L'affaire Corneille-Molière
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L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 L'affaire Corneille-Molière Il existe une "affaire Corneille-Molière" depuis que le 16 octobre 1919 l’écrivain et poète Pierre Louÿs (1870-1925) annonça dans le très sérieux journal Le Temps que Pierre Corneille (1606-1684) était l’auteur des principales comédies de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673) ; autrement dit, que Corneille était, selon une pratique alors courante dans le milieu théâtral du XVIIe siècle, le prête-nom du comédien et directeur de troupe Molière, amuseur attitré du roi Louis XIV. Le scandale suscité par cette déclaration prit aussitôt les allures d’une "affaire". L’écrivain Henry Poulaille raconte : « On insulta Pierre Louÿs. […] Dans la politique, c’est une méthode qui réussit toujours. Mais si elle vaut politiquement, cette tactique n’opère que parce que le terrain est mouvant et que la politique n’est tissée que de vent. Littérairement, historiquement, cette manière d’accueillir une thèse peut en gêner la diffusion, certes, en écarter même momentanément toute possibilité de prise de connaissance, mais elle ne la détruit pas. Ne pas vouloir répondre est une méthode peut-être ; ce n’est pas une réponse. Les moliéristes ont pu avoir l’illusion et donner l’illusion qu’ils avaient gagné la bataille qu’ils refusaient. Leur victoire n’était qu’apparente ; la preuve, c’est que la thèse de Louÿs ressurgit. » 1 Sommaire 1 Débat littéraire et enjeu idéologique 2 Pourquoi il y a une "affaire" 3 Les anomalies de "Molière grand auteur" 4 Témoignages historiques sur Molière prête-nom de Corneille 5 Statistiques et attribution d’auteur 6 Bibliographie sélective 7 Notes et références 8 Liens externes Débat littéraire et enjeu idéologique Pierre Louÿs n’était pas un plaisantin mais un érudit : sa bibliothèque renfermait 20.200 volumes, dont 1.500 ouvrages précieux et 707 ouvrages rarissimes. Pour l’écrivain et officier d’Enseigne Claude Farrère, qui l’a bien connu, « cet homme savait tout, avait tout lu, tout étudié, ou approfondi. Mon propre métier de marin n’avait pas de secrets pour lui. Il savait naturellement le latin et le grec, et parlait couramment l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien comme le français. Je m’étais mis à l’époque à travailler les classiques chinois. Mais je constatai très vite qu’il écrivait plus de caractères mandarins que moi. Il savait aussi assez bien l’arabe, et connaissait la carte géographique du monde mieux que le voyageur que j’étais. Je ne parle même pas de l’histoire : et sa science des livres anciens égalait celle d’un expert de premier ordre. » 2 En 1919 Paul Valéry écrivait à propos de l’affaire Corneille-Molière : « Pierre Louÿs est plus ferme que jamais dans sa nouveauté. Cette hydre n’a encore qu’une tête, mais quelle tête. On y trouve une conviction, une lucidité, une connaissance de son affaire qui m’impressionnent. […] Je ne serais point étonné si, son travail d’ensemble publié, il en résultait pour notre poétique, des effets importants et http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 1 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 étonné si, son travail d’ensemble publié, il en résultait pour notre poétique, des effets importants et infiniment souhaitables. » 3 Les moliéristes crurent ou firent croire à un « canular ». Mais jamais Pierre Louÿs ne fut aussi sérieux. En 1919, il écrivait à son ami Paul Valéry : « Ces gens-là [les moliéristes] sont fous d’imaginer que je jouerais mon œuvre et mon nom sur une pareille thèse si je ne connaissais pas leur homme et sans doute mieux qu’ils ne connaissent le mien. » 4 Le 9 octobre 1920, il lui confiait : « Depuis vingt ans, je travaille plus que personne, je me cloître plus qu’un bénédictin puisque je n’ai pas même la prière pour répit. J’ai travaillé d’abord quinze heures, puis dix-huit heures par jour. » 5 Pour Pierre Louÿs, « dire que le même poète a fait les vers de Polyeucte, d’Auguste, de Tartuffe et d’Alceste – ou bien c’est absurde – ou bien c’est la découverte capitale de l’histoire littéraire. » 6 Tandis que les continuateurs de Pierre Louÿs, que l’on regroupe sous le nom de cornéliens, veulent que soit connue cette « découverte capitale », l’Université refuse l’idée même de l’envisager. Ainsi, l’article intitulé « L’affaire Corneille-Molière » écrit par un moliériste et mis en ligne sur l’encyclopédie Wikipédia a vu son titre changé en « Paternité des œuvres de Molière » 7 Pour le journaliste Jérôme Richter, « lorsqu’on veut nier un problème, on commence par interdire que l’on en parle. De même, pour tuer une idée nouvelle, on élimine d’abord les mots qui la mettent en lumière. Conscients des abus toujours possibles (et si difficiles à recenser à temps), les dirigeants de Wikipédia ont posé comme principe : "Wikipédia ne contribue pas à une notoriété, elle la reflète." Or en faisant disparaître la notion d’"affaire Corneille- Molière", Wikipédia fait disparaître sa « notoriété » et cesse de la refléter. […] Si l’expression "affaire Corneille-Molière" s’est imposée dans l’opinion publique (n’en déplaise au contributeur anonyme de Wikipédia), c’est parce qu’elle « reflète » le doute et le malaise qui entachent la question de la paternité des œuvres de Molière. » 8 Sous l’influence des médias et d’internet qui s’intéressent de plus en plus à cette "affaire" il n’est désormais plus possible de présenter une émission télévisée ou un dossier journalistique sur Molière sans faire référence, peu ou prou, à la thèse des cornéliens qui répandent ou approfondissent les thèses de Pierre Louÿs. Selon que l’on est d’un "camp" ou de l’autre, on choisit de l’appeler affaire Corneille-Molière ou affaire Molière-Corneille. Pourquoi il y a une "affaire" Le moliériste Georges Mongrédien s’interroge : « Alors que la littérature du XVIIe siècle est si abondante sur l’œuvre d’un Corneille et d’un Racine, pourquoi est-elle si pauvre sur celle de Molière ? […] J’ai eu la curiosité de lire toutes les préfaces de ces auteurs dramatiques dont beaucoup, comme Molière lui-même, furent comédiens et parfois de sa troupe même : Baron, Boursault, Brécourt, Champmeslé, Thomas Corneille, Donneau de Visé, Hauteroche, Montfleury père et fils, La Tuilerie, Raymond Poisson, Quinault, Rosimond, Brueys et Palaprat, Regnard, Dufresny, Dancourt ; pas un ne cite le nom de Molière, ne fait allusion à son œuvre. » 9 Les cornéliens font remarquer que dans les correspondances contemporaines aussi il n’est jamais question de Molière "auteur", au sens moderne de ce mot, mais seulement de Molière "comédien". De même, aucun écrivain n’a dédié une œuvre à Molière de son vivant, ce qui s’expliquerait difficilement s’il avait été perçu par ses contemporains comme un grand auteur, au sens moderne de ce mot, mais ce qui se comprend parfaitement s’ils voyaient en lui le « héros des farceurs » ainsi que le définissait vers 1673 Valentin Conrart. Selon les cornéliens, ce que l’historien Alfred Canel écrit sur Triboulet, le plus célèbre des bouffons du roi du XVIe siècle, vaut pour Molière : « La littérature moderne a mis tant de bonne volonté à embellir la physionomie de Triboulet, que non seulement tout le monde, mais encore la plupart des historiens qui en ont parlé, ont donné, je le répète, sa légende bien plutôt que son http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 2 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 encore la plupart des historiens qui en ont parlé, ont donné, je le répète, sa légende bien plutôt que son histoire. » 10 Pour les cornéliens l’"affaire" se résume ainsi : « Le statut, propre au seul Molière, de Bouffon du Roi et initiateur de ses "Divertissements", son association discrète avec Pierre Corneille, les usages institutionnels du XVIIe siècle ("bouffonnariat", Société des Enfants-sans-souci, Basoche des clercs, Service du Roi, prête-nom, appropriation d’une pièce par le comédien qui en assume l’entière responsabilité, variabilité de la notion d’auteur) sont à l’origine de la fortune de Molière et de l’imposture littéraire posthume que l’après Révolution française, la IIIe République et l’Université lui font jouer. » 11 Selon la thèse cornélienne, qui a donné lieu à des conférences internationales, à une dizaine d’ouvrages (cf. ci-dessous la bibliographie sélective) et à un site officiel 12, le présupposé "Molière grand auteur" serait en fait un dogme national quasi religieux qui reposerait sur quatre piliers idéologiques : 1) Dénigrer les discours et les jugements des contemporains de Molière. Ses contemporains, qui dans leur immense majorité dirent du mal de lui et le considérèrent seulement comme un farceur, se seraient trompés sur son compte. 2) Favoriser les commentaires tardifs. En favorisant les commentaires postérieurs à 1680 – début de la politique dévote – le moliérisme vicie le principe même de la méthodologie historique, lequel exige qu’entre deux documents de dates différentes soit toujours privilégié le plus ancien. Or, entre 1680 et la Révolution française, ce « pouvoir prodigieux de l’oubli » envers lequel nous a mis en garde l’historien Raymond Picard 13, fut décuplé par une véritable machine de propagande au seul bénéfice de la bourgeoisie chrétienne, laquelle, sous Napoléon III, s’empressera de promouvoir le "moliérisme". 3) N’étudier le théâtre moliéresque que sur le plan littéraire. Ont été ainsi gommés l’aspect politique et servile de la carrière de Molière, notamment son « emploi » de bouffon du roi, les pratiques d’écriture collective propres aux comédies, farces et satires. 4) Toujours déprécier ou occulter Corneille au profit de Molière. Les anomalies de "Molière grand auteur" Selon la thèse cornélienne, le fait que Molière ait été un entrepreneur de spectacles au service du Roi, et son théâtre une œuvre collective qui a eu pour principal auteur Pierre Corneille, explique toutes les anomalies ou obscurités qui parsèment sa carrière. Aucun document ne prouve que Jean-Baptiste Poquelin ait fait des études. Dans la Préface à l’édition de 1682 des Œuvres de Monsieur de Molière le comédien La Grange et Jean Vivot, officier du Roi, écrivent que Molière est allé au célèbre collège de Clermont, mais il est raisonnable de penser que c’est précisément la célébrité de ce haut lieu qui a amené La Grange, en pleine période dévote, à offrir à son défunt patron une jeunesse "politiquement correcte" car en 1682 les Jésuites règnent en maîtres sur les mentalités et il faut que Molière soit un « parfaitement honnête homme » (La Grange et Vivot). De plus, le court passage sur la scolarité de Molière contient une contrevérité à propos du prince de Conti qui aurait été en classe avec le Comédien, alors que sept années les séparent. Pour son biographe Roger Duchêne, « Molière, tôt destiné au métier de tapissier, n’est jamais allé au collège de Clermont, encore moins à la faculté. » 14 Pour le moliériste François Rey, la préface de La Grange « relève plus, à l’évidence, du panégyrique que de la biographie. J’ajoute que ni l’un ni l’autre des deux jésuites, René Rapin et Dominique Bouhours, qui ont fait l’éloge de Molière après sa mort, n’a suggéré qu’il aurait eu la même formation qu’eux. Le premier, en particulier, qui était son exact contemporain et se disait son ami, avait été pendant plusieurs années professeur au collège de Clermont. » 15 Molière n’a jamais été considéré par ses contemporains comme un "auteur", au sens moderne de ce mot. A propos de la première comédie de Molière, Les Précieuses ridicules, Baudeau de Somaize, qui http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 3 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 mot. A propos de la première comédie de Molière, Les Précieuses ridicules, Baudeau de Somaize, qui n’était pas encore un ennemi de Molière, écrit : « un ouvrage dont il se dit auteur » 16. Philippe de la Croix, qui n’était pas un ennemi de Molière, écrit : « Molière est bon comédien ; mais il serait encore plus fort s’il ne se mêlait que de son métier : il veut trancher de l’auteur (= faire l’auteur) » et de témoigner que Molière est « un homme qui n’est riche que des dépouilles des autres » 17. Le gazetier Robinet, qui n’était pas un ennemi de Molière, écrit « on ne peut pas dire que Zoïle [Molière] soit une source vive, mais seulement un bassin qui reçoit ses eaux d’ailleurs » 18. L’écrivain Donneau de Visé, très au fait des coulisses des théâtres et proche de Molière, écrit que « le Parnasse s’assemble lorsqu’il [Molière] veut faire quelque chose » 19. En 1686, le savant Adrien Baillet rappelle ce fait qui était alors de notoriété publique : « Au reste, quelque capable que fut Molière, on prétend qu’il ne savait pas même son théâtre tout entier, et qu’il n’y a que l’amour du peuple qui ait pu le faire absoudre d’une infinité de fautes. » 20 Propos confirmé par l’académicien Bernard de La Monnoye en 1722. etc. Molière ne possédait que peu de livres. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle la bibliophilie était à la mode, et tout écrivain connu ou tout bourgeois nanti possédait de un à plusieurs milliers de volumes. Or Molière possédait une bibliothèque d’environ deux cents ouvrages, qui plus est de piètre valeur marchande : treize pistoles (une somme cinquante fois inférieure à la valeur de sa vaisselle). Le moliériste Henri Lavoix s’est écrié : « Comment ! c’est là tout ? » 21 Molière n’a revu aucune des éditions de son théâtre. A la différence de Corneille, Racine, La Fontaine ou Boileau, « Molière ne prit jamais la peine de donner une véritable édition de ses œuvres » 22 constate le moliériste René Bray, laissant les éditeurs accumuler fautes d’orthographe et de ponctuation, incohérences et contresens, « jusqu’à omettre ou changer des vers en beaucoup d’endroits » 23 comme en témoigne La Grange qui édita en 1682 le théâtre complet de Molière. Les moliéristes portent des jugements contradictoires sur la personnalité de Molière. Pour le moliériste Daniel Mornet, « on a échafaudé, étayé, consolidé, rapetassé tout un chantier d’hypothèses. Peu importerait, peut-être, si les ouvriers et les maîtres d’œuvre de ces chantiers s’étaient mis d’accord entre eux. Mais leurs constructions, quand on les compare, sont proprement incohérentes et nous avons aussi peu l’impression d’être chez le même Molière que si l’on nous promenait d’une exposition coloniale à une exposition d’architecture futuriste, d’un village Suisse à une cité de gratte-ciel. Que de Molières en effet et dont chacun est la négation d’un autre Molière ! » 24 Le style est le propre de l’auteur. Ainsi que le remarque le spécialiste Daniel Mornet, « il y a un style de Regnard, un style de Marivaux, un style de Beaumarchais, même un style de Nivelle de la Chaussée, qui est détestable, ou un style des drames de Diderot, qui n’est pas meilleur. Il n’y a pas de style de Molière » 25. Les cornéliens font valoir qu’aucun écrivain, surtout s’il est grand, ne présente la singularité de n’avoir pas de style. Mais pour le professeur Georges Forestier, « Molière, qui écrit des comédies (et non des tragédies, lesquelles exigent un style et un registre de langue constamment tendus vers le haut) varie son style en fonction de ses sujets et des épisodes (la comédie n’ayant aucune exigence en cette matière) » 26. Pour les cornéliens, l’argument vaudrait si, d’abord, la Comédie, en tant que genre spécifique, se définissait par une prolifération de styles à l’intérieur d’une même pièce, ensuite si tous les auteurs avaient fait comme Molière. Mais personne d’autre que Molière n’a constamment changé de styles selon les scènes, ni adopté l’alexandrin « inimitable » de Corneille là où rien ne l’y obligeait. Le style et l’autocitation cornéliennes. Le style de Pierre Corneille est « inimitable » 27 a jugé Jean Racine pour avoir tenté de l’imiter. Personne n’a pu écrire les alexandrins de Corneille. Personne, sauf Molière. Et personne n’a pratiqué l’autocitation comme l’a fait Corneille, sauf Molière. Et les œuvres que Molière réutilise sont toujours celles qui ont le style de Corneille. Et ces autocitations, il les replace toujours dans des pièces à l’alexandrin cornélien. Ainsi que le souligne Henry Poulaille, continuateur de Pierre Louÿs, « il http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 4 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 des pièces à l’alexandrin cornélien. Ainsi que le souligne Henry Poulaille, continuateur de Pierre Louÿs, « il est bien rare que deux poètes aient la même conception du travail, les mêmes mètres, les mêmes artifices de métier. Encore plus rare qu’ils aient les mêmes tics…» 28 Corneille emménage à Paris en 1662. Le casanier et "avare" Corneille, qui n’avait jamais voulu quitter Rouen, s’installe à Paris au moment où il avait au contraire toutes les raisons pour ne pas y venir : d’abord la vie y est plus chère qu’ailleurs ; ensuite, le public vient d’accueillir froidement sa dernière tragédie Sertorius et l’arrestation de son protecteur Fouquet l’a placé dans une situation délicate. Mais depuis 1661 Molière dirige, avec la bénédiction de Louis XIV, le théâtre qui fait les plus grosses recettes. Et à partir de 1663 vont se succéder toutes les grandes comédies moliéresques. La pratique théâtrale du prête-nom. Les cornéliens rappellent qu’au XVIIe siècle était "auteur" d’une œuvre celui qui en conçoit l’idée et en dresse le plan, et seulement collaborateur – donc inexistant, véritable "nègre" littéraire – celui qui l’écrit ou la versifie. L’appropriation d’une pièce par le comédien et/ou le directeur de théâtre qui la crée était alors la règle. La tyrannie conjuguée du Pouvoir, de l’Eglise et de la Sorbonne avait rendu obligatoire la pratique du prête-nom. Les deux tiers des pièces nouvelles et la quasi- totalité des comédies furent présentés de manière anonyme ou sous le nom d’un comédien-poète, autrement dit d’un prête-nom. Toutes les vedettes de la scène furent ainsi déclarées "auteurs" et jamais personne, au XVIIe siècle, ne reprocha à un comédien d’être un prête-nom. Pour les moliéristes, La Grange ayant inscrit dans son Registre le nom de Molière pour chaque « pièce nouvelle » que ce dernier apportait à ses compagnons, c’est la "preuve" que Molière en est bien l’auteur. Mais pour les cornéliens, La Grange a simplement suivi les pratiques de sa profession. De la même manière, pour Le Comédien poète (1673) La Grange indique le comédien A.-J. Montfleury alors que le livre de caisse précise que la somme remise à l’auteur a été partagée entre Montfleury et… Thomas Corneille, frère cadet du grand Corneille. Pour La Comédie sans titre (1683), La Grange inscrit Raymond Poisson, farceur réputé de l’Hôtel de Bourgogne. Mais cette comédie, nous le savons aujourd’hui, a pour véritable auteur Edme Boursault, que La Grange connaissait bien. De même, pour Le Rendez-vous, La Grange en offre la paternité à l’acteur Champfleury et non à Jean de La Fontaine. La thèse cornélienne pose donc la question : puisque tous les comédiens vedettes étaient des prête-noms (Bruscambille, Tabarin, Poisson, Montfleury, Champmeslé, Hauteroche, Villiers…), pourquoi seul Molière ne l’aurait-il pas été, lui qui avait d’autant plus de légitimité à être un prête-nom qu’il était chef de troupe, directeur de théâtre et que Louis XIV lui donnait carte blanche pour lui fournir dans les plus brefs délais des spectacles dont souvent il lui avait donné l’argument. Molière n'a laissé aucun texte de sa main. Aucun manuscrit de pièces ou de poésies ; aucun carnet ni journal ; aucune missive professionnelle ; aucun message à ses collaborateurs et employés ; aucune annotation de mise en scène ; aucune lettre à ses éditeurs ; aucune épreuve d’édition ; aucun billet doux à celles ou ceux qu’il a aimés ; aucune correspondance ; aucune annotation dans les marges d’un livre ; aucune dédicace ; aucun brouillon d’œuvre en chantier. Plus incompréhensible encore, Molière ne laisse aucune lettre citée ou éditée par un tiers. Ce fait est unique dans les Lettres françaises. L'attitude de Louis XIV et de ses contemporains envers Molière. Pour les cornéliens, s’il avait été un écrivain véritable exerçant en plus le métier de comédien, Molière aurait aisément obtenu de Sa Majesté que l’Académie française fasse une exception pour lui (comme, par exemple, pour Pellisson qui fut accueilli en 1653 sans que sa candidature soit mise au vote). Si Louis XIV avait considéré Molière comme un écrivain, et tous les documents montrent que ce ne fut pas le cas, il l’aurait imposé comme il imposera Furetière puis Boileau dont ne voulaient pas les académiciens. Mais, font remarquer les cornéliens, ni Molière ni Louis XIV lui-même ne pouvaient aller contre le tabou qui empêchait de penser au Bouffon du Roi pour l’Académie française. Pour la même raison, la Gazette officielle ne mentionnera jamais le nom de Molière et l’Eglise lui refusera un enterrement chrétien, alors qu’elle l’accorda à des comédiens réputés licencieux ou libertins comme les farceurs Arlequin, Scaramouche ou Raymond Poisson. http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 5 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 licencieux ou libertins comme les farceurs Arlequin, Scaramouche ou Raymond Poisson. Un emploi du temps surchargé. Molière exerça simultanément six métiers : amuseur favori de Louis XIV et l’un des organisateurs des Divertissements de la Cour (théâtre, ballets et fêtes, carnavals, charivaris, mascarades, parades, soirées…) ; valet de Chambre et courtisan « très assidu » (La Grange dixit) ; tapissier du Roi, autrement dit décorateur-assemblier pour les cérémonies et les déplacements royaux ; directeur du Palais-Royal, le théâtre le plus rentable de Paris ; chef de troupe et metteur en scène prolifique ; vedette qui joue les plus longs rôles… Pour les cornéliens, comment ajouter à ces six activités tellement accaparantes des milliers d’heures d’écriture et de correction, des milliers d’heures de lectures érudites car Molière a la réputation (mais seulement posthume) d’avoir tout lu, tout retenu ? Molière aux ordres de Louis XIV. Selon les cornéliens, Louis XIV a choisi Molière comme bouffon dès juin 1660, puisqu’il lui alloue, sur les fonds de l’Epargne, « 500 livres tournois dont Sa Majesté lui a fait don pour lui donner moyen de supporter les frais et dépenses qu’il lui convient de faire en cette ville de Paris où il est venu par son commandement pour le plaisir et la récréation de Sa dite Majesté, et ce pour les six premiers mois de ladite année. » Pour son biographe Roger Duchêne, d’après ce reçu, « Molière serait dès cette époque pensionné par le Roi qui aurait eu l’initiative de son retour dans la capitale, Monsieur n’étant que son protecteur apparent. » 29 Dans son « Premier placet présenté au Roi sur la comédie du Tartuffe » (1664), Molière déclare : « Sire, Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle […] ». Le moliériste Georges Couton commente : « Le mot emploi a toujours une coloration officielle et ne peut pas désigner, je crois, la simple vocation de comédien. C’est que Molière est déjà un personnage officiel. » 30 Ce « personnage officiel » qui, tout en étant comédien, est davantage qu’un comédien, puisqu’il est "intouchable" et a pour rôle « d’attaquer par des peintures ridicules les vices », qui est-il, sinon le Bouffon du Roi ? Louis XIV en a tellement conscience qu’il officialisera le 14 août 1665 Molière dans cet « emploi » en permettant à sa troupe de s’appeler « Troupe du Roi ». Mais dès 1660 Somaize voyait en Molière le « Premier Farceur de France » 31, en 1663 le comédien-poète Montfleury dit de Molière qu’il est le « bouffon du temps » 32 et en 1670 Le Boulanger de Chalussay le définissait comme le « premier fou du Roy » 33. Molière a toutes les caractéristiques du Bouffon du Roi. Les bouffons du Roi ont toujours eu des particularités physiologiques ou sociologiques que l’on retrouve toutes chez Molière : Le Bouffon du Roi a un physique disgracieux. Des contemporains décrivent Molière comme ayant « le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts » 34 ; il a « une volubilité de langue, dont il n’était pas le maître » 35. Pour le dix-septiémiste Antoine Adam : « Molière n’était pas beau […] il faut même parler de laideur », et d’ajouter : « les gravures de Brissart en 1682 prouvent qu’il était bas sur jambes, et que le cou très court, la tête trop forte et enfoncée dans les épaules lui donnaient une silhouette sans prestige. Les plaisanteries de Le Boulanger de Chalussay n’ont de sens que si Molière pouvait presque passer pour un bossu. » 36 Le Bouffon du Roi amuse son Maître grâce à des farces ou des ballets ; il aime monter sur scène et s’offrir en spectacle. Le Bouffon du Roi défend, favorise ou illustre les caprices ou la politique de son Maître et se fait l’intermédiaire entre celui-ci et le peuple. Pour l’historien Philippe Beaussant, « que Molière ait joué le rôle d’un porte-parole détourné, officieux, d’une pensée politique de Louis XIV semble aujourd’hui une évidence. […] Il faut noter l’incessante convergence de ce qui est dit dans chacune de ses comédies avec la pensée du roi sur le sujet traité : je crois bien qu’on ne trouverait pas une seule exception. » 37 http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 6 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 Le Bouffon du Roi a des cibles privilégiées (généralement les gens d’Eglise, les pédants, les médecins…). Le Bouffon du Roi reste toujours près de son Maître. Grimarest, son premier biographe, souligne « l’attachement inviolable qu’il avait pour les plaisirs du Roi. » 38 Le Bouffon du Roi appartient, depuis le règne de Philippe V, à la maison du Roi et reçoit pension. Le Bouffon du Roi gagne beaucoup d’argent. En quelques années auprès de Louis XIV, Molière aura gagné davantage que Corneille durant sa longue carrière. Le Bouffon du Roi ne s’oppose jamais à son Maître. Pour le moliériste Gustave Michaut : « Certains l’ont accusé de servilité et ont vu en lui un flagorneur de Louis XIV ou même (dans Amphitryon) un agent assez méprisable de peu honorables besognes » 39. Le Bouffon du Roi s’habille de vert. Pour le moliériste Edouard Fournier, « en adoptant le vert, Molière avait fait choix de la couleur des bouffons. » 40 Même conviction chez son biographe Jean Meyer : « Le vert, couleur des bouffons, est sa couleur et domine dans son appartement. » 41 Le Bouffon du Roi boit et mange plus que de raison, sa sexualité est débridée, et ses compagnons lui ressemblent. Molière fut accusé d’inceste avec sa jeune épouse Armande, fille de Madeleine Béjart (et l’on sait combien au XVIIe siècle une telle accusation, surtout portée devant le Roi, est nécessairement grave et fondée aux yeux de celui qui la porte). Des rapports de police décrivent Armande comme une femme mariée entretenue par divers hommes. Le compagnon de Molière, Claude Chapelle, était un libertin célèbre pour son ivresse permanente. Dassoucy et Lully, amis et collaborateurs de Molière, furent des pédophiles notoires. La rumeur accusa Molière d’avoir des relations avec le comédien Baron (13 ans), ce qui fera s’écrier son biographe Roger Duchêne : « Le voilà sodomite avec un mineur ! » 42 Bénéficiant d’un statut sacro-saint, tout est permis au Bouffon du Roi que sa fonction place en dehors de la morale ; c’est un « mécréant », autrement dit un incroyant. Le Bouffon du Roi suscite autant l’enthousiasme du peuple que la haine de l’élite qui se sent lésée par l’injustice du Roi en faveur de son protégé. Le Bouffon du Roi se désintéresse de ce qui est publié sous son nom. Pour le moliériste Eugène Despois : « Les éditions de ses pièces faites de son vivant […] prouvent l’indifférence du grand poète pour la fidèle transmission de ses écrits, c’est-à-dire de la partie de son art et de sa gloire qui, à la fois, était le plus généralement accessible à ses contemporains et la seule durable pour la postérité. » 43 A la mort du Bouffon du Roi c’est une explosion d’épitaphes et de libelles injurieux ou courtisans. Il y en aura tellement pour Molière qu’on les publiera en recueil. Corneille présent à toutes les étapes de la carrière de Molière 1643 : La carrière de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, commence par un séjour de plusieurs semaines à Rouen où habite Pierre Corneille. Pierre Corneille sera l’auteur que Molière, durant toute sa carrière, jouera le plus et paiera le mieux. 1653 : La Troupe met en scène en province l’Andromède de Corneille, en présence du collaborateur musical de Corneille, Charles Dassoucy. http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 7 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 1655 : Représentation à Lyon de L’Etourdi, première pièce dont Molière assumera la responsabilité en 1658. Dassoucy est encore là et Corneille séjourne à Bourbon, près de Lyon. 1658 : Mai : Thomas Corneille, frère cadet de Pierre, explique dans une lettre qu’il attend la venue de Madeleine Béjart et de sa troupe (Molière n’est encore qu’un comédien parmi les autres). - juin/juillet : Long séjour de la troupe à Rouen et lecture chez les Corneille du roman La Précieuse de leur ami l’abbé de Pure, source des Précieuses ridicules. - Octobre : Corneille et Molière quittent Rouen pour Paris. - Octobre/novembre : La troupe de Madeleine Béjart/Molière représente devant le Roi plusieurs pièces de Pierre Corneille. 1661 : Ouverture du théâtre du Palais-Royal, dirigé par Molière. 1662 : Installation définitive des frères Corneille à Paris. Les grandes pièces moliéresques vont désormais se succéder. 1667 : Création par Molière de la tragédie Attila de Corneille (payée 2.000 livres, quatre fois plus que tout autre auteur). 1670 : Création par Molière de la tragédie Tite et Bérénice de Corneille (payée 2.000 livres). 1671 : Psyché (le plus grand succès de Cour de Molière et de Corneille). 1672 : Pulchérie de Corneille est écrite pour Armande Béjart, l’épouse de Molière. Trop épuisé par la maladie Molière ne créera pas cette tragédie. 1673 : Décès le 17 février de Molière. 1673 et années suivantes : Amitié entre Corneille et Michel Baron (le disciple de Molière). Thomas Corneille, en accord avec son frère, sauve de la faillite la troupe d’Armande, devenue directrice à la mort de Molière. Corneille a 23 caractéristiques qui font de lui LE collaborateur idéal 1) Il a commencé sa carrière en étant le "fournisseur" de la troupe de Mondory ; 2) il a longtemps été le « poète comique » le plus applaudi ; 3) il a été le collaborateur littéraire du cardinal de Richelieu et celui de son riche intendant Desmarets de Saint-Sorlin ; 4) il ne fréquente aucun salon littéraire ; 5) il n’est pas mondain ; 6) il n’a pas de revenus professionnels suffisants ; 7) il est tenu, à cause de ses sept enfants, de gagner toujours plus d’argent ; 8) il a pour modèle littéraire Alexandre Hardy et pour ami Jean Rotrou, lesquels étaient poètes aux gages d’une troupe ; 9) il est d’un tempérament secret et mystificateur ; 10) issu de la Basoche de la Table de marbre il est rôdé à toutes les soties-satires ; 11) il n’a jamais refusé une commande ; 12) il est fidèle en amitié ; 13) il s’est amouraché de Marquise du Parc, vedette de la troupe de Molière ; il éprouvera pour la jeune épouse de Molière, Armande, « une estime extrême » ; 14) il maîtrise parfaitement la comédie et la satire ; 15) il peut prendre tous les styles ; 16) il est d’une rapidité d’exécution étonnante : Polyeucte écrit en vingt jours ; Œdipe : en deux mois ; Psyché : en quinze jours ; 17) il a des comptes à régler depuis 1637 avec les doctes, depuis 1642 avec les dévots et les Précieuses ; 18) il est rancunier et revanchard ; 19) il ne lâche jamais prise ; 20) il a toujours cherché à mêler comédie et tragédie (tous les chefs-d’œuvre signés Molière sont à la frontière des deux genres) ; 21) il a publiquement http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 8 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 (tous les chefs-d’œuvre signés Molière sont à la frontière des deux genres) ; 21) il a publiquement revendiqué dans l’Avis au Lecteur du Menteur le droit de démarquer, et d’emprunter au théâtre étranger (ce que ne cessera de faire Molière) ; 22) à la différence de la plupart de ses confrères, il a reconnu que son but était de « plaire au peuple » (Epître de La Suite du Menteur) ; 23) il fut présent à chaque grande étape de la carrière de Molière. Témoignages historiques sur Molière prête-nom de Corneille L’éditeur Quinet publie Le Dépit amoureux En 1662, Quinet, l’éditeur de Corneille, écrit à monsieur Hourlier, Lieutenant-général civil et criminel au baillage de Paris, en charge de la censure sur les librairies, qu’il est fier de pouvoir lui offrir Le Dépit amoureux. Et de lui confier que cette comédie est « de l’Auteur le plus approuvé de ce siècle ». Pourquoi cette formule ? Les cornéliens avancent cette réponse : parce que Molière déplaît à l’aristocratie (il est depuis 1660, comme l’a écrit Somaize, « le premier Farceur de France » 44), et que l’éditeur a voulu avec « de l’Auteur le plus approuvé de ce siècle » rasséréner le Lieutenant-général. Une périphrase qui ne peut concerner que Pierre Corneille qui est pour tous, notamment pour l’ordre établi, « la gloire de la France ». En 1662 Molière, accusé d’ « obscénité », n’a proposé au public que le mystificateur Mascarille et le cocu Sganarelle, et ses mises en scène ont provoqué plusieurs scandales. Comme le verbe « approuver » ne convenait pas pour Molière, les moliéristes ont avancé qu’il signifie applaudir, et que Molière a été beaucoup applaudi depuis 1659. Mais pour le Dictionnaire (1690) de Furetière et celui de l’Académie française (1694) « approuver » signifie « donner son approbation, sa décision. L’Eglise a approuvé l’invocation des Saints […]. » Le verbe « approuver » appartient donc au registre moral élevé. En outre, dans le cas présent, si le farceur Molière fut applaudi, ce ne fut certainement pas par ce haut magistrat. Enfin, Quinet ne parle pas des trois dernières années mais « de ce siècle ». L’auteur du Cid, du Menteur et de Cinna a été suffisamment applaudi et « approuvé » par le peuple et plus encore par l’élite depuis 1630 et jusqu’à 1661 (La Toison d’or) pour qu’il n’ait pas à souffrir la comparaison. Selon les cornéliens, l’éditeur Quinet songe d’autant moins à Molière qu’il s’adresse à M. Hourlier lequel, parfait représentant de l’ordre et des vertus aristocratiques, ne pouvait guère apprécier celui dont le sieur de Rochemont écrira en 1665 qu’il est le « diable incarné » dont le but est de « corrompre les mœurs », de « ruiner la créance en Dieu » et de « faire monter l’athéisme sur le théâtre » 45. Pour les cornéliens, Quinet, parce qu’il était d’abord l’éditeur de Pierre Corneille, en offrant un présent « qui fût proportionné à vos mérites », s’est fait comprendre à demi-mot d’un aristocrate admirateur de Pierre Corneille. Boileau et ses Stances à M. de Molière Dans ses Stances à M. de Molière sur sa comédie de l’Ecole des Femmes que plusieurs frondaient (1663), publiées sans nom d’auteur, Boileau écrit : […] Celui qui sut vaincre Numance, Qui mit Carthage sous sa loi, Jadis, sous le nom de Térence, Sut-il mieux badiner que toi ? […] Molière a souvent été comparé à Térence. Mais pour les lettrés du XVIIe siècle, Térence n’était pas l’auteur des pièces jouées sous son nom. Du vivant de Térence on murmurait le nom du véritable auteur : Scipion http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 9 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 des pièces jouées sous son nom. Du vivant de Térence on murmurait le nom du véritable auteur : Scipion Emilien. Dans la dédicace d’Horace au cardinal de Richelieu, Corneille lui aussi affirme que les comédies de Térence sont de « Scipion et Lélie ». Le dix-septiémiste Georges Couton est catégorique : « On estimait au XVIIe siècle qu’il [Térence] n’était que le prête-nom, ou du moins le collaborateur, de Scipion Emilien et de Laelius. » 46 Pour les cornéliens, en précisant, sans le nommer, que Scipion est l’auteur des comédies de Térence, le satiriste Boileau non seulement signale un fait que ses confrères lettrés connaissent bien, mais il donne à entendre que puisque Molière est semblable à Térence, quelqu’un est nécessairement pareil à Scipion. Or, au moment où Boileau écrit ses Stances à M. de Molière, Corneille vient de faire jouer Sophonisbe, une tragédie où il n’est question que de Scipion. Boileau et son public lettré n’ignoraient pas non plus que Scipion Emilien se nommait… Cornélius. D’Aubignac et sa Quatrième dissertation Dans sa Quatrième dissertation (1663) l’abbé d’Aubignac accuse Corneille - qui, officiellement, n'écrit que des tragédies - de s’être « abandonné à une vile dépendance des histrions [= farceurs] », d’être devenu un « poète à titre d’office », formule qui s’applique au Bouffon du Roi, et il conclut : « On vous connaît pour un poète qui sert depuis longtemps au divertissement des bourgeois de la rue Saint-Denis et des filous du Marais, et c’est tout ». C’était là, très précisément, le public de Molière. D’Aubignac signifie à Corneille quelle place est désormais la sienne : « vous êtes sans doute [= sans aucun doute] le Marquis de Mascarille, qui parle toujours, piaille toujours, ricane toujours, et ne dit jamais rien qui vaille ». Pour les moliéristes, l’équation Mascarille = Corneille est infondée car Corneille n’a rien à voir avec le théâtre de farce, surtout en 1663. Mais, pour les cornéliens, le nom de Mascarille ne vient pas par hasard sous la plume de l’abbé car, comme le souligne le moliériste Georges Couton, « les polémistes appellent couramment Molière Mascarille. » 47 Boileau et sa Satire à M. de Molière Dans sa Satire à M. de Molière (1664), Boileau dit de Molière : Rare et fameux esprit, dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail et la peine ; Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts, Et qui sait à quel coin se marquent les bons vers. […] Pour le moliériste Roger Duchêne, « le compliment surprend. Molière vient justement de donner devant la Cour une Princesse d’Elide qu’il n’a pas réussi à écrire en vers jusqu’au bout. La même sorte d’aventure lui arrivera encore à l’avenir. » 48 Pour les cornéliens, c’est tout le sel de cette satire : sans Corneille, Molière n’est rien et c’est pour cela que Boileau brocarde celui qui était intouchable en tant qu’amuseur favori du Roi. Quant au dieu « Apollon » qui tient pour Molière « tous ses trésors ouverts » il s’agit de Pierre Corneille. En effet, une poésie de Pierre Corneille, publiée en 1656 dans le Recueil Sercy, confesse : […] Qu’Apollon est le seul qui m’ouvre ses trésors […] De même, en 1684, une poésie anonyme intitulée « Sur la mort de M. de Corneille » commencera par ce vers : L’Apollon de nos jours dont la fertile veine […] http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 10 sur 17
L'affaire Corneille-Molière - Wikipédia 06/01/10 11:46 Refermant la boucle ouverte par le jeune satiriste Boileau : Rare et fameux Esprit, dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail et la peine ; Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts, […] Existe-t-il une preuve que Boileau a ironisé dans sa Deuxième satire « A Monsieur de Molière » ? Oui, répondent les cornéliens. Dans son commentaire manuscrit des Satires de Boileau, Le Verrier, qui écrit sous le contrôle de Boileau, avoue à propos de cette « fertile veine » : « L’auteur donne ici à son ami une facilité de tourner un vers et de rimer, que son ami n’avait pas, mais il est question de le louer et de lui faire plaisir. » 49 Pour les cornéliens, ce témoignage est confirmé en 1705 par Grimarest, qui précisera, dans sa Vie de M. de Molière, que ce dernier « était l’homme du monde qui travaillait avec le plus de difficulté », et quelques pages plus loin : « comme je l’ai dit, il ne travaillait pas vite, mais il n’était pas fâché qu’on le crût expéditif ». Comme autre preuve que Boileau persiflait bel et bien dans cette Deuxième satire peut être cité le passage qui concerne l’écrivain Georges Scudéry : […] Bienheureux Scudéry, dont la fertile plume Peut, tous les mois, sans peine, enfanter un volume. Le cornélien Denis Boissier y voit « l’ironie mordante et le dépit de Boileau – véritable poète, lui – contraint de vanter, après l’illustre Molière, une autre "fertile plume", celle de l’illustre Scudéry, connu pour être le prête-nom de sa prolifique sœur Madeleine (et de combien d’autres auteurs en plus d’elle ?) dont il signait les romans à succès. » 50 Enfin, les cornéliens font remarquer que, pour ne pas se mettre à dos trop de monde, Boileau fit paraître anonymement sa Deuxième satire, preuve que ce texte n’était pas, comme on veut le croire aujourd’hui, un éloge. L’exemple de Psyché Alors que Corneille a écrit plus des trois-quarts de Psyché, la pièce est publiée en 1671 sous le seul nom de Molière. Et La Grange, bien qu’il connaisse la genèse de Psyché, l’inscrit dans son Registre en tant que pièce de Molière. Pour les cornéliens, La Grange fait avec Psyché comme avec toutes les autres pièces qui ont nécessité une collaboration : puisque son patron a acheté la pièce, elle lui appartient. Et de mettre en valeur qu’en 1682 Corneille ne comptera pas Psyché dans l’édition de son Théâtre complet. S’il ne l’a pas fait pour cette pièce pourtant signée, pourquoi l’aurait-il fait pour toutes les autres non signées ? s’interrogent les cornéliens qui en concluent que les écrits vendus à Molière lui appartiennent définitivement. Pour cette même raison, disent-ils, Corneille n’a revendiqué aucun des textes qu’il écrivit à partir de 1635 pour le cardinal de Richelieu. Statistiques et attribution d’auteur En décembre 2001, Cyril Labbé 51 – maître de conférences à l’Université Joseph Fourrier (UJF) et chercheur à l’Institut d’Informatique et de Mathématiques Appliquées de Grenoble (IMAG) – et Dominique Labbé 52 – maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble et chercheur au laboratoire PACTE – ont publié un article 53 dans une revue scientifique internationale présentant leur méthode d’attribution d’auteur et les résultats obtenus sur Corneille et Molière. Une version française de cet article a http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27affaire_Corneille-Molière Page 11 sur 17
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