Premiers résultats d'une échelle de mesure du sentiment d'amour pour une marque.
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Premiers résultats d’une échelle de mesure du sentiment d’amour pour une marque. Noël ALBERT*, Pierre VALETTE-FLORENCE** * IUT B - Université Claude Bernard Département Techniques de Commercialisation 17, rue de France 69 100 Villeurbanne * IAE de Grenoble, CERAG Université Pierre Mendès-France 38047 Grenoble ** IAE de Grenoble, CERAG Université Pierre Mendès-France 38047 Grenoble Noel.albert@upmf-grenoble.fr ; Pierre.Valette-Florence@iae-grenoble.fr Section de rattachement : 06, & Secteur : Tertiaire Résumé : Cette recherche s’intéresse à la notion d’amour pour une marque, un thème de recherche de plus en plus important notamment outre Atlantique, mais encore délaissé dans un contexte français. Ce travail a pour objectif de présenter une échelle de mesure de ce sentiment. Suite à une enquête de 825 répondants, un instrument de mesure est proposé. Celui-ci est constitué de sept dimensions d’ordre 1 (intimité, idéalisation, rêve, plaisir, durée, souvenir, unicité) et de deux dimensions d’ordre 2 (passion et affection). Les liens entre amour pour une marque et fidélité, confiance et bouche à oreille en faveur de celle-ci sont démontrés. MOTS CLES : marketing, relation marque consommateur, amour pour une marque, fidélité, échelle de mesure. 1. Introduction Depuis les années 90, les recherches autour de la marque se multiplient et plus particulièrement la thématique des relations marque consommateur, notamment à travers des concepts comme : l’attachement (Lacoeuilhe, 2000) ou la confiance 1
(Gurviez et Korchia, 2002). Parmi ces différents construits, le sentiment d’amour pour une marque est plus récent mais attise l’intérêt des chercheurs (Ahuvia, 1993 ; Albert et al., 2007). La majorité des efforts sur ce thème de recherche s’est jusqu’à présent concentrée sur la compréhension de ce nouveau concept. Les académiciens proposent aujourd’hui des contributions à caractère plus managérial comme des échelles de mesure (Caroll et Ahuvia, 2006). De tels instruments doivent permettre de repérer les marques ou les consommateurs sujets à ce sentiment et d’en mesurer l’intensité. Cet article a donc pour objectif de répondre à la demande des praticiens et de développer les recherches sur l’amour pour une marque en proposant une échelle de mesure de ce sentiment dans un contexte français. Cet instrument doit permettre une meilleure compréhension de certaines relations entre les marques et les consommateurs. 2. L’étude du sentiment amoureux dans un contexte de consommation Ahuvia (1993) réalise la première contribution majeure dans l’étude de l’amour en marketing. Selon l’auteur (Ahuvia, 1993), le sentiment d’amour pour un objet est composé de 12 caractéristiques dont : percevoir l’objet comme excellent et vertueux, l’objet est unique et irremplaçable, celui-ci permet d’avoir un sens à sa vie et satisfait des besoins basiques et existentiels, l’individu est prêt à de grands sacrifice pour l’objet, etc. Au cours d’une seconde recherche, Ahuvia (2005) compare le prototype de l’amour interpersonnel avec l’amour pour un objet. Les résultats de cette comparaison mettent en évidence beaucoup plus de points communs (trouver l’objet d’amour attirant, l’expérience émotionnelle associée au sentiment amoureux, le caractère endurant du sentiment, etc.) que de différences (le sacrifice de soi, etc.) entre les deux types d’amour. Pour Caroll et Ahuvia (2006) le sentiment d’amour pour une marque est composé de 5 dimensions : la passion, l’attachement, une évaluation positive de la marque, des émotions positives en réponse à la marque, des déclarations d’amour pour la marque. En France, des travaux précédents (Albert et Valette-Florence, 2007) indiquent que le sentiment d’amour pour une marque est composé de 11 dimensions exploratoires : (1) la passion (pour la marque), (2) la durée de la relation (la relation avec la marque existe depuis longtemps), (3) la congruence (entre la marque/le produit et l’image de soi du consommateur), (4) le rêve (la marque fait rêver le consommateur), (5) les souvenirs (évoqués par la marque), (6) le plaisir (que la marque procure au consommateur), (7) l’attirance (ressentie envers la marque), (8) le caractère unique (de la marque ou de la relation avec celle-ci), (9) la beauté (de la marque), (10) la confiance (la marque n’a jamais déçue), (11) des déclarations d’affect (envers la marque). Cette recherche est toutefois de nature exploratoire et des démarches quantitatives et confirmatoires doivent affiner ces premiers résultats. Ces différentes recherches enrichissent notre compréhension du concept d’amour pour une marque. Plusieurs conceptualisations de l’amour en marketing intègrent 2
toutefois des éléments habituellement considérés comme des antécédents ou des conséquences de ce sentiment. Il s’agit des dimensions de confiance, beauté, satisfaction, bien-être et confiance. Aucun de ces concepts n’est considéré comme dimension de l’amour interpersonnel. La mesure que nous souhaitons développer au cours de cette recherche ne doit pas être soumise à de telles erreurs. Après avoir exposé les différentes conceptualisations du sentiment amoureux dans un domaine de consommation, les paragraphes suivants présentent la méthode employée pour la création de l’instrument proposé au cours de cette recherche. 3. Méthodologie et résultats La construction de l’échelle ainsi que les indices de fiabilité et validité sont présentés au cours de cette seconde partie. Une attention particulière est portée sur la validité nomologique. 3.1 La construction de l’échelle Deux études exploratoires ont d’abord été réalisées. Dix-sept entretiens semi directifs ont été conduits sur des consommateurs âgés de 19 à 59 ans. Une enquête exploratoire sur Internet a également été menée et enrichie les données recueillies lors des entretiens. Ces deux études ont permis de générer les items nécessaires à la construction de l’échelle. L’étude réalisée pour la construction de l’échelle intègre deux catégories d’items : (1) des items issus des deux études exploratoires menées en amont et (2) des items issus d’échelles interpersonnelles du sentiment amoureux. Ces échelles interpersonnelles, d’origine américaine, ont fait l’objet d’une traduction et d’une rétro traduction. Un total de 107 items est utilisé pour construire l’instrument de mesure. Quatre versions Internet ainsi que deux versions papiers du questionnaire ont été proposées. 825 questionnaires entièrement remplis ont finalement été collectés. L’échantillon final est constitué pour une part d’étudiants (environ 43%), mais aussi de cadres et professions intellectuelles supérieures (23%), d’employés (17%), etc. Les deux tiers des répondants sont des femmes (64.2% - 35.8% des hommes). 3.2 Structure, fiabilité et validités du modèle Des analyses factorielles exploratoires ont tout d’abord été réalisées sur les 107 items correspondant au sentiment amoureux. Les items ayant un poids factoriels inférieur à 0.5 et ceux loadés sur plusieurs facteurs ont été retirés des analyses. Les items retenus sont au nombre de 22 (74% de variance expliquée) et peuvent être 3
regroupés en 7 facteurs. Le tableau 1 présente les différents items de l’échelle ainsi que leur poids factoriels sur les facteurs composant le sentiment d’amour pour une marque. Poids factoriels Fiabilité Validité convergente Facteur (test t > 2) Rho de Jöreskog (% de variance extraite) 0.703 Unicité 0.672 0.506 0.720 0.845 0.718 Plaisir 0.822 0.538 0.612 0.741 0.752 Intimité 0.694 0.771 0.530 0.736 0.675 Idéalisation 0.631 0.707 0.447 0.697 0.694 Durée 0.670 0.707 0.446 0.638 0.825 Souvenir 0.723 0.856 0.666 0.891 0.682 0.682 Rêve 0.812 0.521 0.721 0.796 Tableau 1. Poids factoriels, fiabilité et validité de l’échelle Pour s’assurer de la validité de la solution présentée, des analyses factorielles confirmatoires utilisant un modèle d’équations structurelles ont été réalisées. Les résultats témoignent du bon ajustement du modèle. Le RMSEA est de 0.08, ce qui correspond au seuil d’acceptation pour cet indice. Quant au GFI (0.91) et à l’AGFI (0.89), ils sont respectivement supérieurs ou très proches de 0.9 ce qui confirme le bon ajustement du modèle. Compte tenu des contraintes de multinormalité inhérentes aux équations structurelles, le modèle a été testé selon une procédure de bootstrap (création 4
de 300 nouveaux échantillons). La structure de l’échelle proposée est maintenant évaluée sur les critères de validité et fiabilité. Fiabilité Concernant le test de la fiabilité, le Rhô de Jöreskog a été préféré à l’Alpha de Cronbach, celui-ci étant moins sensible au nombre d’items par facteur et plus adapté aux méthodes d’équations structurelles. 6 des 7 facteurs ont un coefficient supérieur à 0.7. Seul le facteur 1 a un coefficient de 0.672, ce qui est toutefois jugé satisfaisant et permet de conclure à la bonne fiabilité de l’échelle. Validité convergente La validité convergente a été calculée selon l’approche recommandée par Fornell et Larcker (1981). La variance partagée entre chaque facteur et ses indicateurs a été calculée à partir des poids factoriels issus du bootstrap. Il est habituellement recommandé d’avoir une validité convergente supérieur à 0.5. Les résultats présentés dans le tableau 1 indiquent une bonne validité convergente de l’échelle pour 5 des 7 facteurs. Les facteurs 4 et 5 ont une validité convergente légèrement faible (respectivement 0.447 et 0.446) mais toutefois jugée satisfaisante. Par ailleurs, tous les tests t sont supérieurs à 2 confirmant la bonne validité convergente de l’instrument proposé. Validité discriminante La validité discriminante a été testée en comparant les Chi-deux d’un modèle contraint et ceux d’un modèle libre (Bagozzi et Yi, 1991). La différence des Chi-deux entre le modèle contraint et le modèle libre est toujours supérieure au Chi-deux théorique. La bonne validité discriminante de l’échelle est alors confirmée. Après avoir constaté la bonne structure du modèle ainsi que les qualités psychométriques de l’échelle, il convient d’en interpréter les dimensions. Le premier facteur correspond au caractère unique, particulier voir spécial de la marque pour le consommateur. Le deuxième facteur renvoie au plaisir que ressent le consommateur lorsque celui-ci possède ou utilise la marque pour laquelle il éprouve un sentiment d’amour. Le troisième facteur correspond à la proximité existante entre la marque et le consommateur. Il en souligne également l’importance de la marque pour ce dernier. Ce facteur intègre des items issus d’une échelle interpersonnelle de l’amour. Le quatrième facteur correspond à l’idéalisation de la marque par le consommateur. Il s’agit également d’items issus de mesures interpersonnelles. Le cinquième facteur met, quant à lui, l’accent sur la durée de la relation vécue avec la marque. Le sixième facteur insiste sur la capacité de la marque à remémorer au consommateur des personnes ou des moments importants de sa vie. Enfin, le dernier facteur indique que la marque possède la capacité à faire rêver le consommateur. Ce dernier facteur met en exergue le fait que la marque est présente dans l’esprit du consommateur. 5
Les résultats indiquent que les 7 dimensions d’ordre 1 découlent de deux facteurs d’ordre 2. Le premier facteur d’ordre 2 est en lien avec l’intimité, le rêve, le souvenir, la durée et l’unicité. Celui-ci est nommé ‘Affection’. L’idéalisation et le plaisir sont liés avec le second facteur d’ordre 2. Celui-ci se nomme ‘Passion’. La découverte de ces deux facteurs d’ordre 2 est particulièrement intéressante au regard des recherches interpersonnelles sur l’amour. En effet, passion et affection sont présentes dans de très nombreuses recherches en psychologie sociale et neurosciences (Sternberg, 1986 ; Rubin, 1970 ; Hatfield, 1988 ; Lee, 1977 ; Fisher, 2006). La structure de l’échelle de l’amour pour une marque semble offrir une bonne compréhension du construit. D’un point de vue conceptuel les différents facteurs décrits sont tous considérés comme des dimensions ou des caractéristiques de l’amour interpersonnel. Aucune des dimensions de l’échelle n’est un antécédent ou une conséquence du sentiment amoureux. 3.3 Validité nomologique Dans la littérature interpersonnelle, le sentiment d’amour est en lien avec de nombreux autres construits. En marketing, Caroll et Ahuvia (2006) démontrent l’influence positive de l’amour pour une marque sur le bouche à oreille et la fidélité envers celle-ci. Le questionnaire pour la construction de l’échelle intégrait également des items mesurant les antécédents et conséquences du sentiment amoureux. Ces items sont issus des deux phases qualitatives et mesuraient la confiance, la fidélité et le bouche à oreille en faveur de la marque. La validité nomologique a donc été testée à l’aide de ces trois construits dont les mesures sont ici circonstancielles. Cela s’explique, comme précisé, par le fait que ces échelles ont été construites à partir des items des études exploratoires. Les liens entre amour pour une marque avec fidélité, confiance et bouche à oreille sont précisés dans la figure 1. Passion 0.199 Fidélité 0.707 0.908 Bouche à oreille 0.560 0.150 0.045 Affection Confiance 0.705 Figure 1. Test de la validité nomologique 6
Les résultats des tests de la validité nomologique mettent en évidence une dichotomie particulièrement intéressante. En effet, nous constatons un lien important entre la passion et (uniquement) le bouche à oreille. A l’inverse, l’affection est fortement et exclusivement liée à la fidélité et la confiance. Le consommateur qui éprouve de la passion pour une marque vit une relation intense avec celle-ci. La passion renvoie à des relations récentes. C’est ce caractère nouveau qui, sans doute, explique que le consommateur parle de la marque à son entourage et s’enthousiasme à son propos. L’affection d’un consommateur pour une marque est, quant à elle, caractérisée, entre autres, par des éléments relationnels de longue durée entre la marque et le consommateur (ex : dimensions durée, souvenir ou intimité). Il apparaît, dès lors, logique que le consommateur soit fidèle et ait confiance en la marque compte tenu du vécu avec celle-ci. Ces résultats sont en adéquation avec les recherches interpersonnelles sur le sentiment amoureux. 4. Conclusion Cette recherche avait pour principal objectif de proposer une première mesure du sentiment d’amour pour une marque. Face à l’émergence de recherches outre Atlantique sur ce sujet, cette étude constitue une nouvelle étape dans la compréhension et l’opérationnalisation de l’amour pour une marque. D’après les premiers résultats, la structure en 7 dimensions semble relativement fiable et valide. L’instrument proposé apparaît d’autant plus intéressant que jusqu’à présent il n’existait qu’une seule échelle en marketing dont les caractéristiques, notamment conceptuelles, semblaient peu satisfaisantes. Un autre apport majeur se situe sans doute d’un point de vue empirique puisque l’échelle proposée inclue des items issus d’échelles interpersonnelles. Ces items ont pu être appliqués dans un contexte de consommation français sans aucune modification, confirmant ainsi que le sentiment d’amour pour une marque est un véritable sentiment et non une simple métaphore ou analogie. Les analyses réalisées, notamment celles sur la validité nomologique, confèrent à l’échelle une véritable utilité managériale puisque l’amour pour une marque influence la fidélité et la confiance dans la marque ainsi que le bouche à oreille en faveur de celle-ci. Grâce à l’échelle ici proposée, les responsables marketing pourront désormais détecter les consommateurs amoureux de leurs marques des autres segments de clients. Cette détection doit permettre de mieux comprendre et répondre aux besoins de ces consommateurs à travers les programmes de fidélisation, de communication, d’extension de gamme, de lancement de nouveaux produits, etc. Le faible nombre de recherches sur le sujet ouvre de nombreuses perspectives. Il convient dans un premier d’étudier les antécédents et conséquences possibles du sentiment d’amour pour une marque à travers un modèle conceptuel. Par ailleurs, les tests de validité nomologique ont mis en évidences l’influence des dimensions de l’amour pour une marque sur différentes conséquences (Passion => bouche à oreille ; Affection => fidélité et confiance). A l’instar du modèle ELM (Petty et Cacioppo, 7
1986), existe-t-il des routes différentes pour la passion et l’affection pour une marque. Ces deux dimensions de l’amour ont-elles des antécédents et des conséquences qui leur sont propres ? Certaines variables affectent simultanément ces deux dimensions ? Enfin, il serait sans doute intéressant de tester l’échelle dans un autre contexte culturel et de vérifier si la structure mise en évidence reste stable ou diffère, et si oui, dans quelle mesure ? Bibliographie Ahuvia A.C., I love it! Towards an Unifying Theory of Love Across Divers Love Objects, Ph. Dissertation, Northwestern University, 1993. Ahuvia A.C., The Love Prototype Revisited: A Qualitative Exploration of Contempory Folk Psychology, Working Paper, University of Michigan-Dearborn, 2005. Albert N., Valette-Florence P., Le sentiment d’amour pour une marque : dimensions dans un contexte français, Congrès international de l’Association Française du Marketing, Aix-les-Bains, Mai, 2007. Bagozzi R.P., Yi Y., « Multitrait-multimethod matrices in consumer research », Journal of Consumer Research, 17, August, 1991, p.426-439. Caroll B.A., Ahuvia A.C., « Some antecedents and outcomes of brand love », Marketing Letters, 17, 2006, p.79-89. Fisher E., Pourquoi nous aimons ?, Ed. Robert Laffont, Paris, 2006 Fornell C., Larcker D., « Evaluating structural equations models with unobservable variables and measurement error », Journal of Marketing Research, 18, February, 1981, p.39-50. Gurviez P., Korchia M., « Proposition d’une échelle de mesure multidimensionnelle de la confiance dans la marque », Recherche et Applications en Marketing, 17, 3, 2002, 41-62. Lacoeuilhe J., « L’attachement à la marque : proposition d’une échelle de mesure », Recherche et Applications en Marketing, 15, 4, 2000, p.61-77 Lee A., « A typology of styles of loving », Personality and Social Psychology Bulletin, 3, 1977, p.173-182. Petty R.E., Cacioppo J.T., Communication and persuasion : central and peripheral routes to attitude change, New Ypork, Springer, 1986. Roberts K., Lovemarks Lovemarks – Pour l’amour des marques, Editions d’Organisation, 2004. Rubin Z., « Measurement of romantic love », Journal of Personality and Social Psychology, 16, 2, 1970, p.265-273. Sternberg R.J, « A triangular theory of love »,, Psychological review, 93, 2, 1986, p.119-135. 8
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