculture écologique se sert de la nature tout en la protégeant. Elle tire parti des services que nous offre la nature, tels que la biodiversité, les cycles nutritifs, la régénération des sols et les prédateurs naturels des nuisibles, et intègre ces services écosystémiques à des modèles agro-écologiques qui garantissent une alimentation saine pour aujourd’hui et pour demain. 12
Carottes, concombres et poireaux sur les étals du maraîcher. © Axel Kirchhof / Greenpeace 13
Abeille morte. Il faut de toute urgence interdire les pesticides tueurs d’abeilles. Cette élimination est un premier pas indispensable vers la protection de la santé des populations d’abeilles. © Fred Dott / Greenpeace 14
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE 2 : FACTEURS À L’ORIGINE DU DÉCLIN DES ABEILLES ET CONSÉQUENCES POUR L’AGRICULTURE Tracteur épandant des pesticides sur des cultures de choux, Espagne. © Greenpeace / Ángel Garcia Facteurs impliqués dans le déclin des abeilles sauvages et domestiques De l’avis général, la dégradation des populations d’abeilles et de leur santé résulte de facteurs multiples, connus ou non identifiés, pouvant agir séparément ou en combinaison (Williams et al. 2010, Potts et al. 2010). Les principales raisons (avérées ou supposées) du déclin des abeilles sont : l’intensification de l’utilisation des sols liée aux méthodes agricoles industrielles et entraînant une perte d’habitat ; l’utilisation de pesticides toxiques pour les abeilles et l’utilisation d’herbicides en bordure des champs, pratiques qui détruisent les fleurs sauvages desquelles se nourrissent les abeilles ; les agents pathogènes (maladies et parasites) ; les changements climatiques. Intensification de l’utilisation des sols L’urbanisation et l’intensification croissante de l’agriculture ont détruit et fragmenté de nombreux habitats naturels (Vanbergen et al. 2013). L’agriculture intensive est le moteur de la disparition des habitats naturels et semi-naturels au sein des zones cultivées. Ces espaces auparavant inexploités sont détruits et transformés en terrains agricoles toujours plus vastes. Il en résulte une disparition des haies, des bordures, de la végétation arbustive, des anciens champs, des prairies naturelles et des zones boisées. La disparition de ces habitats naturels et semi-naturels s’accompagne en parallèle de la diminution de la diversité des plantes sauvages. La perte de ces habitats et de la diversité florale entraîne la disparition des zones de nidification et des ressources de butinage pour les abeilles. En réalité, on considère que la perte d’habitat est l’un des principaux responsables du déclin des abeilles. D’après les recherches menées sur ce sujet, elle serait à l’origine de la diminution de la diversité et de l’abondance des abeilles sauvages (Potts et al. 2010). L’agriculture industrielle a également induit la conversion des prairies de fauche traditionnelles (qui abritent une diversité florale exceptionnelle très prisée des abeilles sauvages) en champs destinés à la production d’ensilage, dans lesquels les plantes à fleurs sauvages sont coupées bien avant la floraison (Pfiffner et Müller 2014). D’autres pratiques telles que le labour, l’irrigation et le déracinement de la végétation ligneuse contribuent à la destruction des zones de nidification des abeilles sauvages (Kremen et al. 2007). Les monocultures, caractéristiques de l’agriculture industrielle, et plus généralement la diversité insuffisante des fleurs sauvages au sein et autour des terres cultivées, limitent les ressources alimentaires des abeilles à la fois dans le temps et dans l’espace. 15
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE L’intensification de l’agriculture peut affamer les abeilles (Tirado et al. 2013), avec des effets potentiellement préjudiciables pour les abeilles qui ont besoin de trouver un équilibre nutritionnel optimal pour garantir leur croissance et leur reproduction (Vanbergen et al. 2013). Les cultures à fleurs, comme le colza (canola), peuvent représenter une source d’alimentation alternative pour les espèces d’abeilles sauvages qui sont capables de les exploiter efficacement, ce qui n’est pas le cas des espèces les plus spécialisées. De plus, ces ressources alimentaires ne sont disponibles que pendant quelques semaines, lors de la saison estivale. Or les abeilles (domestiques ou sauvages) ont besoin de pollen et de nectar tout au long de la saison de butinage. Par ailleurs, toutes les espèces sauvages n’étant pas actives au même moment, il est nécessaire que des ressources florales soient disponibles du début du printemps jusqu’à la fin de l’automne (Veromann et al. 2012, Pfiffner et Müller 2014). Les abeilles sauvages ont besoin des espèces de fleurs sauvages endémiques des habitats semi- naturels pour trouver les ressources florales nécessaires (Rollin et al. 2013). Agriculture intensive en chimie – utilisation des pesticides et impacts sur les abeilles Notre modèle agricole actuel repose sur l’utilisation de pesticides à grande échelle. Les fleurs, les sites de nidification et l’environnement général dans lequel évoluent les abeilles sont souvent contaminés par des produits chimiques, essentiellement des pesticides (insecticides, herbicides et fongicides), notamment les poussières issues des exploitations agricoles. Ces substances chimiques sont appliquées sur les cultures, mais elles contaminent les abeilles par le biais du nectar, du pollen, mais aussi de l’air, de l’eau et du sol. Ces pesticides (ou cocktails de pesticides) peuvent s’avérer toxiques pour les abeilles à court terme ou, à faibles doses, entraîner des effets chroniques qui affaiblissent voire tuent les abeilles. Ces conséquences négatives de l’utilisation des pesticides sont décrites en détail dans deux rapports publiés récemment par Greenpeace : Le déclin des abeilles (Tirado et al. 2013) et Les abeilles ont le bourdon (Johnston et al. 2014). Les études menées à l’échelle des paysages sur les abeilles sauvages et les papillons montrent que la richesse spécifique (mesure de la diversité des espèces au sein d’un paysage ou d’une région donné) a tendance à être moins importante lorsque les concentrations en pesticides et le risque d’exposition cumulative sont plus élevés (Brittain et al. 2010). Utilisation des herbicides – impacts sur les plantes à fleurs sauvages L’application d’herbicides à grande échelle sur et autour des zones cultivées réduit considérablement la diversité et l’abondance des adventices et des fleurs sauvages, ce qui à son tour limite les ressources alimentaires (pollen et nectar) disponibles pour les abeilles. La destruction chimique des habitats liée à l’utilisation massive d’herbicides peut avoir des conséquences à long terme, en particulier sur la répartition des insectes pollinisateurs dans les agro-environnements (PNUE, 2010). 16
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE Maladies et parasites Si le déclin De nombreux apiculteurs s’accordent à dire que l’acarien ectoparasite varroa destructor des pollinisateurs représente une menace considérable pour les colonies d’abeilles domestiques à l’échelle continue, mondiale. D’autres nouveaux virus et agents pathogènes exercent également une une partie pression croissante sur les colonies d’abeilles. substantielle de la flore La capacité des abeilles à résister à ces maladies et parasites semblent être influencée mondiale risque par un certain nombre de facteurs, notamment leur état nutritionnel et leur niveau de disparaître. d’exposition aux produits chimiques toxiques. Certains pesticides, par exemple, semblent affaiblir les abeilles qui deviennent plus sensibles aux infections et aux infestations parasitaires (Tirado et al. 2013). – Ollerton et al. (2011) Changements climatiques Les pollinisateurs, y compris les abeilles sauvages, ne seront pas épargnés par les conséquences attendues du dérèglement climatique, notamment par la hausse des températures, la modification des régimes de précipitations et l’augmentation du nombre de phénomènes météorologiques imprévisibles ou extrêmes (PNUE, 2010). Le bouleversement du climat aura très certainement des répercussions sur les interactions entre les pollinisateurs et leurs sources de nourriture, c’est-à-dire les plantes à fleurs, notamment à cause du bouleversement des dates et rythmes de floraison. De récentes analyses indiquent que 17 à 50 % des espèces de pollinisateurs souffriront d’un manque de nourriture en raison d’un décalage temporel entre leurs activités de butinage et la floraison des plantes, d’après des scénarios réalistes basés sur des projections de changements climatiques jusqu’en 2100 (Memmott et al. 2007). Incidences du déclin des abeilles sur le rendement des récoltes et les écosystèmes de plantes sauvages La pollinisation des cultures par les abeilles sauvages et domestiques est essentielle à la sécurité alimentaire mondiale. La pollinisation des fleurs sauvages est également indispensable à la survie des écosystèmes de plantes sauvages et des organismes qui dépendent de ces écosystèmes. La demande en pollinisateurs (tant au niveau local que régional) augmente plus vite que leur disponibilité. Nous pourrions donc faire face à une pollinisation insuffisante dans un futur proche voire très proche. En effet, les cultures fortement dépendantes de la pollinisation se développent à un rythme plus élevé que les réserves mondiales d’abeilles domestiques (Garibaldi et al. 2011, Lautenbach et al. 2012). De plus, il a été prouvé que la diversité des populations d’abeilles est un facteur essentiel pour garantir les services de pollinisation nécessaires à nos cultures et aux fleurs sauvages. La dépendance envers une seule espèce (celle des abeilles domestiques), constitue donc un risque important, d’autant plus que cette espèce est en déclin (Bommarco et al. 2013). 17
PIQÛRE DE RAPPEL – VIVRE SANS PESTICIDES SOLUTIONS POUR UNE AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE La Convention internationale sur la diversité biologique estime que la pollinisation est un service écosystémique clé menacé à l’échelle mondiale (Abrohl 2012). D’après de récentes études, les services de pollinisation sont déjà limités dans certains cas. Des travaux menés au Royaume-Uni ont montré que les services de pollinisation rendus par les insectes dans les champs de colza (canola) sont probablement déjà très restreints. Cette déficience de pollinisation peut avoir des conséquences négatives sur les rendements et la qualité des récoltes. Elle est d’autant plus inquiétante que l’agriculture européenne est de plus en plus dépendante des cultures entomophiles, dont le colza. Cette étude suggère que, le colza étant pollinisé par des espèces généralistes, les terres entourant les champs devraient être gérées de façon à renforcer la présence de ces espèces. Il est intéressant de noter que cette conclusion est étayée par une autre étude menée sur des exploitations de canola dans le nord du Canada (Morandin et Winston 2006). D’après les résultats de cette étude canadienne, les champs situés à proximité de zones non cultivées abritent des communautés d’abeilles sauvages plus diverses et abondantes, et bénéficient donc d’une meilleure pollinisation et de rendements plus élevés. D’après les auteurs, les agriculteurs pourraient optimiser leurs bénéfices en s’abstenant de cultiver 30 % de leurs exploitations pour bénéficier des services des pollinisateurs et augmenter leurs rendements. L’agriculture biologique bannit l’usage des pesticides chimiques de synthèse qui sont toxiques pour les abeilles, et fait la part belle aux habitats semi-naturels sur les exploitations. Ces pratiques valorisent la diversité des abeilles sauvages (voir chapitre 3) et donc la pollinisation, qui semble être plus efficace au sein des exploitations biologiques (Pfiffner et Müller 2014). Une étude menée en Suède sur la pollinisation de fraises cultivées dans des exploitations biologiques et industrielles (Andersson et al. 2012) a montré que le taux de pollinisation des parcelles biologiques était plus élevé, et que leur taux de pollinisation complète était aussi plus important (45 % pour les exploitations biologiques, contre 17 % pour les exploitations conventionnelles). L’étude suggère que l’augmentation des taux de pollinisation, encouragée par l’agriculture biologique, peut améliorer la quantité et la qualité des récoltes de fraises. Piqûre de rappel : extraits de la série vidéo « Vivre sans pesticides », réalisée par Greenpeace Les politiques agricoles doivent prendre en compte les coûts de production réels, sans ignorer des facteurs tels que la pollution de l’environnement ou les frais de santé supportés par l’ensemble de la société. […] L’agriculture biologique et durable a besoin de s’appuyer sur des bases scientifiques […], mais aussi de pouvoir compter sur des marchés et une demande pour ses produits, qui sont inévitablement un peu plus chers, mais aussi de bien meilleure qualité. Hans Herren – ingénieur agronome, spécialiste de la lutte antiparasitaire biologique, lauréat du Prix Nobel alternatif 2013. Convaincu des avantages de l’agriculture écologique, il consacre son énergie à défendre les méthodes agronomiques « vertes », telles que le « push-pull » auprès du grand public et des décideurs politiques. 18
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