PRINCIPES SOUS PRESSION - L'IMPACT DES MESURES ANTITERRORISTES ET DE PRÉVENTION/LUTTE CONTRE L'EXTRÉMISME VIOLENT SUR L'ACTION HUMANITAIRE BASÉE ...

 
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PRINCIPES
SOUS
PRESSION

L’IMPACT DES MESURES ANTITERRORISTES ET DE
PRÉVENTION/LUTTE CONTRE L’EXTRÉMISME VIOLENT
SUR L’ACTION HUMANITAIRE BASÉE SUR LES PRINCIPES
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PRINCIPES
SOUS
PRESSION
L’IMPACT DES MESURES ANTITERRORISTES ET DE
PRÉVENTION/LUTTE CONTRE L’EXTRÉMISME VIOLENT
SUR L’ACTION HUMANITAIRE BASÉE SUR LES PRINCIPES

         Federal Department of Foreign Affairs FDFA
REMERCIEMENTS
Cette étude a été commandée par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Il a reçu l’aide financière du
Département Fédéral suisse des Affaires Etrangères (DFAE).

Elle bénéficie des contributions de membres d’organisations non gouvernementales internationales (ONGI) et
d’autres organisations internationales, des agences de l’ONU et d’Etats bailleurs. Les auteurs souhaitent remercier les
personnes interrogées qui ont dédié leur temps et leur expertise à cette recherche. Les auteurs sont particulièrement
reconnaissants envers NRC Irak, NRC Nigéria et NRC Somalie, pour leur soutien lors des recherches sur le terrain. Les
auteurs souhaitent également remercier le Groupe interne d’évaluation par les pairs de NRC pour ses contributions et
ses retours précieux.

Le Conseil norvégien pour les réfugiés est une organisation humanitaire indépendante œuvrant pour les personnes
déplacées de force. Pour plus d’informations, contactez-nous à l’adresse suivante : nrcgeneva.policy@nrc.no

Photo de couverture : © NRC/Christian Jepsen
© NRC, 2018

Mise en page et Conception : BakOS DESIGN

 Avertissement : Le contenu de ce document ne peut être interprété comme reflétant la position du
 Département Fédéral suisse des Affaires Etrangères (DFAE). Ce document ne reflète pas nécessairement
 la position ou les opinions du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Ce document ne peut en aucune
 manière être considéré comme un conseil juridique professionnel de la part de NRC.
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ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS

              AUB Université Américaine de Beyrouth

               BIS	Bureau pour l’Industrie et la Sécurité

               LEV	Lutte contre l’Extrémisme Violent

              GDT 	Groupes Désignés comme Terroristes

                UE Union Européenne

             GAFI	Groupe d’Action Financière contre le
                   blanchiment d’argent

             IASC	Comité Permanent Interorganisations

             ONGI	Organisations Non Gouvernementales
                   Internationales

            CSNU	Conseil de Sécurité des Nations Unies

              ONG	Organisations Non Gouvernementales

            OSBL	Organisme Sans But Lucratif

    Coalition des
    OSBL autour
         du GAFI	Coalition des Organismes Sans But Lucratif
                  autour du Groupe d’Action Financière

              NRC Norwegian Refugee Council

            GANE	Groupe Armé Non Etatique

            OCHA	Bureau de la coordination des affaires
                  humanitaires

             OFAC 	US Office of Foreign Assets Control

            P/LEV	Prévention/Lutte contre l’Extrémisme Violent

              PEV	Prévention de l’Extrémisme Violent

              ONU	Organisation des Nations Unies

          UNOCT	Bureau des Nations Unies de lutte Contre le
                 Terrorisme

                EU Etats-Unis

           USAID	Agence des Etats-Unis pour le
                  Développement International

               BM Banque Mondiale

4    PRINCIPES SOUS PRESSION
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CONTENU
AVANT-PROPOS.............................................................................................................................................................................. 7

NOTE DE SYNTHÈSE........................................................................................................................................................................ 8

RECOMMANDATIONS...................................................................................................................................................................11

1 INTRODUCTION........................................................................................................................................................................12
     Méthodologie.................................................................................................................................................................... 13

2 CONTEXTE................................................................................................................................................................................14
     2.1 La lutte antiterroriste et ses liens avec l’aide humanitaire............................................................................... 14

     2.2 Instruments légaux de lutte contre le terrorisme............................................................................................... 14

     2.3 Exigences des bailleurs vis‑à-vis de l’antiterrorisme......................................................................................... 16

     2.4 Cas juridiques impliquant des ONG.................................................................................................................... 17

     2.5 La Prévention/Lutte contre l’Extrémisme Violent et ses liens avec l’aide humanitaire............................. 18

3 IMPACTS DES MESURES ANTITERRORISTES ET DE P/LEV........................................................................................................20
     3.1 Impacts structurels................................................................................................................................................... 20

     3.2 Impacts opérationnels............................................................................................................................................. 22

     3.3 Impacts internes....................................................................................................................................................... 24

4 MESURES D’ATTÉNUATION ET MÉCANISMES DE DÉFENSE.......................................................................................................28
     4.1 Approches de gestion des risques...................................................................................................................... 28

     4.2 Gestion à distance................................................................................................................................................... 28

     4.3 Exemptions................................................................................................................................................................. 29

     4.4 Méthodes de transfert informelles........................................................................................................................ 29

     4.5 Plaidoyer.....................................................................................................................................................................30

5 CONCLUSION ET RÉSULTATS....................................................................................................................................................31
6 RECOMMANDATIONS...............................................................................................................................................................33
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE.........................................................................................................................................................36

ENDNOTES................................................................................................................................................................................... 37

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AVANT-PROPOS

En tant qu’humanitaires, nous sommes souvent témoins des attaques cruelles des terroristes contre
les civils. Nous devons tous prévenir le terrorisme sous toutes ses formes. Bien trop souvent, nous
constatons aussi que la « guerre contre le terrorisme » et sa législation antiterroriste, ont eu pour
conséquence indésirable de rendre l’assistance et la protection aux victimes du terrorisme plus
compliquées, et plus dangereuses.

Les quatre principes de neutralité, d’indépendance,       Nous vivons une époque où les conflits prolongés
d’impartialité et d’humanité sont les piliers de          et complexes sont devenus les théâtres d’opération
l’action humanitaire. Guidés par ces principes, nous      normaux des organismes d’aide. Dans de tels
travaillons pour que l’aide soit distribuée en fonction   contextes, il est plus important que jamais que
des besoins, et non pas selon des motifs liés à la        nous chérissions les principes humanitaires, afin
lutte antiterroriste. Cela nous offre une base de         de protéger l’espace humanitaire. Bien que la
négociation solide, avec toutes les parties au conflit,   lutte antiterroriste soit importante, les stratégies
en matière d’accès aux communautés. Notre unique          politiques doivent rester à l’écart de l’action
objectif doit être de répondre aux besoins, où qu’ils     humanitaire.
se trouvent.
                                                          Un dialogue ouvert et transparent est nécessaire
Cette étude démontre que les mesures                      pour que l’action humanitaire ne se confonde pas
antiterroristes mettent les principes humanitaires        avec des objectifs politiques et sécuritaires. Ce
sous pression. Nos recherches au Nigéria et en            rapport, financé par le Département Fédéral suisse
Somalie révèlent qu’elles limitent la capacité des        des Affaires Etrangères (DFAE), recommande aux
ONG à mettre en œuvre leurs programmes sur                gouvernements, aux bailleurs et aux organismes
la seule base des besoins. Dans des contextes             d’aide de collaborer en vue de parvenir à un
comme l’Irak, les concepts de prévention et               équilibre entre lutte antiterroriste et action
de lutte contre l’extrémisme violent impactent            humanitaire.
potentiellement le principe d’indépendance, par
exemple en soutenant un récit politique négatif
sur certains groupes. Ailleurs, la question de la
diminution des risques financiers (de-risking) est
devenue un obstacle majeur pour les interventions
humanitaires. Il s’agit du refus pour une banque          Jan Egeland,
de procéder à un transfert vers le compte d’un            Secrétaire Général
organisme d’aide, par peur des conséquences des           du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC)
lois contre le financement du terrorisme.

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NOTE DE SYNTHÈSE
    Alors que les Etats continuent à adopter des              le dialogue avec les GDT –, et l’action humanitaire
    mesures de lutte contre les activités terroristes, les    basée sur les principes – qui exige de dialoguer
    ONG demeurent préoccupées par l’impact de ces             avec toutes les parties afin d’accéder aux personnes
    mesures sur leur capacité à aider les populations         dans le besoin.
    dans les territoires contrôlés par des groupes
    désignés comme terroristes (GDT). Les mesures             Ce rapport a deux objectifs. Premièrement, mettre
    antiterroristes s’imposent aux ONG à travers des          à jour les éléments montrant l’impact des mesures
    niveaux de législation variés, et via certaines clauses   antiterroristes sur l’action humanitaire basée sur
    des accords de partenariat.                               les principes, dont le dernier examen complet
                                                              date d’une étude de 2013 par NRC et OCHA.
    Le paysage légal antiterroriste est complexe ;            Deuxièmement, il vise à examiner l’impact de
    les organisations peuvent être contraintes de se          l’émergence du secteur de la Prévention/Lutte
    plier aux lois de leurs zones d’intervention, ainsi       contre l’Extrémisme Violent (P/LEV) sur l’action
    qu’à celles des Etats où elles sont enregistrées,         humanitaire basée sur les principes. Les recherches
    des Etats bailleurs, ou d’autres Etats dont le droit      sur le terrain ont été menées au Nigéria, en Somalie
    a une portée extraterritoriale. Les accords de            et en Irak. L’impact a été examiné à trois niveaux :
    partenariat sont également complexes, avec une            structurel (affectant le respect des principes
    grande diversité de terminologie et de portée. Il         humanitaires), opérationnel (affectant les décisions
    existe clairement une tension entre les mesures           liées aux programmes) et interne (affectant les
    antiterroristes inscrites dans la loi et dans les         procédures administratives et la coordination
    exigences des bailleurs – qui peuvent restreindre         interorganisations).

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PRINCIPALES CONCLUSIONS
Les mesures antiterroristes limitent la capacité        par les humanitaires et par les bailleurs, ce qui rend
des organisations à mettre en œuvre des                 difficile l’identification de ses impacts opérationnels
programmes sur la seule base des besoins, et            et internes. L’impact structurel, quant à lui, était
les obligent à éviter certains groupes ou zones.        relativement clair. Dans un climat d’intensification de
En conséquence, certaines communautés peuvent           la compétition pour les financements humanitaires
ne pas recevoir l’aide dont elles ont besoin. Dans      et d’augmentation des financements pour des
plusieurs contextes – dont le nord-est du Nigéria       programmes de P/LEV, les ONG recadrent parfois
–, il est clair que les besoins de certaines zones      leurs activités, ou modifient leurs programmes afin
n’ont pu être satisfaits car les ONG ont limité         de s’insérer dans ce cadre. Des décisions sont
leurs programmes aux zones contrôlées par le            prises sans égard pour les objectifs politiques
gouvernement. Cela impacte clairement la capacité       de certains programmes de P/LEV, ni pour leurs
de certaines communautés à recevoir l’aide dont         conséquences sur l’action humanitaire basée sur
elles ont besoin. Cela signifie aussi que les groupes   les principes. Le recours croissant à l’approche P/
armés non-étatiques (GANE) peuvent percevoir les        LEV peut aussi créer des problèmes de perception,
ONG comme étant partisanes – ce qui impacte             notamment lorsque des GANE et des communautés
négativement les négociations pour l’accès et la        ne perçoivent pas la différence entre acteurs
sécurité des équipes.                                   humanitaires, politiques ou de sécurité.

L’étendue de la P/LEV peut nuire à l’action             Le manque de clarté concernant les exigences
humanitaire en l’associant à des objectifs              antiterroristes continue à miner les organisations
politiques. Le concept de P/LEV est mal compris         humanitaires. L’autocensure, identifiée par l’étude

                                                                                                                  9
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de 2013 comme un impact opérationnel, demeure            Gestion à distance : La gestion à distance ou le
     une question clé. Aujourd’hui en somalie, certaines      retrait des équipes des zones dangereuses et le
     ONG ne se sentent pas plus en mesure de travailler       transfert des responsabilités du programme aux
     dans les zones tenues par les Shebabs qu’en 2010.        employés locaux ou à des organisations partenaires,
     Les ONG, faute de clarté et de conseils de la part       a augmenté ces dernières années à mesure que
     des bailleurs et de leurs propres sièges, limitent       les ONG visent à réduire leur exposition aux
     leur dialogue avec les GDT. Les équipes ne sont          risques. Bien que des meilleures connaissances et
     pas encouragées à clarifier la situation, selon la       technologies existent autour de cette pratique, elle
     logique « ne cherchez pas à savoir », ce qui limite la   pourrait pousser les ONG à transférer le risque vers
     transparence et le partage d’informations, et conduit    d’autres organisations moins bien équipées pour le
     à une impasse sur ces questions.                         gérer.

     La question du de-risking financier (lorsqu’une          Utilisation de méthodes de transfert informelles :
     banque refuse d’offrir ses services à une ONG            À mesure que le de-risking se propage, les ONG
     par peur des conséquences des lois contre le             sont poussées hors des systèmes de transfert
     financement du terrorisme), est devenue une              d’argent formels, et le recours à des mécanismes
     barrière majeure. Des ONG ont déclaré être dans          informels s’intensifie. Le hawala, un système
     l’incapacité de transférer de l’argent vers certaines    traditionnel largement non régulé, est désormais
     zones, les obligeant à employer des méthodes non         couramment utilisé par les ONG. Il offre une
     régulées, en dehors du système bancaire, comme le        alternative fiable, séduisante à ceux qui ne peuvent
     hawala ou le transport d’argent liquide. D’importants    transporter de l’argent liquide, mais il est coûteux,
     retards de programmation ont été signalés à              et le manque de régulation dans certains contextes
     cause de ces stratégies de diminution des risques        peut signifier un risque accru de financement
     financiers. Le problème affecte notamment les            terroriste.
     petites organisations, qui n’ont pas la capacité de
     se conformer à ces exigences, et les organisations
     musulmanes basées sur la confiance, perçues par          CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
     les banques comme étant « à haut risque ». Tant
     qu’une solution n’aura pas été trouvée, les banques      Les résultats de cette recherche suggèrent que
     dicteront aux organisations humanitaires là où elles     peu de choses ont évolué positivement depuis le
     doivent travailler.                                      rapport de 2013. L’absence d’un plaidoyer conjoint
                                                              de la part des ONG ainsi que d’une volonté des
                                                              gouvernements de changer de politique, signifie que
     MESURES D’ATTÉNUATION ET                                 les impacts identifiés il y a cinq ans sont davantage
     MÉCANISMES DE DÉFENSE                                    enracinés. Les ONG doivent s’exprimer d’une
                                                              seule voix et mener un plaidoyer autour de cette
     Les pratiques des organisations humanitaires pour        question, et Etats et bailleurs ont la responsabilité
     atténuer et lutter contre l’impact des mesures           de permettre une assistance à ceux qui en ont le
     antiterroristes sur leurs opérations ont progressé       plus besoin, sur la seule base des besoins.
     depuis le rapport de 2013. Ces évolutions sont
     discutées dans la Section 4 de ce rapport, mais en
     voici quelques-unes.

     Gestion des risques : Au sein des ONG, l’attention
     croissante autour des enjeux de conformité reflète
     la complexité grandissante de l’environnement
     réglementaire. En 2015, NRC a finalisé sa Boîte à
     Outils de Gestion des Risques Liés aux Mesures
     Antiterroristes, rassemblant diverses politiques
     anti-détournement au sein d’un cadre de gestion
     des risques. La boîte à outils s’est montrée utile,
     mais les ONG manquent de conseils spécifiques
     à chaque contexte, pour gérer, par exemple, les
     exemptions humanitaires et les licences du BIS
     américain.

10    PRINCIPES SOUS PRESSION
RECOMMANDATIONS

AUX BAILLEURS ET À LA                                     AUX BAILLEURS
COMMUNAUTÉ HUMANITAIRE
                                                          Offrir aux ONG plus de clarté vis-à-vis de
Engager un dialogue ouvert autour des                     l’application des clauses antiterroristes : Les
impacts des mesures antiterroristes et des                bailleurs devraient encourager plus de transparence,
P/LEV sur l’action humanitaire basée sur les              et affirmer clairement que les ONG ne seront pas
principes : Pour contrer le manque de partage             pénalisées parce qu’elles recherchent plus de clarté.
d’information qui empêche tout progrès sur ces
questions, des dialogues dédiés devraient être mis        Explorer des manières innovantes de minimiser
en place en vue d’encourager la transparence.             l’impact des mesures antiterroristes sur
                                                          les ONG : les bailleurs pourraient explorer le
Inclure les impacts des mesures antiterroristes           recours à des approches alternatives ou de
et des P/LEV dans les discussions actuelles               partage des risques visant à équilibrer l’asymétrie
sur la réforme humanitaire : Étant donné les              des contrats qui veut que les demandeurs
impacts des mesures antiterroristes et des P/LEV          supportent le gros des risques associés.
sur des aspects clés de la réforme humanitaire,
ils devraient être inclus dans les discussions            Maintenir une séparation claire entre P/LEV
sur le Grand Compromis, le New Way of                     et financement humanitaire afin de protéger
Working et le Nexus urgence-développement.                l’action humanitaire basée sur les principes :
                                                          les bailleurs devraient être transparents concernant
                                                          la P/LEV, et assurer que toute augmentation du
                                                          financement de la P/LEV n’implique pas une
AUX GOUVERNEMENTS                                         réduction du soutien à l’aide humanitaire.

S’assurer que le Bureau des Nations
Unies de lutte Contre le Terrorisme inclue
les organisations humanitaires dans les                   À LA COMMUNAUTÉ HUMANITAIRE
discussions : les ONG doivent être incluses dans
le dialogue afin d’assurer que l’impact sur l’action      Développer des positions de plaidoyer
humanitaire soit pris en compte lors de la révision       communes sur l’impact des mesures
de la stratégie antiterroriste globale de l’ONU.          antiterroristes : Des preuves visant à
                                                          soutenir le développement de positions de
Inclure des exceptions dans les régimes de                plaidoyer fortes devraient être réunies au
sanction et la législation antiterroriste pour            niveau terrain et consolidées au niveau global
réduire leur impact sur l’action humanitaire              par les corps subsidiaires du IASC.
basée sur les principes : Le Conseil de
Sécurité des Nations Unies (CSNU), l’UE et                Explorer des alternatives aux restrictions
autres structures qui imposent des sanctions et           financières actuelles : la poursuite de la collecte
promulguent les lois antiterroristes, devraient inclure   d’éléments de preuve et du plaidoyer commun,
des exemptions pour les acteurs humanitaires              ainsi que l’exploration de méthodes de transfert
afin de limiter les effets négatifs sur leur action.      sûres, sont indispensables pour minimiser
                                                          l’impact du « de-risking » sur l’aide humanitaire.
Faciliter un dialogue régulier entre ONG,
banques, autorités financières et autres acteurs          Développer des conseils pratiques, adaptés
gouvernementaux, afin de limiter les effets               au contexte pour s’assurer que les équipes
du « de-risking » : un dialogue multilatéral est          disposent de l’information nécessaire pour
nécessaire pour répondre aux inquiétudes, clarifier       mener à bien leur mission : Les sièges des
les exigences et se prémunir des effets négatifs          ONG devraient former leurs employés à la
involontaires du développement de la politique            prise de décision concernant les questions
de lutte contre le financement du terrorisme.             de P/LEV et de lutte contre le terrorisme.

                                                                                                                  11
1 INTRODUCTION
     L’objectif premier de l’aide humanitaire est d’apporter aux civils dans le besoin une aide de survie,
     guidée par le droit international humanitaire (DIH) et les quatre principes humanitaires d’humanité,
     d’impartialité, d’indépendance et de neutralité. Ces cadres visent à assurer que l’aide est acheminée
     sans discrimination, vers les plus vulnérables et ceux qui en ont le plus besoin, et de manière neutre
     et autonome vis-à-vis des parties à un conflit. Les principes et le DIH exigent que les ONG traitent
     toutes les parties au conflit – étatiques ou non étatiques – de manière égale, et offrent une aide basée
     seulement sur les besoins, sans égard pour des facteurs politiques ou autres.

     Les personnes dans le besoin se trouvent parfois         d’empêcher l’aide humanitaire d’atteindre les
     dans des zones sous contrôle de GANE, qui                communautés les plus vulnérables.
     peuvent être désignés comme organisations
     terroristes. Selon les principes, les acteurs            En dépit d’efforts de plaidoyer pour éviter cette
     humanitaires devraient dialoguer avec toutes les         issue, et l’engagement positif croissant de certains
     parties afin d’assurer que l’aide soit délivrée à        bailleurs à ce sujet, aucun changement de politique
     ceux qui en ont le plus besoin. Le besoin de se          spécifique n’est intervenu. Certains bailleurs ont
     conformer aux mesures antiterroristes – notamment        continué à demander plus de preuves d’impact
     les lois en vigueur et les exigences bailleurs – peut    récentes. Dans le même temps, la portée de la
     limiter la capacité des ONG à intervenir dans des        politique antiterroriste grandit avec la proéminence
     zones contrôlées par des GANE, et poser des défis        de l’approche de (P/LEV).
     significatifs à l’action humanitaire basée sur les
     principes.                                               La P/LEV emploie des mesures non coercitives
                                                              visant à empêcher des communautés ou individus
     Nombre d’études ont montré la tension entre les          de soutenir ou d’entreprendre ce qui est considéré
     mesures antiterroristes et les principes d’humanité,     comme de l’extrémisme violent4. Ces mesures
     d’impartialité, de neutralité et d’indépendance. Alors   peuvent inclure des activités humanitaires ou
     que ces mesures se développent et s’étendent,            de développement. La P/LEV appliquée à l’aide
     il en va de même pour leur impact sur l’action           humanitaire diffère des mesures de coercition
     humanitaire basée sur les principes. L’important         traditionnelles, mais les deux approches peuvent
     rapport de 2011 Stay and Deliver, commandé               menacer le respect des principes humanitaires.
     par OCHA, met en évidence ce problème ; en
     2013, NRC et OCHA ont publié une étude                   Sur la base des recherches existantes, ce rapport
     spécifiquement dédiée à ce sujet1.                       analyse les évolutions récentes en vue de mettre
                                                              à jour les preuves de l’impact des mesures
     Sur la base des recommandations de ce second             antiterroristes sur l’action humanitaire basée sur les
     rapport, et en sa qualité de co-président du groupe      principes afin d’informer les politiques inter-agences
     de référence sur l’action humanitaire basée sur          actuelles et le plaider sur ce sujet. Il vise aussi à
     les principes du IASC, NRC a publié en 2015              combler un manque dans la recherche existante, en
     une Boîte à Outils de Gestion des Risques Liés           examinant les possibles effets d’intersection des
     aux Mesures Antiterroristes2. Plusieurs travaux          approches de P/LEV – ce que les chercheurs et les
     de recherche et de conseil ont suivi, dont ceux          législateurs n’ont pas encore entrepris.
     du Charity and Security Network, du programme
     PILAC de la Harvard Law School et de Chatham             Ce rapport n’est nullement exhaustif, et plusieurs
     House3. Ces études démontrent que les mesures            pistes de recherche ont été identifiées pendant les
     antiterroristes ont le pouvoir de retarder ou            recherches. L’impact des mesures antiterroristes sur

12    PRINCIPES SOUS PRESSION
© NRC/Christian Jepsen
les ONG locales – qui sont souvent en première            février et mars 2018. Lorsqu’une présence physique
ligne – est un sujet de réflexion clé pour l’avenir. Le   n’était pas possible, les entretiens se sont déroulés
phénomène de de-risking est aussi l’occasion de           via WhatsApp ou Skype. Des entretiens à distance
recherches futures ; la plupart des recherches à ce       ont été menés avec des informateurs clés travaillant
jour se sont concentrées sur la Grande Bretagne           sur la Syrie et l’Afghanistan, ou étant sur place.
et les Etats-Unis, et pourraient être étendues. Enfin,    Compte tenu de la sensibilité du sujet, tous ces
il serait utile d’explorer davantage les liens entre      entretiens sont confidentiels. Aucune identité n’est
mesures antiterroristes et P/LEV d’un côté, et            révélée.
réformes humanitaires de l’autre.
                                                          Les conclusions se nourrissent également des
                                                          résultats des 169 réponses d’une enquête en ligne
MÉTHODOLOGIE                                              – distribuée par NRC aux agences de l’ONU, ONG
                                                          et réseaux d’ONG, aux niveaux terrain et siège,
Les recherches pour cette étude ont été menées            entre février et mars 2018. L’enquête comportait
entre janvier 2018 et avril 2018 ; les recherches         32 questions ouvertes et à choix multiples,
sur le terrain se sont déroulées en Irak, au Nigéria      concernant divers aspects de l’impact des mesures
et en Somalie. Ces lieux ont été choisis comme            antiterroristes sur l’action humanitaire, la gestion
contextes où sont présentes des organisations             des risques, l’application des principes humanitaires
désignées comme terroristes, et où l’agenda P/            et l’interaction entre la P/LEV et le travail des ONG.
LEV gagne en importance. Ces lieux reflètent aussi
une combinaison d’actions d’urgence récentes et           La section Contexte comprend des recherches
prolongées, et assure un équilibre géographique.          documentaires actualisées sur la législation
Étant donné la complexité des questions étudiées et       antiterroriste et les mesures associées, et un
la nature unique de chaque situation, une sélection       résumé des récentes études sur leur impact sur
d’études de cas ne peut pas refléter l’ensemble des       l’aide humanitaire. La section Impacts analyse
défis présents.                                           les conclusions des recherches terrain en vue de
                                                          mettre à jour les preuves des effets des mesures
Les résultats de la recherche sont tirés                  antiterroristes, et de prouver l’impact de l’agenda
principalement de 40 entretiens avec des acteurs          de P/LEV sur le terrain en Irak, au Nigéria et en
humanitaires, dont des représentants hauts placés         Somalie. La section Atténuation examine les
de l’ONU, des membres d’ONG et ONGI, des                  mécanismes à la disposition des ONG pour
bailleurs et des représentants gouvernementaux.           minimiser ces impacts sur leurs opérations ; l’étude
Ces entretiens ont été menés lors des recherches          se termine par un résumé des conclusions et des
terrain à Erbil en Irak, à Abuja au Nigéria, à            recommandations aux parties prenantes.
Mogadiscio en Somalie et à Nairobi au Kenya, entre

                                                                                                                   13
2 CONTEXTE

     2.1 LA LUTTE ANTITERRORISTE ET SES
     LIENS AVEC L’AIDE HUMANITAIRE
     L’augmentation en nombre et en importance des           La Harvard Law School a mené une étude empirique
     réglementations antiterroristes a des conséquences      pilote sur la question en 2017, et plus des deux tiers
     significatives pour les ONG, qui ont tendance           des personnes interrogées ont indiqué que « les
     à travailler dans des contextes complexes et            mesures antiterroristes avaient atténué ou écourté
     instables où des groupes armés opèrent, certains        leur travail10 ». Cet aspect négatif a été développé
     étant liés à ou faisant partie de GDT. Des mesures      dans une étude d’OCHA en 2017, Presence and
     sont appliquées via les législations nationales et      Proximity, qui notait que « des facteurs politiques,
     internationales, et via les accords de partenariat.     dont les lois antiterroristes, continuent de poser des
                                                             dilemmes pour l’action humanitaire basée sur les
     La législation antiterroriste s’applique aux ONG        principes », et que les mesures antiterroristes ou
     via des résolutions contraignantes du CSNU et           liées aux sanctions demeurent problématiques dans
     d’autres instruments internationaux, ainsi que          de plus en plus de contextes – dont l’Afghanistan,
     les lois nationales des Etats. « Les ONG et leurs       l’Irak, la Somalie, le Yémen et ailleurs, pour leurs
     employés peuvent être rendus responsables devant        effets potentiels directs et involontaires11 ».
     les lois de certains Etats : les Etats parties à un
     conflit armé ; les Etats d’enregistrement d’une
     ONG (ou dont sont issus ses employés) ; les Etats       2.2 INSTRUMENTS LÉGAUX DE
     bailleurs ; et d’autres Etats dont les lois ont une     LUTTE CONTRE LE TERRORISME
     portée extraterritoriale5 ».En cas de non-respect
     des obligations prévues par l’accord de partenariat,    Les premiers instruments légaux de lutte contre
     le contrat peut être terminé et les montants            le terrorisme ont été créés avant les attaques
     versés restitués ; les « pénalités de non-respect       du 11 septembre, puis renforcés au début des
     des lois criminelles, civiles et administratives        années 2000. Des résolutions du CSNU telles les
     antiterroristes, vont d’une amende à une peine          résolutions 1267 de 1999 et la 1390 de 2002
     d’emprisonnement »6.                                    visaient Al Qaeda et les Talibans, et furent les
                                                             premières à introduire des sanctions contre des
     Les recherches disponibles illustrent que les           GDT, des individus et entités, et à obliger les Etats
     mesures antiterroristes contraignent l’aide             membre de l’ONU à geler les financements et les
     humanitaire. Leurs impacts négatifs vont de « l’arrêt   actifs de tels groupes12.
     et la diminution des financements au blocage
     de projets, la suspension de programmes, la             Les résolutions ultérieures du CSNU exigeaient
     planification et la conception de programmes sur        des membres de l’ONU qu’ils adoptent des lois
     des bases autres que celle des seuls besoins,           et mesures de prévention et de cessation de
     ainsi que le ralentissement de la mise en œuvre         tout financement d’actes terroristes ; mais aussi
     des projets7 ». Les inquiétudes liées au respect        visant à prévenir le recrutement, l’organisation,
     des législations poussent souvent les ONG à             le transport, l’équipement et le financement de
     « prendre la décision de ne pas entreprendre des        combattants terroristes étrangers13. Les résolutions
     activités d’aide dans des zones contrôlées par des      sont contraignantes pour tous les membres de
     GDT, ou à ne pas rechercher le financement de           l’ONU, qui ont adapté leurs droits nationaux en
     certains bailleurs8 ». Dans certains cas, les mesures   conséquence. Ces résolutions ont aussi conduit à
     antiterroristes ont « sévèrement nuit à l’opportunité   des exigences institutionnelles spécifiques, comme
     de certains acteurs humanitaires de négocier            certaines régulations bancaires.
     l’accès aux civils9 ».

14    PRINCIPES SOUS PRESSION
La prévention du financement du terrorisme               pas l’obligation de l’inclure dans leur droit national20.
est un élément clé des mesures antiterroristes           La directive européenne de lutte contre le terrorisme
internationales. Ses principaux instruments sont         (2017) contient une exemption pour les activités
la Convention internationale pour la répression du       des « organisations humanitaires impartiales21 ». Des
financement du terrorisme (1999) et la résolution        exemptions peuvent aussi être incluses dans le droit
1373 du CSNU (2001). Elles demandent aux Etats           national, comme ça a été le cas dans une moindre
de criminaliser tout soutien matériel – financier        mesure, en Australie et en Nouvelle Zélande22.
ou autre – à des individus ou groupes désignés.
La convention punit tout financement pouvant
consciemment ou délibérément être employé à                 ARCHITECTURE DE
des fins terroristes. La résolution 1373 criminalise        L’ANTITERRORISME ONUSIEN
l’apport de fonds, actifs financiers ou ressources
économiques à quiconque commet un acte                      Au lendemain des attaques du 11 septembre,
terroriste. Contrairement à la convention, l’intention      le CSNU a dominé la réponse de l’ONU. Il
spécifique de soutenir un acte terroriste n’est pas         a adopté la résolution 1373 – imposant des
requise pour violer la résolution 137314.                   obligations antiterroristes à tous les Etats
                                                            membres, et établissant le Comité contre le
Les Etats ont l’obligation de transposer ces                terrorisme (CTC) de l’ONU pour veiller sur
instruments dans leur droit national, mais ils le font      leur mise en application. Le CTC est assisté
de différentes manières. Ils peuvent élargir leur           par la Direction exécutive du Comité contre le
définition ou encore désigner différentes personnes         terrorisme (CTED), qui applique les décisions
ou groupes comme étant terroristes15. Nombreux              et assure l’évaluation des Etats membres.
ont agi avant que les conséquences potentiellement
néfastes sur les ONG soient identifiées, et puissent       Les résolutions et sanctions du CSNU
être prises en compte16.                                   ne sont pas la seule manière dont l’ONU
                                                           influence la lutte contre le terrorisme. Bien
Les résolutions de l’ONU précisent souvent que les         que l’Assemblée Générale n’ait initialement
mesures antiterroristes doivent être conformes aux         pas de rôle actif dans la lutte antiterroriste, en
obligations internationales légales des Etats, dont        2006 elle a adopté la Stratégie antiterroriste
le DIH. Cependant, en l’absence d’une définition           mondiale, « un instrument mondial visant
universellement acceptée du terrorisme, il existe une      à améliorer la lutte antiterroriste nationale,
tendance croissante des Etats à considérer que             régionale et internationale23 ». En 2017, le
tout acte de violence perpétré par un GDT dans un          Bureau des Nations Unies de lutte Contre le
conflit armé est un acte terroriste, et donc illégal,      Terrorisme (UNOCT) fut créé afin « d’aider les
même lorsque de tels actes ne sont pas proscrits           Etats membres à mettre en œuvre la Stratégie
par le DIH17.                                              antiterroriste mondiale de l’organisation », et
                                                           le premier Sous-secrétaire général de la lutte
Depuis, il y a eu des tentatives pour limiter l’impact     contre le terrorisme a été nommé24. L’UNOCT
des mesures antiterroristes sur l’action humanitaire       a été critiqué car il n’a pleinement inclus
basée sur les principes, via le recours aux                les ONG dans les discussions autour des
exemptions18. La résolution 1916 du CSNU (2010)            mesures antiterroristes et de P/LEV25.
concernant les sanctions en Somalie, dispose que
« les obligations imposées aux Etats Membres...
ne s’appliquent pas au versement de fonds, autres        Les mesures antiterroristes ont également affecté
actifs financiers ou ressources économiques              les banques, de plus en plus réticentes dans leurs
nécessaires pour assurer l’acheminement rapide           rapports avec les ONG à mesure qu’elles cherchent
d’une aide humanitaire urgente19 ». Cette exemption      à se conformer aux régulations. Deux tiers des
a été introduite après qu’il ait été démontré que les    ONG américaines travaillant à l’international ont des
sanctions avaient limité la réponse à la famine, au      problèmes bancaires, dont des retards de transferts
motif que les ONG auraient pu apporter un soutien        de fonds, des demandes de documents inhabituels
matériel aux Shebabs et ainsi violer l’interdiction      et des hausses des tarifs26.
du CSNU en acheminant l’aide humanitaire.
L’exemption est limitée aux agences de l’ONU, à
ses partenaires et aux organisations ayant le statut
d’observateur auprès de l’ONU, et les Etats n’ont

                                                                                                                     15
2.3 EXIGENCES DES BAILLEURS                             Tous les bailleurs n’incluent pas des clauses
     VIS‑À-VIS DE L’ANTITERRORISME                           antiterroristes spécifiques à leurs contrats, mais
                                                             ceux qui ne le font pas exigent tout de même le
     Accompagnant la législation antiterroriste              respect des lois en vigueur, et peuvent exiger des
     croissante, les bailleurs incluent également de         porteurs de projet que leurs procédures existantes
     plus en plus de clauses antiterroristes dans les        de gestion des risques limitent le risque de
     contrats de subvention. La terminologie varie,          contravention à la législation antiterroriste, ainsi que
     depuis des exigences générales que les ONG              d’autres risques tels que la corruption et l’extorsion.
     fassent des « efforts raisonnables » pour prévenir le
     détournement de l’aide vers des GDT, jusqu’à des        Il existe une tension claire entre les mesures
     exigences explicites que les ONG excluent certains      antiterroristes des législations et des contrats
     employés et partenaires en cas de liens avec de tels    de subvention, et l’action humanitaire basée sur
     groupes. Certains contrats incluent des clauses « en    les principes. Les principes humanitaires exigent
     cascade », ce qui signifie que le porteur de projet     que les humanitaires traitent les parties étatiques
     doit s’assurer que tout contrat passé avec d’autres     et non étatiques à un conflit armé sur une base
     organisations dans le cadre de son action inclue les    égale, et répondent aux besoins, sur la seule base
     mêmes obligations27.                                    des besoins. Mais les exigences antiterroristes
                                                             peuvent punir les ONG qui travaillent auprès de
     D’autres bailleurs vont encore plus loin. USAID         GDT29. La crainte des mesures de rétorsion peut
     exige des porteurs de projet un certificat              amener les ONG à limiter leur engagement, et les
     antiterroriste signé (ATC) précisant que « le porteur   communautés vivant dans des zones sous contrôle
     de projet, à sa connaissance, n’a pas apporté –         de tels groupes peuvent être privées de l’aide dont
     au cours des dix dernières années – et prendra          elles ont besoin.
     toutes les mesures raisonnables afin de s’assurer
     qu’il n’apporte pas ni n’apportera pas sciemment,       Cela s’oppose fortement à l’approche humaniste,
     un soutien matériel à tout individu ou entité qui       impartiale, qui devrait aiguiller toute aide
     commet, tente de commettre, défend, facilite ou         humanitaire. Les GANE peuvent aussi représenter
     participe à des actions terroristes, ou a commis,       une menace de sécurité directe pour les
     tenté de commettre, défendu, facilité ou participé à    ONG, ce qui peut limiter leur présence, mais le
     des actions terroristes28 ».                            caractère général de la législation et des mesures
                                                             antiterroristes pose aussi des défis significatifs.

16    PRINCIPES SOUS PRESSION
© NRC/Ingrid Prestetun
2.4 CAS JURIDIQUES IMPLIQUANT DES ONG                      aucune preuve de détournement de fonds32. Une
                                                           vérification judiciaire a été demandée par World
Les cas où des ONG ont été accusées d’apporter             Vision. Selon la plupart des rapports récents, elle
un soutien à des groupes terroristes sont rares,           n’a trouvé aucune preuve de détournement33.
mais c’est arrivé, et cela a alarmé la communauté
humanitaire, créé des inquiétudes concernant le          • En 2017, l’Université Américaine de Beyrouth
risque d’image, et contribue à un climat global            (AUB) a signé un compromis avec le
de peur et d’aversion au risque. Les détails de            gouvernement américain à hauteur de 700 000
certaines affaires clés, pénales et civiles, sont          dollars, après avoir été accusée au civil d’avoir
présentés ci-après.                                        formé et conseillé les représentants de trois GDT.
                                                           Le procès a accusé l’AUB d’avoir fourni une
• En 2010, la Cour Suprême américaine, dans                formation médiatique aux représentants de deux
  l’affaire Holder v Humanitarian Law Project, a           médias sous le coup de sanctions américaines.
  jugé que la définition d’un soutien matériel est         Elle a aussi été accusée d’avoir listé comme ONG
  large, recouvrant la formation, même dans des            une troisième organisation, également sous le
  disciplines aussi bénignes que le DIH. La décision       coup de sanctions. Il a été jugé qu’il s’agissait
  a souligné que tout type de soutien matériel ou en       d’une violation du False Claims Act car, en tant
  ressources à des GDT était une violation des lois        que bénéficiaire de fonds USAID, l’AUB avait
  antiterroristes américaines – qui ont une portée         déclaré ne pas avoir soutenu ou apporté des
  extraterritoriale forte – même s’il ne contribue pas     ressources à des GDT au cours des dix dernières
  directement à une attaque terroriste. Il s’agit d’un     années, et s’était engagée à ne pas le faire dans
  jugement quasi préventif : aucun individu n’a été        la mesure du possible34.
  poursuivi.
                                                         • En 2018, dans une affaire similaire opposant
• En 2016, le gouvernement israélien a accusé              Norwegian People’s Aid (NPA) à un citoyen,
  le Directeur des opérations de World Vision              l’ONG a payé une amende de 2 millions de
  à Gaza d’avoir détourné des fonds pour le                dollars pour violation du False Claims Act, après
  Hamas30. L’Australie, principal contributeur du          avoir apporté un soutien matériel à des GDT
  programme de World Vision à Gaza, a cessé de             dans un projet de renforcement de la démocratie
  financer l’ONG en Palestine31. Une enquête du            pour jeunes Gazaouis entre 2012 et 2016, et
  gouvernement australien a conclu qu’il n’y avait         dans un projet de déminage en Iran, terminé en

                                                                                                                 17
200835. NPA avait également signé l’engagement           PRÉVENTION/LUTTE CONTRE
       mentionné ci-dessus. L’ONG n’avait accepté               L’EXTRÉMISME VIOLENT :
       les fonds d’USAID dans aucun de ces pays, et             DIFFÉRENCES CLÉS
       a discuté le bien-fondé de la plainte au motif
       qu’elle pensait que l’engagement valait pour les         Tout comme il n’existe aucune définition
       seuls pays pour lesquels elle avait accepté un           universellement acceptée de l’extrémisme
       financement36. Le verdict a considéré que les            violent, il n’existe aucune définition universelle
       engagements antiterroristes exigés par USAID ne          de la prévention de l’extrémisme violent (PEV),
       s’appliquent pas uniquement aux pays concernés           ni de la lutte contre l’extrémisme violent (LEV).
       par des fonds d’USAID, mais à l’ensemble du              Ces termes sont souvent utilisés de manière
       travail des bénéficiaires d’USAID.                       interchangeable, mais peuvent aussi être
                                                                distingués. Les stratégies de PEV peuvent
                                                                être définies comme visant les facteurs
     2.5 LA PRÉVENTION/LUTTE CONTRE                             socioéconomiques du phénomène – comme la
     L’EXTRÉMISME VIOLENT ET SES                                pauvreté, les inégalités et la marginalisation40.
                                                                Par exemple, le Plan d’action de politique
     LIENS AVEC L’AIDE HUMANITAIRE                              étrangère de la Suisse pour la prévention
                                                                de l’extrémisme violent stipule que la PEV
     La P/LEV s’inscrit dans une politique antiterroriste       implique « d’éliminer ce qui fait le terreau de
     plus large. La législation et autres mesures               l’extrémisme violent en renforçant la capacité
     présentées ci-dessus sont généralement coercitives,        des individus et des communautés à lui
     mais la P/LEV implique aussi des mesures non               résister41 ». Les stratégies de LEV peuvent être
     coercitives visant à décourager les individus et           définies comme visant les facteurs plus directs
     communautés de soutenir ou entreprendre ce qui             de l’extrémisme violent, et peuvent inclure
     est considéré comme de l’extrémisme violent37. Les         des méthodes telles le désarmement, la
     mesures employées peuvent inclure des activités            démobilisation et la réinsertion, et l’éducation
     humanitaires ou de développement. L’approche               comme moyens de « déradicalisation ».
     est devenue de plus en plus populaire parmi les            Certaines définitions de la LEV incluent
     Etats ces dernières années, dans leur lutte contre         la surveillance intérieure, la police et les
     l’extension des groupes « extrémistes »38.                 messages de lutte contre l’extrémisme42.

     Cependant, les ONG ont mis en garde contre
     l’impact potentiel des mesures de P/LEV sur              L’ONU a également joué un rôle clé dans le progrès
     leur travail39. Bien que certains programmes             de l’agenda de la P/LEV et de sa popularité
     humanitaires – comme ceux visant l’éducation ou          parmi les Etats membres. Le Plan d’action pour
     le travail des jeunes – puissent se superposer à         la prévention de l’extrémisme violent de l’ONU,
     des activités de P/LEV, leurs motivations et leurs       présenté en 2016, vise à proposer « des mesures
     objectifs sont distincts. Les activités humanitaires     préventives de lutte contre les conditions qui
     sont guidées par les principes, et les activités de P/   poussent les individus à se radicaliser et à rejoindre
     LEV par des objectifs politiques. Le risque existe       des groupes extrémistes violents43 ». Le plan appelle
     que la P/LEV coopte les programmes humanitaires          à une approche de la PEV impliquant toute l’ONU.
     pour des objectifs politiques et sécuritaires, et        Lorsque le Secrétaire général a présenté le plan
     encouragent les ONG à accepter des fonds afin de         d’action à l’Assemblée Générale, il a déclaré :
     mener des programmes non seulement sur la base           « nous devons supprimer les barrières entre paix et
     des besoins, mais également selon l’hypothèse            sécurité, développement durable, droits de l’homme
     que certaines communautés sont particulièrement          et acteurs humanitaires aux niveaux national,
     susceptibles de participer à des actes extrémistes       régional et mondial – notamment à l’ONU44 ». Bien
     violents, pour des raisons de race ou de religion.       qu’il identifie le besoin de respecter les principes
                                                              et l’espace humanitaires, le plan ne reconnaît pas
                                                              que les « barrières » entre ONG et autres acteurs
                                                              jouent un rôle majeur dans la protection de la nature
                                                              indépendante de l’action humanitaire.

18    PRINCIPES SOUS PRESSION
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