La vente des terres africaines: bonne ou mauvaise ? les changements climatiques - the United Nations

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Anciennement ‘Afrique Relance’   Département de l’information des Nations Unies   Vol. 23 No. 3 Octobre 2009

La vente
des terres
africaines:
bonne ou mauvaise ?

À l’unisson contre
les changements
climatiques
                                                                                                                    Peter Arnold Inc. / Sebastian Bolesch
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                                                                                                                                                                                          Nations Unies
                                                                                                                                                                                Vol. 23 No. 3 Octobre 2009

  L’Afrique et le “commerce des êtres humains”. .  . 6
        Le Protocole de l’ONU contre la traite
        des personnes. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 7

  Mainmise sur les terres africaines ?. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 4

  L’Afrique s’exprime sur la question du climat. .  .  .  . 3

Egalement au sommaire
  La sécurité aux enchères. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 10

  Recherche de justice ou complot occidental ?. .  .  . 12

  L’Afrique et ‘la guerre contre le terrorisme’. .  .  .  .  .  . 16

                                                                                                                                                                                                                Panos / Lorena Ros
        Un cadre mondial de lutte antiterroriste. .  .  .  .  .  .  .  .  . 17

Rubriques
   Agenda. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 23
   Livres. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 23         Jeune fille de Benin City dans l’Etat d’Edo au Sud du
                                                                                                                                                 Nigéria: la grande majorité des Nigérianes victimes de la
   Horizon. .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 24          traite aux fins de prostitution en Europe en sont originaires.

    La revue Afrique Renouveau est publiée en anglais et en français par la Division de la                                                                           Rédactrice en chef
      communication stratégique du Département de l’information des Nations Unies et                                                                                 Julie I. Thompson
  bénéficie du soutien du PNUD, de l’UNICEF et d’UNIFEM. Toutefois son contenu ne reflète
                                                                                                                                                     Rédacteur                                Reporter
       pas nécessairement les vues des Nations Unies ou des organisations soutenant
                                                                                                                                          Ernest Harsch                                     Mary Kimani
la publication. Le contenu de cette publication peut être ­reproduit librement, en précisant la                                          		                                               Michael Fleshman
          source, “ONU, Afrique Renouveau”. Merci de nous en adresser une copie.
                                                                                                                                                     Rédaction                               Production
                                 Prière d’adresser toute correspondance au
                                                                                                                                                   Marian Aggrey                          Chris van der Walt
                                     Rédacteur, Afrique Renouveau
                                           Bureau M-16031,                                                                                         Administration                            Distribution
                             Nations Unies, New York 10017-2513, E.-U.                                                                            Shelly Edelsburg                          Atar Markman
                              Tél : (212) 963-6857 Fax : (212) 963-4556
                                    e-mail : africarenewal@un.org

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                         Afrique Renouveau est imprimée sur papier recyclé.
L’Afrique s’exprime sur la question du climat
Une position commune pour les négociations sur les changements climatiques

Par Ernest Harsch                                     miers signataires de la Convention-cadre des         africains adoptent de plus en plus des positions

Q
       uand les représentants africains se ren-       Nations Unies sur les changements climatiques        communes, que ce soit dans les pourparlers
       dront à Copenhague début décembre              de 1992 et du Protocole de Kyoto de 1997 qui         internationaux concernant la crise économique
       pour y assister à des négociations cru-        fixait des limites aux émissions de gaz à effet      mondiale ou sur les questions de changement
ciales sur les changements climatiques, ils           de serre. Mais comme le notait une analyse           climatique. “A Copenhague, l’Afrique parlera
s’efforceront de parler d’une seule voix. “Pour       présentée en août au sommet de l’Union afric-        d’une seule voix a-t-il indiqué à Afrique
la première fois dans l’histoire, déclare le          aine, les efforts de négociation précédents de       Renouveau. Nous aurons un coordinateur
Premier Ministre éthiopien Meles Zenawi,              l’Afrique ont été marqués par une “coordina-         unique pour tout le groupe africain et une stra-
l’Afrique aura une seule équipe de négocia-           tion lamentable” et une absence de “direction        tégie de négociation unique.”
tion habilitée à négocier au nom de tous les          politique visible à l’échelle du continent.”             Certaines préoccupations exprimées par
États membres de l’Union africaine… les                   Prenant la parole le 22 septembre lors           l’Afrique ont trait à “l’adaptation” — les moy-
intérêts et la position de l’Afrique ne seront        du sommet sur les changements climatiques            ens d’aider les pays dont les zones côtières sont
pas passés sous silence.”                                                                                           menacées, ceux victimes d’un change-
    De nombreux participants à la                                                                                   ment du régime des pluies ou de modi-
réunion des dirigeants africains qui s’est                                                                          fications des grandes tendances de
tenue fin août et qui a choisi M. Meles                                                                             leur climat. L’Union africaine estime
comme chef de cette délégation, ont fait                                                                            que pour soutenir adéquatement de
valoir la nécessité d’agir d’urgence, les                                                                           tels efforts, les pays en développement
changements climatiques ayant de plus                                                                               auront globalement besoin de 67 mil-
en plus d’incidences sur la vie de mil-                                                                             liards de dollars par an à l’horizon 2020.
lions de personnes.                                                                                                     Concernant “l’atténuation” — la
                                                                                                                    réduction des gaz à effet de serre —
Le moment d’engager le débat                                                                                        l’Afrique espère que les pays industriels
“Le moment est venu pour l’Afrique                                                                                  et les pays en voie d’industrialisation,
de s’engager avec vigueur” dans les                                                                                 qui produisent la plus grande partie de
négociations sur les changements cli-                                                                               ces gaz, accepteront d’en réduire con-
matiques, a déclaré au cours de ce                                                                                  sidérablement les émissions. Les pays
                                                                                                                 Peter Arnold Inc. / Ton Koene

sommet Jean Ping, le Président de la                                                                                africains pour leur part s’engagent à
Commission de l’Union africaine. Face                                                                               adopter des procédés de production
à une productivité agricole menacée, à                                                                              plus propres, mais il leur faut pour cela
des ressources en eau en danger et au                                                                               de nouvelles technologies. De plus, a
risque de voir la pauvreté augmenter,                                                                               déclaré le Premier Ministre Meles à
le prix de l’inaction est inacceptable, a                                                                           un forum conjoint entre l’Afrique et les
affirmé M. Ping.                                                                                                    donateurs organisé début septembre
    Selon des projections de la Banque         Collecte de bois de feu en Éthiopie: les mutations climatiques       en Éthiopie, “nous voulons préserver
mondiale publiées à la mi-septembre,           engendrent des conditions météorologiques extrêmes qui obli-         nos forêts,” et replanter les surfaces
la consommation annuelle par habitant            gent certains pays à faire face à une sécheresse accrue.           forestières dégradées (car les arbres
pourrait chuter de 4 à 5 % en Afrique                                                                               absorbent le principal gaz à effet de
en raison des changements climatiques liés à         organisé par l’ONU, le président rwandais             serre, le dioxyde de carbone.)
la montée des températures de la planète et du       Paul Kagame a noté que si les pays africains              Bien que ce forum ait constitué un lieu de
bouleversement des économies locales. D’ici à        “restaient plus ou moins en marge” du débat           rencontre idéal pour solliciter une augmentation
2030, environ 90 millions d’Africains de plus        mondial c’était notamment parce qu’ils estima-        de l’aide fournie par les bailleurs de fonds, le
seront exposés au paludisme, les conditions dev-     ient que “les changements climatiques sont un         principal négociateur africain sur les questions
enant encore plus favorables à la multiplication     problème industriel qui doit être résolu par les      de changement climatique a mis l’accent sur
des moustiques vecteurs de la maladie. D’ici à       pays occidentaux.”                                    l’action internationale plutôt que sur le prob-
2080, de 9 à 20 % des terres arables en Afrique                                                            lème du financement. “Nous n’avons pas intérêt
pourraient devenir plus difficiles à cultiver.       ‘Une seule voix’                                      à réclamer des compensations pour les change-
    Les gouvernements africains sont depuis          Selon Ibrahim Assane Mayaki, le Secrétaire            ments climatiques et les dommages qu’ils
longtemps conscients de ces tendances et bon         exécutif du Nouveau partenariat pour le dével-        entraînent, a expliqué M. Meles, nous avons tout
nombre d’entre eux ont figuré parmi les pre-         oppement de l’Afrique (NEPAD), les pays               intérêt à éviter qu’ils ne se produisent.”       n

                                                                                                   octobre 2009                                             3
Mainmise sur les terres africaines ?
                       L’acquisition de terres par des sociétés étrangères soulève d’inquiétudes et d’espoir

                       Par Roy Laishley                                         Mais dans l’immédiat, des considérations       Banque mondiale ont commandé une étude sur

                       L
                             ’apparente multiplication des achats           pratiques ont aussi une grande importance.         cette “ruée vers la terre”. Au cours du sommet
                             de terres africaines par des sociétés et       “C’est une tendance inquiétante”, a déclaré en     du G8 tenu cette année en Italie au mois de juil-
                             même des gouvernements étrangers               juin Akinwumi Adesina de l’Alliance pour une       let, le Japon a cherché à faire adopter un code
                       qui les destinent à des cultures vivrières ou        révolution verte en Afrique (AGRA) à un forum      de conduite régissant ce genre de transactions.
                       commerciales tournées vers l’exportation pro-        scientifique organisé aux Pays-Bas. Selon lui,     Finalement, le G8 s’est contenté d’une promesse
                       voque des inquiétudes à travers le continent         ces acquisitions étrangères pourraient entraver    de collaboration avec les pays partenaires et les
                       comme en dehors de l’Afrique. Le phénomène           les efforts faits localement pour augmenter la     organisations internationales pour mettre au
                                                                                                                               point des propositions de principes et de pra-
                                                                                                                               tiques recommandées concernant les investisse-
                                                                                                                               ments étrangers dans les terres agricoles.
                                                                                                                                    Un code de conduite sera difficile à négo-
                                                                                                                               cier et sera encore plus difficile pour les pays
                                                                                                                               industrialisés à faire appliquer à des contrats
                                                                                                                               qui sont principalement négociés entre des
                                                                                                                               pays du Sud, a déclaré à Afrique Renouveau
                                                                                                                               Olivier De Schutter, Rapporteur spécial de
                                                                                                                               l’ONU sur le droit à l’alimentation.
                                                                                                                                    En juin, dans un rapport sur ces grands
                                                                                                                               contrats d’acquisition et d’affermage, M. De
                                                                                                                               Schutter a écrit que bien que ces investisse-
                                                                                                                               ments offrent certaines perspectives de dével-
                                                                                                                               oppement, ils représentent aussi une menace
                                                                                                                               à la sécurité alimentaire. “Les enjeux sont
Panos / Sven Torfinn

                                                                                                                               énormes”, a-t-il expliqué à Afrique Renouveau.
                                                                                                                               Malheureusement, “ces contrats dans la forme
                                                                                                                               sous laquelle ils ont été conclus jusqu’à présent
                                                                                                                               ne présentent que des obligations très faibles
                                                                                                                               pour les investisseurs.”
                       Exploitants rizicoles au Malawi: certains experts craignent que les programmes d’agriculture sous            Cependant, pour les pays africains qui con-
                        contrôle étranger portent atteinte aux droits fonciers des exploitants locaux et compromettent         cluent ce genre de transactions, les bénéfices
                                                         la sécurité alimentaire en Afrique.                                   potentiels sont aussi séduisants.

                       a fait les gros titres de la presse qui le dénonce   production agricole vivrière et même limiter la    Des transactions d’une échelle sans
                       sans ménagement : “Le deuxième partage de            croissance économique globale.                     précédent
                       l’Afrique”, ”La recherche de la sécurité alimen-        L’importance des surfaces concernées            Une étude récente de l’Institut international
                       taire engendre le néo-colonialisme”, “Sécurité       par certaines de ces transactions foncières a      pour l’environnement et le développement
                       alimentaire ou esclavage économique ?”               aggravé les inquiétudes. Le projet d’affermer      (IIED), un organisme de recherche britan-
                           Cette levée de boucliers s’explique par          1,3 million d’hectares à la société sud-           nique, estime que depuis 2004, les cinq pays
                       les séquelles toujours présentes de l’histoire       coréenne Daewoo a été un facteur clé dans la       qui ont fait l’objet d’une enquête approfondie,
                       du continent où jusqu’au siècle dernier les          mobilisation qui a abouti à l’éviction du prési-   (Éthiopie, Ghana, Madagascar, Mali et
                       puissances coloniales et les colons étrang-          dent malgache Marc Ravalomanana au mois            Soudan) ont à eux seuls cédé l’exploitation de
                       ers s’emparaient arbitrairement des terres           de mars. Au Kénya, le gouvernement peine à         près de 2,5 millions d’hectares de terres agri-
                       africaines et déplaçaient les populations qui        surmonter l’opposition locale à la proposition     coles africaines à des entreprises étrangères.
                       y vivaient. Jacques Diouf, Directeur général         de donner au Qatar le droit d’exploiter 40 000     L’échelle de certaines de ces transactions est
                       sénégalais de l’Organisation des Nations             hectares de terres dans la vallée de la rivière    sans précédent, affirme le rapport de l’IIED,
                       Unies pour l’alimentation et l’agriculture           Tana en échange de la construction d’un port       Accaparement des terres ou opportunités de
                       (FAO), se demande si ce genre de transactions        en eau profonde.                                   développement ?, préparé pour la FAO et le
                       foncières ne risque pas d’aboutir à une forme           Plusieurs organisations internationales         Fonds international de développement agricole
                       de “néo-colonialisme”.                               ont pris position sur la question. La FAO et la    des Nations Unies.

                       4                                    Octobre 2009
L’IIED a averti que même sur ces pays, les     cette explosion de l’investissement agricole, car    les failles et les dangers potentiels qui incluent
données sont incomplètes et qu’elles n’incluent    elle est perçue comme disposant de vastes res-       des risques de compromettre les efforts faits
pas certains des plus gros contrats. Des entre-    sources en terres et en main-d’œuvre, comme          au niveau national pour accroître la production
prises chinoises seraient en train de négocier     d’un climat favorable, souligne M. De Schutter.      alimentaire, le danger que des projets agricoles
des contrats portant sur 2,8 millions d’hectares       Jusqu’ici, l’Afrique n’a pu mobiliser que des    exclusivement tournés vers des marchés exté-
en République démocratique du Congo (RDC),         ressources financières limitées pour mettre en       rieurs stimulent peu les activités économiques
surfaces qu’elles destinent à des plantations de   culture ses terres arables. En dépit d’appels        des pays concernés, ainsi que la menace poten-
palmiers à huile, et sur 2 millions d’hectares     répétés à l’augmentation de l’investissement         tielle qu’ils représentent pour les droits tradi-
en Zambie destinés à la culture du jatropha,       agricole national, l’agriculture des pays afric-     tionnels des paysans africains sur ces terres. Le
une plante utilisée dans la production de bio-     ains reste à la traîne des autres secteurs.          Rapport économique sur l’Afrique 2009, pub-
carburant. Le Soudan a pour sa part accepté            La terre étant apparemment disponible en         lication conjointe de l’UA et de la Commission
d’affermer 690 000 hectares à la Corée du Sud      abondance mais l’argent rare, les offres des         économique pour l’Afrique de l’ONU (CEA),
pour cultiver des céréales.                        investisseurs étrangers concernant le dével-         avertit de ne pas donner une trop grande pri-
    Le même rapport note qu’aucun contrat          oppement des ressources agricoles africaines         orité à l’expansion rapide des surfaces cultivées
conclu par la Chine et mis en œuvre ne con-        apparaissent donc comme très tentantes. Mais         en raison de la dégradation de l’environnement
cerne plus de 50 000 hectares. Néanmoins,          dans les faits, une grande partie de ces terres ne   à laquelle l’Afrique est déjà confrontée.
une étude de l’Organisation non gouverne-          sont pas aussi inutilisées qu’elles le paraissent        Un grand nombre de ces études mettent
mentale GRAIN sur les acquisitions récem-          et les bénéfices réels de l’investissement agri-     aussi en valeur les bénéfices potentiels pour
ment rapportées dans les médias et d’autres        cole se révèlent beaucoup plus faibles que ceux      un secteur à court d’argent : création de nou-
sources suggèrent que l’exploitation de près       projetés dans les études préliminaires.              veaux emplois, introduction de nouvelles tech-
de 6 millions d’hectares de terres agricoles a         “Les États africains sont assis sur une          nologies, amélioration de la qualité des produc-
été ou est potentiellement assignée à des entre-   caisse de dynamite,” a déclaré en juin à la          tions agricoles et possibilités de développer des
prises étrangères. Ce décomptage n’inclut pas      presse Namanga Ngoni, Président de l’Alliance        activités de transformation des produits agri-
la proposition faite par la RDC à un syndicat
d’agriculteurs sud-africains de leur affermer 10
millions d’hectares pour des cultures vivrières
variées et pour des activités d’élevage.

Alimentation et biocarburants :
une demande croissante
Cet intérêt croissant pour les ressources fon-
cières africaines est dû à plusieurs facteurs.
Pour les investisseurs, un fort désir d’assurer
leur sécurité alimentaire et à un moindre
degré de satisfaire la hausse de la demande
en biocarburants ; ces deux motivations étant
renforcées par la perspective d’une hausse
inévitable des prix du foncier à mesure que la
demande mondiale en productions vivrières

                                                                                                                                                             ONU / B. Wolff
et commerciales continuera à augmenter.
    Un grand nombre de ces transactions entre
États sont destinées à satisfaire des besoins
alimentaires domestiques, spécialement dans
                                                                Agriculture mécanisée en Tanzanie: l’agriculture à grande échelle risque de nuire
les États du Golfe et en Corée du Sud. Des
                                                                                     à l’environnement fragile de l’Afrique.
entreprises indiennes ont investi environ 1,5
milliard de dollars en Éthiopie pour répon-
dre à la croissance des besoins alimentaires       pour une révolution verte en Afrique (AGRA),         coles à haute valeur ajoutée. Peut-être même
de leur population et à celle de la demande        lancée par l’ex-Secrétaire général de l’ONU          la perspective d’une “augmentation de la pro-
d’aliments pour animaux. De nombreuses             Kofi Annan.                                          duction alimentaire pour le marché national et
sociétés commerciales, européennes aussi bien                                                           pour l’exportation”, selon la FAO.
que chinoises, se sont lancées à Madagascar,       Élaborer une approche stratégique                        Un e é t u d e d e l’I F PR I i nt it u l é e
au Mozambique et en Zambie dans la culture         Les récentes études menées par l’IIED, la FAO,       “Accaparement des terres” par les investis­
du jatropha, du sorgho et d’autres cultures des-   la Banque mondiale et l’Institut international       seurs étrangers dans les pays en dévelop­
tinées à la production de biocarburants.           de recherche sur les politiques alimentaires
    L’Afrique est particulièrement ciblée par      (IFPRI) établi à Washington, confirment toutes                                             voir page 22

                                                                                                 octobre 2009                                           5
L’Afrique et le “commerce des êtres humains”
La traite des personnes: un fléau qui fait des centaines de milliers de victimes

Par Michael Fleshman

L
      orsque Isoke Aikpitanyi, âgée de 20
      ans, s’est vu offrir en 2000 un emploi
      en Italie, elle a sauté sur l’occasion. La
vie chez elle, au Nigéria, était pénible et les
perspectives de travail pour les jeunes femmes
rares. Elle savait qu’il lui faudrait entrer illé-
galement dans le pays et accomplir un travail
mal rémunéré et subalterne. Mais cela valait
mieux que de rester chez soi et la personne
qui lui avait proposé du travail s’engageait à
organiser son voyage et à en assumer les frais
qu’Isoke rembourserait de ses gains.
    Ce n’est qu’après son arrivée en Italie que

                                                                                                                                                                Panos / Lorena Ros
les choses ont mal tourné, a-t-elle raconté en
2008 à la station de télévision Al-Jazeerah. A
peine débarquée, on lui a fait savoir que “les
étrangers démunis d’un titre de séjour n’avaient
d’autre choix que de faire le trottoir.”
                                                       Jeune fille de Benin City dans l’Etat d’Edo au Sud du Nigéria: la grande majorité des Nigérianes
    Le refus de travailler ou le fait de ne pas
                                                                   victimes de la traite aux fins de prostitution en Europe en sont originaires.
rapporter assez d’argent étaient sanctionnés
par des sévices corporels, a-t-elle précisé,
soulignant qu’elle était restée trois jours dans     travailler comme prostituées ou main d’œuvre          la traite des personnes du Haut-Commissariat
le coma après avoir été passée à tabac. Les          non qualifiée sous la menace de violences, la         aux droits de l’homme de l’ONU, Joy Ezeilo,
femmes qui tentaient de s’échapper étaient           plupart n’ont pas les moyens de s’enfuir.             affirme que les estimations varient énormément
souvent tuées pour servir d’exemple aux                  En réponse aux récits comme celui d’Isoke,        car, d’un côté, les contrebandiers cherchent à
autres. “J’ai été une esclave sexuelle. On m’a       les gouvernements africains ont intensifié leurs      éviter toute détection et, de l’autre, les gouver-
trompée en me faisant venir en Italie pour un        efforts pour lutter contre la traite des êtres        nements accordent peu d’importance aux activi-
emploi qui n’existait pas.”                          humains et lancé des campagnes d’éducation            tés de contrôle et de prévention de la traite des
    Ce type de commerce illégal des per-             et de sensibilisation de l’opinion publique.          personnes. La Rapporteuse estime néanmoins
sonnes qui repose sur la fraude et la violence           L’insuffisance des ressources humaines et         à 2,5 millions environ le nombre de victimes
est généralement connu sous le nom de “traite        financières, conjuguée à la carence du système        de la traite l’année dernière, dont plus d’un
des êtres humains” et constitue un sujet de          juridique, à la perméabilité des frontières et        million d’enfants. D’après l’UNICEF, la traite
préoccupation partout dans le monde. Après           au réservoir apparemment inépuisable de per-          représente en outre une importante source de
des mois de sévices corporels et d’exploitation      sonnes prêtes à tout pour échapper à la misère        revenus, rapportant jusqu’à 10 milliards de dol-
sexuelle, Isoke a réussi à échapper à ses ravis-     freinent les efforts des pays africains et d’autres   lars par an aux groupes de trafiquants.
seurs et à lancer un organisme d’aide aux            pays en développement pour empêcher leurs                 “Je peux affirmer, a-t-elle dit à Afrique
victimes de la traite des personnes en Italie,       ressortissants de tomber entre les mains des          Renouveau lors d’un entretien dans ses bureaux
l’Association des filles de Benin City, qui vise     trafiquants.                                          à Lagos, que la traite des personnes est un sujet
à encourager un nombre croissant de femmes               Il appartient aussi aux pays de destination       extrêmement préoccupant pour l’Afrique, elle-
à échapper à leur sort.                              d’intensifier leurs efforts dans ce domaine.          même devenue un réservoir important de vic-
                                                     Tant que les gouvernements traiteront les vic-        times de la traite dans le monde.” Pour sa part,
La plupart n’ont pas les moyens de s’enfuir          times de la traite comme des individus qui            l’Organisation internationale pour les migra-
Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance            enfreignent la loi plutôt que victimes d’une          tions (OIM) estime que rien qu’en Italie 10 000
(UNICEF) affirme que des centaines de mil-           infraction grave, les trafiquants trouveront tou-     à 15 000 Nigérianes sont forcées de travailler
liers de personnes dans les pays en développe-       jours moyen d’alimenter le marché.                    dans l’industrie du sexe.
ment, poussées par la pauvreté, les guerres, la                                                                Mme Ezeilo souligne que, contrairement
discrimination et l’injustice, deviennent tous       “Enorme sujet de préoccupation”                       à la traite des personnes au niveau interna-
les ans victimes de réseaux de trafiquants per-      Le nombre précis des victimes des trafiquants         tional, où 80 % des victimes sont utilisées à
fectionnés. Craignant les autorités et forcées de    n’est pas connu. La Rapporteuse spéciale sur          des fins d’exploitation sexuelle, “les victimes

6                                    Octobre 2009
de la traite en Afrique sont forcées d’accomplir     des deux tiers avaient été envoyés à l’intérieur   ont été choisis en fonction de leur petite taille,
des tâches ménagères et de travailler dans les       du pays. La plupart de ceux acheminés hors         forcés de vivre dans une enceinte entourée de
champs et dans la construction, tout en servant      du Mali ont été retrouvés dans les pays limi-      barbelés et sous-alimentés pour les empêcher
comme objets sexuels.                                trophes. La Rapporteuse spéciale a également       de prendre du poids. Ils étaient souvent battus
                                                     fait état de l’arrestation en 2005 par les auto-   et subissaient des violences sexuelles et parfois
Complexité des facteurs                              rités du Malawi d’un trafiquant qui a tenté de     étaient victimes de blessures graves causées
Un rapport exhaustif publié en 2009 par              faire passer clandestinement en Zambie 15          par des accidents de course.
l’Office de l’ONU contre la drogue et le crime       enfants, dont un de 10 ans, pour servir comme
(ONUDC) confirme ce phénomène. Intitulé              main d’œuvre saisonnière dans les champs.          Exploiter la pauvreté, la tradition
Rapport mondial sur la traite des personnes*,            Dans le sud-ouest du Nigéria, un millier       La Rapporteuse spéciale souligne en outre que
le document révèle que la traite des Africains       d’enfants du Bénin voisin ont été découverts       l’ampleur et la diversité de la traite des per-
vers l’étranger revêt le plus souvent un car-        alors qu’ils servaient comme main d’œuvre          sonnes en Afrique, conjuguées à la perméabil-
actère simple et brutal, la vaste majorité des       forcée dans les carrières de gravier, malgré       ité des frontières du continent et à la carence
jeunes victimes féminines étant envoyées vers        les tentatives des deux gouvernements de faire     des organismes chargés de faire appliquer
l’Europe et les Etats-Unis aux fins de prosti-       cesser cette pratique. D’après un rapport de       les lois, rendent ce phénomène pratiquement
tution. En revanche, la traite des personnes à       2007 adressé au Conseil des droits de l’homme      impossible à arrêter. Il est relativement facile,
l’intérieur du continent, bien plus complexe,        de l’ONU par l’organisation non gouvernemen-       dit-elle, de répertorier globalement les pays
repose sur toute une série de facteurs qui déter-    tale Coalition Against Trafficking in Women        selon qu’ils sont des pays d’origine, de desti-
minent les choix des trafiquants et la nature des    and Children, les victimes, certaines à peine      nation ou de transit. Une telle catégorisation
activités qu’on imposera aux victimes à leur         âgées de six ans, étaient forcées de creuser et    permet aux gouvernements de mieux cibler
arrivée à destination. Ces facteurs prennent en      de transporter des blocs de pierre huit à dix      leurs programmes de lutte contre la traite des
considération la situation économique sur le         heures par jour, parfois sept jours par semaine,   personnes et d’utiliser plus efficacement leurs
plan local, les demandes saisonnières de main        sans rémunération et sans une alimentation         capacités coercitives.
d’œuvre, les conflits militaires et la dégra-        ou un hébergement décents, pendant six ans.            “Le problème en Afrique est que la plupart
dation de l’environnement qui bouleversent           Les trafiquants, au service des propriétaires      des pays appartiennent aux trois catégories à la
les conditions de vie, ainsi que les pratiques       des carrières, versaient pendant ce temps des      fois, explique Joy Ezeilo. Parfois certains pays
culturelles et la discrimination à l’égard des       petites sommes d’argent aux parents des jeunes     deviennent des pays de destination par hasard
femmes et des ethnies qui compromettent les          victimes. Le rapport précise qu’en une occa-       parce que des gens en route vers l’Europe se
chances de progrès économique et social des          sion au moins, les propriétaires des mines ont     sont trouvés immobilisés en Afrique du Nord,
femmes, des enfants et des minorités et rendent      forcé des centaines d’enfants à se réfugier dans   ils ont été forcés à se prostituer ou à servir
plus acceptables les atteintes à leurs droits.       la campagne environnante pour échapper au          comme main d’œuvre bon marché. Les gou-
    Les autorités du Mali ont signalé qu’en          contrôle des inspecteurs du travail.               vernements ont du mal à savoir comment abor-
2006 il y a eu 119 cas connus d’enfants (81              Le Gouvernement mauritanien a signalé          der ce problème et où porter leur attention.”
garçons et 38 filles) victimes de la traite. Près    en 2006 à l’ONUDC que 22 enfants du pays               Pour asservir les gens, les trafiquants profi-
                                                     avaient été acheminés vers plusieurs pays du       tent également de la tradition de l’apprentissage
* Disponible sur le site de l’ONUDC à : www.unodc.   Moyen-Orient pour y travailler comme jock-         et des autres pratiques culturelles. Des études
org/documents/Global_ Report_on TIP.pdf.             eys dans les courses de chameaux. Les enfants      menées par l’ONU, l’OIM et le Gouvernement

                                           Le Protocole de l’ONU contre la traite des personnes
  Après l’abrogation du commerce international d’esclaves au XIXe              recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlève-
  siècle, des tentatives ont été faites pour prévenir la traite des            ment, fraude, tromperie ou abus d’autorité ou par l’offre de paie-
  personnes, notamment avec l’Arrangement international de 1904                ments ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une per-
  en vue d’assurer une protection efficace contre le trafic criminel           sonne ayant autorité sur une autre “aux fins d’exploitation”.
  connu sous le nom de traite des blanches. En décembre 2003,                      En outre, le Protocole vise à protéger et à aider les victimes
  est entré en vigueur le Protocole visant à prévenir, réprimer et             “en respectant pleinement leurs droits fondamentaux” et à pro-
  punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des              mouvoir la coopération entre les Etats dans la lutte contre la traite
  enfants, qui s’inscrit dans la Convention des Nations Unies contre           des personnes. L’instrument appelle les gouvernements signa-
  la criminalité transnationale organisée. Le Protocole a été signé à          taires à adopter des mesures globales de lutte contre la traite des
  ce jour par 117 gouvernements, dont 41 en Afrique.                           personnes, à fournir une aide, des conseils et une assistance au
      Cet instrument vise à combler les lacunes juridiques existan-            rapatriement des victimes de la traite, à accélérer l’élaboration
  tes aux niveaux international et national et à offrir une meilleure          de programmes de formation pour les agents de la force pub-
  protection aux victimes de la traite des personnes. Le Protocole             lique et des services d’immigration et à améliorer les échanges
  désigne la traite comme “le recrutement, le transport, le transfert,         d’informations et la coopération transfrontières pour prévenir la
  l’hébergement ou l’accueil des personnes” par la menace ou le                traite des personnes.

                                                                                                 octobre 2009                                           7
des Etats-Unis indiquent que la pratique vieille        Sénégal, au Togo et dans d’autres pays, à savoir       gouvernance, les discriminations à l’égard des
                                      de plusieurs centaines d’années qui consiste            le placement de jeunes filles pauvres comme            femmes, les inégalités, le manque d’instruction
                                      à envoyer les enfants étudier dans les écoles           personnel de maison dans des familles plus             et l’analphabétisme. Tout cela rend les gens vul-
                                      religieuses, appelées daaras, était désormais           aisées moyennant l’hébergement et la scolari-          nérables, et les trafiquants en profitent.”
                                      viciée. A l’origine, les daaras étaient installées      sation. Bon nombre d’entre elles ne mettent                 Les trafiquants ont des traits communs
                                      dans les zones rurales où elles dispensaient un         jamais les pieds dans une école.                       aussi. La plupart appartiennent à des groupes
                                      enseignement religieux et offraient un héberge-             “La plupart des familles n’ont pas la moin-        criminels organisés. “Ceux qui savent com-
                                      ment à des garçons âgés de quatre ou cinq ans           dre idée de la manière dont on traite leurs            ment faire passer des armes et des drogues
                                      originaires des communautés environnantes               enfants”, souligne Joy Ezeilo. Les victimes de         en contrebande sauront aussi comment faire
                                      en échange de travaux agricoles. Ces écoles             la traite des personnes sont souvent sollicitées       passer des gens clandestinement. Ils s’y con-
                                      étaient souvent l’unique source d’enseignement          avec des offres de travail fictives faites par des     naissent en technologie. L’internet est devenu
                                      accessible aux familles pauvres.                        personnes de leur communauté qui gagnent la            un outil de travail pour eux. Ils y affichent des
                                          Dans les années 70 et 80, toutefois, la             confiance des victimes et de leurs parents.            offres d’emploi. Ils exploitent les gens qui cher-
                                                                                                                                                     chent du travail. On est vite embarqué.”
                                                                                                                                                          La contrainte et la violence sont des moy-
                                                                                                                                                     ens couramment utilisés. “J’ai connu des cas
                                                                                                                                                     où on a fait jurer les gens devant leurs familles
                                                                                                                                                     qu’ils savaient qu’ils voyageraient illégalement
                                                                                                                                                     et qu’ils acceptaient les conditions de rem-
                                                                                                                                                     boursement des frais de transport imposées par
                                                                                                                                                     les trafiquants. A titre d’exemple, des groupes
                                                                                                                                                     de femmes recrutées en Afrique de l’Ouest
                                                                                                                                                     s’entendent dire à leur arrivée en Europe occi-
                                                                                                                                                     dentale que les frais de leur voyage s’élèvent à
                                                                                                                                                     500 000 dollars. Elles devront travailler toute
Peter Arnold Inc. / Charlotte Thege

                                                                                                                                                     leur vie pour rembourser !”
                                                                                                                                                          Mme Ezeilo note que malgré ces méthodes
                                                                                                                                                     brutales, les victimes craignent le plus souvent
                                                                                                                                                     davantage la police que les trafiquants, n’ayant
                                                                                                                                                     que rarement recours à la protection des autori-
                                                                                                                                                     tés. Les gouvernements des pays de destination
                                                                                                                                                     ont en effet tendance à considérer les victimes
                                                                                                                                                     de la traite comme des immigrants clandestins
                                                                                                                                                     qu’il faut expulser plutôt qu’aider. Les trafi-
                                            Un jeune garçon récolte des feuilles de thé au Kénya : la traite d’êtres humains à l’intérieur de
                                                                                                                                                     quants exploitent cette situation, disant à leurs
                                          l’Afrique concerne surtout des enfants que l’on emmène dans des pays voisins pour y accomplir
                                                                        des tâches ménagères ou agricoles.                                           victimes : “Si vous contactez les autorités, vous
                                                                                                                                                     risquez des ennuis. Vous serez renvoyés chez
                                                                                                                                                     vous et punis.”
                                      sécheresse et les difficultés économiques ont           Persécution des vulnérables                                 La Rapporteuse spéciale invite les pays de
                                      forcé de nombreuses daraas à s’installer dans           Mme Ezeilo souligne par ailleurs que la com-           destination à traiter les victimes des trafiquants
                                      la plus grande ville du pays, Dakar, brisant            plexité et les différences qui entourent la traite     différemment des “immigrants volontaires”,
                                      les liens entre les enfants et leurs parents et         des personnes en Afrique ne peuvent dis-               accordant la priorité au respect de leurs droits.
                                      ouvrant la voie aux mauvais traitements. Les            simuler certaines similitudes partagées par                 Bien que les autorités considèrent des vic-
                                      études indiquent que, dans de nombreux cas,             les victimes. “Elles se retrouvent toutes dans         times comme Isoke Aikpitanyi comme des
                                      les marabouts (enseignants) ne dispensaient             des situations vulnérables. Chez les femmes,           migrants illégaux, le droit international exige
                                      qu’un minimum d’instruction religieuse, for-            les inégalités entre les sexes contribuent à les       des gouvernements qu’ils reconnaissent ces
                                      çant plutôt les enfants à mendier de longues            placer dans ces situations. Certaines, sans            personnes comme les victimes d’une infrac-
                                      heures dans les rues, sous la menace de châti-          instruction et sans un métier, n’ont d’autres          tion, une fois qu’il a été prouvé qu’elles ont
                                      ments corporels. Le Gouvernement sénégalais             choix que de rejoindre les rangs des victimes.         été soumises à des violences et à la contrainte.
                                      et l’ONU ont réagi en lançant des programmes            D’autres fuient des mariages forcés et des             Outre la protection de leurs droits fondamen-
                                      destinés à améliorer les conditions dans les            maris abusifs.”                                        taux, les victimes peuvent prétendre, dans le
                                      écoles et à sensibiliser les parents aux dangers            Par ailleurs, les taux de chômage très élevés      cadre de la législation et des moyens des pays
                                      possibles, mais les progrès sont lents.                 chez les jeunes contribuent à aggraver leur vul-       de destination, à obtenir des informations sur
                                           Les trafiquants ont également tiré parti           nérabilité. “Regardez l’Afrique. Il y a la pauvreté,   les procédures juridiques et administratives
                                      d’une autre pratique courante au Nigéria, au            les guerres et les crises politiques, la mauvaise      dont elles sont l’objet, à participer aux pour-

                                      8                                     Octobre 2009
suites judiciaires contre leurs trafiquants, à         procédant à l’examen des cas d’infraction et en        matière de lutte contre la traite des personnes
vivre en sécurité et dans des conditions décen-        poursuivant énergiquement ses auteurs devant           et à renforcer la coopération transfrontières.
tes et demander des indemnisations pour                les tribunaux. Au Nigéria, indique l’ONUDC,            En Afrique australe, où le dispositif législatif
préjudices subis.                                      la National Agency for the Prevention of               et les moyens de répression sont notoirement
    En outre, les autorités d’accueil sont invi-       Trafficking in Persons est responsable de la           insuffisants, l’OIM et un groupe de recher-
tées à envisager la possibilité d’offrir des soins     coordination de l’action menée par les forces          che, le Southern African Migration Project,
médicaux et psychologiques aux victimes, à             de l’ordre et les fonctionnaires du ministère          ont convoqué en 2008 la première d’une série
assurer l’éducation des enfants avant leur rapa-       chargé de l’immigration, ce qui a permis de            de réunions destinées à mieux faire prendre
triement, à les héberger et à leur fournir des         faire passer le nombre des condamnations de            conscience de ce problème.
conseils juridiques et, le cas échéant, à leur         huit en 2007 à 24 l’année suivante. Le Nigéria             Pour sa part, l’Union africaine a marqué
accorder le statut de résident tempo-                                                                                 la Journée 2009 de l’enfant africain,
raire ou permanent.                                                                                                   célébrée le 16 juin, par le lancement
                                                                                                                      d’une campagne panafricaine appelée
Aux prises avec la traite                                                                                             l’Initiative de la Commission de l’UA
des personnes                                                                                                         Contre le trafic d’êtres humains.
Mme Ezeilo trouve encourageants
les efforts croissants déployés par                                                                                  Action au niveau local
de nombreux pays depuis l’entrée en                                                                                  Les associations de la société civile
vigueur à la fin de 2003 du Protocole                                                                                et les chefs spirituels ont également
de l’ONU visant à prévenir, réprimer                                                                                 un rôle important à jouer, a ajouté la
et punir la traite des personnes (voir                                                                               Rapporteuse spéciale. “Les interven-
encadré, p.7). En effet, une enquête                                                                                 tions au niveau local sont les plus effi-
de 2006 menée par l’ONUDC dans                                                                                       caces. Les associations locales ont les
155 pays révèle que le pourcentage                                                                                   moyens de mobiliser les responsables,
des pays ayant adopté des mesures                                                                                    d’alerter les personnalités religieuses
législatives contre la traite des êtres                                                                              et les chefs traditionnels et de pourvoir
humains a augmenté de 33 % en                                                                                        des conseils sur les risques encourus”.
2003 à plus de 80 % en 2008. Plus                                                                                         Au Swaziland, les activistes de la
de la moitié de ces pays, y compris                                                                                  société civile identifient les personnes
certains pays africains, ont créé des                                                                                et les familles les plus vulnérables. Ils
sections de police spéciales chargées                                                                                prodiguent des conseils aux victimes
de faire respecter les nouvelles lois.                                                                               potentielles et tentent de remédier aux
    Au Burkina Faso, le Parlement a                                                                                  problèmes qui poussent ces personnes
                                                                                                                   Panos / Alfredo Caliz

adopté en 2003 une loi qui pénalise                                                                                  dans les bras des trafiquants.
la traite de toute personne de moins                                                                                      Des réseaux informels ont par ail-
de 18 ans et a créé une section spéci-                                                                               leurs été établis au niveau international
ale des forces de l’ordre chargée d’en                                                                               par des ordres religieux et des associa-
assurer l’application. Les condamna-                                                                                  tions de femmes pour venir en aide aux
tions pour traite ont plus que doublé        Ivoirienne employée à Rabat (Maroc) : les personnes originaires          victimes de la traite, pour les mettre à
entre 2004 et 2006, bien que leur                 d’Afrique subsaharienne se retrouvent parfois bloquées              l’abri des représailles ou de la déten-
nombre total reste faible. Une loi en Afrique du Nord alors qu’elles sont en route pour l’Europe et sont tion, pour organiser leur transport et
                                                contraintes à se prostituer ou à accomplir un travail forcé.
pénalisant la traite des adultes est à                                                                                orienter leur rapatriement.
l’examen. L’Ethiopie a pour sa part
adopté en 2004 un train de mesures législa-            offre également des soins médicaux et psy-            Réduire la demande
tives contre la traite des êtres humains ainsi         chologiques aux victimes de la traite des per-        Les pays plus riches qui attirent les trafi-
qu’un plan d’action national. Les autorités de         sonnes et leur accorde des visas temporaires,         quants pourraient faire davantage, estime
ce pays ont examiné en 2007 37 cas de traite           des permis de travail et une aide financière.         Mme Ezeilo. Tout en continuant à fournir une
des personnes et prononcé 18 condamnations,            “La volonté des gouvernements à faire ces-            aide aux pays africains et asiatiques suscep-
dont huit ont débouché sur des peines de prison        ser ce type d’activité peut s’avérer payante”,        tible d’atténuer leurs difficultés économiques
de 10 ans ou plus.                                     affirme-t-elle.                                       et sociales qui contribuent à rendre leurs
    La Rapporteuse spéciale a mis en évi-                  Des programmes régionaux sont égale-              populations plus vulnérables à l’égard des
dence l’action du Ghana et du Nigéria dans             ment lancés. La Communauté économique                 trafiquants, ces pays devraient s’efforcer de
ce domaine. Ces pays ont passé des lois con-           des Etats de l’Afrique de l’Ouest a mis sur           réduire la demande chez eux. “Il n’est pas
tre la traite des personnes et établi des sec-         pied un programme visant à encourager
tions spéciales de lutte contre ce fléau, tout en      l’adoption d’une législation uniforme en                                                     voir page 21

                                                                                                     octobre 2009                                             9
La sécurité aux enchères
Sécurité publique déficiente pour la majorité, protection privée coûteuse pour quelques-uns

Par Mary Kimani

D
        evant le portail d’une impressionnante
        résidence de Runda, quartier huppé
        de Nairobi au Kénya, deux hommes
en uniforme noir et orange montent la garde.
Ils sont employés par Group 4 Security, une
société de sécurité privée. A quelques pas,
une voiture de patrouille est garée, moteur
en marche, son système de communication
radio est en liaison directe avec une centrale
d’alerte en ville. Les voitures de patrouille
sont postées pour s’assurer que la police
réagit aussitôt qu’une alarme est déclenchée.
    A vingt-cinq kilomètres de là, dans le
quartier pauvre de Jéricho, pas de trace

                                                                                                                                                          Panos / Karen Robinson
de vigiles en uniforme ni de voitures de
patrouille. La police n’intervient qu’avec len-
teur, quand elle intervient, et les vols à main
armée y sont chose courante. Il n’est donc pas
rare que la population s’y fasse justice elle-
même et exerce fréquemment des violences
                                                   Gardes privés en Ouganda: ces services de sécurité sont réservés à ceux qui en ont les moyens.
contre les délinquants ou présumés tels.
    Ce genre de contraste n’est pas limité à
Nairobi ; cette double réalité – faible protec-   d’entreprises de sécurité privées semble une        niale, explique à Afrique Renouveau Adedeji
tion des forces de sécurité publique pour la      solution viable. Mais les experts de la région      Ebo, qui dirige l’équipe de réforme du secteur
majorité des citoyens et sécurité privée bien     recommandent la plus grande prudence. Ils           de la sécurité publique au Département des
meilleure et beaucoup plus coûteuse pour les      font remarquer que la réglementation insuf-         opérations de maintien de la paix de l’ONU.
plus riches – est générale en Afrique.            fisante de ce secteur risque d’aggraver la          Quelques pays seulement ont réussi à trans-
    Assurer la sécurité du public et de ses       corruption et d’encourager le détournement          former leur police en institution de service
biens est une des responsabilités les plus        des véhicules de la police et de ses agents au      public. “C’est un déficit fondamental pour
fondamentales d’un État de droit digne de         bénéfice de la protection exclusive de ceux         l’activité de la police en Afrique, observe M.
ce nom. C’est la tâche traditionnellement         qui peuvent payer. Les États africains doivent      Ebo, au lieu d’être associé à l’idée de sécurité,
assignée aux forces de police nationales ;        renforcer leur capacité de mieux assurer la         l’uniforme est souvent perçu comme synonyme
mais les polices africaines sont en sous-effec-   sécurité publique pour tous les citoyens, affir-    de peur et d’oppression, d’abus et d’extorsion.”
tifs chroniques. L’ONU recommande d’avoir         ment ces experts.                                       La faiblesse de l’administration publique est
un policier pour 450 citoyens, le Kénya en a                                                          un autre problème, ajoute M. Ebo. Des années
un pour 1 150, la Tanzanie un pour 1 298 et       Faible, crainte et corrompue                        1980 au début des années 2000, des mesures
le Ghana un pour 1 200.                           Dans un rapport de juillet 2008 sur la sécu-        d’austérité budgétaire ont forcé de nombreux
    La plupart de ces polices nationales souf-    rité privée et publique en Ouganda, Solomon         gouvernements à réduire le budget consacré au
frent également de budgets insuffisants et        Kirunda, un chercheur de l’Institut d’études de     maintien de l’ordre. Cette réduction a coïncidé
manquent d’équipement. Ce sous-financement        sécurité d’Afrique du Sud (Institute of Security    avec une baisse de la prospérité économique
se traduit également par de bas salaires, un      Studies - ISS), note que “dans n’importe quel       et des migrations vers les villes où la pauvreté
faible moral et une corruption omniprésente,      pays, des forces de police fonctionnelles sont      urbaine et la surpopulation ont fait augmenter
facteurs qui font tous obstacle au bon fonc-      censées s’occuper principalement d’assurer la       la délinquance.
tionnement d’un système de sécurité publique.     sécurité [et de] la prévention et la détection de       Bien que la situation économique se soit
    Les sociétés de gardiennage privées sont      la délinquance”. Pour accomplir cette tâche, la     améliorée par la suite, les policiers africains
de plus en plus nombreuses à s’engouffrer         police a besoin de ressources et doit être poli-    restent mal payés et la police a souvent des
dans cette brèche. La situation des forces de     tiquement impartiale.                               difficultés à attirer des recrues de qualité.
police africaines officielles étant ce qu’elle        Historiquement, les forces de police afric-     Le professionnalisme est largement absent et
est, la présence de plus en plus importante       aines ont servi d’instrument de répression colo-    l’extorsion et la corruption prospèrent.

10                                  Octobre 2009
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