Présentation de l'étude sur les villas mexicaines du canton de Barcelonnette

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Présentation de l'étude sur les villas mexicaines du canton de Barcelonnette
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       présentation de l'étude sur les villas mexicaines du canton de
       Barcelonnette

       Références du dossier
       Numéro de dossier : IA04000085
       Date(s) de rédaction : 2003
       Cadre de l'étude : enquête thématique régionale villas mexicaines du canton de Barcelonnette

       Désignation
       Aires d'études : Barcelonnette
       ,
       Milieu d'implantation :
       Références cadastrales :

       Etude historique et analyse architecturale

       1. Situation géographique
       Les exploits alpins du révérend Coolidge dans la haute vallée de l’Ubaye (ascension de l’Aiguille du Chambeyron, 3400
       mètres, le 28 juillet 1879) et la tenue à Barcelonnette en 1898 du congrès du Club alpin français révèlent à la France la
       plus provençale de toutes les vallées des Alpes occidentales : la vallée de l’Ubaye.
       Encadrée au nord par les territoires hauts-alpins de l’Embrunais et du Queyras, la vallée de l’Ubaye, long couloir creusé
       par le lit de l’Ubaye (affluent de la Durance), s’étire d’ouest en est, sur près de 80 kilomètres entre la frontière italienne
       à l’est et le lac de Serre-Ponçon à l’ouest. Une série de hautes crêtes entoure la vallée délimitée au sud par trois grands
       cols, Restefond (2900 m), la Cayolle (2326 m) et Allos (2250 m) qui débouchent respectivement sur les vallées voisines
       de la Tinée, du Haut-Var et du Haut-Verdon.
       L’orientation est-ouest marque fortement le paysage, opposant deux versants particulièrement contrastés : au sud, l’adret,
       très ensoleillé, abrite cultures, pâturages et habitat ; au nord, l’ubac, plutôt frais et humide, couvert de forêts et de sources,
       mais où cultures et bâti réussissent à s’implanter. Les villas profiteront toujours du versant de l’adret (« l’adroit »).
       L’axiome vital de la meilleure et de la plus longue exposition au soleil, qui a conduit la ville médiévale de Barcelonnette
       à se développer au pied de l’adret, préside lui aussi à l’implantation de l’ensemble des villas, conforté par les exigences
       nouvelles de la villégiature. À Jausiers, orienté nord-sud, situé en fond de vallée, les villas bénéficieront de deux adrets
       pour jouir de la meilleure exposition au sud. Cette implantation sélective aura des conséquences directes sur l’urbanisme
       et le rendu architectural.
       Le bassin de Barcelonnette
       Au sein de cette entité géographique et climatique se distinguent clairement deux zones : la zone centrale appelée «
       la cuvette », qui du Lauzet à Jausiers délimite le bassin de Barcelonnette (ou la moyenne vallée), et les quatre vallons
       adjacents qui composent la haute et la basse vallée : les vallons du Laverq, du Bachelard, de l’Ubayette et de la Haute-
       Ubaye, dont les altitudes moyennes particulièrement élevées culminent à plus de 2000 mètres.
       Dans le bassin central de Barcelonnette se trouve, outre les meilleures terres utilisées pour l’agriculture, la plus forte
       concentration de bâti qui bénéficie d’un espace à la fois plat et vaste. « Ce vaste creux topographique providentiel pour
       l’activité humaine et son économie » est délimité par un ensemble de hautes crêtes : le Chapeau de Gendarme (la Méa,
       2560 m), le Pain de Sucre (le Lan, 2560 m), le massif des Séolanes (3000 m) et la Grande Séolane (2909 m).
       C’est là que choisiront de s’installer les futurs propriétaires des villas, dans un désir de se regrouper mais aussi par nécessité
       géographique. Peu de villas ont été construites dans la haute vallée, creuset de l’émigration vers le Mexique : à Saint-
       Paul (villa Signoret), aux Gleizolles (villa Garcin), à Maurin (villa Albertin), à Saint-Ours (villa Balp), à Tournoux (villa
       Fabre), à la Condamine (villa Reynaud). Les trois ou quatre villas édifiées à Larche, zone frontière avec l’Italie, ont été
       détruites lors des affrontements de 1945.
       Les hautes vallées
       À l’inverse, les hautes vallées composent « l’univers montagnard par excellence », remarquable par la succession de
       sommets abrupts (Brec de Chambeyron, 3389 m, les Aiguilles, 3412 m, la Pointe Panestrel, 3254 m).

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       Située en amont, la vallée de l’Ubayette, ouverte sur le versant italien par le col de Larche (1997 m), a toujours constitué
       un des accès importants pour la vie économique de la vallée, emprunté par les immigrants piémontais venus chercher du
       travail en Ubaye : les faucheurs, suivis dès 1870 par les maçons, peintres, marbriers, tailleurs de pierre et sculpteurs attirés
       par les chantiers des villas et des chapelles funéraires.
       Au centre, le vallon du Bachelard, affluent de rive gauche qui rejoint l’Ubaye à Barcelonnette, abrite le bassin de Fours,
       creuset d’une importante migration dès le XVIIe siècle vers les Flandres, qui devance de plus d’un siècle le mouvement
       migratoire vers la Louisiane (1805) et le Mexique (1850-1950).
       Enfin, à l’aval de Barcelonnette, le val du Lauzet, longue gorge de 28 kilomètres creusée par l’Ubaye, constitue la porte
       étroite pour entrer dans la vallée. Son accès fut longtemps réputé impraticable avant l’établissement de la route nationale
       100 décidée en 1854. Baptisée par Napoléon III « route impériale d’Espagne en Italie », elle permet enfin à la vallée de
       disposer d’une voie carrossable et du seul accès possible en l’absence d’une ligne de chemin de fer reliant Barcelonnette
       à Chorges (programmée en 1879 et définitivement abandonnée en 1941). L’ achèvement de la route en 1883 correspond
       aux premiers mouvements importants de marchandises et de matériaux indispensables aux chantiers des villas.
       Considérée tout au long de son histoire comme un axe éminemment stratégique entre le Piémont et la Provence, la vallée
       de l’Ubaye devient, dès son rattachement à la Savoie (1388) et jusqu’à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, un enjeu
       militaire sur les deux versants alpins. D’importants ouvrages de fortifications sont réalisés depuis l’intervention directe
       de Vauban en 1692 (redoute de Berwick), jusqu’à l’implantation, entre 1931 et 1939, d’imposants ouvrages bétonnés de
       la ligne Maginot. Contemporain des toutes premières villas, l’important chantier du fort de Tournoux (1846-1886) fait de
       la même façon appel aux matériaux autochtones, utilisant avantageusement la belle pierre marbrière de Serennes, signe
       distinctif des premières villas et des premières chapelles funéraires.
       Une vocation touristique
       Les premières descriptions vantant les paysages de l’Ubaye sont l’apanage des alpinistes anglais qui découvrent la vallée
       dans les années 1880. Sous la plume du révérend Coolidge, le Guide alpin de Ball (le guide anglais le plus complet pour
       les Alpes) met l’accent sur la beauté du site du Chambeyron. Grand découvreur des Alpes du Sud, le chevalier Victor
       de Cessole (1859-1940), alpiniste et photographe, contribue aussi à la découverte des cîmes de l’Ubaye qu’il fréquente
       assidûment en compagnie de ses amis ubayens, le docteur Marius Devars et le notaire François Arnaud. Dans la vallée,
       la section locale du Club alpin français de Barcelonnette, créée en mars 1875, milite pour « faire connaître les montagnes
       trop peu connues de la Vallée de Barcelonnette, qui au point de vue pittoresque, ne le cèdent en rien aux sites si fréquentés
       de la Suisse. » (François Arnaud).
       Publié en 1914, à l’initiative d’un artiste-peintre, Jean Caire (1855-1935), le premier guide de la vallée s’attache à décrire
       les richesses de son patrimoine naturel, les ressources de son climat, son ensoleillement exceptionnel qui attirent peu à peu
       une nouvelle clientèle bourgeoise « désireuse de faire des cures d’air et passer à la montagne la saison des fortes chaleurs
       ». Quittant leurs résidences hivernales de la Côte-d’Azur, les propriétaires des villas donnent le ton et s’installent pour
       l’été à Barcelonnette, entraînant dans leur sillage une nouvelle clientèle de riches estivants.
       La forte concentration de villas transforme peu à peu la vocation urbaine de Barcelonnette. À partir des années 1920, la
       capitale de l’Ubaye s’engage dans une politique régulière d’embellissement de la ville qui représente une des plus grosses
       dépenses annuelles, « dans le but d’attirer de plus en plus le mouvement touristique qui se développe davantage chaque
       année ». L’architecte Bouvène est chargé de dresser les plans d’aménagement et d’extension de la ville qui donnera à
       Barcelonnette « déjà si coquette et si propre, le complément d’agrément nécessaire pour la rendre vraiment pittoresque
       ». En 1923, Barcelonnette demande l’application de la loi du 14 mars 1919 sur les plans d’aménagement et d’extension
       des villes présentant un caractère pittoresque ou artistique.
       Une commission mixte d’embellissement de la ville est constituée en 1926 sur la proposition du très actif Jean Caire,
       composée de délégués du conseil municipal et du syndicat d’initiative au sein desquels siègent de nombreux propriétaires-
       rentiers. Deux ans plus tard, Barcelonnette obtient son classement comme station de tourisme (décret du 20 décembre
       1928). Conscients du développement exceptionnel que prend la circulation touristique de la vallée, les voyageurs étant
       de plus en plus nombreux, les propriétaires des villas s’associent pour créer une entreprise de transports publics, « les
       Messageries de Barcelonnette », et investissent dans la création d’un hôtel moderne, baptisé « Grand Hôtel des Alpes »
       disposant de quatre-vingt chambres pour répondre aux besoins croissants du trafic de la grande Route des Alpes. « La
       plus belle route de montagne du monde » (Léon Auscher, Touring Club de France) qui relie Évian à Nice, passe par
       Barcelonnette et contribue à son essor.
       Dans les années 1930, une nouvelle activité touristique voit le jour : celle des sports d’hiver. Pratiqué dans la vallée
       avant 1914 par les militaires, le ski se développe et attire une clientèle étrangère aisée. Une première station de sports
       d’hiver est créée au Sauze en 1935, une des premières stations de sport d’hiver françaises équipée d’une remontée
       mécanique. Deux nouvelles stations de ski sont implantées à Sainte-Anne (1955), puis à Pra-Loup (1967). Aujourd’hui,
       le développement et la diversification des activités touristiques (sports d’hiver, sports d’eau vive, randonnées, escalade)
       et culturelles (itinéraires du patrimoine bâti, églises, fortifications, fours, moulins et musées) continuent de nourrir la
       vocation touristique de la vallée, représentant un enjeu économique important.

       2. Contexte historique
       Une civilisation alpine ancienne
       Comme toutes les vallées alpines peuplées depuis la fin de l’époque glaciaire, sans doute par des bergers ligures venus
       des rives de la Méditerranée en quête d’herbe fraîche pour leurs troupeaux, la vallée de l’Ubaye connaît une romanisation
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       tardive et légère. Siège de la peuplade des Savincates qui pratiquent la culture, l’élevage et l’artisanat domestique grâce
       au bois et à la laine de leurs troupeaux, la vallée, devenue province d’Empire (province romaine des Alpes maritimes)
       change plusieurs fois de juridiction. Elle fait successivement partie des royaumes d’Italie (843), de Bourgogne (855),
       d’Arles (873) et de l’Empire romain germanique (1032) avant de passer, à partir de 1162, sous la dépendance du comté
       de Provence sous le nom de « terres adjacentes ».
       Une vague de prospérité s’empare alors du territoire alpin qui bénéficie de l’arrivée massive de colons italiens fuyant le
       royaume de Naples. L’économie de la vallée profite aussi du développement des villes de la basse Provence et de leurs
       besoins croissants en viande, laine et bois. « La montagne devint, sur le plan économique, le complément nécessaire des
       productions du Bas-Pays. » (Georges Duby).
       Fondation-reconstruction de Barcelonnette
       L’implantation dans le premier tiers du XIIIe siècle, d’une ville neuve au centre de la vallée, à mi-distance des bourgs
       de Saint-Pons et de Faucon, accompagne le développement du territoire alpin à l’époque médiévale. Composée d’îlots
       régulièrement bâtis et enfermés dans une enceinte flanquée de vingt-deux tours et percée de quatre portes, la nouvelle
       agglomération, baptisée « Barcelone », adopte le schéma urbain des bastides contemporaines. Dotée par Raymond
       Bérenger V d’une charte qui lui accorde les droits d’une communauté autonome, Barcelonnette est alors une des grosses
       villes de Provence où s’implante en 1316 un important couvent de Dominicains. Le plan de Barchinona (Barcelone), daté
       de 1677, met bien en évidence le damier médiéval et témoigne de son maintien, au-delà des incendies et des destructions
       qui marquent son histoire jusqu’à l’époque moderne.
       Savoyards jusqu’au traité d’Utrecht (1713)
       Indisposés par la politique ruineuse de conquêtes italiennes menées par la nouvelle famille comtale, les habitants de la
       vallée obtiennent, entre 1383 et 1388, leur rattachement au duché de Savoie, en même temps que le comté de Nice. Du
       XVe au XVIIe siècle, les comtes de Provence, puis les rois de France se disputent âprement la propriété de la vallée et
       sa situation stratégique qui permet de contrôler simultanément les routes du Piémont, du Dauphiné, de la Savoie et de
       la Provence. Entre 1388 et 1713, la vallée change ainsi dix-sept fois de suzeraineté tout en conservant son autonomie
       administrative, ses usages et sa langue. Le 11 avril 1713, le traité franco-savoisien d’Utrecht rattache définitivement
       la vallée de Barcelonnette à la France, jusqu’à la « sommité des Alpes ». Les habitants négocient alors à Versailles
       pour dépendre non pas du Dauphiné, leur voisin géographique, mais de la Provence avec qui ils entretiennent des liens
       économiques étroits : la transhumance, le commerce du bois et les migrations saisonnières.
       Avec la paix retrouvée, Barcelonnette se dote d’un ensemble remarquable de constructions urbaines classiques
       régulièrement ordonnancées qui serviront de modèles aux premières villas. Les voyageurs et chroniqueurs mettent tous
       l’accent sur la qualité de l’urbanisme de la gente cité : « Les maisons y sont en général bien bâties ; celles qui appartiennent
       à des propriétaires riches sont couvertes en ardoise ; les particuliers moins aisés emploient à cet usage des plaques de bois
       de mélèze (bardeaux). Ce genre de toiture et sa forme haute et aiguë donnent à ces édifices un aspect tout particulier.
       » (Voyage du préfet Christophe de Villeneuve Bargemon, 1806). Alignées au sud et au nord du périmètre médiéval,
       les élégantes demeures abritent souvent un escalier à caractère monumental où alternent rampes à balustres en plâtre
       cantonnées de colonnes et rampes en fer forgé très ouvragé.

       3. La tradition de l’émigration
       « Tous entrepreneurs de leur fortune »
       « Ils naissent tous entrepreneurs de leur fortune. On n’a qu’à leur ouvrir la porte, leur laisser le chemin libre et leur montrer
       la pomme au bout du monde, ils y courent et ils y mordent.» (Pascalis, prieur de Molanès, 1689).
       L’économie de la vallée, ouverte depuis toujours aux échanges et au commerce, repose alors en grande partie sur l’activité
       textile qui associe, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, manufactures de laine et filatures de soie. Sous le règne de
       Louis XIV, les manufactures de laine implantées à domicile produisent plus de 4000 pièces de drap et de la serge (mélange
       de laine et de chanvre) de très bonne qualité, destinées en grande partie à l’exportation. Installées à Jausiers et à Uvernet,
       les filatures de soie bénéficient des techniques piémontaises et font l’admiration des soyeux de Lyon où bientôt les «
       barcelonnettes » ouvriront des maisons de soieries parmi les plus renommées.
       Chaque hiver, les habitants de la vallée, formés très tôt à « l’art d’être marchand », quittent ainsi le pays pour aller vendre
       leur production de draps et de soieries en Provence, en Dauphiné, au Piémont. Cette liberté du commerce, « qui les rappelle
       et les ramène des provinces les plus reculées d’Europe… » (Pascalis, 1689), les pousse toujours plus loin vers le monde
       citadin : Turin, Aix, Lyon, Dijon, Bruges et Amsterdam où ils s’intègrent peu à peu à la population.
       Au milieu du XIXe siècle, l’émigration définitive remplace l’émigration saisonnière et conduit les entrepreneurs de la
       vallée jusqu’en Amérique où ils développeront des commerces de tissus puis des ateliers de filature et tissage.
       Voyage aux Amériques, l’étape louisianaise
       Pendant longtemps, les habitants de la vallée de l’Ubaye, « familiarisés depuis des générations avec le commerce et
       les voyages… » (Pierre Coste), hésitent entre les États-Unis, particulièrement la Louisiane au souvenir français, et le
       Mexique. Dès le XVIIIe siècle, plusieurs familles de la vallée (familles Gilly, Caire, Couttolenc, Teissier, Bellon, Jaubert,
       Graugnard, etc.) émigrent sur les bords du Mississipi et deviennent exploitants agricoles. Descendant de la puissante
       famille Laugier-Arnaud (banquiers, négociants en soie, avocats), Jacques Arnaud part vers 1804 pour les Amériques et
       choisit à son tour la Louisiane acadienne, rattachée aux États-Unis en 1805. Installé à la confluence du bayou Tèche et
       du bayou Fuselier (dit l’Habitation des Arnaud), au nord de La Fayette, il devient responsable d’une exploitation rurale
       avant d’installer, le premier, une entreprise commerciale au Mexique.
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       C’est à Mexico, au cœur de la capitale, que Jacques Arnaud ouvre vers 1818-1820 un magasin de tissus et nouveautés, situé
       à l’angle du passage de Porta Cœli, face à la cathédrale et baptisé El cajon de las siete puertas. On y trouve aussi toutes sortes
       de produits utiles à la vie domestique. Associés dans ce commerce, les trois frères Arnaud de Jausiers, Jacques, Dominique
       et Marc-Antoine, sont ainsi les premiers à s’établir au Mexique alors encore en lutte pour son indépendance (1821). Ils
       n’auront pas le temps de voir grandir le commerce de tissus aux mains de leurs compatriotes : Jacques, l’initiateur du
       mouvement migratoire vers le Mexique est assassiné en 1828 à Guanajuato, Marc-Antoine meurt en 1846 et Dominique
       disparaît à son tour deux ans plus tard.
       Les trois frères Arnaud de Jausiers avaient ouvert la voie aux soyeux du Mexique. Durant 150 ans, les habitants de la vallée,
       particulièrement ceux de la haute vallée, allaient émigrer sur le territoire mexicain et prendre le nom de « barcelonnettes
       ». C’est sous cette dénomination que seront désormais identifiés tous les habitants de la vallée de Barcelonnette installés
       au Mexique.
       Les soyeux du Mexique
       La jeune république fédérative des états du Mexique proclamée en 1824, mettant un terme à trois siècles de domination
       espagnole, attire de nombreux entrepreneurs étrangers, principalement européens : Anglais, Allemands, Italiens et
       Français. Cette ouverture sur l’extérieur, qui caractérise la conquête de l’indépendance entreprise par le Mexique depuis
       1810, se révèle particulièrement faste pour la communauté française, considérée depuis la fin du XVIIIe siècle comme «
       l’agent principal des grandes modernisations du pays » (Alfonso Alfaro). Après avoir nourri longtemps la fiction littéraire
       et philosophique, de Montaigne à Alexandre Dumas, le Mexique devient, à partir du Second Empire, un pôle d’attraction
       pour tous les investisseurs et hommes d’affaires français.
       Avant 1850, la plupart des émigrants français sont originaires d’Aquitaine, des Pyrénées, du Béarn, du Gers, une minorité
       venant du village de Champlitte en Bourgogne. Après cette date, les émigrants alpins, originaires de Digne, Oraison,
       Sisteron, Seyne-les-Alpes et surtout de la vallée de Barcelonnette, sont les plus nombreux. En 1910, sur 6000 français
       émigrés au Mexique, 4800 sont natifs de celle-ci. Pendant plus d’un siècle, de 1840 à 1950, leur disposition naturelle
       pour le commerce, fameuse depuis le XVIIe siècle, place les entrepreneurs barcelonnettes parmi les grandes figures du
       commerce et de l’industrie. Une position que le bref épisode de l’intervention française au Mexique sous Napoléon III
       (1862-1867), et l’installation de Maximilien de Habsbourg sur le trône, ne parviennent pas à remettre en cause.
       Arrivée à Mexico, l’installation (1840-1870)
       « Après cinquante trois jours de mer, je foule enfin cette terre du Mexique tant désirée. La traversée quoique longue a été
       cependant assez heureuse pour moi et pour mes compagnons. On comptait 60 passagers à bord de notre navire. La plupart
       vont partir avec nous pour Mexico.» (lettre de Dominique Lèbre, 1849).
       Mexico compte alors moins de 600 000 habitants. Le centre historique régulièrement bâti rappelle aux nouveaux émigrants
       celui de Barcelonnette qu’ils viennent de quitter : « Mexico est un petit Paris, assez de mouvement, beaucoup de trains
       électriques qui tous les jours écrasent quelqu’un ou rentrent dans quelque boutique. La ville est jolie, les rues sont
       symétriques comme à Barcelonnette et il y a de jolies places et promenades d’agrément, il y a de jolis attelages et du beau
       monde. » (lettre de Léon Martin, 1902 ).
       Situés dans le centre ville, face à la place principale et à la cathédrale, où se trouve la promenade fréquentée par la plus
       haute société de la ville, les premiers commerces de tissus sont alignés côte à côte. Ils occupent de modestes immeubles
       associant la boutique au rez-de-chaussée et l’habitation au premier étage, séparés par un simple bandeau où se trouve
       inscrit le nom du magasin : La Ciudad de Mexico, Al Puerto de Liverpool, Las Fabricas de Francia, Al Progreso, El Correo
       Frances, La Reforma del Comercio, La Ciudad de Londres, etc. La disposition de ces boutiques appelées cajones de ropa
       diffère absolument de celle des magasins français. « Imaginez une grande salle au rez-de-chaussée percée de plusieurs
       grandes portes de bois (…) Un long et large mostrador, comptoir placé à environ trois mètres des entrées barre le passage
       sur toute la largeur du magasin et sépare le client des vendeurs… » (Émile Chabrand, 1892).
       Exceptionnellement, le magasin des frères Lions La Ciudad de Mexico situé à Puebla, s’installe au rez-de-chaussée de
       la très prestigieuse Casa de los Munecos (la maison des Poupées), belle architecture baroque édifiée au XVIIIe siècle.
       Au nombre de 46 en 1846 (dont 20 magasins de détail pour le seul district fédéral de Mexico), les petits commerces
       de tissus représentent plus de 110 établissements quarante ans plus tard, en 1886, implantés dans les principaux centres
       urbains de la jeune république : à Puebla, Morelia, Guadalajara, Oaxaca, Durango, Tulancigo, Aguascalientes, Zacatecas,
       Monterrey, etc.
       Mais tous ne pratiquent pas la vente de tissus. Quelques-uns tiennent un hôtel, ouvrent une pâtisserie, un restaurant, une
       cantine et billards, un établissement thermal (après avoir vendu de l’eau minérale en bouteille) ou se spécialisent dans
       l’orfèvrerie et les bronzes d’église. D’autres encore deviennent haciendados (agricultores) et minotiers. Le quadrillage du
       petit commerce de tissus au détail s’accompagne, hors du pays, de la mise en place de comptoirs d’achat en gros et demi-
       gros installés en Europe, à Paris et à Manchester où bientôt les futurs employés iront parfaire leur formation technique
       dans le textile (maison Joseph Tron & Cie, Alexandre Reynaud & Cie, à Paris, Gassier & Baume à Manchester). À l’aube
       de la guerre franco-allemande de 1870, la communauté alpine contrôle une grande part de la vente de tissus sur tout le
       territoire mexicain.
       Du commerce à l’industrie, période du « Porfiriato» (1870-1910)
       Sous la longue présidence de Porfirio Diaz (1830-1915), qui manifeste un vif intérêt pour la France (nombre de bâtiments
       publics mexicains portent la marque du « style français »), les barcelonnettes deviennent « l’interlocuteur préférentiel du
       gouvernement mexicain… » (Jean Meyer).

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Présentation de l'étude sur les villas mexicaines du canton de Barcelonnette
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       Soucieux désormais de maîtriser aussi la production, les négociants barcelonnettes se lancent dans l’industrie. Constitués
       en société anonyme, ils fondent en 1889 la Compagnie Industrielle d’Orizaba, située dans la vallée du fleuve Rio Blanco
       dans l’État de Veracruz. La compagnie est bientôt en possession de quatre fabriques de filature, tissage et impression
       du coton : Cerritos, San Lorenzo, Cocolapan et de la grande fabrique modèle de Rio Blanco, considérée comme « le
       Manchester du Mexique », qui fondera la première cité ouvrière du Mexique. Inaugurée par Porfirio Diaz le 9 octobre
       1892, l’usine réunit 3700 métiers avec leurs ateliers de filature, d’apprêt, de blanchiment, de teinturerie et d’impression.
       En 1896, un nouveau groupe de barcelonnettes fonde la Compagnie Industrielle Veracruzana et confie à l’ingénieur Miguel
       Angel de Quevedo le choix du site pour la construction de la grande fabrique de coton de Santa Rosa, qui sera implantée
       à 11 kilomètres seulement de la fabrique de Rio Blanco. Inaugurée en 1898 par Porfirio Diaz, la fabrique emploie 2500
       ouvriers. Toutes les manufactures importantes implantées au Mexique entre 1890 et 1910, qui emploient plus de 30 000
       ouvriers et représentent 133 fabriques, comptent des barcelonnettes dans leur conseil d’administration. Ainsi, la principale
       manufacture de tissus de laine, la Sociedad de San Ildefonso (1895), fondée par le Gascon Ernest Pugibet ; la seule fabrique
       importante de papier , la Compania de San Rafael (1894) ; la première manufacture de cigarettes du monde, El Buen Tono
       (1889), fondée par Ernest Pugibet ; la fonderie de fer et acier de Monterrey (1900) ; la fabrique de bières Moctezuma de
       Orizaba (1896) ou la maison Clément Jacques à Mexico, spécialisée dans les conserveries et denrées alimentaires.
       De nouveaux établissements commerciaux copiés sur les modèles parisiens du Bon Marché ou de la Samaritaine
       remplacent les modestes maisons cajones de ropa de la première heure. Tous affichent une verticalité triomphante,
       portée par une architecture résolument moderne. Les « nouvelles cathédrales du commerce » (Émile Zola) multiplient les
       comptoirs où s’entassent les dernières marchandises importées, merveilleusement mises en scène autour du grand escalier
       central. Le commerce avec les principales fabriques d’Europe et des États-Unis permettent d’offrir « chaque huit jour »
       les dernières nouveautés. Grâce aux façades entièrement vitrées, tous les rayons se voient le soir, parfaitement illuminés
       par un brillant éclairage électrique.
       Après la fabrique et le grand magasin, la banque attire négociants et industriels barcelonnettes qui prennent d’importantes
       participations dans toutes les banques du pays et détiennent le monopole de l’émission des billets. Ils sont ainsi les premiers
       à mettre en circulation une monnaie ayant cours dans toute la République. « En 1910, la colonie Barcelonnette est au
       premier rang de la dette publique, de la banque, de l’industrie et du commerce ; au deuxième rang des mines et de la
       métallurgie. Avec 27% des investissements étrangers, les barcelonnettes se placent immédiatement après les États-Unis
       (38%) et la Grande-Bretagne (29%). » (Patrice Gouy).
       Cette étonnante réussite économique ne saurait masquer la réalité quotidienne d’une grande partie des émigrants, ouvriers,
       employés et commis. Dans la vallée de Barcelonnette, le notaire François Arnaud, observateur attentif, tente de retenir
       les jeunes gens et milite pour une modernisation des pratiques agricoles. Dans les lettres adressées à leurs parents, les
       jeunes commis et employés lui donnent raison : « Si parmi eux, il y en a quatre ou cinq qui réussissent après une trentaine
       d’années de dure servitude à économiser quelques piastres pour aller finir leurs jours au pays natal, les crois-tu bienheureux
       lorsqu’ils reviennent au village avec les cheveux blancs, ils sont presque étrangers au pays. (…) La vie de cultivateur est
       beaucoup préférable à celle d’employé que nous menons ici. » (lettre d’Auguste Fortoul, 1902).
       De la révolution à l’intégration (1911-1950)
       La vitalité et la modernité des entreprises étrangères, le développement urbain et industriel né sous le Porfiriato, ont
       laissé en friche le domaine de la production agricole. En 1911, 80% des paysans mexicains sont sans terre et travaillent
       comme peones dans les haciendas. Dans les usines aussi, les ouvriers se révoltent. Et c’est dans la fabrique de Rio Blanco
       dirigée par les barcelonnettes qu’éclatent en janvier 1907 les tout premiers mouvements de contestation qui nourriront
       la révolution mexicaine proche.
       Au même moment, les émigrants barcelonnettes répondront massivement à la déclaration de la Première Guerre mondiale.
       Dans toutes les villes du Mexique, dans chacun des grands magasins, au sein même des fabriques, de nombreux commis,
       employés et ouvriers traversent l’Atlantique et s’enrôlent dans l’armée. À leur côté, des Mexicains tomberont aussi pour
       la France.
       Dans les années 1930, de nouvelles lois sur la restriction de l’émigration (limitation du personnel étranger à 10%),
       modifient sensiblement les règles jusqu’alors très favorables aux investisseurs étrangers et entraînent de nouvelles
       conditions économiques. Les barcelonnettes s’adaptent et se lancent dans une nouvelle activité florissante : les assurances.
       Deux grands magasins emblématiques, El Palacio de Hierro et Al Puerto de Liverpool, poursuivent leur ascension, à la
       conquête de l’espace commercial mexicain, soutenus par une communauté toujours active.
       Une dernière vague d’émigrants rejoint le Mexique dans les années 1960. Les barcelonnettes sont de plus en plus intégrés.
       Les retours définitifs sont de moins en moins nombreux. En 1997, Al Puerto de Liverpool, devenu Liverpool, fête ses
       150 ans. Un an plus tard, en 1998, l’architecte mexicain Javier Sordo-Madaleno signe les plans d’un nouveau Palacio
       de Hierro, construit à Polanco, dans les nouveaux quartiers de Mexico. Au printemps 2001, Marc Suberville, architecte
       mexicain d’origine française (descendant du fondateur du premier Palacio de Hierro) construit à Torreon, dans le nord du
       Mexique, le 45e magasin du groupe Liverpool, associant Liverpool et Fabricas de Francia avec une zone commerciale.
       Aujourd’hui, le nombre de barcelonnettes qui vivent au Mexique, estimé entre 20 000 et 50 000, dépasse largement le
       nombre des habitants de la vallée : 7500. Devenues Mexicaines, quelques familles originaires de la vallée adoptent la
       double nationalité franco-mexicaine, à la fois attachées au Mexique et désireuses d’entretenir leur culture française.
       Du grand magasin à la villa
       « Une Babel entassant des étages, (…) faite pour un peuple de clientes. Un monde poussait là, dans la vie sonore des
       hautes nefs métalliques. » (Émile Zola, Au Bonheur des Dames, 1895).

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       Le processus d’industrialisation et d’équipement amorcé sous le Porfiriato, construction du chemin de fer, grands
       aménagements urbains, équipements publics, développement de l’industrie, conduit à une modernisation et à une
       spécialisation du langage architectural fortement influencé par le « style français », omniprésent dans la capitale mexicaine.
       Les nouveaux édifices commerciaux édifiés par les négociants barcelonnettes entre 1890 et 1910 (une seconde vague verra
       le jour entre 1920 et 1940), donnent le ton et témoignent avec éclat de cet intérêt nouveau porté à l’architecture. Ils sont les
       premiers à utiliser les dernières possibilités technologiques, à exploiter les nouveaux matériaux en cours d’expérimentation
       dans les capitales européennes.
       Dans cette quête de la modernité, la complicité nouvelle avec les ingénieurs, les architectes et les artistes-décorateurs
       français, mais aussi étrangers (mexicains et américains), se révèle déterminante. La rencontre en 1888 à Paris du négociant
       Henri Tron avec l’ingénieur Gustave Eiffel est décisive. Sur le chantier de la tour, Henri Tron découvre toutes les
       ressources de la technique de l’ossature en acier. Le nouvel établissement qu’il projette de construire à Mexico sera à
       l’image du « symbole majeur de l’art industriel » (François Loyer), entièrement construit en fer ! Les plans sont confiés
       à l’architecte parisien Georges Debrie associé à l’ingénieur Georges Pierron qui prend part à la construction de la Galerie
       des Machines, l’autre réalisation phare de l’Exposition universelle de 1889 à Paris.
       Baptisé par la rumeur publique El Palacio de Hierro, le Palais de Fer, le premier grand magasin barcelonnette construit
       à Mexico inaugure une série d’édifices commerciaux de prestige copiés sur le modèle parisien, dont les plans sont dans
       la plupart des cas confiés à des architectes français appelés par le gouvernement mexicain pour construire les grands
       établissements publics de Mexico.
       El Palacio de Hierro, l’archétype (1891-1921)
       Commencé en 1888, le chantier qui couvre plus de 1000 mètres carrés est assuré sur place, par les architectes mexicains
       Eusebio et Ignacio de la Hidalga, associés à l’ingénieur Miguel Angel de Quevedo. Les plans âprement discutés par les
       propriétaires circulent entre Paris et Mexico. Les matériaux, importés de France, transitent par bateau jusqu’à Veracruz
       et sont ensuite acheminés, non sans difficulté, jusqu’à Mexico. Inauguré en 1891, le nouveau magasin est agrandi sept
       ans plus tard. Des ateliers sont construits à proximité. La société collective du Palacio de Hierro est ainsi la première à
       fabriquer sur 24 000 m2 , mobilisant pas moins de 1000 ouvriers, un grand choix de meubles de salle à manger, chambre
       à coucher, salon, meubles pour bureaux, meubles fantaisie, décoration, tapisserie, etc.
       L’armature métallique sortie des ateliers de la fonderie parisienne Moisant, associée à la pierre de Chiluca (sorte de granit)
       ne résiste pas au terrible incendie qui détruit le 16 avril 1914 le premier Palais de Fer. Reconstruit en 1921 sur les plans de
       l’architecte français installé à Mexico Paul Dubois, la nouvelle construction emprunte au modèle parisien de la Samaritaine
       son effet de silhouette couronnée d’un dôme agrémenté d’un décor de mosaïques, très largement copié par la suite. À
       l’intérieur, les deux immenses verrières sont l’œuvre du maître-verrier nancéien Jacques Gruber que l’on retrouve au
       même moment dans la vallée, sur le chantier des villas.
       Face au Palacio de Hierro, le nouveau magasin de Las Fabricas Universales est construit en 1909 par Alexandre Reynaud,
       fondateur de la grande fabrique textile de Santa-Rosa (État de Veracruz). Une fois encore, la silhouette monumentale est
       l’œuvre d’un architecte parisien, Eugène Ewald, associé à l’ingénieur mexicain Miguel Angel de Quevedo.
       La construction en 1896-1897 du monumental Centro Mercantil sur le zocalo (la place centrale), encore agrandi en 1905,
       réunit un architecte parisien qui reste à identifier et l’ingénieur mexicain Daniel Garza. Le nouvel édifice utilise le procédé
       dit « de Chicago », soit un appareillage de poutres de fer noyé dans le béton. Le choix de l’ordre colossal et l’adoption
       de la couverture en terrasse bordée de balustrades distingue ce nouveau parti, enrichi à l’intérieur d’une immense verrière
       zénithale développant une écriture Art Nouveau jusqu’alors inédite au Mexique. Cette œuvre ambitieuse portait déjà la
       signature de Jacques Gruber.
       À Mexico comme à Guadalajara, Puebla, Morelia, Oaxaca, Durango…, les grands magasins construits par les
       barcelonnettes adoptent tous « une écriture on ne peut plus post-haussmanienne de dômes et de grands combles cintrés
       dont la protubérance accentue la majesté des volumes, silhouettés à chaque carrefour. » (François Loyer).
       Les modestes premiers établissements (comme les premières villas édifiées dans la vallée), font l’objet d’une importante
       campagne de mise au goût du jour. À Guadalajara, Las Fabricas de Francia voit son élévation augmentée de deux niveaux
       et agrémentée d’un important décor architectonique grâce à l’intervention de l’architecte-ingénieur Ernesto Fuchs, sans
       même que le magasin soit fermé au public pendant la durée des travaux.

       4. Le retour du Mexique et le programme de la villa
       Cette nouvelle culture de l’affirmation du langage architectural et décoratif qui caractérise, à partir de 1890, le projet
       commercial et industriel des barcelonnettes, va de la même façon nourrir et développer le projet d’édification de leurs
       villas dans la vallée et sur la Côte-d’Azur (et plus particulièrement à Cannes), où ils prennent une part active à la promotion
       du site fréquenté par les rentiers d’Europe. Désormais l’affaire d’un homme de l’art, les deux programmes (grand magasin
       et villa) sont étroitement associés, dépendant parfois de la même association architecte et artiste-décorateur.
       Auteurs du premier Palacio de Hierro, Georges Debrie et Georges Pierron signent les plans de la villa l’Ubayette, construite
       en 1903 à Barcelonnette pour Antoine Proal. L’architecte Paul Dubois, qui signe les plans du second Palacio de Hierro
       (1921) et du siège social de la Compagnie Industrielle d’Orizaba (edificio CIDOSA) achevé en 1925, dessine les plans de
       la villa-château que Léon Rémusat, associé au Palacio de Hierro, projette de faire construire à son retour dans son village
       natal à Maure, près de Seyne-les-Alpes. À l’architecte anglais John Smith, installé à Manchester où les barcelonnettes
       dirigent d’importantes maisons de commissions et d’achats, Jules Lions réclame, dès 1891, un avant-projet pour la villa
       qu’il souhaite édifier à Barcelonnette, ses années d’émigration terminées.
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       Commanditaires, architectes et artistes-décorateurs
       Avant 1870, les émigrants retirés dans la vallée investissent dans la terre et redeviennent des exploitants agricoles. Rien ne
       les distingue de leurs concitoyens : ils habitent la maison ancestrale restaurée et adoptent les habitudes communes. Après
       1870, l’ancien émigrant choisit d’étaler sa réussite et fait construire une élégante demeure posée au milieu d’un vaste parc.
       Cette nouvelle attitude atteint son apogée entre 1890 et 1914. L’émigrant de retour affiche ostensiblement sa richesse et
       réclame à un architecte une nouvelle enveloppe digne de son rang. Devenu propriétaire-rentier, il partage désormais son
       temps entre Paris (centre des affaires), Barcelonnette (résidence estivale) et la Côte-d’Azur (résidence hivernale) où il
       loue dans un premier temps avant de devenir propriétaire. Tous partagent la même réussite qui fait d’eux désormais des
       « Américains » ou des « Mexicains », de retour au pays fortune faite.
       Dans la vallée, ces « financiers habiles et administrateurs prudents » s’impliquent dans la vie publique locale : nombre
       d’entre eux siègent au conseil municipal de leur commune d’origine. De 1882 à 1946, Barcelonnette compte trois maires
       « mexicains ». D’autres prennent une part active à la vie économique et s’associent en 1895 autour d’Eugène Lions pour
       fonder une nouvelle banque (après la Banque Gassier Frères), la Banque de Barcelonnette, qui fonctionnera jusqu’en 1959
       avant son rachat par la BNCI. Ils investissent aussi dans les transports publics (Messageries de Barcelonnette) et jouent un
       rôle très actif dans la reconstruction des principaux édifices publics de Barcelonnette : le collège (1913-1919), la nouvelle
       église Saint-Pierre (1924-1928), l’hôtel de ville achevé en 1934, sur les plans des architectes cannois Jacques et André
       Robert, et le marché couvert construit en 1936. Les propriétaires-rentiers sont partie prenante du projet d’embellissement
       de la ville : construction d’un pont en bois sur l’Ubaye en face de l’allée de la Gravette (1920), établissement d’un square
       public (1922), financement de la mise en place de la statue de Berwick (1925), cession d’un terrain pour le nouveau
       cimetière (1930), etc. En 1927, la rue nouvellement baptisée « Jules Béraud » vient témoigner de la générosité de l’ancien
       négociant à Mexico qui lègue à sa ville natale cent mille piastres mexicaines.
       Mais c’est sur le littoral méditerranéen que les anciens émigrants se révèlent habiles investisseurs et promoteurs avisés.
       Sous l’impulsion de Casimir Reynaud (1857-1938), ancien négociant à Mexico (Al Correo Frances), les barcelonnettes
       prennent part à l’aménagement du site de Cannes. Après avoir loti la station balnéaire de Juan-les-Pins, Casimir Reynaud
       s’installe à Cannes et fonde en 1908 une première société civile Antoine Proal et Casimir Reynaud, à l’origine d’un
       lotissement dans le quartier Saint-Nicolas. Un an plus tard, la société Le Viager Foncier du Littoral réunit un grand
       nombre d’anciens négociants au Mexique, tous propriétaires d’une villa à Barcelonnette et Jausiers, et lance un nouveau
       lotissement dans le quartier du Petit-Juas, puis le long du boulevard Carnot. En 1912, la Société Civile Immobilière des
       Bas-Alpins de Cannes voit le jour et investit dans le programme des grands hôtels, toujours sous la houlette de Casimir
       Reynaud, propriétaire en bordure du square Carnot de la villa le Grand Rubrend, aujourd’hui disparue. La nouvelle société
       rachète à Foltz le Gray et d’Albion puis le prestigieux Carlton, agrandi en 1913. Les bas-alpins de Cannes s’attachent
       principalement les services de trois architectes : James Warnery, Ramoin, architecte de la ville de Cannes et Mary,
       architecte à Nice, remplacés à leur disparition au début des années 1920 par les architectes cannois Jacques et André
       Robert, installés aux Galeries Fleuries. Non loin de la rue des Barcelonnettes, une rue Casimir Reynaud vient pérenniser
       le rôle fondateur des anciens négociants au Mexique dans la promotion immobilière du site de Cannes.
       Atypique, Émile Chabrand (1843-1893), propriétaire d’une petite villa à Barcelonnette, choisit de construire à proximité
       un musée destiné à accueillir les nombreux objets et œuvres d’art rapportés de son voyage autour du monde, qu’il réalise
       entre 1882 et 1883, ses années de négociant à Mexico achevées. Dix ans après, en 1892, il entreprend le récit de son
       voyage et relate avec verve l’histoire de ses compatriotes émigrés comme lui au Mexique (De Barcelonnette au Mexique,
       Plon, 1892).
       Cette communauté de vie, de biens et d’ambition distingue et caractérise le projet architectural de la villa en Ubaye. Elle
       se révèle déterminante dans le choix de l’architecte qui intervient ainsi plusieurs fois, usant de son expérience acquise
       auprès des uns pour convaincre les autres : « J’ai appris que vous aviez acheté dernièrement à Barcelonnette un terrain
       pour l’emplacement d’une villa. Je me permets de vous faire mes offres de services ; depuis huit ans déjà, j’ai construit
       pour plusieurs de vos compatriotes leurs villas et transformé quelques autres (…). Ces messieurs ont bien voulu chaque
       fois me témoigner leur satisfaction et j’ai depuis toujours gardé avec eux les meilleures relations. Je puis vous dire que
       je connais parfaitement le pays, les exigences de son climat et les matériaux dont il dispose. » (lettre de Francis Girard,
       février 1910). L’architecte se fait insistant et renvoie le futur propriétaire vers ses anciens associés et amis qui lui ont confié
       la construction de leurs villas. « Veuillez à l’occasion prendre vos renseignements sur mon compte auprès de messieurs
       Jules Lions, Édouard Garcin, Alphonse Michel, Antoine Signoret et Eugène et Antoine Lions, Léon Faudon, Jos Saltetto
       pour lesquels j’ai également travaillé… » (lettre de Francis Girard, mars 1910).

       5. Les architectes : une prééminence des provinciaux
       S’ils n’ont pas fait appel aux chantres de l’Art Nouveau, Hector Guimard, Louis Majorelle ou aux héros de l’architecture
       d’avant-garde, Mallet-Stevens, Le Corbusier, Roux-Spitz, Mies Van Der Rohe, (tout comme, ils ont préféré les œuvres
       de jeunesse impressionnistes d’un Picabia à celles des ténors du célèbre mouvement pictural), les commanditaires
       barcelonnettes ont sollicité les services de figures régionales particulièrement appréciées de leur temps, jouissant d’une
       haute réputation, Eugène Marx à Marseille, Morard et Bonnat à Grenoble ou Coquet à Lyon. Un seul architecte, Ramelli,
       est étranger, originaire de Lugano en Suisse italienne.
       Quatre signatures dominent ainsi l’ensemble des interventions sur les deux sites de Barcelonnette et de Jausiers.
       Eugène Marx, l’éclectisme inventif (1895-1904)

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       La première intervention décisive date des années 1895 avec Eugène Marx, architecte à Marseille, ancien élève et
       successeur de Joseph-Marius Letz (1838-1890) à la présidence de la société des architectes des Bouches-du-Rhône, fondée
       en 1889. Dans l’atelier de Letz, proche collaborateur d’Espérandieu, Eugène Marx développe son goût pour le dessin. Son
       intervention, capitale, fixe l’archétype de la “villa-château”, dans laquelle vont se reconnaître et s’identifier les nouveaux
       propriétaires. Avec treize villas et deux écuries, construites entre 1895 et 1904, Eugène Marx marque de son empreinte
       le paysage urbain de Barcelonnette et de Jausiers. Sa postérité est fulgurante et immédiate. Les nouvelles constructions
       édifiées après 1904 reproduiront les modèles mis en place par le maître incontesté de l’éclectisme en Ubaye.
       Francis Girard, l’éclectisme tempéré (1905-1910)
       La seconde signature importante est celle de Francis Girard, architecte à Grenoble, auquel succèderont, dans les années
       1930, ses deux fils architectes à Paris. Avec cinq villas et deux opérations de mise au goût du jour, réalisées entre 1902
       et 1910, Francis Girard fait la transition entre l’effet de silhouette représenté par Eugène Marx et les recherches plus
       rationnelles conduites par James Warnery et Léon Le Bel, architectes à Cannes et à Grasse, actifs en Ubaye entre 1910 et
       1913. Francis Girard est l’un de ceux qui réfléchissent sur le projet de la villa moderne, détachée de toute référence tant
       historique que géographique. Il sera suivi dans cette voie par les architectes grenoblois Joseph Morard et Marius Bonnat.
       Joseph Morard et Marius Bonnat, l’éclectisme assagi (1910-1927)
       La troisième intervention réunit deux architectes grenoblois associés. Diplômé de l’École spéciale d’architecture de Paris
       en 1897, Marius Bonnat (1876-1927) fonde à Grenoble, avec son ancien condisciple d’école Joseph Morard, un cabinet
       d’architectes dont l’activité s’étend à toute la région alpine : usines, cités ouvrières, maisons à loyer, villas, châteaux,
       banques, constructions touristiques, hôtels, Palais des Industries touristiques à l’Exposition de Grenoble en 1925, etc.
       Limitée au seul site de Barcelonnette, leur intervention, la plus longue, s’étend de 1910 à 1927 et associe cinq villas et deux
       équipements publics : réaménagement de l’hôtel des Alpes et construction de la nouvelle banque de Barcelonnette (1925).
       Ramelli, l’écriture balnéaire (1900-1914)
       La quatrième intervention déterminante est celle de l’architecte suisse italien, Bernardino (?) Ramelli, installé à Lugano.
       Il travaille entre 1900 et 1914, principalement à Jausiers où il ouvre, devant l’ampleur des commandes, un second atelier.
       Ramelli signe des programmes ambitieux dont le point d’orgue est la construction du château des Magnans édifié entre
       1903 et 1913. Les nouveaux modèles affichent une écriture méditerranéenne pittoresque inédite et trahissent un souci
       très marqué du rapport au site comme en témoigne le traitement spectaculaire de la façade sud entièrement ouverte sur
       le paysage.
       Au côté de ces architectes particulièrement actifs et familiers des sites de Barcelonnette et de Jausiers, interviennent
       pour une commande isolée (exceptionnellement deux commandes), Adolphe Coquet (1841-1907) architecte à Lyon, Félix
       Duperron (Digne), Ulysse Bertrand, employé des chemins de fer PLM, Pierre Julien associé à l’architecte-expert Sautel
       (Marseille), Brier de l’Isle (Nice). Les architectes installés sur la Côte-d’Azur sont aussi présents avec James Warnery
       associé à Léon le Bel et les frères Jacques et André Robert qui œuvrent à Cannes aux côtés de Casimir Reynaud.
       Les architectes parisiens des grands magasins au Mexique interviennent aussi dans la vallée. Georges Debrie (1856-1910)
       associé à l’ingénieur Georges Pierron est diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris en 1877, ancien élève de Julien
       Guadet. Proche collaborateur de Deglane, Paul Dubois est l’auteur de la façade du Grand Palais sur l’avenue Marigny.
       Choisi par le grand Prix de Rome Émile Benard (1844-1929) pour aller travailler au Mexique sur le chantier du palais
       législatif à Mexico, Paul Dubois s’installe à son compte et devient l’architecte des grands magasins des barcelonnettes
       au Mexique.
       Hiriart-Tribout-Beau et Gruber
       La dernière grande intervention pendant l’entre-deux-guerres, la construction de la villa Bleue (1931), est confiée à
       l’architecte d’origine basque Joseph Hiriart (1888-1946). Diplômé de l’École Nationale des Beaux-Arts en 1922, issu
       de l’atelier Gustave Umbdenstock, Joseph Hiriart s’associe avec ses anciens condisciples d’atelier : Georges Tribout,
       Georges Beau et François Lafaye. Ensemble ils interviennent dans l’est, la région parisienne et le midi pyrénéen. Directeur
       des exposants à l’Exposition universelle de 1937, Joseph Hiriart avait aussi créé une agence en Tunisie.
       L’architecte basque connaît bien la vallée de Barcelonnette. Son beau-père, Joseph Signoret dit « Placette », est originaire
       de Saint-Paul-sur-Ubaye, dans la haute vallée et l’un des directeurs associés du Palacio de Hierro à Mexico. L’architecte
       « aime par-dessus tout les Alpes » où il réside souvent et construit pour lui-même une grande maison à Saint-Paul-sur-
       Ubaye, berceau de sa belle-famille.
       Pour cette commande exceptionnelle à Barcelonnette, Joseph Hiriart réunit autour de lui la brillante association constituée
       en 1925 à l’exposition internationale des Arts Décoratifs et Industriels de Paris pour la réalisation du fameux pavillon de
       la Maîtrise des Galeries Lafayette. L’association est composée des architectes Georges Tribout (1890-1970) et Georges
       Beau et du peintre-verrier Jacques Gruber (1871-1936), président de la classe du vitrail. Depuis 1925, l’architecte basque
       et le peintre-verrier nancéien sont étroitement associés dans un grand nombre de villas, grand hôtel et casino, construits
       au Pays basque.

       6. Les artistes-décorateurs
       Jacques Gruber (1871-1936) et l’École de Nancy
       Précédé dans la vallée par le lorrain Charles Champigneulle (1853-1905) à qui l’on doit les verrières de l’escalier de la villa
       l’Abri, Jacques Gruber (1871-1936) travaille d’abord pour les commanditaires barcelonnettes au Mexique, sur les chantiers
       des grands magasins. Membre fondateur de l’École de Nancy dont le rayonnement international marque les années d’avant-
       guerre, Jacques Gruber développe tous les thèmes chers à l’Art Nouveau avant de promouvoir, après 1918, le vitrail
28 juin 2019                                                                                                                             Page 8
Présentation de l'étude sur les villas mexicaines du canton de Barcelonnette Présentation de l'étude sur les villas mexicaines du canton de Barcelonnette
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