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Présentation de l'aire d'étude : Corpus Vitrearum

        Références du dossier
        Numéro de dossier : IA87006502
        Date de l'enquête initiale : 2011
        Date(s) de rédaction : 2015
        Cadre de l'étude : enquête thématique régionale Corpus Vitrearum

        Désignation
        Aires d'études : Limousin

        Corpus Vitrearum : Les vitraux anciens du Limousin

        Introduction
        Comme l’observait l’archéologue Jules Renouvier dès 1839, « on ne doit pas s’attendre à trouver dans le Midi des exemples
        de peinture sur verre aussi multipliés que dans certaines provinces du Nord. Si on met hors du rang, en Gascogne, les
        admirables verrières d’Auch, et en Auvergne, celles de Clermont et de Riom, la rareté des fragments qu’on rencontre
        dans le Midi indique suffisamment que cet art n’y prit pas un grand développement. La pratique de cet art étonnant ne
        fut cependant pas tout à fait négligée dans nos provinces. Limoges, si célèbre par la fabrication de ses émaux, eut aussi
        certainement des peintres verriers. Leurs ouvrages se sont conservés en partie dans les églises de Saint-Étienne et de Saint-
        Pierre… »1. Comparé aux régions de la moitié septentrionale de la France et même à l’Auvergne, le Limousin n’a certes
        gardé qu’un nombre passablement réduit de verrières du Moyen Âge et de la Renaissance. Les résultats de l’enquête font
        cependant apparaître que, à côté d’ensembles justement connus comme celui du 12e siècle conservé à Aubazines ou celui
        du 15e siècle du chœur de la collégiale d’Eymoutiers, la région possède des vitraux anciens d’une grande variété, dispersés
        dans ses trois départements et restés quasiment inédits. Comme le vitrage du 14e et du 16e siècle de la cathédrale de
        Limoges, qui n’a jamais fait l’objet d’une étude spécifique à l’inverse des compléments qu’il a reçus au 19e siècle, toutes
        ces œuvres participent d’un champ artistique qui ne saurait être tenu pour mineur. Elles méritent d’être replacées dans le
        contexte général de la production de leur époque, non sans prendre en compte les pertes que la région a subies.

        Contexte géographique, bilan historiographique
        La présente étude porte sur un espace réputé dès l’origine « à géométrie variable » : il a notamment perdu, lors de la
        création des trois départements en 1790, la Dordogne et la Charente limousine tout en regagnant la Basse-Marche, que
        couvre pour l’essentiel le département de la Creuse. La cohésion de la région a survécu à travers les limites médiévales du
        diocèse de Limoges, qui n’ont pas varié de 1317 à 17902, borné au nord par l’archevêché de Bourges dont il dépendait,
        puis en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, par les évêchés de Moulins, de Clermont, de Tulle, de Périgueux,
        d’Angoulême et de Poitiers3. L’influence que peut avoir exercé ce voisinage sur la production artistique locale reste
        toutefois difficile à percevoir. Si certaines œuvres d’art ont fait l’objet d’importation, par exemple le retable de saint Éloi
        de l’église de Crocq4, tout juste peut-on suggérer, dans le domaine exploré ici, que deux ou trois des verrières analysées
        ont pu être produites hors des confins du Limousin. Limoges, où les peintres verriers paraissent avoir été nombreux à
        toute époque, est assurément le seul foyer d’importance. Quand on réalise que, des quatre paroisses - dont la cathédrale
        - maintenues dans la ville après le Concordat, trois conservent des œuvres sorties de leurs ateliers, on prend la mesure
        des pertes engendrées par la disparition des neuf églises qui s’ajoutaient avant la Révolution, en plus de celles des grands
        couvents5. Au début du 18e siècle, Roger de Gaignières avait d’ailleurs fait relever des armoiries qui figuraient dans les
        verrières qui ornaient les chapelles des Carmes, des Cordeliers et des Jacobins, ou celle de l’abbaye de la Règle6.
        Quelques spécimens de vitraux avaient déjà attiré l’attention de Charles-Nicolas Allou sous le Premier Empire, mentionnés
        dans sa Description des monumens des différents âges observés dans le département de la Haute-Vienne publiée en 1821.
        L’Historique monumental de l’ancienne province du Limousin de Jean-Baptiste Tripon, paru en 1837, ne néglige pas

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        non plus ce domaine. Mais c’est à l’abbé Texier qu’on doit, dès 1846, une étude thématique pionnière en France, qui
        fait toujours autorité et qui, si elle n’est pas tout à fait exhaustive, livre un état des lieux d’autant plus précieux que les
        œuvres enregistrées ont souvent été modifiées par la suite7. Ce prêtre qui mena parallèlement des recherches fondatrices
        sur l’émaillerie, sur l’iconographie ou sur les anciennes inscriptions de sa Province, n’est pas seulement une figure centrale
        de l’archéologie locale mais l’une des personnalités majeures de l’histoire de l’art de son temps. Son immense érudition,
        inlassablement mise au service du patrimoine de sa région, était reconnue de son vivant, ce dont témoignent les régulières
        citations dont l’honoraient les publications de la Société française d’Archéologie. À la veille d’entreprendre la grande
        restauration de la cathédrale de Limoges, l’architecte diocésain Pierre-Prosper Chabrol émit du reste le vœu que lui soit
        adjoint ce savant : « Il serait attaché à nos travaux au même titre que M. de Guilhermy à ceux de la Sainte-Chapelle
        dirigés par M. Duban »8.
        L’action de Jacques-Rémi-Antoine Texier, né à Limoges en 1813, mort en 1859, ne s’exerça pourtant qu’en une vingtaine
        d’années à peine, sans pour autant lui faire abandonner tout autre centre d’intérêt. Séminariste en 1831, il devint pour
        cinq ans curé d’Auriat en 1838. Nommé fin 1846, à l’âge de 33 ans, supérieur du petit séminaire du Dorat, il y établit
        un cours d’archéologie, à l’instar de l’abbé François Caneto au petit séminaire d’Auch ou de l’abbé Joseph Brune dans
        celui de Rennes, dans le but de sensibiliser ses contemporains aux vestiges du passé et de promouvoir « un art religieux
        moderne par le modèle ancien »9. Le programme des leçons qu’il y dispensa durant onze ans est connu par les Annales
        archéologiques, revue à laquelle il offrit une dizaine d’articles. Le contenu de ses cours transparaît aussi de manière
        très vivante dans la correspondance qu’il entretint pendant deux décennies avec le comte Charles de Montalembert, qui
        l’appelait « le défenseur des belles choses » et lui attribuait la sauvegarde de nombre de monuments limousins10. L’érudit
        était déjà très informé du domaine du vitrail lorsqu’il communiqua sur l’émaillerie devant les membres de la Société
        française d’Archéologie en 184011, où il évoqua les procédés de la peinture sur verre « retrouvés ou améliorés par M.
        Frank de Munich, M. Brongniart [le directeur de la manufacture de Sèves], et plus près de Limoges, MM. Thibaut et
        Thévenot [les peintres verriers pionniers établis à Clermont-Ferrand] ». Ses recherches étaient à la fois méthodiquement
        appuyées sur la prospection faite sur le terrain et sur la collecte des sources. Il utilisa ainsi le De Administratione de
        l’abbé Suger, qu’il avait trouvé dans l’Histoire de Saint-Denis de Dom Michel Félibien, ou le fameux traité pratique du
        moine Théophile publié en 1843 par le comte de L’Escalopier, portant du reste un regard critique sur cette traduction12.
        Ses travaux donnèrent une réelle impulsion à l’intérêt porté localement à cette catégorie d’œuvres : nombreuses sont les
        restaurations de verrières entreprises au lendemain de sa mort, qui témoignent de cette prise de conscience.
        Les sociétés savantes, tôt implantées en Limousin et remarquablement actives dans les trois départements jusqu’à l’époque
        contemporaine, étaient animées à leurs débuts par des personnalités comme Maurice Ardant (1793-1867), archiviste de la
        Haute-Vienne, nommé en 1840 inspecteur des Monuments historiques. C’est sous leur égide que furent éditées nombre de
        sources anciennes. L’abbé Jean-Baptiste-Louis Roy-Pierrefitte (1819-1865) diffusa ainsi à partir de 1856 le Nobiliaire du
        diocèse et de la généralité de Limoges de Joseph Nadaud (1712-1775), dont l’abbé Arbellot réédita et augmenta en 1860 le
        Tableau chronologique des évêques de Limoges, et dont le chanoine Lecler publia le Pouillé historique du diocèse en plus
        de 800 pages dans le bulletin de la Société archéologique du Limousin de 1903. L’histoire des vitraux de la région bénéficia
        bien entendu de la vitalité de ces revues. Parurent dans ce cadre divers articles spécialisés renvoyant tous au premier
        recensement établi par l’abbé Texier, lequel devait rester le seul point de référence dans les publications nationales du
        19e et du 20e siècle. L’abbé André Lecler (1834-1920), auquel on doit les outils fondamentaux que sont les Dictionnaires
        historiques de la Creuse et de la Haute-Vienne, rédigea en 1867 un essai sur le sujet13. Des auteurs tels que Louis Guibert
        (1840-1904) ou, à la génération suivante, Albert Labrouhe de Laborderie et Louis Lacrocq, ou l’héraldiste Joseph Boulaud,
        dont la contribution fut publiée à titre posthume en 1943, revinrent également sur l’incontournable texte de 1846 pour
        corriger des points de détail - couleur d’un blason à Eymoutiers, nombre des panneaux conservés à Saint-Symphorien-
        sur-Couze -, et plus rarement pour augmenter cet inventaire. La meilleure part de leur tâche fut de le remettre à jour
        lorsque les verrières décrites avant le milieu du 19e siècle avaient été transformées par les restaurations ultérieures, cas de
        celles de l’église Saint-Michel-des-Lions de Limoges et de celles de la cathédrale, à laquelle le chanoine François Arbellot
        (1816-1900) puis René Fage (1848-1929) consacrèrent des monographies. Certaines de ces publications exploitent de
        précieuses notes restées inédites, notamment celles de l’historien de l’ancienne province de la Marche Pierre Robert,
        magistrat au Dorat (1589-1658)14, ou celles d’Auguste Bosvieux (1831-1871), archiviste de la Creuse de 1851 – à l’âge
        de vingt ans ! - à 1864, qui avait légué ses manuscrits aux archives départementales de la Haute-Vienne15. Au cours des
        dernières décennies, enfin, les recherches topographiques du service de l’Inventaire général, implanté en 1976 dans la
        région, ont ajouté à ces travaux érudits en établissant une documentation méthodique, en étudiant de manière approfondie
        des dossiers tels que celui de la collégiale d’Eymoutiers, et en découvrant des vitraux comme ceux conservés à l’église
        de Noailles ou au château de Nieul, protégés depuis qu’elles les ont fait connaître.

        Les vitraux romans et leur fortune critique
        Plusieurs régions de France peuvent produire des chroniques qui assurent que l’art du vitrail y était pratiqué dès l’époque
        carolingienne. C’est le cas du Limousin : l’historien Adémar de Chabannes, mort vers 1030, rapporte que la basilique
        Saint-Sauveur de Limoges avait été consacrée en octobre 830 en présence de l’empereur Louis le Pieux, et que le corps de
        saint Martial fut alors déposé « dans la crypte du grand vitrail », derrière l’autel16. Ce vitrail, du reste, s’inscrivait peut-

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        être dans une tradition déjà ancienne : les fouilles archéologiques entreprises en 2005 au nord du chevet de la cathédrale,
        à l’emplacement où s’élevait le baptistère bâti autour de l’an 400, ont livré quelques fragments de verres teintés qui
        pourraient remonter à la fin du 6e siècle, si ce n’est plus haut17. Mais les premières verrières conservées sont bien plus
        tardives, comme partout ailleurs.
        Au nombre des vitraux que l’abbé Texier a révélés figurent en première place, tant du point de vue chronologique que
        pour ce qu’ils représentent dans l’histoire de l’art médiéval, ceux de deux abbayes cisterciennes du 12e siècle, Aubazines
        en Corrèze, et Bonlieu, située sur la commune de Peyrat-La-Nonière dans la Creuse. La publication desdites verrières
        en 1850 dans les Annales archéologiques fonde les multiples recherches relatives à ce type d’œuvres jusqu’à l’époque
        contemporaine, dans toute l’Europe et aux États-Unis18. Les circonstances qui ont établi le renom universel de ces vitraux
        limousins tiennent essentiellement aux destinées d’un des panneaux creusois. D’après sa correspondance, l’abbé Texier
        avait visité Aubazines avant 1839, sans soupçonner que les vitreries incolores qui fermaient certaines des fenêtres de
        l’église pouvaient remonter au Moyen Âge : L’Art de la peinture sur verre et de la vitrerie de Pierre Le Vieil (1774) lui
        avait appris que les praticiens du 18e siècle travaillaient le verre blanc en des assemblages parfois complexes. C’est en
        découvrant, en 1843, des panneaux analogues dans les ruines du chœur de l’abbatiale de Bonlieu qu’il s’avisa de l’intérêt
        de ces vitraux si particuliers. Fort d’une enquête historique tirée de Baluze et de Mabillon sur les deux monastères, il
        y revint afin de parfaire son étude archéologique : avant de séjourner à Aubazines en 1849, il était retourné à Bonlieu
        dès 1844. Or, à l’occasion de cette seconde visite, le propriétaire des bâtiments laissa à l’« inventeur » de ces vitraux le
        plaisir d’en emporter un échantillon, le panneau cintré du sommet de la fenêtre axiale, devenu le seul élément aujourd’hui
        connu de cet ensemble. L’abbé Texier le décrivit et en donna une illustration en 1846 dans son Histoire de la peinture
        sur verre, puis en fit cadeau à Adolphe Didron, le directeur des Annales. Ce dernier fit aussitôt savoir qu’il tenait ce
        vitrail peu ordinaire à la disposition des curieux, incitant les peintres verriers à le prendre pour modèle19 : en 1850, il
        le présentait déjà dans le « musée de l’industrie archéologique » associé à l’atelier qu’il venait de créer rue Hautefeuille
        à Paris20. L’œuvre resta par la suite accessible au public, prêtée par son successeur Édouard Didron à Lucien Magne,
        qui l’exposa en 1884 dans la préfiguration du musée du Vitrail installé dans une salle du Palais de l’Industrie21. C’est là
        l’origine de la notoriété du panneau de Bonlieu, admiré de tous les amateurs d’archéologie et inlassablement signalé, voire
        reproduit, dans les ouvrages spécialisés parus de 1860 au début du 20e siècle dans divers pays. L’objet passa enfin, sans
        qu’on en suive le cheminement exact, de la collection Didron à celle de Michel Acézat (1878-1944), peintre verrier qui
        rassembla un nombre considérable de vitraux de toutes époques à partir des années 1910. Le panneau, préempté par l’État
        en 1969, à l’occasion de la dispersion de cette collection, se trouve depuis conservé au dépôt des Monuments historiques
        de Champs-sur-Marne.
        Parce qu’elle caractérise parfaitement l’esthétique et la technique des vitraux cisterciens plus tard célébrés par Émile Mâle
        pour leur austère noblesse22, l’étude que l’abbé Texier fit paraître en 1850 eut d’emblée un grand retentissement : le
        panneau qui provient de l’abbatiale de Bonlieu et les quatre verrières conservées dans celle d’Aubazines correspondent
        en tout point aux vitraux en usage dans l’ordre de Cîteaux, tels qu’ils sont définis dans les statuts édictés par les chapitres
        généraux tenus de 1134 à 1256, le premier du vivant de saint Bernard

        Eglise paroissiale Notre-Dame, Aubazines : verrière ornementale (baie 17).
        . Ces prescriptions enjoignaient les moines cisterciens de clore leurs églises de verre blanc, et défense leur était faite de les
        décorer de croix et d’images23, toute figuration étant susceptible de détourner de la prière. Le principe fut parfaitement
        obéi au 12e siècle en Limousin comme dans nombre de couvents tôt affiliés à l’ordre en France, en Allemagne, en Autriche,
        en Angleterre ou en Catalogne. De l’analyse archéologique de l’abbé Texier ressort que ces vitraux sont taillés dans des
        verres d’un blanc verdâtre, irréguliers et plutôt épais. Ils ne comportent pas de peinture et tirent leurs effets de la seule
        mise en plomb de leurs motifs ornementaux. Ceux des cinq œuvres conservées sont tous différents bien qu’apparentés :
        trois d’entre eux combinent diversement un dessin de palmettes pentalobées, les deux autres sont formés d’entrelacs.
        Quoique le motif végétal du vitrail de Bonlieu ait été mis en rapport avec un chapiteau à palmettes imbriquées provenant
        de Saint-Martial de Limoges24, ce vocabulaire formel ne peut être mis au compte d’inventions locales. On sait en effet
        que l’ordre cistercien diffusait des répertoires de modèles, « des formes sur catalogue, une sorte de prêt-à-porter de la
        simplicité » selon l’expression de Léon Pressouyre25, et que ce système décoratif épuré ne s’appliquait pas uniquement
        aux vitraux : les carreaux de pavements ou la sculpture, les enluminures ou les ferronneries pouvaient reproduire des
        ornements identiques, véhiculés par des recueils de dessins. Un exemple de ces carnets s’est conservé, le célèbre Reiner
        Musterbuch composé au début du 13e siècle dans la région de Salzbourg26.
        En mettant en évidence pour la première fois l’originalité des verrières romanes incolores à la lumière de celles qu’il
        avait découvertes, l’abbé Texier contribua largement, en attirant l’attention des historiens, à leur sauvegarde hors des

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        frontières de la province : son article confirma par exemple à Émile Amé, architecte attaché au département de l’Yonne,
        l’intérêt des vitreries qu’il y avait lui-même relevées dès 1842 à Pontigny et dans d’autres monuments bourguignons27.
        L’érudit limousin croyait tenir dans le panneau de Bonlieu le plus ancien vitrail connu, lui assignant une date antérieure à la
        consécration de l’église en 1141, et il considérait que les verrières d’Aubazines étaient à peine plus jeunes. Les recherches
        plus récentes ont corrigé ces datations trop précoces. On sait maintenant que l’église d’Aubazines, bâtie à partir de 1156,
        reçut ses vitraux autour de 1175, et que ceux de l’abbatiale de Bonlieu ont probablement été exécutés après l’entrée du
        couvent dans la grande famille cistercienne en 1163. Il n’en demeure pas moins que la région possède là d’exceptionnels
        exemplaires de ce genre de vitraux, devenus fort rares. De plus, contrairement à ceux de l’abbatiale corrézienne, ceux
        qui subsistent ailleurs sont conservés hors contexte à quelques exceptions près, comme les éléments qu’ont gardé quatre
        fenêtres hautes de l’église de La Bénisson-Dieu près de Roanne (Loire)28.
        Le vœu d’Adolphe Didron de voir imités les vitraux cisterciens par les peintres verriers modernes allait être entendu. Le
        dessin du panneau originaire de Bonlieu et ceux des verrières d’Aubazines ont bientôt servi de modèle sur d’innombrables
        chantiers de restauration d’églises romanes, dans la France entière. Ainsi les voit-on reproduits vers 1870 par Lucien
        Lachaize à Notre-Dame-du-Port de Clermont, par Noël Lavergne en 1886 dans plusieurs fenêtres du bras sud du transept de
        l’église Saint-Sernin de Toulouse, par Émile Hirsch dans l’ensemble de l’abbatiale de Solignac en 1887, ou vers 1892 par
        Félix Gaudin dans sept des baies de l’église d’Ydes dans le Cantal. À l’époque contemporaine, les vitraux conçus par Jean-
        Pierre Raynaud pour l’abbaye de Noirlac ou ceux de Pierre Soulages à Conques, sans se réclamer de leur descendance,
        leur font encore écho29.

        La production du 13e et du 14e siècle
        Des vitraux figurés et colorés du 13e siècle si bien représentés sur le territoire national, de Chartres à Clermont-Ferrand
        en passant par tant d’autres cathédrales, rien ne subsiste en Limousin. À défaut d’en être riches, on sait que certains
        monuments-phares de la région, hélas disparus, en furent pourtant dotés. La congrégation fondée en 1076 par le bénédictin
        réformateur Étienne de Muret, canonisé en 1189, avait été transférée à Grandmont après sa mort en 112530. La vaste église
        de ce monastère, consacrée en 1166, ne possédait pas moins de vingt-deux verrières de couleur, dont cinq dans lesquelles
        étaient associés des personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament. Elles sont documentées par la compilation
        manuscrite du Frère Pardoux de La Garde, religieux de l’abbaye mort en 159131, qui datait du 12e siècle ces œuvres «
        à la mode ancienne ». On peut préciser que ces vitraux, du moins une partie d’entre eux, avaient plus certainement été
        mis en place après 1200 : la fenêtre d’axe comprenait en effet le portrait de comte de la Marche Hugues de Lusignan -
        Hugues Brun -, qu’une inscription désignait explicitement comme le donateur (HUGO COMES MARCHIE FENESTRAM
        VITREAM DEDIT ECCLESIE) ; ce seigneur prit à la fin de sa vie le froc de Saint-Étienne et vécut jusqu’en 1208 au
        couvent de l’Écluse. D’après les chroniques de Bernard Itier, septième prieur de Grandmont, la gigantesque abbatiale de
        Saint-Martial de Limoges avait au moins une verrière avant 1215, date à laquelle est signalée sa ruine32. Celle qui l’a
        remplacée, la « grande vitre de couleur placée au-dessus du maître autel », existait encore au 17e siècle puisque les moines
        se préoccupaient de la réparer, engageant en 1602 le peintre vitrier Silvestre Pontut, dont l’atelier était établi à Grandmont,
        sans doute sous les auspices du monastère33.
        Des vitraux médiévaux ont également été signalés dans des édifices moins imposants. Dans la Creuse, la rose
        septentrionale de l’église Notre-Dame-de-l'Assomption de La Souterraine n’avait gardé en 1846 qu’un unique panneau
        de sa composition du 13e siècle, relevé par l’abbé Texier. On peut regretter que ce dernier n’ait pas exercé son expertise
        sur les panneaux décrits par Auguste Bosvieux dans l’ancienne commanderie de templiers de Chamberaud, dans le même
        département34 : au vu de la Crucifixion à commentaire allégorique alors placée dans la baie d’axe, un thème ancré dans
        la tradition romane qui se raréfia avant le milieu du 13e siècle, l’archiviste avait sans doute proposé pour eux une date
        bien trop tardive. Le martyre de saint Blaise, patron de l’endroit, et celui de saint Jean-Baptiste, qui figuraient dans les
        fenêtres latérales, étaient peut-être tout aussi anciens. Ces vitraux, qui passèrent dans le commerce d’art avant 1900, ne
        sont plus localisés.
        Les peintres verriers formaient déjà au temps de saint Louis un des trente-trois métiers constitués en corporations dans
        le quartier du Château de la capitale de la province35. Mais il faut attendre les années avoisinant 1300 pour trouver les
        premiers jalons concrets de leur production demeurés dans leur cadre d’origine. Encore ne s’agit-il, à la cathédrale de
        Limoges, que de menus éléments situés dans les tympans des chapelles rayonnantes orientales et dans ceux de la chapelle
        Sainte-Valérie, au bras nord du transept. Ces fenêtres, vitrées au cours de la première décennie du 14e siècle, étaient-
        elles entièrement dotées de verrières narratives de couleur, à la mode du siècle précédent ? Si la probabilité est forte en
        ce qui concerne la chapelle centrale, il paraît certain que les lancettes des autres n’avaient reçu que des ornements de
        grisailles, association également choisie à la cathédrale de Cologne vers 1290. L’emploi de verrières à dominante blanche
        était progressivement devenu plus fréquent après la construction de la Sainte-Chapelle de Paris, achevée en 1248, qui
        marqua en quelque sorte l’apogée des vitrages à coloration saturée : révolution esthétique ou désir d’économie, la mode
        fut bien avant la fin du siècle aux édifices admettant plus de clarté, ce qu’illustrait sans doute parfaitement le système
        adopté à Limoges.
        De l’ensemble des verrières de l’étage supérieur du chœur de la cathédrale posé dans les années 1320, quatre figures
        d’apôtres ont été épargnées, déplacées dans le narthex en 1888 mais autrefois associées telles qu’on les voit aujourd’hui

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                                                   Cathédrale Saint-Etienne, Limoges : saint Paul et saint Jean-Baptiste (baie 34).
        . Ces grands personnages permettent d’observer ce qui devait être la règle dans les fenêtres hautes, l’alternance colorée des
        fonds à l’intérieur d’une même composition, les niches à l’ouverture délicate supportées par de sveltes colonnettes, et le
        hanchement des silhouettes, souplement drapées d’étoffes qui laissent apparaître des doublures de tons contrastés. À ces
        figures s’ajoutent deux verrières restées cohérentes dans leur cadre initial, les fenêtres du rond-point. L’une est l’élégante
        Annonciation de la baie axiale, surmontée d’un Calvaire d’exécution raffinée dans la forme majeure de son tympan

        Cathédrale Saint-Etienne, Limoges : l'Annonciation (baie 100).
        . L’autre, voisine au nord, représente saint Martial auprès de sainte Valérie qui lui présente sa tête tranchée. L’économie
        générale des deux œuvres, demeurée intacte, aide à définir le programme formel primitif de l’ensemble du haut chœur,
        panachant représentations de couleurs soutenues et vitreries en grisailles à motifs diversifiés. Les personnages y sont
        abrités d’amples dais architecturaux largement teintés, qui n’occupent pas toute la hauteur des lancettes ; des panneaux
        d’ornements clairs ponctués de pièces colorées en complètent la surface autour de la zone figurée. Celle-ci étant
        cantonnée aux deux lancettes centrales dans les fenêtres quadruples des côtés, les grisailles y remplissent la totalité des
        formes latérales en plus de l’emplacement qui leur est dévolu dans celles du milieu. C’est cette association, sans doute
        omniprésente dans le vitrage de la cathédrale - bien avant que la restauration commencée en 1860 n’en accuse le parti
        sans nuances -, qui confère au monument une place de choix dans l’histoire du vitrail. Émile Mâle a salué la manière
        nouvelle que représente la formule dans laquelle les panneaux de grisailles jouent un rôle prépondérant ; il l’expliquait par
        le surcoût du verre coloré, qu’on aurait hésité à employer à mesure que les ouvertures devenaient plus vastes. Évoquant «
        le style qui devait triompher au 14e siècle », l’historien cite en exemple les beaux restes que possède Limoges, et renvoie
        à la description qu’en avait faite Ferdinand de Lasteyrie36.
        En un temps où l’art du vitrail est révolutionné par le jaune d’argent, une innovation technique qui apparaît dans les
        premières années du 14e siècle à Paris et à Rouen37, son emploi dans les vitraux de la cathédrale de Limoges constitue une
        intéressante question. L’usage de ce procédé, qui consiste à appliquer une teinte au pinceau et qui permet donc d’employer
        le plomb avec plus de parcimonie, ne se répandit que lentement : la plupart des provinces de la France méridionale ou
        l’Alsace, notamment, gardèrent longtemps une préférence pour le verre jaune teint dans la masse. Dans le vitrage de la
        cathédrale, plusieurs indices montrent que les peintres verriers limougeauds n’expérimentèrent le jaune d’argent qu’après
        1320 mais qu’ils le maîtrisaient parfaitement à l’issue du chantier, vers 1325-1327. Son emploi plus ponctuel dans les
        figures rescapées des fenêtres latérales de l’étage supérieur pourrait laisser supposer qu’elles étaient un peu antérieures
        à celles de l’abside, où les effets de la nouvelle teinture sont plus marqués dans les ornements vestimentaires. Viennent
        cependant tempérer cette impression les panneaux de grisailles restés en place au sommet de ces verrières latérales, une
        partie d’entre eux étant ornés de fleurons rehaussés d’or comparables à ceux, à peu près contemporains, d’une partie des
        fenêtres hautes de la cathédrale d’Évreux. Un autre jalon est fourni par les restes de verrières héraldiques de deux des
        chapelles juxtaposées au flanc nord du déambulatoire : l’une, probablement exécutée autour de 1320, ne comporte pas de
        jaune d’argent, à l’inverse de sa voisine vitrée, semble-t-il, après 1340.
        La production de cette période n’a laissé d’autres traces dans la région que les vestiges épars, dispersés dans près d’une
        trentaine des verrières de la cathédrale de Limoges, fortement complétés au cours de la grande restauration que subit
        l’édifice au 19e siècle. La rose du bras sud du transept avait été vitrée d’un Jugement dernier qui, s’il correspondait
        à la construction de son cadre de pierre, pouvait dater du troisième quart du 14e siècle ; mais les derniers morceaux
        qui permettaient d’en identifier le sujet ont disparu avant 1850. Le même siècle avait entre autre pourvu la cathédrale
        de Tulle d’une verrière dans laquelle figuraient saint Brice, saint Clair et sainte Madeleine, connue uniquement par un
        texte38. L’abbé Texier donnait également à la fin du 14e siècle trois vitraux domestiques en possession de l’un de ses
        contemporains, le chanoine Féret, une Éducation de la Vierge, son Couronnement et la Pentecôte « dans une élégante
        architecture gothique »39 ; en l’absence de toute preuve visuelle, on se gardera de se prononcer sur la validité de cette
        datation : s’il s’agissait bien de vitraux civils, on en aurait perdu là un exemple remarquablement précoce. L’érudit datait

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        des environs de 1370 l’écu armorié jadis placé au centre de la rose méridionale de la collégiale d’Eymoutiers, celui des
        Roffignac, pièce maintenant perdue, qu’il avait pu examiner chez Maurice Ardant, son propriétaire. Ses observations
        techniques très précises sur les verres gravés de cette pièce – les meubles héraldiques rouges dégagés par abrasion sur le
        fond blanc, lui-même repris au jaune d’argent - peuvent correspondre à la date qu’il a avancée, appuyée sur des critères
        historiques40. On peut en revanche aujourd’hui réfuter que la collégiale ait conservé d’autres verrières du même temps :
        les fragments d’une grande Annonciation relogés au flanc nord du chœur depuis 1872, et le Calvaire inscrit dans la rose
        septentrionale du transept, auxquels on a voulu assigner une date voisine, sont manifestement des créations postérieures
        à l’achèvement de la reconstruction de l’édifice vers 1480.
        L’Adoration des mages qui occupe la partie cintrée de la petite fenêtre romane du chœur de la modeste église d’Augne,
        en Haute-Vienne, pourrait en revanche s’accommoder d’une date aussi haute

                                                                       Eglise Saint-Pierre-ès-Liens, Augne : l'Adoration des mages.
        . L’abbé Texier, qui considérait que la verrière était la plus ancienne de toutes celles du 15e siècle de la région, rapporte
        qu’elle était complétée par une Annonciation. Le panneau qui subsiste reste de premier intérêt bien qu’il ait perdu presque
        toute lisibilité du fait de la corrosion des verres, et qu’un malencontreux remontage – la peinture placée en face externe
        – ajoute aux difficultés de sa lecture. Le schéma iconographique s’y trouve concentré en une composition dense, à la
        coloration saturée, s’enlevant sur un fond de larges rinceaux gras. Les plombs minces, partiellement d’origine, soulignent
        des coupes délicates, qui font conclure à une œuvre d’excellente exécution, réalisée à partir d’un carton des plus soignés.
        Le commanditaire d’une verrière de cette qualité fut probablement un personnage de haut rang, peut-être l’occupant du
        château tout voisin de La Rivière, le panetier de Charles VII Jean de L’Hermite, ou l’un de ses ascendants. Attestent de sa
        facture précieuse les mains des personnages aux longs doigts effilés, la stylisation de leurs chevelures et la peinture des
        visages, aussi précise que celle des drapés souples. La représentation, qui renvoie aux enluminures de riches manuscrits
        tels que la petite Bible historiale du roi Charles V, peinte à Paris en 1362-136341, se rattache au courant du « gothique
        international » qui régna en Europe autour de 1400. N’était le dallage en damiers du sol, d’une formule restée familière
        après 1450 à Limoges, à Solignac ou à Eymoutiers, il serait tentant de vieillir cette scène de plusieurs décennies. Elle
        paraît procéder d’un modèle archaïsant utilisé autour de 1400 ; tout point de comparaison manque cependant pour la situer
        plus précisément.

        De 1450 à 1500, un demi-siècle fertile
        L’histoire des vitraux limousins s’articule de manière plus substantielle à partir du milieu du 15e siècle. Comme sur
        l’ensemble du territoire du royaume, la paix rétablie après la Guerre de Cent Ans, marquée dans la région par l’expulsion
        définitive des Anglais de l’Aquitaine en 1453, favorisa la remise en état de nombreux monuments. L’abbé Arbellot put
        ainsi dénombrer plus de cinquante églises de la région restaurées ou reconstruites dans les décennies qui suivirent42.
        Monté dans une chapelle latérale de l’église de Panazol, dans la banlieue de Limoges, un petit Calvaire peint en grisaille
        et jaune d’argent sur fond de damas bleu sombre pourrait illustrer les prémices de ce mouvement. L’œuvre peut avoir été
        réalisée vers 1450, si ce n’est un peu plus tôt : en Ille-et-Vilaine, les vitraux plus ou moins comparables de Moigné et
        de Betton, ces derniers maintenant conservés au musée national du Moyen Âge, appartiennent au deuxième quart du 15e
        siècle43. Mais l’emplacement primitif du panneau, et même l’édifice auquel il était destiné, sont en fait incertains, l’abbé
        Texier le passant sous silence en 1846. L’église l’aurait-elle recueilli à l’occasion de sa restauration, comme les colonnes
        et les chapiteaux rapportés dans le portail en provenance des ruines du couvent des Bénédictins de Limoges ?
        Le chevet plat de l’église paroissiale Saint-Michel-des-Lions de Limoges s’orne de grandes verrières bien plus
        significatives, deux séries légendaires conséquentes, que Prosper Mérimée avait comparées à un jeu de cartes étalé44.
        À leur place d’origine, de part et d’autre de la fenêtre d’axe, sont conservées une Vie de la Vierge du côté sud et celle
        de saint Jean-Baptiste au nord, récits soigneusement mis en page dans des bordures ornées du lys de France couronné.
        Leur exécution peut être située vers 1455, en rapport avec la date de consécration de l’édifice, ce que ne démentent pas
        les personnages vêtus à la mode du temps de Charles VII ; on remarque pourtant, dans l’histoire de la Vierge, quelques
        sveltes silhouettes féminines qui préfigurent les personnages caractéristiques des émaux peints par le Maître aux Grands
        Fronts, dont la production n’est guère antérieure à la fin du siècle. De même conception formelle, ces verrières, qui
        comptaient chacune dix-huit scènes dans leur état primitif, ont subi des pertes au fil des siècles, compensées par des
        adjonctions introduites autour de 1860 par le Bordelais Joseph Villiet. Si les encadrements du cycle marial ont quelque
        peu souffert de cette restauration, pliés à l’économie d’un moderne Arbre de Jessé, les édicules de l’autre série ont gardé
        toute leur authenticité. La légende du Précurseur est retracée en une succession d’habitacles plus ou moins carrés, caissons

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        très plastiques et à l’ornementation variée, coiffés tantôt d’arcs surbaissés, tantôt d’arcs en accolade ou d’auvents à clés
        pendantes, aux montants parfois surchargés de statuettes. Des tentures damassées de diverses couleurs meublent le fond
        des niches des deux suites, même lorsque les scènes se déroulent en plein air, comme la Fuite en Égypte

                                                            Eglise Saint-Michel-des-Lions, Limoges : la Fuite en Egypte (baie 2).
        ou le Baptême du Christ. Le goût de ces compartiments architecturaux voûtés, carrelés et creusés de petites fenêtres paraît
        avoir été vif dans les ateliers limougeauds de la seconde moitié du 15e siècle : ils se retrouvent vers 1475 dans plusieurs
        panneaux de l’église de Solignac

        Eglise Saint-Pierre-et-Saint-Paul, Solignac : saint Austriclinien et saint Alpinien (baie 3).
        et, à peine plus tard, autour des donateurs des baies latérales de l’abside de la collégiale d’Eymoutiers, ou encore dans
        une « sainte conversation » intégrée à l’un des panneaux d’antiquaire que conserve le musée des Beaux-Arts de Limoges.
        Les tableautins de Saint-Michel-des-Lions, juxtaposés dans leurs logettes de cinquante centimètres de côté, appellent
        la métaphore théâtrale, évoquant les décors bâtis qui servaient de cadre aux mystères joués sur les parvis des églises.
        L’abbé Texier y avait dénombré plus de deux cents figurines : les niches sont en effet densément occupées, les acteurs
        principaux de chaque épisode étant flanqués de plusieurs figurants. Plutôt que l’expression généralement placide des
        protagonistes, c’est leur gestuelle qui anime ces représentations. Certains personnages discutent en comptant sur leurs
        doigts les arguments selon les lois de la rhétorique, d’autres expriment leur surprise ou leur déférence en levant une
        main ou en la portant à leur couvre-chef. La très petite échelle des scènes n’a pas fait obstacle à l’insertion de quelques
        paysages à fabriques miniaturistes, comme celui qu’on entrevoit par la fenêtre de la chambre natale du Baptiste. Des
        accessoires, souvent minuscules, contribuent à donner vie aux récits. Auprès de la table à tréteaux du festin d’Hérode,
        un serviteur semble tenir un languier, objet signalé dans les inventaires princiers du 15e siècle, constitué de langues de
        serpents groupées sur une pièce d’orfèvrerie, destiné à détecter l’éventuelle présence de poison dans les mets. Dans la
        Présentation du Christ au temple et dans les deux scènes de Circoncision, des suivantes apportent les offrandes faites
        au grand-prêtre à l’occasion des cérémonies, des colombes blotties dans des paniers. La Sainte Famille chemine vers
        l’exil égyptien en emmenant le bœuf de la crèche, dont la silhouette se profile derrière l’âne qui transporte la Vierge et
        l’Enfant. On pourrait multiplier ces observations, chaque scène comprenant d’amusants détails, qui relèvent davantage
        de l’invention d’un enlumineur que de celle d’un cartonnier rompu à la conception des décors monumentaux. La suite
        de saint Jean-Baptiste trouve des points de comparaison dans certains manuscrits contemporains, par exemple dans les
        figures un peu raides des miniatures d’un missel à l’usage de Nantes conservé à la Bibliothèque du Mans45. On ne peut
        pourtant relier cette imagerie à celle des livres produits à la même époque dans la Marche à l’usage de son seigneur,
        le comte Jacques d’Armagnac, grand bibliophile, qui se fournissait à Paris mais qui avait aussi attiré sur ses terres des
        peintres à son service, tels que Évrard d’Espinques, originaire de Cologne et établi à Ahun46.
        Le tympan de la verrière mariale de l’église Saint-Michel a d’autre part gardé l’essentiel d’une Transfiguration dans
        laquelle l’apôtre saint Jacques est curieusement représenté entre des clochers environnés de coquilles, qui paraissent faire
        allusion au pèlerinage de Compostelle

        Eglise Saint-Michel-des-Lions, Limoges : la Transfiguration, saint Jacques le Majeur ébloui par l'apparition (baie 2).
        . Sous ces panneaux, les sommets des dais architecturaux conservés dans les trois têtes de lancettes sont percés de trois
        niches aujourd’hui vides ; une mention de l’abbé Texier laisse deviner que leur vocation première était d’abriter des

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        statuettes d’Adam et d’Ève et l’arbre du Péché originel, complément de l’histoire de Marie nouvelle Ève. Le même rappel
        typologique, très en vogue au milieu du 15e siècle comme le prouvent deux des verrières offertes à la cathédrale de
        Bourges par l’argentier Jacques Cœur, figure également dans un tympan du chœur de l’église d’Eymoutiers.
        L’ancienne collégiale d’Eymoutiers était déjà un centre religieux des plus importants au 13e siècle si l’on en juge par
        la brillante carrière de plusieurs de ses chanoines47. On ignore si le chœur de l’église était alors clos de vitraux dignes
        de l’endroit, le massif oriental ayant été entièrement rebâti à partir de 1451, ce qu’assurent les bulles papales émises en
        1475 et en 1477 en faveur du monument. Cette partie de l’édifice possède quatorze verrières de la seconde moitié du
        15e siècle, somptueux ensemble demeuré quasiment complet, sans conteste le plus important de la région. À première
        vue homogène, la série où règne en majorité les camaïeux de grisaille et de jaune d’argent présente bien des disparités,
        noyées dans le dénominateur commun du parti général : une douzaine des fenêtres présente des personnages en pied
        de grandes dimensions, disposés dans des niches surmontées d’importants tabernacles. Le maître maçon qui dirigeait le
        chantier, Jacques Michel, demeurant à Limoges, on peut supposer que les ateliers invités à vitrer la nouvelle œuvre y
        étaient également implantés. Sans doute doit-on à l’architecte le choix d’orner les bas-côtés de vitraux très clairs, pour
        ménager le meilleur éclairage possible à l’intérieur du vaisseau : les figures de saints, drapées d’étoffes blanches qui
        laissent à l’occasion apparaître des doublures teintées, ne se distinguent de leurs édicules que par leur mise en page devant
        des tentures rouges, bleues, vertes ou pourpre. La formule n’était pas nouvelle, déjà expérimentée autour de 1420 dans
        les verrières de l’étage supérieur du chœur la cathédrale de Quimper, ou vingt ans plus tard dans les chapelles de l’église
        Saint-Maclou de Rouen.
        Une bonne part des vitraux des collatéraux de la collégiale devait être posée avant ceux de l’hémicycle, peut-être dès
        avant 1470 au nord, où les archaïsmes sont plus sensibles que dans les verrières des travées orientales du côté sud, bien
        que d’un système formel très voisin. On sait que la reconstruction du chœur se fit en partie avec l’aide de fonds fournis
        par la Couronne, à laquelle font hommage des clés de voûte armoriées dans les deux bas-côtés. Le roi Louis XI, qui se
        rendit plusieurs fois en Limousin, notamment en pèlerinage à Saint-Martial de Limoges et à Notre-Dame du Pont de Saint-
        Junien en 1463 et l’année suivante48, semble s’être intéressé personnellement à Eymoutiers, ce que mentionne la bulle
        papale de 1475. Le chantier du bas-côté méridional bénéficie du reste de repères chronologiques liés à l’histoire de la
        monarchie. D’une part, comme dans la rose sud de la cathédrale d’Évreux, des marques saluent la naissance du futur
        Charles VIII en juin 1470, indiquant que les travaux y étaient alors en pleine activité ; l’une est sculptée sur une clé de
        voûte, l’autre consiste en de minuscules écussons peints sur l’un des vitraux49. D’autre part, la verrière que la confrérie de
        Saint Psalmet avait fondée en l’honneur de son saint patron, au-dessus de l’autel qui lui était dédié au fond de l’absidiole
        sud, est vraisemblablement antérieure à 1475 : figure en tête des confrères le portrait du roi, identifiable par la couronne
        déposée à ses pieds, placé là en tant que « membre d’honneur » de cette pieuse assemblée. Dans le seigneur qui lui fait
        face doit sans doute être reconnu le comte de la Marche Jacques d’Armagnac, lui aussi nommé dans la bulle pontificale,
        mais bientôt arrêté et mis à mort après avoir été convaincu de trahison

                  Eglise paroissiale Saint-Etienne, Eymoutiers : Louis XI, Jacques d'Armagnac (?) et les membres de la confrérie de
                                                                                                            Saint-Psalmet (baie 6).
        .
        Les documents fiables manquent par ailleurs pour préciser l’identité des donateurs dont l’image s’est conservée au
        bas de certaines verrières du flanc nord et du chevet. Les seules armoiries authentiques, dans la fenêtre gauche de
        l’abside, demeurent mystérieuses, et les autres sont des réfections modernes qui n’autorisent aucune déduction sérieuse.
        La participation présumée des membres de la famille de Comborn seigneurs d’Enval contemporains du chantier, Guichard
        ou son fils Louis, n’a pas laissé de preuve sur les vitraux ; ils possédaient pourtant leur chapelle funéraire dans la collégiale,
        et leur écu armorié est sculpté sur la première clé de voûte du collatéral nord50.
        Les cinq verrières du rond-point de la collégiale, hautes de plus de dix mètres, se distinguent de celles des bas-côtés non
        seulement par leur élancement, mais encore par une plus grande intensité colorée et par une exécution très maîtrisée, mise
        au service de cartons d’une indéniable qualité. L’une d’elles, à gauche de l’axe, comprend le portrait de l’un des deux
        évêques Barthon de Montbas qui se succédèrent à Limoges en 1485, ce qui induit une fourchette chronologique large.
        Mais c’est à l’évidence à Jean I Barthon, élu en 1457, que se rapportent les armoiries qui timbrent à la fois ladite verrière
        et la voûte de la travée occidentale du chœur

12 juillet 2022                                                                                                                              Page 8
Présentation de l'aire d'étude : Corpus Vitrearum - Inventaire ... Présentation de l'aire d'étude : Corpus Vitrearum - Inventaire ...
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